Ce site présente les travaux des députés de la précédente législature.
NosDéputés.fr reviendra d'ici quelques mois avec une nouvelle version pour les députés élus en 2024.

Intervention de Hervé Berville

Réunion du mercredi 27 septembre 2023 à 11h10
Commission des affaires étrangères

Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la première ministre, chargé de la mer :

Permettez-moi tout d'abord de m'excuser pour le léger retard de mon arrivée. J'ai parfaitement conscience des contraintes des parlementaires et de l'importance de l'exigence de ponctualité qui s'impose aux membres du Gouvernement auditionnés au Parlement. Il se trouve cependant que j'étais en discussion avec les pêcheurs et leurs représentants avant de vous rejoindre et nos échanges ont été très denses.

J'ai grand plaisir à revenir devant cette magnifique commission, sans doute la plus belle de l'Assemblée nationale car elle embrasse tous les sujets, de la souveraineté à l'économie, de l'écologie à ce qu'il se passe dans nos territoires ultramarins.

La cohérence de tout cela, c'est la capacité de la France à répondre à deux enjeux qui ne sont pas uniquement internationaux : comment renforcer la souveraineté économique, d'une part, et comment lutter contre le changement climatique, d'autre part ? Vos travaux, dont je salue la qualité et que je suis avec beaucoup d'attention, sont au cœur de la vie de nos concitoyens et de nos territoires qui, de la Bretagne à la côte méditerranéenne et de la Polynésie à la Guyane en passant par la Normandie, sont concernés par les sujets internationaux.

La lutte contre le changement climatique est inséparable de la capacité à introduire des clauses miroir dans les accords commerciaux et à lutter contre la déforestation importée. La capacité à accélérer la transition énergétique est inséparable de l'ouverture d'une discussion franche et équilibrée avec la Chine et de l'instauration de barrières permettant la production de véhicules électriques français. La préservation de la souveraineté alimentaire est inséparable de l'action de l'Union européenne (UE) vis-à-vis de pays tiers et de celle de nos territoires, et je ne parle même pas des enjeux de cybersécurité et de terrorisme. Bref, ce que vous faites au sein de cette commission, c'est à la fois : la Corrèze et le Zambèze, les Côtes-d'Armor et les Comores.

Dans le contexte de l'invasion russe en Ukraine et de la nécessité d'une action résolue s'agissant de l'effondrement de la biodiversité et du changement climatique, les travaux que vous menez – je le constate à chacun de mes déplacements, récemment encore en Jamaïque, où je me suis rendu avec Eléonore Caroit pour réclamer un moratoire sur l'exploitation des fonds marins – sont suivis par les gouvernements et les Parlements de nombreux pays. Ils savent qu'un travail rigoureux et méticuleux, essayant d'embrasser tous les sujets, est mené ici.

À l'international, vous êtes aussi la voix de la France. Nous continuerons donc à vous associer, autant que faire se peut, à nos travaux. La diplomatie parlementaire est l'indispensable complément de la diplomatie conduite par l'exécutif sous l'autorité de Catherine Colonna et du président de la République.

Chacun ici en est conscient : nous ne serons pas une puissance, au XXIe siècle, sans renforcer la puissance maritime de notre pays. Le retour des empires donne au fait maritime un rôle essentiel pour être en capacité de faire face aux menaces et de porter la voix la France sur tous les sujets. Pour reprendre une citation célèbre, qui commande la mer commande le commerce, qui commande le commerce commande la richesse du monde et, par conséquent, le monde lui-même. Qui donc tient la mer tient le monde.

La France, Catherine Colonna et moi-même le revendiquons sans cesse, est une nation océanique. Présente dans l'océan Pacifique, dans l'océan indien, dans l'océan Atlantique et en mer Méditerranée, elle est voisine de nombreux pays, ce qui nous confère une responsabilité particulière tout en justifiant que nous menions, dans le cadre d'une diplomatie des océans, une action internationale dynamique et située aux avant-gardes en la matière, en essayant notamment de concilier les intérêts de ce que l'on appelle désormais – je n'aime pas cette appellation – le « Sud global » et ceux des pays développés – expression que je n'aime pas non plus.

La France a 18 000 kilomètres de littoraux ; 75 % des approvisionnements et des exportations de notre pays empruntent la voie maritime – la moyenne mondiale est de 80 % – ; 95 % des échanges d'information à destination ou en provenance de la France empruntent des câbles sous-marins, ce qui fait de la protection des fonds marins un enjeu important qui doit être présent à l'esprit de nos concitoyens.

Dans ce cadre, le président de la République m'a nommé l'an dernier secrétaire d'État chargé de la mer. Les enjeux maritimes ressortissent notamment à l'écologie, à la souveraineté, à l'aménagement du territoire, à la souveraineté alimentaire, à la défense et à la transition énergétique. Être rattaché à la première ministre permet d'agir de façon interministérielle et de faire en sorte que le fait maritime et la puissance maritime soient au cœur du projet géopolitique de la France.

Les enjeux maritimes doivent être pris en considération avec beaucoup d'attention – à cet égard, je vous remercie, monsieur le président, de cette audition – car ils sont au cœur de la souveraineté économique comme du changement climatique et de l'effondrement de la biodiversité. Les océans couvrent 70 % de la surface de la planète ; nous ne connaissons que 3 % des grands fonds marins. Notre capacité à préserver la biodiversité et à lutter contre le changement climatique tient aux océans, qui absorbent l'excès de CO2. En prendre soin, c'est prendre soin de la planète. Par ailleurs, les océans ont une fonction nourricière pour de nombreuses communautés – un peu plus de 60 % de la population mondiale vit à moins de 60 kilomètres des côtes. C'est pourquoi le président de la République et la Première ministre ont souhaité que la diplomatie des océans soit au cœur de notre diplomatie environnementale et de notre diplomatie tout court.

À la tête du secrétariat d'État à la mer, j'ai trois objectifs : la protection des océans sur le territoire national ainsi qu'aux échelons européen et international ; le développement d'une économie maritime sinon décarbonée, du moins susceptible de réduire notre dépendance aux énergies fossiles, ce qui suppose de soutenir nos modèles de pêche – côtière, artisanale, hauturière – et nos pêcheurs, notamment ceux qui sont confrontés, comme ceux de Polynésie et de Guyane, à des difficultés particulières, en gardant à l'esprit que la politique de la pêche est une politique européenne ; la planification en mer, laquelle n'est plus le monopole des navigateurs, des explorateurs et des pêcheurs, ce qui exige d'assurer, dans le cadre de la planification écologique, la cohabitation des usages.

La planification en mer comporte trois volets : contribuer à la souveraineté énergétique par le développement des énergies marines renouvelables – nous visons une capacité de 40 gigawatts et les travaux ont commencé partout sur nos littoraux ; renforcer la protection de la biodiversité, notamment par la création de zones de protection fortes et par le renforcement des aires marines protégées, en arrêtant les interdictions et les autorisations sur la base de l'état des habitats marins ; réserver des espaces au développement des aménités positives que sont les activités maritimes, notamment halieutiques et touristiques, en favorisant les investissements dans la transition énergétique et les activités portuaires en lien avec les collectivités locales.

L'organisation, en février 2022, du One Ocean Summit a été un moment fondateur. Il a permis à la France et à l'UE de relancer les négociations sur la protection de la haute mer, laquelle couvre près de 50 % de la surface de la planète, en donnant le départ des négociations du traité sur la biodiversité au-delà de la juridiction nationale, dit « BBNJ » pour Biodiversity Beyond National Jurisdiction treaty – ou encore « traité international pour protéger la haute mer ». La haute mer est un espace insuffisamment régi par des règles, alors même que l'avenir du monde s'y joue.

Nous avons fait en sorte d'insuffler une dynamique politique à la négociation. Lorsque vous négociez un texte depuis quinze ans, vous finissez par ne plus très bien savoir quel est le sujet de crispation. Dès lors, une impulsion politique s'impose pour identifier les points d'accord.

Le président de la République a donc lancé, avec l'Union européenne, la coalition de la haute ambition sur la biodiversité au-delà des juridictions nationales, en disant ceci : si nous voulons être cohérents avec l'objectif de limitation du réchauffement à 1,5 degré fixé à la COP21 et avec les conclusions de la COP15 sur la biodiversité de Montréal, aux termes desquelles il faut protéger 30 % de la surface terrestre et 30 % de la mer, nous devons parvenir à nous mettre d'accord sur un traité de protection de la haute mer, sous peine de ne pas être crédibles et surtout de ne pas être efficaces dans notre capacité à mettre en œuvre les décisions de la COP15 sur la biodiversité. La France a donc parlé du traité BBNJ dans toutes les instances internationales – c'est le premier mandat que j'ai reçu –, notamment le G7, le G20 et les institutions européennes, en vue de le faire aboutir.

Nous sommes parvenus, en mars 2023, à un accord sur trois points.

D'abord, il faut un mécanisme de partage des bénéfices des découvertes potentielles avec les pays du Sud, qui ne disposent pas des moyens d'exploration permettant notamment de réaliser des progrès médicaux. Dans le monde dans lequel nous vivons, sans solidarité, il est difficile d'obtenir l'accord de nombreux pays. Nul ici n'en disconviendra.

Ensuite, il faut un mécanisme de prise de décision empêchant le blocage par un seul pays. De nombreuses délégations vivaient dans la hantise de discussions aboutissant à un traité qui ne serait jamais mis en œuvre en raison du blocage d'un seul pays. Pour la première fois dans l'histoire des négociations internationales, nous sommes parvenus à un traité juridiquement contraignant prévoyant un mécanisme de prise de décision à la majorité et non à l'unanimité. Ainsi, la création d'aires marines protégées en haute mer, sur le modèle de celles qui existent à proximité des côtes, visant à la préservation de la biodiversité et à la lutte contre la pollution, ne pourra pas être bloquée par un seul pays.

Enfin, la France et l'UE ont été intraitables sur l'obligation de mener des évaluations environnementales avant toute activité en haute mer, identifiant notamment leurs impacts potentiels sur la biodiversité. Le traité BBNJ aura donc des conséquences sur l'exploitation minière des fonds marins, qui relèvent du cadre juridique de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), en promouvant l'idée que l'on ne peut pas mener des activités en haute mer sans avoir mené au préalable une évaluation d'impact environnemental sérieuse, précise et rigoureuse.

La semaine dernière – j'ai assisté à cet événement avec plusieurs députés ici présents, dont Eléonore Caroit –, le traité a été signé par quatre-vingt-un pays, dont la Chine et les États-Unis, ainsi que des petits pays insulaires, ce qui était jugé inespéré il y a un an. Que les pays de l'UE, les États-Unis et la Chine votent un traité juridiquement contraignant sur un sujet environnemental dans le marasme ambiant du multilatéralisme mérite d'être salué.

Ce n'est que le début de l'histoire. Pour que le traité entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins soixante pays. Nous avons pour objectif que tel soit le cas d'ici à la Conférence des Nations Unies sur l'océan, qui se tiendra à Nice en juin 2025. Nous travaillons avec l'UE pour définir les compétences des uns et des autres, en vue de présenter au Parlement un projet de loi portant approbation du traité en début d'année prochaine, ce qui permettrait sa ratification à l'été 2024. La France serait ainsi, avec le Costa Rica, l'un des premiers pays à ratifier ce traité, grâce à un système politique permettant de ratifier les traités avec efficacité.

Ce traité offrira un cadre juridique au sein duquel nous accentuerons nos efforts dans plusieurs domaines, notamment la lutte contre la pollution plastique et contre l'exploitation minière des fonds marins. Celle-ci est à mes yeux le combat du siècle si nous voulons être crédibles en matière de préservation de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique.

Le traité mondial contre la pollution plastique relève du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Toutefois, il comporte une dimension maritime. On tend à aborder le sujet de la pollution en mer sous l'angle du nettoyage des océans. C'est très bien mais l'enjeu principal est d'éviter de polluer : 80 % des déchets qui sont en mer ont été produits à terre.

La première étape des négociations a eu lieu en Uruguay en novembre 2022. Elle a été émaillée d'obstructions de procédure, comme la deuxième, qui a eu lieu à Paris du 29 mai au 3 juin 2023. La France et l'UE, dans le cadre d'une coalition, ont insufflé une dynamique favorable aux discussions, pour en prévenir le blocage. Nous avons obtenu un mandat permettant au président du comité intergouvernemental de négociation (CIN) de rédiger une première version du traité, ce qui nous permettra d'être à la hauteur de nos objectifs, de tenir le calendrier que nous nous sommes fixé pour 2024 et de conserver une dynamique favorable à un traité couvrant l'intégralité du cycle de vie du plastique, de sa production à sa fin de vie.

S'agissant de l'exportation minière des fonds marins, la cohérence s'impose. On ne peut pas parler de préservation des océans tout en autorisant une activité consistant à faire descendre à plus de 4 000 mètres de profondeur des machines de la taille d'une baleine bleue pour extraire des métaux rares et précieux dont il n'est pas démontré qu'ils sont indispensables à la transition écologique. La position de la France est très claire. Elle a suscité la controverse et il a fallu en expliquer les tenants et les aboutissants. Je salue la position avant-gardiste de la Polynésie à ce sujet. La France est totalement opposée à l'exploitation minière des fonds marins. Nous ne nous y livrerons pas dans nos eaux et nous défendons cette position dans les instances internationales, en avançant trois arguments.

Premièrement, nous n'avons pas le recul scientifique nécessaire pour être certains que nous pouvons commencer des activités sans provoquer des dommages irréversibles sur la biodiversité et les océans.

Deuxièmement, avant de se lancer dans une telle exploitation, il faut discuter au sein de l'Autorité internationale des fonds marins. Certes, à sa création dans les années 1990, le but de cette organisation était l'exploitation minière, mais il faut ajuster ses objectifs avec les réalités contemporaines, notamment l'urgence écologique.

Dans ce dialogue multilatéral, nous travaillons à établir des règles strictes, rigoureuses, pour éviter qu'un pays ne se lance dans cette activité sans aucun cadre. Au G7 comme au G20, nous continuons d'expliquer qu'il ne faut pas autoriser l'exploitation minière, avec succès puisque, par la voie diplomatique, une coalition de pays est parvenue à empêcher un début de test en 2024. Les États insulaires du Pacifique se sont largement mobilisés dans cette coalition. Il y a un an, nous étions quatre pays favorables à un moratoire de précaution : nous sommes aujourd'hui vingt-huit, et nous allons continuer dans cette voie.

Enfin, la protection de notre zone économique exclusive, élément de souveraineté et de sauvegarde de la biodiversité, est fondamentale. Que ce soit dans l'océan indien, dans le Pacifique ou dans les Caraïbes, nous menons une action résolue de surveillance par satellites, avec les nombreuses données dont nous disposons sur les navires. Grâce à la loi de programmation militaire, nous déployons nos moyens aéromaritimes : la nouvelle loi de programmation nous donnera notamment des patrouilleurs supplémentaires pour les territoires ultramarins. Cela fonctionne : aucune infraction de navires n'a été signalée dans l'océan indien depuis 2013.

Face aux nouvelles menaces nous devons toutefois renforcer nos moyens technologiques. C'est la raison pour laquelle le secrétariat d'Etat chargé de la mer a signé une convention avec le Centre national d'études spatiales, afin de disposer de données en temps réel et de pouvoir mener des actions, notamment grâce à la marine nationale, les affaires maritimes et la gendarmerie maritime, pour appréhender ceux qui se livrent à la pêche illégale.

La préservation de la ZEE, la lutte contre la pêche illégale et la protection de la biodiversité sont les piliers de la stratégie indo-pacifique, pour laquelle nous nous donnons des moyens supplémentaires. Nous mettrons aussi l'accent sur la coopération régionale avec les pays qui nous entourent, pour préserver l'intégrité du territoire français et la souveraineté de notre pays.

Notre ambition maritime est forte : elle doit se concrétiser selon les spécificités des territoires. Dans les différentes instances, européennes ou internationales, nous continuerons à protéger les océans, à renforcer notre souveraineté et à accompagner les pays les plus vulnérables pour faire face aux enjeux maritimes, notamment, pour les territoires du Pacifique, à la montée des eaux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.