La réunion

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La commission, réunie en commission d'évaluation des politiques publiques, procède à l'audition de Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

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Notre ordre du jour appelle l'examen des politiques publiques relatives à la mission Enseignement scolaire.

Je précise que nous procédons à une discussion centrée sur l'exécution budgétaire 2023 et que nous aborderons la thématique d'évaluation retenue par le rapporteur spécial lors d'une seconde réunion, en présence du ministre de l'agriculture.

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Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Je suis sincèrement contente d'être aujourd'hui devant vous, pour la première fois en tant que ministre de l'éducation nationale, au sujet de l'exécution du budget dont j'ai désormais la responsabilité – ce n'était pas le cas, vous le savez, en 2023.

Ces moments sont toujours précieux, et par vos questions et par le regard que nous portons, à titre collectif et rétrospectif, sur ce qui a été fait en matière de dépenses. C'est important, car en 2023, et depuis lors, l'éducation nationale a connu des réformes d'ampleur. Elles s'inscrivent dans la droite ligne de celles menées depuis 2017, dans le seul objectif de faire progresser tous les élèves partout sur le territoire et de ne laisser personne au bord du chemin. C'est cette boussole qui guide aujourd'hui mon action au quotidien.

Parmi ces réformes, celles qui ont été poursuivies ou engagées en 2023 concernent principalement la revalorisation des carrières des enseignants et des personnels de l'éducation nationale, la mise en œuvre de l'école pour tous ou encore le déploiement de la nouvelle voie professionnelle. Toutes ces réformes ne se traduisent pas encore budgétairement, mais elles confirment la place privilégiée de l'école dans les priorités du Gouvernement. Le budget du ministère de l'éducation nationale est d'ailleurs le premier budget de l'État.

En 2023, les crédits de la mission Enseignement scolaire se sont élevés au total à 82 milliards d'euros, pensions comprises, soit 4 milliards de plus qu'en 2022 et 370 millions de moins que le montant ouvert en loi de finances initiale. Au sein de cette mission, le seul périmètre de l'éducation nationale a représenté un peu plus de 80 milliards – 74,7 milliards de dépenses de masse salariale et 5,8 milliards d'autres dépenses.

L'exécution en 2023 a traduit nos priorités, bien qu'elle ait été marquée par une sous-exécution des crédits de masse salariale de l'ordre de 131 millions d'euros. Pour ce qui concerne l'enseignement scolaire, l'exécution budgétaire s'est caractérisée par trois éléments : une nette reprise des recrutements, des revalorisations salariales importantes et la consolidation de plusieurs dispositifs éducatifs essentiels.

Quelques mots concernant la sous-exécution des crédits de masse salariale, malgré une nette reprise des recrutements : si on ne prenait en compte que le seul périmètre de la loi de finances initiale, l'année 2023 se serait traduite par une importante économie de constatation, résultant principalement de nos difficultés de recrutement. En 2022, en effet, 4 500 emplois n'avaient pas pu être pourvus, mais le ministère a tout mis en œuvre pour compenser ce retard en 2023. Nous avons ainsi recruté 3 912 équivalents temps plein (ETP), ce qui a justifié un schéma net d'emplois de + 1 932 ETP, alors qu'une baisse de 1 980 ETP était prévue en loi de finances initiale. Cette évolution est évidemment une bonne nouvelle pour le ministère qui, malgré des difficultés d'attractivité persistantes, a pu renouveler ses modalités de recrutement, notamment en anticipant le recrutement des agents contractuels avant la rentrée scolaire, pour mieux les fidéliser et les former. Nous aurons rattrapé en 2024 l'ensemble du retard constaté dans ce domaine en 2022.

Les autres motifs de sous-consommation par rapport à la loi de finances initiale sont principalement une moindre dépense au titre du GVT (glissement vieillesse technicité), de l'ordre de 130 millions d'euros, des décalages de paie en raison de la montée en charge progressive du dispositif du Pacte et d'une partie des mesures catégorielles, pour 70 millions d'euros, et des retenues plus importantes qu'envisagé en matière de grève – 130 millions d'euros. Je rappelle que 2023 a été l'année de la réforme de la retraite.

La sous-exécution constatée dans le périmètre de la loi de finances initiale a permis de financer, sous enveloppe, des mesures interministérielles conséquentes, liées au rendez-vous salarial et à la revalorisation du point d'indice. Le rythme des recrutements s'étant désormais accru, la moindre dépense constatée à ce titre en 2023 ne se renouvellera pas cette année.

Outre la sous-exécution des crédits de masse salariale, il me paraît important de mentionner les revalorisations exceptionnelles qui ont eu lieu en 2023 : la reprise des recrutements par l'éducation nationale s'est accompagnée d'un effort inédit en faveur de la revalorisation des personnels, pour assurer une meilleure reconnaissance de l'engagement de nos agents et de l'attractivité des métiers. L'exécution budgétaire 2023 témoigne de l'importance de cet effort. Grâce au Grenelle de l'éducation, à la revalorisation inconditionnelle, dite « revalorisation socle », engagée en septembre 2023, et aux mesures issues des rendez-vous salariaux de 2022 et 2023, la rémunération nette moyenne des enseignants a progressé de 11 % entre avril 2022 et janvier 2024, soit 258 euros net de plus par mois.

La revalorisation mise en œuvre en septembre 2023 a été assez inédite par son ampleur : 1,9 milliard d'euros en année pleine, dans le cadre d'une hausse sans condition, je le répète, des rémunérations des professeurs, des conseillers principaux d'éducation et des psychologues de l'éducation nationale. Grâce aux efforts réalisés, tous ces personnels commencent désormais leur carrière avec une rémunération nette supérieure à 2 100 euros par mois.

Je souhaite rappeler, par ailleurs, que depuis la dernière rentrée, en septembre 2023, le déploiement du dispositif du Pacte a permis de valoriser des missions complémentaires que les enseignants acceptent d'effectuer et de verser des tranches indemnitaires supplémentaires, à hauteur de 1 250 euros net pour l'année. Cette mesure a représenté 200 millions d'euros de septembre à décembre 2023. Sur l'année scolaire 2023-2024, l'intégralité du budget prévu à cet effet, 744 millions d'euros, a été consommée, ce qui témoigne d'un premier déploiement réussi du dispositif, grâce à l'adhésion d'environ 30 % des enseignants.

Enfin, depuis la rentrée 2023, les AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap) peuvent bénéficier de la signature d'un contrat à durée indéterminée (CDI) après trois ans de fonctions. Au total, sous l'effet des différentes mesures, la rémunération moyenne nette mensuelle des AESH a progressé de 41 % entre janvier 2017 et janvier 2024, dont 10 % à la rentrée 2023. Nous travaillons maintenant à améliorer les perspectives de carrière.

Au-delà des efforts salariaux, nous avons renforcé plusieurs dispositifs éducatifs que nous estimons essentiels pour assurer le fonctionnement de l'école et atteindre l'exigence qui nous inspire.

Nous poursuivons ainsi le dédoublement des classes dans le cadre des réseaux d'éducation prioritaire REP et REP+. À la rentrée de 2023, plus de 372 000 élèves bénéficiaient du dédoublement, sur trois niveaux – grande section, CP et CE1. Au total, 75 % des classes de grande section bénéficiaient alors du dispositif. L'enjeu, vous le savez, est double. Il s'agit de réduire les inégalités dès le plus jeune âge et d'améliorer la maîtrise des savoirs fondamentaux grâce à des conditions d'apprentissage améliorées pour nos élèves. Par ailleurs, depuis la rentrée 2023, tous les élèves de sixième bénéficient du dispositif Devoirs faits, qui correspond également à un engagement présidentiel, datant de 2017 et désormais mis en œuvre dans nos collèges – 32 % des collégiens ont bénéficié de ce dispositif en 2022-2023, pour une moyenne de deux heures et demie par semaine.

Je mentionne aussi le déploiement du Fonds d'innovation pédagogique (FIP), qui, de même, fait suite à un engagement du Président de la République, pris dans le cadre du Conseil national de la refondation et qui consiste à soutenir financièrement des projets pédagogiques innovants, initiés et mis en œuvre par des équipes éducatives de terrain. Le FIP doit être doté de 500 millions d'euros sur la période 2022-2027, ce qui est évidemment important. En 2023, pour sa première année, plus de 65 millions d'euros ont été engagés et 49 millions ont déjà été payés, ce qui témoigne d'une forte dynamique de la part des établissements – plus de 5 000 projets pédagogiques ont ainsi été validés.

Voilà rapidement brossé, mesdames et messieurs les députés, le tableau de notre exécution budgétaire en 2023. Il témoigne de l'effort que nous réalisons en faveur de l'attractivité des métiers, des conditions d'enseignement et des politiques ambitieuses que nous menons pour le bien-être de nos élèves.

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La loi de finances initiale pour 2023 a alloué à la mission Enseignement scolaire un peu plus de 82 milliards d'euros. Cela représente, vous l'avez dit, madame la ministre, 4 milliards de plus que pour l'exercice 2022 et 10 milliards de plus qu'en 2017. C'est la traduction des engagements pris par le Président de la République pour notre école. La quasi-totalité de ces crédits a été consommée, le taux d'exécution étant supérieur à 99 %.

La mission Enseignement scolaire finance principalement des dépenses de rémunération du personnel. Les dépenses dites de titre 2 représentent ainsi plus de 90 % des crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 2023, soit 76,23 milliards d'euros. Ces moyens ont notamment contribué à financer des mesures de revalorisation salariale, comme le Pacte proposé aux enseignants. D'autres mesures de revalorisation salariale sont intervenues en cours d'année et n'étaient donc pas prévues par la loi de finances initiale. C'est le cas de la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires, à compter du 1er juillet 2023, pour 364,6 millions d'euros. La Cour des comptes indique que les mesures de revalorisation salariale supplémentaires ont été exécutées sans requérir d'abondement budgétaire supplémentaire, notamment parce que d'autres dépenses, comme celles de formation, dont nous avons souvent l'occasion de débattre, ont été sous-exécutées, ce qui a donc libéré des crédits.

En ce qui concerne la consommation des emplois, on remarque des disparités selon les programmes.

Le taux de consommation est très élevé dans le cadre des programmes 140 et 141, qui concernent essentiellement les enseignants du public, du programme 139, relatif à l'enseignement privé sous contrat, et du programme 143, qui porte sur les dépenses de personnel de l'enseignement technique agricole public et privé sous contrat, sur lequel j'ai décidé de me pencher cette année, et qui a un taux de consommation de 100 %.

Le taux est, en revanche, inférieur à 92 % du plafond d'emplois pour le programme 230, Vie de l'élève, qui rassemble des crédits de personnel servant à rémunérer, notamment, les personnels administratifs et techniques, les AESH, les AED (assistants d'éducation) et les personnels éducatifs et médico-sociaux. Selon la Cour des comptes, cette situation s'explique par deux éléments : d'une part, des difficultés de recrutement dans les métiers médico-sociaux, notamment en matière de santé scolaire thème qui m'est cher, comme à tous les commissaires aux finances s'intéressant au budget de l'éducation, et dont nous avons longuement discuté lors de la préparation du dernier budget ; d'autre part, le décalage qui a affecté le transfert des AESH et des AED vers le titre 2, par leur CDIsation.

Je souhaiterais vous entendre, madame la ministre, sur les métiers du médico-social et de la santé scolaire, qui souffrent d'un manque d'attractivité, comme d'autres métiers de notre école, et ont donc besoin d'être redynamisés, pas seulement sur le plan salarial, mais aussi sur celui de l'organisation. En outre, pouvez-vous nous fournir un calendrier indicatif du transfert des AED et des AESH sur le titre 2 dans les années à venir et nous indiquer combien de personnels seront concernés au total ?

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Nicole Belloubet, ministre

S'agissant de l'attractivité de la filière médico-sociale, nous avons mené une action de revalorisation salariale et indemnitaire. Je pense notamment aux infirmières, qui bénéficient, à compter de ce mois, d'une prime exceptionnelle de 800 euros net et d'une revalorisation indiciaire pérenne, correspondant à une revalorisation de 191 euros net par mois. Je rappelle également qu'un certain nombre d'infirmières ont pu bénéficier, au titre des fonctions de coordonnateur de la lutte contre le harcèlement, d'une « brique » du Pacte, à hauteur de 1 250 euros. Les assistants et les conseillers techniques de services sociaux bénéficient, par ailleurs, d'une revalorisation indemnitaire dont le montant moyen net sera de 191 euros à compter du mois d'août. Les médecins, quant à eux, bénéficieront d'une revalorisation dont les contours sont en cours d'examen.

Vous avez évoqué un deuxième point, qui est celui de l'organisation. Je pense, effectivement, qu'elle n'est pas satisfaisante dans le cadre de l'État. Je souhaiterais personnellement constituer, autour du Dasen (directeur académique des services de l'éducation nationale), un pôle de santé scolaire : un regroupement des médecins, des infirmiers, des psychologues et des assistants sociaux permettrait d'avoir plus d'efficacité. Cela reste à organiser, mais c'est un des points, importants, que je souhaite développer.

Vous m'avez également interrogée sur le transfert des AED et des AESH sur le titre 2. Ce processus est lié, en partie, à leur CDIsation, dans une logique d'harmonisation et de gestion des ressources humaines plus qualitative. Nous comptons basculer 18 578 ETP d'AESH sur le titre 2 pour atteindre une cible de 85 000 au 31 décembre 2024 – c'est une évolution progressive, en fonction de la CDIsation. Près de la moitié des AESH devraient ainsi passer sur le titre 2 dès le mois de septembre prochain. Quant aux AED, seuls ceux en CDI basculeront sur le titre 2. Les autres resteront hors titre 2, ce qui est tout à fait logique.

Je précise à nouveau, s'agissant des AESH, que nous entendons mettre en place, d'ici à l'été, un plan permettant une meilleure reconnaissance de leur métier, un parcours de formation et des évolutions de carrière. Le Premier ministre l'a annoncé, et cela me semble tout à fait important.

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Madame la ministre, je voudrais vous interroger sur le nombre d'équivalents temps plein travaillé (ETPT) d'AED dans l'exécution 2023. Je comprends que la CDIsation n'a finalement concerné que 3 042 ETPT, alors que 5 500 étaient prévus. Qu'en est-il des postes hors titre 2 et des contrats de préprofessionalisation ? Ce sont là des données particulièrement utiles. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, concernant l'évolution du nombre de postes d'assistants d'éducation entre 2023 et 2024, Gabriel Attal réfutait la diminution de plus de 1 000 postes qui avait été identifiée par un de nos collègues, Paul Vannier. Après une vérification extrêmement détaillée qui tient compte des AED en contrat de préprofessionalisation, je peux dire qu'on observe effectivement une diminution de 1 112 AED entre la programmation pour 2023 et celle pour 2024. La baisse du nombre d'élèves attendue ces prochaines années devrait, au contraire, être l'occasion d'augmenter le taux d'encadrement afin de garantir de meilleures conditions de travail au sein des établissements et de favoriser la réussite des élèves. Vous aurez donc compris que je ne trouve pas satisfaisante la baisse du nombre d'AED.

J'en viens aux annulations de crédits pour 2024, dont la répartition entre actions au sein des programmes n'a me semble-t-il toujours pas été communiquée par votre ministère à la représentation nationale. Quand Bercy a prévu plus de 691 millions d'euros d'économies en 2024, il nous a été annoncé que cela ne compromettrait pas les annonces de l'ancien ministre de l'éducation nationale. Vous avez pourtant reconnu vous-même, au bout de trois mois, que ces coupes ne seraient pas indolores et qu'il faudrait faire des choix. Je suis très inquiet, car nous avons besoin de moyens supplémentaires pour l'éducation. Je pense notamment au plan d'urgence réclamé par les enseignants de Seine-Saint-Denis, que vous recevrez le 11 juin, pour que leurs élèves ne subissent plus un traitement inégal, en particulier en matière de vie scolaire. Le risque des annulations de crédits est que vous ne puissiez pas répondre à des demandes pourtant légitimes, au-delà de ce qui figure dans le projet de loi de finances.

Le Monde affirme que 550 millions d'euros d'économies seraient possibles, sans que cela soit détaillé dans l'article. Par ailleurs, il resterait plus de 130 millions à dégager, soit le montant des économies sur les heures supplémentaires qui était, me semble-t-il, prévu avant que vous ne reculiez, fort heureusement, sur ce point. Pouvez-vous nous indiquer quels sont les choix, difficiles, que vous ferez ou que vous avez faits ? Le ministre de l'époque s'appuyait beaucoup sur la sous-exécution des crédits en 2023, mais rien n'indique que cette situation se reproduira à l'identique en 2024, pour beaucoup de raisons.

Une prime de fidélisation, qui a évidemment des conséquences budgétaires, a été accordée aux fonctionnaires de Seine-Saint-Denis, où le turnover est très important, notamment chez les enseignants. Il est prévu que bénéficient notamment de cette prime les enseignants des établissements publics du second degré. En revanche, vous le savez – j'ai contacté votre cabinet –, des enseignants de BTS (brevet de technicien supérieur) et de classes préparatoires ont été exclus de ce dispositif. On m'a dit au départ que c'était parce que les enseignants de BTS relevaient du ministère de l'enseignement supérieur, alors qu'il s'agit bien de celui de l'éducation. Ce serait maintenant parce qu'ils sont, certes, payés par le ministère de l'éducation, mais qu'ils enseignent à des post-bacs, et ne peuvent donc pas être considérés comme appartenant au second degré. J'observe pourtant que leurs conditions de travail, en particulier le public auquel ils enseignent, sont plus proches de celles des lycées que de celles des facultés. Par ailleurs, ils enseignent souvent dans des établissements scolaires du second degré. Enfin, et surtout, on leur a demandé, conformément à une circulaire du rectorat de Créteil en date du 15 mars 2021, quel type ou quelles modalités ils préféraient en matière de primes. Certains sont donc restés dans le département en pensant qu'ils bénéficieraient de ce dispositif, mais une FAQ (foire aux questions), qui n'a pas de valeur juridique, leur apprend qu'ils y sont inéligibles.

Je trouve cette situation totalement injuste par rapport à ce qui avait été prévu et annoncé par l'État et je vous demande donc de faire un effort : ces personnels méritent cette prime de fidélisation, comme les autres personnels du second degré de la Seine-Saint-Denis.

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Nicole Belloubet, ministre

S'agissant des AED, vous m'avez demandé des chiffres. Peut-être faudrait-il que nous confrontions nos données, mais je crois que le nombre d'AED a été augmenté entre 2017 et 2024 de 6 072 équivalents temps plein. Nos crédits permettent actuellement la rémunération de 52 778 équivalents temps plein d'AED, dont 46 382 équivalents temps plein d'AED classiques. Cela représente une dépense au titre de la masse salariale qui s'est élevée à 1,8 milliard d'euros. Je ne reviens pas sur les mesures de revalorisation dont ces personnels ont pu bénéficier, notamment le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat. Ils sont par ailleurs, depuis le 1er janvier 2023, bénéficiaires des primes spécifiques qui sont versées aux agents exerçant dans les réseaux d'éducation prioritaire.

Le plan d'économies pour 2024 représente 683 millions d'euros pour l'éducation nationale – 470 millions pour les crédits de masse salariale et 213 millions pour les autres titres de dépense. À ce stade, nous avons pu effectuer des économies sur les crédits de masse salariale, mais cela ne touche en aucun cas – je m'y suis engagée et je l'ai dit à plusieurs reprises – les emplois. Nous avons agi sur les réserves de précaution et le reliquat de trésorerie des EPLE (établissements publics locaux d'enseignement), nous avons fait des efforts de fonctionnement au niveau du ministère, à hauteur de 60 millions d'euros, et nous avons également agi au niveau de prévisions techniques, de type GVT, grèves et jours de carence, ainsi que sur des crédits réservés. Il nous reste à trouver, au moment où nous parlons et comme l'a écrit à juste titre Le Monde, 130 millions d'euros. Nous allons y travailler en faisant en sorte que cela ne touche en aucun cas les emplois. Nous avons partagé ces éléments avec les organisations syndicales.

Vous m'avez également interrogée sur la prime de fidélisation pour les enseignants en BTS. Cette prime, d'un montant de 12 000 euros au bout de cinq années en Seine-Saint-Denis, a été ciblée sur les corps qui présentaient le plus de difficultés en matière d'attractivité. C'est la raison pour laquelle le décret d'application a été centré sur les enseignants avant le bac, même si je comprends ce que vous avez dit au sujet des enseignants de BTS. Vous m'informez de l'existence d'une circulaire de 2021 : je ne la connais pas au moment où je m'exprime, mais je regarderai ce qu'il en est. Les enseignants de BTS ne sont pas inclus, à l'heure actuelle, dans le dispositif.

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Je pense qu'ils l'ont été à un moment : c'est le problème et il faudra, à mon avis, le résoudre.

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Madame la ministre, je vous remercie d'avoir été aussi précise sur les écarts. Mais je vous trouve presque sévère avec vous-même. Le niveau d'exécution, que ce soit en AE, à 99 %, ou en CP, à 99,6 %, est remarquable. Le président a mis le doigt sur quelques problèmes, mais il y a beaucoup de bonnes nouvelles – rémunérations, effectifs, innovations en matière pédagogique, AESH.

Si je trouve formidable la multiplication des spécialités et des options pour le bac, je pense aussi aux établissements ruraux. Est-ce que la réforme fonctionne ? A-t-elle un impact sur les effectifs ou le manque d'enseignants disponibles réduit-il l'offre ?

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Nicole Belloubet, ministre

On pourrait imaginer que tous les lycées ne puissent présenter toutes les offres d'enseignement de spécialité ou que le coût en soit très élevé. On constate que plus de 90 % des lycées offrent les sept enseignements de spécialité. Je serai très attentive aux répercussions de leur coût. Je m'interroge actuellement sur les coûts d'un élève dans le premier degré, au collège, au lycée et dans l'enseignement supérieur, pour la partie que je gère. C'est un indicateur très pertinent des lieux où nous devons faire porter l'effort pédagogique. Je m'intéresse particulièrement à ce qui se passe au collège, étant donné que c'est là que se nouent beaucoup de destins scolaires.

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L'exécution du budget de la mission pour 2023 apparaît globalement satisfaisante. J'appelle néanmoins votre attention sur la sous-consommation, année après année, des crédits alloués à la formation des enseignants. La Cour des comptes a souligné qu'elle avait atteint un niveau sans précédent en 2023, à plus de 1 milliard d'euros, soit 62,5 % de crédits non consommés. Mais, comme vous l'avez dit, madame la ministre, ces crédits ont aussi permis de financer les mesures de revalorisation salariale. La formation continue des enseignants est pourtant déterminante pour la réussite des élèves et la motivation des professeurs. Selon une étude, 80 % des enseignants se forment par eux-mêmes, sur internet, par le biais des réseaux sociaux. On reproche à la formation des délais trop longs, un manque de souplesse et d'approche par la pratique. Quelles sont votre action et votre ambition en matière de formation des enseignants ? Comment expliquez-vous cette sous-consommation récurrente des crédits ?

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Nicole Belloubet, ministre

Cette sous-consommation des crédits est liée au fait que les stagiaires, qui venaient d'avoir les concours et étaient placés à temps plein devant les élèves, ont été sortis de l'action relative à la formation pour être basculés vers une autre action, ce qui a créé un décalage assez important.

Le second élément d'explication, c'est la baisse d'attractivité des concours en 2022, qui a conduit à un moindre recrutement de stagiaires. Les choses seront désormais mieux calibrées.

Un système comme le nôtre ne peut pas vivre sans formation continue. Elle est cardinale. Si nos enseignants ne se forment pas continûment, notre système ne peut que se dégrader. C'est pourquoi nous sommes en train de bâtir une formation continue, avec l'objectif que les élèves ne perdent pas de temps d'enseignement. Il y a mille et une manières de s'organiser, sans que cette formation n'ait lieu le soir, par exemple.

S'agissant de la formation continue isolée, vous savez qu'il existe une autoformation liée à des modules de formation proposés par l'éducation nationale, je pense notamment au réseau Canopé.

Quant aux délais trop longs, il y a sans doute une meilleure organisation à adopter. Il serait pertinent de développer des formations en établissement, la prise en charge des élèves ayant été intégrée dans un projet d'établissement.

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Un budget n'est au fond que l'expression d'une politique, en l'occasion de l'action éducatrice de l'État. En d'autres termes, derrière les chiffres, il y a des élèves. De quels instruments dispose la représentation nationale pour évaluer cette action ? Disons-le d'emblée : les indicateurs de performance associés au budget de la mission ne traduisent pas fidèlement la réalité du fonctionnement ou plutôt des dysfonctionnements du système éducatif. J'en prendrai quelques exemples.

Selon l'indicateur 2.3 du programme 214 relatif à l'efficacité et l'efficience du remplacement des personnels enseignants des premier et second degrés publics, les professeurs du second degré sont remplacés à hauteur de 94 %. Qui peut croire cela ? Le remplacement de courte durée, talon d'Achille du système, n'est même pas mesuré. Le dispositif du Pacte enseignant est inopérant, et vous le savez.

Selon l'indicateur 1.1 du programme 141, 81 % des élèves de sixième sont supposés « comprendre, s'exprimer en utilisant la langue française à l'oral et à l'écrit ». Or le ministère lui-même mesure que 50 % des élèves entrant en sixième ne maîtrisent pas la lecture fluide. Qui croire ?

D'après l'indicateur 1.2 du programme 230 sur la proportion d'actes de violence grave signalés, les chiffres sont de 13,5 pour 1 000 au collège et de 5,1 pour 1 000 au lycée. Qui peut croire à la sincérité de ces mesures ?

Madame la ministre, je vous recommande la lecture de l'ouvrage de Jean-Pierre Obin, Les Profs ont peur, où il démontre que le taux de signalement des établissements est systématiquement insincère et qu'il devrait être, pour approcher la vérité, affecté d'un facteur 100.

Il ne s'agit que d'un petit échantillon des indicateurs, totalement déconnectés de la réalité et très éloignés de la vérité. La vérité, mes chers collègues, c'est que la représentation nationale n'est pas en mesure de contrôler effectivement l'exécution politique du budget de la mission. Ce que le Gouvernement nous présente, c'est un nuage de fumée, un théâtre d'ombres, des villages Potemkine.

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Nicole Belloubet, ministre

Monsieur le député, l'enseignement est l'art de la répétition. Je vous ai déjà entendu parler des villages Potemkine. Je vais finir par le comprendre, mais pas par l'admettre.

Pour ce qui est des remplacements, 94 % des remplacements longs sont assurés. Cela ne signifie pas que tout va bien. Ce qui est douloureux pour les familles comme pour les établissements, ce sont les 6 % de remplacements longs qui ne sont pas assurés. Nous espérons pouvoir combler cette lacune, grâce à l'évolution de la formation initiale, qui, je l'espère, permettra de faire le plein aux concours de recrutement.

Le taux de remplacements courts, de moins de quinze jours, est beaucoup moins bon. Malgré tout, nous progressons. Nous mettons en œuvre une politique volontariste, notamment grâce au Pacte. Actuellement, nous assurons 15 % des remplacements courts. Je conviens qu'il faille faire beaucoup mieux.

Sur les évaluations, vous prenez des chiffres qui peuvent être contredits par les résultats des évaluations en sixième de cette année, qui montrent, par rapport à 2017 et 2018, un progrès substantiel, témoignant de l'intérêt des politiques de dédoublement des classes menées par mes prédécesseurs.

Enfin, nous avons bien 13,5 incidents signalés pour 1 000 élèves par les collèges. Monsieur le député, si ce signalement existe, c'est précisément parce que nous avons la volonté de ne rien cacher et de faire en sorte que tous les établissements déclarent la réalité de ce qui se passe en leur sein. Notre politique, de ce point de vue-là, est d'une très grande vigilance. Nous déployons un bouclier de sécurité autour des élèves et des enseignants.

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Le budget 2024, que nous n'avons pas plus voté que le précédent, a acté la suppression de 2 193 emplois dans les écoles, les collèges et les lycées publics – 1 709 dans le premier degré et 484 dans le second degré. Et voilà que les coupes budgétaires annoncées par Bruno Le Maire viennent aggraver cette saignée d'un montant inédit : 691 624 689 euros. En lisant Le Monde d'hier, on apprend que vous avez identifié de potentiels « gisements d'économies » – je salue le terme – pour environ 550 millions d'euros mais que vous ignorez encore où trouver les 130 millions d'euros restants.

Après la ridicule valse-hésitation autour du financement des heures supplémentaires, vous aviez assuré, le 23 février, que ces coupes n'entraîneraient pas de suppressions d'emplois dans le secteur scolaire. Or on constate au programme 140 Enseignement scolaire public du premier degré une baisse de 131 236 174 euros de crédits de titre 2. Pour le second degré, la baisse est de 87 288 861 euros. Si l'on ajoute les 87 635 459 euros de baisse pour l'enseignement privé, ces coupes représentent l'équivalent de 6 120 suppressions de postes. Comment vous croire quand vous affirmez, aujourd'hui encore, qu'il n'y en aura pas ? Que devient le choc d'attractivité avec une telle saignée ? Comment seront financés les effectifs dédiés à la mise en œuvre de l'inepte et mortifère choc des savoirs de Gabriel Attal ?

Puisque vous en êtes à rechercher des gisements d'économies, je tiens à vous en signaler un : 4 millions d'élèves auront reçu en classe une pièce de 2 euros, une hérésie pédagogique et éducative, qui s'accompagne d'une entorse déontologique. Cette pièce était en effet associée à un livret, où figurent trois textes signés par Emmanuel Macron, Gabriel Attal et Amélie Oudéa-Castéra, lesquels ne s'adressent manifestement pas à des enfants de 6 à 11 ans mais bien à leurs parents, en pleine période électorale. Coût total de cette opération de communication : 16 millions d'euros, soit l'équivalent, à la louche, de 300 postes d'enseignement ou de 500 postes d'AESH et plus de cinq fois le montant du fonds de soutien aux classes de découverte voté lors du dernier PLF.

Je ne peux croire que l'ancienne rectrice que vous êtes approuve cette gabegie ni cette grave entorse à l'article L. 511-2 du code de l'éducation. Dénoncez ce scandale et vous aurez, sur ce sujet, tout mon soutien.

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Nicole Belloubet, ministre

Je crains de ne pas avoir votre soutien, ce qui me désole, bien sûr…

Sur les créations d'emploi, il me semble que vos chiffres font référence à la loi de finances initiale. Depuis 2017, il y a 400 000 élèves en moins dans le premier degré. Il y en aura 55 000 de moins à la rentrée prochaine. Depuis 2017, 15 000 emplois ont été créés dans le premier degré. On ne peut donc pas parler de réduction d'emplois.

Par ailleurs, pour la rentrée 2024, 7 574 emplois vont être créés dans le second degré public. Pour les AESH, ce sont 3 000 emplois supplémentaires. Comment pourrait-il en être autrement, étant donné que notre budget a augmenté de 4 milliards d'euros, malgré les diminutions que nous devons prendre en compte à hauteur de 683 millions d'euros ?

Concernant le livret distribué à l'occasion des Jeux olympiques, il a été rédigé pour faire partager à nos élèves les valeurs de l'olympisme, qui sont celles de la République. Il a également été édité pour leur laisser le témoignage d'un moment particulièrement singulier. Quant à la pièce de 2 euros qui figure au dos du livret, elle a bien sûr un coût. Ce n'est pas la première fois que notre République s'engage dans ce symbole donné à nos élèves. Sous François Mitterrand, à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française, les élèves de CM2 avaient reçu une pièce de 1 franc.

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Ces dernières années, énormément de moyens publics ont été consacrés au développement des écrans dans les écoles – tableaux numériques, tablettes ou cartable numérique. Néanmoins, on voit bien les limites de la technologie. On mesure désormais l'impact des écrans sur le développement psychomoteur, cérébral et de la personnalité des enfants. Quel est le devenir de ces moyens ? Y en a-t-il de prévus pour faire le chemin inverse ? Lors de mes visites de classes, je constate que le rapport des enfants à la lecture est bouleversé. Autant ils ont un rapport immédiat à l'image, autant le sens de la lecture n'a rien d'évident. Cela pose une vraie question quant au développement des générations futures.

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Nicole Belloubet, ministre

Ces deux sujets me tiennent particulièrement à cœur. Le constat des effets des écrans est partagé. Le Président de la République a lancé une mission qui a rendu son rapport il y a un mois. L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) vient d'en rendre un sur le même thème, qui va exactement dans le même sens : l'utilisation incontrôlée des écrans et des réseaux est nocive pour l'élève. Le Président de la République annoncera des mesures dans quelque temps.

Pour ma part, je souhaite qu'il y ait, au moins au collège, une pause numérique, de sorte que nos élèves ne puissent pas entrer dans l'établissement avec leur téléphone portable. Nous devons faire respecter cette interdiction législative.

La question des équipements est délicate, dans la mesure où ils ont été la plupart du temps achetés par les collectivités territoriales. J'ai moi-même, en tant que vice-présidente d'une région, distribué des ordinateurs, il y a quelques années, à nos élèves de lycée. Nous devons travailler plus étroitement avec les collectivités territoriales pour nous mettre d'accord sur la nature des équipements à implanter. L'école doit développer une politique numérique raisonnée, accompagnée, à visée pédagogique.

Parmi les nouveaux programmes d'enseignement moral et civique, qui seront publiés pour la rentrée prochaine, il y a tout un travail sur l'éducation à l'image. C'est un point important pour les futurs citoyens.

Enfin, la lecture est pour moi la priorité des priorités. Comme l'avaient fait mes prédécesseurs, je viens d'ailleurs de distribuer à tous nos élèves de CM2 un ouvrage pour les vacances, L'Homme qui plantait des arbres de Jean Giono, afin de les inciter à lire cet été.

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On constate que des fonds importants ont abondé le programme 140 Enseignement scolaire public du premier degré en 2023. Des questions demeurent quant à leur efficacité, eu égard à la diminution du plafond du taux d'encadrement et de la suppression des postes annoncée dans le PLF pour 2024. Dans le premier degré, les élèves français sont en moyenne 22 par classe, tandis que la moyenne de l'Union européenne s'établit à 19,3. En comparant les résultats internationaux des élèves, on peut s'interroger sur l'effet de ce nombre d'élèves par classe sur l'apprentissage. Ces questionnements se posent d'autant plus quand les classes sont à double, à triple ou à quadruple niveau et qu'elles comptent plus de vingt-cinq élèves. Les programmes n'y sont souvent pas bouclés. Pour pallier cette difficulté, j'ai fait une proposition permettant de mieux calibrer le nombre d'élèves dans ces classes à plusieurs niveaux. Quelles sont vos orientations sur ce sujet ?

Un autre sujet me tient à cœur : la réussite des enfants qui dépendent de l'aide sociale à l'enfance (ASE) dont les résultats scolaires sont très en retrait par rapport à la population générale. Votre prédécesseur avait annoncé la mise en place du dispositif Scolarité protégée. Où en est-on ? Lors du dernier PLF, j'avais déposé un amendement visant à ce que, dans le cadre du Pacte, les enseignants du premier degré puissent se rendre dans les foyers de l'enfance et dans les établissements accueillant les enfants protégés. D'après la Cour des comptes, seuls 69,4 millions d'euros ont été consommés pour l'année 2023, soit 24 % des crédits disponibles pour le Pacte enseignant. À l'heure où la revalorisation des rémunérations et l'amélioration des perspectives de carrière des équipes éducatives est plus que jamais nécessaire, comment peut-on expliquer cette sous-utilisation des crédits ? De ce fait, ne pourrait-on pas valider ma proposition d'offrir aux enseignants du premier degré la possibilité d'intervenir dans ces foyers ?

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Nicole Belloubet, ministre

Je conçois que le nombre d'élèves par classe soit un élément de la façon dont l'enseignant peut, avec plus ou moins d'aisance, prendre en compte les élèves différents qu'il accueille. Je conçois que, dans un certain nombre de classes, où il y a des élèves à besoin éducatif particulier, porteurs de handicap ou allophones, un nombre plus élevé d'élèves soit source de difficultés pour l'enseignant. Néanmoins, le nombre d'élèves par classe a considérablement diminué en dix ans, pour atteindre 21,4 élèves par classe. Je sais bien que ce ne sont que des chiffres et qu'ils ne reflètent pas les réalités singulières. Malgré tout, le nombre d'élèves par classe ne cesse de diminuer. À Paris, par exemple, il y a à peine 20 élèves par classe. Malgré cette diminution, nous n'avons pas cessé d'ouvrir des postes, parce que nous considérons que les efforts pédagogiques doivent être fortement déployés dans le premier degré.

Pour ce qui est de la scolarité protégée, je vous avoue que je ne me suis pas encore complètement emparée du sujet. Certains recteurs m'ont demandé d'établir une politique nationale de scolarisation des enfants issus de foyers ou d'autres modalités de prise en charge. J'entends votre proposition. Je ne sais si elle est la meilleure, mais si vous l'avez faite, elle mérite d'être étudiée.

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Madame la ministre, il vous appartient de mettre en application le choc des savoirs décidé par votre prédecesseur. Nous continuons à critiquer le principe des groupes de niveau en sixième et en cinquième sur le fond, car nous considérons que cela ne permettra pas d'améliorer les résultats des élèves et aura des effets délétères sur le climat scolaire. Décriée par tous, des personnels aux experts de l'éducation, cette mesure va tout de même nécessiter des enseignants supplémentaires, dès le mois de septembre. Combien d'heures d'enseignement supplémentaires sont nécessaires ? Comment sont-elles financées ? Combien y a-t-il, parmi elles, d'heures nouvelles à financer en plus de celles déjà données aux établissements ? Combien d'heures seront utilisées dans la DHG (dotation horaire globale) constante ?

Concernant les 683 millions d'euros d'économies pour le ministère de l'éducation nationale, comment allez-vous trouver ces économies ? S'agira-t-il de suppression de postes d'agents du ministère ? J'ai bien compris que vous n'aviez pas de réponse sur une partie de ces économies, pour 130 millions d'euros. J'espère que vous l'aurez très vite, parce que les enseignants s'inquiètent.

Enfin, comment allez-vous budgétiser les séances d'éducation à la vie affective et sexuelle à la rentrée 2024 ? Avez-vous des pistes de réflexion ? Y aura-t-il des lignes budgétaires dédiées dans le projet de loi de finances pour 2025 ? Il faudra bien payer la co-animation entre professeurs, infirmières et intervenants d'associations agréées.

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Nicole Belloubet, ministre

Vous savez, madame la députée, que j'ai fait le choix de parler de groupes de besoin plutôt que de niveau. Leur but est en effet de proposer une pédagogie différenciée en adaptant les séquences pédagogiques aux besoins particuliers des élèves. Je ne crois pas que les résultats iront à l'encontre de ce qui est attendu : ce que nous souhaitons, c'est que les enseignants travaillent en fonction des besoins des groupes qu'ils auront face à eux. J'ai prévu des temps de brassage afin qu'un enfant ne passe pas toute l'année dans un même groupe mais qu'il puisse, en fonction des séquences abordées, en changer. Je ne pense pas que cette mesure nuise au climat scolaire.

Nous avons évalué le besoin à 2 330 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, ce qui correspond à 1 509 000 heures et implique un accroissement de la dotation horaire globale.

S'agissant des 60 millions d'euros d'économies, je répète que l'effort réalisé portera sur le fonctionnement du ministère – chauffage, électricité – et n'affectera pas les emplois.

Enfin, le programme d'éducation à la vie affective et sexuelle fait actuellement l'objet d'une consultation avant parution : nous recueillons l'avis de toutes celles et tous ceux qui sont concernés. Des heures seront consacrées à cet enseignement l'an prochain et les intervenants pourront être, notamment, des enseignants du premier degré.

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Je voudrais évoquer le cas des écoles immersives de ma circonscription. Devant l'usure continue de la langue corse, des parents se sont organisés pour créer la fédération Scola Corsa, qui regroupe quatre écoles. Ils la font vivre à grand renfort de sacrifices, gérant au quotidien l'ensemble des besoins matériels, le financement et les repas. Il serait logique que le ministère signe avec la fédération une convention, comme il l'a fait avec le réseau Eskolim, pour prendre en charge le personnel ; cela relève de sa responsabilité la plus élémentaire.

Depuis deux ans, j'ai relayé en vain cette volonté auprès de vos prédécesseurs, publiquement comme en privé, et la demande de rendez-vous que je vous ai adressée est restée sans réponse. Je vous demande, madame la ministre, de bien vouloir prendre en compte cette requête, qui va dans le sens de la déclaration du Président de la République lors de son dernier déplacement en Corse. Le fonctionnement très satisfaisant des écoles depuis trois ans et leur situation dans des quartiers en pleine expansion devraient nous éviter d'avoir à attendre cinq ans. La décision que nous attendons de vous relève d'un choix politique, rien d'autre. La contractualisation avec Scola Corsa ne représente même pas une goutte d'eau dans le budget de votre ministère, mais elle est vitale pour nous.

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Nicole Belloubet, ministre

Je n'ai pas souvenir que vous ayez sollicité un rendez-vous mais, puisque vous le dites, ce doit être le cas. Je suis confuse car je mets un point d'honneur à recevoir les élus de la nation qui me le demandent. Ma porte vous est évidemment ouverte.

Je suis prête à vous entendre sur le sujet de la contractualisation mais sachez qu'une condition est posée : les établissements concernés doivent avoir cinq ans d'ancienneté pour en bénéficier.

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Si l'on s'en tient aux chiffres, on peut dire que le Pacte enseignant est un échec. La part d'enseignants en ayant signé un s'établissait à un tiers en avril contre 25 % en septembre dernier, ce qui traduit une progression très faible.

Le Pacte est très majoritairement refusé dans l'éducation nationale, c'est un fait, et c'était prévisible. Sur le plan budgétaire, cela se traduit par une sous-exécution importante des crédits alloués, à hauteur de 24 %. Les 70 millions d'euros non utilisés auraient pu être affectés à une véritable revalorisation du traitement des enseignants. En effet, on ne résout pas une crise d'attractivité sans rémunérer le travail de manière juste. Même si la rémunération des enseignants est passée à 2 100 euros en début de carrière, notre pays reste, de ce point de vue, à une très modeste dixième place au sein de l'Union européenne.

Les chiffres transmis par la direction générale de l'enseignement et de la recherche font apparaitre une très forte disparité entre territoires – en particulier avec l'outre-mer – s'agissant du déploiement du Pacte. Êtes-vous en mesure de nous préciser les raisons de ces écarts ?

Pour mieux contrôler la façon dont le budget de la mission a été utilisé, j'ai souhaité obtenir des informations concernant le détail par briques, et je n'ai rien trouvé. S'agissant des lycées professionnels, je n'ai rien trouvé non plus. Décidément, le Pacte manque de force de persuasion mais aussi de transparence !

Pour faire œuvre de transparence, justement, pouvez-vous expliquer la sous-exécution de 980 millions d'euros – 17 %, tout de même – du budget de l'enseignement professionnel ? J'ai alerté plus d'une fois vos prédécesseurs sur cette sous-exécution chronique, datant au moins de 2019, mais n'ai jamais obtenu de réponse.

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Nicole Belloubet, ministre

Vous dites que le dispositif du Pacte enseignant ne fonctionne pas et vous dénoncez la sous-exécution du budget. Mais il n'y a pas de sous-exécution, bien au contraire. Entre septembre et décembre 2023, nous y avons consacré 197 millions d'euros, et pour l'année scolaire 2023-2024, les 744 millions d'euros dont nous avons bénéficié ont été intégralement dépensés. C'est précisément parce que nous ne nous attendions pas à un tel progrès que nous avons dû interrompre, il y a quelque temps, l'octroi de nouvelles briques. Les enseignants auraient souhaité aller plus loin mais nous avions consommé notre ligne budgétaire.

Le succès est réel ; preuve en est la rallonge de 98 millions d'euros supplémentaires dont nous bénéficierons à la rentrée prochaine. Comme tous les dispositifs nouveaux, celui-ci a démarré lentement, mais il est attractif et prend un véritable essor. Je souhaite de la transparence, au sujet du Pacte, et l'ensemble des chiffres, y compris par briques, ont été communiqués aux organisations professionnelles.

Enfin, la sous-exécution du budget de l'enseignement professionnel que vous évoquez résulte d'un écart technique entre la budgétisation et l'exécution. Les moyens mobilisés dans les établissements ont été conformes aux besoins. Dans ce secteur, le Gouvernement est très vigilant à la mise en œuvre de la réforme et au maintien de l'ensemble des dispositifs prévus, comme le travail en groupe dans les matières fondamentales. Le Pacte est là justement pour rémunérer les enseignants qui s'engagent dans cette voie.

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Nous en venons aux questions des autres députés.

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Ma question porte sur la liberté fondamentale des familles de choisir le mode d'instruction de leurs enfants, à l'école ou en famille. Depuis la loi de 2021 contre le séparatisme, de nombreux parents demandant l'instruction en famille sont confrontés, dans mon département de Haute-Saône, au refus inexplicable du rectorat. Or les réponses des différents rectorats semblent varier selon les régions, ce qui est source d'une inégalité incompréhensible. Des parents dont les enfants étaient jusqu'alors autorisés à recevoir une instruction en famille se retrouvent aujourd'hui désespérés face à un refus soudain et dépourvu de raison apparente.

Nous devons nous interroger sur ces nombreux refus et exiger des réponses claires et transparentes. L'instruction en famille n'est pas un choix par défaut ; elle est le fruit d'une décision que des parents responsables prennent après mûre réflexion. Ma question est donc simple : ces refus résultent-ils de choix budgétaires, s'expliquent-ils par la volonté de remplir les classes des écoles locales, ou traduisent-ils une position idéologique défavorable à l'instruction en famille – laquelle est pourtant garantie par la loi ?

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Nicole Belloubet, ministre

J'ai été interrogée à ce sujet à plusieurs reprises, à l'Assemblée comme au Sénat. Je rappelle que le contrôle rigoureux qui est désormais exercé a été introduit par la loi de 2021, pour répondre aux craintes que suscitait l'instruction en famille. La demande des parents doit reposer sur l'un des quatre motifs prévus, lesquels fondent le contrôle exercé par nos inspecteurs – dont je précise que le nombre a augmenté. Nous le savons, les refus trouvent leur origine dans le quatrième motif, qui tient davantage que les autres au choix des familles.

Les chiffres dont dispose le ministère montrent que les refus, au nombre de 5 000, ne sont pas très nombreux par rapport aux 45 000 autorisations délivrées. Je me suis engagée auprès de l'une de vos collègues à donner le nombre précis, académie par académie, des refus fondés sur le quatrième motif. Je tiendrai cet engagement.

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Je voudrais vous interroger sur les élèves à besoins particuliers. Si les enfants n'apprennent pas, en effet, c'est le plus souvent parce qu'ils en sont empêchés.

La Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) estime à 10 milliards d'euros par an le coût des violences sexuelles sur les mineurs. J'aimerais savoir quels dispositifs ont été mis en place dans les écoles pour repérer les enfants victimes. Dispose-t-on d'une estimation du coût des violences intrafamiliales dont sont aussi victimes certains enfants ? Quels sont les moyens mis en place pour le repérage et l'accompagnement ?

Je pense aussi aux enfants suivant des parcours adaptés, qu'ils soient pris en charge dans une classe spécialisée, dans un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), dans un centre médico-psychologique enfants adolescents (CMPEA), dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) ou en institut médico-éducatif (IME). Les délais d'attente pour entrer dans ces structures atteignent parfois plusieurs années ; les élèves qui n'y sont pas accueillis se retrouvent en unité localisée pour l'inclusion scolaire (Ulis) où ils prennent la place d'autres enfants qui, par effet domino, se retrouvent dans des classes non adaptées. De telles situations entraînent des pertes de chance et mettent les enfants comme les enseignants en difficulté. Le coût en a-t-il été chiffré ? Quels sont les moyens mis en place pour remédier à ce non-accès aux droits ?

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Nicole Belloubet, ministre

Au-delà de la question du coût, à laquelle je saurai difficilement répondre, vous évoquez deux sujets : celui du repérage et celui de la prise en charge qui, dans certains cas, nécessiterait d'être plus immédiate.

Les violences sexuelles et intrafamiliales, lorsqu'elles ne sont pas repérées par les parents eux-mêmes, ne peuvent l'être que par les personnels de l'éducation : en premier lieu par les professeurs des écoles, mais aussi les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), les personnels de la médecine scolaire ou les conseillers principaux d'éducation (CPE).

S'agissant de la prise en charge, le fonctionnement actuel n'est pas satisfaisant, raison pour laquelle nous déploierons, à compter de la rentrée prochaine, des pôles d'appui spécialisés (PAS) composés de personnels de santé et de l'éducation nationale. L'idée est qu'une famille ayant décelé un problème, ou en ayant été avertie par un enseignant, puisse y trouver pour son enfant une solution immédiate, à défaut d'être définitive. Un enfant rencontrant des difficultés pour écrire pourra ainsi se voir remettre un outil – un ordinateur, par exemple – pour faciliter sa scolarité. Le PAS pourra ensuite accompagner les parents dans le dépôt d'un dossier auprès d'une maison départementale des personnes handicapées (MDPH), où une notification plus adaptée pourra éventuellement leur être proposée. Il est extrêmement important, en tout état de cause, qu'une réponse immédiate leur soit apportée.

Nous déployons par ailleurs de très nombreuses modalités de réponse. Les Ulis, notamment, prennent en charge des enfants à besoins particuliers liés à un handicap. Nous avons augmenté leur nombre de 25 % entre 2017 et 2023, si bien qu'il y en a aujourd'hui 10 000 dans notre pays.

Il existe aussi des dispositifs adaptés pour l'accueil des enfants autistes. J'ai eu l'occasion de dire enfin, lors du dernier Comité interministériel du handicap, que nous allions déployer d'autres mesures importantes dans ce domaine. Avec ma collègue en charge des personnes handicapées, nous lancerons à la rentrée, en dix endroits, une expérimentation que nous aimerions ensuite voir déployée : elle vise à faire entrer le personnel des IME dans les écoles, afin que les enfants puissent y bénéficient du soin prodigué par les éducateurs spécialisés.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 21 heures

Présents. - M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Dominique Da Silva, M. Fabien Di Filippo, Mme Perrine Goulet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Pascal Lecamp, M. Damien Maudet, M. Benoit Mournet, M. Robin Reda, M. Sébastien Rome, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Joël Giraud, M. Tematai Le Gayic, Mme Lise Magnier, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard

Assistaient également à la réunion. - M. Roger Chudeau, M. Francis Dubois, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Manon Meunier, Mme Marie Pochon, M. Jean-Claude Raux, M. Léo Walter