La séance est ouverte à 14 heures 50.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La Commission examine la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels (n° 1162) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur).
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Le Bureau de la commission des lois a proposé d'inscrire cette proposition de loi comme transpartisane, et son avis a été retenu par la conférence des présidents la semaine dernière.
J'ai l'honneur d'être à l'origine, depuis 2010, de textes régissant la saisie et la confiscation des avoirs criminels en France et créant l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc). Toutes les personnes que j'ai auditionnées dans le cadre de cette proposition d'amélioration des dispositifs – magistrats, gendarmes, policiers – en ont salué l'utilité. L'émotion m'a même saisi en entendant le représentant de la gendarmerie nationale dire que la paternité de ces textes valait à Jean-Luc Warsmann d'être considéré comme un saint laïc dans ses rangs.
La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui est aussi le fruit d'un travail effectué avec Laurent Saint-Martin dans le cadre d'une mission auprès du Gouvernement pour repérer les améliorations législatives nécessaires.
Le premier article du texte porte sur les procédures de contestation des décisions prises avant jugement concernant les biens meubles saisis. Le président de la Conférence nationale des procureurs généraux nous a signalé que, dans certaines chambres de l'instruction, 30 % à 50 % des saisines concernent des contestations de saisies. Conséquence : le délai de traitement de ces réclamations se compte en mois, et dépasse parfois un an.
Nous proposons donc de confier cette compétence au premier président de la cour d'appel ou à un conseiller par lui désigné. L'objectif est d'avoir un juge unique pour statuer sur ces contestations. De l'avis unanime, la procédure s'en trouverait accélérée et facilitée, ce qui serait une source d'économies. La gestion du bien durant l'attente du jugement coûte en effet de l'argent public.
Le deuxième article vise à simplifier et à améliorer l'indemnisation des victimes en élargissant l'assiette des biens sur lesquels la victime peut être indemnisée.
Le troisième article concerne une situation qui nous a souvent été rapportée : celle où des biens immobiliers confisqués sont occupés. Afin d'obtenir la pleine maîtrise de ces biens, l'Agrasc doit entamer une procédure de droit commun pour expulser l'occupant ou le locataire. Notre but n'est pas de sanctionner un occupant de bonne foi.
Nous avons eu très peu de temps pour conduire nos auditions, qui ont pris des allures de marathon, et il nous reste donc encore quelques sujets à travailler avec le ministère de la justice d'ici à l'examen en séance publique.
Le premier concerne la possibilité d'élargir la vente avant jugement. Avant 2010, pour un véhicule saisi, l'État payait 10 euros de fourrière par jour en attendant le jugement. Lorsque le prévenu était condamné, bien souvent au bout de plusieurs années, son véhicule pouvait alors être mis en vente mais ne valait plus rien. L'État dépensait donc de l'argent pour conserver un bien sans en tirer aucun profit. Depuis 2010, les magistrats peuvent procéder à la vente immédiate ; l'argent, consigné à la Caisse des dépôts, revient, après jugement, au prévenu s'il est innocenté, ou aux victimes puis à l'État, s'il est déclaré coupable. Or, seuls 30 % des biens saisis sont confisqués : une déperdition énorme ! Certes plusieurs situations expliquent qu'un bien ne soit pas confisqué : un membre de la famille peut utiliser ou habiter le bien ou encore il peut y avoir eu une erreur de procédure ; mais cela ne peut constituer 70 % des cas.
Au cours de notre travail avec Laurent Saint-Martin, nous avons estimé qu'environ un tiers des procureurs de la République demandaient aux services d'enquête de ne pas saisir de voitures. Or, l'objectif n'est pas tant de tirer 5 000 euros de la voiture que d'obliger son propriétaire, qui sort généralement libre de sa garde à vue, à rentrer chez lui à pied, pour que la victime et les voisins se disent que la société a réagi. Il faut donc faire en sorte que l'esprit de la loi de 2010 soit pleinement respecté.
Il reste aussi des problèmes de transmission d'informations entre l'Agrasc et les tribunaux. Certes, grâce au ministère de la justice – merci à lui – l'Agrasc dispose d'antennes régionales qui assurent au dispositif une efficacité inédite. Mais certaines ne sont pas toujours mises au courant des saisies et confiscations. Nous réfléchissons à des amendements pour faire en sorte qu'une copie de la décision ou du jugement leur soit adressée systématiquement. Cela semble évident, tant ce serait utile.
Une autre amélioration consisterait à ce que l'Agrasc, qui dispose déjà des données bancaires et des biens mobiliers, comme les voitures, ait accès au fichier informatisé des données juridiques immobilières (FIDJI).
Nous réfléchissons également à l'angle mort que forme la condamnation par contumace. Le délai de confiscation initial de six ans est prolongé à chaque nouvel acte juridique, par exemple à chaque réédition d'un mandat d'arrêt. Les biens ne sont donc, de fait, jamais confisqués.
Enfin, lors des auditions, la gendarmerie et la police se sont montrées favorables à l'inscription de l'enquête patrimoniale dans les missions des officiers de police judiciaire (OPJ). L'objectif est de bloquer, dès l'arrestation, les comptes bancaires et la gestion du patrimoine.
Voilà les sujets sur lesquels nous travaillons et que je voulais évoquer avant l'examen des amendements, dont le premier, rédigé par notre président, est excellent.
Merci pour cette appréciation.
Nous en venons à l'expression des représentants des groupes. Compte tenu de vos fonctions passées, j'ai pensé approprié de m'acquitter de cette tâche au nom du groupe Renaissance.
Votre proposition de loi se conforme en tout point à notre objectif de saisir et confisquer les biens des voyous pour qu'ils profitent d'abord à la société. Dans cette tâche, l'Agrasc s'est révélée très efficace : en dix ans, elle a quintuplé son activité, passant de 109 millions d'euros d'avoirs saisis et confisqués à presque 500 millions. Le texte que vous nous présentez vient encore simplifier les procédures et élargir l'assiette et l'attribution des biens saisis.
Je le répète, cette proposition de loi avait été soumise par le bureau de la commission des lois à la procédure de transpartisanisme avant que la conférence des présidents en redéfinisse les modalités. Je suppose donc qu'elle recueillera l'assentiment de tous nos collègues.
Nous avons déposé quelques amendements pour la faire évoluer dans un sens pédagogique. Il importe vis-à-vis de la société que les prévenus pour infractions graves, relevant de la criminalité organisée, soient immédiatement punis par la saisie de leurs avoirs. Nous avons déjà mis en œuvre le gel des avoirs de certaines personnalités, mais il faut généraliser cette mesure à tous. Mon amendement, en particulier, concerne les véhicules saisis. Certains sont mis en vente – c'est le cas pour les belles Lamborghini que l'on voit souvent à Bercy. D'autres, plus modestes, pourraient être attribués à des bonnes œuvres ou, comme pour les véhicules de course ou les motos ayant servi à des rodéos, à des fédérations sportives.
Cette proposition de loi résulte d'un long travail de nos collègues, en particulier du Champenois Jean-Luc Warsmann, que je tiens ici à remercier.
Le travail de saisie et de confiscation est fondamental à plusieurs titres : pour la prévention, pour la répression, pour la sanction et pour la justice.
Tout d'abord, des dispositifs de saisie et de confiscations efficaces envoient un message de fermeté à l'ensemble des criminels en les privant de leurs profits illégaux. D'après une note de l'Insee de 2021, le secteur dégage pas moins de 2,7 milliards de gains annuels dans notre pays. Il faut absolument qu'en 2023, en France, le trafic de drogue ne soit plus rentable.
Saisir les avoirs criminels déstabilise les réseaux ; il s'agit donc d'un levier de dissuasion très puissant. Cela permet aussi de réparer les dommages subis par les victimes. Il faut que la justice soit rendue, les biens saisis le plus rapidement possible, et les préjudices indemnisés. Ces saisies pourraient aussi abonder un fonds d'aide aux victimes. Comme le rappelle la proposition de loi, leur montant est passé de 109 millions en 2011, année de création de l'Agrasc, à 484 millions d'euros en 2021, hors saisies immobilières.
Plus il y a de moyens, plus les saisies et confiscations sont importantes. Cela permet à la puissance publique d'indemniser au mieux les victimes et de financer la lutte contre les activités criminelles. Certains véhicules saisis sont ainsi réutilisés par la gendarmerie et la police nationales comme voitures banalisées.
J'aimerais appeler votre attention sur trois points.
Tout d'abord, sur le plan de l'organisation, il est essentiel d'améliorer les statistiques. En dépit de l'augmentation constante des saisies, l'absence d'un recensement par catégorie et d'une centralisation des données diminue la transmission de l'information et donc l'efficacité de ce dispositif.
Il faut aussi créer de nouvelles agences régionales. Elles démontrent leur efficacité : les quatre dernières agences, créées en 2021, à Marseille, Lyon, Rennes et Lille, ont permis de réaliser plus de 771 millions d'euros de saisies en 2022. Elles permettent de développer une politique de répression ferme, efficace et dans ce cas précis, au service des territoires.
Enfin, la gendarmerie nationale utilise, en Île-de-France, une application qui recense les besoins en matière de véhicules banalisés : il conviendrait de l'étendre sur tout le territoire à la gendarmerie, mais aussi à la police qui utilise moins les véhicules saisis.
Je le répète, l'État doit se doter de politiques publiques efficaces afin de réprimer les activités délinquantes et criminelles. Les saisies et confiscations améliorent les sanctions face à une délinquance qui y échappe bien souvent grâce à l'économie souterraine, aux nouvelles technologies, au travail illégal, à une insolvabilité bancaire organisée.
La dissuasion et la répression sont nos meilleures armes. Une justice qui continuerait à ne pas décider de peine plancher, à ne pas lutter réellement contre la récidive, à manquer de fermeté dans l'application des peines, ne sera jamais assez efficace dans le combat contre la criminalité qui règne actuellement dans notre pays. Certes, nous saluons les avancées de ce texte, que nous voterons comme tous ceux qui sont bénéfiques à nos compatriotes, mais nous pensons qu'il ne sera pas suffisant pour le sujet qui nous occupe.
Nous sommes toujours favorables d'emblée aux textes qui renforcent l'Agrasc. En 2018 et 2019, j'avais moi-même conduit, avec Jacques Maire, des travaux sur la lutte contre la délinquance économique et financière. L'Agrasc nous était rapidement apparue comme un indispensable point d'appui dans le dispositif, qui devait encore monter en compétences mais avait déjà fait ses preuves sur ses missions originelles.
Je me souviens que nous avions discuté dans l'hémicycle, dans le cadre d'une semaine de contrôle, du rapport que le Gouvernement avait confié à vous-même, monsieur le rapporteur, et à Laurent Saint-Martin. Ce rapport comportait beaucoup de préconisations que j'étais étonné de ne pas retrouver dans votre texte. Je comprends maintenant qu'elles seront présentées pour l'examen en séance ; moi-même, je comptais déposer des amendements reprenant celles que j'approuvais.
Pour ma part, ma position vis-à-vis de la saisie diffère de la vôtre : je considère qu'elle ne peut pas être une sanction. Je comprends qu'on veuille montrer une réaction immédiate après l'infraction, mais je suis trop attaché à la présomption d'innocence et au fonctionnement de notre système judiciaire. Je ne suis pas d'accord pour que la saisie soit un premier niveau de sanction. En revanche, lorsqu'il y a condamnation, c'est une peine appropriée vis-à-vis de ceux qui commettent des infractions dans le but de s'enrichir : ils comprennent immédiatement le sens de la confiscation, mieux qu'une peine de prison – surtout s'ils ont caché leur magot en prévoyant d'en profiter après avoir purgé deux ans de peine. Frapper au portefeuille c'est ce qui fonctionne le mieux.
C'est pourquoi il faut au moins doubler le nombre des antennes régionales. Non seulement les services d'enquêtes, les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), qui sont en première ligne, ont des besoins, mais il y a aussi des enjeux de massification de la saisie et confiscation. Elles ne doivent pas concerner le seul haut du spectre de la criminalité, comme le crime organisé ; même pour les petits vols, il y a matière à saisir et à restituer à la société. Il faut aller plus loin.
Si les deux premiers articles ne posent aucune difficulté à notre groupe, nous attendons une précision s'agissant de l'article 3, dont le dispositif diffère de l'exposé des motifs. De notre point de vue, le propriétaire condamné occupant de son bien doit être clairement distingué du locataire qui n'a rien à voir avec l'histoire.
Je ne sais, monsieur Warsmann, si vous êtes un « saint laïc ». En tout cas, les praticiens dont je faisais partie avaient trouvé que la loi de 2010 était très utile dans les procédures, notamment dans le domaine économique et financier.
Le recours aux sanctions pécuniaires en matière pénale, qu'il s'agisse d'amende ou de confiscation, s'est considérablement développé depuis plusieurs années. Cela va de la confiscation du véhicule d'un délinquant routier à l'amende forfaitaire délictuelle du petit revendeur de stupéfiants. Les pouvoirs publics ont su élaborer des solutions performantes et innovantes.
Le renforcement des procédures de saisie et de confiscation des avoirs criminels s'inscrit, à mon sens, dans un projet plus large et ambitieux, qui concerne non seulement la petite et moyenne délinquance, mais aussi la criminalité organisée. Je me souviens des premières confiscations des hôtels de la Mafia à Palerme à la fin des années 1980 ; nos collègues italiens ont été précurseurs en cette matière.
C'est à présent la juriste qui va parler – on ne se remet pas de son enfance.
L'objet de la présente proposition de loi n'est pas de créer de nouvelles procédures, il est d'améliorer l'existant. L'article 1er confie au premier président de la cour d'appel ou à son délégué plutôt qu'à la chambre de l'instruction, déjà surchargée par les appels des décisions de droit pénal, le soin de statuer sur les ordonnances rendues par le juge d'instruction ou les décisions du procureur. Cette disposition allège le déroulement de la procédure sans préjudicier aux droits des mis en cause ni à ceux des tiers de bonne foi. Cet article ne pose donc pas de difficulté.
L'article 2 élargit l'assiette des biens dont le produit peut être utilisé pour l'indemnisation des victimes : aux biens ayant fait l'objet d'une décision expresse de confiscation s'ajoute la catégorie des biens dont la propriété est devenue celle de l'État par l'effet de la loi. En outre, celles des victimes qui ont obtenu des dommages et intérêts voient leur délai de demande d'indemnisation auprès de l'Agrasc passer de deux à six mois. Ces deux dispositions, de fond et de procédure, améliorent donc leur situation.
S'agissant de l'article 3, en revanche, même s'il n'y a pas lieu de s'inquiéter d'une quelconque ambivalence, le texte prévalant sur l'exposé des motifs, je souhaiterais, comme M. Bernalicis, qu'il soit précisé que la décision définitive de confiscation d'un bien immobilier vaut titre d'expulsion à l'encontre de la seule personne condamnée, et non pas des tiers de bonne foi. Notre groupe votera ce texte.
Nous examinons une proposition de loi Warsmann visant à mettre en œuvre les recommandations du rapport Warsmann de 2019, celui-ci évaluant la loi Warsmann de 2010 sur les avoirs criminels : on n'est jamais mieux servi que par soi-même ! Ne voyez dans ce trait d'humour que l'intention de mettre en valeur votre travail et la constance de votre engagement sur cette question, monsieur le rapporteur.
Comme vous l'aviez souligné dans votre rapport, l'Agrasc est devenue une agence reconnue, qui a essaimé localement dans les juridictions chargées de la criminalité organisée et de la délinquance économique. L'efficacité du dispositif de saisie et confiscation des avoirs criminels demeure cependant largement perfectible, tant au regard de la procédure elle-même que de sa mise en œuvre, qui intervient en moyenne dans deux tiers des cas seulement. Or, vous le dites à juste titre, cette peine est souvent beaucoup plus dissuasive pour les criminels que la prison. Que la société connaisse l'existence de ces saisies ou confiscations est également important.
Nous étions légèrement déçus par la tiédeur initiale de la proposition de loi, mais nous notons que vous avez déposé un amendement rendant cette saisie obligatoire, sauf décision spécialement motivée. Nous le soutiendrons.
Nous pensons également qu'il faut renforcer la formation des magistrats et des officiers de police judiciaire aussi bien sur la procédure elle-même que sur les aspects d'évaluation patrimoniale et d'identification des biens tout au long de celle-ci.
Se pose aussi la question de l'utilisation des biens confisqués, qu'ils soient cédés à titre gracieux ou mis aux enchères. De nombreuses politiques publiques, notamment en matière de prévention, qu'elles soient mises en œuvre par l'État ou au travers de l'activité d'associations qu'il soutient, pourraient en bénéficier chaque année.
Enfin, votre proposition de loi prévoit que la décision définitive de confiscation d'un bien immobilier constitue un titre d'expulsion à l'encontre de la personne condamnée. C'est une évolution bienvenue et nous la soutiendrons, mais nous avons entendu vos réserves et pensons aussi qu'il faut prendre en considération la situation des locataires qui occupent ces logements de manière régulière. Dans le milieu de la criminalité organisée, des biens immobiliers sont acquis pour blanchir de l'argent sale et mis en gestion comme n'importe quel autre bien à des fins de location à des personnes ordinaires. Il faut s'assurer que ces locataires conservent leurs droits en matière d'expulsion, par exemple la possibilité d'opposer le délai de préavis de six mois prévu dans le cadre du congé pour vente. Avec cette seule réserve, notre groupe soutiendra cette proposition de loi et les amendements précités, et vous remercie pour votre engagement.
La criminalité organisée menace gravement la sécurité du pays. Ses réseaux sont de plus en plus sophistiqués et s'appuient désormais sur l'usage astucieux des nouvelles technologies. Le trafic de stupéfiants en est la parfaite illustration ; il produit une multitude d'autres activités illégales, en particulier le trafic d'armes, qui prospèrent grâce à des messageries faisant office de plaques tournantes d'opérations illégales et où les cryptoactifs sont largement utilisés à des fins de blanchiment. Sur le marché noir, un fusil d'assaut kalachnikov coûte environ 2 500 euros, un pistolet automatique, 1 500, et tout cet attirail peut s'acheter sur internet et être acheminé par colis postal dans tout le territoire.
Pour démanteler ces structures, il faut pouvoir s'appuyer sur un arsenal juridique efficace et fiable. Le gel, la saisie et la confiscation des capitaux et des biens criminels comptent parmi les leviers les plus efficaces dont nous disposons dans ce combat. L'objectif est simple : priver les criminels de leurs profits illicites et tarir les ressources de la criminalité.
En dix années de réformes sur le sujet, le domaine d'application de la peine de confiscation a été considérablement étendu, son contenu diversifié, et de nouvelles procédures de saisie ont été mises au point. Avec la création, en 2010, de l'Agrasc – dont les effectifs ont doublé en 2022 –, la peine complémentaire de confiscation a connu un véritable essor. L'instauration de nouvelles antennes régionales a également permis de décupler l'activité de l'agence, si bien que plus de 700 millions d'euros provenant des trafics ont été saisis l'année dernière. Ces saisies ont une vocation sociale, mais aussi redistributive, grâce à la possibilité, depuis novembre 2021, de mettre les biens immobiliers saisis à disposition des associations ou de fondations reconnues d'utilité publique.
Ces dix années de réformes ont fait l'objet d'un bilan sous la forme du rapport que vous avez, monsieur le rapporteur, rédigé avec notre ancien collègue Laurent Saint-Martin. Intitulé « Investir pour mieux saisir, et confisquer pour mieux sanctionner », il était riche de préconisations dont nous avons mis en œuvre une partie avec succès.
De nouvelles évolutions législatives sont aujourd'hui nécessaires pour rendre le système de saisie et de gestion des avoirs criminels plus performant et plus juste à l'égard des victimes. Je salue votre engagement de longue date sur ce sujet, ainsi que la qualité et la pertinence de vos travaux dont mon groupe partage pleinement les objectifs : améliorer la gestion des biens saisis et la maîtrise des frais de justice tout en offrant une meilleure indemnisation aux victimes, souvent délaissées dans ce type de procédure.
Comme certains de mes collègues, je suis réservée sur la portée de l'article 3 : qu'en est-il des occupants de bonne foi des biens immobiliers saisis, qui n'ont aucun lien avec les auteurs de crimes ?
En tout état de cause, notre groupe votera la proposition de loi.
La législation sur la saisie et la confiscation des avoirs criminels est restée longtemps lacunaire. La saisie des biens au cours de l'enquête ne visait qu'à assurer la conservation d'éléments de preuve ou à retirer des mains des suspects des objets dangereux ou dont la détention était interdite par loi. La confiscation comme peine complémentaire était considérée comme accessoire à la sanction ; ce n'est que progressivement qu'elle est devenue un objectif en soi des politiques publiques.
Les réformes les plus importantes, par exemple le gel des avoirs terroristes, ont été réalisées sous l'impulsion du groupe d'action financière (Gafi) et de l'Union européenne. Un texte de portée générale, constitué par la loi du 9 mars 2004, a été complété par la loi du 9 juillet 2010, dont vous êtes coauteur. Celle-ci a rendu possible la saisie dès le stade de l'enquête afin de garantir l'effectivité des peines de confiscation ordonnées au moment du jugement. Elle a aussi donné naissance à l'Agrasc, établissement public compétent pour gérer l'ensemble des avoirs saisis, et dirigé par un magistrat de l'ordre judiciaire.
La présente proposition de loi va dans le bon sens en ce qu'elle vise à améliorer certains éléments du dispositif actuel. Elle nous est soumise en même temps que sont traités des sujets proches au niveau européen, telle la proposition de directive relative au recouvrement et à la confiscation des avoirs, adoptée en commission au Parlement européen. Elle permet notamment d'améliorer les droits des parties civiles en élargissant l'assiette des biens ouvrant droit à indemnisation et en leur accordant un délai supplémentaire pour demander à l'Agrasc la réparation de leur préjudice. Elle rend également possible l'expulsion de la personne condamnée du bien confisqué sur décision du juge du siège. Notre groupe soutiendra ces mesures de bon sens et tout amendement qui les complétera utilement.
Je m'interroge, pour ma part, sur le bien-fondé de l'article 1er qui remet en cause le principe de collégialité. Ne serait-il pas plus judicieux, afin d'accélérer les procédures, d'augmenter les moyens des chambres d'instruction ? Je partage les préventions exprimées sur l'article 3 : il me semble que la rédaction actuelle préserve les personnes de bonne foi, mais notre groupe soutiendrait tout amendement qui clarifierait ce point.
Notre groupe se réjouit de l'examen de ce texte largement consensuel. Plus de dix ans après une première loi révolutionnant la culture de la confiscation des avoirs criminels en France, il ajoute une nouvelle pierre à l'édifice de lutte contre la grande délinquance.
L'Agrasc constitue la clé de voûte de toute politique d'identification, de saisie et de confiscation des biens criminels. Son activité est en plein essor et il nous appartient d'accompagner son développement. En 2022, 4 300 biens meubles ont été saisis, pour un montant de près de 16 millions d'euros. Cette progression de plus de 60 % sur un an traduit la détermination de tous les acteurs judiciaires impliqués.
Notre groupe soutient cette logique vertueuse. Nul ne doit tirer profit des délits qu'il a commis. Associée à une répression pénale, avec des peines classiques d'amende et de prison, la confiscation permet d'attaquer le gain du crime. C'est un véritable atout dans la lutte contre le crime organisé, la grande délinquance économique, voire la mafia, et le texte contribue à parfaire cette logique en améliorant l'effectivité des droits des victimes : le délai leur permettant de demander réparation de leur préjudice sur les biens saisis par l'Agrasc passe de deux à six mois.
La proposition de loi simplifie également deux procédures, l'une relative au recours contre une décision de vente avant jugement, l'autre, à l'expulsion des criminels après confiscation de leurs immeubles, en prévoyant que la confiscation définitive vaille titre d'expulsion. Cela évitera à l'Agrasc d'enchaîner des procédures de contentieux coûteuses et chronophages – actuellement, elles durent en moyenne dix-huit mois.
Cependant, si l'agence est une réussite, son activité reste modeste en comparaison du modèle italien, qui aurait permis de confisquer plus de 11 milliards d'euros à la Mafia en une vingtaine d'années. Une piste d'amélioration pourrait résider dans la territorialisation de l'Agrasc, de sorte que les acteurs locaux soient formés aux enjeux de la saisie des avoirs criminels et que les techniques soient adaptées aux besoins du territoire. Le déploiement de quatre antennes, à Lyon, Marseille, Lille et Rennes, semble positif, et notre groupe appelle à en créer en Corse et en Outre-mer.
Nous proposons également de s'inspirer du modèle italien en permettant l'affectation sociale des biens confisqués aux associations et aux collectivités locales.
Enfin, nous sommes favorables à la proposition de rendre obligatoires les saisies des avoirs criminels et saluons l'amendement du rapporteur à ce sujet.
Nous appelons donc tous les groupes à adopter cette proposition de loi transpartisane.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué les antennes régionales. Dans mon esprit, idéalement, le greffe du tribunal serait une gare de triage recevant tous les biens saisis ; ceux nécessaires à l'établissement de la vérité seraient conservés durant toute la procédure, tous les autres auraient vocation à être vendus immédiatement, les gains de la vente étant placés à la Caisse des dépôts. C'est le sens de la loi de 2010.
La « révolution » a commencé ; l'Agrasc dispose maintenant de sept antennes territoriales en plus de celle de Paris – rendons-en déjà grâce au ministère de la justice. Mon ambition serait d'en avoir plus, car ces pôles constituent une source de compétences et d'informations. Très souvent, sur le terrain, policiers, gendarmes et magistrats hésitent à saisir ; disposer de modèles de procédures les rassure et libère l'action.
Je partage entièrement l'avis de M. Bernalicis sur la massification. La directrice générale par intérim de l'Agrasc nous a dit que, depuis la création des antennes, le montant des biens saisis avait été divisé par deux, ce qui est bien conforme à notre idée de sanctionner la délinquance du quotidien. Ce n'est pas la valeur des véhicules saisis qui compte, c'est le fait qu'ils soient vendus. On ne recherche pas que des Ferrari ; le dispositif est fait aussi pour le délinquant qui n'adopte pas un train de vie ostentatoire. C'est très important pour la paix et la justice sociales.
Je suis complètement d'accord avec Mme Untermaier au sujet de la formation. J'inscrirai dans le rapport les derniers chiffres de l'Agrasc : le nombre de magistrats formés bat des records. Il reste toutefois des frilosités – un juge parisien m'avouait récemment qu'il craignait de voir ses décisions annulées. La dynamique monte mais il faut encore l'amplifier.
Je partage votre interprétation sur l'article 3. Je l'ai prévu car j'ai été choqué par un cas de figure auquel l'Agrasc est assez couramment confrontée : un immeuble saisi est en fait utilisé par les proches du voyou, ce qui entraîne une procédure civile et des frais d'entretien de l'immeuble. C'est là un angle mort qu'il faut supprimer pour atteindre le voyou et ses proches, mais pas le locataire de bonne foi.
L'Agrasc monte en puissance ; des postes seront encore prévus au budget. Même si je souhaiterais qu'on aille plus vite, j'en remercie M. Dupond-Moretti qui fait preuve de volontarisme sur ce sujet. Je le répète, l'Agrasc, à Paris comme dans ses antennes, non seulement accomplit un travail remarquable, mais représente un pôle de ressources pour les magistrats et les professionnels. C'est cela qui entretient sa puissante dynamique.
Article 1er (art. 41-5 et 99-2 du code de procédure pénale) : Simplification de la procédure d'appel à l'encontre des décisions pouvant être prises avant jugement concernant les biens meubles saisis dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité
Amendement CL13 de M. Sacha Houlié
Il s'agit d'élargir aux fédérations sportives la liste des bénéficiaires des véhicules saisis.
Monsieur le président, vous pouvez revendiquer la paternité de cette idée : je n'avais jamais lu une proposition de ce type ! Avis favorable.
Je ne vois pas de difficulté. Simplement, dès lors qu'il y a une liste, la question se pose de savoir pourquoi telle structure y figure et pas telle autre. Ne pourrait-on trouver une formulation plus large qui permette au magistrat de choisir la plus appropriée ?
. La destruction de tous les véhicules saisis est à l'origine de cet amendement ainsi que d'une réflexion conduite avec le président Zulesi sur la possibilité d'en réemployer certains. Il est dommage de détruire les motos, de plus en plus nombreuses, saisies lors de rodéos urbains alors que des fédérations seraient prêtes à les acquérir – les fédérations automobiles ont formulé la même demande concernant les voitures.
Il y a une différence entre acquérir et recevoir gratuitement. Les saisies-attributions sont données aux services de police – cela pose d'ailleurs des problèmes de pièces détachées pour des véhicules tous différents. Il ne faudrait pas enrichir une fédération plutôt qu'une autre, d'où ma préférence pour une formulation plus générale.
Comme les fédérations sont représentatives de la puissance publique, des biens saisis peuvent leur être attribués. Il est sans doute possible d'améliorer la formulation de cet article. Je m'attends d'ailleurs à voir apparaître, pour la séance publique, un amendement tendant à inclure les collectivités locales dans la liste des attributaires possibles pour les biens confisqués, amendement auquel le ministère de la justice serait favorable.
Je ne comprends pas le soupçon de favoritisme, alors que nous sommes dans une logique de création positive !
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL14 de M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.
La commission adopte l'article 1er modifié.
Après l'article 1er
Amendement CL2 de M. Ugo Bernalicis
Cet amendement tend à renforcer la formation des magistrats et des services de police judiciaire (PJ). Parmi les premiers, certains hésitent à saisir en raison du risque de nullité qui pourrait frapper leur décision ; pour les seconds, il s'agit de s'adapter à l'objectif de massification des saisies. Le rapport sur les enjeux de la PJ que nous avons commis avec Marie Guévenoux a mis en évidence que, pour certaines enquêtes d'ampleur au niveau de la sûreté départementale, les agents de la sécurité publique manquent de formation en matière de saisies et confiscations et pensent que cela ne concerne que la PJ. Avec la nouvelle direction nationale de la PJ, l'accès à ces formations sera peut-être plus large. Nous en avons besoin car des procureurs très allants sur la délinquance économique et financière m'ont dit constater des freins dans les services de police en raison d'un manque de compétences. La formation constitue donc un facteur d'efficacité extrêmement déterminant.
La commission adopte l'amendement.
Article 2 (art. 706-164 du code de procédure pénale) : Amélioration de l'indemnisation des victimes dans la gestion des biens confisqués
La commission adopte l'article 2 non modifié.
Article 3 (art. 131-21 du code pénal) : Attribution à la décision de confiscation de la valeur de titre d'expulsion à l'encontre de la personne condamnée
Amendement CL16 de M. Jean-Luc Warsmann
Cet amendement tend à introduire dans la loi le principe de la confiscation obligatoire pour les biens qui ont été saisis, en l'assortissant du garde-fou constitutionnel que constitue la libre appréciation du juge. Celui-ci peut décider de ne pas prononcer cette peine, mais doit motiver sa décision – il oublie parfois de le faire, mais de plus en plus rarement –, soit par les circonstances de l'infraction, soit par la personnalité de l'auteur. Cela me semble être une avancée dans le dispositif des saisies et confiscations.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'amendement de coordination CL15 de M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.
La commission adopte l'article 3 modifié.
Après l'article 3
Les amendements CL6 et CL7 de M. Paul-André Colombani sont retirés.
Amendement CL1 de M. Ugo Bernalicis
Il s'agit d'une demande de rapport sur l'usage social des biens confisqués, et notamment celui des biens immobiliers qui était prévu dans la loi « justice de proximité ». Peut-être M. le rapporteur, à l'occasion de ses rapides auditions de l'Agrasc, a-t-il pu faire le point sur l'état d'avancement de ce dispositif assez nouveau. Moi-même, j'ai lu dans la presse que deux immeubles avaient été affectés dans le cadre de cette procédure.
Suivant le principe adopté par les Italiens, un immeuble qui a été utilisé par la mafia pour des activités de proxénétisme sera loué à titre gracieux à une association de lutte contre le proxénétisme. C'est un symbole fort de reconquête territoriale sur la mafia. Je crois tellement à ce dispositif que je suis allé jusqu'en Sicile pour observer le travail des associations anti-mafia.
Un bilan nous permettrait de savoir comment renforcer au maximum ce dispositif.
Bien que partageant vos intentions, je ne suis pas favorable aux trois demandes de rapport qui se suivent : elles sont satisfaites par le rapport annuel de l'Agrasc pour 2022, qui fait également état des trois premières affectations immobilières effectuées au profit d'associations. J'ai d'ailleurs accompagné M. le garde des sceaux à Coudekerque-Branche où a eu lieu la première affectation de ce type en France : un petit immeuble de centre-ville d'un marchand de sommeil, dont les sept logements réhabilités ont été attribués à un acteur du logement social.
L'amendement étant satisfait, j'en demande le retrait.
Je le retire. Selon vous, le faible nombre de procédures est-il dû à la rareté des immeubles saisis ou à la nécessité pour l'Agrasc d'améliorer son dispositif ?
Le problème n'est pas la saisie, mais la confiscation qui la suit. N'oublions pas que l'application des textes que nous avons votés commence à peine. Chercher quels biens peuvent être affectés et de quelle manière prend du temps, mais nous sommes dans une dynamique extrêmement positive.
D'ailleurs, nous ne ciblions pas au départ les marchands de sommeil. Mais que l'on confisque son immeuble à ce type de délinquant et que l'on l'affecte ensuite dans une visée sociale constituent un énorme progrès pour la société. Cette commission n'aurait pas imaginé il y a cinq ans que son texte permettrait de telles sanctions ! Après l'étape de la confiscation, voici maintenant celle de la réattribution. Le dispositif est bien en place et se développe.
L'amendement est retiré.
Amendement CL3 de M. Ugo Bernalicis
Je voudrais des précisions sur les moyens de l'Agrasc. L'agence vous a-t-elle fait part de besoins en moyens humains ? Un plan de charge est-il prévu d'une antenne par cour d'appel puis, pourquoi pas, une par département ? Et je ne parle pas des logiciels à améliorer.
Les moyens constituent en effet un enjeu, d'autant que ces postes d'agents publics rapportent de l'argent à la puissance publique. L'Agrasc connaît une montée en puissance de ses moyens dans la prochaine loi de finances, afin d'accompagner l'ouverture programmée de deux nouvelles antennes régionales et de tenir compte de l'augmentation de son plafond d'emplois . Je souligne que la grande force de cette agence tient au fait que ses agents sont issus de différents ministères – justice, intérieur, finances.
Je vous remercie pour cette information concernant les marchands de sommeil. La société a besoin de savoir comment fonctionne la justice et ce qu'il advient des biens saisis et confisqués. Serait-il possible, par voie d'amendement, de prévoir une campagne de communication de l'agence sur ses résultats ?
Je reviens sur l'alinéa 2 de l'article 3, qui prévoit que la décision définitive de confiscation d'un bien immobilier vaut titre d'expulsion à l'encontre de la personne condamnée. Vous avez dit que le dispositif serait retravaillé, et c'est en effet nécessaire, notamment pour préciser que les occupants de bonne foi échapperaient à l'expulsion. J'attire cependant votre attention sur l'article 4 de la loi de 1948 sur l'occupant de bonne foi, qui peut donner lieu à discussion juridique. Un bail écrit, par exemple, peut couvrir des occupants de mauvaise foi si le loyer mentionné n'est pas payé.
Pour atteindre pleinement notre objectif, il faudrait peut-être examiner la situation des ayants droit de la personne condamnée. Ceux-ci pourraient également être sanctionnés s'ils partagent la situation fiscale, juridique, financière ou immobilière de cette personne. Je vais réfléchir à des amendements en ce sens.
Ce sont deux axes de réflexion différents : l'un concerne le condamné et ses proches, l'autre, les tiers de bonne foi. J'en prends acte.
L'amendement est retiré.
Amendement CL5 de M. Jordan Guitton
Il me semblait intéressant que les parlementaires puissent disposer d'un rapport faisant le point sur l'efficacité des dispositifs d'identification, de saisie et de confiscation des avoirs criminels, pour éventuellement proposer de faire évoluer les textes. Bien sûr, si de telles données sont déjà disponibles, je retirerai mon amendement.
Je vous rassure : nous disposons de ces données, qui figurent dans le rapport annuel de l'Agrasc. Du fait de sa nature interministérielle, l'agence doit rendre des comptes à ses différents ministères de tutelle. Je vous serais donc reconnaissant de bien vouloir retirer votre amendement.
L'amendement est retiré.
La commission adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
Présidence de Mme Caroline Abadie, vice-présidente de la commission.
Puis, la Commission examine la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels (n° 1602) (Mme Nicole Le Peih, rapporteure).
Lien vidéo : https://assnat.fr/bJ3Mee
La proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels, déposée le 20 juillet 2023 par Mme Nicole Le Peih, qui est également notre rapporteure, a été choisie par le groupe Renaissance pour être inscrite à l'ordre du jour de la semaine de l'Assemblée du 4 décembre.
En dépit de son titre ambitieux, l'objet de cette proposition de loi est extrêmement limité, mais j'ai bon espoir que notre commission puisse examiner, dans les mois à venir, une véritable réforme d'ensemble de la responsabilité civile préparée et attendue depuis de nombreuses années.
La proposition de loi que je défends porte sur la responsabilité civile en cas de trouble anormal de voisinage. Avant de vous présenter son article unique, j'aimerais faire un rapide état des lieux.
Cette responsabilité extracontractuelle est une création jurisprudentielle : elle ne repose sur aucune disposition législative mais sur un principe autonome révélé par la Cour de cassation en 1986, selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Il s'agit d'une responsabilité sans faute, objective. Il suffit que le juge constate l'anormalité d'un trouble pour que la responsabilité de la personne qui en est à l'origine soit engagée.
Qui peut donc voir sa responsabilité engagée ? Le propriétaire d'un bâtiment à l'origine de nuisances peut être tenu pour responsable, mais la jurisprudence a élargi ce principe au locataire et à l'occupant. Les tribunaux sont allés jusqu'à consacrer la responsabilité du « voisin occasionnel », à savoir du constructeur qui réalise des travaux dans le bâtiment.
Comment se caractérise l'anormalité du trouble de voisinage ? Elle est appréciée par le juge in concreto, c'est-à-dire au cas par cas. Je ne vous ferai pas un panorama complet de la jurisprudence en la matière, mais il ressort des décisions des juridictions que ces dernières apprécient non seulement la gravité et la durée du trouble, mais également le contexte dans lequel il se produit. Une même nuisance peut ainsi être anormale en contexte urbain mais complètement acceptable dans un contexte rural, et inversement.
J'en viens aux conditions exonératoires de cette responsabilité. Curieusement, la clause exonératoire de responsabilité, aussi appelée « théorie de la pré-occupation », résulte d'une disposition législative. Le législateur a en effet souhaité réduire la portée de la responsabilité sans faute en prévoyant que celle-ci pouvait être écartée par le juge lorsque trois critères cumulatifs sont réunis : l'activité à l'origine du trouble doit être antérieure à l'installation du requérant, s'être poursuivie dans les mêmes conditions et respecter la législation en vigueur.
Le champ d'application de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation est toutefois restreint, s'agissant tant des activités concernées – seuls les dommages causés par des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques font l'objet de cette disposition – que des personnes susceptibles de l'invoquer, qui se limitent aux occupants du bâtiment. La jurisprudence a ainsi exclu l'application de cet article aux rapports entre copropriétaires.
Si certains ont vu dans cette disposition un « droit à polluer » accordé au premier occupant, le Conseil constitutionnel a rappelé en 2011, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), que les obligations réglementaires et législatives à respecter incluaient « celles qui tendent à la préservation et à la protection de l'environnement ». À la suite de cette décision, le professeur de droit François-Guy Trébulle a d'ailleurs qualifié la clause exonératoire de « règle recherchant un équilibre entre des impératifs également légitimes et s'insérant de manière cohérente avec la dynamique environnementale ».
La situation est donc assez inhabituelle : c'est la jurisprudence qui fixe le principe de l'interdiction des troubles anormaux du voisinage et c'est la loi qui prévoit une exception.
J'en viens au dispositif de cette proposition de loi, qui introduit dans le code civil un nouvel article 1253 comportant deux alinéas.
Le premier codifie la théorie de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage. Il s'inscrit dans la continuité de plusieurs projets de réforme de la responsabilité civile – je pense à ceux des professeurs Catala et Terré, ou encore à celui présenté par le ministre Urvoas en mars 2017. Cet alinéa reprend, à une exception près, les principes dégagés par la jurisprudence. La rédaction que je vous propose écarte en effet la responsabilité sans faute du constructeur, qui a été remise en question par plusieurs universitaires. S'agissant de troubles occasionnés par des travaux, de deux choses l'une : soit le constructeur a commis une faute, et sa responsabilité pour faute peut alors être engagée, soit les troubles sont occasionnés par les travaux eux-mêmes, auquel cas il revient plutôt au propriétaire d'en répondre.
Le second alinéa inscrit dans le code civil la clause exonératoire de responsabilité en énumérant les trois critères cumulatifs nécessaires à son application : l'antériorité de l'activité, la conformité à la législation et la poursuite de cette activité dans les mêmes conditions. Il élargit par ailleurs le champ d'application de la théorie de la préoccupation : toutes les activités seront concernées – y compris les activités sportives, par exemple –, de même que l'ensemble des troubles constatés, qui ne se limiteront donc pas aux dommages causés aux occupants d'un bâtiment.
Cette proposition de loi présente à mes yeux deux mérites : elle inscrit dans le code civil une construction jurisprudentielle pour rendre le droit plus lisible et accessible à l'ensemble de nos concitoyens ; elle élargit la clause exonératoire de responsabilité sans pour autant donner un blanc-seing aux responsables de troubles anormaux du voisinage.
Je crois fermement que, sur ce sujet, il est nécessaire de trouver un juste équilibre qui préserve les intérêts de chacun. Cette préoccupation est d'ailleurs partagée par plusieurs groupes, en particulier par les groupes GDR-NUPES et LR, qui ont déjà déposé des propositions de loi sur ce sujet.
J'entends les inquiétudes relatives au second alinéa, mais l'objectif de cette codification n'est pas d'aller contre les juridictions ni de priver les justiciables de leur droit au recours. L'alinéa reprend d'ailleurs à l'identique les critères cumulatifs figurant déjà dans le code de la construction et de l'habitation. Il ne s'agit pas d'exonérer de toute responsabilité les acteurs du monde économique, mais bien de trouver le juste équilibre permettant à tous de mieux vivre ensemble au quotidien.
Madame la rapporteure, je salue la qualité de votre travail, notamment rédactionnel et explicatif, sur cette proposition de loi.
Vous l'avez dit, le droit existant prévoit une exception à la possibilité de demander l'indemnisation d'un préjudice lié à un trouble anormal de voisinage lorsqu'il résulte de l'activité normale d'une exploitation agricole ou commerciale et que cette dernière préexistait à l'installation du voisin qui s'en plaint. Si cette exception fait l'objet de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, la notion même de trouble anormal de voisinage reste toutefois purement jurisprudentielle.
Dans son application quotidienne, le droit de la responsabilité civile présente une forte dimension humaine et économique. La responsabilité civile peut se définir comme l'obligation de répondre du dommage causé à autrui et d'assumer les conséquences civiles qui en découlent par le biais de la réparation. Ce droit repose essentiellement sur cinq articles du code civil datant de 1804 et demeurés pratiquement inchangés ; son adaptation aux bouleversements sociaux, économiques, scientifiques et technologiques résulte d'une importante construction jurisprudentielle élaborée depuis plus de deux siècles par la Cour de cassation. Dès lors, la seule lecture des articles 1240 et suivants du code civil – les anciens articles 1382 à 1386 – ne suffit plus pour appréhender la réalité du droit français de la responsabilité civile ; elle peut même être source d'incertitude juridique pour les justiciables.
En raison des enjeux qu'ils représentent, les troubles anormaux du voisinage constituent un premier pan du droit à adapter. En effet, la responsabilité pour trouble anormal du voisinage ne résulte pas de la loi mais d'une création prétorienne des juges, en vertu du principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Cette proposition de loi vise également à répondre aux préoccupations des mondes rural et urbain. Elle tend en effet à limiter les conflits de voisinage entre les nouveaux habitants d'un territoire et les acteurs, notamment économiques, culturels et touristiques, déjà établis sur celui-ci.
L'article unique inscrit donc dans le code civil la notion de trouble anormal du voisinage ainsi que l'exception au principe de responsabilité lorsque ce trouble résulte d'activités préexistantes à l'installation qui se poursuivent dans des conditions normales.
Pour résumer, je reprendrai vos propos, madame la rapporteure : il s'agit de trouver un équilibre qui permette de mieux vivre ensemble, dans une paix retrouvée. Cette proposition de loi est simple et utile : le groupe Renaissance votera donc en sa faveur.
Nous examinons ici une proposition de loi de codification. Cela a été dit, la notion de trouble anormal du voisinage est une création prétorienne, jurisprudentielle, issue de l'opiniâtreté des plaideurs et de l'empirisme des juges. Elle est ancienne : nous l'avons apprise à la faculté de droit, et certains d'entre nous l'ont plaidée sous l'égide du très ancien article 1382 du code civil, devenu, à la faveur d'une recodification à laquelle nous ne nous habituons pas, l'article 1240 du même code.
Nous n'allons évidemment pas nous opposer à un texte de codification. On peut cependant s'interroger quant à l'utilité de ces propositions de loi. Permettez-moi de poser une question philosophique : la codification en l'état d'une jurisprudence parfaitement établie est-elle une œuvre législative ou plutôt l'expression d'une forme de boulimie législative ?
L'ancien article 1382 fut efficace. Il a servi au juge pour créer des pans entiers de jurisprudence et répondre ainsi aux besoins des justiciables. Si nous nous mettons à codifier toutes les constructions prétoriennes en matière de responsabilité délictuelle, quasi délictuelle, du fait des choses ou du fait d'autrui, nous n'avons pas fini ! Cela créerait un très gros bloc législatif.
Cependant, nous sommes totalement favorables à un texte qui ne change pas grand-chose et qui laissera entier le pouvoir d'appréciation du juge du fond. Vous l'avez dit, madame la rapporteure : doit être indemnisé le trouble qui excède les contraintes normales du voisinage. Il s'agit d'un régime de responsabilité sans faute. Le trouble n'est pas indemnisable dès lors qu'il préexistait à l'installation du voisin plaignant. Tout cela, c'était la jurisprudence constante. Vous l'avez dit aussi, madame la présidente, le titre de la proposition de loi est davantage une accroche qu'il ne reflète un vrai changement des règles de la responsabilité civile, mais ce n'est pas grave. Il n'y a pas à proprement parler d'extension ni même d'adaptation du droit existant, mais ne créons pas de vaines polémiques. Le texte reflète un bon esprit : nous voterons donc en sa faveur.
Vous proposez d'introduire dans le code civil une notion de responsabilité civile créée depuis des dizaines d'années par la jurisprudence : celle des troubles anormaux du voisinage. Du point de vue juridique, cette consécration d'une jurisprudence constante est la bienvenue puisqu'elle met fin à une lecture subjective de cette responsabilité pour l'introduire enfin dans la loi, aux côtés des autres responsabilités civiles délictuelles. En termes de sécurité juridique, de clarté et de lisibilité de la règle de droit, il est donc opportun d'intégrer cette responsabilité dans le code civil.
Malheureusement, une part d'ombre vient grandement restreindre la pertinence de ce texte puisqu'il prévoit, dans un second temps, la possibilité d'écarter cette responsabilité dans certains cas précis. Vous souhaitez en effet exclure l'engagement de la responsabilité du fait de troubles anormaux du voisinage lorsque ces derniers proviennent d'activités, quelle que soit leur nature, qui préexistaient à l'installation du plaignant, qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions et qui respectent la législation en vigueur.
Cette disposition s'inspire de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, lui-même très controversé depuis son adoption il y a un peu plus de quarante ans. Le juge judiciaire considère qu'il nie le droit d'agir en justice et instaure un véritable droit à polluer dans la mesure où il permet aux exploitants de poursuivre une activité nuisible sans que leur responsabilité puisse être engagée. L'abrogation de cet article fait, depuis son adoption, l'objet de fortes revendications, et le juge judiciaire mène une politique jurisprudentielle particulièrement restrictive s'agissant de l'application de ces dispositions, ce qui contribue à en restreindre significativement la portée. Dès 1981, l'avocat Francis Caballero évoquait « un texte juridiquement, écologiquement et techniquement indéfendable ». Plus récemment, Geneviève Viney, Patrice Jourdain et Suzanne Carval ont considéré, dans la quatrième édition de leur traité de droit civil, publiée en 2017, que cet article établissait, vis-à-vis du premier occupant, « une sorte de servitude légale de pollution » et qu'il tendait à « pérenniser les situations nuisibles à l'environnement ».
Vous pensez malgré tout qu'il convient d'introduire cette exception dans le code civil et même d'en étendre la portée. Tel que vous avez rédigé le second alinéa de votre article unique, vous ne limitez plus cette exception aux seules « nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques » – ce qui aurait déjà été très contestable –, vous l'élargissez aux troubles provenant de toute activité, quelle que soit sa nature, dès lors qu'elle préexiste à l'installation de celui qui s'en plaint.
Si cette exception est introduite ainsi dans le code civil, les jugements écarteront la responsabilité d'industriels, quelle que soit la nature du trouble causé. Se multiplieront alors les situations comme celle qu'a tranchée un arrêt de la Cour de cassation le 10 mars 2016 : la présence de pesticides dans l'eau de puits de riverains d'un industriel n'a pas ouvert droit à réparation devant le juge judiciaire dans la mesure où l'activité préexistait à l'installation des riverains demandeurs. Dans un contexte où les enjeux climatiques devraient nous faire prendre le chemin inverse, puisque l'on connaît l'impact des industriels dans le changement climatique, il est insensé d'adopter une telle mesure. Il est inconscient de restreindre le droit au dédommagement des individus alors que l'on sait qu'en l'absence d'interdiction pure et dure, la contrainte financière pesant sur les industriels est le seul rempart contre les comportements préjudiciables. Votre proposition de loi tend à légitimer de tels comportements plutôt que de les décourager.
Nous conditionnerons notre vote à la suppression d'une telle exception, l'introduction pérenne d'un principe jurisprudentiel dans le code civil nous semblant par ailleurs pertinente.
Je m'interroge sur l'opportunité de cette proposition de loi, sans pour autant y être hostile. Quel intérêt de toucher à la responsabilité civile à travers un texte qui semble ne pas aller au-delà d'une simple reconnaissance formelle de principes déjà bien établis par la jurisprudence, laquelle est utile et ne saurait être confondue avec du bavardage ?
Depuis près de quarante ans, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Ce régime de responsabilité est objectif, c'est-à-dire qu'il ne dépend pas de la démonstration d'un comportement fautif mais nécessite celle d'un trouble excédant la gêne normalement attendue dans le cadre des relations de voisinage, évaluée par les juges en tenant compte des circonstances spécifiques pour la victime.
Ainsi, l'absence de faute ne constitue pas un moyen d'échapper à une condamnation et, inversement, la simple existence d'une faute ne suffit pas à caractériser un trouble anormal du voisinage. La jurisprudence a élargi la notion de voisinage au-delà des immeubles contigus englobant une aire de proximité où vivent plusieurs personnes. Pour qu'un trouble soit reconnu, il doit excéder les inconvénients normaux du voisinage et présenter un caractère continu et permanent.
Ce texte vise à consacrer dans la loi ces principes jurisprudentiels en introduisant dans le code civil le principe de responsabilité fondé sur les troubles anormaux de voisinage, avec une exception, liée notamment à l'antériorité du trouble constaté.
Je m'interroge sur la pertinence de cette initiative. Est-ce une priorité, pour notre commission, de traiter cette question alors que la jurisprudence a déjà défini avec précision les éléments constitutifs d'un trouble du voisinage et les exceptions qui l'entourent ? Introduire ou réformer la responsabilité civile sans un examen approfondi et sans certitude de l'efficacité de la mesure soulève un certain nombre de questions quant à la méthode employée.
Le code civil, comme les autres, n'a pas besoin d'être saturé et, s'agissant de troubles complexes à évaluer, l'appréciation du juge est précieuse. Il est évidemment louable de vouloir rendre le droit plus lisible mais il peut être préjudiciable de l'enfermer dans des dispositions strictes.
En l'état, notre groupe s'abstiendra, quoiqu'une évolution vers un vote favorable ne soit pas exclue.
Peut-on se plaindre de ce que sont certains territoires ? Le chant des coqs, des cigales ou des criquets, le tintement des cloches des églises sont-ils des nuisances contestables parce qu'incommodantes ou des symboles du monde rural qu'il convient de protéger ?
Les querelles de voisinage sont aussi vieilles que les relations humaines. Parfois, le bon sens et le dialogue permettent de régler le différend mais, dans un certain nombre de cas, les enjeux économiques, moraux, esthétiques, psychologiques sont tels que le trouble ne peut être que porté devant les tribunaux. C'est une construction prétorienne qui est venue répondre à la question, avec le désormais célèbre arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 1986 disposant que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage. Il s'agit d'une responsabilité sans faute, qui relève de l'appréciation souveraine du juge.
Dans un contexte de judiciarisation croissante des différends, il est sain et utile que le législateur intervienne. Tel est le sens de cette proposition de loi tendant à clarifier la jurisprudence et à l'adapter aux évolutions de la société et des rapports entre les individus. Son article unique introduit dans le code civil le principe de responsabilité sans faute pour trouble anormal de voisinage, consacré en 1986.
Cette codification est une manière de garantir une application homogène sur le territoire, mais cet article unique pose également une exception à ce principe, issue de la théorie de la préoccupation : respect de la législation, antériorité du trouble et poursuite de l'activité qui en est à l'origine dans les mêmes conditions. Les difficultés d'adaptation à la vie locale constituant le principal facteur d'échec des installations en milieu rural, l'inscription de ce garde-fou dans la loi favoriserait la conciliation des intérêts individuels entre les nouveaux venus et les acteurs déjà installés et permettrait de répondre aux légitimes préoccupations rurales.
En réformant le droit de la responsabilité civile, cette proposition de loi ne vise pas à entraver le développement des activités locales ou individuelles mais à établir un juste équilibre entre les droits de chacun. Selon notre groupe, elle offre une base suffisamment solide, propice à une qualité de vie paisible pour tous, ce qui est d'autant plus important que l'explosion des litiges entre voisins est symptomatique d'un climat social dégradé, d'un affaiblissement du lien social dont les premiers remparts sont les maires et leurs équipes. Ce sont eux qui, régulièrement, endossent le rôle de médiateur et de conciliateur. Les violences qu'ils subissent parfois, en retour, sont intolérables. Notre groupe réitère son soutien à tous les élus de proximité et votera en faveur de cette proposition de loi.
Cette jurisprudence de la Cour de cassation existe en effet depuis 1844 et nous devons précisément la conforter dans le code civil.
Pour la lisibilité du droit, il est plus cohérent d'inscrire au sein du même article le principe et son exception.
La théorie de la pré-occupation est garante de l'équilibre, en particulier dans le cadre de la responsabilité sans faute. J'ai d'ailleurs rappelé que cet équilibre avait été salué par le professeur Trébulle.
Les pollueurs doivent en effet répondre de leurs actes dès qu'ils enfreignent la loi. Nous ne changeons rien à ce principe.
La responsabilité civile n'est hélas jamais considérée comme une priorité. C'est précisément pourquoi une réforme d'ampleur de la responsabilité civile n'a jamais été examinée.
Nous avons en effet toujours encouragé les citoyens à recourir à la médiation, sujet sur lequel j'ai eu de surcroît l'occasion de travailler. Il nous faut continuer à encourager une résolution des conflits à l'amiable afin d'améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens.
Article unique
Amendement CL7 de M. Jean-François Coulomme
À l'alinéa 4, la mention « de plein droit » n'est pas utile et n'est pas conforme à la rédaction des autres responsabilités civiles de même régime, ce qui nuit à l'harmonie des dispositions du sous-titre consacré à la responsabilité extracontractuelle.
En effet, la responsabilité du fait des troubles anormaux du voisinage est une responsabilité civile délictuelle objective, comme l'a affirmé à nouveau avec force la Cour de cassation dans un arrêt récent de la troisième chambre civile du 16 mars 2022.
C'est précisément le propre de la responsabilité civile délictuelle dite objective d'être une responsabilité de plein droit, c'est-à-dire une responsabilité pouvant être établie sans qu'aucune faute ait été commise, la seule constatation du dommage anormal subi suffisant pour engager la responsabilité de celui qui a généré les nuisances. La jurisprudence est constante : dès 1982, la première chambre civile de la Cour de cassation l'affirmait déjà.
L'objectif de cette proposition de loi est précisément d'inscrire dans le code civil un principe jurisprudentiel. Il est donc tout à fait cohérent d'indiquer que c'est une responsabilité de plein droit, c'est-à-dire qui ne nécessite pas de démontrer l'existence d'une faute.
Contrairement à ce que vous indiquez, c'est une notion présente dans le code civil, notamment à l'article 1245-10 sur la responsabilité en cas de produits défectueux.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL8 de M. Jean-François Coulomme
Il n'est pas pertinent de créer un alinéa portant une exception au principe de la responsabilité de fait de troubles anormaux du voisinage.
Dans un avis du 16 janvier 2020 à propos de l'exclusion générale des nuisances sonores et olfactives du régime de cette responsabilité, le Conseil d'État considère que l'état actuel du droit permet d'ores et déjà d'assurer une protection équilibrée des intérêts en présence et estime donc que l'exclusion générale et absolue pourrait heurter le principe du droit d'agir en responsabilité et, plus généralement, du droit au recours effectif.
De plus, chacune des responsabilités civiles dispose d'exceptions jurisprudentielles qui ne figurent pas dans la loi : il n'est donc pas justifié de préciser la jurisprudence de cette exception en particulier et non celles des autres responsabilités.
Les professionnels du droit le répètent constamment, l'illisibilité de certains codes en raison de l'inflation législative nuit grandement à la compréhension de la règle de droit. Il importe donc que le législateur légifère de façon harmonieuse et cohérente avec les règles déjà en vigueur.
Avis défavorable. Vous souhaitez conserver le droit actuel, à savoir l'exception prévue par le code de la construction et de l'habitation. Nous faisons un autre choix, qui consiste à élargir cette exception pour assurer un meilleur alignement avec la responsabilité pour trouble anormal de voisinage. L'élargissement proposé ne concernerait que le champ d'application de l'exception actuelle, à savoir les personnes ayant subi le dommage et les activités l'ayant causé. Il ne s'agit pas, en revanche, de modifier les critères qui justifient l'exception et en limitent la portée.
Cet amendement est dangereux, monsieur Coulomme. Il va même à l'encontre de votre propre objectif. L'alinéa 4 de la proposition de loi prévoit un principe et l'alinéa 5 une exception liée à l'antériorité de l'activité. En supprimant cet alinéa, vous mettriez à mal toute la jurisprudence existante.
Madame la rapporteure, je vous proposerai peut-être une rédaction un peu différente en séance. Celle qui est prévue à ce stade revient à oublier que la jurisprudence fait référence à la conformité de l'exercice aux dispositions non seulement législatives mais aussi réglementaires en vigueur – il serait utile d'apporter une précision sur ce dernier point.
L'amendement CL10 de Mme la rapporteure permettra, me semble-t-il, de revenir sur cette question.
Prenons l'exemple d'un élevage porcin d'une cinquante de bêtes qui n'est à l'origine d'aucune plainte pour trouble de voisinage : si le nombre de têtes passe un jour de 50 à 500 dans les mêmes bâtiments et les mêmes conditions d'exercice, les trois critères cumulatifs pourront très bien être réunis malgré l'existence d'un réel trouble de voisinage, sur le plan sonore et olfactif. Nous serons donc vigilants à ce qui sera adopté en séance.
Je suis ravie de vous entendre parler d'agriculture, à un moment où on s'interroge beaucoup sur la souveraineté alimentaire. Il faut obtenir une autorisation préalable, notamment de la part de l'Agence de la transition écologique (Ademe) et de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), pour modifier ainsi un élevage porcin. S'agissant des nuisances olfactives, le code de l'environnement est extrêmement précis et strict. Je vous invite à vous rendre en Bretagne : je vous ferai visiter, si vous le voulez, une exploitation agricole gérée par une personne qui travaillait autrefois dans le secteur des parfums.
La commission rejette l'amendement.
Amendements CL10 de Mme Nicole Le Peih et CL6 de M. Jean-François Coulomme (discussion commune)
Mon amendement, rédactionnel, vise à clarifier la référence à « l'installation sur le fonds », qui concerne le requérant et non la personne à l'origine du trouble. Je crois, par ailleurs, que l'amendement permettra de répondre à la préoccupation exprimée par M. Terlier.
Nous souhaitons faire en sorte, par l'amendement CL6, que l'exception prévue à l'alinéa 5 ne s'applique pas aux activités relevant du régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Des évolutions pourraient intervenir, dans ce domaine, au cours de la vie d'une exploitation.
J'entends votre inquiétude. Néanmoins, je l'ai dit, la loi devra être respectée. Le code de l'environnement est complexe, mais adapté aux différentes activités, notamment agricoles. Je ne voudrais surtout pas qu'on imagine qu'il s'agit de donner un blanc-seing à quelque activité que ce soit.
L'amendement rédactionnel de la rapporteure, qui fait référence, en effet, à la conformité aux lois et aux règlements, me paraît de bonne facture.
Cela étant, il faudra faire attention à ne pas pénaliser l'évolution normale d'une activité agricole. Je ne suis pas du tout d'accord avec la notion de seuil à laquelle notre collègue de La France insoumise a eu recours : un élevage qui préexistait a le droit de s'agrandir dans le respect du cadre légal et réglementaire.
Je soutiens l'amendement de Mme la rapporteure. Ce texte permettra de répondre à la situation évoquée par M. Coulomme, qu'il s'agisse d'un élevage porcin ou d'un autre type d'activité. En cas d'évolution de la donne, par exemple si une exploitation passe de 50 à 500 têtes, un trouble anormal de voisinage pourra être retenu, ce qui correspond à la jurisprudence actuelle. Tout ce que dit la proposition de loi, c'est qu'il n'y aura pas d'indemnisation, à périmètre constant, si le trouble préexistait.
Il n'y a pas de raison, en revanche, de prévoir l'exemption demandée par l'amendement CL6. Si une ICPE préexistait, la notion de trouble anormal de voisinage ne pourra pas être retenue. En revanche, si une ICPE s'installe dans un voisinage au sein duquel elle cause un trouble anormal, le juge continuera à exercer son office. Sur ce point, le texte me semble équilibré.
Restons-en à un principe général, qui est aujourd'hui jurisprudentiel, mais que nous voulons introduire dans la loi pour le conforter. Dès lors qu'une action en responsabilité sera engagée sur le fondement d'un trouble anormal de voisinage, le juge se prononcera sur les éventuelles exceptions, notamment dans les cas particuliers évoqués par nos collègues.
La commission adopte l'amendement CL10.
En conséquence, l'amendement CL6 tombe.
La commission adopte l'article unique modifié.
Après l'article unique
Amendement CL5 de M. Jean-François Coulomme
Cet amendement, qui porte sur un sujet un peu connexe, tend à modifier le code de la construction et de l'habitation pour parfaire la connaissance, par les acheteurs d'un bien, de l'environnement de celui-ci.
Nombre de néoruraux sont étonnés, voire outrés par l'environnement dans lequel ils emménagent parce qu'ils avaient une conception peu réaliste, idéalisée, du monde rural, qu'ils pensaient exempt de toute nuisance, voire de tout héritage culturel. Il arrive donc qu'ils se lancent dans des actions en justice stériles, voire préjudiciables pour des voisins installés de longue date. Les conflits liés à des troubles de voisinage, par exemple du fait de nuisances sonores et olfactives, ne cessent ainsi d'alimenter la chronique. Chacun se souvient de l'affaire du coq Maurice et les affaires concernant des sonneries de cloches dans des petits villages.
Nous proposons d'apporter une solution à ce phénomène regrettable en reprenant une disposition figurant dans la proposition de loi du 8 février 2022 visant à réduire les actions en justice pour des troubles de voisinage, déposée par le groupe Gauche démocrate et républicaine. Nous souhaitons faire apparaître dans les actes authentiques de vente des biens l'ensemble des circonstances environnantes.
Il revient à chaque acquéreur de se renseigner sur l'environnement du bien. J'ai des doutes sur le caractère opérationnel de votre proposition : la mesure n'empêchera pas l'acheteur de poursuivre ses voisins et les diligences que vous évoquez n'auront pas un caractère opposable.
La théorie de la préoccupation devrait au contraire apaiser votre inquiétude. Un acquéreur doit s'être renseigné ; sinon, il peut se voir opposer l'antériorité de l'exploitation voisine en cas de trouble anormal de voisinage.
Le fait que la conciliation soit désormais obligatoire avant d'aller en justice favorise la résolution à l'amiable des conflits.
J'aborderai dans l'hémicycle à ce sujet l'affaire des nuisances olfactives d'une crêperie en Bretagne qui a fait la une d' Ouest France, premier quotidien français.
Avis défavorable.
C'est le code civil que la proposition de loi tend à modifier. Elle pourra s'appliquer au monde agricole, mais aussi au milieu urbain, qui connaît aussi des troubles de voisinage – avec des magasins, entre particuliers. En outre, le code de la construction et de l'habitation prévoit bien que chaque acquéreur s'informe de la situation de l'immeuble ou du terrain. Quand on achète un bien, le dossier constitué est énorme et toutes les informations y figurent.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La séance est levée à 16 heures 45.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Xavier Breton, Mme Clara Chassaniol, M. Jean-François Coulomme, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, M. Gilles Le Gendre, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Lebec, M. Emmanuel Mandon, Mme Naïma Moutchou, M. Hervé Saulignac, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Caroline Yadan
Excusés. - M. Éric Ciotti, Mme Marie Guévenoux, Mme Danièle Obono, M. Aurélien Pradié, M. Rémy Rebeyrotte, M. Davy Rimane
Assistaient également à la réunion. - M. Ugo Bernalicis, M. Paul-André Colombani, M. Paul Molac, Mme Laurence Vichnievsky