Vous proposez d'introduire dans le code civil une notion de responsabilité civile créée depuis des dizaines d'années par la jurisprudence : celle des troubles anormaux du voisinage. Du point de vue juridique, cette consécration d'une jurisprudence constante est la bienvenue puisqu'elle met fin à une lecture subjective de cette responsabilité pour l'introduire enfin dans la loi, aux côtés des autres responsabilités civiles délictuelles. En termes de sécurité juridique, de clarté et de lisibilité de la règle de droit, il est donc opportun d'intégrer cette responsabilité dans le code civil.
Malheureusement, une part d'ombre vient grandement restreindre la pertinence de ce texte puisqu'il prévoit, dans un second temps, la possibilité d'écarter cette responsabilité dans certains cas précis. Vous souhaitez en effet exclure l'engagement de la responsabilité du fait de troubles anormaux du voisinage lorsque ces derniers proviennent d'activités, quelle que soit leur nature, qui préexistaient à l'installation du plaignant, qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions et qui respectent la législation en vigueur.
Cette disposition s'inspire de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, lui-même très controversé depuis son adoption il y a un peu plus de quarante ans. Le juge judiciaire considère qu'il nie le droit d'agir en justice et instaure un véritable droit à polluer dans la mesure où il permet aux exploitants de poursuivre une activité nuisible sans que leur responsabilité puisse être engagée. L'abrogation de cet article fait, depuis son adoption, l'objet de fortes revendications, et le juge judiciaire mène une politique jurisprudentielle particulièrement restrictive s'agissant de l'application de ces dispositions, ce qui contribue à en restreindre significativement la portée. Dès 1981, l'avocat Francis Caballero évoquait « un texte juridiquement, écologiquement et techniquement indéfendable ». Plus récemment, Geneviève Viney, Patrice Jourdain et Suzanne Carval ont considéré, dans la quatrième édition de leur traité de droit civil, publiée en 2017, que cet article établissait, vis-à-vis du premier occupant, « une sorte de servitude légale de pollution » et qu'il tendait à « pérenniser les situations nuisibles à l'environnement ».
Vous pensez malgré tout qu'il convient d'introduire cette exception dans le code civil et même d'en étendre la portée. Tel que vous avez rédigé le second alinéa de votre article unique, vous ne limitez plus cette exception aux seules « nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques » – ce qui aurait déjà été très contestable –, vous l'élargissez aux troubles provenant de toute activité, quelle que soit sa nature, dès lors qu'elle préexiste à l'installation de celui qui s'en plaint.
Si cette exception est introduite ainsi dans le code civil, les jugements écarteront la responsabilité d'industriels, quelle que soit la nature du trouble causé. Se multiplieront alors les situations comme celle qu'a tranchée un arrêt de la Cour de cassation le 10 mars 2016 : la présence de pesticides dans l'eau de puits de riverains d'un industriel n'a pas ouvert droit à réparation devant le juge judiciaire dans la mesure où l'activité préexistait à l'installation des riverains demandeurs. Dans un contexte où les enjeux climatiques devraient nous faire prendre le chemin inverse, puisque l'on connaît l'impact des industriels dans le changement climatique, il est insensé d'adopter une telle mesure. Il est inconscient de restreindre le droit au dédommagement des individus alors que l'on sait qu'en l'absence d'interdiction pure et dure, la contrainte financière pesant sur les industriels est le seul rempart contre les comportements préjudiciables. Votre proposition de loi tend à légitimer de tels comportements plutôt que de les décourager.
Nous conditionnerons notre vote à la suppression d'une telle exception, l'introduction pérenne d'un principe jurisprudentiel dans le code civil nous semblant par ailleurs pertinente.