La proposition de loi que je défends porte sur la responsabilité civile en cas de trouble anormal de voisinage. Avant de vous présenter son article unique, j'aimerais faire un rapide état des lieux.
Cette responsabilité extracontractuelle est une création jurisprudentielle : elle ne repose sur aucune disposition législative mais sur un principe autonome révélé par la Cour de cassation en 1986, selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Il s'agit d'une responsabilité sans faute, objective. Il suffit que le juge constate l'anormalité d'un trouble pour que la responsabilité de la personne qui en est à l'origine soit engagée.
Qui peut donc voir sa responsabilité engagée ? Le propriétaire d'un bâtiment à l'origine de nuisances peut être tenu pour responsable, mais la jurisprudence a élargi ce principe au locataire et à l'occupant. Les tribunaux sont allés jusqu'à consacrer la responsabilité du « voisin occasionnel », à savoir du constructeur qui réalise des travaux dans le bâtiment.
Comment se caractérise l'anormalité du trouble de voisinage ? Elle est appréciée par le juge in concreto, c'est-à-dire au cas par cas. Je ne vous ferai pas un panorama complet de la jurisprudence en la matière, mais il ressort des décisions des juridictions que ces dernières apprécient non seulement la gravité et la durée du trouble, mais également le contexte dans lequel il se produit. Une même nuisance peut ainsi être anormale en contexte urbain mais complètement acceptable dans un contexte rural, et inversement.
J'en viens aux conditions exonératoires de cette responsabilité. Curieusement, la clause exonératoire de responsabilité, aussi appelée « théorie de la pré-occupation », résulte d'une disposition législative. Le législateur a en effet souhaité réduire la portée de la responsabilité sans faute en prévoyant que celle-ci pouvait être écartée par le juge lorsque trois critères cumulatifs sont réunis : l'activité à l'origine du trouble doit être antérieure à l'installation du requérant, s'être poursuivie dans les mêmes conditions et respecter la législation en vigueur.
Le champ d'application de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation est toutefois restreint, s'agissant tant des activités concernées – seuls les dommages causés par des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques font l'objet de cette disposition – que des personnes susceptibles de l'invoquer, qui se limitent aux occupants du bâtiment. La jurisprudence a ainsi exclu l'application de cet article aux rapports entre copropriétaires.
Si certains ont vu dans cette disposition un « droit à polluer » accordé au premier occupant, le Conseil constitutionnel a rappelé en 2011, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), que les obligations réglementaires et législatives à respecter incluaient « celles qui tendent à la préservation et à la protection de l'environnement ». À la suite de cette décision, le professeur de droit François-Guy Trébulle a d'ailleurs qualifié la clause exonératoire de « règle recherchant un équilibre entre des impératifs également légitimes et s'insérant de manière cohérente avec la dynamique environnementale ».
La situation est donc assez inhabituelle : c'est la jurisprudence qui fixe le principe de l'interdiction des troubles anormaux du voisinage et c'est la loi qui prévoit une exception.
J'en viens au dispositif de cette proposition de loi, qui introduit dans le code civil un nouvel article 1253 comportant deux alinéas.
Le premier codifie la théorie de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage. Il s'inscrit dans la continuité de plusieurs projets de réforme de la responsabilité civile – je pense à ceux des professeurs Catala et Terré, ou encore à celui présenté par le ministre Urvoas en mars 2017. Cet alinéa reprend, à une exception près, les principes dégagés par la jurisprudence. La rédaction que je vous propose écarte en effet la responsabilité sans faute du constructeur, qui a été remise en question par plusieurs universitaires. S'agissant de troubles occasionnés par des travaux, de deux choses l'une : soit le constructeur a commis une faute, et sa responsabilité pour faute peut alors être engagée, soit les troubles sont occasionnés par les travaux eux-mêmes, auquel cas il revient plutôt au propriétaire d'en répondre.
Le second alinéa inscrit dans le code civil la clause exonératoire de responsabilité en énumérant les trois critères cumulatifs nécessaires à son application : l'antériorité de l'activité, la conformité à la législation et la poursuite de cette activité dans les mêmes conditions. Il élargit par ailleurs le champ d'application de la théorie de la préoccupation : toutes les activités seront concernées – y compris les activités sportives, par exemple –, de même que l'ensemble des troubles constatés, qui ne se limiteront donc pas aux dommages causés aux occupants d'un bâtiment.
Cette proposition de loi présente à mes yeux deux mérites : elle inscrit dans le code civil une construction jurisprudentielle pour rendre le droit plus lisible et accessible à l'ensemble de nos concitoyens ; elle élargit la clause exonératoire de responsabilité sans pour autant donner un blanc-seing aux responsables de troubles anormaux du voisinage.
Je crois fermement que, sur ce sujet, il est nécessaire de trouver un juste équilibre qui préserve les intérêts de chacun. Cette préoccupation est d'ailleurs partagée par plusieurs groupes, en particulier par les groupes GDR-NUPES et LR, qui ont déjà déposé des propositions de loi sur ce sujet.
J'entends les inquiétudes relatives au second alinéa, mais l'objectif de cette codification n'est pas d'aller contre les juridictions ni de priver les justiciables de leur droit au recours. L'alinéa reprend d'ailleurs à l'identique les critères cumulatifs figurant déjà dans le code de la construction et de l'habitation. Il ne s'agit pas d'exonérer de toute responsabilité les acteurs du monde économique, mais bien de trouver le juste équilibre permettant à tous de mieux vivre ensemble au quotidien.