La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Araud, ambassadeur de France, ancien ambassadeur en Israël, à l'Organisation des Nations Unies et aux Etats-Unis, sur la situation en Israël et dans les territoires palestiniens.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
La séance est ouverte à 11 h 00
M. Gérard Araud, que nous connaissons tous et avec lequel nous aurons le grand bonheur de discuter ce matin, est ambassadeur de France et il dispose d'un héritage extraordinaire car il a joué un rôle particulièrement précieux dans les affaires qui nous occupent. En effet, il a successivement exercé les fonctions d'ambassadeur en Israël, à l'Organisation des Nations Unies (ONU) et aux États-Unis.
Lorsque vous avez été en poste à Tel-Aviv, en tant que premier secrétaire de 1982 à 1984, puis en tant qu'ambassadeur de 2003 à 2006, vous avez été témoin de la construction de cette nouvelle organisation politique de l'État d'Israël. Vous avez également suivi les questions du Moyen-Orient au centre d'analyse et de prévision du ministère des affaires étrangères (CAP), entre 1984 et 1987.
Nous sommes particulièrement heureux de vous entendre en raison de votre compréhension de la dynamique interne à l'État hébreu. Comment analysez-vous les modifications structurelles, sous l'autorité actuelle du premier ministre d'Israël, par rapport à des positions antérieures, dont l'image emblématique était fournie par Yitzhak Rabin ? Comment en est-on arrivés à cette évolution du rapport d'Israël à son entourage ? Nous sommes convaincus que le 7 octobre n'est pas né de rien mais est la conséquence de nombreux facteurs, dont notamment les évolutions intérieures de l'État israélien.
Vous avez également été représentant permanent de la France au Conseil de sécurité et chef de la mission permanente de la France auprès des Nations Unies. J'ai toujours présente à l'esprit la formule du général de Gaulle au sujet de cette Organisation : l'organisation des nations unies, ou plutôt l'organisation des nations désunies ou, mieux encore, la désorganisation des nations désunies. Votre éclairage sur le fonctionnement du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale des Nations Unies sera extrêmement précieux. La communauté internationale, bien que plus internationale que communautaire, se matérialise dans les travaux de New York et vous êtes certainement particulièrement qualifié pour nous éclairer.
Enfin, l'évolution américaine est très difficile à saisir. Nous sommes évidemment très satisfaits du cours que M. Biden a donné à sa politique depuis son élection par rapport à celle du président Trump, ce qui ne veut pas dire que nous soyons tout à fait satisfaits de l'ensemble des décisions prises par l'administration américaine, notamment sur le plan économique et social. Nous constatons la vive concurrence avec l'Union européenne et la difficulté de celle-ci à faire face à cette nouvelle concurrence représentée par le plan américain. Sur le plan international, nous sommes tout de même sensibles aux efforts de M. Biden pour apporter de la modération dans ce conflit. Cependant, nous observons également les difficultés de la France à se distinguer de manière claire et cohérente par rapport à la politique américaine actuelle. Au-delà de la responsabilité que vous avez eue, votre regard sur la politique américaine et, par contraste, sur la politique européenne – voire sur l'absence de politique européenne – est important. Je suis un Européen convaincu mais j'ai l'habitude de dire que je ne suis pas pour autant un Européen heureux et je mesure chaque jour les insuffisances de notre politique.
Nous attendons de vous un éclairage sur ce qui s'est produit et sur les représentations que les Israéliens, à la fois le gouvernement et l'opinion publique, peuvent se faire de leur avenir. Nous attendons également de vous un examen précis de la situation. Je suis actuellement interpelé par l'incompréhension de la position structurelle de l'État israélien. Nous sommes en pleine discussion sur la trêve, le cessez-le-feu et d'autres considérations, mais nous avons une extrême difficulté à percevoir le concept géostratégique – et donc géopolitique – du gouvernement israélien lorsqu'il mène la guerre, qui constitue normalement une continuation de la politique par d'autres moyens. Nous observons la mobilisation de forces militaires importantes et les dégâts causés ici et là, notamment de manière terrible dans la bande de Gaza. Cependant, nous avons du mal, même si elle existe, à comprendre quelle est la vision finale que l'État israélien donne à ce conflit et comment il souhaite organiser structurellement ses relations avec son environnement. En tant qu'Européens, nous avons toujours promu la vision de deux États et nous avons plaidé en faveur d'une relation d'apaisement et de compréhension réciproque, dans laquelle les aspirations légitimes du peuple palestinien sont prises en compte pour assurer la sécurité et la sérénité durables d'Israël.
Actuellement, nous sommes à l'opposé de cette situation et il nous est difficile de définir notre position. J'ai évoqué brièvement votre carrière diplomatique mais j'aurais également pu mentionner votre carrière littéraire. Depuis que vous avez quitté vos fonctions d'ambassadeur, votre fécondité éditoriale est extraordinaire. Vos nombreux livres, notamment celui sur Kissinger et Nous étions seuls – qui m'a particulièrement touché –, témoignent d'une analyse approfondie. En tant que membre de cette vieille génération imprégnée de la mémoire de nos parents entre 1914 et 1945, je vous recommande vivement ce livre, chers collègues, car il aborde le problème fondamental de la solitude française.
En synthèse de ce propos liminaire, que veulent Israël et les États-Unis ? Qu'est-ce que ces derniers peuvent faire ? Que risquent-ils de ne plus faire si M. Trump était élu dans un an ? Qu'en est-il de cette malheureuse Europe qui balbutie des idées justes mais peine à les concrétiser en actes forts ?
Il se trouve que j'ai sans doute une fécondité éditoriale car je suis actuellement en train d'écrire un livre sur Israël. Il y a six mois, mon éditeur en avait rejeté l'idée, soutenant qu'il ne se vendrait pas, mais il m'a rappelé il y a deux semaines pour me dire que, finalement, je pouvais m'y atteler.
Lorsqu'Israël a conquis la Cisjordanie en juin 1967, Ben Gourion avait déclaré : « Si nous ne partons pas tout de suite, nous ne partirons jamais ». Le problème central de la Cisjordanie réside dans le fait qu'elle est la terre de la Bible. Ainsi, vous avez un double blocage.
D'abord, le premier blocage est d'ordre sécuritaire car établir un État palestinien en Cisjordanie signifierait avoir un État palestinien à 14 kilomètres de Tel-Aviv et à 5 kilomètres de l'aéroport Ben Gourion : une roquette suffirait à arrêter le pays. Du fait de l'histoire tragique du peuple juif et de l'histoire d'Israël, les Israéliens ne recherchent pas simplement la paix mais la sécurité. Israël est en guerre depuis 1948 et les Israéliens ont l'habitude, d'une certaine manière, de vivre dans ces conditions. Ensuite, cette sécurité ne peut être assurée que par eux-mêmes car, toujours en raison de l'histoire, les Israéliens ne font confiance à personne, pas même aux États-Unis, pour leur sécurité. Toute idée d'une force internationale, arabe ou des Nations Unies n'a donc aucune chance d'être acceptée par un pays qui a été quelque peu rendu paranoïaque par son passé. Le premier obstacle pour la Cisjordanie est donc la question de la sécurité. Ce qu'il s'est passé à Gaza et les évènements du 7 octobre n'encouragent pas les Israéliens à faire des concessions supplémentaires, surtout pour une Cisjordanie proche du cœur même de l'État hébreu.
Le deuxième blocage est le problème religieux : la Cisjordanie est la terre de la Bible. Nous y avons assisté à la rencontre quelque peu mortifère entre la religion et le nationalisme. Vous avez toute une droite nationale religieuse et, lorsque les Juifs étaient dans le shtetl, en Pologne ou ailleurs, ils priaient au rythme agricole de la Palestine. La terre de la Bible correspondait donc à une réalité quelque peu spirituelle. Aujourd'hui, cette terre s'incarne dans des lieux car chacun a pris sa Bible et a identifié des auteurs, en Cisjordanie, à tel ou tel épisode biblique. Des milliers de colons israéliens se sont donc installés en Cisjordanie, affirmant que cette terre leur avait été donnée par Dieu et qu'il était hors de question d'y renoncer. Actuellement, profitant de la tragédie de Gaza, on observe des colons israéliens se livrant à des violences aux dépens des Palestiniens. Celles-ci reviennent en quelque sorte à faire un nettoyage ethnique au détail. Ces colons profitent de la situation pour se débarrasser de villages gênants, voire d'une petite agglomération ou d'une famille.
Cependant, je ne connais pas de gouvernement israélien, même concevable aujourd'hui, qui serait capable de rapatrier ces colons. En Cisjordanie, au-delà de la ligne verte, c'est-à-dire la ligne d'armistice de 1949-1967, il y a environ un demi-million d'Israéliens. Entre trois-cent cinquante mille et quatre-cent mille d'entre eux sont situés dans des blocs proches de Jérusalem et, en effectuant des rectifications de frontières assez minimes, on parviendrait à les intégrer dans Israël. Mais il resterait alors environ une centaine de milliers de colons armés, déterminés et qui ne sont pas simplement des colons économiques. J'avais un chauffeur à l'ambassade qui habitait dans l'une de ces colonies et qui me disait qu'il avait bénéficié de prêts à taux bas, car l'État favorise la colonisation, et que l'air y était bon, le tout étant situé à 30 kilomètres de l'ambassade. Les colons économiques pourraient rentrer assez aisément en Israël, moyennant indemnisation, mais il existe aussi ces colons idéologiques. De temps en temps, très rarement, certaines de ces implantations sont illégales, même au regard du droit israélien ; l'État décide parfois de les évacuer par la force, ce qui crée un mélodrame national, alors que ces actions concernent dix ou quinze excités sur une colline. Ces interventions de l'armée font la première page des journaux, donnant l'impression que le pays entier est plongé d'un seul coup dans un mélodrame.
Pour cette double raison, à la fois sécuritaire et idéologique, il me semble aujourd'hui très difficile d'imaginer la création d'un État palestinien viable et contigu. L'opinion publique israélienne est majoritairement apathique. Par conséquent, il y a : d'un côté, les colons et ceux qui les soutiennent, c'est-à-dire principalement l'extrême droite nationale religieuse qui veut conserver à tout prix la Cisjordanie et est prête à mourir pour elle ; de l'autre côté, l'opinion publique qui fait preuve d'une certaine indifférence à ce sujet. Cette indifférence s'explique d'abord par une raison pratique : les Israéliens n'ont, en effet, pas le droit d'aller en Cisjordanie et la plupart d'entre eux ne la connaissent pas car, pour vous y rendre, vous devez y être domicilié. De plus, le statu quo représentait la solution la plus confortable et aucune alternative ne se présentait. Les colons ont donc grignoté peu à peu la Cisjordanie mais les Israéliens de Haïfa et de Tel-Aviv se contentaient de cette situation. De plus, le statu quo permettait à Israël de faire à peu près ce qu'il voulait en Cisjordanie, une région à laquelle les Israéliens sont attachés principalement pour des raisons religieuses et de sécurité.
Il faut également noter l'évolution politique de l'État d'Israël, avec la disparition progressive de la gauche et un déplacement du spectre politique vers la droite au fil des années. Aujourd'hui, nous avons un Israël très différent de celui que j'ai connu en 1982. Il est également différent de l'Israël de 2003. Les ministres ne sont même pas d'extrême droite mais d'ultra droite, tels MM. Smotrich ou Ben-Gvir, dont le programme est proprement effrayant. Cette situation reflète un Israël très différent de celui des années précédentes, marqué par des changements significatifs dans le paysage politique, bien que cela ne signifie pas un soutien massif à la conservation de la Cisjordanie.
J'ai déjeuné hier avec des amis israéliens et, même si nous rêvons tous qu'on en revienne à la négociation après cette tragédie, ils m'ont répondu : « moins que jamais ». Ils me disaient que le traumatisme subi par le peuple israélien rendait difficile d'imaginer que les Israéliens se mettraient autour de la table pour faire des concessions. En effet, avec l'actuelle position de force d'Israël, une négociation lui demanderait de faire des concessions, ce que nous ne pouvons pas vraiment espérer en ce moment. Ce sera peut-être le cas dans cinq ou dix ans.
Cette situation me semble désespérante car des êtres humains sont déjà morts et sont en train de mourir. Elle est aussi désespérée car je ne vois pas comment il est possible de s'en sortir par le haut. D'ailleurs, un diplomate n'a souvent aucune idée de la manière de se débrouiller lorsqu'il utilise cette expression.
Cependant, il est important de rappeler que l'Iran ne semble pas vouloir s'impliquer directement et les États-Unis ont renforcé leur présence avec deux porte-avions en Méditerranée orientale pour l'en dissuader. Au sein du monde arabe, tous les gouvernements auxquels je pense seraient ravis de l'éradication du Hamas. En effet, pour tous les gouvernements arabes, et en particulier l'Égypte, ainsi que les monarchies du Golfe, le Hamas est l'ennemi absolu. Sans opinion publique, ceux-ci regarderaient ailleurs. D'ailleurs, la Ligue arabe s'est réunie et n'a pas pris la moindre décision contre Israël. Elle n'a même pas demandé le rappel des ambassadeurs. Il existe une véritable collusion – ou un rapprochement – entre Israël et les pays arabes face au Hamas, qui est cependant extrêmement populaire dans les opinions publiques. Bien qu'ils soient autoritaires, ces États doivent faire le minimum syndical pour répondre à la colère ou à la pression de leur opinion publique. Sauf s'ils durent vraiment, je ne vois pas pour le moment de risque d'extension au-delà d'Israël des évènements auxquels nous assistons aujourd'hui et qui sont suffisamment tragiques.
Je ne suis pas expert militaire et je ne peux pas prédire ce qu'Israël pourra accomplir. Nous devrons attendre de voir comment se déroulera la campagne militaire et quels seront les objectifs qu'Israël cherchera à atteindre. Actuellement, je ne suis pas en mesure de formuler quelque chose qui me semble intelligent sur cette question.
En ce qui concerne les États-Unis, l'évènement récent a révélé un point fondamental : on ne fait pas pression sur Israël pour le forcer à agir contre sa volonté, notamment lorsque la sécurité nationale est en jeu. Les États-Unis, avec leur longue expérience d'Israël, ont adopté une stratégie consistant à prouver qu'ils sont les meilleurs amis d'Israël dans l'espoir de gagner sa confiance et d'influencer sa politique. Cette stratégie s'est manifestée par la fourniture d'armements, un soutien politique et l'envoi de deux groupes aéronavals en Méditerranée orientale.
Cependant, Israël continuera à suivre ses objectifs militaires et politiques jusqu'à ce qu'il estime les avoir atteints. Je ne connais d'ailleurs pas ceux-ci. Nous voyons là les limites de l'influence de la communauté internationale, en particulier des États-Unis. Les Européens n'ont quant à eux pas la moindre influence à Jérusalem. Par ailleurs, les États-Unis assistent à la profonde division au sein du Parti démocrate, ce qui aggrave la situation du président sortant pour les élections de novembre 2024. Historiquement unanime dans son soutien à Israël, le parti démocrate révèle désormais une fracture, avec une sympathie croissante pour la cause palestinienne au sein de la gauche démocrate. Cette fracture s'ajoute aux défis nombreux auxquels est déjà confronté Joe Biden, notamment après la guerre en Ukraine, compliquant sa tâche de rassembler l'ensemble de la gauche en vue des élections de novembre 2024.
En ce qui concerne les questions françaises et européennes, comment analysez-vous le passé de notre politique au Moyen-Orient et vis-à-vis d'Israël ? Il est indéniable que depuis sa création, nous avons eu des interventions extrêmement lourdes, en contribuant y compris dans le domaine nucléaire.
Lorsque j'ai rencontré le président Peres, le nom de Bourgès-Maunoury avait immédiatement suscité un sentiment de reconnaissance. En effet, la IVe République a construit la force de dissuasion avant que celle-ci ne soit reprochée au général de Gaulle. Elle a notamment fourni aux Israéliens un ensemble d'informations et de moyens qui ont contribué à leur équipement. Nous avons également eu les déclarations du général de Gaulle, ainsi que sa politique, en particulier après la guerre des Six Jours.
Il a aussi existé le maintien d'une correspondance régulière entre le président Ben Gourion et le général de Gaulle. En effet, ce dernier a reçu une lettre de Ben Gourion le lendemain de sa mort. Ensuite, nous avons eu des engagements précis, conduisant les Européens à adopter la déclaration de Venise pour les deux États. Le président Chirac a, quant à lui, laissé un souvenir d'agacement vis-à-vis des autorités israéliennes lorsqu'il s'est promené à Jérusalem, tandis que le président Sarkozy avait prononcé un discours à la Knesset. Comment analysez-vous ces éléments, à la fois pour le passé, le présent et l'avenir ?
Je ne vais pas retracer l'historique des relations franco-israéliennes mais, lorsque j'ai été nommé ambassadeur en Israël en 2003, j'ai été chargé d'une mission claire par Jacques Chirac et Dominique de Villepin : améliorer les relations bilatérales, qui étaient alors très dégradées, entre Israël et la France. Nous parlons d'ailleurs généralement de « politique arabe de la France », ce qui n'est pas perçu positivement par les Israéliens.
Nous avons toujours affirmé que notre politique était équilibrée. Elle l'était, certes, du point de vue de Paris mais pas du point de vue de Jérusalem. En synthèse, l'État d'Israël considérait la France comme une puissance inamicale. À mon arrivée en Israël en 2003, Dominique de Villepin avait signé un accord-cadre visant à améliorer les relations franco-israéliennes, ce qui représentait une décision très forte de la France. On peine maintenant à imaginer que des figures du gaullisme comme Dominique de Villepin et Jacques Chirac aient pu jouer un rôle dans l'amélioration des relations bilatérales mais ce fut bien le cas.
Je suis donc arrivé avec ces instructions positives et j'ai constaté à quel point le divorce était consommé pour les Israéliens. Nous avons toutefois réussi à transformer un divorce acrimonieux en quelque chose de plus clair, ne sachant pas si l'on peut considérer qu'un divorce puisse être amical. Pour les Israéliens, la France était considérée comme une puissance pro-arabe et favorable aux Palestiniens.
De toute évidence, les Israéliens préféraient avoir les États-Unis comme médiateur, un médiateur extrêmement puissant et amical à leur égard. Ainsi, du point de vue des intérêts nationaux israéliens, la médiation américaine était privilégiée et il ne fallait rien attendre des Européens, qui allaient soutenir les Palestiniens ou la cause palestinienne d'une manière ou d'une autre. Concrètement, il existait un déséquilibre en faveur d'Israël et il n'allait pas de son intérêt de le modifier. Malgré nos efforts, y compris la visite de François Mitterrand et le discours de Nicolas Sarkozy, la relation franco-israélienne est restée relativement tiède. Les Israéliens avaient tourné la page après l'extraordinaire lune de miel franco-israélienne, qui s'est étendue de 1949 à 1967, une époque où l'armée israélienne était équipée de Mirage.
En 1982, lors de ma première visite en Israël, j'ai entendu dire qu'on dansait en français à Tel-Aviv avant 1967. À cette époque, du point de vue israélien, la France de la Résistance est devenue la France de Vichy. Israël nous a longtemps perçus comme une puissance inamicale et – je caricature à peine – vendue au pétrole arabe pour des raisons mercantiles. Depuis la décision de Jacques Chirac et Dominique de Villepin, suivie et amplifiée par Nicolas Sarkozy, puis poursuivie par François Hollande et Emmanuel Macron, nos relations ont évolué vers des relations d'État à État plutôt tièdes.
Une question supplémentaire pour l'ambassadeur en poste sur place concerne l'importance de la communauté expatriée, c'est-à-dire la communauté franco-israélienne. Lorsque j'étais en Israël en 2006, environ quatre-vingt-dix mille Franco-Israéliens y étaient présents mais, aujourd'hui, ils sont environ cent quatre-vingt mille personnes en raison de l'accélération de l'Alya, qui s'explique principalement par la montée des actes antisémites en France. Nous pouvons en effet presque établir une corrélation entre les actes antisémites graves et une augmentation de l'Alya. Ceux-ci ont été nombreux et des personnes sont mortes en France parce que juives, comme avec l'école Ozar-Hatorah, l'Hyper Cacher ou les assassinats d'Ilan Halimi, Sarah Halimi et Mireille Knoll. Entre 2014 et 2016, période marquée par les attentats que vous connaissez, plus de vingt mille juifs français ont fait leur Alya et ont rejoint Israël. Cet élément de la relation bilatérale n'est pas le plus simple à gérer pour l'ambassadeur de France en Israël.
La France a souvent joué un rôle de médiateur et de facilitateur dans les négociations entre Israéliens et Palestiniens et elle a soutenu les efforts internationaux visant à parvenir à une solution négociée et pacifique. Notre pays a maintenu une position constante en faveur de la solution à deux États, considérée comme la voie la plus viable pour résoudre le conflit en reconnaissant les aspirations légitimes des deux parties. Dans une démarche constructive, elle a parfois lancé des initiatives diplomatiques indépendantes pour relancer les pourparlers de paix.
Face à l'impasse du processus de paix, la France a organisé une conférence ministérielle pour la paix au Proche-Orient en juin 2016, en présence d'une trentaine d'États et d'organisations internationales, afin de renouveler la mobilisation de la communauté internationale et de relancer une dynamique de paix. Dans la continuité de cette initiative, s'est tenue le 15 janvier 2017 à Paris la conférence internationale pour la paix au Proche-Orient, à laquelle plus de soixante-dix États ont participé. L'objectif était triple : réaffirmer la nécessité de mettre en œuvre la solution des deux États pour établir une paix durable, assurer la détermination de la communauté internationale à contribuer à la paix au Proche-Orient et présenter des pistes d'action pour poursuivre la mobilisation sur le long terme.
Par ailleurs, la France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, a également joué un rôle dans les discussions et les résolutions liées au conflit israélo-palestinien au sein de cette instance internationale. Outre son rôle au Conseil de sécurité, notre pays a contribué à des missions de maintien de la paix et d'observation dans la région, soutenant ainsi les efforts de stabilisation et de prévention des conflits.
Quelle évaluation feriez-vous des médiations passées impliquant la France et quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Quel rôle la France peut-elle jouer au sein des instances internationales, telles que l'ONU, pour favoriser une résolution juste et durable du conflit ?
La réunion que vous mentionnez au début de 2017 était un évènement assez curieux, c'est-à-dire une conférence de paix à laquelle ni les États-Unis, ni Israël n'ont assisté. En effet, Donald Trump venait d'être élu et son administration m'avait demandé de reporter la conférence, déclarant ne pas encore connaître les dossiers ni la manière d'agir. Cette position me semblait d'ailleurs relever du bon sens. La conférence a cependant eu lieu mais sans la participation des Américains et des Israéliens, et je ne sais pas à quoi elle a pu servir.
En regardant vers l'avenir, la question de la relance du processus de paix se pose. Personnellement, j'aurais tendance à dire que les deux parties ne peuvent pas parvenir à la paix par elles-mêmes. D'un côté, un gouvernement d'extrême droite ne souhaite pas lâcher la Cisjordanie et, de l'autre côté, il y a le Hamas, avec lequel on ne veut pas négocier. Il faut donc une mobilisation de la communauté internationale, impliquant les pays arabes et européens qui pourraient dire aux Israéliens et aux Palestiniens : « Si vous vous asseyez autour de la même table, nous pouvons vous offrir ceci ». Les Arabes pourraient aussi indiquer qu'ils contribueront à la reconstruction de Gaza, etc. La France peut jouer un rôle dans cette démarche mais elle doit le faire discrètement. Je crains cependant que ce ne soit pas l'un des talents principaux de la diplomatie française. En effet, on adore monter sur la scène, quitte à recevoir des tomates.
Je pense qu'il faut prendre sa canne, son chapeau et ses gants beurre frais pour aller voir discrètement les Saoudiens, les Émiratis et les Américains, afin de progresser. Il faut être imaginatifs et, pourquoi pas, associer la Palestine, Israël et la Jordanie à l'Union européenne. On peut également réfléchir au sujet des relations avec l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Essayons d'être imaginatifs mais dans la plus grande discrétion, même si ce processus n'a qu'une chance sur cent d'aboutir.
Depuis l'odieuse attaque d'Israël par le Hamas le 7 octobre dernier, qui a fait plus de mille quatre-cents morts, dont une quarantaine tout de même de nos compatriotes, il m'apparaît – et j'imagine que c'est le cas de nombreux pays qui sont des parties prenantes dans cette région – que la voix de la France est particulièrement confuse. Nous nous cantonnons ainsi à une forme de passivité, alors qu'hier encore, la diplomatie française aurait joué un rôle d'intermédiation. D'un soutien conditionnel à Israël à une exhortation à cesser les bombardements, en passant par une coalition internationale pour lutter contre le Hamas, plus personne ne suit la fameuse « pensée complexe » du président de la République, si mal adaptée à l'Orient compliqué où il faut se rendre avec des idées simples.
Je crois, au contraire, que la constance est une vertu cardinale en diplomatie. La constance ne consiste pas à commenter au jour le jour la riposte légitime d'Israël pour éradiquer le mouvement terroriste du Hamas mais à continuer, malgré son caractère quasi-irréaliste du fait du traumatisme vécu par les Israéliens, à promouvoir une solution politique pour cette région qui est le berceau de tant de civilisations. L'objectif de cette solution, qui est celle de la France, correspond à deux États dans des frontières reconnues.
Le peuple israélien et le peuple palestinien méritent considération et respect. En tant que défenseur farouche de l'égalité en dignité et en droits de tous les peuples et toutes les nations, je pense que la reconnaissance de ces principes par les acteurs est un préalable nécessaire pour relancer les négociations vers cet objectif très ambitieux et incontournable de la paix dans cette région. Nonobstant les propos désespérants ou désespérés que vous avez tenus – et que nous voulons croire conjoncturels –, les pays arabes ont-ils vraiment la capacité de venir politiquement à bout du Hamas ? Si oui, qui et au bénéfice de qui ? N'est-ce pas là la condition nécessaire, même si elle n'est pas suffisante, à une potentielle relance d'un processus de paix ?
À la lumière de votre très longue expérience, pourriez-vous nous éclairer sur ce qu'attendent de la France les pays du Proche-Orient ?
Les pays arabes ont noué dans les faits une alliance avec Israël, basée sur le principe classique des relations internationales : « L'ennemi de mon ennemi est mon ami ». Comme l'ennemi commun est l'Iran, les monarchies du Golfe et l'Égypte travaillent étroitement avec Israël, notamment dans les domaines de la sécurité. Les accords d'Abraham constituent une réussite américaine et ont permis aux États-Unis de se retirer de la région, tandis qu'Israël devenait le garant de la sécurité des monarchies du Golfe face à l'Iran. Aujourd'hui, Israël joue toujours ce rôle.
Deux conditions sont essentielles pour envisager l'avenir et relancer le processus de paix. La première consiste à rassurer l'opinion publique israélienne en lui assurant que sa sécurité serait garantie dans le cadre d'un processus de paix. La deuxième correspond à l'émergence d'un leadership démocratique du côté palestinien, prêt à s'engager dans une logique de paix. Ces deux conditions sont cependant extrêmement difficiles à réunir.
Du côté palestinien, d'une part, le Hamas ne sera pas accepté comme interlocuteur par Israël et, d'autre part, l'Autorité palestinienne, bien que les Israéliens aient leur part de responsabilité, est discréditée, corrompue, inefficace et ne représente plus les Palestiniens. Est-il possible de faire apparaître un leadership dans ces conditions ? Je n'en sais rien.
La situation est d'ailleurs plus paradoxale et contradictoire qu'on ne le pense. Je suis quasiment sûr que pratiquement tous les Palestiniens de Cisjordanie parlent couramment l'hébreu et regardent la télévision israélienne plutôt que la télévision palestinienne. Les Palestiniens ressentent en outre une certaine fatigue. En effet, en Cisjordanie, beaucoup de jeunes Palestiniens ne supportent plus la situation et aspirent à une vie normale. D'ailleurs, beaucoup ne croient même plus à la solution des deux États. À force de voir des grues sur toutes les implantations israéliennes, les Palestiniens se résignent à l'idée que les Israéliens ne partiront pas et ont le sentiment que les pays arabes les ont abandonnés, puisque ces derniers ont complètement déserté la cause palestinienne. Le produit intérieur brut (PIB) d'Israël est d'ailleurs vingt-cinq fois supérieur à celui des territoires palestiniens : le rapport de force est sans appel. Je ne sais pas s'il est possible de permettre l'émergence d'un leadership mais cette condition est nécessaire.
Les Européens pourraient peut-être jouer un rôle car nous connaissons ces Palestiniens. Du côté israélien, il est également nécessaire d'avoir un interlocuteur prêt à négocier sur la base de la solution des deux États. Actuellement, cette perspective semble encore lointaine avec le gouvernement en place. Vous comprenez donc peut-être mieux les raisons de mon sentiment de désespoir.
Nous vous avons fait venir pour nous guérir de notre désespoir mais vous partagez l'anxiété d'une grande partie des membres de cette commission.
Vous avez utilisé des termes forts pour décrire la situation en Cisjordanie, employant même l'expression de « nettoyage ethnique au détail ». Vous avez également souligné le blocage résultant de deux formes de fusion entre nationalisme et religion, représentés par le Hamas, d'un côté, et le gouvernement d'extrême droite d'Israël, de l'autre. Vous avez enfin exprimé votre scepticisme quant à la possibilité de revitaliser l'Autorité palestinienne. Je me permets de vous relancer car il faut des interlocuteurs pour la paix mais les principaux acteurs actuels n'y sont pas favorables. Par conséquent, que faudrait-il faire ?
Vous avez toutefois fait part d'un relatif optimisme sur les risques d'extension du conflit mais pourriez-vous revenir sur la situation au Sud-Liban ? Sept-cents soldats français sont sur place et la situation y est très tendue. Avez-vous des craintes relatives à une extension du conflit dans cette région ?
Vous avez rappelé que votre mission de 2003 visait à améliorer les relations avec Israël, ce qui montre qu'on peut être en faveur d'une solution à deux États et ne pas être anti-israélien car la feuille de route avait été donnée par Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Je rappelle qu'auparavant, François Mitterrand avait exprimé son soutien à Israël à la Knesset tout en appelant à la création d'un État palestinien. Il a d'ailleurs joué un rôle dans les accords d'Oslo.
Dans le contexte actuel, comment percevez-vous les frictions qui semblent exister au ministère des affaires étrangères ? Je renvoie notamment à la lettre de certains ambassadeurs qui craignent la disparition d'une voix alternative de la France. Quelle serait-elle ?
Malgré une certaine illisibilité de la position française, le président de la République a tout de même parlé d'un cessez-le-feu. Je suis d'ailleurs étonné de n'avoir entendu aucune réponse officielle après les accusations d'antisémitisme contre le président de la République sur une chaîne télévisée en français. Comment interprétez-vous cela ? Comment auriez-vous réagi en tant qu'ambassadeur dans cette situation ?
Les diplomates ont souvent des états d'âme et nous constituons une catégorie un peu fragile psychologiquement ; nous sommes un peu des « vieilles dames ». Le travail des hauts fonctionnaires consiste à présenter au pouvoir politique ce qu'ils estiment être la politique adéquate. Ensuite, il revient à ce dernier de prendre les décisions.
Il m'est arrivé, bien que rarement, de recommander une politique qui n'a pas été suivie par le pouvoir politique et, ensuite, de mettre en œuvre avec loyauté et diligence une politique que je n'approuvais pas. La démocratie induit en effet que le ministre décide et les ambassadeurs ont le droit de formuler des critiques.
De plus, la note interne à laquelle vous faites allusion a été rédigée par des ambassadeurs avec toutes les précautions nécessaires. Ce n'était donc pas du tout un brûlot. Elle fait partie du fonctionnement normal d'un ministère et elle a été rendue publique par trois ambassadeurs à la retraite et un journaliste. Cette démarche reflète un processus normal au sein d'un ministère, dans lequel on a le droit d'exprimer sa pensée. Par ailleurs, je n'ai pas lu cette note mais le sujet relatif au monde arabe réside dans le fait que ces États sont avec Israël.
Il existe un narratif français sur notre politique – une politique arabe et une politique équilibrée – mais une des parties ne considérait pas du tout notre politique comme telle. J'ai passé six ans de ma vie en Israël et dire que la France était anti-israélienne était presque devenu un lieu commun. Même les francophiles le disaient, en évoquant notre cynisme mercantile pour vendre des Mirage et avoir du pétrole. Je me méfie donc de cette idée d'idéalisation d'un passé. Notre politique avait son intérêt car elle nous permettait de maintenir de bonnes relations, et pas seulement de vendre des Mirage.
Nous avons peut-être également servi de sas pour la reconnaissance de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Il est important de se rappeler que pendant les années 1980, voire au-delà, des Israéliens affirmaient au gouvernement français qu'il n'y avait pas de peuple palestinien. Le négationnisme touchait en effet les deux côtés. La réception d'Arafat à Paris ainsi que l'acceptation d'un bureau de l'OLP dans notre capitale ont contribué, d'une certaine manière, au glissement d'Arafat vers l'acceptation. Cependant, la France n'était qu'une étape pour celui-ci, dont l'objectif ultime était Washington. Nous avons donc joué un rôle mais prétendre que nous avons été des médiateurs entre les deux parties serait inexact car les Israéliens ne voulaient véritablement pas de nous.
Pour relancer le processus de paix, une mobilisation générale semble nécessaire, compte tenu du blocage entre les deux parties. Jusqu'à récemment, les pays arabes, comme le reste de la communauté internationale, considéraient que le problème était résolu, c'est-à-dire qu'Israël avait gagné et que les Palestiniens s'accommoderaient plus ou moins de la situation. Ce qui comptait le plus était alors l'ennemi iranien. Cependant, les évènements du 7 octobre ont montré que le statu quo n'était pas le bon choix. Actuellement, personne ne semble prêt à prendre en charge le dossier du processus de paix. La communauté internationale s'en saisira-t-elle ? Hélas, je suis pessimiste.
En effet, deux problèmes fragilisent cette hypothèse. D'une part, les États-Unis entrent en campagne électorale et il est peu probable que le président Biden s'investisse dans un processus de paix qui pourrait ultérieurement créer des tensions avec Israël et une partie du gouvernement israélien. D'autre part, la Russie a un intérêt évident à souffler sur les braises en insistant sur le thème du « deux poids, deux mesures ». Cependant, il subsiste un petit espoir : la France pourrait discrètement tenter de renouer les fils avec toutes les parties intéressées à la préparation d'une étape pacifique.
Par ailleurs, le Hezbollah, bien qu'étroitement lié à l'Iran, ne doit pas être considéré comme une annexe des services iraniens. En effet, il conserve une certaine autonomie, tout en ayant une mémoire des évènements passés. En 2006, il avait mené une opération qui avait, selon lui, représenté un succès, même s'il avait été infiniment moins sanglant. Pour mémoire, une attaque du Hezbollah avait tué neuf soldats israéliens et cet incident avait déclenché une opération militaire, laquelle avait engendré des coûts extrêmement lourds pour la population civile libanaise. Nasrallah, le dirigeant du Hezbollah, avait même présenté des excuses au peuple libanais. À travers le Liban, on percevait un cri unanime contre la guerre, exprimant la volonté de ne pas être entraîné dans un conflit extrêmement coûteux.
Le Hezbollah, contrairement au Hamas qui a des visions califales, est un véritable parti politique libanais et représente une communauté qui a été défavorisée dans le partage du pouvoir à Beyrouth. Dans une approche que je qualifierais de « kabuki » diplomatique – où l'on crie mais l'on ne fait rien –, le Hezbollah a effectué des tirs, non pas sur les territoires d'Israël, mais sur les fermes de Chebaa, qui représentent un territoire contesté. Cette tactique permet au Hezbollah de proclamer avoir tiré, tout en soulignant subtilement aux Israéliens qu'il ne les a pas visés directement. Je pense donc que le Hezbollah souhaite éviter de participer au conflit. Mais d'autres mouvements existent au Sud-Liban, comme le djihad islamique, qui a tout intérêt à provoquer une montée en puissance et un affrontement. Il existe donc un risque réel que, de missile en missile, la situation dégénère en un affrontement.
En outre, je me demande depuis vingt ans ce que font nos soldats au Sud-Liban mais, une fois que des soldats ont été envoyés, leur retrait est délicat. En quarante ans, ils ont vu passer les Israéliens, le Hezbollah et les Iraniens sans pouvoir rien faire.
Pour finir, je ne répondrai pas à la question sur le président de la République.
Ne pensez-vous pas que la communauté internationale dans son ensemble, compte tenu du degré de violence et de l'ancienneté de ce conflit, aura intérêt à trouver une solution, à se doter d'un horizon politique ? La situation ne peut pas perdurer, tant pour les États-Unis que l'Europe et les pays arabes. Sinon, la violence pourrait atteindre encore un degré supplémentaire la prochaine fois.
Par ailleurs, j'aimerais aborder la question de l'Arabie saoudite et obtenir votre analyse, notamment car elle se rapprochait de l'Iran sous l'influence de la Chine, simultanément à une perspective de signature des accords d'Abraham avec Israël. J'aimerais également entendre votre analyse au regard de l'importance historique et religieuse de l'Arabie saoudite.
Enfin, les États-Unis s'intéressent à la confrontation avec la Chine et, inversement, la Chine s'intéresse à la confrontation avec les États-Unis, particulièrement dans la région Indo-Pacifique et en Asie. La France est d'ailleurs présente dans la région en tant que pays de l'Indo-Pacifique. Quel rôle peut-elle jouer ? Nous y assistons à des évènements tout à fait étranges, comme avec l'Australie, qui nous a exclus pour signer l'Aukus mais qui se rapproche actuellement de la Chine. De plus, un certain nombre de pays asiatiques ne veulent pas de cette confrontation et la France pourrait potentiellement jouer un rôle d'équilibre, qui est une position qu'elle veut traditionnellement occuper.
Vous avez posé la vraie question : l'avenir du monde va se définir entre New Delhi et Los Angeles. Pour les États-Unis, il est évident que le conflit en Ukraine est perçu comme une distraction, dans le sens anglais et américain du terme. Les États-Unis étaient en train de se retirer d'Europe sur la pointe des pieds mais Poutine les a rattrapés par les basques. Cependant, le véritable enjeu se joue en Asie, qui dispose des potentialités de croissance. En effet, l'Europe se félicite quand elle atteint un taux de croissance de 2 %, tandis que les pays asiatiques connaissent des taux allant de 6 % à 8 %. De surcroît, la menace se situe en Asie, avec la superpuissance chinoise. Nous assistons actuellement à une géopolitique extraordinaire qui, en tant que diplomate, me passionne malgré les malheurs. Un grand jeu d'équilibre géopolitique se met en place et il s'agit d'une guerre froide 2.0.
Deux différences essentielles se manifestent toutefois : d'une part, la Chine et les États-Unis entretiennent des relations commerciales intenses et, d'autre part, les pays de la région sont pris entre l'enclume et le marteau et ne veulent pas choisir leur camp. Dans cette situation, la France pourrait jouer un rôle et le président de la République s'engage en Inde, en Indonésie, et a même été le premier président de la République à se rendre au Bangladesh. Nous sommes évidemment plus proches des États-Unis que de la Chine, ce qui ne signifie pas que nous devons automatiquement nous aligner sur les États-Unis dans cette confrontation globale et à long terme qui se profile.
Par ailleurs, l'Arabie saoudite s'est dégagée de la sphère d'influence américaine et Mohammed ben Salmane prétend jouer sa propre partition. De part et d'autre, l'adversaire stratégique est l'Iran. Comment est-il possible de parvenir à un modus vivendi avec l'Iran ? Le régime iranien est tout de même en position de faiblesse du fait de ses difficultés internes et l'Arabie saoudite ne voulait pas dépendre seulement de la protection américaine ou même de la protection israélienne.
J'ai toujours été assez surpris par ces efforts américains d'intégrer l'Arabie saoudite dans les accords d'Abraham car – soyons francs – les Saoudiens et les Israéliens couchent ensemble depuis vingt ans. Je suis allé à Riyad et j'y ai rencontré des Israéliens portant la kippa et venant visiblement avec leur propre avion régulièrement à Riyad. Les Américains ont donc proposé d'officialiser cette liaison pour en faire un mariage. Les États-Unis s'inquiétaient donc du prix qu'ils allaient payer, c'est-à-dire que l'administration Biden allait payer, notamment en termes de nucléaire. En effet, l'Arabie saoudite réclamait l'accès à la technologie nucléaire par les Américains, ainsi que des livraisons massives d'armes.
L'Arabie saoudite s'est engagée dans cette voie sans enthousiasme particulier. D'ailleurs, les Saoudiens font face à un problème particulier, celui du dôme du Rocher sur le mont du Temple. Prétendant jouer un rôle central dans le monde musulman, ils sont toujours préoccupés par certains projets de mouvements extrêmement marginaux en Israël. Ils hésitaient donc à s'engager dans cette voie, redoutant tout incident ultérieur, ce qui est malheureusement fréquent. Si un tel incident était survenu, ils auraient en effet été contraints de le tolérer ou de ne pas le tolérer, ce qui explique l'hésitation évidente de Mohammed ben Salmane. Toutefois, qu'il s'agisse d'une liaison ou d'un mariage, les monarchies du Golfe et Israël affichent un alignement géostratégique, principalement dirigé contre l'Iran. Pour le moment, cet alignement résiste malgré le bombardement de Gaza et les manifestations dans les pays arabes.
J'ai souvent observé, lors de mes déplacements dans cette région, que la haine entretenue en Cisjordanie semblait plus marquée qu'à Gaza, où le problème semblait davantage lié à la misère et à la désorganisation.
Vous avez utilisé le terme « apathie », que je trouve assez juste, pour décrire une partie de l'opinion israélienne. Vous avez également évoqué le statu quo, bien que je pense qu'il s'agissait d'un statu quo de grignotage. Je ne suis donc pas sûr que le terme soit tout à fait approprié dans ce contexte.
Je résidais dans cette région entre 2010 et 2015, période où l'on a évoqué un printemps arabe palestinien qui semblait un peu passer sous les radars. A-t-il réellement existé ? Des forces ont-elles émergé et qu'en est-il resté ?
Enfin, comment l'eau est-elle gérée en Cisjordanie aujourd'hui ?
En ce qui concerne les Palestiniens, il existe certainement un terrain propice pour l'Union européenne et les parlementaires, afin d'établir des relations avec la jeune génération palestinienne en Cisjordanie. J'ai eu l'occasion de rencontrer des individus exceptionnels qui parlaient parfaitement l'hébreu, l'arabe et l'anglais et qui poursuivaient des études supérieures. Cependant, leur seul avenir est de partir travailler dans les monarchies du Golfe, où ils ont en quelque sorte pris la succession des Libanais. En revanche, le problème à Gaza réside dans le fait que le Hamas a réprimé toute protestation.
Le combat pour l'eau est en outre essentiel car la Cisjordanie fonctionne comme un château d'eau qui approvisionne la plaine côtière où se trouve Israël. Les Israéliens ont donc pris le contrôle des ressources en eau et la majorité de l'eau de Cisjordanie est utilisée soit par l'État d'Israël, soit par les implantations.
Par ailleurs, il faudrait parler de cette colonisation car l'Union européenne finance des projets de développement tels que des puits ou des projets de construction. Malheureusement, ces projets sont souvent détruits par les bulldozers israéliens car Israël n'accorde aucun permis de construire. En parallèle, la population palestinienne croît mais ne se voit pas accorder de permis de construire. Tout est donc mis en œuvre pour leur faire comprendre que leur seule solution est de partir.
Depuis près de quarante ans, je soutiens que nous devrions adopter une position bien plus énergique sur le sujet de la colonisation, qui constitue une violation flagrante de la quatrième convention de Genève. Je ne fais pas là de morale – car je suis un diplomate amoral – mais la colonisation prétend rendre impossible le compromis territorial.
En mitant la Cisjordanie, aucun gouvernement israélien ne serait en mesure de déployer l'armée pour chasser dix mille, trente mille, quarante mille, cinquante mille ou soixante mille colons. La colonisation engendre non seulement la dépossession des Palestiniens mais constitue également un problème politique contre la solution des deux États.
La gravité des évènements en cours en Israël et dans les territoires palestiniens nous pousse à multiplier les auditions, nous permettant ainsi de percevoir de près le glissement de la parole présidentielle vers cette demande salutaire de cessez-le-feu. Bien que la voix de la France soit nécessaire, elle risque malheureusement d'être insuffisante pour espérer un apaisement à court terme. À votre avis, l'attaque du 7 octobre renforcera-t-elle l'approche excluante du premier ministre Netanyahou, ou bien ce coup de tonnerre incitera-t-il au contraire les Israéliens à reconsidérer plus sérieusement la piste des deux États comme perspective d'une coexistence pacifique, même lointaine, avec un nouveau gouvernement ?
À très court terme, comment les Français réagiraient-ils si on avait massacré et torturé à mort dix mille de leurs compatriotes ?
Je ne sais pas combien de temps celui-ci durera mais j'ai déjeuné hier avec des amis israéliens et ils faisaient part de sentiments de deuil, de colère, de peur et d'affolement. Ces amis israéliens venaient installer leurs enfants chez les grands-parents car, à l'heure actuelle, des alertes retentissent et des roquettes sont lancées tous les jours à Tel-Aviv. Je vois mal les Israéliens être ouverts, dès demain, à la négociation et faire des concessions.
De plus, le deuxième point à court terme concerne probablement le départ de M. Netanyahou, que tous les résultats des sondages désignent comme responsable. La question qui se pose, alors, est de savoir si l'évolution politique aura lieu au sein de la même majorité, qui s'étend jusqu'à l'ultradroite, ou si l'on assistera à la formation d'un gouvernement plus centriste. La gauche a disparu de ce pays et ceux qui pourraient succéder à Netanyahou ne sont pas nécessairement des colombes.
La diplomatie doit préparer l'après-deuil qui surviendra probablement dans quelques mois. Il est impératif de reconnaître que le statu quo apparent n'en est pas vraiment un, notamment en Cisjordanie, car il permet aux colons de continuer à étendre leur emprise sur la région. L'espoir réside peut-être dans la reconnaissance de cette réalité depuis l'extérieur. Il pourrait être judicieux de susciter un mouvement en travaillant avec les Arabes, les Européens et les Américains.
Vous dites maintenant que le 7 octobre n'a pas arrangé les choses mais vous avez indiqué précédemment que, structurellement, cette solution des deux États n'a jamais été acceptée pour des raisons très claires, ce qui explique le scepticisme de certains d'entre nous vis-à-vis de cette solution que nous appelons pourtant de nos vœux.
Tout d'abord, la réduction progressive des fonds alloués à notre arsenal diplomatique interroge notre capacité à influencer le cours des évènements internationaux. Bien que cette tendance ait été légèrement inversée ces dernières années, elle ne l'a été que trop faiblement. Il est urgent pour la France de renouer avec sa tradition humaniste.
En ce qui concerne la question d'Israël et de la Palestine, vous avez toujours défendu une solution à deux États, une position qui n'a pas faibli. Cependant, l'évolution de la politique française depuis les attentats du 7 octobre, soulignée par la note collective des ambassadeurs, semble avoir provoqué un malaise parmi de nombreux diplomates, comme parmi de nombreux parlementaires dont je fais partie.
Le président Macron a d'abord exprimé un soutien inconditionnel à Israël, proposant même – selon un raisonnement qui défie toute logique – une extension de la coalition internationale contre Daech à la lutte contre le Hamas. Par la suite, il a appelé à une trêve, ce qui ne correspond pas à un cessez-le-feu, avant de finalement s'y résoudre il y a quatre jours, puis d'appeler le lendemain Benyamin Netanyahou pour s'en excuser. À mon sens, cette position témoigne d'un manque de vision et les fluctuations et revirements nuisent à notre crédibilité. La France, qui était autrefois un pilier de la diplomatie mondiale, semble désormais naviguer sans boussole.
La décision de la tournée au Moyen-Orient entamée par Sébastien Lecornu, le ministre des armées, ne symbolise-t-elle pas un recul de la diplomatie au profit d'une approche davantage militarisée ?
Ma conviction personnelle sur l'engagement historique de la France en faveur d'une solution à deux États est qu'elle est incompatible avec la politique de soutien à – comme vous l'avez qualifié – un « nettoyage ethnique au détail » actuellement mené en Palestine. La presse israélienne elle-même décrit cette politique comme n'étant pas destinée à mettre fin au terrorisme ou à libérer des otages mais plutôt à enterrer toute forme de création d'un État palestinien. Que pouvons-nous faire pour contrer ces actions ? Ne serait-il pas temps, par exemple, pour la France de reconnaître l'État de Palestine, comme l'Assemblée nationale et le Sénat l'ont suggéré en 2014 et 2016 ?
Enfin, vous avez mentionné la nécessité de nouveaux interlocuteurs pour que le processus de paix ait une chance d'aboutir et je vous rejoins sur ce point. Cependant, la Palestine n'a pas connu d'élections depuis quinze ans, ce que les Palestiniens justifient par le blocage d'Israël sur la tenue d'élections à Jérusalem-Est. Partagez-vous cette analyse et que peut faire la France pour débloquer cette situation ?
Mme Colonna s'est rendue sur place à plusieurs reprises, tout comme le président de la République ; ainsi, le déplacement du ministre des armées ne me semble pas inutile.
Par ailleurs, l'absence d'élections depuis 2006 n'est pas liée à Jérusalem-Est mais plutôt à la victoire du Hamas lors des élections de 2006, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza. À l'époque, avant même que je contacte Paris, l'État israélien m'avait appelé et se réjouissait de la déclaration de Jacques Chirac, qui avait dit que la France ne parlerait pas au Hamas, sauf si celui-ci reconnaissait Israël ainsi que les accords d'Oslo et renonçait à la violence. Cette position correspondait à fermer le ban. Je choquerai peut-être certains d'entre vous mais je ne suis pas sûr que, en 2006, nous n'ayons pas eu intérêt à parler au Hamas. Cependant, il est impossible de répondre à cette question.
Totalement. L'absence d'élections depuis 2006 s'explique simplement par un refus de l'Autorité palestinienne et des Israéliens, qui craignent la victoire du Hamas. Cette impasse a conduit au discrédit total de l'Autorité palestinienne, dont on peut même se demander si elle n'est pas une annexe des services israéliens.
Parallèlement, les récentes tensions ne constituent pas un évènement isolé mais s'inscrivent dans une séquence de faits. Des affrontements ont déjà eu lieu en 2008, 2011, 2014 et 2021 autour de Gaza, où le Hamas lançait des roquettes à l'aveugle sur le territoire israélien. Toutefois, l'ampleur et le succès de la dernière attaque la distinguent des précédentes.
À Ramallah, l'Autorité palestinienne déclarait que le Hamas se limitait à Gaza mais les Palestiniens du Hamas et ceux de l'Autorité palestinienne s'entretuent et leur rivalité n'est pas uniquement politique. Certaines cibles à Gaza étaient même communiquées par l'Autorité palestinienne aux Israéliens.
Par ailleurs, j'appartiens à une catégorie assez rare au Quai d'Orsay car j'aime que quelque chose soit utile et je ne vois pas à quoi servirait la reconnaissance unilatérale d'un État de Palestine par la France. Nous pouvons toutefois la concevoir mais il s'agirait d'un acte politique et symbolique. D'un point de vue professionnel, il ne me semble toutefois pas que cela serve à grand-chose. Nous avions, par exemple, soutenu aux Nations Unies que l'OLP devait devenir un État observateur.
Vos propos nous rappellent qu'il existait une histoire avant le 7 octobre, contrairement à l'impression récente selon laquelle toute l'histoire aurait commencé à cette date. Toutefois, vous avez démontré que, depuis cette date, une autre histoire a débuté.
Je fais en outre partie de ceux qui ne peuvent pas considérer qu'il existait un statu quo car, pendant des décennies, nous avons été plusieurs à alerter sur la nécessité de faire évoluer la situation pendant cette période dite de « ni guerre, ni paix ». Des dirigeants politiques français ont qualifié Gaza de « prison à ciel ouvert ». Comment peut-on considérer que des personnes pourraient vivre éternellement dans de telles conditions ?
Tout le monde, peut-être par naïveté internationale ou israélienne, croyait que cette situation pouvait perdurer. Cependant, je ne peux pas imaginer qu'il y ait eu une telle naïveté. Jusqu'à l'année dernière, des efforts ont été déployés pour dénoncer la politique israélienne, qui s'apparentait pour l'ONU à de l'apartheid. Tous ces éléments, sans réaction internationale forte, ne pouvaient que conduire à des drames selon moi. Il est essentiel de ne pas sous-estimer la situation, alors qu'Israël s'inquiétait de sa sécurité. Ses dirigeants sont peut-être paranoïaques mais peut-être aussi ont-ils été naïfs.
Au cours de la discussion tenue hier dans cette commission, je me suis demandé s'il existait un avenir possible pour un État palestinien, dont la crédibilité repose sur sa reconnaissance. Pour que des discussions aient lieu et que des négociations soient engagées, il est impératif qu'un État puisse parler à un État. Une possibilité s'offre à nous depuis des décennies car l'Assemblée nationale nous y avait invités.
En vous écoutant, je suis tenté de rappeler que la naïveté est la forme la plus élaborée du cynisme.
Je me place toujours dans une approche analytique, cherchant des solutions concevables face à un problème. Les possibilités envisageables incluent la solution à deux États, la solution à un État ou l'absence totale de solution.
Je vais être cynique, à défaut d'être naïf, mais on m'a dit à maintes reprises et dans d'autres contextes que les choses ne seraient plus comme avant, pour finalement constater qu'elles le sont restées. On ne peut écarter la possibilité, même après dix mille pertes humaines, de revenir à une situation similaire, faute de trouver une manière de progresser. Je comprends cependant que mes propos puissent choquer mais il est difficile d'exclure un retour à un statu quo qui n'en était pas vraiment un.
La solution à un État serait sans doute la meilleure dans un monde idéal mais elle est tout simplement inenvisageable. Elle entraînerait inévitablement la fin d'Israël en tant qu'État juif, ce qui est sa raison d'être. De plus, cette solution conduirait à la coexistence de deux populations qui se haïssent et qui répondent à des logiques internes fondamentalement différentes.
Élie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël à Paris et intellectuel, qualifie les membres du gouvernement israélien actuel d'« imbéciles incompétents ». Cependant, il préconise la solution d'un divorce sans affects entre Israël et la Palestine. L'État unique est impossible et le retour à la situation antérieure me semble constituer le scénario le plus probable, tandis que la négociation pour les deux États est certainement la meilleure solution.
Les Américains ont tenté, pendant vingt ans, de conduire la négociation depuis les accords d'Oslo mais elle a échoué. Il est en outre inutile de chercher des responsabilités car les deux côtés sont responsables. Je suis convaincu que, au fond, les Israéliens ne voulaient pas céder la Cisjordanie ; les Palestiniens ont, quant à eux, été incapables de prendre le contrôle sur les groupes terroristes. En effet, des campagnes terroristes, notamment du Hamas, ont à plusieurs reprises fait dérailler le processus de paix, ce qui a mené Netanyahou au poste de premier ministre et n'a pas permis au processus d'Oslo d'aboutir. Il existe une alliance entre les extrémistes et, même si la solution a peut-être une chance sur cent de réussir, nous devons y travailler.
Je ne reviendrai pas sur l'engrenage des tragédies, l'attaque terroriste abominable du Hamas et la terrible situation humanitaire à Gaza. De même, je n'aborderai pas la politique étrangère de notre pays qui donne le tournis. Je rappelle cependant que seul le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes devrait guider notre politique. La conciliation est toutefois difficile entre le droit d'existence et de défense d'Israël et le droit du peuple palestinien à disposer de son État. François Mitterrand, dont je ne suis pas suspect d'être un admirateur, avait cette phrase extraordinaire : « deux peuples pour la même terre et un Dieu de chaque côté ».
La tragédie du 7 octobre a clairement anéanti l'idée qu'il était possible d'esquiver la question palestinienne, de contourner l'occupation des territoires. D'ailleurs, considérer la solution à deux États comme le seul moyen d'assurer à terme la sécurité d'Israël ne revient pas à lui être hostile. C'est peut-être même lui rendre service. La folie actuelle qui s'est emparée de la région démontre que le refus de cette solution a conduit à une situation encore plus délicate.
Où se trouvent les dirigeants du Hamas ? Sont-ils à Gaza ou ailleurs ? Qui les a financés et de quelle manière ? Quelle est la part de responsabilité du gouvernement israélien dans cette affaire, ou d'autres États ?
Jusqu'où peut aller l'indifférence des régimes arabes, qui avaient accepté les accords d'Abraham, face à la souffrance des Palestiniens ? L'Égypte est fragile sur le plan économique et il existe une possibilité d'une révolution de palais en Arabie saoudite. Quel est votre avis à ce sujet ?
Jusqu'où les Israéliens peuvent-ils aller dans la colonisation de la Cisjordanie, qui empêche toute solution d'avenir et constitue une folie pour la sécurité d'Israël ?
La colonisation en Cisjordanie constitue une violation du droit international, en particulier de la quatrième convention de Genève qui interdit à la puissance d'occupation de modifier l'équilibre démographique d'une région occupée. Actuellement, environ cinq-cent mille colons sont présents, dont la plupart dans des blocs de colonisation autour de Jérusalem, et ceux-ci pourraient potentiellement être rapatriés vers Israël avec des ajustements de frontières relativement minimes. Cependant, des implantations à l'intérieur de la Cisjordanie posent un défi supplémentaire car certains colons sont armés, voire fanatisés. Un gouvernement israélien serait-il capable de les rapatrier ?
Certaines personnes de mauvaise foi disent qu'on veut un État palestinien « judenrein », c'est-à-dire sans Juifs. Nous savons très bien que les colons israéliens n'accepteraient jamais la loi d'un État palestinien. Pour créer un État viable et contigu, il serait nécessaire de rapatrier certains colons israéliens, ce qui semble extrêmement compliqué dans le contexte politique actuel.
Les pays arabes ont un relativement bon contrôle sur leur population mais les monarchies du Golfe, ainsi que l'Égypte, ne sont pas à l'aise car leur population soutient massivement le Hamas. Jusqu'à présent, ces pays ont réussi à maintenir une certaine stabilité en canalisant les opinions, en organisant des réunions et en émettant des déclarations. Cependant, il existe également une tendance qui s'oppose au Hamas, qui prend la population arabe de Gaza en otage. En effet, de plus en plus de vidéos montrent des personnes ayant perdu un proche, qui en attribuent la responsabilité au Hamas. De plus, certains journalistes dans le monde arabe critiquent le Hamas et le désignent comme responsable.
Seul le Bahreïn, qui est l'État le plus fragile de la région, a rappelé son ambassadeur. Ce pays fonctionne avec un régime autoritaire dans lequel une minorité sunnite dirige une majorité chiite. De plus, il est nécessaire de tenir compte des ambitions régionales de la Turquie.
Au sommet de Riyad le week-end dernier, les Turcs étaient d'ailleurs du côté des puissances les plus agressives.
Tout à fait. La Turquie a adopté une position extrêmement agressive et anti-israélienne, ce qui n'est pas une nouveauté. Les relations entre Israël et la Turquie avaient déjà été rompues précédemment, dans une posture anti-américaine. Bien que l'ambassadeur de Turquie ici soit excellent et représente la Turquie francophone et policée, les déclarations des ministres d'Erdogan sont notoirement anti-occidentales, témoignant d'une orientation politique différente. La Turquie fait partie des pays qui ont recouvré leur puissance et elle aspire à retrouver son statut de grand pays, tandis que nous assistons à la fin du moment occidental.
Concernant le Hamas, il est clair que le soutien initial au mouvement islamiste provenait des services israéliens, afin d'affaiblir l'OLP. À Gaza, le gouvernement de Netanyahou a joué la carte « diviser pour régner », laissant le Hamas gouverner Gaza, d'un côté, et l'Autorité palestinienne, de l'autre. Cette situation était bénéfique pour le gouvernement de Netanyahou, qui laissait l'argent couler depuis le Qatar. Cependant, les armes passaient également par la frontière égyptienne. Le douanier égyptien n'est en effet pas totalement imperméable aux moyens financiers et il n'est d'ailleurs pas le seul. Des armes sont donc sans doute passées du côté égyptien, tandis que l'argent affluait, peut-être également en provenance de l'Iran, avec le soutien du gouvernement israélien.
À présent, les membres de la commission vont vous poser leurs questions à titre individuel.
J'ai l'honneur d'avoir été élu à quatre reprises par les cent quatre-vingt mille Français d'Israël, chaque fois avec entre 80 % et 90 % des voix au deuxième tour, ce qui m'offre une légitimité certaine pour m'exprimer en leur nom.
Ma conviction absolue est que nous devons changer notre approche : cette guerre n'est pas seulement une guerre de territoire mais c'est une guerre de civilisation. Israël s'est retiré de la bande de Gaza, du Liban ainsi que du Sinaï et était prêt à signer les accords d'Oslo. Hélas, la haine du Juif est l'aphrodisiaque du monde arabe, mais pas de leurs leaders. On a d'ailleurs tenté de casser les accords d'Abraham et je ne sais pas s'ils y arriveront ou pas, mais dans ces manifestations à Paris, j'entends crier en permanence « du Jourdain à la Méditerranée ». Sans un changement de logiciel aujourd'hui, nous n'arriverons à rien. Israël s'est retiré jusqu'au dernier centimètre carré de la bande de Gaza. Sharon, que j'ai bien connu, a tout mis en œuvre pour parvenir à une paix qui n'a malheureusement pas abouti.
Je redis fortement qu'un Juif ne sera jamais un colon en Judée. Un Français peut être colon en Algérie ou au Togo, tout comme un Britannique en Rhodésie, mais un Juif ne sera jamais un colon en Judée. On peut avoir des territoires contestés. Nous pouvons revenir aux accords Sykes-Picot pour savoir ce qu'était la Palestine avant 1923, avant la déclaration Balfour. Nous n'avons pas le temps d'en parler, de même que de ce qu'il s'est passé du côté de Churchill et de l'émir Abdallah. On peut donc contester les territoires mais un Juif ne sera jamais un colon en Judée. Jérusalem était déjà la capitale du peuple juif lorsque notre propre capitale, Lutèce, n'était qu'un demi-marécage.
J'apprécie l'ambassadeur Gérard Araud mais parler de « nettoyage ethnique » est indigne, est faux et constitue un mensonge. Il n'y a pas de nettoyage ethnique en Israël et le fait que quelqu'un de sa qualité emploie de tels termes met de l'huile sur le feu : c'est faux, c'est indigne et c'est un mensonge.
En Cisjordanie, un nettoyage ethnique au détail est en train d'être mené. Cent soixante-quinze Palestiniens ont été tués en deux mois, des villages sont vidés et les colons procèdent à des descentes armées avec la connivence de l'armée : oui, il y a un nettoyage ethnique au détail.
Je crois que toutes les informations que nous avons vont dans le sens de ce que dit M. Araud.
La France a condamné avec la plus grande fermeté les attaques terroristes menées par le Hamas contre Israël et sa population. La situation humanitaire étant extrêmement grave, le président Macron a pris l'initiative d'une conférence humanitaire qui permet quand même d'arriver à un consensus pour une trêve humanitaire et une aide internationale, afin de faire face aux besoins des populations civiles. Face à l'ampleur de cette catastrophe, la France a dit ouvertement à Israël d'épargner les civils et d'arrêter la poursuite des frappes indiscriminées sur Gaza car les populations civiles n'ont pas à payer le prix des crimes du Hamas et de la riposte israélienne.
Malgré votre vision pessimiste, pensez-vous que la position française d'obtenir une trêve humanitaire pouvant mener à un cessez-le-feu peut constituer une relance du processus de paix, restaurer un horizon politique à deux États – qui est la seule solution viable permettant à chaque partie de vivre en paix et en sécurité – et éviter le risque d'embrasement de la région ?
L'hypothèse d'une trêve humanitaire mobilise de nombreux acteurs internationaux, dont les États-Unis et la France. Aujourd'hui, du point de vue d'Israël, un cessez-le-feu serait interprété comme la victoire du Hamas. Dès lors, il est difficile de l'espérer car il signifierait que le Hamas garderait le contrôle de la bande de Gaza et pourrait négocier la libération des otages, consacrant ainsi une victoire stratégique du Hamas aux dépens d'Israël. Je pense qu'Israël n'acceptera jamais cette solution, ce qui n'empêche pas de travailler sur une trêve humanitaire ou des corridors humanitaires car il est de notre devoir de porter secours à une population prise au piège, à la fois par le Hamas et par l'intervention israélienne.
L'évolution de la situation en Israël et dans les territoires palestiniens dépend évidemment très largement du positionnement des États-Unis et du degré de soutien que le gouvernement apporte à Israël. Dans ce cadre, l'approche d'une élection présidentielle encore plus hors normes que la précédente et l'éventuel retour du président Trump, qui est favori dans les sondages, constitue l'une des principales clés d'un règlement politique du conflit. Je souhaite donc connaître votre avis sur l'impact d'un tel retour au pouvoir sur la situation en Israël, et plus largement sur la politique américaine au Moyen-Orient, qui en sortirait certainement grandement bouleversée.
Vous avez tout à fait raison d'évoquer l'hypothèse d'une victoire de Donald Trump et nous connaissons la manière dont il considère le conflit. Il est d'ailleurs personnellement très proche de Benjamin Netanyahou. Sous son premier mandat, son beau-fils Jared Kushner avait conduit une tentative de médiation et avait proposé un plan de paix mais il était tellement caricaturalement pro-israélien qu'il n'avait rencontré aucun écho.
En cas de victoire de Donald Trump et même s'il est relativement imprévisible, on peut imaginer son soutien au gouvernement israélien, quel qu'il soit. Le soutien à Israël, qui était un soutien des deux partis américains, devient désormais un soutien de plus en plus républicain car la gauche démocrate est devenue plus pro-palestinienne.
Les massacres du 7 octobre commis par le Hamas sur des civils israéliens ont provoqué notre émotion et notre écœurement. Après avoir apporté son soutien inconditionnel à l'État d'Israël, malgré les risques évidents de crimes de guerre, puis plusieurs semaines de silence, malgré la multiplication des victimes civiles et des bombardements aveugles du blocus et du siège de Gaza, le président de la République a enfin, ce jeudi 9 novembre, officiellement appelé à l'instauration d'un cessez-le-feu. Cette position, timide avancée vers le simple respect du droit international, lui a valu des injures sur plusieurs chaînes d'information en continu. À peine quarante-huit heures après cette déclaration, le président de la République français était même traité d'antisémite sur une chaîne d'information.
Nous n'avons pas entendu de soutien au président de la République de la part de députés de sa majorité, ni de membres du Gouvernement. Que répondre face à l'infamie d'une telle insulte quand on a pour seul tort de vouloir faire respecter le droit international et d'œuvrer à la paix ? Que répondre à ceux qui, par ces méthodes, abandonnent la position diplomatique historique de la France ?
Votre question dépasse mes compétences. J'essaie de répondre en expert, c'est-à-dire de ne pas fournir des opinions mais de définir le champ des possibles à partir de ce que je sais. Par exemple, je ne dis pas qu'il est mauvais d'appeler au cessez-le-feu mais que ma connaissance d'Israël me conduit à penser que celui-ci ne sera pas accepté.
En ce qui concerne les accusations d'antisémitisme, je tiens à préciser que j'ai vécu six ans en Israël, pays méditerranéen où vous êtes rapidement accusé d'antisémitisme dès que vous dites quelque chose. Le président de la République, après six ans de mandat, ne doit pas être particulièrement ému par ce genre de réactions. Israël a toujours eu cette attitude d'attente d'un soutien inconditionnel et la manifestation de la moindre réserve suffit à vous faire accuser de trahison et d'antisémitisme. C'est un pays de passion et les Israéliens ont gardé la peur au ventre comme héritage du génocide. En effet, malgré leur puissance nucléaire, leur PIB vingt-cinq fois supérieur à celui de la Palestine et leur position dominante dans la région, les Israéliens ont peur. Il est nécessaire d'y répondre pour aller de l'avant.
J'ai insisté de manière significative sur le problème de la Cisjordanie à travers diverses déclarations. La question est en effet fondamentale pour Israël et ses relations avec les Palestiniens. Néanmoins, vous avez très peu parlé de Gaza et je pense d'ailleurs que la question de la trêve ou du cessez-le-feu est seconde. Je reste cependant perplexe face à la stratégie de destruction ; Israël avait en effet plusieurs options pour maintenir une pression considérable. Les Israéliens auraient pu adopter une approche similaire à celle de Munich en affirmant : « Nous avons les noms de deux mille personnes et il n'y en aura plus une de vivante dans deux ans ». Ils ont pourtant choisi quelque chose qui ne peut avoir de sens qu'en rendant totalement invivable la zone, ce qui commence par des pertes massives de civils. Les bombardements aériens sont bien connus et les résultats de ce que les Alliés ont fait en Allemagne et en Normandie pendant la seconde guerre mondiale n'ont pas été à la hauteur des attentes. Aujourd'hui, on aurait une approche différente mais Israël a choisi cette voie. De plus, les Israéliens ne veulent pas occuper cette zone : qui la prendra en charge ? On a l'impression qu'ils détruisent tout et jettent la clé.
Vous avez dit que tous les États arabes détestaient le Hamas. Cependant, ils disent qu'on ne peut pas échapper à un dialogue direct ou indirect avec le Hamas si l'on veut reconstituer une Autorité palestinienne respectable. Cette impasse est absolument terrifiante. Cette guerre est pure violence, une sorte de loi du talion. Je suis d'accord sur la légitimité de la défense, sur l'horreur qu'a été le 7 octobre, ainsi que sur les traumatismes historiques du peuple juif mais nous ne voyons pas du tout comment sortir à terme de cet imbroglio de la bande de Gaza.
Vous rejoignez mon désespoir. J'ai parlé avec plusieurs officiers généraux, tant du cadre de réserve que du cadre d'active, et ils ne voient pas ce que les Israéliens peuvent atteindre, ni quel est l'objectif stratégique. Les objectifs tactiques sont en effet connus – éliminer le Hamas, détruire des tunnels, etc. –, mais quel est l'objectif stratégique ? Quelle sera la différence sur le plan stratégique à la fin de l'opération, si ce n'est la destruction d'une grande partie de Gaza ? Tuer les dirigeants du groupe terroriste du Hamas en fera émerger de plus jeunes et de plus radicaux. En outre, la destruction d'armes sera contournée par la corruption de douaniers.
Mes amis israéliens me disaient hier que cette opération constituait une vengeance, au cours de laquelle la loi du talion s'applique. Dans cette logique, il est nécessaire de tuer dix ennemis pour chaque mort israélien, afin de restaurer une capacité de dissuasion. Cependant, ils ont également souligné qu'Israël n'allait pas administrer la bande de Gaza ou expulser les deux millions de Gazaouis.
Par ailleurs, contrairement à ce que disait un député des Français de l'étranger, les Israéliens ne sont pas sortis de la bande de Gaza. Ils contrôlent à la fois l'espace aérien et l'espace naval et, en droit international, la bande de Gaza est toujours un territoire occupé.
Cette audition était absolument passionnante et – à défaut d'optimisme – la rigueur, l'analyse et la lucidité étaient au rendez-vous. Nous vous sommes reconnaissants et il est formidable de votre part d'être venu parler sans langue de bois, sans faux-semblants, sans naïveté et, donc, sans cynisme.
La séance est levée à 13 h 00.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Batut, M. Carlos Martens Bilongo, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Ingrid Dordain, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, M. Guillaume Garot, M. Hadrien Ghomi, Mme Olga Givernet, Mme Claire Guichard, M. Philippe Guillemard, M. Michel Guiniot, M. David Habib, M. Meyer Habib, M. Benjamin Haddad, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, M. Arnaud Le Gall, Mme Marine Le Pen, Mme Yaël Menache, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Béatrice Piron, M. Jean-François Portarrieu, M. Adrien Quatennens, Mme Laurence Robert-Dehault, M. Vincent Seitlinger, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Lionel Vuibert, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, Mme Julie Delpech, M. Olivier Faure, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Amélia Lakrafi, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Ersilia Soudais, Mme Laurence Vichnievsky, Mme Estelle Youssouffa
Assistaient également à la réunion. - Mme Martine Froger, M. Benjamin Haddad, Mme Sophie Mette, Mme Michèle Tabarot, M. Jean-Luc Warsmann