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Intervention de Gérard Araud

Réunion du mercredi 15 novembre 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Gérard Araud, ambassadeur de France, ancien ambassadeur en Israël, à l'Organisation des Nations Unies et aux États-Unis :

Les diplomates ont souvent des états d'âme et nous constituons une catégorie un peu fragile psychologiquement ; nous sommes un peu des « vieilles dames ». Le travail des hauts fonctionnaires consiste à présenter au pouvoir politique ce qu'ils estiment être la politique adéquate. Ensuite, il revient à ce dernier de prendre les décisions.

Il m'est arrivé, bien que rarement, de recommander une politique qui n'a pas été suivie par le pouvoir politique et, ensuite, de mettre en œuvre avec loyauté et diligence une politique que je n'approuvais pas. La démocratie induit en effet que le ministre décide et les ambassadeurs ont le droit de formuler des critiques.

De plus, la note interne à laquelle vous faites allusion a été rédigée par des ambassadeurs avec toutes les précautions nécessaires. Ce n'était donc pas du tout un brûlot. Elle fait partie du fonctionnement normal d'un ministère et elle a été rendue publique par trois ambassadeurs à la retraite et un journaliste. Cette démarche reflète un processus normal au sein d'un ministère, dans lequel on a le droit d'exprimer sa pensée. Par ailleurs, je n'ai pas lu cette note mais le sujet relatif au monde arabe réside dans le fait que ces États sont avec Israël.

Il existe un narratif français sur notre politique – une politique arabe et une politique équilibrée – mais une des parties ne considérait pas du tout notre politique comme telle. J'ai passé six ans de ma vie en Israël et dire que la France était anti-israélienne était presque devenu un lieu commun. Même les francophiles le disaient, en évoquant notre cynisme mercantile pour vendre des Mirage et avoir du pétrole. Je me méfie donc de cette idée d'idéalisation d'un passé. Notre politique avait son intérêt car elle nous permettait de maintenir de bonnes relations, et pas seulement de vendre des Mirage.

Nous avons peut-être également servi de sas pour la reconnaissance de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Il est important de se rappeler que pendant les années 1980, voire au-delà, des Israéliens affirmaient au gouvernement français qu'il n'y avait pas de peuple palestinien. Le négationnisme touchait en effet les deux côtés. La réception d'Arafat à Paris ainsi que l'acceptation d'un bureau de l'OLP dans notre capitale ont contribué, d'une certaine manière, au glissement d'Arafat vers l'acceptation. Cependant, la France n'était qu'une étape pour celui-ci, dont l'objectif ultime était Washington. Nous avons donc joué un rôle mais prétendre que nous avons été des médiateurs entre les deux parties serait inexact car les Israéliens ne voulaient véritablement pas de nous.

Pour relancer le processus de paix, une mobilisation générale semble nécessaire, compte tenu du blocage entre les deux parties. Jusqu'à récemment, les pays arabes, comme le reste de la communauté internationale, considéraient que le problème était résolu, c'est-à-dire qu'Israël avait gagné et que les Palestiniens s'accommoderaient plus ou moins de la situation. Ce qui comptait le plus était alors l'ennemi iranien. Cependant, les évènements du 7 octobre ont montré que le statu quo n'était pas le bon choix. Actuellement, personne ne semble prêt à prendre en charge le dossier du processus de paix. La communauté internationale s'en saisira-t-elle ? Hélas, je suis pessimiste.

En effet, deux problèmes fragilisent cette hypothèse. D'une part, les États-Unis entrent en campagne électorale et il est peu probable que le président Biden s'investisse dans un processus de paix qui pourrait ultérieurement créer des tensions avec Israël et une partie du gouvernement israélien. D'autre part, la Russie a un intérêt évident à souffler sur les braises en insistant sur le thème du « deux poids, deux mesures ». Cependant, il subsiste un petit espoir : la France pourrait discrètement tenter de renouer les fils avec toutes les parties intéressées à la préparation d'une étape pacifique.

Par ailleurs, le Hezbollah, bien qu'étroitement lié à l'Iran, ne doit pas être considéré comme une annexe des services iraniens. En effet, il conserve une certaine autonomie, tout en ayant une mémoire des évènements passés. En 2006, il avait mené une opération qui avait, selon lui, représenté un succès, même s'il avait été infiniment moins sanglant. Pour mémoire, une attaque du Hezbollah avait tué neuf soldats israéliens et cet incident avait déclenché une opération militaire, laquelle avait engendré des coûts extrêmement lourds pour la population civile libanaise. Nasrallah, le dirigeant du Hezbollah, avait même présenté des excuses au peuple libanais. À travers le Liban, on percevait un cri unanime contre la guerre, exprimant la volonté de ne pas être entraîné dans un conflit extrêmement coûteux.

Le Hezbollah, contrairement au Hamas qui a des visions califales, est un véritable parti politique libanais et représente une communauté qui a été défavorisée dans le partage du pouvoir à Beyrouth. Dans une approche que je qualifierais de « kabuki » diplomatique – où l'on crie mais l'on ne fait rien –, le Hezbollah a effectué des tirs, non pas sur les territoires d'Israël, mais sur les fermes de Chebaa, qui représentent un territoire contesté. Cette tactique permet au Hezbollah de proclamer avoir tiré, tout en soulignant subtilement aux Israéliens qu'il ne les a pas visés directement. Je pense donc que le Hezbollah souhaite éviter de participer au conflit. Mais d'autres mouvements existent au Sud-Liban, comme le djihad islamique, qui a tout intérêt à provoquer une montée en puissance et un affrontement. Il existe donc un risque réel que, de missile en missile, la situation dégénère en un affrontement.

En outre, je me demande depuis vingt ans ce que font nos soldats au Sud-Liban mais, une fois que des soldats ont été envoyés, leur retrait est délicat. En quarante ans, ils ont vu passer les Israéliens, le Hezbollah et les Iraniens sans pouvoir rien faire.

Pour finir, je ne répondrai pas à la question sur le président de la République.

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