Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Réunion du jeudi 19 octobre 2023 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures cinq.

Présidence de Mme Lisa Belluco

La mission d'information réunit une table ronde, ouverte à la presse, sur le contexte et la gestion des incendies survenus en Gironde au cours de l'été 2022.

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Nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre mission d'information en commençant une nouvelle série de tables rondes, qui réunissent des représentants de l'État et des élus de territoires ayant récemment connu des évènements majeurs du point de vue de la sécurité civile. Nous avons, pendant nos précédentes auditions, entendu les associations nationales d'élus ainsi que des chercheurs et universitaires spécialistes de la sécurité civile. Nous avons ensuite voulu organiser trois tables rondes thématiques, afin de revenir sur trois grandes catastrophes ayant récemment touché notre territoire.

La première de ces tables rondes nous permet d'aborder les incendies tragiques qui ont frappé la Gironde durant l'été 2022. Notre objectif est de bénéficier de connaissances de terrain et d'un retour d'expérience sur ce drame, afin de mieux comprendre le fonctionnement de notre modèle de sécurité et de protection civile en période de crise et de réfléchir à des mesures concrètes pour le renforcer.

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Vincent Ferrier, sous-préfet de l'arrondissement de Langon, M. François Gros, chef d'état-major interministériel de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest, M. Marc Vermeulen, directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Gironde, et M. Bernard Lauret, président de l'Association des maires de la Gironde, maire de la commune de Saint-Émilion, qui participe en visioconférence.

M. Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde, et M. Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras, sont également invités et sont sur le point de nous rejoindre en visioconférence.

Nous vous remercions tous de vous être rendus disponibles pour partager avec nous votre expérience malgré vos agendas chargés. Notre mission d'information aura, par ailleurs, la chance de se déplacer bientôt en Gironde.

Nos questions porteront prioritairement sur le contexte et la gestion de la crise qu'a vécue le département, mais n'hésitez pas à nous faire part de votre analyse critique sur l'organisation actuelle de notre modèle de sécurité civile et sur les possibilités de l'améliorer, notamment à la lumière de ce que vous avez pu constater et vivre.

Notre mission est composée de 25 députés de tous groupes politiques et elle a été créée à l'initiative du groupe Horizons. Cette table ronde est filmée et accessible sur le site de l'Assemblée nationale. Elle fera également l'objet d'un compte rendu.

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Je vous remercie, messieurs, d'avoir répondu à notre demande. Notre mission d'information porte sur notre capacité d'anticipation et de gestion de crises. Ayant moi-même été sapeur-pompier volontaire, puis professionnel pendant plus de 30 ans, ainsi qu'élu local, j'ai eu à faire face à diverses crises.

D'abord, j'aimerais vous entendre sur votre approche de la sécurité civile, que ce soit au niveau départemental ou en fonction de votre expérience sur d'autres postes.

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Vincent Ferrier, sous-préfet de l'arrondissement de Langon

Je vous remercie d'organiser cette table ronde, qui nous offre l'opportunité de revenir sur la gestion des feux de 2022 en Gironde et sur les enseignements que nous en avons tirés. Pour ma part, en tant que sous-préfet de l'arrondissement de Langon, j'ai été particulièrement concerné par l'un des feux. En effet, deux feux principaux s'étaient déclarés, l'un dans le secteur du bassin d'Arcachon, à La Teste-de-Buch, et l'autre dans le secteur de Landiras, situé dans mon arrondissement et qui s'est étendu sur plusieurs communes, englobant un vaste massif forestier, à savoir les Landes de Gascogne.

J'ai été directement concerné par cet épisode intense et, avec un peu plus d'un an de recul, je constate que, malgré tous les retours d'expérience et les enseignements tirés, cette crise a révélé la résilience de notre territoire, de nos populations et de notre modèle de sécurité civile, ainsi qu'une capacité d'adaptation face à un phénomène hors normes à de nombreux points de vue, notamment en raison des conditions météorologiques dégradées. Le bilan affiche des éléments positifs, car il ne fait état d'aucune victime ou blessé grave. Ces opérations ont été menées dans un contexte difficile et en mobilisant d'importants moyens.

Cependant, comme dans toute gestion de crise, des enseignements sont à tirer, à la fois sur ce qui a bien fonctionné et sur les éléments d'amélioration. Notre modèle de sécurité civile a permis de faire face à cet évènement totalement hors normes. J'en retiens également des liens extrêmement forts entre tous les acteurs mobilisés pendant cette crise.

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François Gros, chef d'état-major interministériel de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest

Je n'étais pas présent au moment de cette crise, ayant pris mes fonctions en février de cette année. Je pourrai donc apporter un regard externe sur la manière dont elle a été gérée. Je rallie d'emblée les propos de M. le sous-préfet, en soulignant que ce modèle de sécurité civile, même soumis à des tensions et à des limites capacitaires, a résisté et s'est réinventé pendant la crise. Il a évolué vers des modèles qui ont connu aujourd'hui une consécration législative. Je me concentrerai sur la manière dont, sous l'impulsion du Président de la République et de son gouvernement, nous avons mis en œuvre diverses mesures pour compléter un dispositif déjà performant lors de ces feux, car nous pourrions faire face à des situations similaires, voire plus intenses et plus fréquentes, compte tenu des évolutions climatiques.

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Marc Vermeulen, directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Gironde

Je suis ravi de participer à cette commission et d'aborder un sujet aussi important que l'amélioration de notre système de sécurité civile. J'ai pris le commandement de la Gironde en octobre 2021 et, auparavant, j'avais commandé le département du Val-d'Oise ainsi que le département des Côtes-d'Armor. De plus, j'ai occupé le poste de chef de bureau à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). Cette expérience m'a permis d'avoir une vision globale de la sécurité civile en France.

Notre système de sécurité civile a été malmené et nous avons peut-être atteint les limites de nos capacités, mais il a tenu, notamment par la solidarité interdépartementale et nationale, voire internationale, ainsi que grâce aux sapeurs-pompiers volontaires.

Trois domaines mettent en difficulté le modèle de sécurité civile français. Tout d'abord, il est nécessaire de mentionner le réchauffement climatique et l'augmentation de l'intensité ainsi que de la fréquence des évènements auxquels nous devons répondre. Ensuite, la sur-sollicitation de notre sécurité civile dans le cadre des secours d'urgence aux personnes consomme parfois des troupes, ce qui peut engendrer une perte de sens et une difficulté à répondre aux situations exceptionnelles. Enfin, la question de la pérennisation du financement des SDIS se pose.

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Je renouvelle ma question pour les personnes en visioconférence : pourriez-vous revenir sur ce que vous avez vécu et sur votre approche de notre modèle de sécurité civile ?

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Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras

Je suis maire de Landiras depuis 2008 et, auparavant, j'ai fait carrière dans l'armée de l'air. En 2022, j'ai été le malheureux maire qui a vu la forêt brûler.

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Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde

La question porte, plus largement, sur la résilience de notre pays en matière de sécurité civile. Ce que nous avons vécu a constitué une forme d'exercice réel et a permis d'évaluer le rôle de chacun, ainsi que l'articulation et la coordination entre les différents acteurs, qui sont divers quant à leur niveau d'intervention, leur structuration et leur capacité à intervenir. Nous pourrions d'ailleurs considérer d'autres départements de France qui ont vécu des incendies et qui ont parfois été confrontés à des difficultés que nous n'avons pas vécues.

Même si le système n'a pas rompu, nous avons connu nos propres difficultés et nous avons parfois approché de très près ce point de rupture. L'analyse qui peut être faite aujourd'hui doit notamment porter sur le rôle de chacun, sur l'articulation des acteurs et sur la manière dont nous anticipons, planifions, prévenons et garantissons une connaissance commune de nos rôles respectifs, pour être les plus efficaces possible lorsque la crise survient. Le travail que vous effectuez aujourd'hui, qui fait suite à d'autres travaux déjà réalisés, est fondamental. Il devrait nous permettre de mieux identifier la structuration de cette organisation et, à terme, de garantir que chacun soit prêt et à sa place lorsque les crises surviennent.

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Bernard Lauret, président de l'Association des maires de la Gironde, maire de la commune de Saint-Émilion

En tant que président de l'Association des maires de la Gironde, je remarque le rôle très important que les maires, adjoints et conseillers ont joué lors de cette catastrophe. Les élus sont les premiers sur le terrain et sont nécessaires pour orienter les services de secours au moment des évacuations. Je remercie énormément le département, qui a ensuite pris la main sur l'organisation de l'intendance pour accueillir les personnels de secours. En tant qu'élus, nous n'avons pas l'habitude d'être confrontés à la gestion de crise et nous n'avons pas de formation sur le sujet. Nous organisons cependant des réunions pour parler du rôle du maire lors de tels évènements.

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Je vous remercie pour ces propos introductifs. Le rôle de chacun est un enjeu important qui a été souligné pour la gestion de crise, car nous faisons face à des crises d'ordre naturel, technologique, sanitaire et, malheureusement, à des crises relatives au risque attentat.

Je vous propose maintenant d'évoquer la sécurité civile en Gironde, les incendies de l'été 2022 et des questions générales sur notre modèle de sécurité civile. À quels risques principaux le département de la Gironde est-il exposé ? Comment ont évolué ces risques ces dernières années ?

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Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras

Les risques sur notre commune correspondent en premier lieu aux incendies, et, en second lieu, aux inondations, puisque nous sommes placés sur un plateau versant. Par exemple, 70 maisons ont été inondées en 2020.

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Marc Vermeulen, directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Gironde

M. Gleyze a l'habitude de dire que nous sommes confrontés à tous les risques au sein du département de la Gironde, hormis le risque avalanche. Nous couvrons environ 1,6 million d'habitants et 5,7 millions de nuitées. De plus, la dynamique est très importante en termes d'augmentation de la population, avec de 15 000 à 20 000 habitants supplémentaires par an au cours des dernières années. La superficie à couvrir s'élève à 10 725 kilomètres carrés, faisant de la Gironde le plus vaste département métropolitain. Elle est en outre caractérisée par 126 kilomètres de littoral, 35 000 kilomètres de cours d'eau et 48 % de surface boisée. La majeure partie de cet espace correspond à une forêt exploitée et qui a été plantée par l'homme, à savoir le massif des Landes de Gascogne. Historiquement, la terre n'était pas exploitable et, grâce à la main humaine et à la plantation du pin maritime, le département a pris la forme que nous lui connaissons. Le département compte aussi 11 800 hectares de vignes, 135 000 établissements recevant du public, 473 installations classées pour la protection de l'environnement, 39 sites Seveso, un aéroport national, une centrale nucléaire et le laser Mégajoule. Ces caractéristiques nous amènent à couvrir de nombreux risques, relatifs aux feux de forêt, aux tempêtes, aux orages – qui peuvent d'ailleurs mettre le feu au massif –, à l'érosion, aux inondations, à la technologie et à la métropole bordelaise. En effet, la plantation de nouveaux arbres génère des problématiques d'accessibilité et de nombreuses constructions en bois.

En 2022, nous avons assuré 146 184 interventions et 80 % de notre activité concernaient les secours à personnes. La Gironde est, en outre, confrontée à la problématique des temps d'attente : les sapeurs-pompiers peuvent patienter dans les sites d'accueil des urgences jusqu'à huit heures avant que les victimes soient prises en charge, ce qui bloque les équipages. Cela peut représenter, en termes de temps d'attente, 80 ETP.

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Monsieur Pelletant, nous souhaiterions vous entendre sur la manière dont vous avez vécu cette crise en tant que maire.

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Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras

Le feu de 2022 a pris vers 16 heures 15 et j'étais sur place à 17 heures, moment auquel les flammes et la chaleur étaient déjà très importantes. Je me suis tout de suite rendu compte que nous étions confrontés à un évènement extraordinaire. En effet, nous subissons des départs de feux tous les ans, ce qui nous confère une certaine expérience. Dans le cas qui nous occupe, j'ai immédiatement créé une cellule de crise avec les élus, en pensant que la nuit ne serait pas tranquille. Le feu a en effet parcouru 1 500 hectares en vingt-quatre heures et il a duré un peu plus d'un mois. J'ai personnellement perdu 6 kilos en raison de nombreuses nuits blanches. Le village a en outre été évacué, davantage par crainte de la fumée que du feu. Nous avons veillé, avec les gendarmes, à la sécurité des habitations isolées et 1 200 pompiers ont dû être hébergés au mois d'août. Notre principal rôle a été de nous occuper d'eux et d'assurer leur bien-être.

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S'agissant de de votre appréhension de la gestion de crise, aviez-vous une appétence sur le sujet en tant que maire, ou une personne de votre équipe municipale était-elle déjà spécialisée dans le domaine ? Est-ce plutôt les évènements qui vous ont poussé à mettre en place cette cellule de crise ?

Vous êtes-vous retrouvé isolé – non pas du reste du monde, car les services et l'inter-service fonctionnent souvent très bien dans notre pays – au moment du départ de feu ? Aviez-vous une approche d'avant-crise, pendant la crise et d'après-crise ? En effet, les maires sont souvent confrontés à l'après-crise, notamment au sujet du relogement.

Vous êtes-vous doté d'une réserve communale de sécurité civile ou pouvez-vous vous appuyer sur des associations agréées ?

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Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras

J'ai travaillé 36 ans dans l'armée de l'air, ce qui m'a confronté à plusieurs problèmes de ce type. Je n'ai donc pas été tout à fait désorienté quant à l'organisation induite par cet évènement. J'ai mis en place une cellule de crise dans la soirée avec les élus et elle a perduré pendant près d'un mois. Nous avons commencé à travailler et à aménager les salles pour accueillir les personnes évacuées et, à 4 heures du matin, nous étions préparés à accueillir des habitants des villages voisins. Nous avons en outre accueilli les pompiers.

J'avais une grande expérience des cellules de crise grâce à ma carrière militaire et nous créons maintenant notre plan local de sauvegarde ainsi que la réserve communale. Nous avons travaillé en relation avec la défense des forêts contre l'incendie (DFCI), la gestion des volontaires et des bénévoles, ainsi que la gestion des dons qui nous parvenaient de partout. Je pense que nous avons fait ce qu'il fallait dans la mesure de nos moyens. L'ensemble de nos élus a d'ailleurs été sur le pont pendant près d'un mois.

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Ces évènements ont amené à mener une réflexion plus poussée pour se préparer aux prochaines crises, notamment avec la mise en place de la réserve communale de sécurité civile et d'une cellule de crise à l'échelle communale. Selon vous, faut-il poursuivre les efforts en ce sens pour que les communes ne soient pas dépourvues lorsqu'elles n'ont pas de compétences en la matière ? Il arrive, en effet, que les conseils municipaux ne comprennent pas de personnes aguerries dans la gestion du risque. De plus, la solidarité que vous avez évoquée avec votre équipe municipale, et peut-être les habitants, demande sans doute à être structurée à l'avenir, notamment à l'échelon national.

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Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras

Nous n'avions pas de plan communal de sauvegarde (PCS) et celui-ci est maintenant pratiquement terminé. Nous allons l'envoyer aux autorités compétentes et nous avons déjà trouvé un certain nombre de personnes pour la réserve communale. Le nombre de volontaires demeure pour l'heure insuffisant, car nous voulons désigner un référent dans chaque quartier. La commune de Landiras se compose d'un bourg et de 18 quartiers, éloignés parfois de 9 kilomètres. Il nous faut un référent et un suppléant dans chaque quartier, avec des consignes pour qu'ils puissent intervenir de manière adéquate. Les élus de Landiras sont par ailleurs, pour certains, des propriétaires qui ont déjà été confrontés au feu.

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Pensez-vous que la population de votre commune et des alentours – voire la population au niveau national – est assez acculturée au sujet de la sécurité civile et de la protection des populations ?

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Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras

Ce n'est pas une question facile, mais il me semble que c'est le cas. Les élus et les habitants de Landiras sont des « hommes des bois », ayant vécu toute leur vie dans des bois. À part en 1949 et 1962, des feux de ce type ne se déclarent pas tous les ans, mais les habitants ont l'habitude des incendies et savent ce qu'ils doivent faire. Par exemple, ils ne comprenaient pas pourquoi ils étaient évacués, car habituellement, on leur demande de rester chez eux en cas de feu.

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Quelles ont été les relations entre vous, les autres maires, le département et les services de l'État ? Ont-elles été fluides ? Comment avez-vous vécu cette crise ?

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Jean-Marc Pelletant, maire de la commune de Landiras

Les relations ont été constantes. En tant que maire, j'étais sur le terrain avec mes autres collègues, M. le sous-préfet, la DFCI et le SDIS. J'étais aussi en relation téléphonique constante avec la cellule de crise, qui était dirigée par ma première adjointe. Je n'ai donc pas trop de commentaires à faire sur ce sujet. Les relations étaient constantes et précises, aussi bien avec les services de l'État qu'avec les collègues maires, les pompiers et les gendarmes. J'ai également eu les postes de commandement (PC) des gendarmes et des pompiers sur la commune.

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Monsieur Gleyze, quel a été le rôle du département dans ce type de crise et quelles ont été vos propres relations avec les services de l'État et le maire de Landiras ?

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Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde

Je suis né en Gironde, et plus particulièrement dans le massif des Landes de Gascogne. Au fil des années, j'ai occupé des rôles de directeur général des services (DGS) dans des communes et j'ai pu observer divers évènements dans cette région, y compris des tempêtes majeures et des incendies, comme ceux dans le Médoc dans les années 1990 et dans la région de Saint-Jean-d'Illac en 2015. Ce dernier, bien que de moindre ampleur en termes de superficie brûlée, a marqué les esprits, car il s'est rapproché dangereusement de l'agglomération bordelaise.

Au fil du temps, j'ai observé une évolution dans la manière d'aborder les crises et les risques. À l'époque de la tempête Martin, nous n'étions pas du tout préparés à affronter un évènement d'une telle envergure. La désorganisation était très importante, avec des coupures d'électricité pendant un mois dans certaines communes, des problèmes de distribution d'eau et une organisation improvisée, parfois désordonnée, avec des communes se disputant les groupes électrogènes.

Aujourd'hui, il semble y avoir un niveau de préparation légèrement meilleur, mais les renouvellements électoraux entraînent des changements de maires. Être directeur des opérations de secours (DOS) dans sa commune ne fait généralement pas partie de la formation initiale des maires. Ils acquièrent donc cette conscience soit lors de la crise elle-même, soit en se préparant en amont, notamment en élaborant des plans communaux de sauvegarde. Dans notre petite commune de 1 300 habitants située dans le massif, nous disposons d'un plan communal de sauvegarde depuis plusieurs années. Celui-ci doit être testé régulièrement pour garantir son opérationnalité au moment où il sera utilisé.

Dans notre conseil municipal, nous avons la chance de compter un ancien pompier, dont l'expérience est inestimable pour nous aider à déployer notre plan communal de sauvegarde. Toutefois, il est essentiel que les maires prennent pleinement conscience de l'importance de ce plan et de la nécessité de le tester régulièrement.

Aujourd'hui, je constate que les maires dont les communes ont été touchées par des incendies sont évidemment beaucoup plus sensibles à l'utilité des plans communaux. Le travail effectué en collaboration avec l'Association des maires de Gironde (AMG) et le SDIS, qui propose des formations aux élus, vise à sensibiliser l'ensemble des élus. La dernière journée des maires du conseil départemental, qui s'est tenue il y a quelques semaines, portait justement sur la question des risques. Je considère que cette sensibilisation en amont est un élément essentiel à prendre en compte.

La question de la population est également importante, car elle se renouvelle et évolue régulièrement, y compris dans les milieux ruraux. Si les autochtones ont développé une culture du risque incendie et forestier dans le massif des Landes de Gascogne, de nombreux nouveaux habitants et touristes ne sont, cependant, pas toujours conscients de ces risques. Ils peuvent soit contribuer à créer des risques, soit devenir des victimes.

En ce qui concerne les relations entre les différents acteurs, je tiens à souligner –étant à la fois président de conseil départemental et président de SDIS –, l'excellente collaboration que nous avons entretenue avec la Mme la préfète Buccio et les deux sous-préfets, à savoir Vincent Ferrier et Ronan Léaustic. Les évènements que nous avons vécus ont renforcé les liens entre les différents acteurs, que ce soit l'État, à travers la préfète et les sous-préfets, ou l'ensemble des organisations de sécurité civile sur le terrain. Ces incendies, que l'on peut qualifier d'historiques, ont resserré les rangs et ont montré l'importance d'une collaboration étroite entre toutes les parties prenantes. La relation entre le SDIS et la DFCI a également été très bonne, cette dernière ayant été un partenaire majeur de la défense contre ces incendies, parfois même au-delà de son périmètre officiel. La relation entre le SDIS et la DFCI est très structurée en raison des incendies d'après-guerre, la connaissance mutuelle entre les personnels permettant d'être rapidement opérationnel.

S'agissant des maires, nous avons essayé de les accompagner autant que possible, notamment en ouvrant les collèges pour accueillir les populations évacuées, en offrant un appui pour les personnes handicapées, ainsi que pour les personnes âgées en situation d'isolement, et en ouvrant un domaine départemental qui est une base de loisirs. Ce domaine a accueilli des pompiers, des militaires, la DFCI, la protection civile, des élus et des bénévoles départementaux, qui ont servi jusqu'à 2 000 repas matin, midi et soir, ainsi que la nuit. Nous avons également accueilli les troupes européennes. Ces actions nous ont inspiré l'élaboration d'un document qui sera inédit en France, à savoir un plan départemental de sauvegarde. Il s'incrémenterait entre l'organisation de la sécurité civile nationale et les plans communaux et intercommunaux de sauvegarde, afin de pouvoir jouer un rôle complémentaire pour face à ce type de crises.

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Bernard Lauret, président de l'Association des maires de la Gironde, maire de la commune de Saint-Émilion

Nous pouvons remercier le travail important réalisé par le département pour aider les collectivités, notamment lorsqu'il a pris la main pour gérer l'accueil de ces centaines de pompiers et gendarmes. Mon rôle en tant que président de l'association des maires de Gironde consistait surtout à assurer l'interface. J'avais très souvent au téléphone la directrice de cabinet de la préfète, car il fallait trouver des quantités d'eau très importantes, des camions frigorifiques et des lits. Je me chargeais de la coordination, afin d'apporter tout ce matériel dans les centres d'accueil des petites communes. L'implication du département a été bénéfique pour tous les maires concernés par des déplacements de population et par la fourniture de nourriture. Le président du conseil départemental avait d'ailleurs mobilisé des cuisiniers des collèges du département, les conseillers départementaux et des bénévoles.

En 2015, j'ai connu l'accident grave d'un bus à Puisseguin, qui a fait 41 victimes. Le rôle de la communauté de communes a alors été manifeste, et j'avais mis à disposition mes policiers municipaux en renfort pour accueillir les familles des victimes. Tout le personnel de la communauté de communes a en outre permis de nourrir les gendarmes et pompiers qui étaient présents.

Nous travaillons par ailleurs sur des plans intercommunaux de sauvegarde, afin de fédérer les différents plans et de travailler ensemble sur un modèle unique. Il est judicieux de travailler à une échelle plus importante, car la Gironde compte 535 communes et, individuellement, nous sommes presque tous démunis.

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Souhaitez-vous réagir aux propos des élus locaux ? Pouvez-vous nous parler du rôle de chacun et des relations entre les différents échelons dans ce type de crises ?

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Vincent Ferrier, sous-préfet de l'arrondissement de Langon

Je tiens également à saluer la très grande qualité des relations entre les acteurs de la crise, en particulier des relations avec les élus. Nous avions tous le sentiment profond de vivre une crise tout à fait exceptionnelle, ce qui justifiait des relations aussi fluides et efficaces que possible. Je crois que cet objectif a été atteint, même si tout est, par définition, perfectible. Nous avons fait de notre mieux pour coordonner nos efforts de manière optimale.

Nous faisons face à deux défis importants, dont le premier était l'ampleur du périmètre géographique. Deux grands feux ont débuté presque simultanément le 12 juillet, à deux heures d'intervalle. Le premier a principalement touché une commune, mais a entraîné des répercussions sur les communes environnantes, situées sur le bassin d'Arcachon, notamment La Teste-de-Buch. Le second incendie a commencé à Landiras et s'est rapidement propagé dès le premier soir vers Guillos, Origne, Louchats, etc. Au plus fort de la crise, 16 communes étaient concernées, soit directement par le feu, soit parce que leur population située en périphérie de la zone d'incendie était évacuée. La coordination entre tous les maires concernés constituait donc un enjeu majeur, en raison de l'ampleur géographique de l'évènement.

Le deuxième défi résidait dans le grand nombre d'acteurs impliqués, avec d'abord le SDIS de la Gironde, qui a été rapidement renforcé par des moyens des départements voisins, puis des moyens régionaux, nationaux et européens, auxquels se sont ajoutées les forces de sécurité civile au sens large. Les gendarmes et la police nationale ont également joué un rôle essentiel, de même que l'armée, qui est venue en renfort, la DFCI, les élus, leurs services et d'autres acteurs. Coordonner tous ceux-ci a constitué un défi considérable, mais nous y sommes parvenus.

La gestion logistique a été particulièrement complexe. Il a fallu organiser la logistique pour, d'une part, accueillir les renforts mobilisés et, d'autre part, prendre en charge les populations évacuées. Il a également fallu accueillir, nourrir et gérer ces populations, ce qui nécessite de mettre en adéquation l'ensemble des besoins et des ressources disponibles, qui étaient parfois trop nombreuses ou pas toujours au bon endroit.

Lorsqu'une telle crise survient, deux pôles d'activation entrent en jeu. Le premier est le centre opérationnel départemental (COD), qui a été activé dès le 12 juillet vers 18 heures ; le second est le poste de commande opérationnel (PCO), qui est situé au plus près de la crise et dont la base a été fournie par le SDIS. La particularité de cette crise réside dans le fait que deux PCO ont été mobilisés. Le premier avait été situé dans la commune de Landiras avant de se déplacer en suivant l'évolution du feu vers les communes de Villandraut et Langon. De plus, un PCO était installé à La Teste-de-Buch.

Quant à l'articulation des actions en cas de crise de cette ampleur, le maire de chaque commune joue le rôle de DOS. Lorsque la crise s'étend sur plusieurs communes et nécessite des moyens supplémentaires, le DOS devient alors l'autorité préfectorale, qui coordonne les actions nécessaires. L'articulation de la gestion de cette crise impliquait un DOS principal, en l'occurrence la préfète de la Gironde, et deux DOS de site, c'est-à-dire les deux sous-préfets, chacun sur leur site. Un commandement était enfin assuré par le SDIS. Les maires ont été très directement concernés et les décisions importantes, telles que l'évacuation des communes, ont toujours été prises en concertation avec ceux-ci, car il leur revenait de les mettre à exécution avec le soutien des gendarmes et d'autres acteurs.

La mise à jour des plans communaux de sauvegarde représente un enjeu très important. Beaucoup de communes sont devenues conscientes de cette nécessité, en particulier celles qui ont été directement touchées par la crise ou celles qui sont exposées à des risques particuliers. De plus, il est indispensable de se doter de plans intercommunaux de sauvegarde, articulés avec les PCS. L'autorité de police sur chaque commune reste le maire, mais le président de l'intercommunalité peut jouer un rôle essentiel, notamment en matière de soutien logistique.

En conclusion, les relations ont été les plus constructives possible et la communication a toujours été privilégiée. Nous pouvons saluer l'ensemble des maires, qui ont été présents sur le terrain jour et nuit. Le président du conseil départemental et d'autres acteurs ont également consacré beaucoup de temps.

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Marc Vermeulen, directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Gironde

Nous avons été confrontés à une situation inédite en termes de crise de sécurité civile, car nous avions deux incendies de grande ampleur sur le même département. De plus, nous ne disposions pas de fenêtres de tir pour les éteindre. Nous faisions face à des incendies qui gagnaient en puissance et, malgré toutes les tactiques mises en œuvre, les conditions météorologiques empêchaient leur extinction.

Nous avons alors rapidement maintenu les fondamentaux en termes de structuration du commandement, avec un DOS et un commandant des opérations de secours (COS). Nous avons toutefois adapté cette structure à la situation. En effet, tout n'était pas dans le manuel et, à plusieurs reprises au cours de ces mois d'été, nous avons pris des mesures extraordinaires. D'abord, Mme la préfète Buccio a pris la direction des opérations de secours, tandis que j'ai assumé le rôle de COS. Cependant, nous avions affaire à deux feux majeurs séparés par environ 50 kilomètres. N'ayant pas le don d'ubiquité, le commandant de terrain avait plus de latitude qu'un simple chef de secteur, mais des priorités devaient être établies entre les chantiers.

Ces priorités ont été définies et validées par Mme la préfète de manière très claire. Il fallait d'abord éviter les pertes humaines au niveau des deux incendies principaux, puis empêcher l'apparition d'un troisième incendie de grande ampleur. Sur les trois mois d'été, nous avons dû traiter 640 départs de feu. Nous devions donc conserver nos moyens pour les déployer sur les incendies qui survenaient, en particulier le 18 juillet, maintenant appelé le « lundi noir ». À ce moment-là, les deux incendies principaux ont atteint leur pic de virulence et nous avons dû traiter un troisième feu à Vendays, que nous sommes parvenus à « coiffer ». En parallèle, nous devions maintenir la réponse quotidienne en matière de sécurité civile, c'est-à-dire assurer 300 à 400 interventions journalières, dont 80 % représentaient des secours à des personnes.

Notre structuration a conduit à avoir deux DOS de terrain, qui connaissaient leur marge de manœuvre et rendaient compte régulièrement à Mme la préfète pour divers aspects de la gestion de la crise. Cette structure se retrouvait du côté des sapeurs-pompiers, avec des COS de terrain, bien que leur autonomie soit moins étendue que dans une opération classique. Ils devaient rendre compte et faire valider des idées de manœuvres ou de propositions.

Pour maintenir un lien avec les élus, les deux mêmes lieutenants-colonels étaient présents sur les PC, de même que les deux sous-préfets, tandis qu'une rotation était mise en place la nuit. La structuration très claire a permis que l'inter-service fonctionne avec aisance, évitant ainsi toute tension avec les forces de l'ordre, notamment lorsqu'il a fallu préparer des évacuations. Des réunions étaient tenues avec le sous-préfet, le COS de terrain et le correspondant de police ou de gendarmerie pour élaborer des stratégies en termes de temporalité et de zones géographiques à évacuer en priorité. Ce travail était partagé avec le maire, qui apportait sa connaissance du territoire.

Lorsque des innovations ont été nécessaires, nous avons mis en œuvre des techniques opérationnelles connues, mais que nous avons élevées à une échelle industrielle. Par exemple, les feux tactiques supposaient de mettre le feu à des parcelles appartenant à des propriétaires forestiers. Les sous-préfets, les maires et élus étaient d'ailleurs à nos côtés pour faire œuvre de pédagogie auprès des sylviculteurs. De plus, nous avons travaillé avec des coupes tactiques, qui représentent une nouvelle technique opérationnelle. Comme nous n'avions pas de point de rendez-vous dans des délais raisonnables, nous avons été amenés à couper du bois grâce à la DFCI en partenariat avec les sylviculteurs. Nous ne disposions alors d'aucune base légale, mais un travail a permis d'introduire cette mesure dans le code forestier. La directrice des opérations de secours a pesé de tout son poids, notamment parce que dans la loi de modernisation de la sécurité civile, tous les moyens réquisitionnés au profit du SDIS sont à la charge de l'établissement public. En effet, lorsque vous êtes confronté à une crise hors normes, il est nécessaire de faire appel à la solidarité nationale. C'était l'une des premières fois que nous avions été amenés à le faire et Mme Buccio s'était montrée très claire.

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François Gros, chef d'état-major interministériel de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest

J'ai tiré mes observations des retours d'expérience que j'ai pu consulter et des échanges réguliers avec les services d'incendie et de secours : la coordination au niveau départemental a été très efficace. L'état-major interministériel de la zone de défense et de sécurité coordonne douze départements au sein de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest. En Gironde, six départements composent l'aire d'influence du pin maritime, et trois départements historiques englobent le Massif des Landes, d'une surface de plus de 1 million d'hectares : la Gironde, les Landes et le Lot-et-Garonne.

Notre mission consiste principalement à coordonner les actions de ces services et à mobiliser des renforts et des capacités lorsque les ressources d'un département sont dépassées. Lors de l'été 2022, la Gironde a enregistré trois feux hors normes, totalisant près de 28 000 hectares brûlés. Au niveau de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest, nous avons recensé 2 064 départs de feu, dont 640 en Gironde et le reste réparti dans d'autres départements, dont les Landes, la Dordogne, le Sud de la Charente et la Charente-Maritime. Certains de ces feux avaient le potentiel de devenir des feux hors normes, mais ont pu être maîtrisés malgré d'importantes surfaces brûlées, soit environ 3 500 hectares supplémentaires.

Cette réussite s'explique en grande partie par la stratégie française d'attaques massives des feux naissants, tant par des moyens terrestres qu'aériens. Cette attaque combinée est essentielle pour éviter le développement de feux catastrophiques. En effet, une fois que les incendies atteignent une certaine taille, ils deviennent une préoccupation majeure pour la sécurité civile, surtout dans un massif tel que celui des Landes de Gascogne quand il est soumis à des conditions météorologiques extrêmes.

En 2022, cette stratégie a impliqué près de 5 000 largages d'avions ou d'hélicoptères bombardiers d'eau. Les feux dans les Landes de Gascogne, en raison du terrain particulier, ont tendance à durer, s'enterrer et compliquer la lutte, notamment pour les équipes au sol, ce qui exige une attention constante. Huit à neuf appareils bombardiers d'eau ont d'ailleurs été alloués pendant la période des feux de forêt.

La zone se situe donc à un niveau supra-départemental, permettant de fournir des moyens zonaux, voire nationaux ou européens. Ces moyens zonaux sont d'ailleurs constitués par les moyens des SDIS, c'est-à-dire des prélèvements sur les moyens de départements qui ne sont pas nécessairement moins soumis aux risques. À ce moment-là, nous touchons aux limites de la réponse capacitaire lorsque plusieurs départements sont soumis à des risques similaires dans une même zone de défense.

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Lorsque j'avais accompagné le ministre de l'intérieur à La Teste-de-Buch au premier semestre, j'avais pu échanger avec les différents élus et acteurs intervenus durant ces feux. Le résultat de ces interventions a été admirable grâce à la coordination entre les différents acteurs, qu'ils soient locaux, départementaux, nationaux, voire européens, sans oublier les élus. Monsieur le directeur départemental, une phrase m'a semblé particulièrement pertinente : « tout n'est pas dans le manuel ». Je partage cette vision, car la seule réalité qui compte est celle du terrain. Je comprends bien l'organisation des services d'incendie et de secours, notamment la mise en place d'un COD, de deux PCO et des COS.

Bien que nous parlions des feux de forêt, il est essentiel de prendre du recul et d'examiner la gestion de crise dans son ensemble, quelle que soit sa nature. L'acculturation des élus et des citoyens ainsi que les enjeux qui en découlent ont été abordés. La population évolue, avec des arrivées et des départs, et tout le monde n'est pas nécessairement acculturé au risque du département. On omet peut-être de parler de l'affluence touristique importante, alors que cette population est encore moins sensibilisée.

Toutefois, en gestion de crise, la prévention est toujours le meilleur atout. Au moment de la survenue d'une crise, les maires et les élus locaux sont souvent concernés au premier chef, en attendant l'arrivée des moyens départementaux, qui peuvent ensuite être interdépartementaux, zonaux ou nationaux. Je suis curieux de savoir si l'acculturation de la population a facilité la gestion de la crise et s'il est possible de développer cette sensibilisation pour soutenir les services d'incendie et de secours, ainsi que les associations agréées en sécurité civile.

Outre les feux de forêt et les risques courants, comment la crise que vous avez connu aurait-elle pu être gérée si un troisième évènement était survenu au même moment ?

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Marc Vermeulen, directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Gironde

En sortant d'une saison telle que celle que nous avons vécue, les défis opérationnels rendent humble. Il est vrai que le bilan est très positif, car aucune victime n'est à déplorer parmi la population et tous les sapeurs-pompiers ont pu rentrer chez eux, même si nous avons malheureusement dénombré quelques blessés, dont la vie n'a pas été mise en danger. Certes, nous comptons 20 habitations détruites, mais 10 000 bâtiments avaient été exposés. Nous avons d'ailleurs permis aux assureurs de réaliser des économies substantielles.

De plus, nous avons bénéficié du soutien des élus, de la population et des professionnels de la forêt. Ce soutien a pu se mettre en place en raison de la culture existante dans le massif des Landes de Gascogne, héritée des feux de 1949. Le législateur a imposé aux communes d'organiser la DFCI dans le cadre de la surveillance des feux, car le massif contient de la tourbe dans laquelle les feux peuvent s'enfoncer. Pour éviter la mobilisation des moyens sapeurs-pompiers pendant de nombreux jours, les communes forestières fonctionnent avec des bénévoles, qui apportent leur aide en surveillant le feu.

De manière concrète, j'ai mis en place un secteur bénévole, que j'ai placé sous l'égide de la DFCI. Sa mission englobait l'organisation de la traçabilité de tous les bénévoles qui étaient engagés sur le terrain. Parmi ces bénévoles, nous avions des agriculteurs venus apporter une aide précieuse, notamment en fournissant des tonnes à lisier pour remplir les camions, ou en nous aidant à traiter les lisières en raison du grand nombre de kilomètres à parcourir. Des entreprises ont également été réquisitionnées par la préfète dans le cadre des coupes tactiques.

Plus largement, je pense que l'encadrement des bénévoles et la synergie entre toutes les personnes doivent passer par plusieurs initiatives. Tout d'abord, il est essentiel de former les élus et de les sensibiliser. Le SDIS de Gironde s'est engagé à envoyer une vingtaine d'officiers en formation à notre école nationale, officiers que nous déployons sur l'ensemble de la Gironde et que nous mettons à disposition des élus. L'objectif est de permettre aux maires, en tant que DOS, de se positionner dans la gestion de crise et de savoir quand ils peuvent utiliser de manière autonome leur réserve communale de sécurité, ainsi que d'identifier les situations dans lesquelles ces réserves doivent passer sous le commandement du COS. De plus, nous souhaitons contribuer à la formation et à la sensibilisation de ces réserves communales, car nous savons qu'à un moment donné, elles seront à nos côtés et que le travail sera plus facile si nous nous connaissons.

Au sujet des associations agréées en sécurité civile, notamment en Gironde, nous devons aller plus loin et nous servir de toutes les possibilités de la loi Matras pour couvrir plus facilement le risque courant et concentrer les moyens de sapeurs-pompiers sur la crise, en lien avec ces associations.

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Vous avez évoqué une sectorisation bénévole : les personnes la connaissent-elles ou l'avez-vous établie sur le terrain même ? De plus, en cas d'inondation importante, de tremblement de terre ou d'attentat, la préparation de la population doit-elle être la même ?

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Marc Vermeulen, directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Gironde

Je n'avais jamais eu connaissance, du moins dans la littérature des retours d'expérience, de secteur bénévole au niveau d'un incendie. Cependant, il existe un certain nombre de retours d'expérience dans le cadre de la gestion des pollutions des plages où l'accent est mis sur la manière de gérer les bénévoles, de les structurer et surtout d'assurer leur protection. Par exemple, les briefings de début de mission sont essentiels pour que tout se déroule dans de bonnes conditions. Ces pratiques, qui existaient déjà, ont été adaptées pour les feux de forêt.

S'agissant des autres crises de sécurité civile, je dirais que le niveau de préparation est commun à toutes les crises, car nous disposons de spécialistes et de matériel adapté. Nous avons également une structure de commandement claire et adaptable à différentes situations. Cependant, notre capacité à répondre dépendra de l'ampleur de l'évènement et de la simultanéité par rapport à d'autres incidents. Pendant l'été 2022, nous sommes arrivés à la limite de nos capacités en ce qui concerne les camions, alors que, depuis les incendies de 1949, les SDIS qui défendent le massif des Landes de Gascogne avaient toujours eu des moyens matériels suffisants.

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François Gros, chef d'état-major interministériel de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest

Au sujet de la préparation de la population à réagir en situation de crise, il existe aujourd'hui un arsenal juridique offrant divers moyens, notamment de sensibilisation. La journée nationale de la résilience a eu lieu le 13 octobre dernier et les ministères de la transition écologique et de l'intérieur ont uni leurs forces en mobilisant des crédits assez importants, dont le montant avoisine les 900 000 euros au niveau national. De plus, des appels à projets ont été lancés au niveau départemental pour mobiliser l'ensemble des acteurs de la sécurité civile, bien au-delà des forces de sécurité civile, notamment en impliquant les associations et en encourageant des initiatives.

Bien que cela doive être renforcé, multiplié, voire décuplé, nous nous sommes inspirés de ce qu'on a appelé à un moment donné la « journée japonaise », qui consiste à observer comment les Japonais se préparent à un tremblement de terre. Vis-à-vis d'une multitude de risques, il est nécessaire de se préparer en anticipant, en adoptant les bons comportements, en prenant les bonnes décisions et en s'intégrant dans un dispositif. Je pense que les moyens existent et il nous appartient maintenant de les faire connaître, de les promouvoir et de les utiliser.

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Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde

En comparant la situation dans le Jura avec les incendies dans le massif des Landes de Gascogne, nous avons élaboré un rapport à la suite de la mission flash des départements de France avec mon collègue André Accari. Il a évoqué le souvenir d'un incendie dans le Jura où des agriculteurs se sont spontanément mobilisés avec leurs tonnes à lisier pour contribuer à la défense contre l'incendie. Le Jura n'était pas préparé pour fédérer et coordonner ces bénévoles qui arrivaient spontanément, prêts à aider, mais sans garantie d'être réquisitionnés pour être protégés, assurés et éventuellement indemnisés. Parfois, ils se rendaient sur le site de l'incendie de manière spontanée, sans coordination, même si la défense incendie relevait du SDIS, et cet apport complémentaire devait être impérativement coordonné.

La grande différence, dans notre cas, réside dans le fait que la DFCI a été capable de jouer le rôle d'intermédiaire pour coordonner les bénévoles. Je me souviens, à Guillos par exemple, d'un entrepreneur forestier qui est arrivé avec un camion-citerne sans même avoir été réquisitionné et sans se préoccuper des étapes nécessaires pour garantir son assurance et son éventuelle indemnisation. La DFCI a directement repris la main et est parvenue à coordonner ces bénévoles. Ce type d'organisation mérite d'être étudié et potentiellement dupliqué ailleurs, car il est riche d'enseignements sur la structure de l'approche bénévole.

Par ailleurs, nous prenons un risque lorsque nous organisons spontanément l'appui aux forces présentes, en particulier en ce qui concerne le soutien logistique. J'ai eu l'occasion d'en discuter avec des maires et j'ai moi-même vécu une situation similaire avec l'ouverture du domaine départemental d'Hostens, où nous avons dû accueillir et servir des repas à près de 2 000 personnes. Nous prenons en effet un risque sur le moment sans poser de questions, notamment si une épidémie de salmonellose circule au moment où nous servons ces repas.

En ce qui concerne le domaine départemental, nous avions la chance d'avoir une cuisinière sur place, connaissant les normes HACCP, même si je doute qu'elles aient été pleinement respectées au moment de l'incendie. Nous avons également bénéficié de l'aide de restaurateurs bénévoles. Tout cela a été organisé de la meilleure manière possible, avec la mise en place d'une sorte de supermarché local pour gérer les stocks, ainsi qu'une chaîne de restauration en self-service proposant des repas de qualité correspondant aux besoins des personnes mobilisées. Je tiens à souligner l'importance du bénévolat dans cette organisation, ainsi que la coordination nécessaire, assurée par la DFCI. Par ailleurs, les élus locaux, les bénévoles et la population agissent de manière très volontaire, mais il reste toujours cette part de risque.

Le contrôleur général a également évoqué les coupes tactiques, ce qui m'a rappelé les négociations avec les propriétaires forestiers. Je peux vous assurer que convaincre certains d'entre eux de couper leurs arbres pour prévenir la propagation de l'incendie a été un vrai défi. Nous devions anticiper en nous projetant un à deux jours dans l'évolution de l'incendie et la plupart des pare-feux créés à ce moment-là ont réellement limité la progression de l'incendie. Cependant, deux d'entre eux se trouvaient à l'extérieur du périmètre, mais étaient là à titre préventif, ce qui était compliqué à expliquer aux propriétaires. Depuis, la législation est venue faciliter le recours à ces procédés.

Lors des tempêtes Klaus et Martin, je me souviens que des personnes arrivaient avec des tronçonneuses à la mairie, prêtes à couper des pins. On les envoyait sur une piste forestière menant à une maison très isolée où une personne était sous respirateur et devait être évacuée de toute urgence. À ce moment-là, personne ne se posait la question de l'assurance ou du danger vis-à-vis de ceux qui intervenaient. Cet aspect est également important à prendre en considération. L'élan de solidarité est extraordinaire, mais il présente une part de risque.

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Vincent Ferrier, sous-préfet de l'arrondissement de Langon

Chaque type de risque a sa propre temporalité. En Gironde, nous sommes confrontés au risque d'inondation sur la Garonne, un phénomène beaucoup plus lent avec une montée graduelle des eaux. Nous avons donc davantage de temps pour nous organiser, mais il est important d'embarquer la population dans cette démarche pour réduire la vulnérabilité des territoires face aux risques.

La population doit à la fois être impliquée dans la prévention, afin d'éviter que la crise ne survienne, et dans l'adoption de bons réflexes en cas de crise. Des progrès sont encore à réaliser collectivement, malgré les mesures nationales. Localement, nous avons un rôle important à jouer, notamment avec les maires. Il serait bénéfique de mettre en place davantage d'exercices, car ils contribuent à une meilleure préparation. La culture du risque s'estompe en effet rapidement, surtout lorsque nous ne faisons pas face à des incidents pendant plusieurs années.

Les inondations de 2021 sur la Garonne ont, par exemple, constitué une redécouverte du risque. À la suite de celles-ci, nous avons positionné des repères de crue sur les bâtiments, ce qui participe à l'acculturation des nouveaux habitants. Les plans communaux de sauvegarde peuvent aussi permettre de communiquer sur ces sujets.

En outre, nous réfléchissons actuellement à la prise en compte de la présence de touristes, y compris de touristes étrangers. Au sein de trois départements concernés par le massif des Landes de Gascogne, nous avons un règlement interdépartemental de protection de la forêt contre les incendies qui datait de 2016 et dont la révision a été finalisée à l'été 2023. Les principales dispositions de ce règlement incluent des niveaux de risque codifiés par couleur, avec des prescriptions et des restrictions liées à chaque niveau de risque. Le défi relève maintenant de la communication. Nous avons commencé à élaborer des vignettes faciles à diffuser et nous nous interrogeons sur la meilleure façon de communiquer ces supports en collaboration avec les campings, les acteurs touristiques et les communes. En 2022, nous avons constaté que certaines personnes continuaient de bonne foi à se rendre en forêt sans être conscientes du risque, ce qui souligne la nécessité d'une communication efficace.

Celle-ci joue également un rôle crucial avant même qu'une crise ne survienne, en encourageant les populations locales et les vacanciers à adopter les bons réflexes. Les retours d'expérience que nous avons menés depuis l'été ont réellement contribué à améliorer la situation. L'objectif partagé est de réduire à la fois l'aléa et la probabilité que les risques se concrétisent.

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Monsieur Lauret, vous souhaitez peut-être répondre au sujet de l'acculturation des populations, notamment en lien avec le rôle de l'AMF et des élus locaux.

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Bernard Lauret, président de l'Association des maires de la Gironde, maire de la commune de Saint-Émilion

Nous travaillons avec le SDIS à l'organisation de formations envers les élus. Nous devons en outre communiquer vis-à-vis de nos populations, car nous accueillons 20 000 nouveaux habitants en Gironde chaque année. Ils ont besoin d'être formés, car ils ne sont pas toujours habitués aux contraintes relatives aux massifs forestiers. Nous menons par exemple des exercices d'évacuation dans les écoles et nous pourrions les élargir à un périmètre plus important. Dans ma commune de Saint- Émilion, j'ai un plan de prévention des risques de mouvements de terrain (PPRMT). Nous devons en effet informer les populations sur les risques liés aux carrières, aux massifs forestiers et aux submersions, sans tomber toutefois dans la psychose.

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L'aspect opérationnel est plus souvent mis en avant que l'aspect logistique. Le cas des services de repas constitue toutefois l'une des difficultés auxquelles on peut être confronté. Quel regard portez-vous sur le système d'alerte et d'information des populations ?

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Vincent Ferrier, sous-préfet de l'arrondissement de Langon

Le principal moyen utilisé pour diffuser de l'information institutionnelle de la part de l'État et établir une communication claire a été Twitter, avec la publication régulière de communiqués de presse. Trois communiqués par jour étaient en effet diffusés sur divers réseaux, tels que Twitter ou Facebook. Cette approche a constitué le vecteur institutionnel privilégié pour diffuser des informations actualisées.

Parallèlement, le relais médiatique a été très fort dès le début et l'objectif était de fournir une communication d'État claire, intelligible et aussi objective que possible. Des points presse réguliers ont été assurés par la préfète, les deux sous-préfets, le préfet d'Arcachon et moi-même. Les trois points presse quotidiens ont permis de communiquer sur l'évolution de la situation, les surfaces brûlées, l'état des évacuations et les perspectives pour la suite des opérations.

Nous avons évacué 16 communes en Sud Gironde. Lorsqu'une décision d'évacuation est prise, communiquer l'information n'est pas si simple en raison des différences d'accès à l'information en fonction des types de population. Ces décisions étaient relayées par les élus et maires par tous les moyens de communication à leur disposition. Ensuite, il était nécessaire de faire du porte-à-porte. L'outil FR-Alert désormais disponible devrait être déterminant à cet égard, car il permet d'envoyer un SMS à l'ensemble des populations concernées. Toutefois, il ne dispensera pas de porter l'information au plus près, car tout le monde ne possède pas nécessairement un téléphone portable.

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Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde

J'attire votre attention sur la nécessité d'une information régulière et spécifique. Lors de mes échanges avec les populations tout au long de l'évolution des incendies, qui ont perduré sur plusieurs semaines, j'ai constaté que les personnes évacuées, notamment celles accueillies dans les collèges, étaient souvent celles qui n'avaient pas de familles locales et peu de relations sociales locales. Ces individus se trouvaient généralement en situation de précarité et de difficulté. Au-delà de l'alerte et des mesures préventives pour l'évacuation, cette partie de la population, confrontée à des conditions d'accueil parfois précaires, exprimait de vives inquiétudes quant à la situation dans leur commune et à proximité de leur domicile. Je relayais ce que je voyais et je mettais en valeur les actions réalisées quotidiennement. Beaucoup de personnes m'ont ensuite remercié d'avoir communiqué très régulièrement et expliqué ce qu'il se passait.

Le retour médiatique était de nature très diverse, allant des chaînes d'information continue, plutôt superficielles et sensationnalistes, aux médias locaux, plus approfondis et représentatifs de la réalité. Cependant, ces médias ne suffisent pas toujours à rendre compte de la réalité du terrain. Par exemple, certaines personnes s'inquiétaient de la situation de leurs animaux de compagnie, y compris jusqu'au poisson rouge, ce qui montre l'importance d'une communication continue. Il est donc important de rassurer les populations confrontées aux risques. Je souhaitais ainsi souligner le caractère affectif de ces préoccupations, qui est souvent omis.

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Pourriez-vous chacun aborder le bilan à tirer de cette expérience et les pistes à travailler ? Nous viendrons en outre vous rencontrer sur place d'ici quelques semaines lors d'une journée de travail, lors de laquelle nous pourrons poursuivre nos échanges.

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Vincent Ferrier, sous-préfet de l'arrondissement de Langon

Nous vous accueillerons avec plaisir et je pourrai vous remettre les retours d'expérience conduits en octobre 2022. Ils listent les points mis en œuvre en matière de prévention, de moyens, notamment aériens, et de questions qui ont débouché sur les états généraux de la forêt, demandés par le président Gleyze et plusieurs de ses collègues du massif forestier. Les conclusions initiales ont été évoquées en introduction, en relation avec le bilan de la résilience, mais le processus continue d'évoluer. De nombreuses leçons ont été tirées de cette expérience et elles peuvent servir au-delà du cas girondin.

Sur le plan organisationnel, la sécurité civile dispose de nombreux atouts et notre modèle fonctionne bien. Cependant, les années qui ne connaissent aucun évènement de ce type ne doivent pas laisser oublier le travail sur le sujet. L'organisation de points de rencontre réguliers sur nos principaux risques pourrait constituer une solution. Nous avons beaucoup travaillé dans la continuité de l'été 2022 sur ces questions, mais la nature humaine fait que si nous n'avons pas eu de feux pendant quatre ou cinq ans, l'attention risque de diminuer. Les rendez-vous doivent rassembler l'ensemble des acteurs concernés, à savoir l'État, les collectivités territoriales et toutes les forces essentielles qui concourent à la sécurité civile.

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François Gros, chef d'état-major interministériel de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest

En ce qui concerne la zone de défense, une mission cruciale d'intérêt général a été confiée à l'Office national des forêts (ONF), se traduisant concrètement sur le terrain par la mise en place de dispositifs permettant d'analyser l'état de la sécheresse et son impact sur la végétation vivante. De plus, le ministère de l'agriculture apporte un soutien très actif à travers une subvention particulière par la DFCI dans une logique de complémentarité. Le massif des Landes de Gascogne compte 92 % de surfaces privées et la DFCI permet de regrouper l'ensemble de ces 250 000 propriétaires. La logique adoptée est celle de la complémentarité, évitant la concurrence et favorisant plutôt la densification d'outils sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, des actions concrètes ont été entreprises en matière de préparation opérationnelle, telles que le renforcement de la présence de Météo-France dans les locaux du centre opérationnel zonal, qui offre une expertise partagée et complétée par les SDIS. Cette démarche combine les modèles mathématiques avec la réalité du terrain, afin d'avoir une connaissance fine du niveau de risque.

Une gestion différente a été mise en place, notamment en ce qui concerne les moyens aériens. Un centre national de coordination avancé a été instauré et a permis d'organiser près de 170 visioconférences au cours de la saison 2023. Il a produit plus de 100 bulletins quotidiens dans l'analyse des risques partagés avec les SDIS. Ces échanges couvrent un large spectre, allant de la météo au risque concret sur le terrain. La météo représente en effet l'une des composantes, mais il faut également considérer la pression incendiaire, les migrations estivales, les festivals et d'autres facteurs qui complètent la nature du risque.

De plus, le Président nous a tracé une feuille de route précise le 28 octobre 2022 au sujet de la lutte contre les incendies. Elle s'est traduite par la mobilisation exceptionnelle des SDIS, permettant au niveau de la zone Sud-Ouest la mobilisation de sept colonnes de renfort et d'un détachement d'intervention retardant à Mont-de-Marsan, composé d'une cinquantaine de personnels de la sécurité civile, qui, bien qu'inutilisé, était prêt à intervenir en cas de sinistres similaires à ceux de 2022. D'autres initiatives comprenaient l'allocation de moyens aériens, tels qu'un Dash pour 5,2 millions d'euros, quatre Air Tractor pour 6 millions d'euros et 10 hélicoptères bombardiers d'eau, dont un était basé dans la zone Sud-Ouest. Le ministre de l'intérieur a aussi rappelé, le 2 août dernier, l'implantation d'une unité d'intervention de la sécurité civile à Libourne. De plus, la nécessité de moderniser la flotte aérienne a été réaffirmée et devrait s'accompagner du passage de 12 à 16 Canadairs, incluant de nouveaux modèles d'avion.

Enfin, ce qui se passe après doit se préparer avant, c'est-à-dire avec une collaboration renforcée entre les acteurs du terrain, notamment la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre des coupes tactiques, d'indemniser les propriétaires et de déterminer les prix auxquels le bois découpé pourra être vendu. Ce travail englobe également la recherche des causes et des circonstances des incendies, avec des actions déterminantes impliquant des forestiers, des sapeurs-pompiers et des forces de l'ordre. L'objectif est d'identifier plus précisément les causes des incendies, dont 90 % sont d'origine humaine. Une meilleure compréhension de ces causes permet une meilleure prévention, et une lutte plus efficace contre les développements catastrophiques. Je vous remercie pour votre invitation et me tiendrai à votre disposition lors de votre déplacement en Gironde.

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Marc Vermeulen, directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Gironde

Le premier aspect à considérer est celui de la prévention. Il est indéniable que les incendies les plus faciles à gérer sont ceux qui ne se produisent pas. Un vecteur sous-utilisé à cet égard est celui de la jeunesse, en particulier à travers l'éducation nationale. Actuellement, la sécurité civile n'irrigue pas suffisamment celle-ci.

La prévention doit également prendre en compte la structure de notre massif. Les professionnels de la sylviculture ont un rôle actif à jouer, en particulier dans le contexte des parcelles brûlées qui seront replantées. À la suite des deux tempêtes, nous avons observé une modification des pratiques, avec des parcelles plus denses et plus étendues. Nous devons donc nous interroger sur la manière de structurer le massif des Landes de Gascogne à l'avenir.

Je suis par ailleurs inquiet vis-à-vis de la tension et de la sollicitation du modèle de sécurité civile français. D'abord, nos sapeurs-pompiers, qu'ils soient professionnels ou volontaires, sont fatigués par la sollicitation constante et la perte de sens de leur mission. Nous avons réussi à mobiliser 3 000 sapeurs-pompiers en Gironde le 18 juillet, provenant en majorité du département, mais également d'environ 60 autres départements, car nous avons des sapeurs-pompiers volontaires. Cependant, l'effet cumulé de la sursollicitation, des temps d'attente aux urgences et de la fermeture de certains sites d'accueil conduit à une démobilisation de ceux-ci. Sans eux, nous ne parviendrons pourtant pas à couvrir les enjeux qui nous attendent.

Enfin, la question du financement des moyens nécessaires pour faire face à ces risques exceptionnels doit être considérée. Des efforts importants ont déjà été fournis sur les pactes capacitaires et le département de la Gironde n'a pas été oublié, avec une distribution et un soutien résultant d'un partenariat entre les efforts du conseil d'administration et ceux de l'État. Cette aide à l'investissement doit être pérennisée pour préparer l'avenir, en adaptant notre matériel aux nouveaux risques.

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Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde

Votre venue en Gironde est une bonne nouvelle et nous serons ravis de vous accueillir. L'acculturation aux risques concerne non seulement les populations, mais aussi les élus pour faire face à la multiplicité des risques. La réponse n'est d'ailleurs pas toujours uniforme, compte tenu de la variabilité, de la rapidité et de l'ampleur des risques. De plus, la planification, la préparation et les exercices sont essentiels. Des outils existent déjà, mais ils doivent être formalisés et partagés avec toutes les parties prenantes potentiellement impliquées au moment de la survenue du risque.

En termes de moyens de lutte contre les incendies, l'attaque au feu naissant est une doctrine essentielle, reconnue à tous les niveaux de la sécurité civile. Il est nécessaire de se doter des moyens ad hoc et je reconnais l'effort fourni par l'État en matière de moyens aériens, dont la permanence de la possibilité de déploiement sur le massif des Landes de Gascogne doit être maintenue. Nous avons également reçu un soutien via les pactes capacitaires sur le terrain.

La coordination et les partenariats doivent permettre à chacun de jouer son rôle à sa place. Il est fondamental d'éviter l'amnésie collective au fil du temps, c'est-à-dire lorsque les risques ne se concrétisent pas pendant quelques années. Cette amnésie peut conduire à une redécouverte des réalités, que ce soient des inondations, des incendies ou même des tempêtes.

Par ailleurs, certains SDIS connaissent de fortes évolutions démographiques, comme c'est le cas en Gironde, département qui compte 20 000 habitants supplémentaires par an. Il est donc impératif de déployer en permanence de nouveaux moyens adaptés à la réalité du territoire, que ce soit en termes de constructions nouvelles ou de besoins humains. Le recrutement périodique de nouveaux sapeurs-pompiers pour renforcer le corps girondin nécessite également des moyens financiers.

De plus, la valeur du sauvé, qui englobe tout ce que les sapeurs-pompiers réussissent à protéger, que ce soit en termes de vies sauvées ou de biens préservés, contribue à réduire les indemnisations dues par les assurances. Nous revendiquons, au niveau des départements de France, une évolution de la base de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) pour renforcer le financement des SDIS. Actuellement, le SDIS de la Gironde repose sur des contributions obligatoires du département, des intercommunalités et des communes, ainsi que sur une contribution volontaire, qui est renégociée tous les deux ans pour ajuster le budget à la hauteur des besoins. Cependant, cette solution fragile de financement n'est pas viable à long terme, et des mesures fortes doivent être mises en œuvre au niveau législatif pour garantir la consolidation du financement des SDIS par une mise à jour de la TSCA.

Cette préoccupation n'est pas propre à la Gironde, et de nombreux départements, tels que le Finistère ou le Jura, qui ont pris conscience du risque incendie sur leur territoire, demandent également des moyens supplémentaires.

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Bernard Lauret, président de l'Association des maires de la Gironde, maire de la commune de Saint-Émilion

Tout a été pratiquement dit, et je rejoins les propos du président de notre département au sujet de la formation des élus. Je souligne également la nécessité d'une complémentarité entre les services de l'État et les élus, qui ont une réelle connaissance du terrain. Nous serons très heureux de vous accueillir dans notre département.

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Je vous remercie tous pour votre participation à cette table-ronde. Nous nous retrouverons en Gironde le 14 décembre prochain.

Puis la mission d'information auditionne M. François Schmauch, docteur en sciences de gestion.

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Pour conclure cette matinée d'auditions, nous recevons à présent le colonel Jean-François Schmauch, auteur d'une thèse comparative sur l'organisation des services d'urgence et de nombreux travaux et ouvrages sur les sapeurs-pompiers, notamment de Nantes, et sur l'histoire des véhicules de pompiers.

Nous espérons que votre audition nous aidera à mieux comprendre l'évolution de notre sécurité civile et les défis qu'elle doit aujourd'hui relever pour progresser en efficacité, face aux crises majeures – catastrophes naturelles ou industrielles, crises sanitaires ou sécuritaires – que nous pourrions connaître demain.

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Merci, monsieur Schmauch, d'avoir répondu à notre invitation. Pourriez-vous d'abord nous présenter vos travaux sur la sécurité civile en France et les enseignements que vous en avez tirés ?

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François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Avant d'être sapeur-pompier, j'avais reçu un diplôme d'ingénieur des Arts et métiers en cours du soir, ce qui m'a conduit à travailler dans les mines de fer, dans le secteur privé. J'ai ensuite intégré les pompiers en Moselle, puis en Loire-Atlantique. J'écris depuis toujours, et j'ai donc beaucoup écrit sur les services d'incendie et de secours (SIS), notamment sur leurs différences d'organisation d'un pays à l'autre, car je voyage beaucoup et je visite systématiquement les casernes de pompiers des pays où je me rends, pour en comprendre le fonctionnement. J'ai accumulé une importante bibliothèque sur les SIS, et je fais partie de commissions européennes traitant de l'histoire des sapeurs-pompiers, ce qui m'a permis de rencontrer de nombreux homologues. Je suis intervenu, durant deux ans, comme expert sur l'incendie du tunnel du Mont-Blanc, avant de préparer à l'université un doctorat en sciences de gestion sur l'organisation des sapeurs-pompiers européens et américains.

Je tire de l'ensemble de cette expérience le constat selon lequel notre système de sécurité civile ne constitue en aucun cas un « modèle », même si cette expression est souvent employée. Il est peu étudié, d'abord parce que les pays se comparent peu entre eux, sauf en cas de crise majeure. De plus, les services d'incendie et de secours sont généralement très mal comparés lorsqu'ils le sont, du fait de leurs différences profondes selon les pays, notamment aux plans financiers et humains. Des erreurs considérables ont ainsi été commises dans certains rapports, y compris de la Cour des comptes, qui confondaient les statuts, les structures ou les budgets des différents pays, mais qui ont été repris par la suite. Ma première étude, publiée dans les années 1990 par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, souffrait elle-même de nombreux défauts, que j'ai ensuite corrigés progressivement.

Une comparaison internationale des services d'incendie et de secours doit tenir compte, premièrement, des statuts des sapeurs-pompiers ; deuxièmement, des missions qu'ils assurent, en lien avec les structures qui leur sont associées. En Autriche, les SIS reposent pour moitié sur la Croix-Rouge, alors qu'en France, les secours médicaux sont assurés en grande partie par les sapeurs-pompiers.

En troisième lieu, il faut tenir compte des différentes logiques d'organisation de ces services. En France, les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) font 1 000 pages, quand leurs équivalents autrichien, allemand ou anglais n'en font qu'une (s'agissant des risques courants). Chaque département français doit en produire un, mais de manière indépendante : le fonctionnement des pompiers est laissé au libre choix de la collectivité, ce qui n'existe nulle part ailleurs en Europe.

Enfin, il faut tenir compte des moyens opérationnels, des budgets et des modes de financement dont les SIS disposent, et qui varient eux aussi de manière considérable. Pour connaître les budgets des pompiers allemands, il faut interroger les communes, les Kreis, les cantons, les Länder et l'État (dont le budget pour les pompiers se limite généralement au matériel technique et puissant). Un très ancien rapport de l'Assemblée nationale indiquait à tort que les pompiers n'assuraient aucun secours médical en Allemagne, parce qu'il s'appuyait sur le Land du Bade-Wurtemberg, où c'est en effet le cas. Entre ce Land et le reste de l'Allemagne, où les pompiers assurent ce secours, les budgets des pompiers sont donc très différents également.

J'ai comparé 30 pays européens, en incluant tous ceux de l'Union européenne, mais aussi la Norvège et la Suisse. Deux grands systèmes d'organisation des pompiers doivent d'abord y être distingués.

Le premier est celui des pompiers professionnels, qui est observé dans 17 de ces 30 pays, et qui est issu du système mis en place par James Braidwood en 1850 lors de la création des pompiers en Angleterre.

Le deuxième (qui est appliqué dans les 13 autres pays) est celui des pompiers volontaires, issu du système mis en place en Allemagne par le prince de Bade, à la même époque, pour officialiser les structures qui y existaient déjà. Au sein de cette deuxième famille, il faut encore distinguer entre les pompiers volontaires (qui touchent des vacations) et les pompiers bénévoles (qui n'en touchent pas). En Autriche, par exemple, les pompiers sont bénévoles.

Ces deux systèmes impliquent des gestions des hommes fondamentalement différentes, ce qui rend impossible de les comparer.

Sur les 2,9 millions de sapeurs-pompiers que comprennent ces 30 pays, 2,5 millions sont volontaires et 400 000 sont professionnels (dont 320 000 à temps plein et 80 000 à temps partiel).

Parmi les pays recourant aux sapeurs-pompiers volontaires, la France dispose de 45 sapeurs-pompiers pour 100 kilomètres carrés, contre 288 en Allemagne et 290 en Autriche ; et de 31 sapeurs-pompiers pour 10 000 habitants, contre 273 en Autriche.

Ainsi posée en termes scientifiques (plutôt qu'en termes affectifs, comme toujours depuis 1900), la problématique de la disponibilité des pompiers en France prend toute son acuité. Pour produire du fer, il faut interroger l'équipement requis dans les mines à cette fin. Les pompiers produisent de l'intervention : il faut donc interroger leurs besoins à cette fin.

Le problème s'aggrave encore si l'on considère leur charge opérationnelle. Sur les 13,4 millions d'interventions annuelles réalisées dans les 30 pays étudiés, 10,6 millions le sont par des pompiers volontaires. Cette disproportion tient au nombre d'interventions réalisées dans deux pays, l'Allemagne et la France, où les interventions médicales représentent environ 45 % de la charge opérationnelle assurée par les pompiers, alors qu'ils n'assurent pas le secours médical dans les autres pays. Ainsi, les sapeurs-pompiers français représentent 9,5 % des effectifs des SIS ayant principalement recours à des pompiers volontaires dans les 30 pays étudiés (et 8,5 % des effectifs des SIS de ces 30 pays), mais ils assurent 43 % de leurs interventions (34 % des interventions des SIS des 30 pays). La charge de travail des sapeurs-pompiers français est donc « infinie », ce qui, s'agissant de pompiers volontaires, pose des problèmes de disponibilité chez les employeurs, qui apprécient d'employer des pompiers tant qu'ils ne sortent pas.

En France, pour 10 000 habitants, on compte ainsi 39 sapeurs-pompiers, qui réalisent en moyenne 721 interventions au total, alors qu'en Autriche, ils sont 276 pour 279 interventions à réaliser en moyenne. Il en résulte un risque évident en France en cas de crise.

Trois missions sont communes à tous les SIS : la lutte contre les incendies ; la partie technique des secours routiers ; et certaines composantes de la lutte contre les pollutions. Toutes les autres interventions (réception et traitement des appels d'urgence ; partie médicale des secours routiers ; secours médicaux urgents ; transports d'organes et de sang ; transports sanitaires urgents et non urgents, etc. ) sont, soit assurées par les SIS, soit partagées entre les SIS et d'autres structures associées, soit réalisées indépendamment des SIS. En Autriche, le prix des SIS n'est ainsi que de 45 euros par habitant et par an, mais il double si l'on y inclut les secours médicaux, et il triplerait si un salaire était versé aux sapeurs-pompiers. Du moins ces économies réalisées par l'absence de salaire versé sont-elles précisées dans le budget autrichien. De même, les Anglais, les Norvégiens et les Américains savent très bien évaluer les économies réalisées par les feux effectivement éteints. La France ne sait pas réaliser de telles mesures, car elle ne considère pas les pompiers comme un « business ». Lorsque j'étais en activité, j'écrivais aux élus locaux des notes économiques leur indiquant combien de milliers d'emplois et de millions d'euros avaient été sauvés en empêchant un paquebot de brûler, ce qui permettait d'ailleurs de facturer ces interventions aux chantiers concernés.

En France, les structures associées aux SIS incluent des SIS publics, des SIS privés (et non encadrés), le service d'aide médicale urgente (Samu), les structures mobiles d'urgence et de réanimation (Smur), la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et les unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC).

En Allemagne, le système, dépendant des Länders, est plus complexe, puisqu'il inclut, outre des SIS publics et des SIS privés (quant à eux très encadrés), la Deutsches Rotes Kreuz (DRK), mais aussi la Bayerisches Rotes Kreuz (BRK), etc., ainsi que le Technisches Hilfswerk (THW), le secours en montagne (réalisé soit par les pompiers, soit par une structure indépendante), et de très nombreux hélicoptères publics ou privés. L'Allemagne compte ainsi près de 800 corps de SIS privés, réunissant 32 000 sapeurs-pompiers, qui réalisent 184 200 interventions par an et disposent de 3 000 véhicules d'incendie et de secours. L'Université technique de Munich dispose ainsi de son propre corps de sapeurs-pompiers privés, qui est immensément riche, car, m'a-t-on expliqué, il s'agit de « protéger la recherche ». Les moyens privés et publics s'entraident néanmoins, de manière totalement automatisée.

La sécurité civile est assurée en France par la DGSCGC et, en Allemagne, par le THW, qui relèvent tous deux de l'État central ou fédéral. Toutefois, le THW, organe de défense civile qui a émané de l'armée du génie après la Seconde guerre mondiale, est extrêmement riche, puisqu'il compte 86 000 volontaires, dont 45 000 très spécialisés, et 8 000 véhicules, dont certains extrêmement puissants (130 scrapers, 60 pompes de 1 000 mètres cubes, 480 groupes électrogènes, etc. ), qui peuvent intervenir en cas de crise majeure. La Deutsche Bundesbahn dispose également de trains de secours équipés pour dépanner en électricité une petite ville ou un hôpital complet.

Au total, les SIS représentent en France 70 000 professionnels à temps plein et 200 000 volontaires, contre 230 000 professionnels et 1,36 million de volontaires en Allemagne.

Bien que constituée majoritairement de volontaires, la Croix-Rouge autrichienne dispose également de moyens humains et techniques bien plus importants par habitant que les secours médicaux français.

Dans la plupart des pays étudiés, les textes organisant les SIS sont très anciens – ils datent de 1900 en Angleterre et de 1880 en Allemagne –, et sont restés stables, malgré le progrès des structures. Il s'agit surtout de textes très simples, structurants, précis et incontournables, qui imposent donc au moins une obligation de moyens. Cependant, dans les pays reposant sur le volontariat, les maires, qui assurent la réponse principale, se dotent généralement de bien plus de moyens que ce minimum obligatoire, afin d'être réélus.

Ces textes définissent les risques à couvrir, les délais d'intervention à ne pas dépasser, les moyens opérationnels à engager a minima, ainsi que le taux de réussite à respecter.

En France, les délais d'intervention sont laissés à la liberté des départements, ce qui conduit à des durées aberrantes, alors que ces délais sont censés être calculés sur des bases techniques et scientifiques. En Allemagne, des travaux de recherche sont conduits sur les incendies courants par des structures universitaires techniques, qui étudient : les vitesses de développement des incendies ; les délais d'installation des environnements très hostiles ; les délais de survenance des phénomènes thermiques de type flash-over ; les chances de survie des victimes soumises aux fumées – qui sont nulles après 16 minutes – ; et l'obligation faite aux sapeurs-pompiers de conduire des actions simultanées. L'État fédéral en a conclu une obligation en toutes circonstances de pouvoir engager en moins de 8 minutes un camion-citerne incendie (CCI), un fourgon pompe-tonne secours routier (FPT-SR), une échelle pivotante automatique de 30 mètres (EPA 30) et 11 pompiers ; et en moins de 13 minutes, en cas de besoin, le renfort d'un FPT-SR et de 6 pompiers. Chaque Land peut ensuite adapter ces obligations, mais aucun ne le fait en pratique, excepté à la marge.

En Angleterre, un seul texte s'applique partout.

Au Danemark, l'obligation est de pouvoir engager, en zone rurale, 9 pompiers avec différents véhicules en moins de 15 minutes ; dans les communes moyennes, 9 sapeurs-pompiers avec un FPT et une EPA 30 en moins de 10 minutes ; et davantage dans les grandes villes. La prévention interdit également les bâtiments élevés dans le monde rural, comme en Angleterre.

Les textes régissant les secours médicaux en Allemagne varient davantage en fonction des Länders. Le texte de base prévoit la mobilisation en 10 minutes d'une ambulance avec deux secouristes paramédicaux. Le Bade-Wurtemberg restreint ce délai à tous les lieux d'intervention accessibles par la route. En Schleswig-Holstein, il est porté à 12 minutes dans tous les cas. Ainsi, alors qu'en France, la règle est adaptée aux moyens, en Allemagne ce sont les moyens qui sont adaptés à la règle. Ils sont donc considérables. Tous secours médicaux confondus, les délais d'intervention des ambulances allemandes sur site sont en moyenne de 8,7 minutes, pour une durée de transport moyenne de 12,3 minutes et un délai moyen de réarmement de 20,1 minutes. Sachant qu'une ambulance est généralement engagée pour une heure, M. Schröder avait ainsi réalisé des calculs de probabilité pour déterminer le nombre d'ambulances nécessaires dans un secteur pour couvrir le risque. Certains centres médicaux – qui sont à Munich des casernes – sont ensuite fermés de nuit.

92 % des ambulances arrivent ainsi en moins de 10 minutes en Allemagne, contre des délais d'intervention moyens en France de 12 minutes en 2013, et de 13 minutes en 2017. Or, pour une détresse vitale, toute intervention après 10 minutes devient inutile.

Au Royaume-Uni, pour une détresse vitale avérée, chaque comté doit, de même, justifier en fin d'année de délais d'intervention de moins de 8 minutes pour 75 % des cas, et de moins de 19 minutes dans 95 % des cas. Les ambulances sont donc prépositionnées à cette fin sur le terrain (de manière mouvante en fonction des situations), et le délai moyen d'intervention total est de 8 à 9 minutes.

Au Canada, aux heures ouvrables des magasins, une voiture de police et une ambulance sont positionnées de chaque côté des rues principales. Elles ne sont plus présentes la nuit.

À Londres, 75 % des ambulances interviennent en moins de 8 minutes. Les pompiers de Londres n'assurent pas de secours médical. Il y a quelques années, un rapport, qui estimait que les pompiers de Londres coûtaient le même prix que les pompiers de Paris, passait sous silence cette différence, alors qu'elle représente pourtant un écart de 300 millions d'euros, de 5 000 personnes, 855 véhicules, 71 centres de secours paramédicalisés, etc.

Pour respecter un délai d'intervention de 10 minutes malgré un temps de rassemblement de 7 à 8 minutes, il faut des casernes partout. Pour 100 kilomètres carrés, en 2021, l'Allemagne disposait ainsi de 9,3 casernes (30 000 au total), l'Autriche de 6,3 (7 000 au total), et la France de 1,1. Or, ce chiffre est en diminution constante, puisqu'il était de 2,3 en 1975 et de 1,3 en 2016. En Loire-Atlantique, un vaste programme de fermetures de casernes se poursuit ainsi. Elles sont remplacées par des casernes à temps partiel, au détriment d'une réponse de proximité. En cas de crise majeure, il faut pourtant du monde et des moyens : le reste, « c'est de la littérature ».

En France, la dérive des Sdacr induit la fermeture d'un très grand nombre de centres d'incendie et de secours (CIS), le remplacement de pompiers professionnels par des pompiers postés, le non-remplacement des pompiers partant à la retraite, et la diminution drastique des effectifs de garde. La ville de Nantes n'aura bientôt plus que 9 ou 10 pompiers de garde la nuit, au moment où des violences urbaines sont en cours. En conséquence, certaines missions sont supprimées ou transférées à des structures privées. De plus, chaque département est libre de s'équiper en camions comme il le souhaite. Certains ne disposent plus que de 2 ou 3 FPT, quand il leur en faudrait 8.

À l'inverse, l'Autriche est le premier pays exportateur mondial de camions de pompiers, ce qui lui permet d'équilibrer très largement ses dépenses de secours. L'Allemagne et les États-Unis en sont les deuxième et troisième exportateurs : ces trois pays produisent à eux seuls 75 % des camions de pompiers dans le monde. Dans le monde entier, les échelles de pompiers sont allemandes. Or, une échelle coûte 1 million d'euros. L'Allemagne en exporte 150 à 200 par an. Les véhicules aéroportuaires, très coûteux également, sont dans le monde à 50 % américains et 50 % autrichiens.

Le système français est donc en train de s'effondrer d'une manière effrayante, quoi qu'on en dise.

Quelques solutions existent. J'ai écrit il y a quelques années un article sur les pompiers islandais, qui ont su s'adapter aux vastes déserts qu'ils ont à couvrir. Il en va de même dans le Montana aux États-Unis. Il ne s'agit pas d'y placer des pompiers en permanence, mais de savoir les y acheminer rapidement, avec les moyens adéquats.

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Merci beaucoup, monsieur Schmauch, pour vos explications, qui nous ont fait entrer dans le vif du sujet, puisque cette mission vise à évaluer la capacité d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de sécurité civile.

Quel regard portez-vous sur ce modèle ? Comment devrait-il évoluer ? Répond-il selon vous aux enjeux d'aujourd'hui et de demain ?

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François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Il faudrait le faire évoluer en commençant par en dresser un état des lieux complet, pour ensuite rendre au pouvoir central la capacité d'imposer aux départements des normes minimales, notamment en matière de délais. Même au « fin fond » de la Suède, il existe encore des obligations de délais d'intervention et de moyens, alors même que ne s'y trouvent plus de pompiers volontaires.

Il faut environ 10 pompiers volontaires pour en avoir 1 disponible. Je suis depuis longtemps membre de l'amicale d'un petit corps de pompiers, qui réalise presque 530 interventions par an, soit près de 2 par jour. Or, ces pompiers sont payés par le maire, alors même que près d'une de ces interventions sur deux est réalisée sur la commune d'à côté.

Il reste toujours possible de recruter des professionnels. Toutefois, lorsqu'il n'y aura plus de volontaires pour gérer les crises, les masses salariales qui seront requises pour les remplacer par des professionnels vont « ruiner le pays ».

J'ajoute qu'il n'existe pas de « modèle » français, puisque personne ne le reproduit.

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D'un point de vue stratégique, les Sdacr ne répondent-ils pas aux impératifs de délais des villes et départements ?

Quelles sont les spécificités de la sécurité civile française ?

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François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Lors de la mise en place des Sdacr, j'ai participé à une commission de la direction de la sécurité civile. Avec plusieurs officiers supérieurs de sapeurs-pompiers, nous étions partisans de produire un Sdacr très rigide, impliquant une obligation de délais, de moyens et d'effectifs, et presque de résultats. Pour des raisons diverses, cela n'a malheureusement pas eu lieu. Pour éteindre un feu, il faut pourtant un camion, 8 pompiers et un délai de 10 minutes d'intervention : c'est pourquoi le Sdacr autrichien fait 2 pages et le Sdacr anglais une seule. Le Sdacr français fait plus de 1 000 pages, mais il laisse la liberté aux structures départementales de faire ce qu'elles veulent. Lorsque j'ai soutenu mon mémoire, j'avais analysé 54 Sdacr : il n'existait aucune corrélation (de moyens, de délais d'intervention, etc. ) entre eux. Il en allait de même entre les différents Samu ou Smur. Il faut donc absolument reprendre la main sur le système, en imposant aux services incendie des objectifs de production minimaux.

En Allemagne ou en Autriche, la commune porte des obligations en moyens courants ; le Kreis ou canton l'aide s'agissant des moyens spéciaux ; le Land affecte les moyens très lourds qui ne servent presque jamais, et dont l'État fédéral passe commande. L'État fédéral allemand vient ainsi de commander près de 300 cellules mobiles d'intervention chimique (CMIC) et radiologique (CMIR) pour remplacer les équipements obsolètes du pays. Une hiérarchie des responsabilités existe donc, mais des règles minimales s'imposent à tous.

Il faut également recruter des volontaires pour que leur charge de travail diminue. Un corps de pompiers allemand, autrichien ou américain sort rarement plus de 100 fois par an. Lorsqu'en 1980, les Américains ont affecté le secours médical aux pompiers, le volontariat s'est « effondré », car le nombre de sorties avait considérablement augmenté. Une commission a donc été réunie, qui a mis en place une mesure financière et technique extrêmement simple pour résoudre le problème.

La crise est cependant inégale d'un département à l'autre. En Moselle, où l'organisation des pompiers reposait encore beaucoup sur des textes allemands à l'époque où j'y travaillais, les pompiers disposaient de moyens très conséquents. Lorsque je suis arrivé en Loire-Atlantique, j'ai découvert que ce département, pourtant de même population, de même superficie et de même tissu industriel (avec la sidérurgie et les mines en Moselle, et la construction de paquebots en Loire-Atlantique), disposait de moyens bien moindres. C'est ce qui m'a poussé à développer des analyses comparatives, pour finalement réaliser que le système français n'obéissait à aucune logique.

Ce constat n'est pas nouveau. Déjà, entre les deux guerres, le général Pouderoux, des pompiers de Paris, réclamait que des moyens minimaux soient imposés aux collectivités.

On sait bien qu'aujourd'hui le volontariat s'effondre. À effectifs constants, le nombre d'interventions est passé de 200 000 dans les années 1950 à 5 millions aujourd'hui. Il y a vraiment « péril en la demeure ».

Une différence importante doit être tracée entre les moyens à disposition et les moyens qui devraient être disponibles, au regard d'obligations de délais d'intervention (de 10 à 12 minutes pour les ambulances ou les autopompes, etc.).

La départementalisation ayant créé des frais de structure considérables pour les départements, dont les budgets sont contraints, 5 000 casernes de pompiers ont été fermées ces dernières années, pour tenir les budgets. De même, les matériels sont diminués et les plans d'équipements sont affaiblis, à 600 ambulances par an désormais, ce qui, de manière impossible, devrait porter leur durée de vie moyenne à 60 ans. Donc « on va dans le mur ».

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Que pensez-vous des nombreuses réserves incendie qui se constituent sur nos territoires, et qui pèsent beaucoup sur les budgets communaux ou intercommunaux ? Si je me souviens bien, une réserve doit coûter 15 000 euros à une commune.

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François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Des réserves incendie existent dans le monde entier. Elles visent à fournir aux communes des moyens en eau, ce qui reste le meilleur moyen d'éteindre des feux. Toutefois, elles ne suffisent pas : encore faut-il disposer à temps de camions porteurs d'eau en nombre suffisant.

Éteindre un feu ou secourir quelqu'un repose sur des mathématiques assez simples. Une phrase souvent citée dit approximativement que « la première réponse consiste à engager les moyens immédiatement disponibles, même s'ils ne sont pas totalement adaptés ». Les élus se disent en ce sens qu'ils doivent au moins disposer de réserves en eau. Financièrement, cette politique atteint sans doute ses limites cependant.

Il fallait dimensionner le système lorsque c'était possible, c'est-à-dire lorsque l'économie était porteuse. Aucun texte français ne parle aujourd'hui de délais ou de moyens. Un texte de 1969 en ce sens a été dénoncé par la fédération des pompiers, puis annulé. Un autre a prévu en 1981 des délais, qui ont cependant été annulés en 1988. Cette spécificité ne se retrouve que dans deux ou trois autres pays dans le monde. D'après une publication récente sur les pompiers japonais dans une revue allemande, le délai moyen d'intervention des ambulances à Tokyo est de 7 minutes, conformément aux obligations qui sont imposées d'après des calculs de besoins.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que, rapportés à la valeur des biens qu'ils permettent de sauver, ces investissements en moyens de services incendie ne coûtent absolument rien. Lorsque j'étais encore en activité, j'avais calculé qu'à Nantes, le coût global annuel du service incendie du département représentait la valeur des biens sauvés dans le département au 15 janvier : le reste des biens sauvés dans l'année l'est de manière purement bénéficiaire. Lorsqu'à Nantes, on sauvait un paquebot, on sauvait 3 000 emplois directs et 3 000 emplois indirects. Cette logique intellectuelle n'appartient cependant pas aux pays de culture catholique. Les pays de culture plus protestante prévoient davantage de pompiers, précisément pour perdre moins d'argent.

Dans de nombreux pays, les secours sont donc financés en grande partie par les assurances, mais aussi grâce aux dons, qui peuvent être très élevés, même si chacun, à son niveau, y contribue également.

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De quels pays pourrions-nous nous inspirer en matière de sécurité civile ?

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François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Le « pays du volontariat » est l'Autriche. Il serait possible de lui demander comment il fait pour que ses volontaires le restent durant trente ans.

La solution est simple : il faut du monde, des camions et des délais. Le problème est que cela suppose des investissements considérables lorsqu'ils n'ont pas été engagés en continu.

Il serait possible également de considérer les moyens engagés par ce type de pays lors des crises majeures qu'ils ont rencontrées. Lorsque le train à grande vitesse Inter-City-Express (ICE) « Wilhelm Conrad Röntgen » a déraillé en Allemagne, 41 hélicoptères ont été engagés dans la demi-heure.

En situation de crise, en France, un autre problème tient au fait que tout le monde commande et personne n'obéit. En Allemagne, comme en Angleterre et aux États-Unis, le chef des pompiers est le chef suprême.

Parmi les questions posées dans votre questionnaire en figurait une consacrée aux associations de sécurité civile. Au cours de ma carrière, je n'ai jamais vu la Croix-Rouge ou la Croix-Blanche participer à une seule de mes interventions, parce qu'elles ne sont pas dimensionnées à cette fin. Elles pourraient cependant être incluses au système, en créant des centres de traitement de l'alerte (CTA) groupés, qui couvriraient l'ensemble des appels, pour y répondre à l'aide des moyens les plus proches, qu'il s'agisse de la Croix-Rouge, de la Croix-Blanche, ou d'ambulanciers privés. Il faudrait donc commencer par unifier cet ensemble, et par en dresser un état des lieux. Les moyens de la Croix-Rouge française sont aujourd'hui impossibles à trouver, alors que ceux de la Croix-Rouge islandaise sont immédiatement disponibles.

En somme, le système français est « féodal » : chaque département fait ce qu'il veut, sans la moindre contrainte. En Loire-Atlantique, le Sdacr de 2001 prévoyait la présence d'ambulances et d'autopompes à moins de 12 minutes. Dans celui qui sortira prochainement, ce délai est passé à plus de 20 minutes, afin que les budgets restent constants. Presque tous les départements suivent cette voie. Même l'Alsace-Moselle a fermé un grand nombre de casernes. Elle commence à le regretter, car l'essentiel en cas d'incendie ou de détresse vitale tient aux délais d'intervention. Il faut que le ministère de l'intérieur ait le courage d'imposer des minimas aux départements.

Je vous ai envoyé hier une contribution écrite très complète, qui compare l'ensemble des systèmes. Elle contient seulement une petite erreur, car le Danemark, dont les pompiers sont pour moitié de statut privé (avec une délégation de service public mise en place en 1900), est, semble-t-il, en train de recommunaliser ses corps de pompiers.

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Vous avez expliqué que le maillage des SIS en France était bien plus faible que celui de certains de nos voisins européens.

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François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Il est le plus faible d'Europe.

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Vous avez également indiqué qu'il était en diminution depuis plusieurs décennies, pour des raisons budgétaires. Il me semble cependant que les petites casernes rurales ferment surtout par manque de volontaires. Comment expliquez-vous cette difficulté à trouver des volontaires dans les zones rurales, et que la France peine à trouver 200 000 volontaires alors que l'Allemagne en compte plus de 1 million ? Comment serait-il possible d'y remédier ?

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François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Il sera très difficile d'y remédier, car cette situation tient à des raisons culturelles, et au statut social des volontaires. Je reviens d'un colloque d'historiens aux frontières de la Pologne, où un corps de pompiers tchèque m'a été présenté : le statut social qui leur est offert permet très rapidement de comprendre que des volontaires y soient trouvés.

De plus, la charge de travail des pompiers est telle en France que les industriels (contraints par certains textes à les laisser partir) ne souhaitent plus en employer. Des calculs sont donc nécessaires à cet égard.

Les communes doivent être impliquées, pour recruter les chefs de corps dans les niveaux élevés de la société. Un texte anglais de l'entre-deux-guerres indiquait que le chef de corps volontaire (car il existait alors des pompiers volontaires en Angleterre) devait être le châtelain, le pasteur ou le directeur du collège, l'essentiel étant qu'il ait accès à des financements.

Dans de nombreux pays, lorsque les communes n'ont plus de pompiers, le service est obligatoire : en Allemagne, c'est le Pflichtfeuerwehr. Des pompiers sont nommés pour éteindre les feux. Ce ne serait pas possible en France, car ce système y serait perçu comme « totalitaire ».

En Angleterre, les territoires ont été classés de A à D en fonction du maillage des casernes disponibles, et chacun a accès à cette information. Lorsque vous installez une usine à 20 minutes d'une caserne de pompiers, on vous en avertit.

Au regard du faible nombre de volontaires disponibles en France, une solution consisterait peut-être à faire basculer le système vers le modèle anglais, avec des pompiers à temps partiel. Certains départements ont ainsi créé des pompiers volontaires postés, qui prennent des gardes à heures définies. La prochaine étape consistera à transformer les vacations en salaires, qui seront donc fiscalisés, ce qui finira de faire fuir les pompiers volontaires. Le système actuel atteint donc ses limites, car il n'a jamais vraiment été dimensionné pour garantir une capacité d'intervention minimale, malgré la soixantaine de textes existants sur les pompiers volontaires que j'ai pu dénombrer.

Il est possible de compenser le manque de volontaires par des moyens très lourds, comme le font notamment les Américains : fournir à deux pompiers un camion de 20 mètres cubes d'eau avec une grosse pompe leur permet au moins d'attendre les renforts.

Je crains néanmoins que la situation soit très grave. Plus on ferme de casernes, plus les volontaires s'en vont, car les volontaires sont socialement attachés à leurs communes, où ils ont besoin d'être connus. Dans les mois qui viennent, cinq casernes de sapeurs-pompiers volontaires vont fermer, sous l'effet de la crise. En Loire-Atlantique, le corps de 150 sapeurs-pompiers volontaires de Bouaye, disponible presque immédiatement, sera remplacé par une garde postée d'une dizaine de pompiers qui auront 3 000 sorties à effectuer par an : c'est perdu d'avance. J'ai écrit l'histoire de ce corps dans un livre qui sortira dans quelques jours. Il assurait dans 80 % des cas une réponse en 10 à 12 minutes sur les communes où il était stationné. Jamais ses membres n'accepteront de travailler dans d'autres communes. Les pompiers volontaires sont communaux dans le monde entier, ce qui n'empêche pas leur hiérarchie opérationnelle de couvrir un département ou une région. Cette perte d'ancrage local s'ajoute à une surcharge de travail. Certains corps de pompiers volontaires ont dépassé 1 000 sorties par an, ce qui occupe en Angleterre trois équipes à temps plein.

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Notre système de sécurité civile est-il adapté aux crises naturelles, technologiques, sanitaires et terroristes auxquelles nous sommes confrontés ?

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François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Il peut paraître adapté tant qu'il n'est pas comparé aux autres. Les crises doivent être préparées par un dimensionnement. En cas de déraillement d'un train, il faut se demander en combien de temps les victimes pourront être évacuées et secourues. En cas d'inondation catastrophique, il faut des effectifs en grand nombre. En Loire-Atlantique (où les inondations sont fréquentes), 150 volontaires immédiatement disponibles pour prendre un véhicule, bâcher des toits et apporter une réponse sociale, sont remplacés par 10 pompiers postés.

Or, en l'absence de volontaires, il n'y a plus de gestion de crise possible. En Angleterre, où les pompiers sont professionnels, il manque toujours un peu de monde en cas de crise. En Allemagne et en Autriche, au contraire, les effectifs volontaires et les moyens engagés dans ces situations sont toujours impressionnants. Le THW peut construire un pont par jour pendant plusieurs jours, car il est équipé à cette fin.

Il faut également se préparer aux crises, en calculant les moyens locaux mobilisables, privés et publics, par exemple lors d'une crise d'ampleur et de durée moyennes, et en se demandant qui commandera les moyens mobilisés. La dilution des pouvoirs en France constitue un autre mode de fonctionnement surprenant. Lors de l'accident ferroviaire d'Eschede, le chef de corps volontaire des pompiers d'Eschede a pu engager des moyens blindés, afin que les chars puissent tirer les wagons.

Le système français me paraît à bout. J'ai lu un Sdacr qui garantissait la présence de 2 pompiers à 30 minutes pour gérer les incendies : il n'est alors même plus nécessaire de prévoir ces pompiers, car le délai d'un décès en cas d'incendie est de 17 minutes. En comptant les 7 minutes nécessaires à la découverte de l'incendie, il faut donc bien prévoir un délai d'intervention de 10 minutes maximum. En cas de déraillement d'un train, il faut des volontaires nombreux et des moyens lourds pour réaliser les découpes.

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Vous avez déploré l'absence de corrélation entre les différents Sdacr. Faudrait-il créer un schéma national en complément de ces schémas départementaux ? Devrait-il alors relever de la DGSCGC ou d'un autre ministère que celui de l'Intérieur ?

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François Schmauch, docteur en sciences de gestion

Cette question aurait dû être posée en premier lors de la départementalisation. En Allemagne comme aux États-Unis, un unique Sdacr s'applique à l'ensemble des comtés ou des États. Il suffirait de reprendre le texte américain, qui est très simple. À l'inverse, les Sdacr sont inutilement complexes. Pour éteindre un incendie, les moyens à mobiliser sont faciles à calculer. Il faudrait par exemple imposer aux départements de pouvoir mobiliser 8 pompiers et une autopompe en 12 minutes depuis le décroché de l'appel. Chaque département serait alors contrôlé et devrait avoir une réponse sérieuse à apporter pour expliquer les « zones blanches » sur son territoire. Les départements seraient enfin classés en fonction des délais d'intervention de leurs secours, comme en Angleterre.

Aux États-Unis, les assurances sont impitoyables avec les communes dont les délais d'intervention sont anormaux. La plupart des villes américaines affichent leurs budgets de pompiers volontaires et professionnels, avec les valeurs associées des biens sauvés et les niveaux d'impôts ainsi préservés. De même, les rapports autrichiens commencent toujours par un état des biens sauvés dans l'année.

Je suis encore correcteur des mémoires à l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers. La plupart du temps, ils parlent du « modèle français » à chaque page, mais ne l'analysent pas, et ne comportent pas de bibliographie.

Il y a trente ans, une entreprise américaine de pharmacie est arrivée en Loire-Atlantique pour s'installer dans un port, mais y a renoncé, considérant que les moyens de protection opérationnels offerts n'étaient pas suffisants.

Lors du procès du tunnel du Mont-Blanc, un colonel suédois, interrogé à la barre, a indiqué qu'en tant que chef des pompiers, il avait le pouvoir de fermer un tunnel en cas de défaillance du système de détection. Lorsque les avocats et les experts auront compris les limites du modèle français, ils demanderont aux futurs accusés pourquoi leurs ambulances sont arrivées en 20 minutes, alors que toute la littérature spécialisée montre la nécessité de limiter ces délais à 12 minutes au maximum.

Il faut à cette fin un Sdacr unifié. C'est un choix politique. Lors d'une visite de caserne de pompiers, on m'a dit qu'elle avait été construite avant le gymnase, afin que des pompiers soient présents si le gymnase venait à brûler. On peut aussi choisir de faire le contraire.

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Merci, monsieur Schmauch, pour votre présence à notre mission d'information, et pour votre contribution écrite, que nous étudierons attentivement.

La séance est levée à douze heures quinze.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Réunion du jeudi 19 octobre 2023 à 9 heures

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Lisa Belluco, M. Benoît Bordat, M. Bertrand Bouyx, M. Didier Lemaire, M. Julien Rancoule

Excusé. – M. Éric Pauget