Avant d'être sapeur-pompier, j'avais reçu un diplôme d'ingénieur des Arts et métiers en cours du soir, ce qui m'a conduit à travailler dans les mines de fer, dans le secteur privé. J'ai ensuite intégré les pompiers en Moselle, puis en Loire-Atlantique. J'écris depuis toujours, et j'ai donc beaucoup écrit sur les services d'incendie et de secours (SIS), notamment sur leurs différences d'organisation d'un pays à l'autre, car je voyage beaucoup et je visite systématiquement les casernes de pompiers des pays où je me rends, pour en comprendre le fonctionnement. J'ai accumulé une importante bibliothèque sur les SIS, et je fais partie de commissions européennes traitant de l'histoire des sapeurs-pompiers, ce qui m'a permis de rencontrer de nombreux homologues. Je suis intervenu, durant deux ans, comme expert sur l'incendie du tunnel du Mont-Blanc, avant de préparer à l'université un doctorat en sciences de gestion sur l'organisation des sapeurs-pompiers européens et américains.
Je tire de l'ensemble de cette expérience le constat selon lequel notre système de sécurité civile ne constitue en aucun cas un « modèle », même si cette expression est souvent employée. Il est peu étudié, d'abord parce que les pays se comparent peu entre eux, sauf en cas de crise majeure. De plus, les services d'incendie et de secours sont généralement très mal comparés lorsqu'ils le sont, du fait de leurs différences profondes selon les pays, notamment aux plans financiers et humains. Des erreurs considérables ont ainsi été commises dans certains rapports, y compris de la Cour des comptes, qui confondaient les statuts, les structures ou les budgets des différents pays, mais qui ont été repris par la suite. Ma première étude, publiée dans les années 1990 par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, souffrait elle-même de nombreux défauts, que j'ai ensuite corrigés progressivement.
Une comparaison internationale des services d'incendie et de secours doit tenir compte, premièrement, des statuts des sapeurs-pompiers ; deuxièmement, des missions qu'ils assurent, en lien avec les structures qui leur sont associées. En Autriche, les SIS reposent pour moitié sur la Croix-Rouge, alors qu'en France, les secours médicaux sont assurés en grande partie par les sapeurs-pompiers.
En troisième lieu, il faut tenir compte des différentes logiques d'organisation de ces services. En France, les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) font 1 000 pages, quand leurs équivalents autrichien, allemand ou anglais n'en font qu'une (s'agissant des risques courants). Chaque département français doit en produire un, mais de manière indépendante : le fonctionnement des pompiers est laissé au libre choix de la collectivité, ce qui n'existe nulle part ailleurs en Europe.
Enfin, il faut tenir compte des moyens opérationnels, des budgets et des modes de financement dont les SIS disposent, et qui varient eux aussi de manière considérable. Pour connaître les budgets des pompiers allemands, il faut interroger les communes, les Kreis, les cantons, les Länder et l'État (dont le budget pour les pompiers se limite généralement au matériel technique et puissant). Un très ancien rapport de l'Assemblée nationale indiquait à tort que les pompiers n'assuraient aucun secours médical en Allemagne, parce qu'il s'appuyait sur le Land du Bade-Wurtemberg, où c'est en effet le cas. Entre ce Land et le reste de l'Allemagne, où les pompiers assurent ce secours, les budgets des pompiers sont donc très différents également.
J'ai comparé 30 pays européens, en incluant tous ceux de l'Union européenne, mais aussi la Norvège et la Suisse. Deux grands systèmes d'organisation des pompiers doivent d'abord y être distingués.
Le premier est celui des pompiers professionnels, qui est observé dans 17 de ces 30 pays, et qui est issu du système mis en place par James Braidwood en 1850 lors de la création des pompiers en Angleterre.
Le deuxième (qui est appliqué dans les 13 autres pays) est celui des pompiers volontaires, issu du système mis en place en Allemagne par le prince de Bade, à la même époque, pour officialiser les structures qui y existaient déjà. Au sein de cette deuxième famille, il faut encore distinguer entre les pompiers volontaires (qui touchent des vacations) et les pompiers bénévoles (qui n'en touchent pas). En Autriche, par exemple, les pompiers sont bénévoles.
Ces deux systèmes impliquent des gestions des hommes fondamentalement différentes, ce qui rend impossible de les comparer.
Sur les 2,9 millions de sapeurs-pompiers que comprennent ces 30 pays, 2,5 millions sont volontaires et 400 000 sont professionnels (dont 320 000 à temps plein et 80 000 à temps partiel).
Parmi les pays recourant aux sapeurs-pompiers volontaires, la France dispose de 45 sapeurs-pompiers pour 100 kilomètres carrés, contre 288 en Allemagne et 290 en Autriche ; et de 31 sapeurs-pompiers pour 10 000 habitants, contre 273 en Autriche.
Ainsi posée en termes scientifiques (plutôt qu'en termes affectifs, comme toujours depuis 1900), la problématique de la disponibilité des pompiers en France prend toute son acuité. Pour produire du fer, il faut interroger l'équipement requis dans les mines à cette fin. Les pompiers produisent de l'intervention : il faut donc interroger leurs besoins à cette fin.
Le problème s'aggrave encore si l'on considère leur charge opérationnelle. Sur les 13,4 millions d'interventions annuelles réalisées dans les 30 pays étudiés, 10,6 millions le sont par des pompiers volontaires. Cette disproportion tient au nombre d'interventions réalisées dans deux pays, l'Allemagne et la France, où les interventions médicales représentent environ 45 % de la charge opérationnelle assurée par les pompiers, alors qu'ils n'assurent pas le secours médical dans les autres pays. Ainsi, les sapeurs-pompiers français représentent 9,5 % des effectifs des SIS ayant principalement recours à des pompiers volontaires dans les 30 pays étudiés (et 8,5 % des effectifs des SIS de ces 30 pays), mais ils assurent 43 % de leurs interventions (34 % des interventions des SIS des 30 pays). La charge de travail des sapeurs-pompiers français est donc « infinie », ce qui, s'agissant de pompiers volontaires, pose des problèmes de disponibilité chez les employeurs, qui apprécient d'employer des pompiers tant qu'ils ne sortent pas.
En France, pour 10 000 habitants, on compte ainsi 39 sapeurs-pompiers, qui réalisent en moyenne 721 interventions au total, alors qu'en Autriche, ils sont 276 pour 279 interventions à réaliser en moyenne. Il en résulte un risque évident en France en cas de crise.
Trois missions sont communes à tous les SIS : la lutte contre les incendies ; la partie technique des secours routiers ; et certaines composantes de la lutte contre les pollutions. Toutes les autres interventions (réception et traitement des appels d'urgence ; partie médicale des secours routiers ; secours médicaux urgents ; transports d'organes et de sang ; transports sanitaires urgents et non urgents, etc. ) sont, soit assurées par les SIS, soit partagées entre les SIS et d'autres structures associées, soit réalisées indépendamment des SIS. En Autriche, le prix des SIS n'est ainsi que de 45 euros par habitant et par an, mais il double si l'on y inclut les secours médicaux, et il triplerait si un salaire était versé aux sapeurs-pompiers. Du moins ces économies réalisées par l'absence de salaire versé sont-elles précisées dans le budget autrichien. De même, les Anglais, les Norvégiens et les Américains savent très bien évaluer les économies réalisées par les feux effectivement éteints. La France ne sait pas réaliser de telles mesures, car elle ne considère pas les pompiers comme un « business ». Lorsque j'étais en activité, j'écrivais aux élus locaux des notes économiques leur indiquant combien de milliers d'emplois et de millions d'euros avaient été sauvés en empêchant un paquebot de brûler, ce qui permettait d'ailleurs de facturer ces interventions aux chantiers concernés.
En France, les structures associées aux SIS incluent des SIS publics, des SIS privés (et non encadrés), le service d'aide médicale urgente (Samu), les structures mobiles d'urgence et de réanimation (Smur), la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et les unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC).
En Allemagne, le système, dépendant des Länders, est plus complexe, puisqu'il inclut, outre des SIS publics et des SIS privés (quant à eux très encadrés), la Deutsches Rotes Kreuz (DRK), mais aussi la Bayerisches Rotes Kreuz (BRK), etc., ainsi que le Technisches Hilfswerk (THW), le secours en montagne (réalisé soit par les pompiers, soit par une structure indépendante), et de très nombreux hélicoptères publics ou privés. L'Allemagne compte ainsi près de 800 corps de SIS privés, réunissant 32 000 sapeurs-pompiers, qui réalisent 184 200 interventions par an et disposent de 3 000 véhicules d'incendie et de secours. L'Université technique de Munich dispose ainsi de son propre corps de sapeurs-pompiers privés, qui est immensément riche, car, m'a-t-on expliqué, il s'agit de « protéger la recherche ». Les moyens privés et publics s'entraident néanmoins, de manière totalement automatisée.
La sécurité civile est assurée en France par la DGSCGC et, en Allemagne, par le THW, qui relèvent tous deux de l'État central ou fédéral. Toutefois, le THW, organe de défense civile qui a émané de l'armée du génie après la Seconde guerre mondiale, est extrêmement riche, puisqu'il compte 86 000 volontaires, dont 45 000 très spécialisés, et 8 000 véhicules, dont certains extrêmement puissants (130 scrapers, 60 pompes de 1 000 mètres cubes, 480 groupes électrogènes, etc. ), qui peuvent intervenir en cas de crise majeure. La Deutsche Bundesbahn dispose également de trains de secours équipés pour dépanner en électricité une petite ville ou un hôpital complet.
Au total, les SIS représentent en France 70 000 professionnels à temps plein et 200 000 volontaires, contre 230 000 professionnels et 1,36 million de volontaires en Allemagne.
Bien que constituée majoritairement de volontaires, la Croix-Rouge autrichienne dispose également de moyens humains et techniques bien plus importants par habitant que les secours médicaux français.
Dans la plupart des pays étudiés, les textes organisant les SIS sont très anciens – ils datent de 1900 en Angleterre et de 1880 en Allemagne –, et sont restés stables, malgré le progrès des structures. Il s'agit surtout de textes très simples, structurants, précis et incontournables, qui imposent donc au moins une obligation de moyens. Cependant, dans les pays reposant sur le volontariat, les maires, qui assurent la réponse principale, se dotent généralement de bien plus de moyens que ce minimum obligatoire, afin d'être réélus.
Ces textes définissent les risques à couvrir, les délais d'intervention à ne pas dépasser, les moyens opérationnels à engager a minima, ainsi que le taux de réussite à respecter.
En France, les délais d'intervention sont laissés à la liberté des départements, ce qui conduit à des durées aberrantes, alors que ces délais sont censés être calculés sur des bases techniques et scientifiques. En Allemagne, des travaux de recherche sont conduits sur les incendies courants par des structures universitaires techniques, qui étudient : les vitesses de développement des incendies ; les délais d'installation des environnements très hostiles ; les délais de survenance des phénomènes thermiques de type flash-over ; les chances de survie des victimes soumises aux fumées – qui sont nulles après 16 minutes – ; et l'obligation faite aux sapeurs-pompiers de conduire des actions simultanées. L'État fédéral en a conclu une obligation en toutes circonstances de pouvoir engager en moins de 8 minutes un camion-citerne incendie (CCI), un fourgon pompe-tonne secours routier (FPT-SR), une échelle pivotante automatique de 30 mètres (EPA 30) et 11 pompiers ; et en moins de 13 minutes, en cas de besoin, le renfort d'un FPT-SR et de 6 pompiers. Chaque Land peut ensuite adapter ces obligations, mais aucun ne le fait en pratique, excepté à la marge.
En Angleterre, un seul texte s'applique partout.
Au Danemark, l'obligation est de pouvoir engager, en zone rurale, 9 pompiers avec différents véhicules en moins de 15 minutes ; dans les communes moyennes, 9 sapeurs-pompiers avec un FPT et une EPA 30 en moins de 10 minutes ; et davantage dans les grandes villes. La prévention interdit également les bâtiments élevés dans le monde rural, comme en Angleterre.
Les textes régissant les secours médicaux en Allemagne varient davantage en fonction des Länders. Le texte de base prévoit la mobilisation en 10 minutes d'une ambulance avec deux secouristes paramédicaux. Le Bade-Wurtemberg restreint ce délai à tous les lieux d'intervention accessibles par la route. En Schleswig-Holstein, il est porté à 12 minutes dans tous les cas. Ainsi, alors qu'en France, la règle est adaptée aux moyens, en Allemagne ce sont les moyens qui sont adaptés à la règle. Ils sont donc considérables. Tous secours médicaux confondus, les délais d'intervention des ambulances allemandes sur site sont en moyenne de 8,7 minutes, pour une durée de transport moyenne de 12,3 minutes et un délai moyen de réarmement de 20,1 minutes. Sachant qu'une ambulance est généralement engagée pour une heure, M. Schröder avait ainsi réalisé des calculs de probabilité pour déterminer le nombre d'ambulances nécessaires dans un secteur pour couvrir le risque. Certains centres médicaux – qui sont à Munich des casernes – sont ensuite fermés de nuit.
92 % des ambulances arrivent ainsi en moins de 10 minutes en Allemagne, contre des délais d'intervention moyens en France de 12 minutes en 2013, et de 13 minutes en 2017. Or, pour une détresse vitale, toute intervention après 10 minutes devient inutile.
Au Royaume-Uni, pour une détresse vitale avérée, chaque comté doit, de même, justifier en fin d'année de délais d'intervention de moins de 8 minutes pour 75 % des cas, et de moins de 19 minutes dans 95 % des cas. Les ambulances sont donc prépositionnées à cette fin sur le terrain (de manière mouvante en fonction des situations), et le délai moyen d'intervention total est de 8 à 9 minutes.
Au Canada, aux heures ouvrables des magasins, une voiture de police et une ambulance sont positionnées de chaque côté des rues principales. Elles ne sont plus présentes la nuit.
À Londres, 75 % des ambulances interviennent en moins de 8 minutes. Les pompiers de Londres n'assurent pas de secours médical. Il y a quelques années, un rapport, qui estimait que les pompiers de Londres coûtaient le même prix que les pompiers de Paris, passait sous silence cette différence, alors qu'elle représente pourtant un écart de 300 millions d'euros, de 5 000 personnes, 855 véhicules, 71 centres de secours paramédicalisés, etc.
Pour respecter un délai d'intervention de 10 minutes malgré un temps de rassemblement de 7 à 8 minutes, il faut des casernes partout. Pour 100 kilomètres carrés, en 2021, l'Allemagne disposait ainsi de 9,3 casernes (30 000 au total), l'Autriche de 6,3 (7 000 au total), et la France de 1,1. Or, ce chiffre est en diminution constante, puisqu'il était de 2,3 en 1975 et de 1,3 en 2016. En Loire-Atlantique, un vaste programme de fermetures de casernes se poursuit ainsi. Elles sont remplacées par des casernes à temps partiel, au détriment d'une réponse de proximité. En cas de crise majeure, il faut pourtant du monde et des moyens : le reste, « c'est de la littérature ».
En France, la dérive des Sdacr induit la fermeture d'un très grand nombre de centres d'incendie et de secours (CIS), le remplacement de pompiers professionnels par des pompiers postés, le non-remplacement des pompiers partant à la retraite, et la diminution drastique des effectifs de garde. La ville de Nantes n'aura bientôt plus que 9 ou 10 pompiers de garde la nuit, au moment où des violences urbaines sont en cours. En conséquence, certaines missions sont supprimées ou transférées à des structures privées. De plus, chaque département est libre de s'équiper en camions comme il le souhaite. Certains ne disposent plus que de 2 ou 3 FPT, quand il leur en faudrait 8.
À l'inverse, l'Autriche est le premier pays exportateur mondial de camions de pompiers, ce qui lui permet d'équilibrer très largement ses dépenses de secours. L'Allemagne et les États-Unis en sont les deuxième et troisième exportateurs : ces trois pays produisent à eux seuls 75 % des camions de pompiers dans le monde. Dans le monde entier, les échelles de pompiers sont allemandes. Or, une échelle coûte 1 million d'euros. L'Allemagne en exporte 150 à 200 par an. Les véhicules aéroportuaires, très coûteux également, sont dans le monde à 50 % américains et 50 % autrichiens.
Le système français est donc en train de s'effondrer d'une manière effrayante, quoi qu'on en dise.
Quelques solutions existent. J'ai écrit il y a quelques années un article sur les pompiers islandais, qui ont su s'adapter aux vastes déserts qu'ils ont à couvrir. Il en va de même dans le Montana aux États-Unis. Il ne s'agit pas d'y placer des pompiers en permanence, mais de savoir les y acheminer rapidement, avec les moyens adéquats.