La réunion

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Jeudi 1er juin 2023

La séance est ouverte à dix heures dix.

(Présidence de M. Jean-Philippe Tanguy, président de la commission)

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Chers collègues, cette dernière réunion de notre commission d'enquête sera consacrée à l'examen du projet de rapport – bien que tout le monde ici ne l'ait pas lu – et au vote sur son adoption.

Depuis le 19 janvier, nous avons procédé à quarante-quatre auditions représentant près de quatre-vingt-sept heures de réunion, au cours desquelles nous avons entendu cinquante-trois personnes.

Je tiens à remercier Mme la rapporteure pour le temps qu'elle a consacré à ce travail. Je remercie également les autres membres de la commission, ainsi que l'administration de l'Assemblée nationale.

Je vous propose d'organiser notre réunion de la manière suivante. D'abord, nous entendrons Mme la rapporteure exposer les grandes lignes de son rapport et ses conclusions. Ensuite, les commissaires qui souhaitent s'exprimer pourront le faire, soit à titre individuel soit au nom de leur groupe ; ils auront, par la même occasion, la possibilité d'indiquer dans quel sens ils voteront. À l'issue de cette séquence, Mme la rapporteure pourra, si elle le souhaite, apporter les précisions qu'elle jugera nécessaires. Je m'exprimerai alors sur le contenu du rapport – je préfère vous prévenir : ce sera un peu long. Enfin, nous passerons au vote sur l'adoption du projet de rapport.

À titre liminaire, je tiens à rappeler la manière dont j'ai voulu travailler. Après avoir lu vos déclarations dans Le Figaro de ce matin, madame la rapporteure, je ne sais pas, d'ailleurs, si je peux utiliser ce verbe, puisque, visiblement, vous ne considérez pas que nous avons « travaillé » ensemble. Disons donc que nous avons passé cinq mois côte à côte. J'estime, pour ma part, que cette position ne reflète pas la volonté que j'ai affichée dès le début de ma présidence et la façon dont j'ai mené les travaux.

Je tiens à dire, puisque personne ne le fera à ma place, que j'estime avoir conduit ces travaux comme je le devais en tant que député de la France et non en tant que député du Rassemblement national. Je pense l'avoir fait honnêtement, avec intégrité. D'ailleurs, jusqu'à présent – mais peut-être les langues vont-elles se délier ? –, je n'ai jamais eu à ce propos la moindre remarque, que ce soit lors des réunions de bureau, durant les auditions, dans les couloirs ou par téléphone. J'ai même demandé à plusieurs reprises, en réunion de bureau, si certains avaient des observations à formuler quant à la façon dont je présidais et celle dont nous menions nos travaux. Or il n'y en a jamais eu, ni à l'oral ni à l'écrit. Les relevés de décisions, rédigés après chaque réunion et validés par moi-même ainsi que par Mme la rapporteure, l'attestent. Nous y reviendrons, car cela peut avoir une incidence sur le contenu du rapport.

J'ai aussi décidé, même si rien ne m'y obligeait, de me déporter à chaque fois que le Rassemblement national était concerné de près ou de loin par une audition. Selon l'administration, très peu de présidents de commission d'enquête ont agi de la sorte, pour ne pas dire aucun. Par exemple, je ne connaissais pas M. Schaffhauser et ne l'avais même jamais vu de ma vie – si vous voulez tout savoir, j'espère même que je n'aurai jamais à le revoir. J'aurais donc très bien pu mener l'audition. De la même manière, les liens de hiérarchie entre M. Philippe Olivier et moi sont assez ténus. Lorsque la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, à laquelle je participais, a reçu M. Sarkozy, le président de cette commission, membre du groupe Les Républicains, ne s'est pas déporté, et il a d'ailleurs très bien mené l'audition. Je pourrais citer bien d'autres exemples récents. Si j'ai décidé de me déporter, c'est, d'une part, par éthique personnelle – même si, visiblement, cela n'intéresse personne –, et, d'autre part, parce que je considère que notre institution a besoin de modestes preuves d'exemplarité comme celle-ci.

En tant que président, et bien que je sois systématiquement suspecté d'agir en tant que membre du Rassemblement national, je n'ai jamais refusé la moindre audition. J'ai lu dans la presse que j'aurais manipulé les travaux de cette commission, la transformant en clownerie, pour sauver l'honneur de mon parti. J'aurais interrompu une personne ou l'aurais contredite ; j'aurais lancé une polémique… J'ai donc relu l'ensemble de nos travaux, pour voir ce qu'il en était. À leur lumière, je ne comprends toujours pas de telles allégations. Quand vous mettez en cause le Rassemblement national, ce n'est pas toujours très aimable, mais c'est le jeu démocratique. Vous avez le droit de le faire : je respecte toutes les paroles et toutes les libertés. Je ne crois pas avoir empêché quiconque de s'exprimer, mais, si c'est le cas, il n'y a aucun problème : ce sera consigné au compte rendu.

Si je respecte votre parole et votre liberté, force est de constater que la réciproque n'est pas vraie, et que cela participe du traitement particulier qui est réservé au Rassemblement national. En général, le président d'une commission d'enquête convoque qui il veut. Chacune de mes demandes d'audition a été soumise à des négociations, à la volonté des uns et des autres, et nous n'avons pas reçu un grand nombre des personnes que je voulais interroger. Sachez que cela sera rendu public. Ces lacunes nuisent énormément à nos travaux.

La NUPES n'a pas souhaité participer au bureau de la commission. C'est son choix. J'ai invité constamment ses membres à y prendre part, ils ont formulé des demandes d'audition et je ne me suis opposé à aucune d'entre elles, sauf une, mais cette décision était consensuelle. Il s'agissait des responsables de la banque hongroise ayant consenti un prêt à Marine Le Pen. D'une part, nous ne savions pas qui inviter. D'autre part, comme ces personnes sont étrangères, elles n'auraient pas pu prêter serment. Cet argument n'a soulevé aucune objection de la part des autres membres du bureau. C'est la seule audition pour laquelle j'ai considéré qu'il ne serait pas possible de la mener dans de bonnes conditions.

J'ai systématiquement refusé de verser dans la politique spectacle, en tout cas dans cette commission : je sais faire la distinction entre mes fonctions de président et les autres. Ainsi, je n'ai pas voulu convoquer M. Mélenchon ou certaines personnalités d'En Marche ou de Renaissance pour leur poser des questions « bidons », uniquement pour les mettre sur le gril et en faire une vidéo. Cela n'avait aucun intérêt pour nos travaux.

La question s'est posée pour un collègue de la NUPES. Il y avait suffisamment d'éléments pour le convoquer, puisqu'il était cité à plusieurs reprises, mais je m'y suis refusé car cela n'avait aucun intérêt à mes yeux. De fait, les travaux ont confirmé que cela aurait été inutile. En dehors de la satisfaction que peut procurer le fait d'assouvir des ambitions partisanes, quel est l'intérêt de jeter en pâture au public l'honneur d'un parlementaire, de mettre en cause son intégrité, de lui demander de se justifier à propos d'allégations ridicules ?

M. Mélenchon a été mis en cause à de nombreuses reprises lors des auditions. J'aurais pu lui demander de venir nous expliquer pourquoi son nom apparaissait dans tel ou tel article et pour quelles raisons il avait soutenu tel ou tel opposant – ou non, en l'occurrence, puisque c'était faux –, écrit telle ou telle note de blog. Quel en aurait été le résultat, sinon une énième revue de presse ? Tel n'était pas l'objet de la commission.

Nous avons auditionné des personnes qui devaient l'être. Pour le principal parti de la majorité, il s'est agi de M. Buon Tan. Des articles, dont un publié dans Le Monde, faisaient état des inquiétudes des services de renseignement quant au fait qu'il pouvait être un agent défendant les intérêts chinois. Personne ne s'est opposé à ce qu'il soit auditionné. Il y avait toutes les raisons de le faire. Nous avons reçu aussi M. Leroy.

En revanche, nous n'avons reçu ni M. Raffarin ni M. Le Guen. Je n'ai toujours pas compris pourquoi. M. Le Guen siège au conseil d'administration de Huawei France, mais cela paraît tout à fait normal…

J'aurais pu citer M. Sarkozy. Je ne l'ai pas fait parce qu'il n'aurait pas prêté serment. Son nom n'est cité qu'une seule fois dans le rapport – j'y reviendrai.

J'ai donc la conscience tranquille : j'ai l'impression d'avoir fait mon travail aussi honnêtement qu'un homme politique peut le faire – je ne suis pas une oie blanche et n'ai jamais prétendu l'être. À plusieurs reprises, durant nos travaux, mon honneur personnel a été mis en cause dans les médias. Or pas un seul commissaire, en dehors de ceux du Rassemblement national et de non-inscrits, n'a daigné contester ce qui était rapporté sur mon compte. Cela ne m'empêche pas de dormir, mais je tenais à le signaler.

La blague du siècle, c'est évidemment l'histoire, racontée par l'émission « Quotidien », selon laquelle je serais très proche de François Fillon, alors que je ne l'avais jamais rencontré de ma vie. Cette opération grotesque visait à me forcer à me déporter, au prétexte que l'un de mes amis connaissait l'ami d'un de ses amis… C'était à la fois ridicule et scandaleux, car c'est moi qui avais demandé, dès le début de nos travaux, l'audition de M. Fillon, alors que les seuls qui s'y étaient opposés, dans un premier temps, étaient des membres du groupe Renaissance. Non seulement c'est moi qui ai été insulté, mais en plus la vérité n'a pas été dite – croyez bien qu'elle le sera.

Il a été dit constamment que je poursuivais un intérêt caché, que j'étais en service commandé. Encore faut-il le prouver. N'en déplaise à certains, qui par ailleurs se prévalent en permanence du respect de l'État de droit, nous sommes en France et non aux États-Unis : ici, les gens sont innocents tant qu'ils n'ont pas été reconnus coupables. Pour ma part, je n'ai jamais déclaré coupable quelqu'un à qui je n'avais absolument rien à reprocher.

Voilà ce que j'ai subi pendant cinq mois. Je méritais de le dire aujourd'hui – en tout cas, je m'en accorde le droit.

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Je m'en tiendrai, pour ma part, au rôle qui est le mien en tant que rapporteure, à savoir vous présenter le projet de rapport que j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à votre vote. Je me garderai d'entrer dans des considérations personnelles qui, à ce stade, n'intéressent personne.

Nous achevons donc un cycle de quarante-quatre auditions, menées entre le 19 janvier et le 24 mai. Toutes ont été éclairantes, même si certaines ont retenu davantage l'attention des médias. Chacune d'entre elles, y compris celles qui ont été menées à huis clos pour les raisons que nous savons, a fait l'objet d'un compte rendu détaillé. Ceux de ces documents qui pouvaient être mis en ligne sur le site de l'Assemblée nationale l'ont été dans les meilleurs délais, de manière à les porter à la connaissance de tout un chacun. Il est également possible de retrouver sur le portail vidéo de l'Assemblée les images des très nombreuses auditions qui se sont déroulées sous le régime de la publicité.

Je tiens aussi à vous faire savoir d'ores et déjà que, si vous me faites l'honneur d'adopter ce projet de rapport, celui-ci comportera un second tome consacré aux comptes rendus des auditions. J'ai en effet souhaité, même si ce n'est pas forcément l'usage, que l'intégralité de ces comptes rendus soit jointe au rapport. Je pense essentiel que tout le monde – experts, universitaires, étudiants, participants à des think tanks, fonctionnaires, élus, ainsi que toutes celles et tous ceux qui s'intéressent aux ingérences étrangères – ait accès à cette mine d'informations, de données, de points de vue, d'expertises et de témoignages.

Cette commission d'enquête est née dans un contexte de vive polémique. Le dépôt de la proposition de résolution tendant à sa création a été annoncé le 23 septembre 2022 par un communiqué de presse cosigné par M. Jordan Bardella et par vous-même, monsieur le président. Cette démarche faisait suite à des déclarations publiques de M. Stéphane Séjourné, secrétaire général du parti Renaissance, et de M. Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France à Moscou et à Pékin. Sur un ton à peine moins véhément, l'exposé des motifs de la proposition de résolution donnait pour objectif à cette commission d'enquête d'établir « s'il existe oui ou non des réseaux d'influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publics, dirigeants d'entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d'obtenir des décisions contraires à l'intérêt national ».

Décrite ainsi, cette tâche considérable n'est pas à la portée d'une commission d'enquête parlementaire, si ardemment dédiée à sa mission fût-elle. En effet, les prérogatives, le champ et les moyens de ces organes sont très strictement encadrés par le droit et limités par le principe de séparation des pouvoirs, qui prévaut dans notre République.

Compte tenu de la nature des sujets traités et des responsabilités professionnelles de plusieurs personnes auditionnées – chefs de services de renseignement, par exemple, dont les auditions se sont déroulées à huis clos –, la commission d'enquête s'est vu opposer à plusieurs reprises le secret de l'enquête, le secret de l'instruction ou le secret de la défense nationale. En effet, elle s'est trouvée confrontée au fait que des enquêtes judiciaires étaient en cours sur les sujets dont elle avait à connaître. Ces limites sont tout à fait normales et nul ne saurait s'en étonner ou prétendre en tirer d'autres conclusions.

Le Parlement s'est déjà penché sur la question des ingérences étrangères.

En 2021, le Sénat a consacré une mission d'information, présidée par M. Étienne Blanc et dont le rapporteur était M. André Gattolin, aux influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et à leurs incidences. Nous avons d'ailleurs auditionné M. Gattolin.

À l'Assemblée nationale, plus récemment, la délégation parlementaire au renseignement (DPR) – présidée par Sacha Houlié, dont j'ai l'honneur d'être vice-présidente et où siège également une autre députée membre de notre commission d'enquête – travaille depuis l'automne dernier sur la question, à laquelle elle a décidé de consacrer une grande partie de son rapport annuel. La DPR travaille sous le sceau de l'habilitation secret-défense et son rapport ne sera que très partiellement rendu public, ce qui ne nuit pas à l'intérêt de ses travaux.

Enfin, le Parlement européen a créé dès 2020 une commission spéciale sur l'ingérence étrangère dans l'ensemble des processus démocratique de l'Union européenne, dite INGE 1, présidée par Raphaël Glucksmann. Après avoir remis un premier rapport, elle a vu son mandat prolongé. La rapporteure actuelle, Nathalie Loiseau, présente en ce moment même son rapport à ses collègues. Nous avons auditionné nos deux collègues députés européens.

Autant dire que la question des ingérences étrangères, déjà très présente dans bien des esprits, comme nous l'avons constaté lors des auditions d'universitaires, d'experts et de représentants des services de renseignement, est également appréhendée par l'institution parlementaire.

La commission des lois, qui a eu à se prononcer, après le bureau de l'Assemblée nationale, sur la recevabilité de la proposition de résolution, avait émis des doutes sérieux quant à la pertinence du périmètre envisagé, le jugeant beaucoup trop large et par conséquent peu pertinent. Néanmoins, faisant primer l'exercice du droit de tirage par le groupe du Rassemblement national sur les critères de recevabilité, la commission ne s'était pas opposée à la proposition de résolution.

Le présent projet de rapport est le fruit d'un travail de synthèse des auditions, dont il rend compte assez fidèlement, comme le montrent les nombreuses citations qui y figurent. Il n'avait pas vocation à entrer dans le détail de l'ensemble des sujets abordés lors des auditions, car il y avait là matière à plusieurs commissions d'enquête – et à plusieurs rapports…

Le projet de rapport est divisé en deux parties. La première est intitulée : « La France est la cible d'ingérences de la part de puissances étrangères », et la seconde : « Une prise de conscience salutaire mais tardive des autorités françaises vis-à-vis de l'ensemble des menaces transversales ».

Il m'a paru essentiel, dans un premier temps, d'expliciter le sujet même de cette commission en rapportant les riches échanges que nous avions eus, au début des auditions, avec plusieurs experts. La distinction entre ingérence et influence, ainsi que tous les termes qui gravitent dans ce continuum sont traités dans la première sous-partie.

Ensuite, je me suis attachée à établir une typologie des principales ingérences ciblant notre pays. À cette fin, j'ai repris la catégorisation établie par M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), en y ajoutant le recrutement d'une partie de nos élites par des puissances étrangères.

Une fois ces bases méthodologiques posées, j'ai esquissé un panorama des puissances étrangères s'adonnant à l'ingérence, notamment à l'encontre de notre pays. Il est apparu, en particulier après l'audition de représentants de tous les services de renseignement – que je remercie pour la qualité et la clarté de leurs propos –, que les deux principales menaces étaient la Russie et la Chine. C'est pourquoi j'ai consacré une sous-partie à chacun de ces pays. Les autres pays concernés, qui avaient été cités dans plusieurs auditions, mais de manière incidente et moins fréquemment, figurent dans une même sous-partie. Il s'agit de l'Iran, du Maroc, de la Turquie et du Qatar. En ce qui concerne ce dernier pays, j'ai mentionné explicitement l'affaire de corruption présumée qui s'est fait jour au sein du Parlement européen, grâce aux enquêteurs belges, qui ne relève pas directement du sujet traité par notre commission d'enquête puisque ces faits se sont déroulés sur le territoire du royaume de Belgique : c'est le fameux « Qatargate ». Il est question également du « Marocgate ».

S'agissant des ingérences en France, un pays se distingue plus particulièrement : la Russie. Une sous-partie entière du rapport lui est consacrée. Le rapport conjoint du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), datant de 2018 et intitulé Les Manipulations de l'information : un défi pour nos démocraties, identifiait spécifiquement la Russie comme étant à l'origine de 80 % des influences caractérisées par de la désinformation, de la manipulation de l'information et de la « mal-information » en Europe. Ces pratiques extraordinairement pernicieuses et déstabilisatrices visent tous nos intérêts, sur le territoire hexagonal et à l'extérieur.

La stratégie russe en la matière passe par des médias, en particulier RT France et Sputnik, pour ne citer qu'eux, mais ce n'est là qu'un aspect de la guerre hybride menée par ce pays contre nos sociétés démocratiques : il y a d'autres relais et cercles d'influence, y compris parmi les élites françaises. À cet égard, nous n'avons pas esquivé les cas de M. Fillon et de M. Leroy. Il convenait également de mentionner les liens tissés depuis des années entre la Russie et le Front national, puis le Rassemblement national. En effet, je n'ai pas voulu passer sous silence les nombreuses analyses, les faits et les propos portés à la connaissance de la commission d'enquête par plusieurs personnes auditionnées, qui établissent une forte proximité politique entre le pouvoir russe et ce parti, ce qui éclaire certains aspects de celui-ci.

La seconde partie porte plus largement sur le dispositif français de lutte contre les ingérences étrangères. Nous n'avons pas à rougir du système mis en place, comme en témoigne la sécurisation réussie de l'élection présidentielle de 2022 par le SGDSN, en liaison avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), après l'affaire des Macron Leaks, en 2017, dont l'origine a été clairement déterminée.

Dans de nombreux domaines, nos institutions ont amélioré leur capacité de résistance face aux très nombreuses formes d'ingérence étrangère, qui sont souvent sournoises. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), par exemple, et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), garantissent une forme d'étanchéité du financement de la vie politique française par rapport aux puissances étrangères en s'assurant que la législation est appliquée.

De même, nous avons tous noté les progrès notables qui ont été effectués dans le domaine de la protection de l'économie et des intérêts économiques français face aux ingérences, notamment grâce à la loi Sapin 2. Nos services de renseignement – parmi lesquels la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin – sont pleinement mobilisés dans la lutte contre tous les types d'ingérence étrangère. J'en profite pour rendre hommage à ces services : je salue leur professionnalisme, leur sens de l'État et leur dévouement.

L'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure dispose que « la prévention de toute forme d'ingérence étrangère » est l'un des objets du « recueil de renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation ». La stratégie nationale du renseignement, publiée en juillet 2019, qui est en quelque sorte la feuille de route des services de renseignement, définit la « lutte contre les menaces transversales » comme l'un de ses enjeux prioritaires, au même titre que la lutte contre « la menace terroriste », « l'anticipation des crises et des risques de ruptures majeures » et « la défense et la promotion de nos intérêts industriels et économiques ».

Il m'apparaît clairement, à la suite des auditions, de mes nombreuses lectures sur le sujet, des travaux de la délégation parlementaire au renseignement et de mes cinq années d'expérience, sous la précédente législature, en tant que membre de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qu'une véritable prise de conscience est intervenue, de la part des autorités et de l'ensemble de l'appareil de l'État, quant à la dangerosité de toutes les formes d'ingérence étrangère.

La situation est le fruit d'un contexte géopolitique marqué par un renforcement des grandes confrontations, qui nous a vu passer d'un monde de compétition à un monde de confrontation, dans lequel les puissances autoritaires, au premier rang desquels la Russie et la Chine, contestent l'ordre international hérité de la fin de la Guerre froide, fondé sur la démocratie, l'économie de marché et l'État de droit. Ces puissances cherchent par tous les moyens à déstabiliser et affaiblir les démocraties occidentales. Elles mènent contre les sociétés démocratiques une guerre hybride, de manière insidieuse, sournoise et systémique, dont les ingérences sont la forme la plus répandue.

Le déni des réalités, la naïveté, la complaisance voire l'allégeance ne peuvent plus être de mise en Europe. Notre pays doit encore progresser en ce qui concerne la prise de conscience, l'appréhension de la dangerosité de cette grande confrontation entre les régimes démocratiques et les régimes autoritaires, lesquels sont passés maîtres dans l'art d'exploiter nos vulnérabilités, nos propres valeurs, notre espace de liberté. Notre pays doit aussi diffuser davantage une certaine culture, un esprit de résistance citoyen fondé sur la responsabilité, la transparence et l'engagement de toute la société.

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En ce qui me concerne, monsieur le président, à aucun moment je n'ai mis en cause votre probité et la manière dont vous avez conduit nos travaux. Je vous remercie d'ailleurs de m'avoir cédé la présidence à quatre reprises pour des auditions ; à chaque fois, j'ai essayé de faire au mieux, quitte à reprendre certains membres de la majorité qui s'exprimaient de manière un peu bruyante.

Je ne me suis pas non plus répandu dans la presse, ni n'ai contesté vos qualités, en dehors du combat politique qui peut exister entre nos mouvements politiques. Je n'ai pas davantage eu connaissance d'attaques émanant de membres du bureau ou d'autres commissaires.

Pour le reste, le rapport me paraît équilibré. Une partie concerne effectivement le Rassemblement national et le prêt russe, mais c'était un des éléments ayant conduit à la création de cette commission d'enquête, et le passage en question représente moins de vingt pages, soit 10 % environ du rapport. Si Mme la rapporteure avait consacré la moitié du rapport au RN, on aurait pu s'interroger sur sa démarche, mais tel n'est pas le cas. Du reste, les faits rapportés correspondent à ce que j'ai entendu lors des auditions – certes, j'en ai raté quelques-unes, mais j'ai assisté à la majorité d'entre elles.

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Je salue le travail de la rapporteure. Même si nous avons de fortes divergences politiques, monsieur le président, je reconnais que vous avez mené les travaux avec beaucoup d'objectivité. Je regrette les propos que vous venez de tenir et, n'ayant pas lu Le Figaro et L'Opinion, je ne ferai pas davantage de commentaires.

Lors de l'audition de Mme Le Pen, vous vous êtes déporté et avez posé peu de questions. Il était intéressant de l'entendre – même si nous avions pu être partagés pendant un temps sur l'opportunité d'auditionner des responsables politiques pour éviter un biais trop évident. C'était important et cela nous a permis, comme le rapport le relate bien, de voir les incohérences des réponses de Mme Le Pen. Cela a également permis de soulever un certain nombre de questions qui restent à éclaircir sur le prêt russe et sur son évolution, puisque la créance est désormais détenue par une société russe. Mme Le Pen a peu répondu, n'ayant pas beaucoup intérêt à savoir qui se trouve derrière cette société. Cela nous laisse assez circonspects sur l'authenticité de ses propos.

Le travail mené est très complet et aborde l'ensemble des ingérences, sans se focaliser seulement sur la Russie. L'audition de directeurs de services de renseignements a été très enrichissante et a permis de mieux connaître le travail mené par les personnels de ces services, qui travaillent dans le secret.

Encore une fois, comme l'a dit la rapporteure, le sujet est particulièrement vaste et les moyens de la commission d'enquête sont assez réduits. Le rapport est utile et apporte un certain nombre d'éléments.

Pour revenir à la partie consacrée au Rassemblement national, il reste beaucoup de questions sur les relations avec la Russie qui ont permis d'obtenir un tel prêt.

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Je remercie les fonctionnaires de l'Assemblée nationale qui ont collaboré aux travaux de cette commission d'enquête.

J'aurais bien voulu y participer davantage, notamment au début, mais vous connaissez les raisons pour lesquelles j'ai dû m'absenter quelques semaines. J'ai essayé de me rattraper à la fin.

Mme la rapporteure a bien rappelé les nombreuses limites à notre travail, juridiques et opérationnelles. Le rapport fournit des éléments intéressants. Il pointe un certain retard dans la prise de conscience du fait que notre démocratie est auscultée par des puissances inamicales, qui cherchent à nous déstabiliser par de nombreux biais – administratifs, politiques, commerciaux – pour leurs propres intérêts et pour faire vaciller notre conception de la démocratie.

Personne n'ignore les conditions dans lesquelles cette commission d'enquête a été créée. Personne n'a été dupe. Le groupe Rassemblement national a cherché à instrumentaliser une commission d'enquête pour se laver de turpitudes qui sont connues de tous les Français, puisque par deux fois le Président de la République en fonction a évoqué ces sujets lors du débat précédant le deuxième tour de l'élection présidentielle.

La commission d'enquête a ensuite travaillé.

Avez-vous fait une si bonne affaire en voulant jouer avec cette commission ? On en arrive en fait à la conclusion qu'il y a bien un sujet des relations du Rassemblement national avec la Russie de M. Poutine. Les quatre auditions de membres ou d'anciens membres de votre parti – MM. Mariani, Olivier et Schaffhauser ainsi que Mme Marine Le Pen – ont bien montré qu'il y avait des liens financiers tout à fait inhabituels entre cette formation politique et le système de M. Poutine.

Le rapport met bien en avant les problèmes qui existent avec d'autres régions du monde, telles que la Chine et certains États du Moyen-Orient ainsi que le Maroc. Ce sont des motifs de vigilance pour l'avenir.

J'ai parcouru le rapport. Il est très sérieux et très intéressant pour nos concitoyens, malgré les contraintes qui ont présidé à nos travaux.

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Pour ce qui est de la stratégie politique du Rassemblement national, nous jugerons de ses résultats à la fin.

Je souhaite revenir sur le fait que des gens s'expriment sur un rapport en prétendant l'avoir lu. À part la rapporteure, qui dispose d'une version électronique, le rapport ne peut être lu qu'en se rendant dans une salle où il est mis à disposition. Les heures d'entrée et de sortie sont notées, ce qui permet de savoir combien de temps un député est resté pour le consulter.

Je sais que certains disposent de capacités intellectuelles uniques, mais il y a tout de même un petit problème. Il faudra que l'on m'explique comment on peut lire un rapport de 210 pages en trente minutes. Je vois sur la liste des durées de consultation de trente ou de quarante minutes. Une personne a passé trois heures à consulter le rapport, ce qui est cohérent même si, soixante-dix pages par heure, c'est encore le haut du panier en termes de rythme de lecture…

Bon courage pour justifier que l'on s'exprime sur un rapport en prétendant l'avoir lu suffisamment dans le détail pour pouvoir juger de sa qualité en une demi-heure !

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C'est une attaque en dessous de la ceinture, monsieur le président. Vous n'avez pas à juger de mes capacités à lire un rapport. Il se trouve que je suis enseignant-chercheur et que j'ai été formé pendant plusieurs années à la lecture de ce genre de document. Je suis capable de lire très rapidement et de rechercher les informations, en retenant celles qui me semblent utiles. Cette attaque est assez minable.

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Je remercie le président, la rapporteure, les collègues qui ont participé aux auditions et les administrateurs.

J'ai essayé de participer au maximum d'auditions et j'ai pu constater le sérieux du travail et son caractère transpartisan. On le sait depuis bientôt un an, il faut que l'on s'habitue à travailler ensemble sur des sujets d'intérêt général pour la nation, y compris quand on n'a pas les mêmes opinions politiques. Il me semble que ce travail en est l'illustration. C'était d'autant plus délicat que, d'une certaine manière, vous nous avez conviés à une mise en abyme, puisque les ingérences concernent en particulier les élus. Cela nous a amenés à nous interroger sur nos attitudes, nos pratiques et nos prises de parole. L'exercice était difficile mais il a été bien mené.

Je trouve le rapport excellent. Je ne savais pas que nous étions surveillés et que la feuille d'émargement pourrait nous être opposée. Après le petit échange auquel nous venons d'assister, je me dis que l'on va juger le sérieux de mon travail en fonction de la durée de consultation. C'est évidemment déplacé et je soutiens totalement les propos de Charles Sitzenstuhl. Moi aussi, je lis vite,…

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…et j'ai même relevé quelques coquilles. On peut lire très vite le rapport, tout particulièrement grâce au plan, qui est très bien fait et permet de tirer la substantifique moelle du travail de la rapporteure. On comprend la progression de sa démarche. Le plan est équilibré et vous avez fait des recommandations finales. Mon impression est globalement positive.

Néanmoins, madame la rapporteure, je voudrais de nouveau signaler qu'il y a peut-être un manque dans la partie qui traite des actes de soutien concrets au régime de M. Poutine, pages 103 à 109 du projet. Je me réserve la possibilité de déposer une contribution écrite, comme nous pouvons encore le faire cinq jours après le vote sur la publication du rapport. Je trouve regrettable que vous n'ayez pas suffisamment mentionné la légitimation par les députés du Rassemblement national de deux scrutins russes : le référendum constitutionnel de juillet 2020 et les élections législatives de septembre 2021.

Comme je l'ai dit lors de l'audition de Mme Le Pen, nous étions à cette époque assez longtemps après l'annexion illégale de la Crimée et des opérations de déstabilisation dans le Donbass. Tout le monde avait eu le temps de se faire une opinion, avec la dérive autoritaire du régime russe et l'emprisonnement des opposants. Les députés du Rassemblement national ont largement contribué à légitimer la dérive autocratique et totalitaire du régime de M. Poutine. Je ne vais pas citer de noms ici. C'est dans la presse et nous pourrons citer ces sources.

J'ai l'intuition – et c'est un simplement une intuition – que ce soutien pouvait être une sorte de renvoi d'ascenseur, ou en tout cas de sympathie affichée. J'insiste : légitimer un scrutin par sa présence, c'est quelque chose de fort. Et la Russie est prête à payer les voyages et les frais de séjour pour cela.

Tel est le petit défaut que je vois dans le rapport, que je voterai par ailleurs en vous félicitant de nouveau tous les deux pour la qualité du travail accompli.

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Je n'ai malheureusement pas été non plus la plus assidue. Néanmoins, je salue le travail que le président et la rapporteure ont mené conjointement. On peut saluer votre objectivité et votre impartialité dans la conduite des débats.

Je n'ai pas trouvé le temps de consulter longuement le rapport, mais il s'en dégage une ligne directrice : l'ingérence est une véritable préoccupation pour nos démocraties et pour la République. On voit bien qu'elle est partout, notamment dans les milieux politiques et journalistiques. Le rôle de la Chine et de la Russie est mis en évidence dans le rapport. Je suis membre de la commission des affaires étrangères et nous retrouvons ce thème fréquemment. Comme l'a dit la rapporteure, nous avons ouvert une porte mais nous n'avons vu que le début.

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Je n'ai pas de commentaire particulier. Je n'ai malheureusement pu assister qu'à très peu d'auditions. Je félicite la rapporteure pour son rapport, que j'ai partiellement lu.

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Je voudrais tout d'abord revenir sur les conditions du travail, qui ont été tout à fait honorables et n'ont pas été contraires aux principes que nous nous astreignons à suivre d'ordinaire.

Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué des faits dont je n'ai pas connaissance, monsieur le président – je ne suis pas un lecteur assez assidu du Figaro ou de L'Opinion. Il est certain que le Rassemblement national avait vraisemblablement un dessein politique en utilisant son droit de tirage sur ce sujet. Mais je note que cela n'a pas eu d'effet dans la tenue des débats et que vous avez exercé votre fonction d'une manière tout à fait correcte.

En revanche, je ne comprends pas pourquoi il est précisé dans le rapport que la NUPES n'a pas été présente au bureau de la commission, dans la mesure où j'y ai participé plusieurs fois. Mais je ne prétends pas représenter la NUPES, puisque je suis membre de La France insoumise et qu'il n'y a pas de groupe NUPES stricto sensu. J'espère que Mme la rapporteure acceptera de procéder à une correction, car l'observation en question n'apporte rien et elle est inexacte.

Vous évoquez aussi le fait que la NUPES aurait demandé l'audition des responsables de la banque hongroise MKB. Je n'ai pas souvenir de l'avoir fait, mais peut-être s'agissait-il d'un souhait de mon collègue du groupe Écologiste. J'avais évoqué l'audition de M. Laurent Foucher. Mais elle n'a pas été possible tout simplement parce que son numéro ne se trouve pas dans l'annuaire. Arrivé au terme de nos travaux, je continue à regretter de ne pas avoir pu l'auditionner, mais personne n'est à blâmer. Cela aurait été une tranche de vie intéressante…

J'en viens au rapport à proprement parler. Je souscris à l'idée que le périmètre de la commission d'enquête était trop large, ce qui conduisait nécessairement à ce que nous nous heurtions au secret de la défense nationale ou au secret de l'instruction. De ce point de vue, il y a forcément quelque chose de frustrant dans le travail qui a été mené.

J'observe que le rapport exprime un point de vue que je ne qualifierai pas forcément de partisan, mais qui est politique et que je ne partage pas complètement. La rapporteure évoque la guerre menée contre la démocratie par les régimes autoritaires. Je n'ai aucune difficulté à utiliser le qualificatif autoritaire pour les régimes en question. Je crois néanmoins que ce prisme conduit vers une forme de manichéisme et fait l'impasse sur la façon agressive dont certaines démocraties défendent leurs intérêts.

Il y a certaines lacunes dans le rapport, mais il aurait été illusoire d'imaginer être exhaustif avec un sujet aussi large. Je ne vous en fais donc pas grief. Je mentionne simplement certains désaccords, qui figureront dans la contribution de mon groupe. De même, le nombre des recommandations est honorable, mais elles demeurent un peu floues. Cela fait sans doute partie de l'exercice, mais elles gagneraient à être encore précisées. Je m'y attacherai dans la mesure de mes moyens dans la contribution de mon groupe.

En tout état de cause, il me semble que ce que ce rapport est une contribution au débat public. Il ne faudrait pas le prendre pour autre chose. Ce ne sera évidemment pas une bible, si j'ose dire, mais un jalon dans la réflexion que nous avons tous le devoir de mener en ce qui concerne nos vulnérabilités et afin de protéger l'intégrité du débat démocratique.

Nous ne nous opposerons pas à la publication du rapport.

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Je m'exprime à titre individuel. Même si je n'ai pas été non plus très assidu, j'ai parcouru ce rapport très riche et éclairant, qui pose les bases d'une vraie défense de la démocratie face aux ingérences étrangères.

Mais je ne voterai pas en faveur de sa publication car il ne m'a pas convaincu. Depuis mon plus jeune âge, j'ai combattu le Front national, devenu Rassemblement national. Je ne partage pas ses idées mais j'ai trouvé qu'on détournait une commission d'enquête au profit de la politique. Je reste persuadé que nous devons conserver l'esprit de notre institution, de l'Assemblée nationale, et qu'on ne peut pas faire d'une commission d'enquête un outil politique. Ce rapport est devenu un instrument politique plutôt qu'un rapport d'enquête.

Ma liberté de parlementaire et ma conception de ce que doit être une commission d'enquête me conduisent à ne pas voter en faveur du rapport, car la volonté et les orientations politiques apparaissent parfois trop dans sa rédaction.

Je regrette également que la création de la banque de la démocratie n'ait pas été reprise dans les propositions, alors qu'elle est évoquée par François Bayrou depuis près de trente ans et qu'elle est aussi très clairement défendue par le Président de la République.

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Pour des raisons d'agenda, je n'ai pas pu assister à toutes les auditions – on sait que depuis janvier le calendrier parlementaire a été quelque peu chargé et nous a conduits à être très présents dans l'hémicycle. Néanmoins j'ai visionné les réunions que j'avais manquées sur le site de l'Assemblée, lorsque cela était possible, et j'attendais avec impatience la parution des comptes rendus – qui fut un peu longue pour les premiers. Je dis cela pour justifier mes absences, puisqu'apparemment il faut désormais le faire.

Cela me permet de revenir sur le propos liminaire un peu étonnant du président. Je n'ai pas lu non plus Le Figaro ou L'Opinion. Cette réunion a pour objet de parler du rapport. Je n'ai pas eu le temps de le consulter auparavant, puisque nous discutons en séance publique du projet de loi de programmation militaire (LPM). Des techniques de lecture m'ont permis, comme à d'autres, de retenir un certain nombre de choses depuis le début de cette réunion.

On savait que le sujet était trop large et qu'il résultait en plus d'une polémique. Cela n'offrait pas de bonnes conditions pour mener une commission d'enquête. Comme l'a indiqué la rapporteure, un certain nombre de travaux et de recommandations avait déjà été effectués par le Parlement européen, ce qui nous permettait en quelque sorte d'en faire la déclinaison.

Je m'en entretenais encore avec l'amiral Vandier ce matin : il me semble que nous faisons encore preuve d'une forme de naïveté vis-à-vis de la Chine. Pour avoir été un certain nombre de fois en Australie, je crois que nous ne percevons pas combien les pressions y sont fortes. La situation ne peut pas être mise seulement sur le compte d'une volonté conflictuelle entre hyperpuissances.

Nous restons aussi peut-être trop naïfs sur la capacité d'un certain nombre d'États autoritaires – qualifiés improprement de compétiteurs – à attirer non seulement des hauts fonctionnaires et des politiques, mais aussi des personnes qui développent des innovations. La recommandation que vous faites sur le contrôle de la reconversion des militaires dans des entreprises étrangères ou sous contrôle étranger, qui fait l'objet d'un article du projet de LPM, ne va pas assez loin. Il faudrait passer du système déclaratif, ne permettant des contrôles qu'ultérieurement, à un système d'autorisation préalable pour travailler dans une entreprise étrangère directement liée à un pouvoir étranger. Il faut comprendre que la Chine n'est pas un État-nation mais un parti-nation. En Russie, on assiste à un renouvellement régulier des grands oligarques en fonction de la politique conduite par Poutine. Celui qui était roi un jour peut devenir prisonnier le lendemain. Cela veut bien dire que les très grandes entreprises russes sont nécessairement liées au pouvoir.

Je retrouve bien dans le rapport ce que l'on a entendu lors des auditions. L'écueil politique ne pouvait pas être évité, mais cette commission d'enquête n'a pas servi les intérêts de certains autant qu'ils l'auraient voulu. Je sais gré à cette commission d'avoir su mener ce travail.

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Je plaide coupable : j'avais une demi-heure pour étudier ce rapport, et je vous assure que je l'ai mise à profit de manière extrêmement intense et studieuse. J'en ai profité pour parcourir un résumé extrêmement bien fait et les conclusions.

Mais cela m'a surtout permis de revenir sur l'un des moments qui m'a le plus marqué, c'est-à-dire l'audition publique de notre collègue Marine Le Pen.

Vous vous souvenez peut-être que je l'ai interrogée au sujet du fameux emprunt auprès d'une banque russe, qui fut ensuite transféré spécifiquement et individuellement à une série d'entreprises russes proches du pouvoir. Mme Le Pen avait alors dit clairement que ce n'avait pas été le cas et qu'il s'agissait d'une opération qui faisait partie d'un transfert global de l'actif et du passif d'une banque vers un acheteur privé, sans que le Rassemblement national en ait eu connaissance ou ait été impliqué.

M. Bayou l'avait ensuite interrogée en s'appuyant sur des informations complémentaires, citant notamment l'enquête très fouillée publiée par Mediapart en 2018, qui confirmait qu'un seul prêt avait été racheté. Mme Le Pen avait alors dit que c'était la première fois qu'elle entendait cela et que personne ne le lui avait jamais dit.

Or il se trouve que M. Schaffhauser avait dit précisément le contraire lors de son audition par cette commission. Il l'avait aussi dit lors des enquêtes menées par Mediapart.

Intrigué par ce manquement possible à la vérité j'ai interrogé Mediapart, qui m'a confirmé que ni Marine Le Pen ni le Rassemblement national n'ont démenti les trente-deux articles parus sur le sujet ou attaqué le journal en diffamation à cette occasion. Mediapart indique qu'en avril 2022 Marine Le Pen a répondu pour la première fois sur ce sujet et qu'elle n'a pas contesté l'ensemble des éléments.

Je m'interroge sur les moyens qui sont à notre disposition en tant que membres de cette commission d'enquête pour disposer d'un complément d'enquête sur ce point particulier, qui n'est pas traité de manière totalement adéquate par la version actuelle du rapport.

Je suis très curieux d'entendre M. Bayou sur ce sujet, et suis disposé à l'accompagner dans d'éventuelles démarches qui pourraient nous permettre d'aller un peu plus loin.

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Je remercie le président et la rapporteure pour le travail extrêmement difficile mené au sein de cette commission.

Je comprends les inquiétudes de notre collègue Ramos, mais il ne faut pas inverser les choses. Il y a eu une tentative d'instrumentalisation politique, mais de la part du Front national. C'est très bien expliqué dans le rapport, même si j'ai eu peu de temps pour le lire. Il y avait des interrogations sur la recevabilité de la proposition de création d'une commission d'enquête en raison du champ beaucoup trop large, mais aucun groupe n'a voulu s'y opposer afin de préserver le droit de tirage.

C'est là que nous avons un désaccord. Ce n'est pas la commission qui est devenue un instrument politique : c'est le Front national qui a voulu « arroser » partout, au risque d'alimenter le soupçon généralisé comme c'est bien écrit dans le rapport. C'était une forme de judo. Le président Bardella annonçait qu'il attaquerait en justice quiconque affirmait qu'il y avait un lien entre le Rassemblement national et la Russie, mais il ne le faisait pas. Le Rassemblement national espérait pouvoir dire que rien n'était sorti de la commission d'enquête. La manœuvre pouvait paraître habile, mais à mon avis c'est un échec car elle revient comme un boomerang. Je ne peux que m'en réjouir.

Sur l'ingérence en général, il y aurait beaucoup plus à dire que ce qui figure dans le rapport. Mais la tâche était colossale et je salue vraiment le travail de la rapporteure. Elle a réussi à contenir le sujet. Le rapport évoque le rôle du Qatar, du Maroc et de la Turquie. On aimerait que l'affaire Pegasus et beaucoup d'autres sujets soient aussi traités.

Mais comme le rapport CAPS-IRSEM a estimé que 80 % des efforts d'influence en Europe étaient menés par la Russie, il était légitime que le rapport approfondisse cet aspect. Au bout du compte, la commission a beaucoup enquêté sur la stratégie d'influence russe qui s'appuie sur différents vecteurs de désinformation, comme RT France, mais aussi et peut-être surtout sur le recrutement d'une partie des élites. C'est ce qui m'a le plus intéressé. Cet enrôlement des élites a aussi pris la forme du prêt consenti au Front national. C'est ce qui conduit à finalement pouvoir employer le terme de « courroie de transmission » pour qualifier Marine Le Pen – un terme qui était réservé à d'autres partis au siècle dernier et qui s'applique manifestement au Rassemblement national et à ses principaux représentants.

Je note d'ailleurs que l'ancien Premier ministre Fillon, avec qui je ne partage rien, a qualifié ce prêt russe d'ingérence étrangère – et je pense qu'on peut malheureusement lui faire confiance en la matière. Cela mériterait d'être relevé.

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À titre tout à fait personnel, je sors soulagé de cette commission puisque j'avais été menacé de poursuites en diffamation à une heure de grande audience par Marine Le Pen elle-même. Au vu du rapport, il n'en sera rien.

Surtout, je suis rassuré parce que cette manœuvre qui pouvait être habile échoue.

Je n'exclus pas de déposer une contribution supplémentaire. La partie du rapport qui traite du prêt russe est conséquente mais on pourrait ajouter d'autres éléments, notamment en ce qui concerne les liens avec le pouvoir russe des différents dirigeants d'entreprises qui ont récupéré les créances ainsi que sur leurs différentes condamnations pour des faits de crime de guerre.

On m'a informé que le président Tanguy tiendrait une conférence de presse à quinze heures. Je pensais que l'usage était de ne pas communiquer sur le rapport avant sa publication. Je voudrais savoir s'il s'agit d'un privilège de la présidence ou si les commissaires peuvent également le faire.

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Comme notre collègue Saintoul, je trouve que nous restons un peu sur notre faim s'agissant des recommandations.

L'idée de la banque de la démocratie pourrait évidemment être reprise.

Je suis également d'accord avec la proposition d'Anna Pic qui consiste à passer d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation pour les anciens militaires qui souhaitent travailler dans une entreprise étrangère directement liée au pouvoir.

S'agissant de la question essentielle de l'éducation aux médias, le rapport propose de l'organiser pour les collégiens et les lycéens. En fait, c'est toute la population qui devrait être concernée, car beaucoup de seniors tombent dans les pièges des fausses informations sur Facebook. On ne peut cependant pas rendre une telle formation obligatoire. Mais on pourrait par exemple profiter de l'envoi de la carte d'électeur pour donner quelques éléments de survie de base dans un monde où les fausses informations se répandent. On pourrait notamment expliquer que, du fait de l'utilisation de l'intelligence artificielle, il est utile de se référer à certaines sources, dont on pourrait donner une liste – qui peut comprendre aussi bien Le Figaro que L'Humanité – définie de manière consensuelle. En tout cas, il faut avertir l'électeur qu'il est important de développer une vision critique et de ne pas se contenter de ce qu'on a pu lui transférer, notamment sur Facebook.

Enfin, comme mon collègue Vojetta, il me semble qu'il y a matière à saisir la justice d'un possible faux témoignage de Marine Le Pen. Je le dis de manière assez grave.

Marine Le Pen ne pouvait ignorer qu'elle serait interrogée sur le prêt russe lors de son audition. J'ai même lu dans Le Parisien qu'elle s'y était préparée et avait révisé les montants, les dates et la chronologie.

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De fait, elle a d'abord dit que ce n'était pas vrai – ou, en tout cas, elle a ignoré les rappels de la rapporteure concernant le rachat de la créance par Konti avant la mise sous tutelle de la banque FCRB, puis le transfert de cette créance à Aviazapchast.

Et quand nous l'avons relancée, presque en duo même si ce n'était pas préparé, elle a affiché son étonnement. Cela me semble suspect. Notre rôle n'est pas de juger, mais de saisir la justice pour qu'elle se prononce. Axel Loustau, trésorier du parti, avait dit que le parti en avait reçu notification.

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M. Wallerand de Saint-Just en avait eu vent. M. Schaffhauser en avait parlé. L'Agence d'assurance des dépôts bancaires russe avait saisi la justice. Il se trouve qu'un représentant du Front national était présent à l'audience. Je n'imagine pas qu'on envoie un représentant de son parti sans mandat et sans que sa présidente soit au courant. M. Wallerand de Saint-Just parle des échanges avec la banque centrale russe sur le sujet spécifique du rachat de la créance. La presse en a fait état, comme l'a dit notre collègue Stéphane Vojetta. Mediapart a publié trente-deux articles et le sujet revient à chaque élection présidentielle. Marine Le Pen ne pouvait l'ignorer.

Quand elle affiche la surprise, on peut être vexé parce qu'elle se moque un peu de nous mais l'enjeu n'est pas là. La question est : savait-elle ? Et pourquoi dissimuler ?

On pourrait imaginer qu'elle le fait parce que des négociations et des renégociations sont intervenues. Dans ce cas, ce n'est plus un prêt qui change simplement de main et dont les conditions sont inchangées – ce qui a conduit la décision de la CNCCFP de ne pas considérer qu'il s'agissait d'un nouveau prêt, et qu'il était toujours légal alors que la législation avait changé.

S'il y a eu des renégociations, il est évidemment pratique pour Marine Le Pen de dire qu'elle n'était pas au courant, car les conditions ont changé et le prêt est possiblement illégal. On tombe dans le cas où le Rassemblement national a bénéficié d'une libéralité de la part d'une entreprise, ce qui est rigoureusement interdit – et qui l'était aussi avant la réforme récente.

Il existe un précédent récent de saisine de la justice pour parjure devant une commission d'enquête. En 2021, M. Ugo Bernalicis, président de la commission d'enquête sur l'indépendance de la justice, et M. Olivier Marleix, vice-président, avaient adressé un courrier au président Richard Ferrand pour que le bureau de l'Assemblée examine le cas d'une haute magistrate. Le bureau avait décidé de saisir la justice. Je ne sais pas quelles ont été les suites données à cette démarche.

Il est de notre responsabilité d'envisager d'envoyer une missive à la présidente de l'Assemblée nationale afin de saisir la justice d'un possible faux témoignage de Mme Marine Le Pen lors de son audition.

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Je lis les propos de M. Fillon : « La législation a été durcie [depuis 2012], c'est incontestable, mais elle était déjà très claire en 2012. […] La CNCCFP va très loin dans son analyse. En 2012 déjà » – donc avant le prêt russe –, « il était quasiment impossible que de l'argent provenant d'un pays étranger serve de manière significative à financer une campagne. »

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Puis-je prendre la parole quelques secondes, monsieur le président ?

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Il faut lire le compte rendu en entier. M. Bayou demande : « Considérez-vous que le financement d'un parti politique français par une puissance étrangère est une ingérence ? » et M. Fillon répond : « À la dernière question, je réponds oui. » C'est clair et net !

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Durant l'audition de Mme Le Pen j'ai demandé, après que M. Bayou eut posé sa question – car j'avais bien compris sa manœuvre –, une précision sur les dates afin de temporaliser le propos, et la réponse a confirmé les dires de M. Fillon.

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M. Fillon a répondu clairement à la question que je lui avais posée, et je ne pense pas qu'il soit un imbécile.

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La conférence de presse que je donnerai à quinze heures respectera évidemment le règlement. Quant au parjure, je ne vois pas en quoi il est caractérisé, mais si Mme la rapporteure considère qu'il l'est, je pourrai discuter avec elle de la saisine du bureau de l'Assemblée nationale.

Monsieur Anglade, vous aviez demandé la parole.

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Ce rapport, très bien construit, est très riche en informations et je tiens à en remercier Mme la rapporteure et M. le président, ainsi que les administrateurs. Je tiens aussi à souligner l'importance et la pertinence des services de l'État, comme la DGSI – ma participation aux travaux de la délégation parlementaire au renseignement m'a confortée dans cette conviction.

J'ai été très surprise par le ton, les termes et les commentaires partisans employés dans la partie assez copieuse du rapport consacrée au Rassemblement national, dont j'ai même eu l'impression qu'elle était écrite à quatre mains par Mme la rapporteure et Mme Loiseau, citée presque constamment dans cette partie. Quelqu'un a parlé tout à l'heure d'objectivité et d'impartialité, mais quelqu'un d'autre a décrit ce rapport comme un outil politique, ce à quoi je souscris pleinement. J'en donnerai quelques exemples que j'ai relevés. Si je n'ai pas assisté à toutes les réunions de la commission d'enquête, j'en ai relu attentivement les comptes rendus disponibles, ainsi que le projet de rapport – ce qui, malgré ma pratique de la lecture rapide, m'a tout de même pris entre quatre heures et demie et cinq heures.

Le vocabulaire employé est éclairant et très orienté. On lit ainsi, à propos d'Aviazapchast, « après les tribulations pour le moins étranges qu'ont connues les cessions de créances », et la relation RN-Russie est décrite comme un « “canal privilégié”, selon les mots de Nathalie Loiseau ». Page 98 : « Il est difficile de ne pas qualifier ces propos d'allégeance politique. » En parlant de Jordan Bardella : « Ce virage, même s'il est cousu de fil blanc […]. » Quant à Philippe Olivier, il est décrit comme « visiblement distrait, ou frappé par une certaine amnésie ». Des mots comme « clamant » sont employés à propos de l'audition de Marine Le Pen

Il est regrettable que ce rapport témoigne d'un parti-pris très politique. Je comprends que l'on puisse avoir des opinions différentes, mais un rapport de commission ne doit pas comporter de tels commentaires partisans, clairement destinés à l'orienter dans un certain sens.

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Je tiens tout d'abord à reconnaître l'honnêteté intellectuelle et le travail du président Tanguy, qui a eu le courage de se déporter et qui a donné son accord pour l'ensemble des auditions réalisées, notamment celles qui concernaient des membres de son parti. Je remercie aussi tous ceux qui l'ont relevé.

Vous avez accusé le Rassemblement national d'avoir utilisé son droit de tirage pour se laver, pour « purger » son honneur, et vous avez finalement réussi à faire du judo, utilisant, à l'inverse, cette commission d'enquête dans votre intérêt pour salir le Rassemblement national et laisser s'exprimer votre volonté de diffamation à son égard.

Madame la rapporteure, vous vous étiez émue du périmètre trop large de l'objet de cette commission, mais vous avez trouvé un moyen de le réduire en vous concentrant presque exclusivement contre le Rassemblement national. Nous nous sommes heurtés, dans le cadre de cette commission d'enquête, à des difficultés liées au secret-défense ou au secret de l'enquête, mais vous avez levé tous les problèmes en reprenant des propos tirés de Mediapart et en les mettant sur le même plan que ceux qui étaient exprimés sous serment – comme l'attestent les notes en bas de page, où rien n'est mis en perspective.

S'il est une erreur que le Rassemblement national peut reconnaître, c'est celle d'avoir cru à l'honnêteté intellectuelle de la plupart d'entre vous. Nous ne nous attendions certes pas à ce que vous soyez nos témoins de moralité et confirmiez la réalité des faits, mais nous aurions au moins attendu pour ce rapport une tournure beaucoup plus objective. Il est peut-être rare d'avoir à juger dans une commission d'enquête de faits relevant d'opposants politiques, et peut-être cela ne devrait-il pas être possible, car il est difficile d'avoir une vision objective lorsqu'on juge des personnes qui veulent prendre votre place ou vous faire quitter le pouvoir. Cependant, je crains qu'à force de crier au loup, comme la petite fille de l'histoire, en direction du Rassemblement national, vous ne finissiez par vous cacher les yeux et ne pas voir d'autres ingérences. Mme Pic a ainsi évoqué la Chine, que nous avons un peu oubliée, même si ce problème est lui aussi traité dans le rapport. Il n'y a pas lieu de nier les ingérences russes, que je suis le premier à reconnaître, mais en orientant le rapport contre le Rassemblement national, vous avez peut-être omis d'autres questions.

Nous n'avons, du reste, pas eu le temps d'auditionner certaines autres personnalités et des auditions ont été refusées. Je ne m'explique pas pourquoi – et je souhaiterais en avoir l'explication de la part des auteurs de ces refus au sein du bureau, dont je ne suis pas membre et dont j'ignore si les échanges peuvent être rendus publics – vous avez jugé qu'il n'était pas intéressant d'auditionner M. Raffarin ou M. Le Guen. On peut en effet s'inquiéter de cette volonté de masquer certaines personnalités qui auraient pu nous dire des choses intéressantes.

Si ce rapport est publié – et il le sera vraisemblablement –, il risque de salir notre institution. Quel crédit pourrons-nous demain accorder aux commissions d'enquête parlementaires si elles ne produisent plus un travail objectif, quasi scientifique, chirurgical, mais un tract politique ? Vous avez évoqué l'intérêt que ce rapport pourrait avoir pour les étudiants et les chercheurs, mais c'est, pour certaines de ses parties, manquer de respect aux étudiants et aux chercheurs que de le penser – même si je ne remets pas en cause la totalité du rapport.

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Je parlais des comptes rendus des auditions, qui seront rassemblés dans le tome Ⅱ du rapport.

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Si c'est le cas, je retire mes propos et je vous présente mes excuses, madame la rapporteure. Je considère néanmoins que le rapport est un tract politique. Contrairement à nous, vous n'avez pas respecté les règles du jeu et, comme vous le dites, tout est cousu de fil blanc. Les propos d'opposants, qu'il s'agisse de M. Glucksmann ou de Mme Loiseau, sont plus fréquemment cités dans les passages qui nous sont dédiés que les avis plus objectifs d'experts ou de responsables d'organismes, et vous mettez sur le même plan des propos rapportés et des déclarations sous serment.

Comme l'a relevé ma collègue, votre turpitude s'exprime dans les tournures que vous employez – vous auriez pu être un peu plus discrète ! Tout au long de ce rapport, vous formulez des jugements de valeur. C'est le cas, par exemple, page 10, où vous affirmez que « l'initiative du Rassemblement national a pour objet de “purger” la question du prêt russe ». Ce jugement de valeur n'a pas lieu d'être, à moins de préciser qu'il s'agit d'une position personnelle. De fait, la commission d'enquête n'a pas à juger des raisons pour lesquelles notre groupe a usé de son droit de tirage pour demander sa création. Page 99, vous déclarez que « la violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale d'un État, l'Ukraine, ainsi amputée d'une portion importante de son territoire, n'est ainsi manifestement pas intolérable pour les grands défenseurs des souverainetés nationales que sont Mme Le Pen et le Rassemblement national ». Page 100, vous l'avouez carrément : « Il est intéressant, et honnête, » – ce qui signifie que tout le reste ne l'est pas ! – « de signaler que l'actuel président du Rassemblement national, M. Jordan Bardella, s'est lancé dans une opération de réhabilitation du Rassemblement national et a opéré un début de virage. » Page 115 : Marine Le Pen s'est montrée « fort peu curieuse »…

On pourrait en citer encore des dizaines. En revanche, vous ne remettez pas dans son contexte le fait que M. Chevènement, qui est un soutien de M. Macron, a demandé l'avis du ministère avant d'accepter la plus haute distinction russe de la part du Kremlin : le rapport ne dit pas qui était le ministre ni que c'est sous Emmanuel Macron que M. Chevènement a demandé cette autorisation au ministère, et donc au Gouvernement. Rien n'est contextualisé et vous n'indiquez le contexte que lorsque cela vous arrange.

Je suis attristé, même si la tendance actuelle est de détourner tous les moyens de la Constitution pour bâillonner vos opposants. C'est ce que vous faites notamment en utilisant son article 40 pour empêcher le débat sur les retraites, alors qu'il était de coutume que les propositions de loi d'initiative parlementaire…

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Au-delà de ce commentaire, je poserai une question. Vous évoquez dans l'introduction un contrôle sur place et sur pièces que vous avez effectué à Tracfin.

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En effet : à la CNCCFP, que vous évoquez dans le rapport, et à Tracfin. Sauf erreur de ma part – car, dans les trois heures que je lui ai consacrées, ma lecture du rapport fut une lecture rapide, et donc imparfaite –, je n'ai pas vu ce que vous avez constaté auprès de Tracfin, qui est le service de renseignement le plus habilité à indiquer la présence d'argent illicite ou le transit illégal de fonds au profit du Rassemblement national.

Nous ne pouvons donc pas voter ce rapport, même s'il contient des éléments intéressants. Cette publication va salir notre institution, et je le regrette.

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M. Giletti, à qui je donne la parole, a accepté de remplacer Mme Laporte, qui ne peut être présente pour des raisons familiales.

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Est-il habituel de remplacer un membre d'une commission d'enquête ? Peut-être M. Giletti pourrait-il nous éclairer…

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Il en va de notre commission comme de n'importe quelle autre : Mme Laporte ayant démissionné hier, le groupe Rassemblement national a nommé M. Giletti à sa place.

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Je remplace en effet au pied levé Mme Laporte. N'ayant pas les brillantes capacités de notre collègue qui peut lire une page en moins d'une seconde, je laisserai mes camarades parler de ce rapport, ce qu'ils feront bien mieux que moi.

En constatant dans le sommaire qu'il est consacré moins de six pages à la Chine, je me souviens de ce mot prononcé devant la commission de la défense, dont je suis membre, par le chef des armées allemandes : la Russie est l'orage, la Chine est la tempête. Il est un peu surprenant que cette tempête occupe six pages sur deux cents.

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Merci, monsieur Giletti, de reconnaître que vous n'êtes pas allé au-delà du sommaire.

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Je remercie moi aussi les administrateurs, la rapporteure, le président et les membres actifs de la commission. Les auditions ont été très sérieuses, bien menées et intéressantes, ce qui tranche avec le rapport, lequel exprime un point de vue politique et partisan. J'ai été frappé d'y voir apparaître quelques points que nous n'avions jamais évoqués en commission et sur lesquels jamais aucun intervenant n'avait été interrogé. D'autres déclarations ont disparu de l'analyse. Enfin, on y trouve de nombreuses interprétations orientées.

À la page 76, le projet de rapport cite M. Konstantin Rykov, ancien député russe, qui aurait déclaré, dans un entretien pour mediametrics.ru apparu dans un documentaire de Paul Moreira sur Arte, en 2018 : « Nous avons réussi, Trump est président. Malheureusement, Marine n'est pas devenue présidente. Une opération a fonctionné, mais pas la deuxième. » La personne qui aurait prononcé cette phrase n'a cependant jamais été auditionnée et, de toute façon, étant de nationalité étrangère, elle n'aurait pas pu être entendue sous serment. En tout état de cause, il n'en a jamais été question durant les auditions. Jeune parlementaire, je pensais naïvement qu'un rapport sérieux de commission d'enquête devait s'appuyer sur des faits et sur des déclarations vérifiées et prononcées sous serment.

On lit page 79 une interprétation : après avoir rappelé que le parquet national financier nous a indiqué que 708 affaires étaient en cours, que seules huit d'entre elles pouvaient toucher potentiellement des faits d'ingérence étrangère et que, parmi ces huit, une seulement la Russie, vous ajoutez, madame la rapporteure, que « ce faible niveau de corruption observée relève moins d'une absence d'attitude corruptrice russe en France que de la nature même de ces agissements qui sont secrets et souvent complexes à identifier ». J'en fais la traduction suivante : la corruption financière existe en Russie mais nos services ne la verraient pas. Ce n'est pas tout à fait ce que j'avais retenu des auditions !

Page 82, la DGSI dit n'avoir connaissance d'aucune structure ou parti politique qui, en tant que tel, ferait l'objet d'une influence ou d'une ingérence étrangère organisée et systémique. Vous ajoutez, madame la rapporteure : « De fait, si aucun parti ne s'affiche comme étroitement apparenté à Moscou, […] nombre d'élus affichent […] une proximité idéologique avec le régime de M. Poutine […]. » Certains élus ont peut-être des avis différents des vôtres, et cela ressortait du reste de certaines auditions, mais c'est le droit des élus dans une démocratie. Cela ne prouve nullement une quelconque ingérence étrangère et ne peut en aucun cas infirmer la déclaration de la DGSI.

Sur trois pages – 83 à 85 –, M. Thierry Mariani, député européen, est, si l'on peut dire, mis à l'honneur. Son intégrité y est mise en doute, mais on omet d'indiquer que, sous serment, M. Mariani a dit à plusieurs reprises qu'il n'avait jamais été conseiller ou salarié ni n'avait pris de commission dans une entreprise russe et qu'il n'avait jamais rien touché d'une entreprise ou du gouvernement russe. Ces déclarations me sembleraient éclairantes au regard de ces trois pages d'accusations.

Page 86, vous écrivez à propos du projet AltIntern, qui nous a tant agités durant les travaux de cette commission d'enquête, que « rien n'indique qu'il soit totalement abandonné ». Personnellement, ce que j'ai surtout retenu de ces auditions et des déclarations de toutes les personnes qui seraient liées à ce projet est que personne n'en a entendu parler et qu'aucune audition ne pourrait montrer qu'il existe vraiment. Personne ne nous a confirmé l'existence de ce projet, qui relève donc plutôt du fantasme, voire du complot. Au lieu de dire que rien ne prouve qu'il est complètement abandonné, je dirais plutôt que rien ne prouve qu'il a vraiment existé.

Cela ne vous empêche pas d'écrire, page 103 : « Au vu des nombreux liens tissés par M. Malofeïev avec des membres du RN, il apparaît que son projet […] intégrait tout à fait le Rassemblement national dans son périmètre. » Là encore, aucune audition ni aucune déclaration sous serment n'a permis de l'établir.

À deux reprises, pages 96 et 110, vous citez, à propos du prêt octroyé en 2014 au Front national, une banque russe. Je rappelle, et je pense qu'il faudrait ajouter ce point important dans le rapport – on le trouve, du reste, dans la déclaration de Mme Le Pen –, qu'il s'agissait d'une banque tchéco-russe agréée par l'Union européenne. C'est d'ailleurs ce dernier critère qui a poussé le Front national et Marine Le Pen à choisir cette banque. Je vous renvoie, là encore, à l'audition de cette dernière.

Page 96 toujours, à propos du rapport de M. Glucksmann, vous écrivez : « Les eurodéputés [du RN] qui ont été sanctionnés [par le Parlement européen] ont suivi la ligne politique de leur mouvement. » Pourtant, MM. Schaffhauser, Mariani et Olivier ont dit exactement l'inverse dans leur audition, affirmant à plus reprises qu'il n'y avait aucun contrôle ni aucune validation préalable de leurs voyages, ni par le parti politique ni par Mme Le Pen.

Page 108, vous reprenez une déclaration de M. Ripert, qui a avoué au passage qu'il n'y avait aucune preuve de ce qu'il avançait : « Personne n'a jamais pensé que Moscou souhaitait la victoire de l'autre candidat. » Eh bien si ! et on le retrouve aussi dans l'audition de Mme Le Pen, mais vous n'avez pas jugé utile de le préciser à cet endroit. C'est, du reste, vérifiable dans un article de presse. L'ambassadeur russe en France, M. Orlov a en effet déclaré en 2017 : « J'ai l'impression que Macron sera un grand président, qui marquera l'histoire de France. » Il a aussi affirmé sa « préférence » pour François Fillon, son « indulgence » pour Marine Le Pen et son « admiration » pour Emmanuel Macron. Il y avait donc bien des gens que l'on peut qualifier de proches de Moscou – cela semble pouvoir s'appliquer à un ambassadeur russe en France – qui souhaitaient la victoire de l'autre candidat, mais cela n'a malheureusement pas été rappelé dans votre rapport.

Page 112, on lit une citation de M. Schaffhauser : « Si [le pouvoir russe] y avait été opposé, l'affaire ne se serait pas faite. » Vous avez toutefois oublié une autre déclaration de cette même personne, faite en réponse à une question de M. le président Tanguy : « Il n'y a pas de preuve que le président Poutine a donné son assentiment. Je ne peux pas en avoir. » Un rapport ne peut certes pas reprendre 100 % des citations, mais les omissions, madame la rapporteure, paraissent très sélectives.

Le rapport évoque une autre déclaration de M. Schaffhauser, citée sans guillemets au bas de cette même page : « Quant à Jean-Luc Schaffhauser, il a déclaré devant la commission d'enquête que les nouveaux propriétaires de la créance s'étaient présentés au Rassemblement national comme agissant sur ordre du pouvoir politique. » Je n'ai retrouvé cette déclaration dans aucune audition. Je précise d'ailleurs qu'au moment de la renégociation de la créance du Front national avec cette banque, dans un avenant en date du 1er juin 2020 que vous avez peut-être pu consulter auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, M. Schaffhauser n'était déjà plus élu ni membre du Front national, qu'il avait quitté bien avant les élections européennes de 2018 – il a d'ailleurs déclaré dans son audition qu'il s'était fâché avec Marine Le Pen. Il me paraît donc bien étrange qu'il ait pu avoir à ce moment un contact avec les repreneurs du prêt. J'y reviendrai à la fin de mon propos.

Il me reste à souligner trois points.

Je n'ai pas trouvé dans le rapport une citation de la CNCCFP qui me paraissait importante, selon laquelle les prêts d'origine étrangère sont consentis à des taux plutôt supérieurs à ce qu'ils auraient été s'ils avaient été accordés par un établissement bancaire national.

Sur le même sujet, une précision s'impose à la page 113. Vous y apportez en effet, madame la rapporteure, un nouvel élément que vous n'aviez jamais évoqué auparavant durant les auditions : « Dans les documents contractuels que la rapporteure a pu consulter auprès de la CNCCFP, aucun élément ne laisse apparaître que le FN apportait des garanties contre l'octroi de ce crédit. Or une absence de garanties de la part de l'emprunteur constitue un avantage considérable eu égard aux exigences qui s'appliquent ordinairement à ce type de transaction. » Je vais donc peut-être vous apprendre quelque chose sur le fonctionnement des partis politiques : quand une banque prête dans le cadre d'une élection, elle le fait à un candidat à titre personnel en lui demandant des garanties personnelles, et parfois des garanties de son parti. Lorsque, comme c'est le cas ici et comme cela a été le cas pour le prêt de 2014, la banque prête à un parti politique, la garantie est automatique : il s'agit de la subvention de l'État français, qui est une créance annuelle sur l'État, automatique car prévue par la loi. À n'importe quel moment, donc, la banque ou le prêteur qui prête à un parti peut saisir le ministère de l'intérieur par courrier, l'avertir du non-paiement d'une échéance et en obtenir le paiement direct. C'est la raison pour laquelle il n'y avait pas de garantie : cette garantie automatique était suffisante compte tenu du montant de la subvention annuelle que percevait alors le Rassemblement national.

Enfin, Marine Le Pen ne connaissait pas les aspects techniques qui sous-tendaient le rachat du prêt, comme elle l'a dit et expliqué. Il est d'ailleurs faux de dire qu'il y aurait eu négociation ou renégociation de ce prêt : c'est la justice russe qui a tranché à propos du rachat de la créance par une entreprise. À aucun moment des membres du Front national ou sa présidente ne peuvent intervenir auprès de la justice russe pour choisir la personne qui rachètera le prêt, ni même pour donner leur avis à ce propos. Qui plus est, les aspects techniques relèvent de la compétence du trésorier du parti, qui avait eu la charge de négocier ce prêt à l'époque, et éventuellement des avocats qui suivaient le dossier, mais absolument pas de sa présidente.

Je regrette l'absence de toute recommandation à propos du financement des partis et de la banque de la démocratie. De nombreuses auditions ont en effet montré que cette commission a pour origine les difficultés rencontrées par des partis politiques, et particulièrement le Front national, pour se financer dans leur propre pays, voire dans l'Union européenne, ce qui est dommageable pour notre démocratie. J'ai entendu que s'exprimait également sur d'autres bancs le souhait d'ajouter une recommandation à cet égard.

En raison de ces omissions sélectives, de ces interprétations et de ces rédactions partisanes, nous ne pourrons pas valider la publication de ce rapport.

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Madame la rapporteure, préférez-vous que j'intervienne tout de suite, ou souhaitez-vous répondre à cette série d'interventions ?

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Je dois dire que j'ai été étonné par une partie du rapport.

Je salue votre engagement, votre sérieux, votre capacité de travail et vos connaissances sur ces sujets, certainement supérieures aux miennes puisque vous vous y intéressez depuis longtemps. J'ai soutenu vos demandes d'auditions, souvent pertinentes. Je pense à l'audition de Mme Audrey Tang, personnalité courageuse que je ne connaissais pas, ou à celle de M. Tenzer : il a pris publiquement parti contre Mme Le Pen lors de l'élection présidentielle, mais cela ne remet nullement en cause son expertise ; son audition était d'ailleurs neutre, et mettait en difficulté de nombreuses forces politiques. Je regrette à cet égard que vous ne mettiez pas en valeur le fait que toutes les forces politiques ont fait preuve de naïveté vis-à-vis de la Russie, de la Chine ou des pays du Golfe.

La qualité du rapport est gâtée par l'introduction et par les parties consacrées au Rassemblement national, mais pas seulement.

Je regrette votre choix de mettre de côté les ingérences des États-Unis, dont vous dites qu'elles sont « à la lisière du champ défini par la commission d'enquête ». Il y a certes une différence de nature entre les ingérences de puissances hostiles et celles de puissances alliées, mais les secondes doivent aussi être signalées et combattues. Une allégeance à un allié – surtout hors de l'Union européenne – est sans doute moins grave, elle n'en est pas pour autant acceptable.

Dans l'introduction du rapport, qui se livre à certaines interprétations de la volonté du Rassemblement national de convoquer cette commission d'enquête, vous parlez d'un « contexte de vive polémique ». C'est le cas de la plupart des commissions d'enquête, par exemple celle sur la souveraineté énergétique, qui est d'ailleurs remontée plus loin dans le temps qu'elle ne l'avait initialement prévu, ou celle sur l'assassinat d'Ivan Colonna.

Je suis en total désaccord avec la façon dont vous reconstruisez l'historique de cette demande. Vous sélectionnez des faits, mais sans rappeler le point de départ, c'est-à-dire le comportement de M. Stéphane Séjourné. Vous faites état d'un communiqué de presse « véhément », en date du 23 septembre 2022. La veille, M. Séjourné, sur France 5, estime qu'« il y a un travail à faire sur les ingérences » à la suite des révélations, issues de notes américaines déclassifiées, selon lesquelles la Russie aurait versé 300 millions d'euros en Europe pour influencer les élections. Il y a un sujet, ce n'est pas moi qui l'invente ! M. Séjourné parle d'un sujet « dont il fallait se saisir assez rapidement ».

Il a ensuite tweeté son intervention, en mentionnant M. Bardella et en l'interpellant en tant que député européen. C'est en ligne, vous pouvez tous le vérifier. La polémique naît de cette interpellation, elle n'est pas le fait du Rassemblement national. Le lendemain, M. Séjourné refait un tweet, reprenant une vidéo de M. Bardella, avec le commentaire suivant : « Soutenir l'agresseur puis exploiter politiquement les conséquences de la guerre sur notre sol. Quel pacte tacite ou quel accord financier pourrait conduire à de telles déclarations ? Une enquête indépendante doit être menée sur l'ingérence russe dans les partis européens. »

Marine Le Pen, Jordan Bardella et moi-même décidons alors de faire un communiqué de presse, annonçant une proposition de résolution pour le lundi 26. Il est toujours en ligne. Nous y proposons une commission d'enquête, mais pas du RN : une commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Ce n'est qu'à la fin du mois de novembre que nous avons exercé notre droit de tirage, et cela a été enregistré au bureau de l'Assemblée le 6 décembre. Entre le dépôt de notre proposition de résolution, le mardi 27 septembre, et le début du mois de décembre, personne au sein de l'Assemblée n'a voulu voter cette commission de façon consensuelle, et aucun groupe n'a proposé sa propre résolution.

Pis encore, le lendemain de notre communiqué, une dépêche de l'AFP nous apprenait que huit députés Renaissance avaient envoyé à la présidente de l'Assemblée une lettre – que je n'ai pas retrouvée – pour lui demander une commission d'enquête. Cette lettre n'aura aucune suite !

Est-ce ma faute, ou celle du Rassemblement national, si les trois partis qui composent la minorité présidentielle, les partis de la NUPES, ou le groupe LIOT, n'ont pas souhaité proposer une commission d'enquête sur les ingérences étrangères ? Vous auriez pu formuler son objet comme bon vous semblait ! Dans ces conditions, je n'en aurais sans doute pas non plus été le président. C'est ce qui s'est passé, je crois, pour la commission d'enquête sur la vie chère dans les outre-mer : une résolution a été adoptée en séance…

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Nous avons l'impression d'être des enfants qui se font tancer, c'est un peu désagréable ! Vous pourriez adopter un autre ton…

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En tout cas, nous n'avons pas cette lettre !

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En tout cas, nous n'avons pas cette lettre !

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Je vous interromps car, face à ce flot d'informations et de commentaires, j'ai peur de retenir nos collègues pendant des heures pour vous répondre, ainsi qu'au trésorier national du Rassemblement national.

Le président de la délégation parlementaire au renseignement, M. Sacha Houlié, s'est immédiatement emparé de ce sujet des ingérences étrangères. Cela semblait le lieu idoine, loin des instrumentalisations politiques.

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Nous avons appris par la suite, en effet, que la délégation parlementaire au renseignement s'était saisie du sujet le 28 juillet. J'y reviendrai.

Parmi les éléments qui nous ont amenés à proposer cette résolution figuraient aussi les propos de l'ancien ambassadeur Jean-Maurice Ripert, qui s'est révélé beaucoup moins affirmatif sous serment : il ne parlait plus que de sentiment. Son attitude a été si scandaleuse que le président de la commission des affaires étrangères a annoncé son intention de rappeler dans un courrier que soit l'on a des choses à dire, et il faut les dire à la justice, soit il vaut mieux se taire. M. Ripert l'a d'ailleurs reconnu lors de son audition : s'il avait eu des preuves, il les aurait transmises au procureur au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Mme Alice Rufo, qui a été dix années durant conseillère diplomatique à l'Élysée, n'a pas dit autre chose – pardonnez-moi, mais il me semble qu'à l'Élysée on doit être un peu au courant de ce qu'il se passe !

Mme la rapporteure mentionne aussi que cette demande « fait clairement écho à des arguments utilisés lors de la campagne présidentielle de 2022, notamment au cours du débat entre Mme Le Pen et M. Macron entre les deux tours de scrutin ». On peut aussi considérer les mots utilisés alors par M. Macron comme des attaques politiques ! Le directeur de la DGSI s'est d'ailleurs interrogé devant nous sur ce qui relevait de la « rhétorique politique ». Si M. Macron avait eu connaissance, en tant que Président de la République, garant de la Constitution et donc de la souveraineté nationale, du fait que le principal parti d'opposition ou d'autres partis étaient suspects d'être soumis à des ingérences étrangères, s'il avait su que la personne qui pouvait le remplacer à l'Élysée si les Français l'avaient voulu était sous le joug russe, il serait bien étrange qu'il n'ait pas fait ce qu'il fallait pour écarter cette menace. Il est aussi étrange que l'ensemble des fonctionnaires de l'Élysée et des services de renseignement n'aient jamais signalé, sur le fondement de l'article 40, des agissements de Mme Le Pen ou d'aucun membre du Rassemblement national – ou de La France insoumise d'ailleurs, car on entend aussi des accusations farfelues sur leurs liens avec des forces étrangères. Or il n'y a jamais eu de procédure judiciaire.

Il n'y avait pas de volonté de manipulation. Vous ne citez mes propos qu'une fois, madame la rapporteure, et c'est pour reprendre ma formule selon laquelle les ingérences sont un poison. C'est vrai à un double titre : c'est vrai si elles sont avérées et que les personnes concernées ne sont pas écartées des responsabilités publiques et du débat politique ; c'est vrai aussi si des rumeurs sont utilisées pour diffamer et discréditer les oppositions alors que ces accusations sont infondées. Le seul but de cette commission d'enquête était d'établir les faits : y avait-il des ingérences ou des tentatives d'ingérence ? Menaçaient-elles la démocratie et la capacité de nos concitoyens à s'informer, donc à choisir ? Menaçaient-elles notre souveraineté économique et scientifique ?

Or, ce rapport comme notre discussion d'aujourd'hui le montre, vous ne savez pas faire la différence entre des faits et des preuves d'une part, les sentiments, l'opinion, l'intime conviction, les présomptions, la rumeur, de l'autre. Il n'y a aucune rigueur.

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Merci pour cette leçon ! Après trente ans d'engagement politique et de travail, je suis traitée comme une petite fille qui manque de rigueur !

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Je vous ai demandé si vous souhaitiez intervenir avant moi. Je crois avoir dit que je serai long.

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Dites-nous combien de temps vous comptez encore parler, c'est la moindre des choses. Est-ce une tactique ?

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La conférence de presse est à quinze heures…

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J'ai quinze pages de notes. Il est possible d'annuler la conférence de presse. Et je n'ai jamais entendu contester le droit du président à prendre la parole. J'ai le droit de dire tout ce que je veux, et je n'ai interrompu personne.

Depuis le début, on nous accuse de vouloir « purger » les questions du RN. Mais à quel moment un président de commission d'enquête peut-il maîtriser ce que disent les services de renseignement, les experts, les personnalités convoquées à la demande des uns ou des autres, y compris celles qui sont fâchées avec le Rassemblement national ? Vous prétendez aussi, et vous voulez faire croire à la population, que cette commission serait une commission du RN, et que nous pourrions en contrôler les travaux. C'est de la mauvaise foi, et vous jouez sur la méconnaissance du fonctionnement d'une commission par nos concitoyens, qui ont autre chose à faire. C'est grave : si on fait cela pour tous les sujets, il n'y a plus de commissions d'enquête parlementaires. L'honnêteté intellectuelle devrait vous empêcher de laisser entendre que cette commission a été manipulée. Je n'ai pour ma part jamais rien dit de tel des autres groupes politiques qui ont demandé des commissions d'enquête.

Vous dites, madame la rapporteure, que la résolution adopte un ton « véhément ». Je l'ai relue et je ne m'explique pas ce qualificatif. Vous dites aussi que le RN aurait pu vouloir faire cesser les débats sur les ingérences. Nous demandons une commission d'enquête dont les travaux sont pour l'essentiel publics, et dont même les auditions à huis clos font l'objet d'un compte rendu public : quand voudrions-nous faire taire qui que ce soit ? Nous avons aussi été accusés de vouloir créer un « bruit de fond », comme la NUPES d'ailleurs. On nous a reproché de vouloir faire diversion : mais de quelle audition parle-t-on ? Quand ai-je cherché à allumer un contre-feu, à ouvrir un nouveau front, à créer une polémique ? Je n'ai même pas rouvert de sujets qui avaient été fermés !

Au contraire, de nombreuses portes ont été fermées à mon insu. Je regrette notamment que la question des ingérences des pays du Golfe et du Maroc ait été si peu traitée. J'ai ainsi demandé la convocation de M. José Bové dès la deuxième réunion de la commission, car il s'était exprimé de façon très claire sur France Inter au sujet d'une tentative de corruption par l'ancien ministre de l'agriculture marocain, aujourd'hui Premier ministre – excusez du peu. Nous n'avons pu l'entendre que lors d'une de nos dernières séances, et ce qu'il a dit n'a pas pu être prolongé. C'est dommage !

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Oui, mais nous n'avons pas pu travailler sur l'ingérence marocaine à partir de son témoignage, alors qu'on était là au cœur du sujet des ingérences étrangères.

Vous revenez ensuite sur la question de la recevabilité de cette commission d'enquête, qui est appréciée par la commission des lois. Vous vous fondez sur les déclarations d'un membre de la minorité présidentielle et d'un député socialiste.

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Je me fonde surtout sur l'avis du rapporteur de la commission des lois !

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Il est aussi membre de votre parti, je crois.

Vous contestez ensuite la pertinence de l'outil qu'est la commission d'enquête pour mener ces travaux, tout en reconnaissant celle des commissions spéciales du Parlement européen INGE 1 et INGE 2. J'ai vérifié, le périmètre de celles-ci est à peu près le même que celui de notre commission : les élections et le fonctionnement de nos démocraties, le numérique et les réseaux sociaux, la cyber-criminalité et le cyber-harcèlement, le financement des partis politiques, l'information des citoyens, le contrôle des technologies, le contrôle des approvisionnements, le contrôle des infrastructures économiques cruciales… C'est considérable ! Il paraît d'autant plus étrange de soutenir les unes et pas l'autre que les pouvoirs des commissions d'enquête de l'Assemblée nationale sont supérieurs : les commissions spéciales du Parlement ne peuvent contraindre quiconque à être entendu, les propos ne sont pas tenus sous serment et aucun contrôle sur place et sur pièces n'est possible.

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Je n'ai jamais dit que nos travaux n'étaient pas pertinents : j'ai travaillé six mois sur ce rapport !

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Vous écrivez que le périmètre des travaux était bien trop large.

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Je reprends les observations de la commission des lois.

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Vous n'y étiez pas obligée.

Il n'y a pas de problème de recevabilité.

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Bien sûr ! C'est un vrai problème !

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En tant que rapporteur de la commission des lois, j'ai interprété les règles de façon très souple.

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Vous interprétez comme vous le voulez !

Ce que montrent nos travaux, c'est au contraire que le périmètre était parfaitement adapté.

Vous soutenez aussi que la délégation parlementaire au renseignement était une meilleure instance pour traiter des ingérences. Certes, elle est habilitée au secret de la défense nationale, mais cela nous a été très peu opposé – vous ne le quantifiez pas dans votre rapport. Mais elle ne dispose pas des pouvoirs d'une commission d'enquête, et, plus grave, ses travaux ne sont pas publics.

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Seulement ce que la DPR veut bien rendre public.

J'ai le droit de penser qu'une commission d'enquête parlementaire était particulièrement adaptée à la question des ingérences. Le secret aurait posé un problème.

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Je vous interromps car j'ai vraiment peur d'être ensuite débordée par le nombre de réponses à apporter. Je n'ai jamais remis en cause la pertinence du travail de la commission d'enquête. Je viens d'y consacrer six mois ! Je souligne simplement qu'il existe un cadre légal strict.

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Vous affirmez plusieurs fois que le large périmètre a posé un problème ! Vous écrivez exactement : « De fait, l'amplitude excessive du champ défini par l'intitulé de la proposition de résolution aura constitué un défi permanent pour les travaux de la commission d'enquête, constamment confrontée aux risques de l'éparpillement et du “filet dérivant”. » – expression de M. Anglade.

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Pourtant, la commission a défini de façon consensuelle et collégiale une méthode de travail, que j'ai proposée et que les membres du bureau ont soutenue. Vous la mentionnez mais vous ne la décrivez pas correctement.

La séance, suspendue à midi vingt, reprend à midi vingt-cinq.

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Cette méthode nous permettait dans un premier temps de cadrer les notions, puis d'identifier les zones géographiques et les modes d'ingérence sur lesquels nous devions concentrer nos travaux. Puis, nous devions entendre des journalistes, des experts, des ONG, des personnalités ayant publiquement fait état d'ingérences. Ensuite seulement des faisceaux d'indices ou un nombre de mentions considérable devaient nous amener à faire venir des personnalités politiques. Il s'agissait d'éviter la politique spectacle.

Cette méthode n'a pas été contestée. Monsieur Saintoul, la NUPES avait signifié son refus de faire partie du bureau. Je vous y ai invité et vous êtes venu à plusieurs reprises. C'est vous qui, par exemple, avez demandé l'audition de la banque hongroise. Vous aviez proposé d'autres auditions qui n'ont pas pu être organisées.

Je signale au passage que nous ne trouvions pas les coordonnées de M. Schaffhauser, et que c'est votre serviteur qui non seulement les a trouvées, mais l'a appelé !

Les craintes de la commission des lois se sont donc révélées infondées. Dans le relevé des conclusions du bureau du 10 février, on lit ceci : « Les inquiétudes formulées par le rapporteur de la commission des lois quant au périmètre de la commission d'enquête n'ont pas été corroborées. Les auditions ont mis en exergue le caractère hybride et protéiforme des politiques d'ingérence en France. » J'ai relu tous les relevés de conclusions et aucun ne mentionne de problème sur ce point. Cela, vous ne le dites pas, madame la rapporteure. Vous regrettez au contraire un périmètre trop large.

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C'est important ! On peut le regretter, mais beaucoup de gens s'arrêtent là, reconnaissons-le.

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Cela n'a jamais transparu dans nos travaux. M. Bohnert, procureur de la République financier, nous a déclaré : « Votre commission d'enquête a retenu à juste titre une définition large, puisque le champ de vos investigations recouvre non seulement les interventions réalisées par des États ou des organisations étatiques, mais aussi par des entreprises étrangères. » Vous ne pensez quand même pas que je manipule le PNF !

Mme Nathalie Loiseau, qui n'est pas une de mes grandes amies, nous a dit : « Je me réjouis que l'Assemblée nationale se penche sur ce sujet, si important, des ingérences étrangères. […] D'après le titre de votre commission d'enquête, vous avez choisi d'aborder cette question sous l'angle de la corruption des élites, et vous avez eu raison. »

À l'inverse, aucune audition d'expert n'a regretté un périmètre trop large. Ils ont plutôt considéré qu'il était bon de ne pas s'interdire d'emblée de suivre des pistes.

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Je rappelle les travaux de la commission des lois, c'est un point de passage obligé.

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Très bien ! Vous avez dit, à juste titre, que vous aviez travaillé cinq mois sur ce rapport. C'est mon cas aussi et j'ai le droit de m'exprimer, et même plus longuement que les autres membres de la commission.

Vous soulignez que le secret de l'instruction ne permet pas d'entrer dans le détail de certaines affaires. Mais justement, nous n'avons pas à entrer dans le détail !

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C'est un problème qui n'existe pas. Le bureau de la commission m'a suggéré à de nombreuses reprises, et je l'ai fait bien volontiers, de rappeler que nous n'étions pas une institution judiciaire. L'émission de télévision « Quotidien » m'a reproché de ne pas être bien placé pour interroger François Fillon alors que j'ai moi-même dit que, n'étant pas magistrat, je ne puis le juger. Je plaide simplement pour interdire totalement de faire des affaires en Russie comme lui en fait.

On parle souvent des réactions des réseaux russes à propos de l'audition de Mme Le Pen. Mais il faudrait aussi parler du fait que, parce que j'ai travaillé avec vous, madame la rapporteure, pour cette commission d'enquête, M. Moreau m'appelle « Fouquier-Tanguy » ! Les réseaux russes ne semblent pas très satisfaits de moi.

Il n'est pas vrai non plus que les auditions aient été exclusivement orientées vers la Chine et la Russie. Vous avez raison de dire que ce sont les deux principales menaces et sources d'ingérence. Mais j'ai regretté que nous n'enquêtions pas sur les pays du Golfe, notamment en invitant MM. Chesnot et Malbrunot à propos du Qatar. Vous dites que c'est « faute de temps » qu'ils n'ont pas été entendus : ce n'est pas vrai ! Cette audition a été considérée comme non pertinente lorsque nos travaux ont commencé. J'ai le droit de penser qu'il aurait été intéressant de connaître leur point de vue et d'ouvrir des perspectives sur l'influence du Qatar, mais aussi des Émirats arabes unis, par exemple, ou encore du Maroc.

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C'est large ! Il aurait fallu bien plus de six mois !

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C'est large. Mais la commission d'enquête sur la souveraineté énergétique a fait deux fois plus d'auditions que nous.

Je rappelle que nous votons aujourd'hui non pas seulement pour autoriser la publication du rapport, mais sur le fond. Il ne s'agit pas seulement de reconnaître que le travail de la rapporteure a été sérieux, comme pour une mission d'information.

Or je ne peux pas cautionner le fait que vous écartez les ingérences américaines, dont vous écrivez qu'elles « se situent à la lisière du champ de cette commission d'enquête ». Vous les limitez d'ailleurs à la question du lawfare, c'est-à-dire de la « guerre du droit ». M. Fillon nous a pourtant dit, sous serment, que les ingérences américaines avaient des conséquences considérables. On ne peut pas laisser de côté ces déclarations de quelqu'un à qui il y a sans doute des reproches à faire, mais qui a tout de même été Premier ministre de la France pendant cinq ans ! On ne peut pas non plus laisser de côté comme vous le faites les écoutes de la National Security Agency (NSA). Les plus hautes autorités de l'État ont été écoutées.

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Aurait-il fallu que je reproduise l'intégralité des auditions ? Le rapport aurait fait 400 pages !

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Vous écrivez que les ingérences américaines se situent « à la lisière » de nos travaux.

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Vous avez choisi d'écarter les ingérences américaines. C'est un choix de fond. Il me semble au contraire que nos travaux montrent qu'elles doivent tout autant nous inquiéter, même si elles ne sont pas tout à fait de même nature.

Vous utilisez le concept d'Occident. C'est tout à fait défendable, mais il faut aussi observer que parfois la France en fait partie, et parfois s'en détache.

Le parquet national financier a consacré son propos liminaire aux ingérences américaines, et M. Montebourg les a mentionnées. M. Sapin a déclaré, sous serment, avoir rencontré un dirigeant américain qui lui a dit : je fais le boulot puisque tu ne le fais pas.

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Cela caractérise une ingérence aussi forte que celles de la Chine et de la Russie. Vous limitez l'ingérence américaine au lawfare ; j'ai déjà parlé des écoutes, mais il faut aussi mentionner l'incarcération de M. Frédéric Pierucci aux États-Unis : cela a été considéré comme une façon de faire pression sur les dirigeants d'Alstom, multinationale française finalement vendue aux Américains. Nous sommes tout à fait dans le cadre de la commission d'enquête, puisqu'il s'agit d'influer sur une entreprise française qui fournit les turbines de nos centrales nucléaires et les entretient !

Lors de nos travaux, jamais il n'a été dit que les ingérences américaines étaient à la lisière de notre objet. Je ne comprends pas ce choix.

Vous accordez en revanche une place exorbitante au Rassemblement national. Marine Le Pen est citée soixante-dix-sept fois.

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Merci de le dire. Cela me permet de préciser qu'elle n'est citée que huit fois au titre de son audition.

À titre de comparaison, M. Fillon est cité quinze fois, M. Chevènement cinq, M. Raffarin – que nous n'avons pas auditionné – deux, M. Le Guen une, M. Sarkozy une. Le déséquilibre est total ! Un rapport de un à quarante entre M. le « panda » Raffarin et Mme Le Pen, un rapport de un à quinze avec M. Chevènement qui a été décoré par M. Poutine, un rapport de un à cinq avec M. Fillon qui a été rémunéré par une société liée au régime russe : voilà qui montre une évidente différence de traitement.

Vous choisissez aussi de ne faire état à aucun moment des relations de dépendance établies, depuis Jacques Chirac, avec la Russie. Cela est d'ailleurs également vrai au niveau européen. J'ai pourtant souvent abordé cette question. M. Tenzer, pourtant adversaire du Rassemblement national, l'a fait aussi. M. Glucksmann, cité par L'Express, considère que le fait que tous les partis se soient trompés sur la Russie est un « argument puissant ». Vous avez le droit de critiquer la ligne du Rassemblement national. Ce n'est d'ailleurs un secret pour personne qu'en tant que souverainiste, je suis moi-même critique des positions de ce parti vis-à-vis de la Russie comme de Taïwan, par exemple.

Ce choix est pourtant préoccupant. M. Chevènement a avancé le chiffre de 18 milliards d'euros d'investissements français en Russie. J'ai évoqué à plusieurs reprises les gazoducs Nord Stream 1 et 2, infrastructures par lesquelles on a volontairement contourné l'Ukraine et les pays de l'Est pour alimenter l'Europe en gaz russe, ce qui a créé une situation de dépendance. Vous n'en parlez qu'à propos de Gerhard Schröder.

À ce propos, vous parlez d'autres responsables politiques, notamment autrichiens, ainsi que d'un « ancien Premier ministre français ». Non seulement le nom de ce dernier n'est pas donné, mais son appartenance à l'UMP n'est pas mentionnée. Cette façon de faire est d'ailleurs à peu près systématique – disons que je l'ai caractérisée à 70 %. Lorsque vous évoquez une personnalité du Rassemblement national, son appartenance à ce parti est mentionnée – ce qui me paraît normal, il faut savoir d'où les gens parlent. En revanche, lorsqu'il est question d'un « ancien Premier ministre français », son nom et son appartenance à l'UMP disparaissent ! Le fait que M. Chevènement ait soutenu M. Hollande puis M. Macron n'est pas donné, ni celui que le groupe Démocrate compte dans ses rangs, à la suite d'un accord électoral, une députée chevènementiste. Cela a disparu !

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Cela n'a pas disparu, cela figure dans les comptes rendus !

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Précisément : dans les comptes rendus, pas dans le rapport.

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On ne peut pas tout écrire dans le rapport. Tout un passage est par exemple consacré à M. Mariani, et je précise bien qu'il a été député UMP.

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Vous mentionnez l'appartenance au RN de M. Mariani à partir de 2019. Avant, il est évidemment contre nous, pas contre l'UMP. Tout est comme cela ! M. Raffarin n'est jamais cité comme soutien ni de l'UMP ni de M. Macron. Le fait que M. Buon Tan ait été réinvesti par Renaissance alors qu'il avait déjà éveillé les soupçons n'est pas mentionné – et ces suspicions étaient bien plus importantes que vous ne l'écrivez, puisque certains députés avaient quitté pour cette raison le groupe d'amitié France-Chine. Le soutien de M. Le Guen à M. Hollande, puis à M. Macron n'est pas mentionné non plus.

Nous pouvons quantifier tout cela, madame la rapporteure. Je vous assure que la dissymétrie est flagrante. L'appartenance au RN est toujours mentionnée. En revanche, celle à l'UMP ne l'est pas. C'est le cas pour M. Mariani.

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Je précise bien son appartenance à l'UMP lorsqu'il se rendait au congrès de Russie unie, le parti de M. Poutine.

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Vous considérez le comportement de M. Mariani comme individuel lorsqu'il est membre de l'UMP ; en revanche, vous en faites le révélateur d'une attitude collective lorsqu'il est membre du RN.

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Non, il n'est pas cité nommément ! Vous faites référence à un député français qui affirme qu'un « très riche lobby gay » soutient M. Macron. Ces propos sont consternants ; ils désignent M. Bergé. À l'époque, M. Dhuicq est député UMP.

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Il est cité nommément page 104, et il est précisé qu'il est membre de l'UMP.

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Je lis, page 104 : « […] l'ancien député UMP, M. Nicolas Dhuicq, ou l'ancien sénateur UDI, M. Yves Pozzo di Borgo […] ».

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Ce n'est pas le passage où vous parlez du « lobby gay ». M. Dhuicq n'est pas mentionné nommément comme étant l'auteur de propos sur le « lobby gay », ni présenté comme un soutien de M. Fillon.

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C'est désolant. Si vous devez vous justifier devant votre groupe, choisissez une autre enceinte !

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C'est une affaire interne à votre parti.

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Je n'ai pas particulièrement besoin de me justifier devant mon groupe. Si vous croyez que nous sommes mis en difficulté par ce rapport, je vous rassure, ce n'est pas le cas. Je vous communiquerai le passage dont je parlais.

Les compromissions permanentes des gouvernements successifs de la France avec le régime sont totalement évacuées du rapport. Vous employez les termes de « courroie de transmission », qui sont contraires aux propos tenus par la DGSI, laquelle a établi qu'aucun parti politique n'était dans la main d'une puissance étrangère – ni aucune personnalité politique de premier plan. Vous pouvez certes exprimer votre insatisfaction, ou dire que vous savez mieux que la DGSI…

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Ce n'est pas une mise en cause personnelle, je cite vos mots.

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Je ne le conteste pas mais les termes « courroie de transmission » sont entre guillemets.

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Cela peut laisser entendre que c'est une expression, ce qui, en un sens, est plus grave. En effet, la DGSI, lors de son audition, a rappelé que le Parti communiste français (PCF), à l'époque, était une courroie de transmission de Moscou.

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Ce n'est pas la DGSI qui le dit, ce sont les historiens !

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Oui, c'est établi historiquement. En soi, ce n'est pas grave, on en a connu d'autres ! Vous employez une expression qui renvoie aux liens entretenus jadis par le PCF avec l'Union soviétique pour désigner des liens actuels non établis avec le régime de M. Poutine. Qui plus est, ces termes contredisent les propos tenus lors des auditions par les services de renseignement. Aucune des auditions n'a prouvé qu'un parti politique français, quel qu'il soit, ni une personnalité politique de premier plan, était dans la main d'une puissance étrangère. D'ailleurs, dans le cas contraire, des procédures judiciaires auraient déjà été engagées. Cette évidence ne semble pourtant intéresser personne.

Madame la rapporteure, vous indiquez que le système français tient, mais sans en tirer les conséquences. Nos services de renseignement font leur travail ; le système français de financement de la vie politique, qui limite l'utilisation de l'argent des plus riches et des étrangers, fonctionne ; depuis l'affaire Cahuzac, on assiste à un renforcement de l'éthique et de la transparence ; enfin, la justice accomplit son office, même si on peut regretter sa lenteur. L'affaire Fillon a été réglée en quelques semaines, tandis que M. Mariani attend d'être convoqué depuis deux ans – ce qui n'est d'ailleurs pas mentionné. Des affaires traînent pendant des années ; à chaque interview, les intéressés sont renvoyés à leurs affaires judiciaires alors qu'ils n'ont jamais été mis en examen. Cela me paraît anormal quelle que soit la personne concernée. Le Rassemblement national a une position constante sur le sujet. Toute personne mise en cause a droit à une justice équitable et rapide.

Vous ne pouvez pas reconnaître que le système français nous protège à partir du moment où vous ne quantifiez pas l'ingérence. Le problème fondamental de ce rapport est qu'à aucun moment vous ne prenez le temps de quantifier le phénomène d'ingérence politique. Or, ce dernier est – heureusement – très limité. Le parquet national financier ne signale que quelques cas de corruption d'hommes ou de femmes politiques, et aucun de premier plan. La désinformation est très bien renseignée. Alors que certains avaient parlé d'une menace existentielle sur l'élection présidentielle de 2022, Viginum nous apprend qu'il n'a caractérisé que soixante phénomènes d'ingérence sur toute la durée de la campagne présidentielle. Parmi ceux-ci, douze présentaient un caractère sérieux, cinq ont fait l'objet d'une transmission et, selon le Conseil constitutionnel, aucun n'a eu une influence sur le processus électoral. Il y a tout lieu de s'en féliciter. Si nos institutions fonctionnent, si le mode d'organisation de la presse et les instances de contrôle, telles que l'Arcom, donnent satisfaction, si tout ce qui garantit la République et la démocratie nous protège, il faut le dire aux Français. Les ingérences politiques et médiatiques sont faibles et sous contrôle. Peut-on dire que les Macron Leaks, en 2017, ont joué un rôle important alors que personne ne l'établit ?

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Une section du rapport leur est consacrée. Il est impossible que les Macron Leaks aient donné lieu à une utilisation électorale car la campagne était terminée. J'ai vérifié, il y a eu un tweet du Front national sur les Macron Leaks, émanant de M. Philippot. Il me semble difficile de parler, dans ces conditions, d'une utilisation massive de l'ingérence russe dans les élections de 2017.

Comme l'a dit Mme Loiseau, il n'y a pas de raison que l'ingérence s'arrête à nos frontières. Toutefois, on peut avoir des systèmes de protection plus performants que les autres. Le rôle de l'argent en politique n'est pas du tout le même en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis ou même en Allemagne, où les grandes entreprises peuvent financer la politique. Une très grande confusion règne. Vous lancez des accusations sur les ingérences russes en France et en Europe sans jamais caractériser les faits. Vous décrivez des phénomènes généraux qui se déroulent aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Estonie et en Italie, mais, pour la France, vous ne mettez au jour pratiquement aucun phénomène d'ingérence politique ou médiatique. En revanche, le problème se pose avec plus d'acuité en Afrique.

Par ailleurs, les cyber-attaques, le cyber-harcèlement, le cyber-rançonnage, qui viennent sans aucun doute de Russie, sont sources de graves préoccupations. Je n'enlèverais pas un mot à la partie de votre rapport consacrée à la cyber-criminalité, mais ce domaine doit être soigneusement distingué de l'ingérence dans la politique et les médias. Pour moi, l'ingérence en provenance de Russie concerne essentiellement la cyber-criminalité. Cela ne signifie pas qu'il faille baisser la garde face aux risques pesant sur notre démocratie mais, aujourd'hui, les protections fonctionnent. Rien ne prouve l'existence d'une ingérence russe à l'égard du personnel politique français – je ne parle pas d'opinions politiques qui peuvent déplaire.

Le fait de ne pas quantifier entretient le risque d'un fantasme, d'une peur de nos concitoyens face à des menaces pesant sur notre démocratie. On parle de cela en permanence au lieu d'évoquer d'autres problèmes. Si on fournit aux Français les chiffres que j'ai cités, ils seront moins enclins à penser qu'il faut censurer Twitter ou d'autres réseaux sociaux. L'utilisation non pas de la réalité de l'ingérence mais de la peur face à celle-ci soulève un problème démocratique. Comme vous l'avez dit, nos services, nos agences et notre justice luttent avec succès contre ces pratiques. On ne peut donc pas dire que la démocratie française est touchée par des phénomènes d'ingérence venant de Russie ou de Chine – ou, en tout cas, la situation est sous contrôle, et cela ne met pas en cause un parti politique en particulier.

Je ne comprends pas pourquoi vous avez sous-utilisé les informations relatives à la corruption. Le directeur de l'Agence française anticorruption (AFA) est cité une seule fois, comme l'analyste juridique principale à la division anticorruption de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En revanche, le chef de la division anticorruption de l'OCDE n'a pas été cité. Le directeur de l'AFA avait tenu des propos très intéressants sur les risques encourus par les collectivités locales et les territoires d'outre-mer, qui méritaient, à mes yeux, davantage qu'une citation. Il a également demandé plus de moyens pour lutter contre la corruption. L'une de mes préconisations est d'ailleurs de concentrer tous les moyens nécessaires – aujourd'hui trop dispersés – en faveur de la lutte contre la corruption. Cela n'entre pas en contradiction avec l'esprit de vos propositions, madame la rapporteure.

J'en viens aux accusations portées contre le Rassemblement national.

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N'était-ce pas déjà votre propos, monsieur le président ?

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Non.

Vous relevez une « singularité » du Rassemblement national dans la relation avec le régime de Vladimir Poutine, alors qu'aucun élément n'accrédite cette thèse en dehors des déclarations de Mme Loiseau. Cette dernière est citée pas moins de vingt-quatre fois, alors que Marine Le Pen est citée quinze fois. Mme Loiseau est plus citée à elle seule que la DGSI, la DGSE et la HATVP cumulées. Vous convoquez ensuite M. Glucksmann pour qu'il nous explique la concordance idéologique entre le Rassemblement national et Vladimir Poutine. Je veux bien qu'il soit cité en tant qu'opposant, ayant travaillé sur les ingérences, comme Mme Loiseau peut l'être en sa qualité d'ancienne ministre et rapporteure de la commission INGE 2. Mais je n'accepte pas que l'on fasse de Mme Loiseau et de M. Glucksmann des autorités morales du niveau de la DGSI et de la DGSE, qui permettraient de juger de l'existence d'une singularité du Rassemblement national et d'une concordance idéologique entre M. Poutine et Mme Le Pen. Sur le plan méthodologique, cela ne me paraît pas admissible. Je le conteste non seulement en tant que député du Rassemblement national mais aussi comme président d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale.

Comme l'a dit Mme Colombier, l'essentiel du développement relatif au Rassemblement national est constitué par des citations de Mme Loiseau, de M. Glucksmann et de M. Tenzer. Je le quantifierai lorsque le rapport final nous sera remis.

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Oui, Mme Vaissié, que nous avons vue dans un débat récent sur La Chaîne parlementaire (LCP) avec M. Esquenet-Goxes. Elle m'a d'ailleurs demandé, hors antenne, quand j'allais rejoindre un parti démocratique.

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C'est possible.

J'ai qualifié plusieurs fois le régime russe de mafieux, j'ai tenu des propos on ne peut plus clairs à son égard – il est extrêmement dangereux –, mais je pense que le rapport aurait dû davantage mettre en avant le fait que la Russie est une puissance déclinante. On peut estimer que sa tendance à l'hystérie et son comportement de plus en plus mafieux sont une preuve de son affaiblissement, alors que la Chine, pour sa part, est une puissance montante. Je ne conteste pas le fait que la Russie soit la principale menace, comme l'a dit Mme la rapporteure.

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Absolument. Vous savez que je partage totalement votre avis.

Le rapport exonère de leur responsabilité des personnes que nous avons entendues. Je ne vois pas ce qui vous permet de dire que le cas M. Buon Tan est si clair. Aucun des éléments qu'il n'a apportés ne m'a convaincu. N'ayant aucune preuve, je ne dirai pas que c'est un agent étranger ni une courroie de transmission de la Chine, mais il me paraît difficile d'écrire qu'il s'agit seulement d'un agent d'influence qui a rendu service et du représentant d'une diaspora. Je ne pense pas que la commission puisse adopter une telle conclusion car nous ne disposons pas des éléments nécessaires pour nous prononcer, dans un sens ou dans un autre. Ce rôle revient à la justice.

Par ailleurs, il me paraît difficile d'affirmer – surtout après avoir entendu M. Gattolin – que la Chine ne cherche pas à influencer notre démocratie. Elle a réussi à exclure la question du Tibet du débat démocratique. Autrefois, les déplacements du dalaï-lama, par exemple aux États-Unis, étaient un sujet politique. Il existait une politique d'influence en faveur des droits du Tibet et de son peuple. Cela a disparu.

Madame la rapporteure, vous faites partie des personnalités qui défendent Hong-Kong, mais ce territoire ne fait plus la une des journaux, pas plus que ne le font les Ouïghours. On ne parle absolument plus de Macao. Je ne suis pas d'accord pour dire que la Chine n'exerce pas une politique d'influence.

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Vous dites qu'elle ne cherche pas à déstabiliser notre démocratie ni à influencer le débat public. J'estime qu'elle l'influence concernant la défense d'un certain nombre de peuples, de même que la Russie cherche à étouffer la défense des minorités sexuelles, par exemple.

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Je parle de « russianisation » de la stratégie chinoise, ce qui me paraît assez clair.

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Je pense que nous devrions signaler à la justice le cas évoqué par M. Bové. Il nous a indiqué que, malgré ses témoignages récurrents, affirmatifs et non conditionnels, l'actuel Premier ministre du Maroc, qui était à l'époque des faits ministre de l'agriculture, avait tenté de le corrompre. M. Bové nous a assuré que ni les services de renseignement ni la justice n'avaient été contactés.

On ne peut pas placer sur un pied d'égalité, dans un rapport de commission d'enquête parlementaire, des propos sous serment, y compris d'adversaires politiques, et des déclarations d'oligarques, dont on ne sait pas la provenance exacte. On ne peut pas considérer, d'un côté, qu'il est scandaleux de pirater les boîtes mail de M. Emmanuel Macron – ce qui est effectivement le cas – et, de l'autre, que de tels procédés sont sans importance s'agissant de M. Philippe Olivier. On semble juger normale l'utilisation de courriels piratés de M. Olivier. Si j'avais utilisé les courriels issus des Macron Leaks dans le cadre de cette commission, je ne suis pas sûr que vous auriez trouvé cela acceptable.

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Il a dit qu'il ne s'en souvenait pas. Cela étant, une partie des éléments contenus dans les Macron Leaks sont, d'après ce que j'ai lu, exacts.

En tout état de cause, j'applique les mêmes méthodes à chacun. Lorsque les oligarques russes assènent leur propagande, on dit qu'il ne faut jamais les écouter, mais lorsqu'ils parlent de Marine Le Pen et des membres du Rassemblement national, tout ce qu'ils affirment est vrai et doit être pris au premier degré ! Je considère que tout ce qui vient des oligarques et des influenceurs russes, surtout quand il s'agit d'échanges de SMS dont on ne sait pas la provenance, ne vaut absolument rien. Il est tout à fait possible, bien que le rapport ne l'envisage pas, que les Russes veuillent déstabiliser notre démocratie en jetant le doute sur la probité de Marine Le Pen. La Russie peut fort bien jouer à déstabiliser M. Macron, M. Fillon, Mme Le Pen… Elle a d'ailleurs voulu financer M. Bayrou. On voit bien que ce pays frappe tous azimuts, indépendamment de tout lien idéologique. Il cherche à mettre le bazar et à faire naître la suspicion.

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On ne peut nier l'existence d'un problème.

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Je n'ai pas dit qu'il n'y en avait pas mais qu'il fallait le quantifier. Je conteste la méthodologie employée. Les Français jugeront.

J'en viens, pour finir, à l'internationale religieuse conservatrice. Vous ne tenez compte à aucun moment des auditions sous serment de tous ceux qui sont prétendument liés à cela. Accuser le Rassemblement national d'être un parti bigot, alors que nous sommes voués aux gémonies par des structures comme Civitas, n'a pas de sens, pas plus que de considérer que le Rassemblement national a le moindre lien avec un parti qui veut unir, selon M. Schaffhauser, les orthodoxes et les catholiques contre les protestants. Ne faisons pas croire que le RN va entrer dans cette internationale, alors que cela a été catégoriquement contesté par M. Olivier et Mme Le Pen. M. Schaffhauser suit son propre agenda, lié à l'Opus Dei et à Louis XX – j'en passe, et des meilleures. Vous parlez de cette alliance comme s'il n'y avait pas eu d'audition sur ces sujets, ce qui ne me paraît pas du tout correct.

Telles sont les critiques, aussi factuelles que possible, que je voulais formuler, madame la rapporteure.

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Compte tenu du temps que nous avons passé à analyser ce rapport, son contenu et ses « omissions », il ne me paraît ni judicieux ni nécessaire à la manifestation de la vérité d'en dire plus. Les uns et les autres pourront faire valoir leurs arguments, y compris dans la presse, puisque j'ai cru comprendre, monsieur le président, que vous organiseriez très bientôt une conférence de presse.

Le rapport est là. J'en assume chaque phrase et chaque choix, j'assume mon travail de parlementaire engagée et non de membre de think tank ou de professeur de géopolitique à l'Institut des hautes études de défense nationale que je ne suis pas.

Je conçois que les recommandations soient parfois formulées d'une manière un peu floue. J'ai manqué de temps pour réaliser une expertise juridique et maîtriser les tenants et aboutissants légaux de telle ou telle d'entre elles ; aussi je les envisage plutôt comme autant de pistes.

Comme j'aime les chiffres ronds, je me propose aujourd'hui d'en ajouter une aux neuf autres. Peut-être serait-il utile, certainement par voie réglementaire, de réfléchir à un élargissement des modalités de financement des partis politiques et des candidats à travers une « banque de la démocratie », même s'il n'est pas question de créer un nouveau « machin ». Le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et le Médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques conviennent qu'il y a là une petite lacune et que quelques progrès pourraient être réalisés afin de mieux flécher des financements pour les candidats qui, semble-t-il, auraient du mal à en trouver, même si, depuis 2017, la mission du Médiateur du crédit consiste à accompagner tous les candidats, quelle que soit leur famille politique ou la nature des élections. Sans doute faut-il donc aller plus loin afin de faciliter l'expression démocratique. Je termine mon propos par une proposition constructive !

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Mediapart, m'informe-t-on, vient de publier un article indiquant que ses journalistes ont pu prendre connaissance du rapport.

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Les collègues peuvent en témoigner, je ne l'ai envoyé à personne, sous quelque forme que ce soit. Que voulez-vous que je vous dise ?

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Je n'accuse personne sans preuve. Je signale simplement que Mediapart vient de publier un article qui comporte des citations in extenso du rapport.

Parmi d'autres amabilités, je signale aussi que Mediapart a eu accès à un texto que j'avais envoyé lorsque j'étais malade afin de savoir si je l'étais réellement – ce qui n'est guère élégant.

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J'ai mon exemplaire du rapport devant moi, il n'est donc pas entre les mains de Mediapart. Il est vrai que leurs éléments sont assez forts. Heureusement qu'ils existent ! J'en profite d'ailleurs pour leur souhaiter un bon quinzième anniversaire.

Vous avez mentionné un possible signalement de la commission fondé sur une déclaration de José Bové. C'est une bonne chose que nos travaux puissent déboucher sur le signalement de faits possiblement délictueux pouvant intéresser la justice, qu'elle s'en saisisse ou non. Je n'ai pas lu le compte rendu de l'audition de l'ami Bové, mais je comprends que le Maroc est visé. Je ne sais pas si nous devons nous prononcer aujourd'hui ni comment il convient de procéder mais je suis favorable à un tel signalement. Je renouvelle ma proposition de saisine du bureau de notre assemblée, au titre de l'article 40, en cas de possible faux témoignage de Marine Le Pen. M. Bastien Lachaud, président, et M. Olivier Marleix, vice-président d'une commission d'enquête, avaient naguère écrit à M. Richard Ferrand et le bureau avait adopté à l'unanimité une résolution visant à saisir la justice à propos d'une autre affaire.

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M. Lachaud n'a jamais présidé une commission d'enquête avec M. Marleix.

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S'agissant du Maroc, il est possible pour un député de faire valoir l'article 40 du code de procédure pénale mais, s'agissant du parjure, la procédure me semble différente. Je considère, en l'occurrence, que le parjure n'est pas constitué mais, si je suis minoritaire, la procédure suivra son cours. J'avoue que c'est le pompon…

Je remercie Mme le Grip pour la qualité de son travail, indépendamment des longues remarques que je viens de faire.

La commission d'enquête adopte le rapport.

La séance s'achève à treize heures vingt.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Nadège Abomangoli, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Julien Bayou, Mme Clara Chassaniol, Mme Mireille Clapot, Mme Caroline Colombier, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Laurent Esquenet-Goxes, M. Frank Giletti, Mme Stéphanie Kochert, M. Bastien Lachaud, Mme Constance Le Grip, M. Thomas Ménagé, M. Kévin Pfeffer, Mme Anna Pic, M. Richard Ramos, M. Thomas Rudigoz, M. Aurélien Saintoul, M. Vincent Seitlinger, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Stéphane Vojetta

Excusé. – Mme Anne Genetet