Chers collègues, cette dernière réunion de notre commission d'enquête sera consacrée à l'examen du projet de rapport – bien que tout le monde ici ne l'ait pas lu – et au vote sur son adoption.
Depuis le 19 janvier, nous avons procédé à quarante-quatre auditions représentant près de quatre-vingt-sept heures de réunion, au cours desquelles nous avons entendu cinquante-trois personnes.
Je tiens à remercier Mme la rapporteure pour le temps qu'elle a consacré à ce travail. Je remercie également les autres membres de la commission, ainsi que l'administration de l'Assemblée nationale.
Je vous propose d'organiser notre réunion de la manière suivante. D'abord, nous entendrons Mme la rapporteure exposer les grandes lignes de son rapport et ses conclusions. Ensuite, les commissaires qui souhaitent s'exprimer pourront le faire, soit à titre individuel soit au nom de leur groupe ; ils auront, par la même occasion, la possibilité d'indiquer dans quel sens ils voteront. À l'issue de cette séquence, Mme la rapporteure pourra, si elle le souhaite, apporter les précisions qu'elle jugera nécessaires. Je m'exprimerai alors sur le contenu du rapport – je préfère vous prévenir : ce sera un peu long. Enfin, nous passerons au vote sur l'adoption du projet de rapport.
À titre liminaire, je tiens à rappeler la manière dont j'ai voulu travailler. Après avoir lu vos déclarations dans Le Figaro de ce matin, madame la rapporteure, je ne sais pas, d'ailleurs, si je peux utiliser ce verbe, puisque, visiblement, vous ne considérez pas que nous avons « travaillé » ensemble. Disons donc que nous avons passé cinq mois côte à côte. J'estime, pour ma part, que cette position ne reflète pas la volonté que j'ai affichée dès le début de ma présidence et la façon dont j'ai mené les travaux.
Je tiens à dire, puisque personne ne le fera à ma place, que j'estime avoir conduit ces travaux comme je le devais en tant que député de la France et non en tant que député du Rassemblement national. Je pense l'avoir fait honnêtement, avec intégrité. D'ailleurs, jusqu'à présent – mais peut-être les langues vont-elles se délier ? –, je n'ai jamais eu à ce propos la moindre remarque, que ce soit lors des réunions de bureau, durant les auditions, dans les couloirs ou par téléphone. J'ai même demandé à plusieurs reprises, en réunion de bureau, si certains avaient des observations à formuler quant à la façon dont je présidais et celle dont nous menions nos travaux. Or il n'y en a jamais eu, ni à l'oral ni à l'écrit. Les relevés de décisions, rédigés après chaque réunion et validés par moi-même ainsi que par Mme la rapporteure, l'attestent. Nous y reviendrons, car cela peut avoir une incidence sur le contenu du rapport.
J'ai aussi décidé, même si rien ne m'y obligeait, de me déporter à chaque fois que le Rassemblement national était concerné de près ou de loin par une audition. Selon l'administration, très peu de présidents de commission d'enquête ont agi de la sorte, pour ne pas dire aucun. Par exemple, je ne connaissais pas M. Schaffhauser et ne l'avais même jamais vu de ma vie – si vous voulez tout savoir, j'espère même que je n'aurai jamais à le revoir. J'aurais donc très bien pu mener l'audition. De la même manière, les liens de hiérarchie entre M. Philippe Olivier et moi sont assez ténus. Lorsque la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, à laquelle je participais, a reçu M. Sarkozy, le président de cette commission, membre du groupe Les Républicains, ne s'est pas déporté, et il a d'ailleurs très bien mené l'audition. Je pourrais citer bien d'autres exemples récents. Si j'ai décidé de me déporter, c'est, d'une part, par éthique personnelle – même si, visiblement, cela n'intéresse personne –, et, d'autre part, parce que je considère que notre institution a besoin de modestes preuves d'exemplarité comme celle-ci.
En tant que président, et bien que je sois systématiquement suspecté d'agir en tant que membre du Rassemblement national, je n'ai jamais refusé la moindre audition. J'ai lu dans la presse que j'aurais manipulé les travaux de cette commission, la transformant en clownerie, pour sauver l'honneur de mon parti. J'aurais interrompu une personne ou l'aurais contredite ; j'aurais lancé une polémique… J'ai donc relu l'ensemble de nos travaux, pour voir ce qu'il en était. À leur lumière, je ne comprends toujours pas de telles allégations. Quand vous mettez en cause le Rassemblement national, ce n'est pas toujours très aimable, mais c'est le jeu démocratique. Vous avez le droit de le faire : je respecte toutes les paroles et toutes les libertés. Je ne crois pas avoir empêché quiconque de s'exprimer, mais, si c'est le cas, il n'y a aucun problème : ce sera consigné au compte rendu.
Si je respecte votre parole et votre liberté, force est de constater que la réciproque n'est pas vraie, et que cela participe du traitement particulier qui est réservé au Rassemblement national. En général, le président d'une commission d'enquête convoque qui il veut. Chacune de mes demandes d'audition a été soumise à des négociations, à la volonté des uns et des autres, et nous n'avons pas reçu un grand nombre des personnes que je voulais interroger. Sachez que cela sera rendu public. Ces lacunes nuisent énormément à nos travaux.
La NUPES n'a pas souhaité participer au bureau de la commission. C'est son choix. J'ai invité constamment ses membres à y prendre part, ils ont formulé des demandes d'audition et je ne me suis opposé à aucune d'entre elles, sauf une, mais cette décision était consensuelle. Il s'agissait des responsables de la banque hongroise ayant consenti un prêt à Marine Le Pen. D'une part, nous ne savions pas qui inviter. D'autre part, comme ces personnes sont étrangères, elles n'auraient pas pu prêter serment. Cet argument n'a soulevé aucune objection de la part des autres membres du bureau. C'est la seule audition pour laquelle j'ai considéré qu'il ne serait pas possible de la mener dans de bonnes conditions.
J'ai systématiquement refusé de verser dans la politique spectacle, en tout cas dans cette commission : je sais faire la distinction entre mes fonctions de président et les autres. Ainsi, je n'ai pas voulu convoquer M. Mélenchon ou certaines personnalités d'En Marche ou de Renaissance pour leur poser des questions « bidons », uniquement pour les mettre sur le gril et en faire une vidéo. Cela n'avait aucun intérêt pour nos travaux.
La question s'est posée pour un collègue de la NUPES. Il y avait suffisamment d'éléments pour le convoquer, puisqu'il était cité à plusieurs reprises, mais je m'y suis refusé car cela n'avait aucun intérêt à mes yeux. De fait, les travaux ont confirmé que cela aurait été inutile. En dehors de la satisfaction que peut procurer le fait d'assouvir des ambitions partisanes, quel est l'intérêt de jeter en pâture au public l'honneur d'un parlementaire, de mettre en cause son intégrité, de lui demander de se justifier à propos d'allégations ridicules ?
M. Mélenchon a été mis en cause à de nombreuses reprises lors des auditions. J'aurais pu lui demander de venir nous expliquer pourquoi son nom apparaissait dans tel ou tel article et pour quelles raisons il avait soutenu tel ou tel opposant – ou non, en l'occurrence, puisque c'était faux –, écrit telle ou telle note de blog. Quel en aurait été le résultat, sinon une énième revue de presse ? Tel n'était pas l'objet de la commission.
Nous avons auditionné des personnes qui devaient l'être. Pour le principal parti de la majorité, il s'est agi de M. Buon Tan. Des articles, dont un publié dans Le Monde, faisaient état des inquiétudes des services de renseignement quant au fait qu'il pouvait être un agent défendant les intérêts chinois. Personne ne s'est opposé à ce qu'il soit auditionné. Il y avait toutes les raisons de le faire. Nous avons reçu aussi M. Leroy.
En revanche, nous n'avons reçu ni M. Raffarin ni M. Le Guen. Je n'ai toujours pas compris pourquoi. M. Le Guen siège au conseil d'administration de Huawei France, mais cela paraît tout à fait normal…
J'aurais pu citer M. Sarkozy. Je ne l'ai pas fait parce qu'il n'aurait pas prêté serment. Son nom n'est cité qu'une seule fois dans le rapport – j'y reviendrai.
J'ai donc la conscience tranquille : j'ai l'impression d'avoir fait mon travail aussi honnêtement qu'un homme politique peut le faire – je ne suis pas une oie blanche et n'ai jamais prétendu l'être. À plusieurs reprises, durant nos travaux, mon honneur personnel a été mis en cause dans les médias. Or pas un seul commissaire, en dehors de ceux du Rassemblement national et de non-inscrits, n'a daigné contester ce qui était rapporté sur mon compte. Cela ne m'empêche pas de dormir, mais je tenais à le signaler.
La blague du siècle, c'est évidemment l'histoire, racontée par l'émission « Quotidien », selon laquelle je serais très proche de François Fillon, alors que je ne l'avais jamais rencontré de ma vie. Cette opération grotesque visait à me forcer à me déporter, au prétexte que l'un de mes amis connaissait l'ami d'un de ses amis… C'était à la fois ridicule et scandaleux, car c'est moi qui avais demandé, dès le début de nos travaux, l'audition de M. Fillon, alors que les seuls qui s'y étaient opposés, dans un premier temps, étaient des membres du groupe Renaissance. Non seulement c'est moi qui ai été insulté, mais en plus la vérité n'a pas été dite – croyez bien qu'elle le sera.
Il a été dit constamment que je poursuivais un intérêt caché, que j'étais en service commandé. Encore faut-il le prouver. N'en déplaise à certains, qui par ailleurs se prévalent en permanence du respect de l'État de droit, nous sommes en France et non aux États-Unis : ici, les gens sont innocents tant qu'ils n'ont pas été reconnus coupables. Pour ma part, je n'ai jamais déclaré coupable quelqu'un à qui je n'avais absolument rien à reprocher.
Voilà ce que j'ai subi pendant cinq mois. Je méritais de le dire aujourd'hui – en tout cas, je m'en accorde le droit.