La commission entend M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France sur la conjoncture économique nationale et internationale.
Nous recevons ce matin le gouverneur de la Banque de France, M. François Villeroy de Galhau, pour évoquer la conjoncture économique, aussi bien nationale qu'internationale.
Dans vos dernières projections économiques trimestrielles, publiées à la mi-décembre 2022, vous aviez estimé, monsieur le gouverneur, que la croissance annuelle de l'économie française pouvait atteindre 2,6 % en 2022 et 0,3 % en 2023, tout en soulignant l'ampleur de l'incertitude, notamment sur les prix et sur les approvisionnements en énergie, pouvant affecter les prévisions, à la hausse comme à la baisse.
Dans votre enquête mensuelle de conjoncture de février 2023, vous releviez la persistance de la résilience de l'activité économique, avec une progression de l'activité dans les grands secteurs de l'industrie, du bâtiment et des services marchands permettant d'annoncer une croissance du PIB légèrement positive au premier trimestre 2023.
Au-delà de ces publications récurrentes, fort utiles et précises, nous sommes heureux d'entendre votre analyse sur la situation et sur les perspectives d'évolution qui se dessinent, alors que les banques centrales mènent depuis maintenant plusieurs mois une politique de hausse de leurs taux directeurs telle que nous n'en avions pas connu depuis des années.
Le contexte économique envoie des signaux contrastés, avec plutôt de bonnes nouvelles sur l'activité, mais une inflation et une incertitude qui restent prégnantes, et toujours en toile de fond la guerre russe en Ukraine. Je chercherai d'abord à éclairer ces signaux conjoncturels et les évolutions de politique monétaire qui en découlent, avant d'aborder l'effet de cette politique sur les conditions de financement de l'économie, c'est-à-dire des entreprises, des particuliers et de la dette publique.
Si je devais résumer notre point de vue sur la conjoncture, je dirais : pas de récession, mais encore trop d'inflation.
Bien que ralentie en France et en Europe depuis le début de cet hiver – comme cela avait été prévu –, l'activité fait preuve d'une meilleure résistance qu'anticipé, laquelle est confirmée mois après mois par notre enquête mensuelle de conjoncture réalisée auprès de 8 500 entreprises. Les chiffres de l'Insee publiés hier montrent que le pouvoir d'achat en moyenne a finalement été préservé en 2022, ce qui est une bonne nouvelle. Le risque de récession qui planait sur nos économies peut aujourd'hui être écarté, sauf événement mondial majeur. Nous actualiserons nos prévisions macroéconomiques trimestrielles le 20 mars. Nous prévoyons en France une croissance faiblement positive pour l'année 2023 – a priori un peu supérieure à l'estimation de 0,3 % de décembre – avant une reprise attendue en 2024.
Néanmoins, l'inflation reste la principale préoccupation de nos concitoyens, notamment des plus défavorisés d'entre eux, et la nôtre. Elle a certes commencé à se stabiliser, voire à se replier, à 8,6 % en zone euro fin janvier, dans un contexte d'accalmie des prix de l'énergie. Cependant, les premiers chiffres de février publiés hier pour l'Espagne et pour la France nous appellent à la vigilance et à la persévérance dans notre action monétaire : l'inflation persiste, s'élevant en France à 7,2 % en indice harmonisé européen et à 6,2 % en indice national. Selon nos prévisions, elle devrait atteindre son pic au cours de ce premier semestre et pourrait avoir diminué de moitié en fin d'année ; elle resterait néanmoins à un niveau trop élevé, et l'inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation qui sont les composantes les plus volatiles, continue d'augmenter : nous l'estimons à 4,5 % en France. L'inflation a en effet changé de nature depuis la crise énergétique d'origine : elle est non seulement plus haute mais plus large, non seulement importée mais aussi domestique, non seulement liée à un choc d'offre temporaire mais potentiellement persistante. Dès lors, personne ne peut plus nier que la politique monétaire peut et doit réagir.
Je redis devant vous avec force non seulement notre prévision, mais notre engagement à ramener l'inflation vers 2 % entre la fin de 2024 et la fin de l'année suivante, ce délai correspondant à l'incertitude pesant sur l'énergie.
Après le « sprint » de la normalisation monétaire entamé en juillet 2022, nous entrons à présent dans une nouvelle phase de la politique monétaire, plus comparable à une course de fond : elle sera plus longue – il ne faudra surtout pas crier victoire trop vite –, mais le rythme des prochaines hausses sera plus progressif et plus pragmatique. Il est bien trop tôt pour connaître, au-delà des 3 % que nous atteindrons en mars, niveau très inférieur aux actuels 4,75 % américains ou 4 % britanniques, le taux « terminal » auquel les taux directeurs se stabiliseront. Mais je crois possible d'éclairer le chemin que nous devrions suivre à mon sens pour donner une certaine prévisibilité économique. Sur le calendrier d'abord, il me paraît souhaitable d'atteindre ce taux terminal d'ici à l'été, c'est-à-dire au plus tard en septembre. Nos décisions seront guidées par les données économiques : nous devrions retenir pour critère central de la stabilisation monétaire le retournement jugé assez sûr de la trajectoire d'inflation sous-jacente, qui informe le mieux sur la perspective de moyen terme de l'inflation totale et que la politique monétaire peut le mieux traiter. Nous ne sommes pas encore parvenus à ce seuil économique.
Je veux en outre dissiper une crainte : la désinflation que nous allons mener à bien ne conduira pas à la récession, compte tenu de la résilience de l'activité et de l'emploi. Au contraire, c'est une inflation durable qui serait le pire ennemi de la croissance.
Le resserrement de la politique monétaire entraîne celui des conditions de financement, après plusieurs années exceptionnellement accommodantes. Mais le relèvement des taux d'intérêt se transmet à l'économie réelle de manière progressive et ordonnée, particulièrement en France. Les conditions de financement se normalisent donc, mais sans peser excessivement sur la situation des entreprises.
L'encours des crédits bancaires aux entreprises reste dynamique, puisqu'il a crû de 6,8 % en janvier par rapport à janvier 2022, la progression s'élevant à 5 % pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE). Il convient de se montrer vigilant mais pas alarmiste au sujet des entreprises. Leur trésorerie s'est certes dégradée, comme le confirme notre dernière enquête mensuelle – dans l'industrie davantage que dans les services –, mais nous partions d'un niveau élevé et nous n'observons pas de retour majeur du « spectre des défaillances ». À la fin du mois de janvier, le nombre de défaillances augmentait et se situait à un peu moins de 43 000 dans les douze derniers mois, au-dessus du niveau artificiellement bas des années covid avec leurs mesures de soutien exceptionnelles, mais encore sensiblement en deçà de la moyenne enregistrée dans la décennie 2010, qui s'élevait à environ 59 000 : nous devrions progressivement tendre vers ce dernier chiffre et nous suivons très attentivement la situation des PME et des TPE dans certains secteurs plus fragiles. Parallèlement, les créations d'entreprises restent à un niveau record, à plus de 400 000 en un an, hors microentrepreneurs.
De la même manière, nous n'avons pas d'inquiétude généralisée s'agissant du remboursement des prêts garantis par l'État (PGE). Depuis février 2022, nous avons reçu 671 demandes d'aménagement, soit moins de 0,1 % du nombre total de PGE. Sur les 143 milliards d'euros qui ont aidé près de 700 000 entreprises, 46 milliards ont déjà été remboursés. Actuellement, plus de 95 % des entreprises remboursent correctement leur PGE. La Médiation du crédit de la Banque de France n'en reste pas moins mobilisée, dans chacun de vos départements, pour traiter les cas les plus difficiles, dans le cadre de l'accord de place renouvelé en janvier dernier.
Pour les particuliers, la croissance des crédits à l'habitat s'élevait encore à 5,3 % en décembre et à 5,1 % en janvier, dans un contexte de remontée progressive du taux moyen, qui atteignait, en décembre, 2,05 %, hors frais et assurances, contre 2,9 % en moyenne dans la zone euro et 3,5 % en Allemagne. En France, le crédit à l'habitat reste le moins cher, le plus abondant et le plus sûr d'Europe, avec 97 % des encours à taux fixes.
Bien sûr, nous sommes sortis des années du crédit exceptionnellement facile. Les besoins de financement de l'économie réelle restent cependant largement satisfaits, grâce à la solidité des banques françaises. La décélération du crédit, dès lors qu'elle est progressive et ordonnée, est d'ailleurs justifiée, après la hausse récente des taux d'endettement privés ; permettez-moi de souligner que le ratio français d'endettement des ménages et des entreprises est le plus élevé de ceux des grands pays européens : il atteignait 147 % du PIB au troisième trimestre de 2022 contre 119 % en moyenne dans la zone euro.
Reste le troisième grand agent économique, les administrations publiques dans leur ensemble. Le ratio de dette publique de la France est non seulement plus élevé de 20 points que celui de l'ensemble de la zone euro – 113 % du PIB contre 93 % au troisième trimestre de 2022 –, mais il ne diminue pas, contrairement à celui des autres grands pays de la zone. Dès lors que les prix de l'énergie refluent, il faut commencer à réduire rapidement les mesures de soutien, en ciblant ceux qui en ont le plus besoin : sur ce point, l'efficacité budgétaire peut rejoindre la justice sociale. Les boucliers tarifaires ont pu être utiles à court terme pour amortir le choc énergétique, mais ils ne peuvent le faire disparaître. La victoire durable contre l'inflation ne passe en effet pas par des mesures budgétaires, mais par la politique monétaire et par le renforcement de notre offre productive.
Plus largement, la réponse à cette crise et à l'émergence de ce monde nouveau passe avant tout par un effort majeur d'adaptation, mené dans la justice – j'y tiens comme vous – et dans la durée. Nous devons et nous pouvons réussir les trois grandes transformations qui sont la clé de notre succès économique et social : la transformation énergétique et climatique ; la transformation numérique ; enfin, chantier plus spécifique à la France en Europe, la transformation du travail, en accroissant à la fois sa quantité collective et sa qualité individuelle. Pour conclure, je tiens à réaffirmer la conviction que nous avons la capacité de réussir ensemble. Soyez assurés que la Banque de France, avec ses équipes sur le terrain, sera totalement mobilisée en ce sens.
La Banque centrale européenne (BCE) semble déterminée à poursuivre sa politique de hausses brutales du taux directeur : ne peut-on pas craindre qu'il en résulte une contraction de l'accès au crédit, qui serait défavorable au développement de l'activité économique et à l'emploi à court ou moyen terme ?
Je me suis laissé dire que l'on promouvait davantage, à l'échelle européenne comme française, les crédits immobiliers à taux variables, ce qui me paraît fort dangereux. Est-ce vrai ?
Je vous ai entendu avec intérêt déclarer au début du mois de février sur France 2 « arrêtons la course à la baisse d'impôt dans ce pays, surtout avec les déficits que nous avons » – j'ajouterais pour ma part « surtout avec les investissements que nous devons effectuer, notamment dans la transition écologique » : ne pensez-vous pas que de réelles marges de manœuvre fiscales existent ? Si oui, quelles sont-elles ?
Vous avez dit qu'avec 147 % du PIB, le taux d'endettement privé français était le plus élevé d'Europe : ce chiffre n'est-il pas plus inquiétant que celui de la dette publique ? C'est en effet lorsque les taux d'endettement privés sont hauts que les décrochages de l'économie et les crises se produisent.
Vous avez affirmé que le risque de récession était écarté et que la croissance serait légèrement supérieure à 0,3 % cette année ; vos prévisions les plus optimistes l'année dernière estimaient que la croissance pourrait atteindre 0,5 % en 2023. À quoi attribuez-vous l'éloignement du spectre de la récession et le rapprochement entre votre prévision actuelle et le niveau le plus optimiste que vous estimiez atteignable l'année dernière ?
Je note avec plaisir que vous envisagez de réévaluer votre hypothèse de croissance du PIB pour l'année 2023 : vous n'êtes pas encore aligné sur la prévision de la loi de finances, mais je ne désespère pas qu'intervention après intervention, vous finissiez par nous rejoindre.
Pouvez-vous nous préciser quelle sera la part des principaux facteurs d'inflation en 2023 ? Quels sont les effets de la hausse des prix sur les négociations salariales ?
Le relèvement des taux a bien entendu un impact sur le financement des dettes publiques, d'autant que la BCE prévoit d'alléger son bilan et que la France compte déployer cette année un plan de financement une nouvelle fois massif. Pensez-vous que cette situation risque de créer à court terme un problème de financement des dettes publiques européennes ? Comment évaluez-vous les taux d'intérêt réels s'appliquant aux émissions de dette française par rapport à la situation prévalant pendant la crise sanitaire, quand les taux nominaux étaient extrêmement bas ?
La BCE étudie l'opportunité de créer un euro numérique, qui n'aurait bien entendu rien à voir avec les cryptomonnaies et leur caractère spéculatif. Les banques centrales nationales sont associées à ce projet novateur, qui répond à une demande de sécurisation des transactions par voie électronique. Pourriez-vous nous indiquer où en est la réflexion sur ce projet et quelle est la position de la Banque de France ?
Le résultat financier de la BCE pour 2022 est nul, du fait de la reprise, pour 1,6 milliard d'euros, de la provision pour risques financiers, laquelle est abondée par le bénéfice net lorsqu'il est positif afin de compenser les pertes subies durant l'année. Quelles sont les raisons de cette situation, ainsi que ses conséquences pour les détenteurs de parts du capital de la BCE, à savoir les banques centrales nationales ?
Vous avez qualifié la hausse des taux de la BCE de « brutale », monsieur le président, mais nous avons subi au moins autant de critiques nous reprochant son caractère tardif et insuffisant ; il est vrai que cette politique de relèvement des taux a connu une accélération mais l'intensité du retournement de l'inflation a peu de précédents ; elle est liée à divers facteurs un peu inattendus, dont bien entendu la guerre en Ukraine. Je ne pense pas qu'il y ait de restriction d'accès au crédit en France, ni pour les particuliers ni pour les entreprises, et on constate même que cet accès est plus large que chez nos voisins.
Je vous rejoins totalement dans votre méfiance envers les crédits immobiliers à taux variables ; je n'ai pas connaissance d'une initiative européenne en la matière, mais nous allons le vérifier. Les taux variables étaient, restent et seront dangereux : ils ne constituent pas un bon mode d'accès au crédit immobilier, et nous serons attentifs à ce que les établissements de crédit français ne développent pas ce qui apparaîtrait comme un remède nouveau mais qui serait en fait pire que le mal.
Je suis sensible à l'attention que vous portez à mes interventions publiques. La Banque de France n'est pas chargée de la fiscalité – heureusement d'ailleurs, car il s'agit d'un sujet bien compliqué – et n'a donc pas à se prononcer sur telle ou telle mesure fiscale. J'ai toujours appelé à la prudence face aux baisses d'impôts ou de charges que nous n'avons guère les moyens de financer – je vous renvoie à ce sujet à ma lettre annuelle au Président de la République de 2021 et de 2022. J'ai plaidé pour une stabilité fiscale, mais ce sont le Parlement et le Gouvernement qui décident des niveaux d'imposition. Une stabilité fiscale globale serait plus sage pour nos finances publiques et plus efficace économiquement. Les fréquentes modifications fiscales, qui sont une spécialité française, créent beaucoup de complexité et d'incertitudes voire de confusion chez les acteurs économiques, y compris les entreprises ; les changements incessants diminuent ainsi l'efficacité des mesures.
J'entends assez souvent des personnes défendre, selon leur sensibilité politique dont la diversité m'inspire le plus grand respect, la théorie de l'autofinancement des augmentations des dépenses budgétaires ou des baisses d'impôts, qui s'appuie sur les multiplicateurs keynésiens ou laffériens et sur le supplément d'activité que ceux-ci généreraient. Hélas, l'expérience française des dernières décennies montre que cette théorie ne se vérifie pas. Ces mesures de politique économique peuvent être parfaitement justifiées par des choix démocratiques, mais elles se traduisent par un accroissement du déficit et de la dette.
Je vous rejoins aussi sur le taux d'endettement privé : nous devons surveiller de près ce chiffre dont on parle moins. Est-il inquiétant ? Je serais prudent et je distinguerai les ménages des entreprises. Le niveau du crédit immobilier des ménages est élevé – ce qui peut rassurer sur son accès –, mais le point essentiel est de conserver des taux fixes. Nous suivons attentivement le risque de surendettement des ménages, la Banque de France étant en première ligne dans ce domaine. La baisse s'est poursuivie en 2022, grâce notamment aux lois Lagarde et Hamon que le Parlement a votées dans une grande continuité transpartisane. Il n'y a pas de dérive vers un surendettement des ménages, mais nous resterons attentifs à la situation. Depuis le pic de 2015, le nombre de dossiers de surendettement a diminué de 50 % : il s'agit d'un succès collectif – par modestie française, nous avons moins tendance à évoquer nos réussites, mais en voilà une dont le Parlement, auquel je rends hommage, peut se targuer. Certaines entreprises peuvent souffrir d'un taux d'endettement trop élevé car elles ne manquent pas de crédit, mais de fonds propres : ce constat doit guider notre action en matière de financement de l'économie.
J'ai compris votre question sur la prévision de croissance comme une subtile invitation à vous révéler le chiffre que nous publierons le 20 mars : celui-ci sera probablement supérieur à 0,3 % et inférieur à 1 %. Il restera beaucoup d'incertitudes, mais celles-ci tendent à diminuer quelque peu et dans un sens positif qui plus est.
Monsieur le rapporteur général, je vais commencer par votre dernière question, très importante, sur les résultats financiers de la BCE et sur les pertes des banques centrales. La Bundesbank va publier ses résultats ce matin, et, sans préjuger de ce qu'ils seront, le sujet fera évidemment l'actualité financière. Les banques centrales mondiales connaissent pour la plupart des pertes, ce qui peut paraître paradoxal mais qui résulte du mouvement de relèvement des taux. Le bilan de la Banque de France comporte des actifs longs à taux fixes – principalement des titres publics, même s'il y a quelques titres privés achetés à l'époque où il fallait soutenir l'activité comme les prix et éviter la déflation – et un passif composé de dettes liées à des engagements courts et à taux variables, surtout des dépôts des banques commerciales ; ceux-ci ont présenté des taux négatifs et ont donc rapporté de l'argent à la Banque, fait assez rare dans un bilan d'activité financière ; actuellement, ils pèsent sur notre bilan à hauteur du niveau des taux, comme cela est normal.
Il se trouve que le coût des passifs augmente plus vite que le rendement des actifs. C'est un phénomène transitoire qui va durer quelques années, comme c'est le cas pour la quasi-totalité des banques centrales du monde.
La Banque de France, quant à elle, aura un résultat encore positif au titre de l'année 2022, à la différence, par exemple, de la BCE, que vous avez citée. Nos chiffres seront publiés et commentés le 22 mars prochain. Ce résultat fera suite aux années 2015 à 2021, qui ont connu, à l'inverse, des résultats très élevés et durant lesquelles la Banque de France a reversé à l'État, au total, sous forme d'impôt sur les sociétés et de dividendes, 31 milliards d'euros. Pour les quelques années suivantes – au-delà de 2022 –, nos revenus monétaires nets seront, comme pour la quasi-totalité des banques centrales du monde, diminués par la remontée des taux d'intérêt. Cependant – et je n'en dirai pas plus ce matin, car, comme je viens de le dire, nos chiffres seront publiés le 22 mars –, la Banque de France a géré avec rigueur sa trajectoire financière et pris soin de constituer des réserves significatives qui devraient nous permettre de couvrir ces pertes de revenus sans faire appel à une recapitalisation de l'actionnaire.
Alors que l'énergie s'imposait évidemment jusqu'à ces derniers mois comme principal facteur d'inflation, c'est aujourd'hui l'alimentation qui préoccupe très légitimement nos concitoyens. Toutefois, ces phénomènes, si forts soient-ils, sont temporaires : le choc des prix de l'alimentation durera encore plusieurs mois mais devrait diminuer d'ici à la fin de l'année. J'ai beaucoup insisté sur la diffusion de l'inflation sur l'ensemble des biens et des services : cette inflation sous-jacente est celle qui présente le plus grand risque de persistance. Sans minimiser aucunement l'inflation énergétique ou alimentaire, je répète qu'elle est, presque par nature, temporaire. Le plus grand risque est celui d'une inflation qui s'installe de façon persistante pour l'ensemble des biens et services : d'où les propos que j'ai tenus à propos de la politique monétaire.
Les salaires ont légitimement augmenté au fil de l'augmentation de l'inflation, mais moins que cette dernière, seul le SMIC étant indexé. Le pouvoir d'achat a néanmoins été préservé grâce aux mesures budgétaires et au bouclier tarifaire. C'est une bonne nouvelle et la différence avec d'autres pays est sensible et positive.
En termes de salaire, l'évolution moyenne de la rémunération par tête – la notion de rémunération étant entendue au sens large pour intégrer notamment les salaires et les primes –, qui est de l'ordre de 1 % à 2 % par an dans les années de très faible inflation, est aujourd'hui, en moyenne pour l'année 2022, supérieure à 4 % et, selon nos prévisions de décembre, qui ne devraient pas changer beaucoup, un point haut de l'ordre de 6 % devrait être atteint vers le milieu de l'année 2023. À terme, c'est-à-dire lorsque nous aurons atteint une sorte de vitesse de croisière, le bon niveau d'augmentation des salaires, toujours en moyenne, serait de l'ordre de 3 %, soit 2 % d'inflation et 1 % de gains de productivité. La négociation salariale doit, comme je l'ai déjà souvent dit, rester décentralisée au niveau de la branche et de l'entreprise, au plus près de la réalité économique et du dialogue social.
Pour ce qui concerne les conséquences de la politique de la BCE sur la dette publique des différents pays européens et le niveau des taux réels, je dois redire, en vous priant d'excuser cette phrase orthodoxe, que la politique de la BCE n'est pas déterminée par la facilité de financement de la dette publique des différents pays européens, mais par la boussole de l'inflation. Les choses se passent aujourd'hui, dans les différents pays européens, d'une façon relativement ordonnée. Il y a, bien sûr, un relèvement des taux à long terme. Le calcul des taux réels est toujours un peu compliqué, car il faut déduire des taux anticipés l'inflation anticipée – en effet, la prise en compte des taux d'aujourd'hui se traduirait par des taux réels qui seraient partout négatifs. Toujours est-il que, par rapport à l'inflation anticipée, les taux réels sont aujourd'hui légèrement positifs sur l'ensemble des échéances, ce qui nous semble être une situation assez satisfaisante.
Votre question semblait aussi exprimer une inquiétude assez forte quant au risque de voir le relèvement des taux provoquer une fragmentation parmi les dettes publiques européennes, ces taux remontant beaucoup plus vite dans certains pays du Sud que je n'ai pas besoin de citer. Aujourd'hui, cependant, les choses se passent plutôt bien, notamment à cause d'une décision clé et peu souvent relevée que nous avons prise en juillet dernier : l'instauration d'un outil de solidarité monétaire au sein de la zone euro, l'instrument de protection de la transmission, ou TPI selon son acronyme anglais. Si nous estimions que les écarts de taux d'intérêt, ou spreads, devenaient injustifiés ou excessifs dans la zone euro, nous aurions la capacité d'intervenir pour corriger certains de ces écarts. Ce message a été très bien reçu et les choses se passent dans l'ordre. Je souligne que ce mécanisme a été adopté à l'unanimité, ce qui témoigne d'une solidarité forte dans la zone euro.
La question de l'euro numérique, sur laquelle nous reviendrons peut-être, est différente de celle des cryptoactifs – terme que je préfère à celui de cryptomonnaies. Il s'agit de faire bénéficier potentiellement – car ce n'est pas encore décidé – nos concitoyens du meilleur de la monnaie centrale, à savoir sa sécurité, sa disponibilité et le pouvoir libératoire qui fait qu'elle est acceptée partout – autant de qualités qui sont celles des billets et auxquelles les Français sont attachés –, et en même temps du meilleur de la technologie digitale. Il s'agit, en quelque sorte, d'un billet digital, mais possédant des qualités encore supérieures à celles des billets, mieux protégé contre les risques de vol et utilisable pour le e-commerce comme pour les paiements entre particuliers, par exemple par le biais de cagnottes.
Nous sommes actuellement en phase d'investigation et la Banque centrale européenne est, du reste, plutôt en avance par rapport à d'autres régions du monde, qui étudient toutes la question de la création d'une telle monnaie numérique. Nous déciderons à la fin de l'année si nous passons à la phase suivante, dite d'expérimentation et de préparation, qui devrait durer au moins trois ans. Malgré de nombreuses questions techniques, nous avançons. Cette perspective est sous-tendue par un enjeu de vie quotidienne pour nos concitoyens et présente également un aspect démocratique important : le maintien de l'accès des citoyens à la monnaie centrale, et non pas seulement à la monnaie commerciale de banque, qu'ils continueront, bien entendu, à utiliser.
Je précise enfin que le développement de l'euro numérique ne signifie aucunement l'abandon de l'euro fiduciaire : nous garderons durablement les billets et les pièces, auxquels nos concitoyens sont attachés. Cette liberté de choix fait partie de la confiance dans la monnaie, dont nous sommes les garants.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le gouverneur, l'inflation était, au mois de janvier, plus faible en France que chez la plupart de nos voisins – elle était en effet inférieure de deux points à sa valeur en Allemagne et de près de trois points à celle qui était observée en Italie. Selon la plupart des études économiques, ce résultat doit beaucoup à la politique budgétaire menée dans notre pays. Des simulations très éclairantes réalisées par les chercheurs du Cepremap, le Centre pour la recherche économique et ses applications, localisé à l'École d'économie de Paris, montrent que le bouclier tarifaire a permis de réduire l'inflation, de soutenir la croissance et de juguler les inégalités. Chose plus intéressante encore, elles montrent que c'était, pour ce faire, la politique la plus efficace parmi les alternatives examinées. En particulier, l'indexation des salaires sur les prix aurait, au contraire, accru l'inflation et le chômage et fait reculer la production et le pouvoir d'achat. Nous avons donc fait les bons choix dans cette période inédite.
Toutefois, le niveau élevé de l'inflation entraîne, comme vous l'avez rappelé, une augmentation des taux directeurs de la BCE. Cette action intervient dans un contexte particulier, car à la crise conjoncturelle, qui est économique, s'ajoute une crise structurelle, qui est climatique. Pour opérer la transition énergétique, nous avons besoin d'investissements massifs, qu'il ne faudrait pas voir freinés à cause d'une augmentation indifférenciée du coût du capital.
Je vous poserai donc deux questions. Tout d'abord, pour ce qui est de l'impact de la politique monétaire sur le financement des entreprises, Isabel Schnabel, du directoire de la BCE, a évoqué le 10 janvier l'hypothèse d'un verdissement du portefeuille de la BCE et de ses exigences de collatéral. Pouvez-vous nous en dire plus sur les réflexions en cours à ce propos et sur les critères qui pourraient être utilisés ?
Ensuite, une préoccupation forte tient à la réduction des capacités d'emprunt des ménages pour faire face aux besoins de rénovation énergétique, alors même que, comme vous l'avez rappelé dans votre propos liminaire, les conditions du crédit immobilier se resserrent. Quelle appréciation la Banque de France fait-elle de ce risque et, le cas échéant, quelles évolutions permettraient-elles de l'éviter ?
Depuis maintenant dix-huit mois, il semble que la Banque centrale européenne et la Banque de France, après avoir été dans le déni du phénomène d'hyperinflation, continuent à courir et à subir un phénomène dont vous n'analysez pas correctement les causes et auquel vous ne proposez pas de solution pertinente. Il semblerait en effet que, comme dans les dix années précédentes, où elle menait une politique de taux bas, la politique de la BCE suive la pratique de la Fed, alors que cette dernière opère sur des fondamentaux économiques américains qui sont aujourd'hui très différents de ceux qu'on observe en Europe. Les États-Unis disposent en effet d'une autonomie énergétique et de matières premières, et les causes de l'inflation dans ce pays semblent fondamentalement différentes de celles qui prévalent dans l'Union européenne, où il s'agit notamment d'une inflation importée liée à une dépendance dans le domaine des matières premières et de l'énergie. D'autre part, l'évolution des salaires, même si elle s'est ralentie aux États-Unis, est très différente sur le continent américain et dans l'Union européenne. Je n'ai pas l'impression que les outils adoptés par la BCE correspondent véritablement à une solution pour notre continent. Je ne vois pas non plus qu'une politique ait été instaurée pour développer l'économie productive et remédier en urgence à nos dépendances. Je ne vois donc pas en quoi nous nous attaquons aux fondamentaux de l'inflation.
D'une manière générale, on peut également s'interroger sur la fiabilité des outils statistiques utilisés aux niveaux européen et français. En voyant l'Insee annoncer aujourd'hui une hausse du pouvoir d'achat pour les ménages français, on se demande dans quel monde nous vivons ! C'est inquiétant pour l'économie occidentale, car la confiance des acteurs économiques dans les outils statistiques est un acquis des démocraties. Or, de nombreux acquis semblant être remis en cause ces dernières années, je commence à m'inquiéter sérieusement de l'écart entre la confiance que l'on fait à la fiabilité et à la transparence des outils statistiques et la réalité des phénomènes qu'ils décrivent. Si vous commencez à expliquer aux Français que leur pouvoir d'achat a augmenté cette année, bon courage et bonne chance !
Monsieur le gouverneur, dès qu'un problème apparaît dans notre pays, la majorité veut supprimer un impôt ou réduire des cotisations. Toutefois, à en juger par vos récentes déclarations, il semblerait que vous ne soyez pas réellement de cet avis, comme l'a, du reste, rappelé le président Coquerel. Le 9 février, vous avez ainsi déclaré : « Arrêtons la course à la baisse d'impôts dans ce pays », et encore : « Je ne fais pas du tout partie de ceux qui disent qu'un bon impôt est un impôt supprimé. » Au moment où nos services publics sont de plus en plus précarisés, où l'hôpital s'effondre, où des classes ferment un peu partout sur le territoire et où certaines entreprises ont besoin d'aide, vos propos sont salutaires. Nous sortons également d'un débat sur la réforme des retraites que nous aurions pu résumer par la question de savoir comment reboucher le trou creusé par ce gouvernement : en renonçant à une partie des 85 milliards d'euros d'exonérations de cotisations annuelles ou en demandant aux Français de le faire, quitte à s'y tuer la santé ? Dans cette conjoncture, vos paroles font du bien.
Tout le monde ne souffre pas de la même manière de cette crise. Certaines entreprises battent des records de profits – on pourrait citer, comme toujours, Total ou CMA-CGM – et les actionnaires du CAC 40 ont perçu 80 milliards d'euros en dividendes et rachat d'actions en 2022.
Je souhaiterais donc connaître votre avis sur l'instauration d'un impôt sur les superprofits, question à laquelle vous avez en partie répondu, et sur une remise en cause de toutes les exonérations de cotisations sociales qui ont été appliquées, et dont certaines ont sans doute des effets plus que contestables, comme le fait que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – soit devenu une baisse pérenne de cotisations qui coûte environ 20 milliards d'euros par an.
J'aborderai quatre points.
Le premier est l'inflation, que vous avez citée comme étant la plus importante – ce à quoi nous souscrivons. Que pensez-vous des nouvelles mesures annoncées voilà quelques heures par Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ?
En deuxième lieu, vous évoquiez tout à l'heure les défaillances d'entreprises en dépeignant une situation moins catastrophique que nous ne pouvions le penser. Les Urssaf, qui avaient été nombreuses à suspendre le recouvrement forcé, le reprennent dès ce mois. Pouvez-vous mesurer l'effet sur le rythme des défaillances de ce gel des dettes envers l'Urssaf et de la suspension du recouvrement forcé ?
Mon troisième point porte sur la situation des entreprises. Préoccupées par la hausse du prix de l'énergie, qui n'est pas encore maîtrisée et suscite encore de nombreuses incertitudes, les entreprises sont également nombreuses à rencontrer des difficultés de recrutement et des tensions dans le domaine de l'emploi, avec des carnets de commandes ou des marchés contraints. Pouvez-vous mesurer l'impact de ces tensions sur l'activité nationale ?
J'évoquerai, enfin, le taux d'usure, dont vous avez indiqué qu'il ferait l'objet d'une actualisation mensuelle à compter du 1er février. Pouvez-vous mesurer une éventuelle restriction de l'accès au crédit pour certaines catégories d'emprunteurs du fait de ce taux, qui est à partir d'aujourd'hui de 4 % pour les prêts de vingt ans et plus ?
Monsieur le gouverneur, vous indiquez que la création d'entreprises se maintient. De quel type sont les entreprises qui se créent ? Sont-elles grandes ou petites ? Vous évoquez également la dégradation des fonds propres de certaines entreprises, notamment industrielles. A-t-on bien anticipé les conséquences de l'évolution du coût de l'énergie, notamment en termes d'investissement, pour certaines entreprises moyennes qui ne relèvent pas des boucliers et protections ?
Pour ce qui concerne les prêts immobiliers, il faut, outre les taux, prendre en considération leur durée, plus rarement évoquée. Que pensez-vous de prêts de longue durée pour certains investissements, notamment pour les collectivités locales, qui voient leurs possibilités d'investir à long terme limitées par le recours à des prêts relativement courts ?
Ma dernière question porte sur la fiscalité, même si je sais que vous êtes tenu à un devoir de réserve. La politique monétaire menée depuis 2012 par la BCE et les grandes banques centrales a pu se traduire par une hausse des inégalités de patrimoine, du fait de la hausse de leur valorisation boursière ou de la valeur du foncier, en particulier dans les zones tendues. Notre système fiscal, national ou européen, est-il adapté à cette nouvelle situation ?
Tout d'abord, alors que les Français souffrent d'une inflation qui atteint 6,2 % en un an, la secrétaire d'État chargée des PME, du commerce, de l'artisanat et du tourisme, Mme Olivia Grégoire, a confirmé ce matin qu'une augmentation de 10 % des prix alimentaires était attendue dans les prochains mois. La stabilité des prix faisant partie des missions de la Banque de France, quels leviers comptez-vous activer, sachant que la BCE a appelé les gouvernements à réduire les mesures d'aide aux ménages et aux entreprises et que vous avez vous-même estimé qu'il faudrait réduire progressivement le bouclier tarifaire et, surtout, le cibler sur les plus défavorisés ? Sur ce point précis, quel calendrier préconisez-vous ?
Bien que vous ayez pris la précaution d'indiquer que la fiscalité ne faisait pas partie des missions de Banque de France, ma deuxième question porte sur les impôts. Nous vous encourageons à donner votre avis de citoyen sur ce sujet, qui touche aux moyens d'assurer le financement de notre service public. Si un impôt doit financer la solidarité et s'il faut, selon vous, réduire progressivement le bouclier tarifaire pour le centrer sur les Françaises et les Français les plus défavorisés, quel rôle les entreprises qui réalisent des superprofits doivent-elles jouer ?
Enfin, si vous aviez une seule alerte à lancer, quel serait, selon vous, le prochain défi qu'affronteront nos économies ?
Mes questions porteront sur deux sujets qui intéressent particulièrement les Français : l'inflation et l'endettement public.
Pour ce qui concerne l'inflation, en février, les prix à la consommation ont augmenté de 6,2 % sur un an, après 6 % en janvier. Selon vous, l'inflation devrait atteindre son pic au cours du premier semestre, avant de redescendre vers 4 % en fin d'année. Quels sont les éléments matériels qui vous permettent de prévoir que l'inflation sera ramenée vers 2 % d'ici à la fin 2024 ou à la fin 2025 ? Quel regard portez-vous sur l'inflation des prix des produits alimentaires et de l'énergie, qui sont les plus volatils ?
Pour ce qui est de l'endettement public, sujet très important pour le groupe Horizons, quel regard portez-vous sur l'état de nos finances publiques et sur l'objectif d'un retour à un déficit public inférieur à 3 % à l'horizon 2027.
Enfin, le taux de l'obligation française à échéance de dix ans a atteint 3,14 %. Comment analysez-vous l'impact de l'augmentation des taux d'intérêt sur la charge de la dette et, plus généralement, sur la soutenabilité de notre endettement public ?
Je m'associe à l'ensemble des questions posées précédemment quant aux propos que vous avez tenus sur la baisse des impôts en France et à ce que vous pensez d'un éventuel rétablissement de l'ISF et d'un relèvement des taux effectifs d'imposition des multinationales.
Mes questions s'articuleront autour de notre modèle énergétique et de la guerre en Ukraine. Tout d'abord, la réduction de la dépendance aux énergies fossiles est-elle, selon vous, un élément constitutif de la politique de stabilité des prix ?
Ensuite, selon certains spécialistes, la situation en Ukraine semble accélérer le mouvement de dédollarisation du monde, surtout en Chine et en Russie, au profit de la valorisation de la monnaie de ces pays, même si 62 % des monnaies de réserve des banques centrales étaient encore détenues en dollars en 2022. Quels sont les risques de cette guerre des monnaies pour l'Union européenne et pour la France, et quelles pourraient en être les éventuelles opportunités ?
Enfin, selon Rosstat le service russe des statistiques, le PIB de la Russie n'a reculé que de 2,1 % en 2022 et le Fonds monétaire international – FMI – annonce pour 2023 des prévisions de croissance de l'économie russe de l'ordre de 0,3 %. Quelle analyse faites-vous de l'efficacité des sanctions contre la Russie ?
Monsieur le gouverneur, je voudrais appeler votre attention sur trois questions.
D'abord, la politique monétaire de la BCE a été bouleversée par la forte inflation, ce qui se traduit par une augmentation sensible des taux directeurs. Pourtant, l'inflation étant principalement importée par l'énergie et les matières premières, cette politique semble vouée à l'échec. Pire, le renforcement de la consolidation budgétaire pourrait détériorer encore la situation économique, pénalisant les populations qui souffrent déjà d'une grande précarité. Quelle est votre appréciation sur la politique monétaire menée ?
Deuxièmement, alors que de nombreuses banques commerciales dégagent des profits records et que leurs actionnaires se régalent, certaines d'entre elles, comme BNP Paribas, envisagent un plan social. Quel est le regard de la Banque de France sur ces situations ? Serait-elle encline à demander, dans un tel contexte, de réexaminer les plans de distribution des dividendes ?
Troisièmement, nombre de banques commerciales financent toujours des projets polluants, qui provoquent de la déforestation ou visent à l'ouverture de nouveaux gisements d'énergies fossiles. Quels sont les moyens dont disposent la Banque de France et la BCE, par le biais du refinancement, pour limiter ces investissements incompatibles avec le respect des accords de Paris ?
Cinq petites questions.
La première : jusqu'à quand et jusqu'à quel niveau les taux directeurs en Europe, en Grande-Bretagne et aux États-Unis augmenteront-ils ?
Deuxième question : de nombreux économistes pensent qu'aujourd'hui, l'outil monétaire n'est pas un outil efficace de lutte contre l'inflation. Partagez-vous cette analyse ?
Troisième question : comment expliquez-vous que le taux de chômage français ne remonte pas et baisse même très légèrement, alors même que le taux de croissance est très faible ?
Quatrième question : les banques centrales veulent combattre l'inflation pour la ramener à 2 %. Ne croyez-vous pas que, comme cela a déjà été le cas dans l'histoire économique française, l'inflation soit un moyen de résoudre le problème du surendettement public, qui est de l'ordre de 20 points de PIB, et du surendettement privé – au détriment, d'ailleurs, de l'épargne populaire ?
Dernière question : quelle est votre position sur les taux d'usure ? Êtes-vous favorable à l'idée de sortir du calcul les coûts d'assurance ?
Monsieur Amiel, il est vrai que l'inflation est moins forte en France que dans d'autres pays, et c'est tout à fait positif. Cette différence devrait néanmoins se réduire dans les mois qui viennent, évolution normale qui tient aussi au fait que la France a été parmi le les premiers pays à adopter le bouclier tarifaire, que la plupart des pays ont désormais fait leur – je reviendrai sur la réduction souhaitable de ce bouclier.
Le cœur de votre question était de savoir si le relèvement des taux de la BCE nous mettait en contradiction avec le financement de la transition climatique. Pardonnez-moi de redire, une fois encore, une phrase orthodoxe : notre boussole est l'inflation, que l'ensemble de vos questions ont suffisamment désignée comme la première préoccupation des Français. Je ne crois pas, du reste, que nous puissions construire une transition climatique disposant des investissements nécessaires sur un océan d'incertitudes inflationnistes. L'inflation est évidemment très désagréable pour nos concitoyens, en termes de pouvoir d'achat et d'inégalités, mais elle est surtout destructrice de confiance pour des projets à long terme, car elle introduit énormément d'incertitudes dans l'économie. Cela vaut aussi pour la transition climatique.
Pour ce qui est du verdissement de la politique monétaire, ma collègue Isabel Schnabel a fait allusion aux décisions prises en juillet 2021, lors de la revue stratégique de la politique monétaire. Ce point, qui a pu passer inaperçu, était très important. Le plan stratégique de la BCE de juillet 2021 reprenait très largement les propositions formulées dans un discours que j'avais prononcé pour la Banque de France en février 2021. Sans vouloir céder trop à l'autosatisfaction, je peux dire que cela peut être une fierté collective pour nous, Français.
D'autre part, autre source de fierté, la Banque de France a été classée par un groupe d'ONG internationales comme, de toutes les banques centrales du G20, et de loin, la première engagée dans le verdissement et la transition climatique. Nous verdissons les achats de titres de la BCE et nous franchirons bientôt l'étape décisive du verdissement du collatéral, à savoir les titres, beaucoup plus nombreux, que nous prenons en garantie pour nos opérations de refinancement.
Concernant la rénovation énergétique, les ménages doivent continuer à pouvoir accéder aux crédits immobiliers et à la part du crédit à la consommation susceptible de financer des travaux de rénovation. Je ne prétends pas que la situation soit idéale car il est plus difficile d'obtenir un prêt de rénovation sécurisé qu'un prêt immobilier du fait de l'absence de bien en gage mais cette difficulté n'est pas liée à la politique monétaire. Cependant, l'offre se développe, ce dont je me réjouis. Les établissements bancaires, stimulés par la concurrence, feront preuve de créativité en matière de prêts verts. En tout cas, il ne me semble pas que le relèvement des taux empêche d'obtenir un prêt immobilier. Notons au passage que personne ne nous a remerciés ou félicités lorsque les taux étaient bas. Maintenant qu'ils ont disparu, on les regrette, mais il faut avoir en tête qu'ils ne reflétaient pas une situation normale.
M. Tanguy ne sera pas étonné que je désapprouve le terme de « déni » qu'il a employé à propos de l'hyperinflation. Il a ensuite considéré que notre diagnostic, aligné sur celui de la FED, n'était pas pertinent. Nous subissons des critiques des deux côtés, comme souvent. On nous reproche, d'un côté, d'avoir agi trop tard, de l'autre, d'avoir trop agi. Nous ne sommes pas parfaits et nous avons dû faire face à des situations que personne n'avait prévues, en particulier en Europe : la guerre en Ukraine et les conséquences inflationnistes de la période post-covid. Nous avons su analyser avec sagesse les données économiques et nous avons agi rapidement lorsque la situation s'est éclaircie. L'outil monétaire est-il adapté à une inflation importée qui résulte, pour l'essentiel, du choc énergétique en Europe ? Je reconnais que ce ne fut pas le cas au début, ce qui explique que nous ayons eu besoin de plus de temps que les États-Unis. L'inflation européenne est avant tout une inflation par l'offre alors que celle qui sévit aux États-Unis est une inflation par la demande. Cette différence de nature tend cependant à s'estomper. Le choc énergétique joue un rôle beaucoup moins important dans l'inflation européenne. En revanche, cette fameuse inflation sous-jacente, généralisée, qui est le champ de la politique monétaire, continue à s'étendre. Nous sommes au cœur de la responsabilité de la politique monétaire. Au passage, je répondrai à M. de Courson que je crois à l'instrument monétaire dès lors que la nature de l'inflation est bien celle-ci. Il y a un an, on nous a demandé pourquoi nous relèverions les taux, puisque nous ne pouvons pas changer les tarifs du gaz et de l'électricité. C'est évident mais ce n'est plus la question : le problème de l'inflation dépasse largement celui des prix du gaz et de l'électricité. Nous n'en sommes pas au même niveau que les États-Unis – notre taux, en mars, sera de 3 % tandis que celui de la Fed s'établit à 4,75 % – mais lorsque l'inflation est généralisée, toutes les banques centrales du monde doivent agir.
Concernant les politiques productives, vous admettrez tous qu'il faut augmenter la capacité de production. M. Bouloux me demandait quelle était l'alerte numéro 1 : eh bien, c'est celle-ci. Les défis que nous devons relever à court terme ne doivent pas nous empêcher de cerner les transformations que nous devrons engager pour muscler notre capacité productive, qu'il s'agisse de la transformation écologique, de la transformation numérique ou de celle du travail. L'inflation résulte d'un déséquilibre entre la demande et l'offre. Nous devons augmenter l'offre, dans le respect des équilibres climatiques et de la cohésion sociale.
Quant aux outils statistiques, dont M. Tanguy met en doute la fiabilité, ils ne dépendent pas de la Banque de France mais de l'Insee. Sa critique ne nous mènera pas bien loin. Nous devrions au contraire nous réjouir de disposer d'un appareil de production de statistiques qui figure parmi les plus indépendants et les plus experts d'Europe.
Monsieur Maudet, je suis ravi d'apprendre que mes propos du 9 février ont fait du bien même si je n'ai pas eu le sentiment d'innover. Je n'ai rien à enlever à ce que j'ai dit mais je me suis simplement permis, à la fin de ma réponse au président, de symétriser le raisonnement. N'y voyez pas malice mais nous aimons tous le raisonnement des multiplicateurs et de l'autofinancement. Selon les sensibilités, on l'applique aux dépenses supplémentaires ou aux baisses d'impôt, pour considérer que ces mesures n'engendreront aucun coût supplémentaire puisqu'elles s'autofinanceront par le supplément d'activité. Quarante ans plus tard, la France est passée de 20 % de dette publique à 113 %. Ce type de raisonnement nous a fait oublier la sagesse paysanne.
La Banque de France n'a pas à se prononcer sur les baisses de cotisations qui ont pu être décidées dans le passé. Je remarquerai simplement qu'il serait temps d'arrêter de faire et de défaire pour, enfin, stabiliser la fiscalité. Nous rendrions un grand service à notre économie et à nos finances publiques.
Madame Louwagie, je ne connais pas en détail les mesures que le ministre a proposées. Certaines peuvent être utiles pour faciliter la transition mais nous n'emporterons la victoire contre l'inflation qu'en menant une politique monétaire adaptée et en prenant des mesures structurelles pour muscler l'offre.
Pour ce qui est des entreprises, l'Urssaf a repris les procédures de recouvrement, ce qui peut contribuer, c'est vrai, à la poursuite de l'augmentation du nombre des défaillances d'entreprises mais selon nos prévisions, il ne devrait pas dépasser la moyenne enregistrée durant les dix années qui ont précédé la crise sanitaire, soit 59 000 par an.
Vous m'avez interrogé sur les prix de l'énergie. Les entrepreneurs des conseils consultatifs que la Banque de France a installés dans chaque département, plutôt issus des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), étaient très inquiets, l'automne dernier, tout comme ceux que je rencontre régulièrement. Ils le sont un peu moins à présent. L'enquête mensuelle de conjoncture montre que les chefs d'entreprise sont moins nombreux à prévoir un impact de la situation énergétique sur leurs marges et leur activité dans les trois prochains mois. En gros, les chiffres sont stables depuis trois mois. Cependant, les difficultés de recrutement persistent. Selon notre dernière enquête mensuelle, 51 % des entreprises, tous secteurs confondus et dans l'ensemble du territoire, s'en plaignent.
Cependant, malgré le ralentissement de l'activité, le taux de chômage reste bas, aux alentours de 7 %, ce qui est une bonne nouvelle. Ce paradoxe peut s'expliquer. Les entreprises, à cause des difficultés de recrutement, gardent au maximum leurs salariés même lorsque l'activité ralentit et les mécanismes d'activité partielle appliqués lors de la crise sanitaire ont permis d'éviter des licenciements. La productivité, cependant, est moins bonne. Nous devrons renforcer notre capacité productive. C'est l'immense bataille que devra livrer en priorité le ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion, en développant l'apprentissage et la formation professionnelle. Il n'est pas admissible que 51 % des entreprises rencontrent des difficultés pour recruter alors que notre pays compte 2,5 millions de chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT), dont des centaines de milliers de jeunes. C'est un paradoxe social et économique inacceptable. Nous avons les moyens d'y mettre un terme car je ne crois pas que les Français, en particulier les jeunes, aient perdu le goût du travail. Il n'y a jamais eu autant de Français au travail qu'aujourd'hui – y compris en nombre d'heures travaillées ! Le dispositif de l'assurance chômage peut sans doute être amélioré mais ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : nous devons d'abord prendre des mesures pour que les besoins rencontrent les compétences.
Concernant le taux d'usure, je note avec plaisir que les questions sont moins nombreuses qu'à l'automne dernier. La Banque de France a décidé que le taux d'usure ferait l'objet d'un ajustement mensuel et non plus trimestriel. Cette mesure technique à caractère exceptionnel et temporaire, prévue pour une durée de six mois, est destinée à éviter l'exclusion de certains dossiers et la grande marche d'escalier trimestrielle. Je n'ai pas de chiffres mais il me semble qu'aucune catégorie n'a été exclue du fait de son âge ou de ses revenus. La répartition des crédits reste la même mais on a pu constater qu'en fin de trimestre, certains dossiers de demande de prêts étaient bloqués dans l'attente de la prochaine hausse significative du taux d'usure. Nous avons donc eu raison de prendre cette mesure dans une période où les taux augmentaient plus rapidement. Elle prendra fin l'été prochain, lorsque les taux seront stabilisés.
Monsieur Mattei, l'incertitude reste forte. La crise énergétique n'a pas frappé de la même manière toutes les entreprises. Le secteur de l'industrie a été plus fragilisé que celui des services et, au sein même de l'industrie, les entreprises énergo-intensives ont été plus touchées. Les dispositions prises portent leurs fruits, me semble-t-il. Peut-être conviendrait-il de les stabiliser et de les faire mieux connaître car les entreprises sont nombreuses à ignorer ces mécanismes qui ont beaucoup évolué – dans le bon sens, en général. Il est à présent plus important de les appliquer que de lancer de nouvelles annonces.
Concernant la durée des prêts, une marge est envisageable pour les collectivités locales. En revanche, les règles du HCSF (Haut Conseil de stabilité financière) sont plus contraignantes pour les particuliers puisque les prêts ne sauraient être accordés pour plus de vingt-cinq ans. J'y tiens personnellement pour prévenir tout risque de surendettement. Les prêts trop longs sont dangereux car les risques que surviennent des accidents de la vie sont accrus.
Enfin, je reconnais que les taux bas ont pu aggraver certaines inégalités de patrimoine mais ils ont réduit les inégalités de revenus, notamment par les créations d'emplois auxquelles ils ont contribué. Les créations d'emplois se traduisent par du revenu supplémentaire pour les catégories qui étaient exclues du marché du travail et qui, souvent, percevaient les salaires les plus bas. Symétriquement, on pourrait considérer que le resserrement de la politique monétaire diminue les inégalités. Ce n'est cependant pas sa finalité et je n'en tire aucune conséquence pour le débat fiscal.
Monsieur Bouloux, je le dis avec prudence car tout dépendra de l'évolution des prix de l'énergie mais pour le moment, l'évolution est favorable et nous pouvons raisonnablement espérer nous passer du bouclier tarifaire prochainement. Je salue la première étape qui a marqué le début de l'année : le relèvement de 15 % des prix du gaz et de l'électricité et la transformation de la ristourne à la pompe, dispositif énergivore qui encourageait la consommation, en un chèque carburant de 100 euros ciblé vers les ménages moins favorisés. Ces mesures allaient dans le bon sens et il serait souhaitable que dans les deux prochaines années, nous mettions progressivement fin aux boucliers tarifaires, d'abord pour les ménages les plus aisés. Le retour des tarifs de l'énergie à des niveaux plus raisonnables devrait faciliter cette mesure.
Madame Gérard, des éléments mécaniques expliquent les chocs temporaires d'inflation. La hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation a été spectaculaire et a eu des conséquences immédiates pour le pouvoir d'achat de nos concitoyens mais c'est temporaire. L'effet de base commence à se produire pour l'énergie et ne devait pas tarder à suivre pour l'alimentation, d'ici la fin de cette année ou au début de l'année prochaine. Le reste relève de notre responsabilité. C'est la justification de notre indépendance et nous devons obtenir des résultats sur l'inflation. D'ailleurs, nous rendrons compte régulièrement. Nous pensons ramener l'inflation à 2 % d'ici 2024-2025 parce que les économistes estiment qu'en général, le délai d'action de la politique monétaire est de l'ordre de dix-huit mois à deux ans.
Concernant les 3 % de déficit public, le niveau d'activité est plus favorable que prévu, ce qui est une bonne nouvelle. Ce doit être une raison de plus pour gérer avec sagesse, prudence et rigueur nos finances publiques. La charge de la dette augmentera, en effet. Remarquons au passage que durant la période où les taux ont été très bas, entre 2015 et 2021, la Banque de France a reversé à l'État, qui est son actionnaire, 31 milliards d'euros d'impôts sur les sociétés et de dividendes. Les effets d'une politique de taux bas en termes d'économies sur la dette publique sont considérables – plus de 100 milliards d'euros – mais on ne peut pas faire d'une période exceptionnelle la norme.
Madame Arrighi, je suis d'accord avec vous concernant la transition écologique. On a dit, il y a un an, que l'invasion de l'Ukraine et la réouverture des centrales à charbon mettraient à mal la transition écologique. Je ne le pense pas. L'invasion de l'Ukraine représente au contraire une raison supplémentaire d'assurer notre indépendance énergétique. Or l'indépendance énergétique de l'Europe passe nécessairement par le développement des énergies non carbonées, le renouvelable et le nucléaire, puisque nous n'avons pas d'énergie carbonée.
Le risque de guerre des monnaies renvoie au risque de fragmentation, pour reprendre un terme du jargon international. Nous disposions d'un espace commercial et financier à peu près intégré. Je n'en fais pas un idéal, car l'ouverture commerciale ou financière doit s'accompagner de règles. C'est le travail du Haut Conseil de stabilité financière. Des indices de fermeture commencent à apparaître, davantage dans l'ordre commercial que dans l'ordre monétaire. Il est évident que la Chine souhaite internationaliser sa monnaie pour en faire une alternative au dollar. Le dollar et l'euro restent des monnaies dominantes sur le plan du commerce international et des flux financiers internationaux. Sans nier les difficultés géopolitiques, il ne serait pas souhaitable que le monde se cloisonne. L'orthodoxie des flux internationaux n'est pas en cause mais le bien-être de nos concitoyens, oui. Le commerce mondial ordonné a permis aux pays du sud et à de nombreux consommateurs des pays du nord de s'enrichir, précisément parce que des règles avaient été posées.
S'agissant des sanctions en Russie, le recul de l'économie russe a été moins fort qu'on ne le prévoyait il y a un an, car la hausse des cours de l'énergie a bénéficié à la Russie et ce pays a su s'adapter à une économie de guerre. Je n'en déduis pas pour autant que les sanctions ont été inefficaces. Surtout, il aurait été moralement et politiquement délicat de maintenir les relations commerciales comme si de rien n'était avec un pays qui en a agressé un autre. Mais de l'avis général, l'économie russe pâtira davantage, à long terme, d'un manque de potentiel de croissance que des sanctions internationales. Des économistes russes parlent de « réindustrialisation à l'envers ». L'économie russe souffrait d'un handicap avant même l'invasion de l'Ukraine en ce qu'elle était concentrée sur l'énergie et l'industrie lourde. Ce sont des secteurs très importants mais pas forcément porteurs d'avenir. Or la guerre a conduit l'économie russe à encore plus se refermer sur ces secteurs traditionnels au détriment de la diversification technologique, qu'elle a négligée. Le retard technologique de la Russie va s'accroître, sans parler de l'interdiction d'importer des composants.
Monsieur Tellier, pour ce qui est des profits des banques commerciales, je voudrais nuancer la notion de record. Ce fut le cas pour certaines, pas pour d'autres. Les résultats de l'ensemble des banques françaises en 2022 sont à peu près équivalents à ceux de l'année précédente. La solidité des banques est un atout de l'économie française. La crise financière de 2008-2009 était une crise bancaire. À l'époque, nous aurions été bien contents de pouvoir compter sur des banques plus solides en Europe. Pour autant, les banques sont là pour financer l'économie et elles le font correctement. Si les entreprises doivent lancer des plans sociaux, ce n'est pas à nous de nous en mêler mais les entreprises ne doivent pas négliger le dialogue social ni la protection des droits des salariés.
Concernant le financement de projets polluants, nous prêtons une attention particulière au suivi des risques climatiques dans le bilan des banques. Nous avons fait d'énormes progrès en matière de verdissement de la supervision bancaire et la Banque de France s'est tenue à l'avant-scène. Nous avons créé à Paris, fin 2007, le réseau pour le verdissement du système financier (NGFS). Le secrétariat de ce réseau, qui compte plus de 120 superviseurs et banques centrales, est installé à Paris. Le risque climatique fait partie des risques financiers et nous demandons aux banques – accessoirement aux compagnies d'assurance –, de gérer, publier et réduire les risques climatiques qu'elles prennent, même s'il est probable que nous ne puissions pas mettre fin au financement de projets énergétiques dont nous avons besoin pour notre indépendance.
Monsieur de Courson, sans vous surprendre, je ne répondrai pas à votre première question, qui est de savoir jusqu'où les taux monteront, mais j'ai donné dans mon propos introductif des éléments se rapportant au calendrier et au retournement de cette fameuse inflation sous-jacente, qui est, me semble-t-il, le critère de jugement. Je crois à l'efficacité des outils monétaires. S'agissant du taux de l'usure, je ne suis pas partisan de sortir le taux d'assurance parce que ce serait changer le thermomètre sans rien régler. Accessoirement, c'est la loi.
Vous vous demandez si l'inflation ne serait pas le moyen de résoudre nos excès d'endettement, notamment l'endettement public. Je ne crois pas que ce soit une solution pour l'endettement public car la France continue, comme la plupart des pays, à s'endetter régulièrement. Nous faisons des adjudications chaque semaine. Dès lors que l'inflation monte, les taux d'intérêt augmentent, jusqu'à dépasser le niveau de l'inflation car les investisseurs détestent l'incertitude. Au coût de l'inflation, que l'on incorpore dans les taux, s'ajoute une prime de risque tenant à l'incertitude liée à l'inflation. L'inflation, contrairement à une idée répandue, augmente significativement et plus que proportionnellement le taux des nouveaux emprunts dès lors que nous en contractons beaucoup. L'effet est immédiat mais temporaire. Ce que vous dites peut être vrai pour des acteurs privés qui n'ont pas de nouveaux besoins d'endettement et sont endettés à taux fixe. Cependant, à supposer que l'inflation soit un moyen de résoudre le sujet, ce qu'elle n'est pas, ce serait un mauvais moyen car il est opaque et opère des transferts entre épargnants et emprunteurs. Ce n'est pas ma conception de l'impôt. S'il doit exister il doit être transparent et équitable.
Nous sommes heureux d'entendre que, pour vaincre durablement l'inflation, la bonne arme n'est pas budgétaire, mais monétaire et structurelle, par l'accroissement de l'offre de biens et de services.
Les chiffres de l'Insee montrent néanmoins que les baisses d'impôts, singulièrement la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, la fin de la taxe d'habitation et l'élargissement des primes de partage de la valeur, ont contribué l'an passé à renforcer la progression du pouvoir d'achat, aussi bien que les mesures d'accompagnement des plus vulnérables.
Le taux d'usure est désormais mensualisé ; c'est une bonne chose pour protéger ceux de nos concitoyens qui souhaitent accéder à la propriété. Envisagez-vous dès à présent de pérenniser cette mensualisation ? Pensez-vous proposer, comme certaines associations l'ont suggéré, un taux d'usure majoré pour l'acquisition de résidences dont le diagnostic de performance énergétique est très favorable ?
N'y a-t-il pas un paradoxe à s'interroger, voire à s'inquiéter, au sujet de la soutenabilité de notre dette publique lorsque l'on constate que les émissions obligataires françaises restent très bien accueillies ?
N'y a-t-il pas un paradoxe à s'interroger, voire à s'inquiéter, au sujet de la remontée des taux d'intérêt et de ses conséquences négatives sur l'activité économique tout en constatant que notre croissance est forte, nos investissements domestiques soutenus et que nous restons le premier pays d'accueil des investissements directs étrangers ?
N'y a-t-il pas un paradoxe à faire référence dans nos réflexions macro-économiques à la croissance potentielle et au déficit structurel, alors même que vous disiez en mai 2022 devant le Haut Conseil des finances publiques « que personne ne comprend vraiment, et même ne sait précisément calculer » le déficit structurel, et que l'on pourrait sans doute le dire aussi du PIB potentiel ?
N'y a-t-il pas encore un paradoxe à calculer ce dernier en ne tenant compte que de deux facteurs de production, le travail et le capital, alors qu'un troisième, l'énergie, devient de plus en plus prégnant ? Ne faudrait-il pas revoir la méthode de calcul afin de tenir compte de l'efficacité et de la sobriété énergétique dans le processus de production et de création de valeur ?
La dernière fois que vous êtes venu ici, il y a quelques mois, j'ai évoqué l'apparent paradoxe d'une inflation forte accompagnée d'une hausse de l'épargne. Depuis, la dynamique s'est poursuivie : en janvier, les dépôts sur les livrets d'épargne, notamment le livret A, ont atteint un niveau record depuis quinze ans, et l'encours cumulé du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS) s'élève à 520 milliards d'euros, un montant bien supérieur à celui du budget de l'État. Que faut-il penser de cette situation ?
J'ai entendu parler de l'idée de modifier les règles applicables au LDDS pour contraindre davantage celui-ci et orienter l'épargne qui y est déposée. Que pensez-vous de ce débat naissant dans les cercles autorisés ?
Vous parlez d'inflation sous-jacente. En simplifiant, on pourrait dire que le choc énergétique a entraîné une inflation par l'offre, tandis que les mesures annoncées par Bruno Le Maire, notamment l'augmentation des salaires, vont créer une inflation par la demande. Comment gérer les deux ?
Vous semblez considérer que le choc énergétique est derrière nous, mais ses conséquences continuent de se faire sentir, en particulier sur les bailleurs sociaux, dont les prêts sont indexés sur le taux du livret A : le relèvement de celui-ci va conduire à une énorme baisse du nombre de mises en chantier en 2023.
La dépense publique absorbe 59 % du PIB. Comment améliorer son efficacité, qui laisse à désirer ?
Au sujet de l'inflation, qui nous préoccupe beaucoup depuis de nombreux mois, les informations récentes sont inquiétantes. Selon le PDG de Système U, l'inflation alimentaire atteindra 25 % dans le courant de l'année. L'étude Nielsen parue il y a quelques jours indique que, pour un ménage moyen, le surcoût des courses en 2023 par rapport à 2021 s'élèvera à 790 euros. Le porte-parole du Gouvernement lui-même a reconnu que l'inflation entre mars 2022 et mars 2023 serait de 10 %.
Il faut donc faire la différence entre la croissance réelle annoncée et la perte de niveau de vie des Français. On nous parle d'une croissance de 2,6 % en 2022, mais l'inflation a été de plus du double. Comment, dans ces conditions, parler encore de progression du pouvoir d'achat des Français ? Malgré la politique du chèque sous condition de ressources et les différents boucliers énergétiques à crédit – qui renforcent eux-mêmes le phénomène inflationniste –, pour les ménages moyens, dans tous les domaines, l'augmentation des prix est bien supérieure à celle de leurs ressources.
Comment évalue-t-on la perte de ressources moyenne que subissent les Français et celle qu'ils subiront dans les mois à venir ? Peut-on s'attendre, du fait de l'explosion de la charge de la dette et des différents facteurs que vous avez mentionnés, à une perte de niveau de vie de plus de 10 % pour un ménage français moyen ? Cela fera partie du bilan d'Emmanuel Macron.
Comme mon collègue Di Filippo, je vous alerte au sujet de la présentation de l'inflation en moyenne. Il est très violent pour les ménages qui perdent en pouvoir d'achat d'entendre parler d'une amélioration de celui-ci au quatrième trimestre, alors qu'elle est due notamment à la dernière phase de suppression de la taxe d'habitation, qui concerne par définition les 20 % les plus aisés.
Vous avez parlé de mesures ciblées à propos du chèque carburant. Certes, le dispositif est destiné aux travailleurs, mais l'aide est la même qu'ils résident à 5 ou à 50 kilomètres de leur lieu de travail : en matière de ciblage, on peut faire mieux.
Enfin, pardonnez-moi le caractère très local de ma question, mais le projet de transfert de l'imprimerie de la Banque de France de Chamalières à Vic-le-Comte suit-il le calendrier prévu ?
Dans le cadre de la lutte contre la fraude, notamment le blanchiment, j'aimerais savoir quelle est la tendance en matière d'utilisation des espèces en France et dans la zone euro.
La cotation Banque de France des entreprises a changé depuis le 8 janvier 2022. Pourquoi, et dans quelle mesure les éléments extrafinanciers y sont-ils pris en compte ?
Compte tenu de la relation étroite entre dépendance aux énergies fossiles, volatilité des prix et inflation, la réduction de cette dépense est-elle un élément constitutif de la politique de stabilité des prix ?
Dans un avis publié le 16 janvier au sujet de l'EPBD ( Energy Performance of Buildings Directive, directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments), la BCE s'est exprimée en faveur d'une ambitieuse politique de rénovation énergétique des bâtiments, notant un effet positif de la rénovation énergétique sur la stabilité des prix. Sur le fondement de ce constat simple, et en tenant compte des importants bénéfices sociaux et environnementaux d'une rénovation efficace, que pourraient faire la Banque de France et la BCE pour soutenir cette priorité européenne et française ?
Le 16 août dernier a été promulguée outre-Atlantique la loi sur la réduction de l'inflation, clairement protectionniste. Face à cela, le Conseil européen s'est contenté comme d'habitude d'une déclaration d'intentions. Selon vous, quelle attitude et quelles solutions la BCE et les États européens devraient-ils adopter pour ne pas aggraver encore le déficit abyssal de notre commerce extérieur ?
Je ne peux pas m'empêcher de revenir sur votre déclaration quasi mélenchoniste aux « Quatre vérités ». Une toute petite partie de la population – la clientèle et les amis du pouvoir en place – est peut-être concernée par la baisse d'impôts, mais l'écrasante majorité des Français constate bien que nous sommes les vice-champions d'Europe des impôts. Le matraquage fiscal permanent de nos classes moyennes, de nos TPE et de nos PME n'est-il pas, au contraire de ce que vous avez affirmé, un frein pour notre économie ?
C'est la première fois de ma longue carrière de gouverneur que je suis qualifié de « quasi mélenchoniste » – je vous laisserai débattre entre vous de la question de savoir s'il s'agit d'un compliment, mais je me permets de récuser le qualificatif, comme je le ferais de tout autre qui se rapporterait à n'importe quel leader de la vie politique française. Très sérieusement, la Banque de France tient à son indépendance : nous n'avons pas à faire de choix politique.
Monsieur Lefèvre, la mensualisation du taux d'usure n'est pas une mesure pérenne et sa majoration pour performance énergétique n'est pas envisagée dans l'état actuel de la loi et des règlements. La Banque de France est là pour appliquer la loi, non pour la faire – je le dis dans l'enceinte de la démocratie. Je n'ai pas de suggestion à formuler à ce sujet. Les circonstances exceptionnelles prévues par la loi m'ont permis de procéder à cet ajustement mensuel, mais à titre également exceptionnel. Je crois qu'il s'agit d'un bon point d'équilibre pour protéger les emprunteurs – ce matin, le taux d'usure sur les prêts à vingt et vingt-cinq ans est passé au-dessus de 4 %, ce qui a commencé à susciter des questions en sens contraire. J'ai beaucoup souligné à l'automne que je tenais à cet équilibre, et je le répète.
Monsieur Labaronne, les paradoxes que vous soulignez montrent un état de fait à propos duquel je vous rejoins volontiers : notre capacité, à nous, Français, de réussir – alors même que, contrairement à ce que croient beaucoup d'observateurs étrangers, nous ne péchons pas par excès de fierté et avons au contraire plutôt tendance à nous flageller. Ma constatation n'a aucun caractère politique : j'ai salué nos réussites sous différentes majorités, plusieurs d'entre vous en sont témoins. Cela n'empêche pas d'être lucide quant à nos problèmes.
Il est vrai que nos émissions obligataires restent bien accueillies. Je crois n'avoir jamais fixé un seuil précis en matière de soutenabilité de la dette ; ce qui est préoccupant, c'est la tendance : la dette publique n'a cessé d'augmenter depuis quarante ans, de sorte que nous léguons à la génération suivante une charge de la dette en hausse. On le voit très bien dans plusieurs domaines sur lesquels ont porté vos questions ; ainsi, l'augmentation des taux d'intérêt signifie que, parmi les dépenses du budget, il y a de moins en moins de place pour le reste. Si les intérêts de la dette doivent évidemment être payés, ce n'est pas la dépense la plus prometteuse pour construire l'avenir de notre pays. Certains États – non seulement l'Allemagne, mais à peu près tous les pays du Nord de l'Europe – ont réussi à stabiliser durablement leur dette, voire à la faire reculer ; nous, non.
Quant au calcul du déficit structurel, je répète qu'il est beaucoup trop compliqué. Il serait souhaitable de remplacer cet indicateur par une norme de dépense dans le cadre de l'évolution des règles du pacte de stabilité. C'est ce que propose la Commission. Cela aurait à peu près le même effet économique, avec cet avantage que tout le monde comprendrait.
Le calcul du PIB potentiel est lui aussi très compliqué. Je doute qu'il existe une définition miracle. Je prends ce concept avec prudence, mais je lui reconnais une certaine utilité : il indique une sorte de vitesse de croisière de l'économie française. L'augmenter est précisément l'enjeu de la musculation de l'appareil productif dont nous avons parlé.
Monsieur Sitzenstuhl, l'encours du livret A augmente, mais je serais plus prudent avant d'en dire autant de l'épargne globale des Français, car une bonne partie des sommes qui alimentent le livret A viennent de transferts de comptes de dépôt. Nous en avions parlé ici même à l'automne dernier, il peut y avoir en la matière des effets contradictoires : on peut aller piocher dans son épargne pour préserver sa consommation comme augmenter son épargne pour tenir compte de l'incertitude qu'entraîne l'inflation. Jusqu'à présent, nous avons plutôt eu l'impression que ces deux effets se compensaient, mais je le dis avec beaucoup de prudence. En revanche, il est exact que le livret A a enregistré des transferts record, surtout après l'annonce du taux de 3 %.
La réflexion concernant la concentration accrue du LDDS sur les produits verts est conduite par Bercy. La Banque de France sera prête à l'appuyer, mais c'est au ministre de la commenter. Je dirai seulement que cette évolution paraît intéressante, même si elle n'est pas facile techniquement.
Madame Dalloz, en fixant le taux du livret A, nous devons être attentifs aux intérêts des deux parties : ceux des épargnants, mais aussi ceux des emprunteurs, qui ne sont pas n'importe lesquels puisqu'il s'agit des bailleurs sociaux. Voilà pourquoi, lors de la révision décidée mi-janvier par le ministre, j'ai proposé que l'on n'applique pas l'intégralité de la formule et que l'on s'en tienne à 3 %, ce qui représente déjà une hausse très significative pour les épargnants. Il importe en effet, en liaison avec la Caisse des dépôts et le secteur du logement social, de préserver la capacité de construction, essentielle à notre activité économique et à notre cohésion sociale. Je ne dis rien de ce qui se passera par la suite, mais nous devrons veiller à cet équilibre lors des prochaines modifications touchant le livret A.
J'ai dit et je répète qu'il me paraît important que les salaires – en dehors du Smic, dont l'indexation sur l'inflation est un élément central de justice sociale – restent décentralisés : ce n'est ni à la Banque de France ni au pouvoir exécutif de les fixer. Nous ne voyons pas aujourd'hui à l'œuvre une spirale prix-salaires. Il existe un phénomène d'augmentation nominale des salaires, mais conforme à nos prévisions. La réapparition durable d'une indexation des salaires ne ferait que des perdants. Quand j'ai dit que nous étions déterminés à vaincre l'inflation sous-jacente, j'avais aussi cet élément d'analyse à l'esprit.
Je partage avec vous – et certainement avec beaucoup de parlementaires – l'objectif d'efficacité de la dépense publique. En la matière, il faut parler non seulement de quantité, mais aussi de qualité, ce que l'on fait trop rarement. Pour le dire un peu trop simplement, il est possible de gagner encore en efficacité s'agissant des dépenses de fonctionnement courant – la Banque de France l'a fait à sa modeste échelle – et d'orienter les marges ainsi gagnées vers les dépenses d'avenir : investissement, éducation, formation. Je ne peux que souhaiter que l'on parle davantage d'efficacité, d'action, de résultat et d'évaluation – une évaluation de la dépense publique dans laquelle votre commission prend toute sa part.
Monsieur Di Filippo, madame Pires Beaune, le pouvoir d'achat n'évolue évidemment pas de la même façon dans les différentes catégories de population. C'est un sujet compliqué, qu'il faut regarder avec attention. D'après nos observations et celles de l'Insee, il semble plutôt que, compte tenu du ciblage de certaines mesures de soutien et de l'indexation du Smic, le pouvoir d'achat ait été un peu mieux protégé pour les déciles de revenu les plus bas. Je le dis avec beaucoup de prudence ; c'est à confirmer. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de différences selon la localisation et l'âge, deux critères qui nous paraissent plus déterminants que le revenu.
En en restant aux moyennes, je ne peux pas ne pas réagir à l'invocation d'une perte de pouvoir d'achat de 10 % en guise de bilan du Président de la République. Je ne suis pas là pour dresser ce bilan, mais, même s'il s'agit d'une moyenne, le pouvoir d'achat a progressé de 8 % depuis 2015 et de 6 % depuis 2017. Je sais que ce n'est pas la perception de nos concitoyens, mais considérons cette moyenne, et voyons aussi les problèmes d'inégalités qui peuvent se poser.
Madame Pires Beaune, je ne veux choquer personne en donnant ces chiffres moyens. Je le répète, il y a bien des différences d'évolution du pouvoir d'achat ; j'invite seulement à la prudence dans la mesure où elles ne semblent pas principalement liées à l'inégalité de revenu.
Enfin, je vous confirme que le projet de transfert de l'imprimerie de la Banque de France à Vic-le-Comte avance. Nous avons en France – autre motif de fierté collective – la première imprimerie publique d'Europe. Mais ses magnifiques locaux de Chamalières ne sont pas tout à fait adaptés à la production du XXIe siècle et, surtout, à l'exigence d'un bon bilan énergétique. Le transfert doit s'accompagner d'un plan de compétitivité, qui, sans remettre le moins du monde en cause le statut des salariés de l'imprimerie, doit nous permettre d'être aussi efficaces que nos concurrents privés, et d'une négociation avec les différents corps de métier impliqués dans les appels d'offres, afin de maintenir le budget d'investissement à un niveau raisonnable – il nous arrive d'avoir des négociations un peu serrées avec des fournisseurs.
Monsieur Laqhila, la tendance reste à la diminution de l'usage des espèces. Une enquête européenne que nous avons publiée témoigne de la poursuite de ce déclin, qui est relativement rapide. Néanmoins, les transactions en espèces – s'agissant des achats sur le point de vente – restent majoritaires en nombre, même si elles sont devenues nettement minoritaires en valeur. Les Français paient encore assez souvent les petits achats en espèces, bien que le sans contact ait réduit la prévalence de cette pratique, et les gros montants par carte ou par virement. Cela étant, je veux redire avec beaucoup de force que nous n'abandonnerons jamais les espèces. Si leur usage en transaction diminue, leur quantité détenue se maintient et a même tendance à augmenter. C'est important pour notre activité de production ; en revanche, pour l'activité de transaction, nous avons redimensionné notre réseau de caisses – et nous le ferons à nouveau périodiquement, autant qu'il le faudra –, car l'activité de tri de billets diminue.
Nous avons été amenés à faire évoluer notre cotation des entreprises dans le cadre d'une réglementation européenne, passant de neuf à vingt-deux échelons. J'ai l'impression que cette évolution s'est plutôt bien passée : nous l'avons expliquée aux entreprises et aux banques, de la part desquelles elle a suscité peu de questions. Elle était impérative pour conserver un avantage français, en associant à la cotation européenne notre capacité à présenter les créances privées au refinancement de la banque centrale.
Cette cotation n'intègre pas encore le climat : ce n'était pas prévu par la réglementation européenne. Nous voulons le faire en étant aussi crédibles qu'en matière financière. Nous allons donc développer un indicateur climat et un indicateur de la transition climatique pour les entreprises – c'est une façon de les aider et de les éclairer – qui sera, dans un premier temps, distinct de la cotation financière, en l'appliquant d'abord aux plus grandes entreprises avant de le diffuser progressivement.
Monsieur Chauche, la rénovation énergétique est très importante, mais je ne crois pas que son bon financement dépende uniquement du niveau des taux d'intérêt. La banque centrale fixe un taux d'intérêt pour l'ensemble de l'économie : ce n'est pas notre rôle de définir des taux sectoriels ou bonifiés selon telle ou telle priorité, c'est un choix politique qui relève des gouvernements. Je sais que cette question se pose beaucoup ; elle avait été évoquée à l'automne. Nous suivons avec attention la distribution des crédits correspondants par les banques ; je n'ai pas de source majeure d'inquiétude, mais il faut rester vigilants.
Monsieur Allisio, la loi IRA ( Inflation Reduction Act ) est bien un sujet de préoccupation. Justifiée du point de vue américain, elle a en effet une dimension protectionniste. Vous ne serez pas surpris que je marque la nuance par rapport à votre affirmation selon laquelle le Conseil européen aurait réagi « comme d'habitude » par une déclaration. Là aussi, un peu de fierté, européenne cette fois : depuis 2020, l'Europe a plutôt montré sa capacité d'action et le traitement de la crise du covid y a été nettement meilleur qu'aux États-Unis, sans parler de la Chine ou de la Russie.
Quant au fond, il est essentiel que nous développions notre propre capacité de financement de tels investissements. La Banque de France n'en est pas directement chargée, mais j'ai lu comme vous des analyses selon lesquelles, quand on additionne les mécanismes nationaux et européens, la puissance de feu européenne est à peu près similaire à celle de l'IRA, voire supérieure. Encore faut-il le faire savoir. En outre, les dispositifs sont trop nombreux et trop différents d'un pays à l'autre. Je ne peux que souhaiter que l'on aille vers davantage de financement européen, en évitant trop d'aides locales, qui créent des distorsions de concurrence. De ce point de vue, le programme Next Generation EU de juillet 2020, né d'une initiative franco-allemande, allait dans le bon sens. Utilisons pleinement tous ses crédits et, si possible, amplifions-les.
Information relative à la commission
La commission a décidé, en application de l'article L 331-3 du code des juridictions financières, de demander au Conseil des prélèvements obligatoires une étude portant sur les taux d'imposition implicite des bénéfices des entreprises.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 9 heures 30
Présents. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Manuel Bompard, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Fabrice Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Florian Chauche, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, M. Fabien Di Filippo, M. Benjamin Dirx, Mme Stella Dupont, Mme Marina Ferrari, Mme Félicie Gérard, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, Mme Nadia Hai, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, M. Benoit Mournet, Mme Mathilde Paris, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Sébastien Rome, M. Xavier Roseren, M. Michel Sala, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Jean-Marc Tellier
Excusés. - M. Christian Baptiste, Mme Émilie Bonnivard, Mme Constance Le Grip, Mme Karine Lebon, Mme Lise Magnier, M. Robin Reda, M. Alexandre Sabatou
Assistait également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup