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Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 9h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

C'est la première fois de ma longue carrière de gouverneur que je suis qualifié de « quasi mélenchoniste » – je vous laisserai débattre entre vous de la question de savoir s'il s'agit d'un compliment, mais je me permets de récuser le qualificatif, comme je le ferais de tout autre qui se rapporterait à n'importe quel leader de la vie politique française. Très sérieusement, la Banque de France tient à son indépendance : nous n'avons pas à faire de choix politique.

Monsieur Lefèvre, la mensualisation du taux d'usure n'est pas une mesure pérenne et sa majoration pour performance énergétique n'est pas envisagée dans l'état actuel de la loi et des règlements. La Banque de France est là pour appliquer la loi, non pour la faire – je le dis dans l'enceinte de la démocratie. Je n'ai pas de suggestion à formuler à ce sujet. Les circonstances exceptionnelles prévues par la loi m'ont permis de procéder à cet ajustement mensuel, mais à titre également exceptionnel. Je crois qu'il s'agit d'un bon point d'équilibre pour protéger les emprunteurs – ce matin, le taux d'usure sur les prêts à vingt et vingt-cinq ans est passé au-dessus de 4 %, ce qui a commencé à susciter des questions en sens contraire. J'ai beaucoup souligné à l'automne que je tenais à cet équilibre, et je le répète.

Monsieur Labaronne, les paradoxes que vous soulignez montrent un état de fait à propos duquel je vous rejoins volontiers : notre capacité, à nous, Français, de réussir – alors même que, contrairement à ce que croient beaucoup d'observateurs étrangers, nous ne péchons pas par excès de fierté et avons au contraire plutôt tendance à nous flageller. Ma constatation n'a aucun caractère politique : j'ai salué nos réussites sous différentes majorités, plusieurs d'entre vous en sont témoins. Cela n'empêche pas d'être lucide quant à nos problèmes.

Il est vrai que nos émissions obligataires restent bien accueillies. Je crois n'avoir jamais fixé un seuil précis en matière de soutenabilité de la dette ; ce qui est préoccupant, c'est la tendance : la dette publique n'a cessé d'augmenter depuis quarante ans, de sorte que nous léguons à la génération suivante une charge de la dette en hausse. On le voit très bien dans plusieurs domaines sur lesquels ont porté vos questions ; ainsi, l'augmentation des taux d'intérêt signifie que, parmi les dépenses du budget, il y a de moins en moins de place pour le reste. Si les intérêts de la dette doivent évidemment être payés, ce n'est pas la dépense la plus prometteuse pour construire l'avenir de notre pays. Certains États – non seulement l'Allemagne, mais à peu près tous les pays du Nord de l'Europe – ont réussi à stabiliser durablement leur dette, voire à la faire reculer ; nous, non.

Quant au calcul du déficit structurel, je répète qu'il est beaucoup trop compliqué. Il serait souhaitable de remplacer cet indicateur par une norme de dépense dans le cadre de l'évolution des règles du pacte de stabilité. C'est ce que propose la Commission. Cela aurait à peu près le même effet économique, avec cet avantage que tout le monde comprendrait.

Le calcul du PIB potentiel est lui aussi très compliqué. Je doute qu'il existe une définition miracle. Je prends ce concept avec prudence, mais je lui reconnais une certaine utilité : il indique une sorte de vitesse de croisière de l'économie française. L'augmenter est précisément l'enjeu de la musculation de l'appareil productif dont nous avons parlé.

Monsieur Sitzenstuhl, l'encours du livret A augmente, mais je serais plus prudent avant d'en dire autant de l'épargne globale des Français, car une bonne partie des sommes qui alimentent le livret A viennent de transferts de comptes de dépôt. Nous en avions parlé ici même à l'automne dernier, il peut y avoir en la matière des effets contradictoires : on peut aller piocher dans son épargne pour préserver sa consommation comme augmenter son épargne pour tenir compte de l'incertitude qu'entraîne l'inflation. Jusqu'à présent, nous avons plutôt eu l'impression que ces deux effets se compensaient, mais je le dis avec beaucoup de prudence. En revanche, il est exact que le livret A a enregistré des transferts record, surtout après l'annonce du taux de 3 %.

La réflexion concernant la concentration accrue du LDDS sur les produits verts est conduite par Bercy. La Banque de France sera prête à l'appuyer, mais c'est au ministre de la commenter. Je dirai seulement que cette évolution paraît intéressante, même si elle n'est pas facile techniquement.

Madame Dalloz, en fixant le taux du livret A, nous devons être attentifs aux intérêts des deux parties : ceux des épargnants, mais aussi ceux des emprunteurs, qui ne sont pas n'importe lesquels puisqu'il s'agit des bailleurs sociaux. Voilà pourquoi, lors de la révision décidée mi-janvier par le ministre, j'ai proposé que l'on n'applique pas l'intégralité de la formule et que l'on s'en tienne à 3 %, ce qui représente déjà une hausse très significative pour les épargnants. Il importe en effet, en liaison avec la Caisse des dépôts et le secteur du logement social, de préserver la capacité de construction, essentielle à notre activité économique et à notre cohésion sociale. Je ne dis rien de ce qui se passera par la suite, mais nous devrons veiller à cet équilibre lors des prochaines modifications touchant le livret A.

J'ai dit et je répète qu'il me paraît important que les salaires – en dehors du Smic, dont l'indexation sur l'inflation est un élément central de justice sociale – restent décentralisés : ce n'est ni à la Banque de France ni au pouvoir exécutif de les fixer. Nous ne voyons pas aujourd'hui à l'œuvre une spirale prix-salaires. Il existe un phénomène d'augmentation nominale des salaires, mais conforme à nos prévisions. La réapparition durable d'une indexation des salaires ne ferait que des perdants. Quand j'ai dit que nous étions déterminés à vaincre l'inflation sous-jacente, j'avais aussi cet élément d'analyse à l'esprit.

Je partage avec vous – et certainement avec beaucoup de parlementaires – l'objectif d'efficacité de la dépense publique. En la matière, il faut parler non seulement de quantité, mais aussi de qualité, ce que l'on fait trop rarement. Pour le dire un peu trop simplement, il est possible de gagner encore en efficacité s'agissant des dépenses de fonctionnement courant – la Banque de France l'a fait à sa modeste échelle – et d'orienter les marges ainsi gagnées vers les dépenses d'avenir : investissement, éducation, formation. Je ne peux que souhaiter que l'on parle davantage d'efficacité, d'action, de résultat et d'évaluation – une évaluation de la dépense publique dans laquelle votre commission prend toute sa part.

Monsieur Di Filippo, madame Pires Beaune, le pouvoir d'achat n'évolue évidemment pas de la même façon dans les différentes catégories de population. C'est un sujet compliqué, qu'il faut regarder avec attention. D'après nos observations et celles de l'Insee, il semble plutôt que, compte tenu du ciblage de certaines mesures de soutien et de l'indexation du Smic, le pouvoir d'achat ait été un peu mieux protégé pour les déciles de revenu les plus bas. Je le dis avec beaucoup de prudence ; c'est à confirmer. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de différences selon la localisation et l'âge, deux critères qui nous paraissent plus déterminants que le revenu.

En en restant aux moyennes, je ne peux pas ne pas réagir à l'invocation d'une perte de pouvoir d'achat de 10 % en guise de bilan du Président de la République. Je ne suis pas là pour dresser ce bilan, mais, même s'il s'agit d'une moyenne, le pouvoir d'achat a progressé de 8 % depuis 2015 et de 6 % depuis 2017. Je sais que ce n'est pas la perception de nos concitoyens, mais considérons cette moyenne, et voyons aussi les problèmes d'inégalités qui peuvent se poser.

Madame Pires Beaune, je ne veux choquer personne en donnant ces chiffres moyens. Je le répète, il y a bien des différences d'évolution du pouvoir d'achat ; j'invite seulement à la prudence dans la mesure où elles ne semblent pas principalement liées à l'inégalité de revenu.

Enfin, je vous confirme que le projet de transfert de l'imprimerie de la Banque de France à Vic-le-Comte avance. Nous avons en France – autre motif de fierté collective – la première imprimerie publique d'Europe. Mais ses magnifiques locaux de Chamalières ne sont pas tout à fait adaptés à la production du XXIe siècle et, surtout, à l'exigence d'un bon bilan énergétique. Le transfert doit s'accompagner d'un plan de compétitivité, qui, sans remettre le moins du monde en cause le statut des salariés de l'imprimerie, doit nous permettre d'être aussi efficaces que nos concurrents privés, et d'une négociation avec les différents corps de métier impliqués dans les appels d'offres, afin de maintenir le budget d'investissement à un niveau raisonnable – il nous arrive d'avoir des négociations un peu serrées avec des fournisseurs.

Monsieur Laqhila, la tendance reste à la diminution de l'usage des espèces. Une enquête européenne que nous avons publiée témoigne de la poursuite de ce déclin, qui est relativement rapide. Néanmoins, les transactions en espèces – s'agissant des achats sur le point de vente – restent majoritaires en nombre, même si elles sont devenues nettement minoritaires en valeur. Les Français paient encore assez souvent les petits achats en espèces, bien que le sans contact ait réduit la prévalence de cette pratique, et les gros montants par carte ou par virement. Cela étant, je veux redire avec beaucoup de force que nous n'abandonnerons jamais les espèces. Si leur usage en transaction diminue, leur quantité détenue se maintient et a même tendance à augmenter. C'est important pour notre activité de production ; en revanche, pour l'activité de transaction, nous avons redimensionné notre réseau de caisses – et nous le ferons à nouveau périodiquement, autant qu'il le faudra –, car l'activité de tri de billets diminue.

Nous avons été amenés à faire évoluer notre cotation des entreprises dans le cadre d'une réglementation européenne, passant de neuf à vingt-deux échelons. J'ai l'impression que cette évolution s'est plutôt bien passée : nous l'avons expliquée aux entreprises et aux banques, de la part desquelles elle a suscité peu de questions. Elle était impérative pour conserver un avantage français, en associant à la cotation européenne notre capacité à présenter les créances privées au refinancement de la banque centrale.

Cette cotation n'intègre pas encore le climat : ce n'était pas prévu par la réglementation européenne. Nous voulons le faire en étant aussi crédibles qu'en matière financière. Nous allons donc développer un indicateur climat et un indicateur de la transition climatique pour les entreprises – c'est une façon de les aider et de les éclairer – qui sera, dans un premier temps, distinct de la cotation financière, en l'appliquant d'abord aux plus grandes entreprises avant de le diffuser progressivement.

Monsieur Chauche, la rénovation énergétique est très importante, mais je ne crois pas que son bon financement dépende uniquement du niveau des taux d'intérêt. La banque centrale fixe un taux d'intérêt pour l'ensemble de l'économie : ce n'est pas notre rôle de définir des taux sectoriels ou bonifiés selon telle ou telle priorité, c'est un choix politique qui relève des gouvernements. Je sais que cette question se pose beaucoup ; elle avait été évoquée à l'automne. Nous suivons avec attention la distribution des crédits correspondants par les banques ; je n'ai pas de source majeure d'inquiétude, mais il faut rester vigilants.

Monsieur Allisio, la loi IRA ( Inflation Reduction Act ) est bien un sujet de préoccupation. Justifiée du point de vue américain, elle a en effet une dimension protectionniste. Vous ne serez pas surpris que je marque la nuance par rapport à votre affirmation selon laquelle le Conseil européen aurait réagi « comme d'habitude » par une déclaration. Là aussi, un peu de fierté, européenne cette fois : depuis 2020, l'Europe a plutôt montré sa capacité d'action et le traitement de la crise du covid y a été nettement meilleur qu'aux États-Unis, sans parler de la Chine ou de la Russie.

Quant au fond, il est essentiel que nous développions notre propre capacité de financement de tels investissements. La Banque de France n'en est pas directement chargée, mais j'ai lu comme vous des analyses selon lesquelles, quand on additionne les mécanismes nationaux et européens, la puissance de feu européenne est à peu près similaire à celle de l'IRA, voire supérieure. Encore faut-il le faire savoir. En outre, les dispositifs sont trop nombreux et trop différents d'un pays à l'autre. Je ne peux que souhaiter que l'on aille vers davantage de financement européen, en évitant trop d'aides locales, qui créent des distorsions de concurrence. De ce point de vue, le programme Next Generation EU de juillet 2020, né d'une initiative franco-allemande, allait dans le bon sens. Utilisons pleinement tous ses crédits et, si possible, amplifions-les.

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