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Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 9h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Vous avez qualifié la hausse des taux de la BCE de « brutale », monsieur le président, mais nous avons subi au moins autant de critiques nous reprochant son caractère tardif et insuffisant ; il est vrai que cette politique de relèvement des taux a connu une accélération mais l'intensité du retournement de l'inflation a peu de précédents ; elle est liée à divers facteurs un peu inattendus, dont bien entendu la guerre en Ukraine. Je ne pense pas qu'il y ait de restriction d'accès au crédit en France, ni pour les particuliers ni pour les entreprises, et on constate même que cet accès est plus large que chez nos voisins.

Je vous rejoins totalement dans votre méfiance envers les crédits immobiliers à taux variables ; je n'ai pas connaissance d'une initiative européenne en la matière, mais nous allons le vérifier. Les taux variables étaient, restent et seront dangereux : ils ne constituent pas un bon mode d'accès au crédit immobilier, et nous serons attentifs à ce que les établissements de crédit français ne développent pas ce qui apparaîtrait comme un remède nouveau mais qui serait en fait pire que le mal.

Je suis sensible à l'attention que vous portez à mes interventions publiques. La Banque de France n'est pas chargée de la fiscalité – heureusement d'ailleurs, car il s'agit d'un sujet bien compliqué – et n'a donc pas à se prononcer sur telle ou telle mesure fiscale. J'ai toujours appelé à la prudence face aux baisses d'impôts ou de charges que nous n'avons guère les moyens de financer – je vous renvoie à ce sujet à ma lettre annuelle au Président de la République de 2021 et de 2022. J'ai plaidé pour une stabilité fiscale, mais ce sont le Parlement et le Gouvernement qui décident des niveaux d'imposition. Une stabilité fiscale globale serait plus sage pour nos finances publiques et plus efficace économiquement. Les fréquentes modifications fiscales, qui sont une spécialité française, créent beaucoup de complexité et d'incertitudes voire de confusion chez les acteurs économiques, y compris les entreprises ; les changements incessants diminuent ainsi l'efficacité des mesures.

J'entends assez souvent des personnes défendre, selon leur sensibilité politique dont la diversité m'inspire le plus grand respect, la théorie de l'autofinancement des augmentations des dépenses budgétaires ou des baisses d'impôts, qui s'appuie sur les multiplicateurs keynésiens ou laffériens et sur le supplément d'activité que ceux-ci généreraient. Hélas, l'expérience française des dernières décennies montre que cette théorie ne se vérifie pas. Ces mesures de politique économique peuvent être parfaitement justifiées par des choix démocratiques, mais elles se traduisent par un accroissement du déficit et de la dette.

Je vous rejoins aussi sur le taux d'endettement privé : nous devons surveiller de près ce chiffre dont on parle moins. Est-il inquiétant ? Je serais prudent et je distinguerai les ménages des entreprises. Le niveau du crédit immobilier des ménages est élevé – ce qui peut rassurer sur son accès –, mais le point essentiel est de conserver des taux fixes. Nous suivons attentivement le risque de surendettement des ménages, la Banque de France étant en première ligne dans ce domaine. La baisse s'est poursuivie en 2022, grâce notamment aux lois Lagarde et Hamon que le Parlement a votées dans une grande continuité transpartisane. Il n'y a pas de dérive vers un surendettement des ménages, mais nous resterons attentifs à la situation. Depuis le pic de 2015, le nombre de dossiers de surendettement a diminué de 50 % : il s'agit d'un succès collectif – par modestie française, nous avons moins tendance à évoquer nos réussites, mais en voilà une dont le Parlement, auquel je rends hommage, peut se targuer. Certaines entreprises peuvent souffrir d'un taux d'endettement trop élevé car elles ne manquent pas de crédit, mais de fonds propres : ce constat doit guider notre action en matière de financement de l'économie.

J'ai compris votre question sur la prévision de croissance comme une subtile invitation à vous révéler le chiffre que nous publierons le 20 mars : celui-ci sera probablement supérieur à 0,3 % et inférieur à 1 %. Il restera beaucoup d'incertitudes, mais celles-ci tendent à diminuer quelque peu et dans un sens positif qui plus est.

Monsieur le rapporteur général, je vais commencer par votre dernière question, très importante, sur les résultats financiers de la BCE et sur les pertes des banques centrales. La Bundesbank va publier ses résultats ce matin, et, sans préjuger de ce qu'ils seront, le sujet fera évidemment l'actualité financière. Les banques centrales mondiales connaissent pour la plupart des pertes, ce qui peut paraître paradoxal mais qui résulte du mouvement de relèvement des taux. Le bilan de la Banque de France comporte des actifs longs à taux fixes – principalement des titres publics, même s'il y a quelques titres privés achetés à l'époque où il fallait soutenir l'activité comme les prix et éviter la déflation – et un passif composé de dettes liées à des engagements courts et à taux variables, surtout des dépôts des banques commerciales ; ceux-ci ont présenté des taux négatifs et ont donc rapporté de l'argent à la Banque, fait assez rare dans un bilan d'activité financière ; actuellement, ils pèsent sur notre bilan à hauteur du niveau des taux, comme cela est normal.

Il se trouve que le coût des passifs augmente plus vite que le rendement des actifs. C'est un phénomène transitoire qui va durer quelques années, comme c'est le cas pour la quasi-totalité des banques centrales du monde.

La Banque de France, quant à elle, aura un résultat encore positif au titre de l'année 2022, à la différence, par exemple, de la BCE, que vous avez citée. Nos chiffres seront publiés et commentés le 22 mars prochain. Ce résultat fera suite aux années 2015 à 2021, qui ont connu, à l'inverse, des résultats très élevés et durant lesquelles la Banque de France a reversé à l'État, au total, sous forme d'impôt sur les sociétés et de dividendes, 31 milliards d'euros. Pour les quelques années suivantes – au-delà de 2022 –, nos revenus monétaires nets seront, comme pour la quasi-totalité des banques centrales du monde, diminués par la remontée des taux d'intérêt. Cependant – et je n'en dirai pas plus ce matin, car, comme je viens de le dire, nos chiffres seront publiés le 22 mars –, la Banque de France a géré avec rigueur sa trajectoire financière et pris soin de constituer des réserves significatives qui devraient nous permettre de couvrir ces pertes de revenus sans faire appel à une recapitalisation de l'actionnaire.

Alors que l'énergie s'imposait évidemment jusqu'à ces derniers mois comme principal facteur d'inflation, c'est aujourd'hui l'alimentation qui préoccupe très légitimement nos concitoyens. Toutefois, ces phénomènes, si forts soient-ils, sont temporaires : le choc des prix de l'alimentation durera encore plusieurs mois mais devrait diminuer d'ici à la fin de l'année. J'ai beaucoup insisté sur la diffusion de l'inflation sur l'ensemble des biens et des services : cette inflation sous-jacente est celle qui présente le plus grand risque de persistance. Sans minimiser aucunement l'inflation énergétique ou alimentaire, je répète qu'elle est, presque par nature, temporaire. Le plus grand risque est celui d'une inflation qui s'installe de façon persistante pour l'ensemble des biens et services : d'où les propos que j'ai tenus à propos de la politique monétaire.

Les salaires ont légitimement augmenté au fil de l'augmentation de l'inflation, mais moins que cette dernière, seul le SMIC étant indexé. Le pouvoir d'achat a néanmoins été préservé grâce aux mesures budgétaires et au bouclier tarifaire. C'est une bonne nouvelle et la différence avec d'autres pays est sensible et positive.

En termes de salaire, l'évolution moyenne de la rémunération par tête – la notion de rémunération étant entendue au sens large pour intégrer notamment les salaires et les primes –, qui est de l'ordre de 1 % à 2 % par an dans les années de très faible inflation, est aujourd'hui, en moyenne pour l'année 2022, supérieure à 4 % et, selon nos prévisions de décembre, qui ne devraient pas changer beaucoup, un point haut de l'ordre de 6 % devrait être atteint vers le milieu de l'année 2023. À terme, c'est-à-dire lorsque nous aurons atteint une sorte de vitesse de croisière, le bon niveau d'augmentation des salaires, toujours en moyenne, serait de l'ordre de 3 %, soit 2 % d'inflation et 1 % de gains de productivité. La négociation salariale doit, comme je l'ai déjà souvent dit, rester décentralisée au niveau de la branche et de l'entreprise, au plus près de la réalité économique et du dialogue social.

Pour ce qui concerne les conséquences de la politique de la BCE sur la dette publique des différents pays européens et le niveau des taux réels, je dois redire, en vous priant d'excuser cette phrase orthodoxe, que la politique de la BCE n'est pas déterminée par la facilité de financement de la dette publique des différents pays européens, mais par la boussole de l'inflation. Les choses se passent aujourd'hui, dans les différents pays européens, d'une façon relativement ordonnée. Il y a, bien sûr, un relèvement des taux à long terme. Le calcul des taux réels est toujours un peu compliqué, car il faut déduire des taux anticipés l'inflation anticipée – en effet, la prise en compte des taux d'aujourd'hui se traduirait par des taux réels qui seraient partout négatifs. Toujours est-il que, par rapport à l'inflation anticipée, les taux réels sont aujourd'hui légèrement positifs sur l'ensemble des échéances, ce qui nous semble être une situation assez satisfaisante.

Votre question semblait aussi exprimer une inquiétude assez forte quant au risque de voir le relèvement des taux provoquer une fragmentation parmi les dettes publiques européennes, ces taux remontant beaucoup plus vite dans certains pays du Sud que je n'ai pas besoin de citer. Aujourd'hui, cependant, les choses se passent plutôt bien, notamment à cause d'une décision clé et peu souvent relevée que nous avons prise en juillet dernier : l'instauration d'un outil de solidarité monétaire au sein de la zone euro, l'instrument de protection de la transmission, ou TPI selon son acronyme anglais. Si nous estimions que les écarts de taux d'intérêt, ou spreads, devenaient injustifiés ou excessifs dans la zone euro, nous aurions la capacité d'intervenir pour corriger certains de ces écarts. Ce message a été très bien reçu et les choses se passent dans l'ordre. Je souligne que ce mécanisme a été adopté à l'unanimité, ce qui témoigne d'une solidarité forte dans la zone euro.

La question de l'euro numérique, sur laquelle nous reviendrons peut-être, est différente de celle des cryptoactifs – terme que je préfère à celui de cryptomonnaies. Il s'agit de faire bénéficier potentiellement – car ce n'est pas encore décidé – nos concitoyens du meilleur de la monnaie centrale, à savoir sa sécurité, sa disponibilité et le pouvoir libératoire qui fait qu'elle est acceptée partout – autant de qualités qui sont celles des billets et auxquelles les Français sont attachés –, et en même temps du meilleur de la technologie digitale. Il s'agit, en quelque sorte, d'un billet digital, mais possédant des qualités encore supérieures à celles des billets, mieux protégé contre les risques de vol et utilisable pour le e-commerce comme pour les paiements entre particuliers, par exemple par le biais de cagnottes.

Nous sommes actuellement en phase d'investigation et la Banque centrale européenne est, du reste, plutôt en avance par rapport à d'autres régions du monde, qui étudient toutes la question de la création d'une telle monnaie numérique. Nous déciderons à la fin de l'année si nous passons à la phase suivante, dite d'expérimentation et de préparation, qui devrait durer au moins trois ans. Malgré de nombreuses questions techniques, nous avançons. Cette perspective est sous-tendue par un enjeu de vie quotidienne pour nos concitoyens et présente également un aspect démocratique important : le maintien de l'accès des citoyens à la monnaie centrale, et non pas seulement à la monnaie commerciale de banque, qu'ils continueront, bien entendu, à utiliser.

Je précise enfin que le développement de l'euro numérique ne signifie aucunement l'abandon de l'euro fiduciaire : nous garderons durablement les billets et les pièces, auxquels nos concitoyens sont attachés. Cette liberté de choix fait partie de la confiance dans la monnaie, dont nous sommes les garants.

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