Le contexte économique envoie des signaux contrastés, avec plutôt de bonnes nouvelles sur l'activité, mais une inflation et une incertitude qui restent prégnantes, et toujours en toile de fond la guerre russe en Ukraine. Je chercherai d'abord à éclairer ces signaux conjoncturels et les évolutions de politique monétaire qui en découlent, avant d'aborder l'effet de cette politique sur les conditions de financement de l'économie, c'est-à-dire des entreprises, des particuliers et de la dette publique.
Si je devais résumer notre point de vue sur la conjoncture, je dirais : pas de récession, mais encore trop d'inflation.
Bien que ralentie en France et en Europe depuis le début de cet hiver – comme cela avait été prévu –, l'activité fait preuve d'une meilleure résistance qu'anticipé, laquelle est confirmée mois après mois par notre enquête mensuelle de conjoncture réalisée auprès de 8 500 entreprises. Les chiffres de l'Insee publiés hier montrent que le pouvoir d'achat en moyenne a finalement été préservé en 2022, ce qui est une bonne nouvelle. Le risque de récession qui planait sur nos économies peut aujourd'hui être écarté, sauf événement mondial majeur. Nous actualiserons nos prévisions macroéconomiques trimestrielles le 20 mars. Nous prévoyons en France une croissance faiblement positive pour l'année 2023 – a priori un peu supérieure à l'estimation de 0,3 % de décembre – avant une reprise attendue en 2024.
Néanmoins, l'inflation reste la principale préoccupation de nos concitoyens, notamment des plus défavorisés d'entre eux, et la nôtre. Elle a certes commencé à se stabiliser, voire à se replier, à 8,6 % en zone euro fin janvier, dans un contexte d'accalmie des prix de l'énergie. Cependant, les premiers chiffres de février publiés hier pour l'Espagne et pour la France nous appellent à la vigilance et à la persévérance dans notre action monétaire : l'inflation persiste, s'élevant en France à 7,2 % en indice harmonisé européen et à 6,2 % en indice national. Selon nos prévisions, elle devrait atteindre son pic au cours de ce premier semestre et pourrait avoir diminué de moitié en fin d'année ; elle resterait néanmoins à un niveau trop élevé, et l'inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation qui sont les composantes les plus volatiles, continue d'augmenter : nous l'estimons à 4,5 % en France. L'inflation a en effet changé de nature depuis la crise énergétique d'origine : elle est non seulement plus haute mais plus large, non seulement importée mais aussi domestique, non seulement liée à un choc d'offre temporaire mais potentiellement persistante. Dès lors, personne ne peut plus nier que la politique monétaire peut et doit réagir.
Je redis devant vous avec force non seulement notre prévision, mais notre engagement à ramener l'inflation vers 2 % entre la fin de 2024 et la fin de l'année suivante, ce délai correspondant à l'incertitude pesant sur l'énergie.
Après le « sprint » de la normalisation monétaire entamé en juillet 2022, nous entrons à présent dans une nouvelle phase de la politique monétaire, plus comparable à une course de fond : elle sera plus longue – il ne faudra surtout pas crier victoire trop vite –, mais le rythme des prochaines hausses sera plus progressif et plus pragmatique. Il est bien trop tôt pour connaître, au-delà des 3 % que nous atteindrons en mars, niveau très inférieur aux actuels 4,75 % américains ou 4 % britanniques, le taux « terminal » auquel les taux directeurs se stabiliseront. Mais je crois possible d'éclairer le chemin que nous devrions suivre à mon sens pour donner une certaine prévisibilité économique. Sur le calendrier d'abord, il me paraît souhaitable d'atteindre ce taux terminal d'ici à l'été, c'est-à-dire au plus tard en septembre. Nos décisions seront guidées par les données économiques : nous devrions retenir pour critère central de la stabilisation monétaire le retournement jugé assez sûr de la trajectoire d'inflation sous-jacente, qui informe le mieux sur la perspective de moyen terme de l'inflation totale et que la politique monétaire peut le mieux traiter. Nous ne sommes pas encore parvenus à ce seuil économique.
Je veux en outre dissiper une crainte : la désinflation que nous allons mener à bien ne conduira pas à la récession, compte tenu de la résilience de l'activité et de l'emploi. Au contraire, c'est une inflation durable qui serait le pire ennemi de la croissance.
Le resserrement de la politique monétaire entraîne celui des conditions de financement, après plusieurs années exceptionnellement accommodantes. Mais le relèvement des taux d'intérêt se transmet à l'économie réelle de manière progressive et ordonnée, particulièrement en France. Les conditions de financement se normalisent donc, mais sans peser excessivement sur la situation des entreprises.
L'encours des crédits bancaires aux entreprises reste dynamique, puisqu'il a crû de 6,8 % en janvier par rapport à janvier 2022, la progression s'élevant à 5 % pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE). Il convient de se montrer vigilant mais pas alarmiste au sujet des entreprises. Leur trésorerie s'est certes dégradée, comme le confirme notre dernière enquête mensuelle – dans l'industrie davantage que dans les services –, mais nous partions d'un niveau élevé et nous n'observons pas de retour majeur du « spectre des défaillances ». À la fin du mois de janvier, le nombre de défaillances augmentait et se situait à un peu moins de 43 000 dans les douze derniers mois, au-dessus du niveau artificiellement bas des années covid avec leurs mesures de soutien exceptionnelles, mais encore sensiblement en deçà de la moyenne enregistrée dans la décennie 2010, qui s'élevait à environ 59 000 : nous devrions progressivement tendre vers ce dernier chiffre et nous suivons très attentivement la situation des PME et des TPE dans certains secteurs plus fragiles. Parallèlement, les créations d'entreprises restent à un niveau record, à plus de 400 000 en un an, hors microentrepreneurs.
De la même manière, nous n'avons pas d'inquiétude généralisée s'agissant du remboursement des prêts garantis par l'État (PGE). Depuis février 2022, nous avons reçu 671 demandes d'aménagement, soit moins de 0,1 % du nombre total de PGE. Sur les 143 milliards d'euros qui ont aidé près de 700 000 entreprises, 46 milliards ont déjà été remboursés. Actuellement, plus de 95 % des entreprises remboursent correctement leur PGE. La Médiation du crédit de la Banque de France n'en reste pas moins mobilisée, dans chacun de vos départements, pour traiter les cas les plus difficiles, dans le cadre de l'accord de place renouvelé en janvier dernier.
Pour les particuliers, la croissance des crédits à l'habitat s'élevait encore à 5,3 % en décembre et à 5,1 % en janvier, dans un contexte de remontée progressive du taux moyen, qui atteignait, en décembre, 2,05 %, hors frais et assurances, contre 2,9 % en moyenne dans la zone euro et 3,5 % en Allemagne. En France, le crédit à l'habitat reste le moins cher, le plus abondant et le plus sûr d'Europe, avec 97 % des encours à taux fixes.
Bien sûr, nous sommes sortis des années du crédit exceptionnellement facile. Les besoins de financement de l'économie réelle restent cependant largement satisfaits, grâce à la solidité des banques françaises. La décélération du crédit, dès lors qu'elle est progressive et ordonnée, est d'ailleurs justifiée, après la hausse récente des taux d'endettement privés ; permettez-moi de souligner que le ratio français d'endettement des ménages et des entreprises est le plus élevé de ceux des grands pays européens : il atteignait 147 % du PIB au troisième trimestre de 2022 contre 119 % en moyenne dans la zone euro.
Reste le troisième grand agent économique, les administrations publiques dans leur ensemble. Le ratio de dette publique de la France est non seulement plus élevé de 20 points que celui de l'ensemble de la zone euro – 113 % du PIB contre 93 % au troisième trimestre de 2022 –, mais il ne diminue pas, contrairement à celui des autres grands pays de la zone. Dès lors que les prix de l'énergie refluent, il faut commencer à réduire rapidement les mesures de soutien, en ciblant ceux qui en ont le plus besoin : sur ce point, l'efficacité budgétaire peut rejoindre la justice sociale. Les boucliers tarifaires ont pu être utiles à court terme pour amortir le choc énergétique, mais ils ne peuvent le faire disparaître. La victoire durable contre l'inflation ne passe en effet pas par des mesures budgétaires, mais par la politique monétaire et par le renforcement de notre offre productive.
Plus largement, la réponse à cette crise et à l'émergence de ce monde nouveau passe avant tout par un effort majeur d'adaptation, mené dans la justice – j'y tiens comme vous – et dans la durée. Nous devons et nous pouvons réussir les trois grandes transformations qui sont la clé de notre succès économique et social : la transformation énergétique et climatique ; la transformation numérique ; enfin, chantier plus spécifique à la France en Europe, la transformation du travail, en accroissant à la fois sa quantité collective et sa qualité individuelle. Pour conclure, je tiens à réaffirmer la conviction que nous avons la capacité de réussir ensemble. Soyez assurés que la Banque de France, avec ses équipes sur le terrain, sera totalement mobilisée en ce sens.