La réunion

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La séance est ouverte à 16 heures 30.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, sur la mise en œuvre de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie.

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Nous recevons M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer pour évoquer l'application de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, décrété le 15 mai à vingt heures en Conseil des ministres, après qu'une explosion de violence sur ce territoire a coûté la vie à six de nos compatriotes.

L'état d'urgence, qui permet de déroger à la légalité ordinaire, a été créé par la loi du 3 avril 1955, puis modernisé en 2015 et 2016 – on se souvient qu'il avait été déclaré dans l'ensemble du territoire national à la suite des attentats du 13 novembre 2015. Ce régime, s'il amplifie les pouvoirs du Gouvernement pour gérer les crises, accorde néanmoins un pouvoir important au Parlement, qui contrôle son application et est seul en mesure de décider de son éventuelle prorogation, douze jours après sa proclamation.

L'article 5 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence permet de limiter la circulation et le séjour des personnes ; son article 6, de prononcer des assignations à résidence ; son article 8, de fermer des lieux de réunion ; son article 9, de confisquer des armes ; son article 10, de prononcer des réquisitions ; son article 12, de prononcer des perquisitions administratives.

La fréquence d'utilisation de ce régime juridique varie selon les périodes. Il a été en vigueur pendant quelques semaines seulement entre 1985 et 2005, puis de manière continue pendant quasiment deux ans entre 2015 et 2017, mais sous le contrôle du Parlement, en application de l'article 4-1 de la loi du 3 avril 1955.

Pour l'heure, il n'est pas prévu de proroger l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, même si un projet de loi de prorogation a été transmis au Conseil d'État, par précaution. En accord avec Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, et comme cela avait le cas de mon prédécesseur à la présidence de la commission des lois, j'annonce que j'exercerai ma mission de contrôle avec un corapporteur issu de l'opposition, M. Davy Rimane, par ailleurs président de la délégation aux outre-mer.

La proclamation de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie a permis de prononcer dix-sept assignations à résidence, douze perquisitions et trois règlements généraux – un couvre-feu, une interdiction des rassemblements et une réquisition. Nous établirons un rapport sur ces mesures.

Monsieur le ministre, le réseau social TikTok est en outre bloqué en Nouvelle-Calédonie depuis le début de l'état d'urgence. Sur quel fondement légal cette décision a-t-elle été prise par M. le Premier ministre ?

Par ailleurs, les mesures individuelles prises dans le cadre de l'état d'urgence sont susceptibles d'être contestées auprès du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie. L'ont-elles été ? Une permanence a-t-elle été organisée dans ce tribunal ?

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Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

Comme vous le savez, même si le Gouvernement peut décider seul de déclarer l'état d'urgence pour douze jours, il est tenu d'informer l'Assemblée nationale et le Sénat des mesures qu'il prend dans ce cadre. J'ai donc informé les présidents de ces deux chambres des premières mesures adoptées, en vous mettant en copie, monsieur le président de la commission des lois.

Je suis disponible pour répondre aux questions de la représentation nationale, même si je ne dispose que d'un temps limité, puisque je dois finalement repartir ce soir en Nouvelle-Calédonie avec M. le Président de la République.

Vingt-neuf procédures d'assignation à résidence sont en cours ; dix-sept ont été notifiées. La notification n'est pas toujours facile, soit à cause de difficultés d'ordre public, soit parce que les personnes visées n'habitent pas en ville et sont difficiles à retrouver. Je signe moi-même ces notifications, qui ciblent les personnes suspectes d'encourager à la subversion ou d'appeler à la violence. Celles-ci appartiennent souvent à la CCAT – cellule de coordination des actions de terrain –, pour autant qu'on puisse le déterminer puisque cet organisme n'est pas entièrement formalisé. L'assignation à résidence leur impose non pas de rester en permanence à domicile, mais de pointer plusieurs fois par jour dans un commissariat de police ou une brigade de gendarmerie. Elle leur interdit en outre d'entrer en relation avec certains tiers, afin d'empêcher ceux que nous soupçonnons d'être les organisateurs de l'insurrection de continuer à travailler ensemble.

Contrairement aux assignations à résidence, les perquisitions administratives sont décidées de manière déconcentrée par le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, après m'en avoir informé et avoir informé les services centraux. Sur les vingt-trois perquisitions administratives prévues, seules cinq ont pu être réalisées. De fait, durant les quarante-huit premières heures, la priorité était de rétablir la paix publique ; à l'heure où je vous parle, elle ne l'est pas totalement, et les forces de l'ordre se heurtent à l'hostilité de leurs cibles.

Vingt-deux interdictions de paraître ont été prononcées, souvent en même temps que les assignations à résidence. L'état d'urgence permet en outre de durcir certaines sanctions, dans un souci de maintien de l'ordre public. Ainsi, actuellement, sur place la violation du couvre-feu et le transport d'une arme sont passibles d'une peine de prison – alors que cette dernière infraction ne donne lieu qu'à une contravention en temps normal.

Les forces de l'ordre ont procédé à 276 interpellations – y compris hors état d'urgence –, lesquelles ont débouché sur 248 gardes à vue. Les gardés à vue sont souvent des jeunes hommes mais, contrairement à ce que j'ai lu dans la presse, une trentaine d'entre eux seulement sont mineurs.

La police de la République a fait preuve de rapidité en interpellant les auteurs présumés des homicides de trois jeunes Kanaks. Quant au premier gendarme décédé, Nicolas Molinari, je rappelle qu'il n'a pas été tué dans l'action mais pendant que les forces de l'ordre parlementaient avec des locaux âgés. Nicolas Molinari avait retiré son casque et se reposait, assis derrière le volant d'un Irisbus, quand il a été frappé d'une balle en pleine tête. Nous n'avons pas encore interpellé l'auteur du tir, même si nous pensons l'avoir identifié. C'est le seul homicide pour lequel aucun suspect n'a été interpellé.

Quant au décès du deuxième gendarme, il résulte probablement d'une erreur de manipulation de matériel qui n'a rien à voir avec les événements proprement dits – même si l'on peut penser que la fatigue et la pression dues aux circonstances ont joué dans cet accident. De nombreuses personnes ont été interpellées pour pillage, agression physique, et actes contraires à l'ordre public – M. le garde des sceaux se tient à votre disposition pour ce qui concerne la réponse pénale.

Depuis le début des événements, 1 131 agents ont été envoyés sur place en renfort. Ces forces se composent notamment de neuf escadrons de gendarmerie mobile, de soixante-cinq membres de la CRS 8, de quatre-vingt-quatre membres de la CRS 82, de cinquante-sept membres du GIGN – groupe d'intervention de la gendarmerie nationale –, de quatorze membres du Raid – recherche assistance intervention dissuasion –, mais également, puisque les interpellations donnent lieu à des enquêtes, d'OPJ – officiers de police judiciaire –, dont vingt-six sont issus de la police nationale et quarante et un de la gendarmerie nationale. La numéro deux de la police nationale a été dépêchée sur place, ainsi que des spécialistes de commandement et de soutien et deux sous-préfets, qui veillent à la bonne application des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence avec le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie. S'y ajoutent soixante-cinq sapeurs-pompiers, pour les feux urbains, et soixante membres des Formisc – formations militaires de la sécurité civile – qui s'acquittent de l'évacuation des déblais de barrage après l'intervention des gendarmes et des policiers, faute d'entreprise en mesure de le faire sur place. Je rappelle au passage que les gendarmes et les policiers circulent partout et ont déblayé en quelques heures les soixante-seize barrages répartis sur la route d'une soixantaine de kilomètres reliant l'aéroport de La Tontouta à Nouméa.

Douze membres des ERIS – équipes régionales d'intervention et de sécurité – ont également été dépêchés, au vu des événements qui ont eu lieu dans la prison de Nouméa et des transferts dans la prison de Koné décidés par le garde des sceaux. Ces spécialistes des interventions dans le milieu carcéral dépendent d'ailleurs du ministère de la justice.

Le pont aérien se poursuit. Quatre avions militaires et civils actuellement en transit transportent l'équivalent de six escadrons de gendarmerie, des CRS, ainsi que des membres des Fanc – forces armées de la Nouvelle-Calédonie. Les forces armées n'assurent pas l'ordre public, cette mission étant réservée aux forces du ministère de l'intérieur, comme le ministre des armées et moi-même le souhaitons. En revanche, les militaires appuient l'intervention sanitaire – ils ont notamment soigné M. Molinari –, assurent la distribution alimentaire et protègent des lieux républicains tels que le haut-commissariat. Puisque les élus calédoniens, qu'ils soient ou non indépendantistes, font l'objet de menaces graves et sérieuses, nous leur avons en outre proposé la protection de militaires du GIGN et d'agents du Raid. Certains ont refusé cette protection, comme c'est leur bon droit.

Vous m'interrogez sur l'organisation d'une permanence au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie. Vu les événements, celui-ci manque malheureusement de personnel, tout comme le ministère de l'intérieur.

Certains ont critiqué un manque d'anticipation. Je rappelle toutefois que, au début des événements, sept escadrons de gendarmerie étaient déjà sur place, soit un effectif considérable, bien supérieur aux trois escadrons déployés à Marseille dans les moments les plus difficiles. Les manifestations indépendantistes et loyalistes du 13 mai, qui ont rassemblé près de 40 000 personnes dans les rues de Nouméa, ont été encadrées par 1 700 policiers et gendarmes, effectif considérable sur une île de 250 000 habitants, et plus important que celui engagé lors des référendums. Ces manifestations se sont d'ailleurs déroulées dans d'excellentes conditions, alors que les deux camps défilaient à quelques rues l'un de l'autre.

Pour assurer le traitement judiciaire des très nombreuses gardes à vue, le garde des sceaux envoie des soutiens au tribunal de Nouvelle-Calédonie, notamment au parquet général. Quant à la juridiction administrative, si elle est placée sous l'autorité du garde des sceaux, elle est plus directement gérée par le Conseil d'État, qui ne m'a pas apporté de réponse concernant un éventuel renfort. En tout cas, la permanence judiciaire et administrative est garantie et nous travaillons avec les juridictions administratives.

Je n'ai pas connaissance de contestation des assignations à résidence notifiées. En revanche, un référé a été déposé devant le Conseil d'État pour contester l'instauration de l'état d'urgence.

La décision d'interdire TikTok a été prise par le Premier ministre avec le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, au nom de la théorie des circonstances exceptionnelles. Elle a fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'État, qui devrait publier sa décision à la fin de la semaine.

Je rappelle que les télécommunications relèvent de la compétence du gouvernement local et que l'île est couverte par un opérateur de téléphonie mobile propre, différent des opérateurs en métropole. Nous avions envisagé de dégrader localement la qualité du réseau mobile utilisé pour les réseaux sociaux, en le faisant passer de la 5G à la 2G, comme l'avaient proposé les sénateurs dans un rapport sur les émeutes de 2023, mais nous y avons finalement renoncé.

Je ne sais pas s'il sera nécessaire de proroger l'état d'urgence. Afin de parer à cette éventualité et d'être prêts pour le lundi 27 mai, nous avons d'ores et déjà transmis une ébauche de projet de loi au Conseil d'État, qui n'a pas encore été présentée en Conseil des ministres. Si un tel texte était ensuite débattu au Parlement – mais je ne veux pas préempter la décision du Conseil des ministres et du Président de la République –, l'avis du Conseil d'État y serait intégralement annexé.

Enfin, nous avons déjà évacué quatre-vingt-quatre personnes, notamment des membres de la famille de gendarmes ; l'opération se poursuit, avec les touristes français et étrangers. Nous travaillons désormais à permettre le retour dans l'île des touristes calédoniens qui le souhaitent.

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D'aucuns attendaient un acte symbolique fort, afin de témoigner de l'importance de cette crise pour l'exécutif. Nous nous félicitons de la visite du Président de la République et de la vôtre en Nouvelle-Calédonie, qui satisfait cette attente.

Par-delà nos divergences, accordons-nous sur les faits. Afin de garantir des institutions stables dans ce territoire, après les trois référendums qui ont marqué l'aboutissement du processus de décolonisation, il fallait réformer le corps électoral. Un texte a donc été voté par le Parlement. En réponse à ce vote, des organisations indépendantistes ont organisé des cellules de coordination des actions de terrain. Malheureusement, elles ont rapidement perdu le contrôle des jeunes qu'elles avaient placés sur les barricades, rendant nécessaire la proclamation de l'état d'urgence.

L'accord de Nouméa comprenait un volet politique – qui est une réussite même si les institutions qu'il a créées doivent évoluer – et un volet social, largement oublié, qui s'est bâti sur l'industrie du nickel ; or celle-ci est désormais en crise, suscitant le désespoir d'une partie de la jeunesse calédonienne.

Je me félicite que, sur place, tous les acteurs appellent désormais au calme – même s'il est regrettable que les dirigeants autoproclamés des CCAT ne l'aient pas fait plus tôt, car cela aurait permis d'éviter les débordements. Il faut retrouver la sérénité nécessaire au dialogue, sachant que la peur n'est pas seulement du côté loyaliste : elle traverse également le camp indépendantiste.

Qu'en est-il des ingérences étrangères qui, en jetant de l'huile sur le feu, empêchent le retour au calme ?

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Je salue le professionnalisme des forces de l'ordre qui œuvrent à rétablir l'ordre républicain sur place et j'adresse mes sincères condoléances aux proches des deux gendarmes décédés dans le cadre de leur engagement.

Mme Le Pen, grâce à sa clairvoyance et à sa connaissance des particularités calédoniennes, avait prévenu que le calendrier et la méthode choisie pour le dégel du corps électoral allaient inévitablement dégrader la situation. Aujourd'hui, en dépit des déclarations du Président de la République et des membres du Gouvernement, la situation sur place n'est toujours pas sous contrôle ; on se rapproche même de la guerre civile. Le Président de la République a au moins fini par déclarer l'état d'urgence, comme nous le demandions.

Les dégâts sans précédent, les innombrables blessés et les six décès de ces derniers jours résultent non seulement de vos choix en matière de calendrier et de votre méthode, mais également de votre manque d'anticipation. De fait, ils étaient prévisibles et vous auriez pu envoyer des moyens humains et matériels avant la survenue du chaos. Cet oubli confirme votre inconséquence et votre incompétence dans le traitement d'un dossier sensible.

Il est urgent de rétablir l'ordre sur chaque mètre carré de ce territoire de la République. La situation complique évidemment l'arrestation des criminels ayant participé à ces émeutes et leur jugement à court terme, nonobstant la fermeté toute relative de la politique pénale de votre collègue de la place Vendôme. En outre, même si le calme était rétabli, il faudra redouter une nouvelle dégradation de la situation à l'approche du Congrès. Comment ferez-vous si la Nouvelle-Calédonie reste plongée dans le chaos pendant les Jeux, alors que les forces de l'ordre seront mobilisées sur les sites olympiques ?

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La première des ingérences est le révisionnisme. Marine Le Pen a apporté un soutien sans faille à la réforme constitutionnelle et le groupe Rassemblement national a voté en sa faveur. Mais vous avez finalement fait volte-face, Marine Le Pen défendant désormais le report de la réforme du corps électoral et la tenue d'un nouveau référendum d'autodétermination, comme l'atteste l'édition du journal Le Monde datée de vendredi.

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L'urgence est le retour de la paix civile qui durait depuis trente-cinq ans, mais que la brutalité de votre réforme du corps électoral a remise en cause. Nous vous avions pourtant répété que, faute d'accord global, le passage en force conduirait à un chaos global. Le Gouvernement porte la responsabilité de cette crise politique. La Nouvelle-Calédonie est à feu et à sang ; six morts sont à déplorer. Nous pensons à leurs proches.

L'état d'urgence vous permettra simplement d'obtenir un répit, non de rétablir la paix civile. Depuis cent soixante et onze ans, les Kanaks réclament leur droit à la pleine souveraineté et à l'autodétermination. Cette aspiration légitime ne cessera pas sous les coups de matraque. Pire, dans ce contexte colonial, la répression ne peut conduire qu'à amplifier la violence.

En outre, votre répression allie l'autoritaire à l'arbitraire. Un réseau social a été interdit, ce qui est digne des pires régimes dictatoriaux.

La loi référendaire du 9 novembre 1988 permettait l'amnistie de tous les faits commis à l'occasion des événements. Les coups de menton autoritaires ne feront que jeter de l'huile sur le feu. Seule une décision politique permettra de sortir de la crise.

Une fois que le Président de la République, vos collègues du Gouvernement et vous-même serez arrivés à Nouméa, comptez-vous annoncer le retrait de la réforme du corps électoral, comme vous auriez dû le faire la semaine dernière ? Quel lien le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et vous-même avez-vous maintenu avec les élus calédoniens pour la gestion de l'état d'urgence ? Comptez-vous en annoncer la levée ?

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La Nouvelle-Calédonie est à feu et à sang. Je salue le courage des forces de l'ordre, qui payent encore une fois un prix trop élevé pour le retour à l'ordre républicain. Si le retour à l'ordre est un impératif, il convient également de renouer les fils du dialogue pour définir le destin commun que nous appelons tous de nos vœux.

Des poches de non-droit subsistent. Monsieur le ministre, quand prévoyez-vous d'y mettre fin ? Les échauffourées restent trop nombreuses. La CCAT appelle à des vengeances motivées par le racisme anti-blanc, qu'il faut dénoncer. Et quid des ingérences étrangères, qui, même si elles n'ont eu qu'une importance relative, n'en ont pas moins joué un rôle dans les violences ?

Vous annoncez la création d'une mission. Quelles personnalités, ou au moins quels profils souhaitez-vous y inclure ? Quels seront sa méthodologie et son calendrier ?

En tant que ministre de l'intérieur, vous êtes chargé de l'organisation des élections européennes du 9 juin. Lors des questions au Gouvernement, tout à l'heure, vous avez indiqué que les bulletins seront imprimés dans l'Hexagone. Très bien, mais qu'en sera-t-il de l'organisation matérielle des bureaux de vote ?

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Des zones de non-droit subsistent dans l'agglomération de Nouméa, notamment dans les quartiers nord et dans la zone industrielle. L'accès aux deux établissements hospitaliers de la ville reste difficile. Les problèmes d'approvisionnement concernent tant la nourriture que le gaz et le carburant. Les Calédoniens attendent qu'une mission de dialogue et de médiation apaise la situation. Monsieur le ministre, si vous décidez de lever l'état d'urgence, comptez-vous proroger certaines des mesures qu'il a permis de prendre ?

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Ne nous contentons pas d'évoquer le maintien de l'ordre, l'état d'urgence, le rôle des forces de sécurité et ceux que vous appelez « les émeutiers ». Le cœur du problème, la cause des désordres est votre projet de réforme constitutionnelle. Six personnes ont perdu la vie, dont deux gendarmes. N'éludons pas les responsabilités politiques en la matière.

Selon vous, la tragédie était-elle absolument imprévisible ? On connaît la très grande sensibilité de la question électorale en Nouvelle-Calédonie. Vous faites du retour au calme un préalable au rétablissement du dialogue mais ne devriez-vous pas, au nom de la réciprocité des efforts à fournir à cette fin, suspendre aussi le processus législatif engagé ?

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Je rends moi aussi hommage aux forces de l'ordre qui permettent de rétablir un peu de calme, même si, nous le savons, le chemin est encore long jusqu'à l'apaisement.

Monsieur le ministre, je salue votre engagement dans ce dossier. L'ordre public ne sera durablement rétabli que si nous réussissons à rétablir la cohésion du peuple calédonien. Comme en 1998, l'État doit être prêt à accompagner la Nouvelle-Calédonie pour trouver un accord global, en tenant compte à la fois de l'irréversibilité des accords de Matignon et de la volonté du peuple calédonien de rester au sein de la République française.

Nous saluons l'initiative du Président de la République, qui se rendra sur place afin d'installer une mission. Pourriez-vous préciser la constitution et le calendrier de celle-ci ?

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Je salue toutes les forces qui luttent pour ramener la paix, parce que nous en avons besoin. Six personnes ont malheureusement perdu la vie, des familles de civils et de gendarmes sont en deuil. Je n'entrerai donc dans aucune polémique aujourd'hui – ce n'est pas le moment.

Vous avez annoncé, monsieur le ministre, que le Président partait ce soir pour la Nouvelle-Calédonie, accompagné de plusieurs membres du Gouvernement, dont vous-même, qui avez participé aux discussions sur ce dossier. Au mois de mars, je m'y suis rendu avec les autres rapporteurs de la mission d'information sur l'avenir institutionnel des outre-mer. Nous avons donné l'alerte sur les possibles effets de l'accumulation d'une crise économique et sociale et d'une crise politique potentielle, qui arrivait à grands pas, soulignant que ce n'était pas le moment de persévérer dans la voie tracée ; mais nous n'avons pas été entendus dans les choix qui ont été faits.

Lors de la discussion en séance du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, M. Metzdorf et vous-même avez avancé que son vote permettrait au territoire de se tourner à nouveau vers l'avenir. La situation montre qu'il n'est est rien.

Ma question concerne la mission : qui, quand, comment ? Quel sera ensuite l'avenir du texte, voté au Sénat et à l'Assemblée, puisqu'il a été annoncé que le Président de la République envisageait de faire une pause et de ne convoquer le Congrès que fin janvier – soit la date butoir prévue dans le texte.

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J'exprime mon soutien à toutes les familles des victimes. Notre groupe condamne tous les actes de violence qui secouent la Nouvelle-Calédonie et appelle au calme.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé devant cette commission : « L'objectif est la paix publique, le retour de la démocratie et le développement économique et social de la Nouvelle-Calédonie. » L'échec est patent – je le regrette amèrement.

Pourtant, comme la quasi-totalité des représentants des groupes d'opposition, je vous avais alerté sur le risque d'embrasement. Quand on connaît un peu l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, où de tels soubresauts ont déjà eu lieu, cela ne demandait pas d'être grand devin.

Au fond, l'état d'urgence n'est que la conséquence logique d'une mauvaise gestion politique. Il était devenu nécessaire de le décréter pour rétablir l'ordre tant bien que mal, mais il ne peut être une fin en soi. Le Gouvernement est-il conscient que la répression ne suffira pas, qu'elle comporte des risques forts de dérapage et d'embrasement, que la fonction politique de la volonté majoritaire n'est pas la même que s'il s'agissait de la métropole ? L'essentiel est désormais de sortir de la crise. Il faut pour y parvenir que l'État redevienne neutre et impartial, et trouver un négociateur capable de mener une discussion et d'aboutir à un accord. Qui le fera ? Beauvau, Matignon ou l'Élysée ?

Le groupe LIOT souligne que le retour à l'ordre ne sera possible que si le dialogue est rétabli entre les communautés et qu'une solution durable est trouvée. Un nouveau processus politique et institutionnel est nécessaire. Il faut élaborer une solution d'ensemble, à l'irlandaise, sans domination d'un groupe sur l'autre. L'accord du Vendredi saint a été négocié par Tony Blair. Y a-t-il un Tony Blair qui sommeille au Gouvernement ?

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La situation est un immense gâchis. Dès le début de l'examen du projet de loi constitutionnelle, les oppositions, en particulier les membres des groupes Écologiste, vous ont mis en garde sur le risque d'explosion qu'entraînait ce que beaucoup considèrent comme un passage en force. Il y a quelques jours, ma collègue Sabrina Sebaihi vous a proposé une mission de médiation. Vous lui avez ri au nez et balayé sa suggestion d'un revers de main. Six morts plus tard, civils et gendarmes – je pense à eux et à leurs familles –, vous n'avez plus que la mission de concertation à la bouche. Que de temps perdu ! Que de familles endeuillées !

Aujourd'hui, le Président lui-même part pour se rendre sur place, et vous l'accompagnez. Il va lui-même faire le pompier, ou le pyromane – difficile de le savoir. Pour qu'un dialogue soit possible, il eût fallu que le Gouvernement assume sa neutralité, donc qu'il ne prenne pas parti. Or nommer Mme Backès, par exemple, vous disqualifie d'emblée pour dialoguer.

Lorsque Sabrina Sebaihi vous a interrogé sur le corps électoral, vous lui avez répondu que les Kanaks étaient majoritaires parmi les natifs, pour justifier votre refus d'en discuter. C'est-à-dire que vous avez assumé publiquement, dans l'hémicycle, de favoriser les loyalistes, au détriment des indépendantistes. Rien n'est pire que de jouer les Cassandre : tous, nous aimerions avoir tort. Mais ce n'est pas le cas. Je vous le demande : quand retirerez-vous ce texte, dont il était très prévisible qu'il mettrait le feu à la Nouvelle-Calédonie, pour accélérer la désescalade et aller enfin vers une paix durable ?

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Gérald Darmanin, ministre

D'abord, nous ne sommes pas tout à fait d'accord. C'est normal, la Nouvelle-Calédonie est loin, et nous n'avons pas tous les mêmes renseignements. Ce qui se passe en ce moment n'est pas une réponse politique – Guillaume Vuilletet l'a très bien dit. Nous pourrons y revenir quand le président de la commission le souhaitera, peut-être quand l'actualité sera plus apaisée ; je vous communiquerai alors l'ensemble des éléments recueillis par la police, la gendarmerie, la justice et les observateurs.

Les personnes mises en cause sont des délinquants. Nous pourrons par exemple passer en revue les profils de celles assignées à résidence ou interpellées : on n'y compte ni élus au Congrès ou aux provinces, ni dirigeants du Front de libération nationale kanake et socialiste (FLNKS), lequel a d'ailleurs condamné la violence dès le premier jour, contrairement à la CCAT ; bref, aucun militant politique reconnu mais des personnes connues pour leur passé délinquant ou criminel, et qui ont commis des meurtres, des agressions, des coups et blessures, des attaques répétées contre les forces de l'ordre, contre les institutions de la République, parfois contre leurs propres dirigeants politiques. Ce ne sont pas, je le répète, des dirigeants du FLNKS, avec qui nous avons quelquefois des désaccords profonds. Nous constatons donc d'abord des émeutes, violentes, insurrectionnelles, qui sont le fait d'une organisation liée à des ingérences étrangères – cela a été dit, répété et prouvé ; les services de renseignement sont à votre disposition pour y revenir –, et de criminels, qui agissent ainsi pour des raisons qui leur appartiennent, pécuniaires notamment – beaucoup de vols ont été commis. Il est essentiel de le souligner : nous n'avons pas affaire à une révolte politique.

Quand bien même une violence politique serait à l'œuvre – dans une démocratie, des manifestations peuvent tourner mal, auquel cas nous le regretterions et pourrions considérer que le maintien de l'ordre n'a pas été convenablement assuré –, nous constatons qu'aucune des morts n'a été causée par les forces de l'ordre, qui comptent pourtant quatre-vingt-quatre blessés et deux morts. Dans des moments d'extrême tension, la police et la gendarmerie ont conservé une attitude républicaine, malgré les familles, les enfants, évacués de brigades de gendarmeries attaquées à la hache et pillées. Nous parlons d'exactions, organisées notamment par la CCAT.

Faire le lien entre ces violences et la politique, c'est se tromper. D'ailleurs, les premiers jugements prononcés concernent non des militants indépendantistes, mais des criminels et des délinquants que tous, ici, nous devons condamner. Cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas envisager de solutions politiques.

La position du Rassemblement national fait rire d'elle-même. Tous les autres députés l'ont montré. Monsieur Gillet, vous avez défendu deux opinions radicalement différentes en moins de soixante-douze heures.

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Gérald Darmanin, ministre

Non ! Vous avez voté tous les textes proposés par le Gouvernement. Dans votre explication de vote sur la motion de rejet préalable du projet de loi constitutionnelle, vous avez souligné l'attachement viscéral de Marine Le Pen à la Nouvelle-Calédonie. On a vu depuis que c'était mensonger : votre position, vous l'avez trahie au premier coup de vent. Cela montre d'ailleurs quelle sera votre solidité si vous arrivez au pouvoir : à la première difficulté, vous changerez d'avis comme une volée de moineaux – tout le monde a condamné ce revirement de Mme Le Pen, et vous-même devez en être bien embêté. Sans doute cela explique-t-il, d'ailleurs, pourquoi elle n'a jamais pris la parole dans l'hémicycle, dont elle a plusieurs fois été absente ; elle vous a laissé faire le sale travail et vous vous trouvez maintenant, comme un mauvais avocat, obligé d'expliquer pourquoi vous adoptez une position totalement différente.

« Le dégel du corps électoral est un impératif pour garantir en Nouvelle-Calédonie une démocratie authentique et représentative, ainsi que des élections justes et légitimes où chacun, dans sa diversité, se sentira investi de son destin politique. Vous l'aurez compris : le groupe Rassemblement national […] votera contre la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) » C'était le 13 mai 2024. Vous avez été un peu plus long que saint Pierre à vous renier, mais les Néo-Calédoniens l'ont bien compris ; en quelques instants, Mme Le Pen a réussi à démontrer qu'elle n'était qu'une politicienne comme les autres. Je regrette profondément votre incohérence, parce que vous aviez fait état d'un argument très solide : par trois fois les Calédoniens se sont exprimés contre l'indépendance, ce qu'il faut prendre en considération dans le travail que nous leur devons. Franchement, c'est pas jojo, comme on dit dans le Nord et le Pas-de-Calais – il n'y a pas de quoi être fier.

Monsieur Lachaud, vous m'interrogez sur l'état d'urgence, motif de cette audition. Le groupe La France insoumise considère en général que nous sommes la pire des dictatures. S'agissant de l'interdiction de TikTok, qui était le moyen de communication privilégié, nous verrons ce que le juge en dit mais, dans une dictature, on peut rarement faire appel à lui, ou il n'est pas indépendant. D'ailleurs, dans une dictature, vous auriez eu du mal à poser votre question – mais c'est un autre sujet, et il est heureux que nous puissions avoir ce débat.

Aucune des mesures que j'ai prises dans le cadre de l'état d'urgence n'a concerné un élu. Aucun élu n'a été privé de sa liberté d'agir, de s'exprimer, de manifester, de discuter. Le haut-commissaire, comme le Premier ministre, le Président de la République et moi-même, avons entretenu des échanges nombreux avec tous les élus. Certains n'étaient pas joignables, mais j'ai maintenu les liens. Je remercie d'ailleurs le haut-commissaire et ses équipes, qui font un travail formidable, dans les conditions difficiles que chacun sait.

Monsieur Gosselin, madame Luquet, il existe encore des poches de non-droit, même si, à Nouméa, la situation s'est largement améliorée. Trois quartiers méritent l'attention. À Ducos, la zone industrielle et économique, la police et la gendarmerie ont beaucoup travaillé depuis quarante-huit heures, et mené de nombreuses interpellations ; mais il est vrai que des tentatives de pillage peuvent encore survenir. Rivière-Salée est un quartier populaire dense et contraint, donc complexe ; en ce moment même des tireurs embusqués ciblent les forces de l'ordre. À Magenta, quartier très populaire, les barrages sont détruits, parfois reconstruits, par certains émeutiers. Nous mettons du temps à reconquérir ces quartiers, parce que ma responsabilité de chef de la police et de la gendarmerie n'est pas d'accueillir tous les jours des cercueils à leur retour dans l'Hexagone. Je donne des moyens proportionnés, pour que personne ne soit tué dans la reconquête du territoire national, qu'il s'agisse des forces de l'ordre ou des émeutiers, dont on doit évidemment respecter la vie.

Les actions sont donc organisées en conséquence, de manière perlée, notamment à Rivière-Salée et à Magenta, où des tireurs sont embusqués sur les toits, très organisés : nous y avons déployé le GIGN et l'unité Raid, et non des unités de force mobile (UFM). Nous avons rencontré plus de difficultés dans certaines communes du Grand-Nouméa, comme à Païta et à Dumbéa. J'ai donc demandé l'installation d'escadrons de gendarmerie mobile (EGM) dans les mairies, pour contrôler les zones concernées. La reconquête de Païta est en passe d'être accomplie ; à Dumbéa, c'est plus compliqué : le GIGN s'est fait tirer dessus à balles réelles. J'exprime une pensée aux trois policiers de la brigade anticriminalité (BAC) qui ont été quasiment laissés pour morts lors de leur intervention près du sénat coutumier, lequel a également été l'objet d'exactions. On remarque d'ailleurs que cette instance, kanak s'il en est, a été prise pour cible : son incendie n'est pas un message politique mais une action violente, subversive. Évidemment, les policiers de la République se sont rendus sur place pour protéger les institutions.

Monsieur Molac, on constate également que les actions ont eu lieu dans l'agglomération de Nouméa, et non ailleurs en Nouvelle-Calédonie : ni dans la province Nord, ni dans les îles Loyauté, ni hors des grandes villes, alors que ce sont les lieux où l'identité des indépendantistes s'exprime le plus fortement. Il y a eu des manifestations, des gens ont exprimé leur désaccord avec le vote parlementaire, mais il n'y a pas eu de violences.

Quelles conclusions tirer ? On peut critiquer ceux qui agissent, quand ceux qui ne font rien ne sont jamais critiqués. Les accords de Matignon et de Nouméa ont instauré la paix publique jusqu'aux trois référendums, mais ils n'ont pas abouti à la paix sociale. À l'époque du référendum de 2018, qui a vu le « Oui » se rapprocher du « Non », les difficultés sociales étaient manifestes. Pour de nombreuses raisons, les Kanaks n'ont pas connu de rattrapage économique ni social. Les observateurs des forces de l'ordre, de la justice et les responsables indépendantistes le disent tous : des jeunes Kanaks en déshérence se sont accumulés dans des squats et des logements sociaux, en dehors de la vie tribale et de la vie coutumière, que d'ailleurs ils ne veulent pas reprendre parce qu'ils sont en conflit avec leur tribu ou leur chef, ou parce qu'ils n'ont pas su s'insérer, ou qu'on n'a pas pu les insérer, peut-être faute d'envie suffisante d'y parvenir – vous choisirez. Une partie d'entre eux, ainsi entrés dans la violence, comme cela se produit souvent dans l'Hexagone, sont utilisés pour passer à l'acte. La situation est difficile dans les communes de l'agglomération de Nouméa où se trouve cette jeunesse en déshérence. Les militants indépendantistes, eux, sont souvent dans la province Nord, notamment à Koné, ou dans les îles Loyauté ; ils n'ont pas commis de violences contre une population dont ils considéreraient qu'elle ne devrait pas se trouver en Nouvelle-Calédonie.

Je vous invite donc à réfléchir à la dynamique qui a conduit à ces violences, qui ne sont pas politiques. Le CCAT en fait un usage politique, mais elles ne le sont pas par nature.

Pour vous répondre plus précisément, j'ajoute que les quelques poches de non-droit, en tout cas les endroits où nous connaissons de grandes difficultés, sont ces quartiers que l'on peut qualifier de populaires, même si en Nouvelle-Calédonie, les termes ne sont pas les mêmes que dans l'Hexagone.

Madame Poussier-Winsback, je ne peux pas répondre à votre question sur la composition de la mission. D'abord, elle ne concerne pas l'état d'urgence. Ensuite, le Président de la République l'annoncera – je ne suis pas certain que tous les arbitrages aient été rendus. L'un de ses futurs membres connaît parfaitement le dossier calédonien. La mission est plus administrative que politique ; le Président a choisi des gens capables d'établir un constat pour répondre à certaines de vos questions, auxquelles je ne peux moi-même répondre.

Monsieur Gosselin, selon mes informations, la CCAT était une organisation violente, qui s'est coupée du FLNKS, avec lequel elle s'était fâchée et à qui je n'exprime donc aucun grief. J'espère que la rupture est complète ; le contraire poserait de multiples problèmes. Le FLNKS essaie de reprendre la main politiquement. Devant l'expression de la force de l'État, la CCAT manifeste une volonté de mutation : ses dirigeants nous ont fait savoir qu'ils voulaient devenir nos interlocuteurs politiques, en remplaçant le FLNKS. Le rapport de force contre la République a peut-être abrité une lutte de pouvoir entre les indépendantistes ; la République l'emportant, même s'il faudra probablement attendre plusieurs jours pour qu'elle le fasse dans l'ensemble du territoire calédonien – nous y parviendrons en respectant la vie humaine –, la CCAT concurrence le FLNKS pour représenter les indépendantistes dans les discussions avec l'État et les autres partenaires.

J'ajoute que, dans les premiers documents qu'elle a envoyés, elle ne s'opposait pas au dégel du corps électoral, elle demandait l'indépendance immédiate. En acceptant ses revendications, nous nous serions donc assis sur le Parlement, sur les accords de Matignon et de Nouméa ainsi que sur les trois référendums. La CCAT se transforme donc en organisation politique – il y a de nombreux précédents, notamment dans l'histoire de la République, en particulier en Corse et au Pays basque. Je ne suis pas sûr que nous souhaitions tous suivre l'exemple irlandais : l'histoire et les mœurs du mouvement irlandais étaient très différentes, même si ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie est dramatique. Nous devrions en tout cas nous interroger sur cette évolution : comment un mouvement politique qui s'est séparé du FLNKS, parce qu'il lui conteste le droit de négocier – contrairement à ce qui a été dit, des accords avaient été trouvés et signés – devient-il une vitrine politique qui fait l'objet d'un débat ? Pour discuter avec l'État, les partis politiques désignent leurs représentants, lesquels ne sont pas des élus puisque des élus – tel le président Mapou – sont déjà en relation avec l'État, par définition.

Pour organiser les bureaux de vote des élections européennes, je compte sur les maires de la République. Fort heureusement, la loi autorise le ministre de l'intérieur à prendre les dispositions nécessaires pour que les élections se tiennent. Je l'ai dit, les bulletins seront imprimés en métropole pour les trente-sept listes – qui comptent chacune quatre-vingt-un candidats – et acheminés sur place. La sécurité sera garantie dans tous les bureaux. Lorsqu'il organise le vote, l'officier d'état civil n'agit pas en tant qu'élu, mais au nom de l'État. Si tel n'était pas le cas de certains, nous prendrions nos responsabilités pour les y contraindre et nous désignerions des électeurs pour tenir les bureaux de vote, que nous pouvons également délocaliser, jusqu'au dernier moment – les habitants de Koné, par exemple, pourraient voter dans un lieu dépendant du haut-commissariat.

Madame Luquet, si l'état d'urgence est levé, plus aucune mesure particulière ne s'appliquera ; et même si le Parlement vote sa prolongation, le Gouvernement peut le lever avant la fin du délai prévu. Hors de l'état d'urgence, les mesures éventuelles seraient prises par la voie judiciaire et non par la voie administrative – je précise que, dans le cadre de l'état d'urgence, le ministère de l'intérieur prend ses décisions sous le contrôle du juge administratif.

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Monsieur Vuilletet, je vous renvoie à la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, que j'ai déposée avec M. Thomas Gassilloud et Mme Constance Le Grip ; elle est en cours d'examen au Sénat.

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Monsieur le ministre, vous dites vouloir rétablir l'ordre républicain en Nouvelle-Calédonie, mais la question est de savoir qui y a mis le désordre. Il n'y a d'ordre républicain que consenti ; l'absence de consentement puise sa source dans le référendum de 2021, dont vous avez hâté la tenue alors que certaines parties en refusaient l'organisation à cause de la situation sanitaire.

Vous nous dites que la démocratie s'est exprimée, mais peut-on parler de démocratie quand le peuple, en l'occurrence 56 % du corps électoral, ne participe pas au scrutin et que les indépendantistes appellent au boycott de la consultation ? L'accord de Nouméa avait envisagé le cas du troisième référendum et stipulait qu'en cas de réponse négative, les partenaires politiques devaient examiner la situation. Ce n'est pas ce qui s'est produit : vous avez préféré imposer un texte plutôt que de réunir les parties autour d'une table. L'accord précisait également que tant que les consultations n'aboutissaient pas à l'établissement de la nouvelle organisation politique proposée, le dernier stade de celle mise en place par l'accord de 1998 devait rester en vigueur, sans possibilité de retour en arrière. Voilà un principe républicain que vous n'avez pas respecté, pas plus que le préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que la France écarte tout système de colonisation, et pas davantage que l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC), qui consacre la liberté d'expression : le fait qu'aucun élu n'ait vu sa liberté restreinte ne constitue pas une circonstance atténuante de votre politique de restriction des libertés, incarnée par l'interdiction de TikTok, car cet article de la DDHC vise l'ensemble des citoyens ; lorsque l'on empêche les gens d'être informés, on les empêche forcément de s'exprimer.

Quand allez-vous rétablir l'ordre républicain ? Quand les Calédoniens pourront-ils bénéficier d'un ordre consenti, respectueux des principes républicains, et ne plus subir une situation qui nie ces derniers et qui est imposée par la force ? Comptez-vous lutter contre les milices qui se développent en Nouvelle-Calédonie ?

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J'apporte deux corrections factuelles à vos propos : c'est le camp indépendantiste qui a sollicité le troisième référendum, celui de 2021 ; le Conseil d'État a jugé deux fois que ce scrutin était régulier, une fois avant et une fois après sa tenue.

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Beaucoup de choses ont été dites sur la nécessité de retrouver le dialogue et la paix civile, mais de nombreuses questions restent en suspens : notre attitude collective doit être celle de la responsabilité et de l'humilité, j'espère que le Président de la République montrera les mêmes dispositions.

Nous partageons les objectifs de retour au calme, de rétablissement de l'ordre et de garantie de la sécurité collective et individuelle ainsi que celle des biens et des personnes. Mais que penser des déclarations du haut-commissaire, qui affirme que l'ordre républicain sera rétabli « quoi qu'il en coûte » ? Singulières, elles ne me semblent pas de nature à contribuer à la pacification générale, surtout après avoir sous-entendu que toute riposte à un comportement jugé menaçant serait assimilée à de la légitime défense, encourageant ainsi les règlements de comptes. J'ai même entendu des porte-parole de la police ou de la gendarmerie ne pas inciter les personnes s'étant constituées en milices d'autodéfense à baisser les armes, alors que le soutien à l'ordre républicain consiste à rappeler que toute utilisation d'arme est punie par la loi. Pour ne pas sacrifier trente-cinq ans de paix civile, il faut condamner ce « quoi qu'il en coûte ».

Vous avez annoncé vingt-trois perquisitions administratives, dont cinq ont été réalisées : qu'avez-vous trouvé ? La réponse est importante pour évaluer l'intérêt de proroger le régime de l'état d'urgence. Vous avez pris vingt-neuf assignations à résidence, dont dix-sept ont été notifiées. Ces personnes auraient-elles pu être interceptées autrement ? L'état d'urgence était-il nécessaire ? Il ne l'est sans doute plus puisque le Gouvernement n'a pas l'intention de le prolonger.

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Ma lecture des événements diverge de la vôtre : vous semblez réduire les auteurs des protestations et des violences à des profils délinquants et à une jeunesse en déshérence, omettant ainsi les manifestations qui se sont déroulées avant l'examen du projet de loi constitutionnelle à l'Assemblée ainsi que le rôle de déclencheur des violences joué par l'adoption de celui-ci ; d'ailleurs, si les violences n'étaient pas de nature politique, le Président de la République et vous-même ne vous rendriez pas en Nouvelle-Calédonie.

Oui, les violences sont bien de nature politique ! Que le FLNKS n'en soit pas à l'origine, qu'il soit dépassé et qu'il subisse la concurrence de la CCAT, qui n'est pas légitime à vos yeux, nous l'entendons et nous prenons en compte ces éléments qui éclairent le débat ; ils n'en montrent pas moins la nécessité de ne pas laisser d'espace à la CCAT et de ne pas fermer les processus de dialogue. Pour ce faire, il faut soutenir la légitimité des acteurs qui y participent ; or, en faisant adopter le texte à l'Assemblée nationale avant qu'un accord n'ait été trouvé dans le territoire, vous avez nourri les plus radicaux. Le troisième référendum s'inscrivait certes dans le processus, mais des mouvements en demandaient le retrait à cause du covid, requête à laquelle vous avez répondu par un passage en force, confirmé par l'examen et l'adoption du texte à l'Assemblée nationale, malgré nos alertes. Si vous n'avez pas compris que votre passage en force alimentait la radicalité sur place, votre déplacement en Nouvelle-Calédonie m'inquiète.

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Mercredi 15 mai, trois Kanaks et un gendarme ont été tués par des balles tirées par des particuliers, selon le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc. L'un des trois auteurs des coups de feu s'est rendu et la recherche des deux autres se poursuit. Le haut-commissaire a déclaré que les auteurs de ces crimes étaient des assassins car il n'appartient pas à des groupes d'autodéfense d'utiliser des armes. Le lendemain de cette déclaration, M. Le Franc avait changé d'état d'esprit ; sans cautionner les dérapages, il a plus ou moins approuvé l'existence des milices de voisins vigilants en déclarant : « Que ces voisins vigilants restent là où ils sont. Je sais que c'est un réflexe de protection qui correspond aux attentes de la population des différentes communes de l'agglomération. Au fur et à mesure que les renforts arrivent, ces relèves viendront prendre la place de ces voisins vigilants. » Ces propos sonnent comme une manière de cautionner l'action de ces voisins vigilants si les renforts ont pour mission de les remplacer.

Vous qui parlez de rétablissement de l'ordre républicain, qu'allez-vous faire pour désarmer ces milices qui alimentent les violences et les tensions ?

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Gérald Darmanin, ministre

Monsieur Delaporte, seules cinq perquisitions administratives ont été effectuées – l'État a fait preuve de beaucoup de retenue : nous exploitons actuellement les supports numériques trouvés au cours de ces opérations. Dès que les policiers sont arrivés au domicile de l'une des personnes soupçonnées d'être en lien avec la subversion, celle-ci a jeté son téléphone portable dans les toilettes : vous conviendrez que ce n'est pas le comportement de quelqu'un qui n'a rien à se reprocher.

Les perquisitions peuvent se faire de nuit pendant l'état d'urgence, ce qui n'est pas le cas dans le régime de droit commun, sauf en cas de suspicion de crime en bande organisée ; pour les assignations à résidence, seul l'état d'urgence permet d'en prendre. Une personne assignée à résidence n'est pas contrainte de rester à son domicile toute la journée, elle n'a simplement pas le droit d'entrer en contact avec certaines autres personnes. Là encore, très peu de mesures ont été prises, puisque seules une vingtaine de personnes sont assignées à résidence, chiffre très inférieur à celui de précédents épisodes d'état d'urgence. Nous sommes en train d'évaluer l'opportunité de proroger ce régime et nous aurons l'occasion d'en reparler ensemble, même si vous avez compris mon inclination.

Madame Abomangoli, nous condamnons toutes les milices puisque seules la police et la gendarmerie détiennent la violence légitime. Nous défendons toujours les forces de l'ordre, car si nous ne le faisions pas, d'autres le feraient à notre place. Je vous remercie d'avoir souligné l'importance de la police et de la gendarmerie et vous invite à les encourager dans d'autres domaines, ainsi qu'à respecter leurs membres en tant que femmes et hommes.

Monsieur le président, vous avez très bien répondu à M. Léaument : le premier et le troisième référendum ont en effet été déclenchés par les indépendantistes, et le juge a validé ces consultations.

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Le rapport que nous écrirons avec M. Rimane sera diffusé à l'ensemble des membres de la commission ; il visera à analyser les mesures prises et les effets qu'elles ont produits. Les mesures sont individuelles – perquisitions administratives et arrêtés d'assignation à résidence – et réglementaires ; dans cette dernière catégorie, trois relèvent de l'état d'urgence – couvre-feu, réquisitions administratives, notamment de personnels soignants, et interdiction des rassemblements ; l'une d'entre elles, la coupure du réseau social TikTok, n'avait pas de fondement légal, mais le ministre a avancé la théorie des circonstances exceptionnelles. Des recours ont été formés contre cette mesure, et la décision du Conseil d'État devrait être rendue rendues d'ici à la fin de la semaine.

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Quelle est la durée du déplacement du Président de la République ?

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Il revient à Paris vendredi après-midi. J'ai été invité à l'accompagner, mais j'ai dû y renoncer pour des raisons personnelles.

La séance est levée à 17 heures 35.

Information relative à la Commission

La Commission a désigné MM. Sacha Houlié et Davy Rimane, rapporteurs sur le contrôle parlementaire de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwan Balanant, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Anne Brugnera, M. Arthur Delaporte, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Andy Kerbrat, M. Antoine Léaument, Mme Marie-France Lorho, Mme Aude Luquet, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Paul Molac, M. Didier Paris, M. Jean-Pierre Pont, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - M. Éric Ciotti, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, M. Laurent Marcangeli, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Philippe Pradal

Assistaient également à la réunion. - Mme Nadège Abomangoli, M. Jean-Victor Castor, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jérôme Guedj, M. Bastien Lachaud, M. Sylvain Maillard