Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 21 mai 2024 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Non ! Vous avez voté tous les textes proposés par le Gouvernement. Dans votre explication de vote sur la motion de rejet préalable du projet de loi constitutionnelle, vous avez souligné l'attachement viscéral de Marine Le Pen à la Nouvelle-Calédonie. On a vu depuis que c'était mensonger : votre position, vous l'avez trahie au premier coup de vent. Cela montre d'ailleurs quelle sera votre solidité si vous arrivez au pouvoir : à la première difficulté, vous changerez d'avis comme une volée de moineaux – tout le monde a condamné ce revirement de Mme Le Pen, et vous-même devez en être bien embêté. Sans doute cela explique-t-il, d'ailleurs, pourquoi elle n'a jamais pris la parole dans l'hémicycle, dont elle a plusieurs fois été absente ; elle vous a laissé faire le sale travail et vous vous trouvez maintenant, comme un mauvais avocat, obligé d'expliquer pourquoi vous adoptez une position totalement différente.

« Le dégel du corps électoral est un impératif pour garantir en Nouvelle-Calédonie une démocratie authentique et représentative, ainsi que des élections justes et légitimes où chacun, dans sa diversité, se sentira investi de son destin politique. Vous l'aurez compris : le groupe Rassemblement national […] votera contre la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) » C'était le 13 mai 2024. Vous avez été un peu plus long que saint Pierre à vous renier, mais les Néo-Calédoniens l'ont bien compris ; en quelques instants, Mme Le Pen a réussi à démontrer qu'elle n'était qu'une politicienne comme les autres. Je regrette profondément votre incohérence, parce que vous aviez fait état d'un argument très solide : par trois fois les Calédoniens se sont exprimés contre l'indépendance, ce qu'il faut prendre en considération dans le travail que nous leur devons. Franchement, c'est pas jojo, comme on dit dans le Nord et le Pas-de-Calais – il n'y a pas de quoi être fier.

Monsieur Lachaud, vous m'interrogez sur l'état d'urgence, motif de cette audition. Le groupe La France insoumise considère en général que nous sommes la pire des dictatures. S'agissant de l'interdiction de TikTok, qui était le moyen de communication privilégié, nous verrons ce que le juge en dit mais, dans une dictature, on peut rarement faire appel à lui, ou il n'est pas indépendant. D'ailleurs, dans une dictature, vous auriez eu du mal à poser votre question – mais c'est un autre sujet, et il est heureux que nous puissions avoir ce débat.

Aucune des mesures que j'ai prises dans le cadre de l'état d'urgence n'a concerné un élu. Aucun élu n'a été privé de sa liberté d'agir, de s'exprimer, de manifester, de discuter. Le haut-commissaire, comme le Premier ministre, le Président de la République et moi-même, avons entretenu des échanges nombreux avec tous les élus. Certains n'étaient pas joignables, mais j'ai maintenu les liens. Je remercie d'ailleurs le haut-commissaire et ses équipes, qui font un travail formidable, dans les conditions difficiles que chacun sait.

Monsieur Gosselin, madame Luquet, il existe encore des poches de non-droit, même si, à Nouméa, la situation s'est largement améliorée. Trois quartiers méritent l'attention. À Ducos, la zone industrielle et économique, la police et la gendarmerie ont beaucoup travaillé depuis quarante-huit heures, et mené de nombreuses interpellations ; mais il est vrai que des tentatives de pillage peuvent encore survenir. Rivière-Salée est un quartier populaire dense et contraint, donc complexe ; en ce moment même des tireurs embusqués ciblent les forces de l'ordre. À Magenta, quartier très populaire, les barrages sont détruits, parfois reconstruits, par certains émeutiers. Nous mettons du temps à reconquérir ces quartiers, parce que ma responsabilité de chef de la police et de la gendarmerie n'est pas d'accueillir tous les jours des cercueils à leur retour dans l'Hexagone. Je donne des moyens proportionnés, pour que personne ne soit tué dans la reconquête du territoire national, qu'il s'agisse des forces de l'ordre ou des émeutiers, dont on doit évidemment respecter la vie.

Les actions sont donc organisées en conséquence, de manière perlée, notamment à Rivière-Salée et à Magenta, où des tireurs sont embusqués sur les toits, très organisés : nous y avons déployé le GIGN et l'unité Raid, et non des unités de force mobile (UFM). Nous avons rencontré plus de difficultés dans certaines communes du Grand-Nouméa, comme à Païta et à Dumbéa. J'ai donc demandé l'installation d'escadrons de gendarmerie mobile (EGM) dans les mairies, pour contrôler les zones concernées. La reconquête de Païta est en passe d'être accomplie ; à Dumbéa, c'est plus compliqué : le GIGN s'est fait tirer dessus à balles réelles. J'exprime une pensée aux trois policiers de la brigade anticriminalité (BAC) qui ont été quasiment laissés pour morts lors de leur intervention près du sénat coutumier, lequel a également été l'objet d'exactions. On remarque d'ailleurs que cette instance, kanak s'il en est, a été prise pour cible : son incendie n'est pas un message politique mais une action violente, subversive. Évidemment, les policiers de la République se sont rendus sur place pour protéger les institutions.

Monsieur Molac, on constate également que les actions ont eu lieu dans l'agglomération de Nouméa, et non ailleurs en Nouvelle-Calédonie : ni dans la province Nord, ni dans les îles Loyauté, ni hors des grandes villes, alors que ce sont les lieux où l'identité des indépendantistes s'exprime le plus fortement. Il y a eu des manifestations, des gens ont exprimé leur désaccord avec le vote parlementaire, mais il n'y a pas eu de violences.

Quelles conclusions tirer ? On peut critiquer ceux qui agissent, quand ceux qui ne font rien ne sont jamais critiqués. Les accords de Matignon et de Nouméa ont instauré la paix publique jusqu'aux trois référendums, mais ils n'ont pas abouti à la paix sociale. À l'époque du référendum de 2018, qui a vu le « Oui » se rapprocher du « Non », les difficultés sociales étaient manifestes. Pour de nombreuses raisons, les Kanaks n'ont pas connu de rattrapage économique ni social. Les observateurs des forces de l'ordre, de la justice et les responsables indépendantistes le disent tous : des jeunes Kanaks en déshérence se sont accumulés dans des squats et des logements sociaux, en dehors de la vie tribale et de la vie coutumière, que d'ailleurs ils ne veulent pas reprendre parce qu'ils sont en conflit avec leur tribu ou leur chef, ou parce qu'ils n'ont pas su s'insérer, ou qu'on n'a pas pu les insérer, peut-être faute d'envie suffisante d'y parvenir – vous choisirez. Une partie d'entre eux, ainsi entrés dans la violence, comme cela se produit souvent dans l'Hexagone, sont utilisés pour passer à l'acte. La situation est difficile dans les communes de l'agglomération de Nouméa où se trouve cette jeunesse en déshérence. Les militants indépendantistes, eux, sont souvent dans la province Nord, notamment à Koné, ou dans les îles Loyauté ; ils n'ont pas commis de violences contre une population dont ils considéreraient qu'elle ne devrait pas se trouver en Nouvelle-Calédonie.

Je vous invite donc à réfléchir à la dynamique qui a conduit à ces violences, qui ne sont pas politiques. Le CCAT en fait un usage politique, mais elles ne le sont pas par nature.

Pour vous répondre plus précisément, j'ajoute que les quelques poches de non-droit, en tout cas les endroits où nous connaissons de grandes difficultés, sont ces quartiers que l'on peut qualifier de populaires, même si en Nouvelle-Calédonie, les termes ne sont pas les mêmes que dans l'Hexagone.

Madame Poussier-Winsback, je ne peux pas répondre à votre question sur la composition de la mission. D'abord, elle ne concerne pas l'état d'urgence. Ensuite, le Président de la République l'annoncera – je ne suis pas certain que tous les arbitrages aient été rendus. L'un de ses futurs membres connaît parfaitement le dossier calédonien. La mission est plus administrative que politique ; le Président a choisi des gens capables d'établir un constat pour répondre à certaines de vos questions, auxquelles je ne peux moi-même répondre.

Monsieur Gosselin, selon mes informations, la CCAT était une organisation violente, qui s'est coupée du FLNKS, avec lequel elle s'était fâchée et à qui je n'exprime donc aucun grief. J'espère que la rupture est complète ; le contraire poserait de multiples problèmes. Le FLNKS essaie de reprendre la main politiquement. Devant l'expression de la force de l'État, la CCAT manifeste une volonté de mutation : ses dirigeants nous ont fait savoir qu'ils voulaient devenir nos interlocuteurs politiques, en remplaçant le FLNKS. Le rapport de force contre la République a peut-être abrité une lutte de pouvoir entre les indépendantistes ; la République l'emportant, même s'il faudra probablement attendre plusieurs jours pour qu'elle le fasse dans l'ensemble du territoire calédonien – nous y parviendrons en respectant la vie humaine –, la CCAT concurrence le FLNKS pour représenter les indépendantistes dans les discussions avec l'État et les autres partenaires.

J'ajoute que, dans les premiers documents qu'elle a envoyés, elle ne s'opposait pas au dégel du corps électoral, elle demandait l'indépendance immédiate. En acceptant ses revendications, nous nous serions donc assis sur le Parlement, sur les accords de Matignon et de Nouméa ainsi que sur les trois référendums. La CCAT se transforme donc en organisation politique – il y a de nombreux précédents, notamment dans l'histoire de la République, en particulier en Corse et au Pays basque. Je ne suis pas sûr que nous souhaitions tous suivre l'exemple irlandais : l'histoire et les mœurs du mouvement irlandais étaient très différentes, même si ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie est dramatique. Nous devrions en tout cas nous interroger sur cette évolution : comment un mouvement politique qui s'est séparé du FLNKS, parce qu'il lui conteste le droit de négocier – contrairement à ce qui a été dit, des accords avaient été trouvés et signés – devient-il une vitrine politique qui fait l'objet d'un débat ? Pour discuter avec l'État, les partis politiques désignent leurs représentants, lesquels ne sont pas des élus puisque des élus – tel le président Mapou – sont déjà en relation avec l'État, par définition.

Pour organiser les bureaux de vote des élections européennes, je compte sur les maires de la République. Fort heureusement, la loi autorise le ministre de l'intérieur à prendre les dispositions nécessaires pour que les élections se tiennent. Je l'ai dit, les bulletins seront imprimés en métropole pour les trente-sept listes – qui comptent chacune quatre-vingt-un candidats – et acheminés sur place. La sécurité sera garantie dans tous les bureaux. Lorsqu'il organise le vote, l'officier d'état civil n'agit pas en tant qu'élu, mais au nom de l'État. Si tel n'était pas le cas de certains, nous prendrions nos responsabilités pour les y contraindre et nous désignerions des électeurs pour tenir les bureaux de vote, que nous pouvons également délocaliser, jusqu'au dernier moment – les habitants de Koné, par exemple, pourraient voter dans un lieu dépendant du haut-commissariat.

Madame Luquet, si l'état d'urgence est levé, plus aucune mesure particulière ne s'appliquera ; et même si le Parlement vote sa prolongation, le Gouvernement peut le lever avant la fin du délai prévu. Hors de l'état d'urgence, les mesures éventuelles seraient prises par la voie judiciaire et non par la voie administrative – je précise que, dans le cadre de l'état d'urgence, le ministère de l'intérieur prend ses décisions sous le contrôle du juge administratif.

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