Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 21 mai 2024 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer :

Comme vous le savez, même si le Gouvernement peut décider seul de déclarer l'état d'urgence pour douze jours, il est tenu d'informer l'Assemblée nationale et le Sénat des mesures qu'il prend dans ce cadre. J'ai donc informé les présidents de ces deux chambres des premières mesures adoptées, en vous mettant en copie, monsieur le président de la commission des lois.

Je suis disponible pour répondre aux questions de la représentation nationale, même si je ne dispose que d'un temps limité, puisque je dois finalement repartir ce soir en Nouvelle-Calédonie avec M. le Président de la République.

Vingt-neuf procédures d'assignation à résidence sont en cours ; dix-sept ont été notifiées. La notification n'est pas toujours facile, soit à cause de difficultés d'ordre public, soit parce que les personnes visées n'habitent pas en ville et sont difficiles à retrouver. Je signe moi-même ces notifications, qui ciblent les personnes suspectes d'encourager à la subversion ou d'appeler à la violence. Celles-ci appartiennent souvent à la CCAT – cellule de coordination des actions de terrain –, pour autant qu'on puisse le déterminer puisque cet organisme n'est pas entièrement formalisé. L'assignation à résidence leur impose non pas de rester en permanence à domicile, mais de pointer plusieurs fois par jour dans un commissariat de police ou une brigade de gendarmerie. Elle leur interdit en outre d'entrer en relation avec certains tiers, afin d'empêcher ceux que nous soupçonnons d'être les organisateurs de l'insurrection de continuer à travailler ensemble.

Contrairement aux assignations à résidence, les perquisitions administratives sont décidées de manière déconcentrée par le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, après m'en avoir informé et avoir informé les services centraux. Sur les vingt-trois perquisitions administratives prévues, seules cinq ont pu être réalisées. De fait, durant les quarante-huit premières heures, la priorité était de rétablir la paix publique ; à l'heure où je vous parle, elle ne l'est pas totalement, et les forces de l'ordre se heurtent à l'hostilité de leurs cibles.

Vingt-deux interdictions de paraître ont été prononcées, souvent en même temps que les assignations à résidence. L'état d'urgence permet en outre de durcir certaines sanctions, dans un souci de maintien de l'ordre public. Ainsi, actuellement, sur place la violation du couvre-feu et le transport d'une arme sont passibles d'une peine de prison – alors que cette dernière infraction ne donne lieu qu'à une contravention en temps normal.

Les forces de l'ordre ont procédé à 276 interpellations – y compris hors état d'urgence –, lesquelles ont débouché sur 248 gardes à vue. Les gardés à vue sont souvent des jeunes hommes mais, contrairement à ce que j'ai lu dans la presse, une trentaine d'entre eux seulement sont mineurs.

La police de la République a fait preuve de rapidité en interpellant les auteurs présumés des homicides de trois jeunes Kanaks. Quant au premier gendarme décédé, Nicolas Molinari, je rappelle qu'il n'a pas été tué dans l'action mais pendant que les forces de l'ordre parlementaient avec des locaux âgés. Nicolas Molinari avait retiré son casque et se reposait, assis derrière le volant d'un Irisbus, quand il a été frappé d'une balle en pleine tête. Nous n'avons pas encore interpellé l'auteur du tir, même si nous pensons l'avoir identifié. C'est le seul homicide pour lequel aucun suspect n'a été interpellé.

Quant au décès du deuxième gendarme, il résulte probablement d'une erreur de manipulation de matériel qui n'a rien à voir avec les événements proprement dits – même si l'on peut penser que la fatigue et la pression dues aux circonstances ont joué dans cet accident. De nombreuses personnes ont été interpellées pour pillage, agression physique, et actes contraires à l'ordre public – M. le garde des sceaux se tient à votre disposition pour ce qui concerne la réponse pénale.

Depuis le début des événements, 1 131 agents ont été envoyés sur place en renfort. Ces forces se composent notamment de neuf escadrons de gendarmerie mobile, de soixante-cinq membres de la CRS 8, de quatre-vingt-quatre membres de la CRS 82, de cinquante-sept membres du GIGN – groupe d'intervention de la gendarmerie nationale –, de quatorze membres du Raid – recherche assistance intervention dissuasion –, mais également, puisque les interpellations donnent lieu à des enquêtes, d'OPJ – officiers de police judiciaire –, dont vingt-six sont issus de la police nationale et quarante et un de la gendarmerie nationale. La numéro deux de la police nationale a été dépêchée sur place, ainsi que des spécialistes de commandement et de soutien et deux sous-préfets, qui veillent à la bonne application des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence avec le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie. S'y ajoutent soixante-cinq sapeurs-pompiers, pour les feux urbains, et soixante membres des Formisc – formations militaires de la sécurité civile – qui s'acquittent de l'évacuation des déblais de barrage après l'intervention des gendarmes et des policiers, faute d'entreprise en mesure de le faire sur place. Je rappelle au passage que les gendarmes et les policiers circulent partout et ont déblayé en quelques heures les soixante-seize barrages répartis sur la route d'une soixantaine de kilomètres reliant l'aéroport de La Tontouta à Nouméa.

Douze membres des ERIS – équipes régionales d'intervention et de sécurité – ont également été dépêchés, au vu des événements qui ont eu lieu dans la prison de Nouméa et des transferts dans la prison de Koné décidés par le garde des sceaux. Ces spécialistes des interventions dans le milieu carcéral dépendent d'ailleurs du ministère de la justice.

Le pont aérien se poursuit. Quatre avions militaires et civils actuellement en transit transportent l'équivalent de six escadrons de gendarmerie, des CRS, ainsi que des membres des Fanc – forces armées de la Nouvelle-Calédonie. Les forces armées n'assurent pas l'ordre public, cette mission étant réservée aux forces du ministère de l'intérieur, comme le ministre des armées et moi-même le souhaitons. En revanche, les militaires appuient l'intervention sanitaire – ils ont notamment soigné M. Molinari –, assurent la distribution alimentaire et protègent des lieux républicains tels que le haut-commissariat. Puisque les élus calédoniens, qu'ils soient ou non indépendantistes, font l'objet de menaces graves et sérieuses, nous leur avons en outre proposé la protection de militaires du GIGN et d'agents du Raid. Certains ont refusé cette protection, comme c'est leur bon droit.

Vous m'interrogez sur l'organisation d'une permanence au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie. Vu les événements, celui-ci manque malheureusement de personnel, tout comme le ministère de l'intérieur.

Certains ont critiqué un manque d'anticipation. Je rappelle toutefois que, au début des événements, sept escadrons de gendarmerie étaient déjà sur place, soit un effectif considérable, bien supérieur aux trois escadrons déployés à Marseille dans les moments les plus difficiles. Les manifestations indépendantistes et loyalistes du 13 mai, qui ont rassemblé près de 40 000 personnes dans les rues de Nouméa, ont été encadrées par 1 700 policiers et gendarmes, effectif considérable sur une île de 250 000 habitants, et plus important que celui engagé lors des référendums. Ces manifestations se sont d'ailleurs déroulées dans d'excellentes conditions, alors que les deux camps défilaient à quelques rues l'un de l'autre.

Pour assurer le traitement judiciaire des très nombreuses gardes à vue, le garde des sceaux envoie des soutiens au tribunal de Nouvelle-Calédonie, notamment au parquet général. Quant à la juridiction administrative, si elle est placée sous l'autorité du garde des sceaux, elle est plus directement gérée par le Conseil d'État, qui ne m'a pas apporté de réponse concernant un éventuel renfort. En tout cas, la permanence judiciaire et administrative est garantie et nous travaillons avec les juridictions administratives.

Je n'ai pas connaissance de contestation des assignations à résidence notifiées. En revanche, un référé a été déposé devant le Conseil d'État pour contester l'instauration de l'état d'urgence.

La décision d'interdire TikTok a été prise par le Premier ministre avec le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, au nom de la théorie des circonstances exceptionnelles. Elle a fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'État, qui devrait publier sa décision à la fin de la semaine.

Je rappelle que les télécommunications relèvent de la compétence du gouvernement local et que l'île est couverte par un opérateur de téléphonie mobile propre, différent des opérateurs en métropole. Nous avions envisagé de dégrader localement la qualité du réseau mobile utilisé pour les réseaux sociaux, en le faisant passer de la 5G à la 2G, comme l'avaient proposé les sénateurs dans un rapport sur les émeutes de 2023, mais nous y avons finalement renoncé.

Je ne sais pas s'il sera nécessaire de proroger l'état d'urgence. Afin de parer à cette éventualité et d'être prêts pour le lundi 27 mai, nous avons d'ores et déjà transmis une ébauche de projet de loi au Conseil d'État, qui n'a pas encore été présentée en Conseil des ministres. Si un tel texte était ensuite débattu au Parlement – mais je ne veux pas préempter la décision du Conseil des ministres et du Président de la République –, l'avis du Conseil d'État y serait intégralement annexé.

Enfin, nous avons déjà évacué quatre-vingt-quatre personnes, notamment des membres de la famille de gendarmes ; l'opération se poursuit, avec les touristes français et étrangers. Nous travaillons désormais à permettre le retour dans l'île des touristes calédoniens qui le souhaitent.

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