Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Jeudi 14 mars 2024
La séance est ouverte à 15 heures
Présidence de M. Mansour Kamardine, président
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) : M. Julien Marion, directeur général, Mme Catherine Haller, cheffe du bureau de la planification des exercices et des retours d'expérience et Mme Clémence Lecoeur, directrice de cabinet
Nous poursuivons nos auditions avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui est l'une des directions du ministère de l'intérieur et des outre-mer. Nous accueillons son directeur général, monsieur Julien Marion, ainsi que madame Catherine Haller, cheffe du bureau de la planification, des exercices et du retour d'expérience, et madame Clémence Lecoeur, directrice de cabinet.
Votre audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. L'enregistrement vidéo sera ensuite disponible sur demande.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Julien Marion, Mme Catherine Haller, Mme Clémence Lecoeur, M. Sébastien Jaudon et Mme Marilie Tison-Grorichard prêtent serment.)
Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer sur un sujet central pour l'activité de la DGSCGC, à savoir la gestion des risques naturels majeurs d'outre-mer.
Sur l'ensemble du territoire national, nous sommes confrontés aux conséquences du dérèglement climatique et à l'évolution très rapide de risques d'origine naturelle. En la matière, l'exception devient progressivement la norme. Ce sujet concerne également le territoire métropolitain, avec l'évolution du risque de feu de forêt. Le devoir et le rôle de la puissance publique sont de s'adapter à ces évolutions. Naturellement, la DGSCGC appréhende cet impératif d'adaptation avec sérieux.
Les territoires d'outre-mer sont particulièrement concernés par cette évolution et par ces phénomènes. Elles sont déjà confrontées à des risques naturels majeurs renforcés par un certain nombre de caractéristiques, dont l'insularité, l'éloignement de la métropole et la superposition d'un certain nombre de risques, qui engendrent des contraintes supplémentaires.
Les conséquences du changement climatique à l'horizon 2030 et 2050 sont variées. Dans les territoires ultramarins, il s'agit d'effets directement liés à une augmentation tendancielle des températures moyennes, à une récurrence accrue des périodes de forte chaleur, ainsi qu'à une hausse tendancielle des cumuls et une récurrence plus élevée des périodes de précipitations intenses.
Les phénomènes de houle cyclonique ou de cyclones connaissent également une croissance tendancielle parfaitement documentée et caractérisée. L'augmentation du niveau de la mer constitue un autre phénomène à prendre en compte. Moins visible, le phénomène d'acidification des océans ne doit pas être négligé non plus.
Ces différents aspects ont des conséquences indirectes sur un certain nombre de caractéristiques, avec les phénomènes d'érosion, d'inondation et de submersion marine, les feux de végétation qui découlent de la récurrence des périodes de sécheresse et l'évolution des ressources en eau. Les effets portent également sur la santé humaine, comme nous le constatons à Mayotte.
Dans ce cadre, la mobilisation de l'ensemble des acteurs, le développement de la résilience des populations, l'organisation d'une réponse nationale et locale constituent des impératifs et des éléments structurants de la réponse publique à ces évolutions.
À la différence du territoire métropolitain, les territoires ultramarins devront prendre en compte trois facteurs qui dimensionnent la réponse de sécurité civile afin de répondre de manière efficace à l'accélération des conséquences du changement climatique.
Le premier facteur est l'éloignement des moyens d'intervention de la métropole couplé à la fragilité des infrastructures de transport aérien et des infrastructures portuaires, soit une contrainte supplémentaire. Le deuxième facteur réside dans la plus grande vulnérabilité des territoires d'outre-mer en raison de leur caractère insulaire, avec une part très significative de la population directement exposée aux risques durant un même événement, voire sa totalité, dans un contexte de bilan démographique incertain. Troisièmement, les territoires ultramarins subissent des risques spécifiques, comme le risque cyclonique, le risque sismo-volcanique et le cumul de ces risques.
Du point de vue de la DGSCGC, les territoires ultramarins composent un formidable laboratoire de ce que nous sommes capables de mettre en œuvre en matière de résilience, de prévention des risques et d'éducation de la population à ces risques. En pratique, ils ont d'ores et déjà développé une culture de résilience plus avancée que ce qui s'observe en métropole. Avec les populations, les collectivités, les acteurs de l'État présents dans les territoires ultramarins, nous avons déjà construit un socle utile en matière de prévention des risques technologiques, de prévention des risques naturels et d'éducation à la culture du risque.
Dès 2021, la DGSCGC a entamé une réflexion sur les effets du changement climatique et la nécessaire adaptation de la réponse de sécurité civile en se projetant à l'horizon 2050. Certes, cette démarche conduite en lien étroit avec Météo-France couvre l'ensemble du territoire et doit déboucher sur une stratégie collective d'adaptation aux risques climatiques. Néanmoins, parmi les dix groupes de travail constitués à l'issue de cette démarche, un groupe de travail se focalise sur les risques naturels majeurs d'outre-mer, soit un axe prépondérant de la stratégie de réponse aux crises.
Dans un premier temps, nos travaux nous ont permis de rédiger la synthèse des évolutions du climat de chaque bassin océanique et à l'élaboration d'une feuille de route listant plusieurs recommandations d'adaptation de la réponse de sécurité civile face au défi climatique avec pour horizon l'année 2050.
Ces différentes productions ont nécessité environ deux ans de travail et ont été diffusées aux autorités locales en février 2023. Leurs recommandations ont vocation à être mises en œuvre par les collectivités et les services de l'État concernés.
Ces recommandations portent notamment sur un meilleur partage et une meilleure diffusion des connaissances, notamment à travers la création d'une base de données partagée par les acteurs de la gestion des crises. Elles visent également l'organisation de renforts de la coordination interministérielle grâce à des exercices. Les recommandations prévoient en outre la réalisation de travaux de sécurisation de l'accès aux infrastructures majeures, dont les infrastructures portuaires et aéroportuaires, de travaux sur la doctrine de planification ainsi qu'une réflexion sur les moyens rendus nécessaires par l'exposition aux risques climatiques majeurs.
La réponse de sécurité civile dans les territoires ultramarins aux risques d'origine naturelle repose principalement sur les services d'incendie et de secours. Je tiens à souligner la très grande qualité et le fort investissement des services d'incendie et de secours ultramarins. Ces derniers ont développé une véritable culture de la gestion du risque exceptionnel avec des moyens inférieurs à ceux des services d'incendie et de secours métropolitains, à population équivalente. Lors de plusieurs déplacements, j'ai pu constater l'investissement, l'engagement et la culture de résilience remarquable des sapeurs-pompiers ultramarins.
Dans les territoires ultramarins, la réponse à la crise est régie par les mêmes principes que sur l'ensemble du territoire de la République. La chaîne de commandement a fait la preuve de son efficacité dans la durée. Elle repose sur une répartition très claire des compétences et des responsabilités entre le maire, le préfet, l'État et l'échelon intermédiaire que constituent les zones de défense. Je souligne la capacité à mobiliser la solidarité nationale lorsque les capacités de réponse d'un territoire sont insuffisantes, ainsi que la souplesse et l'efficacité de notre organisation de sécurité civile face aux risques exceptionnels.
Notre réponse de sécurité civile face aux phénomènes climatiques exceptionnels d'outre-mer repose en grande partie sur notre réactivité à tous les stades de la gestion de la crise. Dès les premières alertes, nous devons nous efforcer de conserver le « coup d'avance », c'est-à-dire les 24 heures d'avance qui nous permettront, le cas échéant, de projeter les moyens en avance de phase pour pouvoir les mobiliser dès l'occurrence du phénomène.
Le préavis est donc déterminant, tout comme le temps nécessaire pour alerter les populations. À cet égard, nous avons le devoir de mobiliser pleinement les outils d'alerte des populations. En janvier dernier, à l'occasion du passage du cyclone Belal à La Réunion, nous avons pu vérifier que l'alerte des populations a été déterminante et a atteint ses objectifs.
La question du prépositionnement de moyens nationaux de sécurité civile dans les territoires ultramarins demeure parfaitement légitime. Il convient d'y répondre de la manière la plus argumentée possible. Ce besoin en moyens nationaux a été pris en compte dans le cadre de la Lopmi (loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur), adoptée par le Parlement et promulguée au début de l'année 2023.
En matière de sécurité civile, la Lopmi prévoit la création, à l'horizon 2025 aux Antilles et à l'horizon 2027 dans l'océan Indien, de moyens en personnel et en matériel nommés « harpons ». Il s'agit d'une dizaine d'équivalents temps plein (ETP) provenant des formations militaires de la sécurité civile qui seront prépositionnés de manière permanente dans les territoires précités.
Ces ETP auront pour mission de contribuer à la gestion des réserves nationales existantes et à leur projection, ainsi qu'à la formation et à l'entraînement des acteurs locaux à la gestion des crises. En cas de crise ou de catastrophe majeure, ces ETP avancés seront chargés de préparer l'arrivée des renforts. Ce schéma vient compléter le dispositif existant de prépositionnement, dans certains territoires ultramarins, de moyens de la réserve nationale et de moyens nationaux, comme les hélicoptères de la sécurité civile présents aux Antilles et en Guyane et le détachement à La Réunion d'un avion de type Dash pendant la saison des feux de forêt.
Ce format me semble le plus adapté, dans la mesure où le prépositionnement de moyens nationaux plus importants poserait d'autres difficultés de formation, d'entraînement et de projection sur le territoire national.
Très récemment, nous avons encore pu constater l'intérêt de projeter rapidement, depuis le territoire national, des renforts au profit des territoires ultramarins. Près de cent personnes sont intervenues à La Réunion pendant quinze jours lors du passage du cyclone Belal. En Nouvelle-Calédonie, nous avons projeté une équipe d'une quarantaine de sapeurs-pompiers à la demande des autorités locales afin de lutter contre des incendies de grande ampleur.
Depuis septembre 2023, nous avons projeté des moyens extrêmement conséquents de sécurité civile à Mayotte afin d'assurer la distribution d'eau potable en bouteilles auprès de la population de l'ensemble de l'île. Cette opération, qui parvient à son terme, se solde par l'équivalent de 35 000 jours-hommes de renfort mis en œuvre depuis la métropole, soit la plus grande projection de renfort de l'histoire de la sécurité civile. Elle représente l'équivalent de deux saisons de feux de forêt.
En 2015, nous avons projeté en outre-mer 321 jours-hommes de renfort de la sécurité civile, c'est-à-dire des formations militaires de la sécurité civile et des sapeurs-pompiers civils, contre 180 jours-hommes en 2016, 848 jours-hommes en 2017, 1 128 jours-hommes en 2018 et 2 568 jours-hommes en 2019. En 2020, la projection des moyens s'est tassée à 1 728 jours-hommes en raison de la crise sanitaire du covid. En 2021, elle a atteint 6 300 jours-hommes. Un nouveau tassement s'est observé en 2022, avec 1 730 jours-hommes.
En revanche, en 2023, 15 215 jours-hommes ont été projetés dans les territoires ultramarins. Au cours des trois premiers mois de l'année 2024, nous avons déjà atteint les 17 000 jours-hommes, soit davantage que l'intégralité de la projection de l'année 2023, qui affichait pour autant un niveau exceptionnel en la matière.
Ces données chiffrées illustrent parfaitement l'implication de la sécurité civile et constituent une sorte de « thermomètre » de son activité ultramarine. Il convient toutefois de réfléchir en parallèle aux causes de la « poussée de fièvre » en question et d'analyser les phénomènes. Enfin, notre réflexion doit également porter sur les éléments permettant de mieux prévenir les risques et d'améliorer l'éducation dans ce domaine.
Monsieur le directeur, je vous exprime la gratitude de l'ensemble des Mahorais envers les forces qui interviennent actuellement à Mayotte. Nous tendons fréquemment à formuler des critiques lorsque les dispositifs ne fonctionnent pas correctement et à taire les succès. Je souhaite donc souligner que votre intervention à Mayotte est particulièrement appréciée.
Pouvez-vous dresser le bilan ou le retour d'expérience des cyclones Irma et Belal et préciser les budgets mobilisés dans ce cadre, ainsi que les évolutions à venir et les perspectives ?
Vos questions portent sur des sujets distincts. Le cyclone Belal est un phénomène récent, puisqu'il date du mois de janvier. Cet épisode aurait pu avoir des conséquences nettement plus dramatiques que celles qui ont été constatées. Je ne minore pas les dégâts importants ayant frappé plusieurs communes de l'île de La Réunion. Néanmoins, le bilan humain, qui n'est certes pas nul, demeure limité. Il est essentiellement imputable à des comportements imprudents de certaines personnes.
Le retour d'expérience du phénomène Belal montre la qualité évidente du travail de planification réalisé par les autorités locales de La Réunion dans le cadre du plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile). Je me suis rendu sur l'île avec le ministre de l'intérieur et j'ai pu constater que ce plan s'apparente à un modèle du genre. Je vous invite donc à le consulter.
Le plan Orsec mis en place dans le cadre du cyclone Belal précise de manière synthétique le rôle et les responsabilités de chacun dans la gestion d'une alerte cyclonique. Je le cite volontiers en tant que modèle. Je souhaiterais même que tous les plans Orsec couvrant tous les types de risques dans l'ensemble des territoires se fondent sur le schéma proposé à La Réunion. À cet égard, le principal risque en matière de planification est d'aboutir à des plans trop détaillés et rapidement obsolètes. Le plan Orsec cyclone mis en œuvre à La Réunion évite cet écueil.
De plus, je relève le professionnalisme des acteurs locaux dans la gestion de la crise. En premier lieu, je pense au préfet de La Réunion, qui a parfaitement activé le dispositif d'alerte des populations intitulé « FR-alert » et a mis en place une communication adaptée et pertinente au moyen des médias traditionnels et des réseaux sociaux. Ainsi, les messages et les consignes comportementales ont été parfaitement diffusés auprès de la population. Lorsque le cyclone est passé au large de La Réunion, la population a donc pu se mettre à l'abri.
En outre, comme je l'avais constaté peu auparavant en métropole, lors d'autres épisodes, je souligne la grande fiabilité des prévisions d'évolution des phénomènes naturels réalisées par Météo-France, qui a accompli d'importants progrès en la matière au cours des dernières années.
En pratique, le cyclone Belal s'est déroulé exactement de la manière annoncée par Météo-France. Sa trajectoire nous a été communiquée dans des délais suffisants. J'avais établi le même constat au début du mois de novembre 2023, lorsque la tempête Ciarán avait frappé l'ouest du territoire métropolitain, dont le Finistère, les Côtes-d'Armor et la Manche. L'amélioration des outils de modélisation, notamment à l'aide du recours à l'intelligence artificielle, fiabilise l'analyse et les prévisions de phénomènes météorologiques majeurs.
Par ailleurs, dans le cadre du phénomène Belal, nous avons été en mesure de projeter dans des délais extrêmement courts des moyens nationaux en renfort des moyens locaux, lesquels étaient dépassés par la gestion des conséquences immédiates du passage du cyclone.
Précisément, nous avons mobilisé des moyens de proximité, notamment en provenance de Mayotte. La solidarité zonale a donc été opérationnelle. Le SDIS (service départemental d'incendie et de secours) a ainsi mobilisé une équipe en renfort des sapeurs-pompiers de La Réunion.
En complément, des colonnes de renfort provenant de la métropole et des moyens des formations militaires de la sécurité civile ont été mobilisées, et ce, dans de très brefs délais. De cette façon, nous avons pu apporter une réponse adaptée aux besoins de la population dans les heures ayant suivi le passage du cyclone.
Enfin, le retour d'expérience à froid que nous allons réaliser sur l'épisode Belal, comme à chaque épisode majeur, nous permettra d'analyser le passage en phase violette souhaité à juste titre par le préfet, selon moi. Lors de cette phase, aucune personne ne pouvait sortir de son domicile, secours inclus. Le CODIS (centre opérationnel départemental d'incendie et de secours) recevait des appels, lesquels ont soulevé une question de doctrine : comment réagir à ces appels ?
Pour sa part, le cyclone Irma est plus ancien. Je vous livre néanmoins quelques éléments de bilan. À l'époque de ce phénomène, j'occupais la fonction d'adjoint du directeur général de la DGSCGC. J'étais donc directement impliqué dans la gestion de cet épisode majeur.
L'ouragan Irma nous a confrontés à un phénomène météorologique absolument hors norme. Il a été suivi de dépressions très importantes. En vingt-quatre heures, ce qui devait être une dépression tropicale relativement marquée s'est transformé en un cyclone de catégorie cinq. Ce phénomène totalement inédit a provoqué un effet de sidération.
En dépit de l'incertitude qui a subsisté concernant la trajectoire du cyclone, le directeur général de la DGSCGC d'alors est parvenu à projeter des moyens sur place en avance de phase au cours d'une courte fenêtre de temps. Sans cette réaction, nous aurons été contraints d'attendre le passage du cyclone et la remise en ordre des infrastructures aéroportuaires pour intervenir.
Par ailleurs, l'articulation avec les échelons locaux, dont l'échelon zonal basé à la Martinique, c'est-à-dire l'état-major de zone, s'est avérée particulièrement solide. En nous appuyant sur cet échelon zonal, nous avons pu déployer une main-d'œuvre logistique inédite dans l'histoire de la sécurité civile. À l'aide d'un pont aérien militaire, nous avons ainsi projeté les moyens humains et matériels nécessaires depuis la métropole vers le hub de la Martinique.
À l'occasion du phénomène Irma, la cellule interministérielle de crise a montré la plénitude de sa pertinence. Compte tenu de l'ampleur des dégâts causés par Irma, tous les ministères étaient concernés. La cellule interministérielle de crise s'est avérée un outil extraordinaire pour construire la réponse à un phénomène météorologique absolument inédit.
Comme dans toute gestion de crise, nous avons noté des aspects perfectibles en matière d'organisation. Cependant, nous pouvons être fiers de la réponse collective apportée au profit du territoire et de sa population après le passage d'Irma.
Monsieur le président, vous m'interrogez également sur le budget de la sécurité civile. En l'espèce, le programme 161 porte les crédits de la sécurité civile au sein de la mission de sécurité du ministère de l'intérieur et des outre-mer. Il regroupe environ 700 millions d'euros de crédits, avec une large majorité de crédits hors titre 2.
En matière d'emplois budgétaires, la sécurité civile représente près de 2 400 ETP. En comparaison, l'écrasante majorité des acteurs du secours, c'est-à-dire des sapeurs-pompiers de tous statuts et des bénévoles des associations de sécurité civile agréées, ne correspondent pas à des emplois de l'État. Il est à noter que la majeure partie des emplois du programme 161 sont composés des formations militaires de la sécurité civile (FORMISC), pour 1 400 ETP. S'y ajoutent le personnel administratif, les démineurs, les pilotes et les mécaniciens qui se chargent des avions et des hélicoptères de la sécurité civile.
Les crédits nous permettent notamment d'alimenter les avions et hélicoptères en carburant et en produit retardant, de contribuer au financement de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, de financer certains projets structurants pour les acteurs du secours, comme le projet NexSIS et le pacte capacitaire.
Ma commune accueille l'un des centres de réserve de la sécurité civile. J'ai eu l'occasion de le visiter. Le matériel qui y est entreposé et qui peut être ainsi projeté dans des délais extrêmement réduits est impressionnant.
Vous indiquez qu'une feuille de route est en cours d'établissement avec les territoires. En outre, vous établissez un bilan très positif du plan Orsec de La Réunion. En creux, nous pouvons penser que tous les plans Orsec n'affichent pas la même qualité.
Comment évolue votre doctrine en la matière ? Comment vos feuilles de route et vos retours d'expérience sont-ils intégrés dans l'évolution des plans Orsec ? Est-il nécessaire d'apporter rapidement une modification à certains aspects des plans pour en garantir le caractère opérationnel ?
Par ailleurs, vos préconisations et vos retours d'expérience sont-ils intégrés dans les plans de prévention des risques (PPR) ? En effet, ce sont vos forces opérationnelles qui sont les mieux à même de formuler ces préconisations.
Plus généralement, lors de chaque audition, nous tendons à établir des comparaisons entre la gestion du cyclone Belal et du phénomène Irma. Nous avons noté que ce dernier a été intégré profondément dans la culture de prévention du risque des services de l'État et des services locaux, ce qui est positif. Cette intégration culturelle a effectivement abouti à une gestion du cyclone Belal particulièrement efficace.
Cependant, les scientifiques indiquent également qu'au regard de la trajectoire de l'évolution climatique, le risque est que les événements soient non pas plus nombreux qu'actuellement, mais plus semblables à l'ouragan Irma qu'au cyclone Belal, c'est-à-dire des événements d'une intensité plus forte en moyenne que ceux d'aujourd'hui.
Comment cette trajectoire est-elle intégrée dans les documents ? Comment transmettez-vous les informations en la matière ? Comment faites-vous en sorte de pouvoir gérer le cumul des désordres ? J'évoque ici des désordres climatiques avec des effets sur les populations, mais également sur les industries, des risques de pollution ainsi que des aléas devenant extrêmement divers.
Vous vous montrez rassurant lorsque vous nous exposez votre expérience. En revanche, vous l'êtes moins lorsque vous indiquez que tous les moyens nécessaires pour gérer ce cumul de désordres ne sont pas à disposition. Peut-être ai-je une compréhension trop pessimiste de vos propos. Le cas échéant, vous pourrez apporter un éclairage.
En outre, de nombreux scientifiques, notamment à Météo-France, tendent à regretter de ne pas pouvoir bénéficier d'interlocuteurs suffisamment stables pour pouvoir partager leur culture et améliorer la performance dans l'établissement des prévisions. Que vous inspire cette remarque ?
Vous indiquez par ailleurs que dix ETP seront mobilisés pour pouvoir préparer chacun des territoires. Ces moyens vous paraissent-ils à la mesure de l'évolution des aléas et des enjeux d'aujourd'hui et de demain ? À cet égard, le chiffre de 17 000 jours-hommes que vous avez mentionné précédemment constitue certes un thermomètre, mais décrit également une trajectoire. En effet, rien ne laisse présager qu'il se réduira durablement dans les temps à l'avenir, notamment si les mécanismes du réchauffement climatique se traduisent comme nous l'anticipons.
Enfin, vous avez évoqué les cas de l'océan Indien et des Antilles. Nous souhaitons savoir comment se répartissent les compétences dans les différents territoires du Pacifique et leur articulation avec les territoires relevant de l'article soixante-quatorze ou du titre treize de la Constitution.
J'entame ma réponse par une remarque générique : la gestion des crises, dont les crises d'origine naturelle, est une extraordinaire école d'humilité, car elle renvoie à des considérations de nature quasiment philosophique sur les rapports entre l'homme et la nature. Je pourrais disserter des heures durant sur ce qui se passe quand l'homme a l'illusion ou la prétention de vouloir dominer la nature. La gestion des crises demeure une école d'humilité permanente.
Nous tentons de « domestiquer » cette difficulté à travers une posture d'humilité, qui consiste à admettre que nous n'avons pas toujours raison et que l'apprentissage est continu, et à travers un certain nombre de principes qui structurent notre action.
Cet aspect renvoie à la manière dont nous intégrons les leçons tirées des différentes gestions de crises, c'est-à-dire les retours d'expérience. Je vous rassure, monsieur le rapporteur. Au sein de la DGSCGC, une sous-direction se consacre à la prise en considération des retours d'expérience. Il s'agit du bureau dirigé par madame Catherine Haller.
Les missions de ce bureau et de cette sous-direction sont d'analyser les risques en permanence et de rester en éveil sur l'évolution des risques. Il s'agit également d'animer et de garantir la qualité du travail de planification qui découle de l'analyse des risques, tant sur le plan national que sur le plan local. À ce titre, nous devons apporter une aide aux acteurs locaux dans leur travail de planification. S'ajoutent à ce schéma la politique de retour d'expérience et la politique d'exercice.
La bonne gestion d'une crise implique un travail de préparation, notamment à travers le travail de planification opérationnelle. Celle-ci doit déboucher sur un plan pouvant être valablement mis en œuvre le jour où la crise survient.
La préparation d'une crise repose également sur les leçons des crises précédentes, c'est-à-dire le retour d'expérience. Chaque crise, sans exception, nous permet d'identifier des nouveautés et d'affiner le dispositif. À titre d'exemple, lors du phénomène Belal, nous avons appris à gérer la phase violette d'alerte des populations.
La préparation d'une crise s'appuie en outre sur les exercices nationaux, qu'ils soient pilotés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), par le ministère de l'intérieur ou par les autres ministères, et les exercices locaux. Il est à noter qu'un bon exercice est un exercice raté. A contrario, un exercice au cours duquel tout se déroule comme prévu n'a sans doute pas été bien pensé.
Précisément, les exercices sont conçus pour révéler les dysfonctionnements afin que, lors de la crise, les dispositifs fonctionnent plus ou moins correctement. Nous réalisons un grand nombre d'exercices nationaux et locaux. Un exercice aura lieu au début du mois d'avril en préparation des jeux olympiques et paralympiques.
Cette politique d'exercice est également suivie au sein du bureau de Catherine Haller. Nous nous assurons qu'en complément des exercices nationaux, les exercices locaux conduits par les préfectures sont suffisamment nombreux et variés. Cette démarche vise à nous accoutumer aux risques et à l'incertitude liée aux épisodes climatiques majeurs.
De ce point de vue, le parallèle entre la gestion des crises Irma et Belal est intéressant. Les conséquences du cyclone Belal auraient pu être nettement plus dramatiques. Ce phénomène a modifié sa trajectoire au dernier moment pour passer à quelques dizaines de kilomètres au large des côtes réunionnaises. Initialement, sa trajectoire incluait l'île de La Réunion. Nous nous y étions préparés.
Par ailleurs, plusieurs scientifiques relèvent l'absence ou l'insuffisante stabilité des interlocuteurs en matière d'appréhension des risques majeurs, ce qui renvoie à des considérations qui dépassent le champ de la DGSCGC.
Les structures doivent continuer de fonctionner au-delà des personnes qui les incarnent temporairement. En matière de gestion des crises, comme dans d'autres domaines, toute organisation qui dépend trop des personnes qui la composent s'avère fragile. À travers la planification, nous nous efforçons de créer des schémas pérennes de prise de décision.
En outre, le Pacifique se caractérise par une situation juridique quelque peu différente des autres territoires ultramarins. Comme vous le savez, en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie française, la compétence en matière de sécurité civile a été transférée au gouvernement local.
L'État n'est plus compétent en première intention en matière d'organisation des secours. Il le reste en matière de supervision zonale. Néanmoins, cet échelon n'est pas directement en prise avec l'activité opérationnelle. En conséquence, les gouvernements locaux sont chargés de faire fonctionner les services locaux de sécurité civile. Les modalités d'intervention sont donc différentes de celles des autres territoires ultramarins.
Toutefois, comme nous l'avons vérifié récemment en Nouvelle-Calédonie, lorsqu'un territoire est confronté à un épisode climatique majeur, comme des incendies, il peut recourir à la solidarité nationale. Nous apportons également un appui aux autorités locales de Polynésie française en matière de structuration des services d'incendie et de secours.
J'aborde votre dernière question, monsieur le rapporteur, concernant le caractère suffisant ou non des moyens supplémentaires que nous implanterons dans les territoires ultramarins en application de la Lopmi. Il s'agit d'un progrès par rapport à la situation actuelle. Je souligne toutefois qu'il ne s'agit pas de moyens d'intervention. Ces derniers proviendront principalement des acteurs présents localement et des renforts nationaux.
Précisément, les dix ETP qui constituent le « harpon » faciliteront l'arrivée des renforts nationaux. Ils conduiront des actions de formation et de professionnalisation des acteurs locaux.
Monsieur le rapporteur, vous demandez si ces moyens nous préparent suffisamment à la multiplication de phénomènes de type Irma. Il convient d'aborder ce sujet avec lucidité. Voici une dizaine de jours, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a annoncé l'ouverture d'un Beauvau de la sécurité civile.
Cette démarche particulièrement ambitieuse vise à revisiter l'organisation de notre modèle de sécurité civile à la lumière de l'évolution des conséquences du changement climatique, de l'évolution du système de soins, etc.
Dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile, qui nous mobilisera jusqu'à la fin de l'année 2024, nous nous interrogerons sur notre capacité à traiter les phénomènes climatiques majeurs dans les territoires ultramarins à l'horizon 2050.
Comme le propose monsieur le rapporteur, nous vous soumettrons nos questions complémentaires en dehors de cette audition, si vous l'acceptez.
Nous y répondrons volontiers.
Je vous remercie, monsieur le directeur, ainsi que les collaborateurs qui vous accompagnent.
Pour ma part, je vous remercie pour les mots que vous avez eus à l'endroit du personnel de la sécurité civile déployé à Mayotte que je leur transmettrai naturellement.
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La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la table ronde d'associations d'élus réunissant : Association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCD'OM) : M. Jean-Claude Maes, président et Mme Laetitia Malet, déléguée générale adjointe ; Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) : M. Ferdy Louisy, maire de Goyave, Mme Pauline Delaere-Papin, conseillère outre-mer et ruralité, Mme Stéphanie Bidault, chargée de mission prévention des risques, Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement et Mme Valérie Séné, directrice du parc national de la Guadeloupe ; Départements de France : Mme Sophie Arzal, vice-présidente du département de La Réunion et présidente du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours, M. Jean Baptiste Estachy, conseiller sécurité, M. Brice Lacorieux, conseiller relations avec le Parlement et M. Frédéric Guhur, directeur général adjoint, pôle développement du département de La Réunion.
La présente table ronde est consacrée aux associations d'élus locaux. Nous recevons l'association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCD'OM), représentée par son président, monsieur Jean-Claude Maes, et sa déléguée générale adjointe, madame Laetitia Malet. Nous accueillons également une délégation de l'association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), conduite par monsieur Ferdy Louisy, maire de Goyave en Guadeloupe.
Nous recevons enfin les représentants des départements de France, avec madame Sophie Arzal, vice-présidente du département de la Réunion et présidente du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS), ainsi que monsieur Frédéric Guhur, directeur adjoint du pôle développement du département de la Réunion et monsieur Jean-Baptiste Estachy, conseiller en sécurité des départements de France.
Votre audition retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. L'enregistrement vidéo sera ensuite disponible sur demande.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Ferdy Lousy, M. Jean-Claude Maes, Mme Laetitia Malet, Mme Pauline Delaere-Papin, Mme Stéphanie Bidault, Mme Charlotte de Fontaines, Mme Valérie Séné, Mme Sophie Arzal, M. Jean-Baptiste, Estachy et M. Frédéric Guhur prêtent serment.)
Je vous remercie de nous permettre de nous exprimer, au nom de l'AMF, sur une problématique qui touche un grand nombre de secteurs et encore davantage les communes d'outre-mer.
Nous souhaitons vous apporter des informations concernant les difficultés que nous rencontrons en lien avec le changement climatique, mais également les solutions pouvant être envisagées, notamment en matière d'amélioration du cadre législatif. Nos suggestions visent non seulement à protéger la population, mais également à faciliter notre travail au regard de notre responsabilité d'élus. En effet, les maires sont particulièrement exposés aux changements globaux que nous connaissons, notamment sur le plan juridique. Les pistes que nous vous soumettrons doivent nous aider à mieux coordonner les actions sur le terrain.
Nous évoquerons par ailleurs des questions de nature, de finances et de responsabilités, mais également des sujets sociaux. Il s'agit de souligner les drames que vivent nos populations face à des phénomènes qui nous sont étrangers, dans la mesure où ce sont des changements affectant l'ensemble de la planète. Dans ce cadre, l'outre-mer comporte des particularités et des particularismes à prendre en compte. Nous vous ferons donc part de nos attentes.
Je vous rassure : notre débat ne doit souffrir d'aucun tabou. Nous sommes en mesure d'entendre et de comprendre toutes vos remarques.
Pour ma part, je m'efforcerai de répondre au plus grand nombre de questions, que nous pourrons également approfondir avant de vous transmettre une production écrite dans les semaines à venir.
Les territoires d'outre-mer cumulent la quasi-totalité des risques naturels : séismes, glissements de terrain, risques volcaniques, cyclones, inondations, submersions, tsunamis, etc.
Il est à noter que nous ne parvenons pas à inscrire les sargasses comme un risque naturel. Les assurances ne peuvent pas être mobilisées dans le cadre de leur traitement. Les sargasses représentent un coût important à supporter pour les Antillais.
Nos territoires sont également marqués par le recul du trait de côte lié au réchauffement climatique, sans oublier les conditions climatiques extrêmes en hiver à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les impacts de ce changement climatique sont d'ores et déjà visibles. Les prévisions annoncent une intensification de la puissance des cyclones et d'autres événements naturels. Elles rendent nécessaires une meilleure gestion en outre-mer et une prévention renforcée par les collectivités.
En effet, l'ampleur des risques dépend aussi de la vulnérabilité des enjeux. Or, les territoires d'outre-mer sont à la croisée de plusieurs vulnérabilités d'importance, qu'elles soient économiques, environnementales, sociales ou infrastructurelles.
Je représente aujourd'hui le président du département de la Réunion, Cyrille Melchior, qui est également le président de la commission des outre-mer des départements de France. Je m'exprimerai aussi en ma qualité de présidente du SDIS de la Réunion.
Je souhaite rappeler l'événement qui a scellé notre prise de conscience collective de la nécessité de nous organiser face à des événements naturels de plus en plus impactants pour nos territoires et leur population. En octobre 2011, un an après un incendie criminel de grande ampleur dans les Hauts de l'Ouest, la Réunion était de nouveau la proie des flammes.
Une semaine après le premier départ de feu, les pompiers ont dû faire face à un front large de 20 kilomètres, violent et difficile à maîtriser. Le feu s'est propagé rapidement dans les zones agricoles et les zones habitées situées à proximité. Afin de maîtriser les flammes, des moyens sans précédent ont été déployés, dont plus de 800 personnes, dont des pompiers, des militaires, des agents de l'office national des forêts et du parc national.
Malgré tous les efforts des intervenants, l'incendie n'a pu être maîtrisé que le jeudi 3 novembre, alors que 2 677 hectares de forêt, dont une grande partie se trouvait dans le périmètre du parc national, étaient partis en fumée. Certains secteurs qui abritent des espèces strictement endémiques ont été touchés.
Cette catastrophe majeure a touché directement et profondément les Réunionnais. Tous les acteurs institutionnels sont conscients de l'ampleur de ce drame et réclament la mobilisation de tous pour que le feu ne fasse plus jamais autant de dégâts.
De l'avis général, il convient de transformer cette catastrophe en une opportunité afin de mieux prendre en compte ces espaces à la fois riches et fragiles. L'éruption volcanique survenue en 1977 fut l'événement naturel ayant engendré la construction de l'observatoire volcanique du piton de la Fournaise. De la même façon, les incendies du Maïdo des années 2010 et 2011 ont été l'événement déclencheur de la mise en place d'un réel partenariat institutionnel autour des risques naturels.
La Réunion est concernée par sept des treize risques naturels principaux répertoriés en France, auxquels viennent désormais s'ajouter la canicule et la sécheresse dans des zones auparavant préservées. L'ensemble des territoires ultramarins est également confronté à cette nouvelle situation.
Dès lors que l'île de la Réunion est menacée par le passage d'un système de nature cyclonique, le dispositif spécifique Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) cyclone est activé. Bien entendu, la population est régulièrement informée de l'évolution du phénomène et de ses dangers.
Par ailleurs, un schéma de diffusion de l'alerte spécifique existe déjà à la Réunion dans le cadre du plan Orsec volcan. L'observatoire volcanologique du piton de la Fournaise constitue d'ailleurs le premier maillon de la chaîne d'alerte. La veille opérationnelle est assurée par le cadre d'astreinte de l'état-major de la zone de protection civile de l'océan Indien, en lien avec l'observatoire volcanique.
La Réunion est également concernée par le risque de feu du 15 septembre au 15 décembre. Une réunion téléphonique regroupant Météo-France, le SDIS et l'état-major de zone préfecture se tient quotidiennement, hormis le jeudi, où l'ensemble des partenaires est amené à produire la carte des risques de feu de forêt de manière partagée. Cette carte fait ensuite l'objet d'une large diffusion auprès des différents acteurs du département et de la population.
Comme vous l'avez compris, la situation géographique et la nature géologique de l'île de la Réunion en font l'une des régions françaises les plus exposées au risque naturel. Les événements majeurs liés aux risques naturels des deux dernières décennies ont mis en exergue la fragilité des territoires ultramarins et la nécessité de renforcer la couverture opérationnelle et la résilience des réseaux.
Depuis maintenant plus de dix ans, l'axe majeur de la construction de la réponse de tous les acteurs impliqués face aux risques est l'information et la sensibilisation du public. Il est fondamental de forger une culture collective permettant à chacun de développer un comportement responsable au regard des dangers et d'agir pour s'en prémunir.
Il est tout aussi fondamental d'aménager nos territoires pour les rendre plus résilients aux risques naturels. Ainsi, à la Réunion, le département est engagé dans une programmation d'investissements ambitieux visant à renforcer les infrastructures hydrauliques, la mobilisation et la distribution en eau brute à destination des agriculteurs et des communes.
Il s'agit également de renforcer les infrastructures routières, avec le plan de résorption des radiers submersibles, afin de rendre le territoire plus résilient face aux catastrophes climatiques, que ce soit la sécheresse, les fortes pluies ou les cyclones.
Avec un investissement annuel d'environ 25 millions d'euros, le département de la Réunion a sécurisé la distribution d'eau pour treize des vingt-quatre communes de l'île et l'irrigation de plus de 16 000 hectares de terres agricoles, soit près de 40 % de la surface agricole utile.
Cet engagement se poursuivra dans les années à venir avec le projet de mobilisation des ressources en eau des micro-régions nord et est (projet Meren). De même, le plan de résorption des 163 radiers submersibles conduit sur le réseau des routes départementales vise à supprimer les écoulements dangereux qui surviennent lors des crues des ravines et dans les hauts de l'île.
En outre, le récent passage du cyclone Belal à proximité de la Réunion a permis de mesurer les effets positifs de ces aménagements, avec la réduction de la vulnérabilité de nos infrastructures.
Les réseaux hydrauliques structurants ont permis de maintenir l'accès à l'eau et de limiter les interruptions de service dans de nombreuses communes, alors même que le territoire était fortement impacté par le phénomène. Grâce aux quarante-neuf anciens radiers submersibles remplacés par des ouvrages d'art, aucune fermeture de la circulation et aucun isolement des quartiers n'ont été déplorés.
Toutefois, ces investissements sont coûteux. Le département, comme les autres collectivités qui aménagent le territoire, doit pouvoir être accompagné à la hauteur des enjeux.
Par ailleurs, le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques a été adopté en 2023 pour les cinq années à venir. Ce document de référence pour l'action du SDIS 974 a été entièrement repensé pour prendre en considération l'intensité et la fréquence croissante des phénomènes naturels d'une part, et l'éloignement de notre territoire exigeant de dimensionner nos moyens d'action en complète autonomie durant soixante-douze heures en attendant des renforts d'autre part.
La situation exceptionnelle des outre-mer, son éloignement et son exposition avérée à des événements naturels de plus en plus intenses est l'élément essentiel que je souhaite porter à votre connaissance. Elle requiert une prise en considération spécifique au titre de la mise en œuvre des politiques nationales d'une part, et des moyens financiers adaptés à la hauteur des enjeux d'autre part.
Les territoires ultramarins ont su déployer une culture du risque chez leurs décideurs comme au sein de leur population. Cette culture est couplée à une organisation pré-opérationnelle rodée. À ce titre, les outre-mer font preuve de maturité et d'innovation à l'heure du changement climatique mondial. Au regard des catastrophes qui touchent désormais l'Hexagone, il est essentiel que les bonnes pratiques des territoires ultramarins bénéficient d'un accompagnement et inspirent les territoires métropolitains.
Il était important pour nous de vous rencontrer, car les collectivités locales se situent à la base de la résilience des territoires lorsque les aléas surviennent. La résilience des territoires renvoie à l'anticipation de ces aléas. Un travail considérable a été fait auprès des populations en matière de prise de conscience des risques. Des mesures très concrètes et très pratiques ont également été prises en matière d'équipement, de prépositionnement et de normes de constructibilité, par exemple.
Une coconstruction qui s'opère entre les services de l'État et entre les différentes collectivités locales. Considérez-vous que cette coordination se déroule de manière satisfaisante sur nos territoires ultramarins et que la rétrocession des retours d'expériences de l'ensemble des interlocuteurs est correctement intégrée aux différents documents d'urbanisme, c'est-à-dire au plan de prévention des risques et au plan Orsec, par exemple ?
Dans le cadre des crises survenues avec le passage des cyclones Irma, Maria et Fiona, sur la coordination, la Guadeloupe et la commune de Goyave ont pu tirer un certain nombre d'enseignements et constater la fluidité de la gestion de crise entre l'État et les communes.
Pour notre part, nous mettons en place des moyens, dont le plan communal de sauvegarde. Ce dernier porte ses fruits en matière d'anticipation des crises. Après la crise, lorsque nous devons reconstruire et mettre en sécurité la population, nous pouvons nous appuyer sur des financements, dont les crédits spécifiques de l'outre-mer et d'autres crédits mis à disposition par l'État.
Après le passage du cyclone Fiona en septembre 2022, nous avons obtenu une aide de l'État de 1 million d'euros afin de réhabiliter une zone avec la construction de routes, la gestion et le traitement des eaux de ruissellement et des eaux pluviales. Nous ne disposons pas de foncier. Pour pouvoir mener à bien les travaux, une étude au titre de la loi sur l'eau, qui induit un certain nombre de contraintes, nous a été demandée.
In fine, nous avons perdu les subventions, car les délais administratifs sont incompressibles. Le système normatif est si contraignant que nous n'avons pas le temps matériel de tout réaliser pour bénéficier des subventions. Cet exemple très simple témoigne de l'ampleur de la problématique. Les mesures existent et les financements sont disponibles. En revanche, les contraintes administratives ne nous permettent pas d'en bénéficier, notamment lorsque nous ne possédons pas de foncier.
Cet aspect a un impact sur la résilience du territoire. Les financements sont perdus aussi bien au niveau de l'État qu'au niveau de l'Union européenne. Lorsque nous avons dû reconstruire après une crise, nous avons subi les effets de l'augmentation de prix liée à la crise du covid et à la guerre. Les délais étaient alors portés à deux ou trois ans pour réaliser un projet. Nous avons dû solliciter des dérogations exceptionnelles pour bénéficier du fonds Barnier.
Nous sommes ainsi confrontés à un certain carcan administratif qu'il convient de simplifier, soit à travers le code général des collectivités territoriales, soit à travers aussi le code de la commande publique. En effet, ces codes ne semblent pas adaptés à des situations de crise aussi intenses que celles que nous vivons depuis cinq ou six ans.
En 2018, la députée Maina Sage nous avait déjà interrogés. À cette période, nous avions également rapporté nos observations à la sénatrice Victoire Jasmin. De nombreux rapports sur les risques au naturel ont d'ores et déjà été publiés.
Malgré ces éléments, la simplification administrative dont nous avons besoin pour conduire nos dossiers et bénéficier d'une protection juridique n'est toujours pas à l'œuvre. Or dans certains cas, la gestion de l'urgence visant à sauver des vies et des populations peut conduire à ne pas respecter le code, ce qui peut être reproché à l'élu quelques années après.
Nous souhaitons donc vous soumettre des propositions d'amélioration et évoquer les questions de coordination non seulement avec les services de l'État, mais également avec d'autres collectivités, comme les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Un travail législatif reste à réaliser pour nous permettre de mieux coordonner les actions, mutualiser les moyens et faciliter la coopération entre les communes.
La méthode mise en place par le gouvernement, avec le document d'information communal sur les risques majeurs (Dicrim) et le plan local d'urbanisme (PLU), porte ses fruits. En revanche, nous continuons à rencontrer des différentes avec les assurances. À cet égard, les nombreux habitats informels présents aux Antilles ne sont pas assurables. Or nous ne possédons pas le foncier nécessaire pour reloger les personnes concernées.
En cas de cyclone, l'île de Marie-Galante peut se retrouver coupée des autres territoires pendant soixante-douze heures. Elle doit donc être autonome pour pouvoir soutenir sa population.
Par ailleurs, une note du gouvernement demande que les sargasses soient ramassées dans un délai de vingt-quatre à soixante-douze heures. J'ai été auditionné par la chambre régionale des comptes, qui m'a reproché de recourir trop fréquemment à une entreprise locale. Or celle-ci est la seule qui est en mesure de répondre aux situations d'urgence. De ce point de vue, le code des marchés publics n'est pas adapté aux actions à entreprendre en cas de catastrophes. Il convient de lui adjoindre des mesures d'assouplissement.
En outre, de nombreuses communes ne possèdent pas l'ingénierie nécessaire pour mobiliser le fonds Barnier. Pour leur part, les particuliers ne sont pas informés ou ne sont pas assurés et ne peuvent pas non plus mobiliser ce fonds, le cas échéant.
Dans cette situation, nous apprenons parfois à la télévision que les fonds repartent vers l'Europe, alors que notre population reste en souffrance dans tous les outre-mer. Monsieur le président, comment pourrions-nous assouplir les règles ?
Je ne peux que partager les remarques précédentes concernant la faiblesse des aides de l'État postérieures au passage de cyclones. Certes, les derniers phénomènes nous ont permis de vérifier le bon niveau de la coordination des équipes et de leurs commandements, quels que soient les échelons concernés.
Néanmoins, le retour d'expérience du plan Orsec cyclone et de la gestion de crise du cyclone Belal a montré que la principale difficulté a porté sur la remise en état du réseau EDF, faute d'investissement suffisant. L'absence d'électricité pendant un certain temps a également mis à mal la distribution d'eau potable.
Sans l'électricité, les habitants peuvent être privés de réseau internet et d'eau potable et donc se retrouver coupés du monde. Je tiens également à témoigner du manque de résilience des réseaux téléphoniques, qui sert aux demandes de secours de la population. Cet aspect constitue également l'une des conséquences des risques naturels majeurs sur nos territoires.
En résumé, en cas de crise dans les différents territoires ultramarins, les aspects financiers demeurent le « nerf de la guerre ». De lourds investissements restent donc nécessaires.
Notre commission d'enquête est particulièrement intéressée par vos contributions et vos critiques, notamment lorsque celles-ci s'appuient sur des exemples précis. Ces exemples doivent nous aider à trouver les méthodes adaptées.
Vous semblez vous réjouir unanimement de la bonne coopération et de la bonne volonté des différents acteurs. Cependant, vous regrettez l'absence d'une procédure dérogatoire vous permettant de réagir en temps utile et mentionnez des problèmes réglementaires qui diminuent le caractère opérationnel de vos interventions et vous exposent à un risque juridique.
Se pose également la question du financement de la résilience postérieure à la crise. Par ailleurs, certaines de vos remarques portent sur la coordination avec le secteur privé, que ce soit dans le domaine des infrastructures de communication ou dans le domaine assurantiel.
De manière plus générale, vous indiquez que vous êtes amenés à agir avec « les moyens du bord ». Dans ce cadre, comment la coopération se déroule-t-elle lorsqu'il convient de modifier les documents comme le plan Orsec ou le règlement d'urbanisme ? Rencontrez-vous les mêmes difficultés ?
J'effectue le suivi des budgets ultramarins pour le compte de mon groupe parlementaire. Je constate que l'ingénierie fait partie des « serpents de mer » qui réapparaissent régulièrement. Les experts de Météo-France et du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) que nous avons auditionnés indiquent qu'ils ont besoin d'interlocuteurs permanents dans les collectivités locales et capables de traduire leurs préconisations en mesures.
Partagez-vous ce constat ? Recueillez-vous des demandes sur ce sujet ? En tout état de cause, je vous invite à exprimer vos demandes.
Nous avons besoin avant tout de recruter du personnel interne ou de mutualiser les ressources. Je souligne qu'une association départementale des maires n'est pas un syndicat et ne reçoit pas de transfert de compétences. Nous sommes donc limités en matière de conventionnement.
Le sujet des risques naturels renvoie à la mission régalienne de l'État. Peut-être les ressources pourraient-elles être mises en place à cet échelon. Une autre piste serait de confier des moyens aux communes. Ces moyens ne doivent pas prendre la forme d'emplois précaires, comme le volontariat au service civique. Il s'agit plutôt de confier ces moyens aux EPCI. Ce cadre de ressources internes nous faciliterait la tâche, notamment pour recueillir les documents, alimenter un observatoire et partager les expériences.
Par ailleurs, certaines lois tardent à s'appliquer, comme la loi Matras. Or le changement climatique et les événements de plus en plus intenses ne nous permettent pas d'attendre. Un certain nombre de lois incluant une échéance de mise en application et portant sur les intercommunalités pourraient être rendues applicables dès 2026 ou 2027, compte tenu de l'évolution des événements.
Nos budgets de fonctionnement, qui sont contraints, nous servent uniquement à travailler sur les situations d'urgence. Or la solidarité nationale ne se traduit qu'à travers des mesures déléguées à des préfets. En cas de catastrophe lourde et grave, la représentation nationale doit pouvoir se saisir du dossier et être plus réactive dans la gestion de ses budgets.
En pratique, nous ne savons jamais si nous pourrons exécuter le budget de l'année, dans la mesure où les événements liés aux risques naturels majeurs surviennent régulièrement. Par exemple, nous avons dû traiter le risque sanitaire issu des sargasses et l'intégrer à notre plan communal de sauvegarde.
Face aux nouveaux risques, nous gérons les crises au mieux sans pouvoir prendre de la hauteur de vue, le cadre législatif nécessaire pour cela faisant défaut.
Lorsque le budget de la nation est voté, une ligne du budget du ministère de l'intérieur et des outre-mer prévoit les interventions à réaliser, notamment en cas de catastrophe naturelle. Cette ligne permet à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) d'intervenir.
Pour ma part, j'ai dû recourir à un consultant pour établir le plan local d'urbanisme (PLU), qui représente un travail intense. Nous ne disposons pas des compétences en interne pour le réaliser. Le coût du recours aux consultants est croissant pour les collectivités.
Nous souhaiterions détenir l'ingénierie et les compétences requises. Cependant, les petites collectivités ne peuvent pas embaucher du personnel de catégories A et B, sachant que la chambre régionale des comptes nous contrôle régulièrement sur les questions de dépenses de personnel. En pratique, les compétences nécessaires pour faire fonctionner nos collectivités d'outre-mer ne sont pas toujours disponibles.
En outre, les lois sont de plus en plus spécifiques, ce qui pose un problème aux petites communes. Lors de la tempête Hugo, le président Mitterrand avait déclaré que nous devions commencer à « bousculer les normes » et assouplir la loi en cas de catastrophe naturelle. Dans ma commune, si je ne ramasse pas les sargasses dans un délai de 72 heures, je peux être tenu pénalement responsable en cas d'intoxication. D'ailleurs, toutes les communes touchées par les sargasses doivent désormais constituer une ligne budgétaire distincte. Or les fonds nécessaires pour abonder cette ligne ne sont pas toujours disponibles.
Nous avons également un problème important d'organisation des territoires. Il est à noter que la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) donne un avis conforme en Guadeloupe, tandis qu'elle donne simplement un avis en métropole. Dans notre territoire, ces décisions peuvent donc se relever bloquantes.
Je regrette que la CDPENAF ne se rende pas plus fréquemment sur le terrain pour discuter de manière approfondie avec les maires et les techniciens des zones constructibles. Une relation beaucoup plus fluide est nécessaire entre les différents organismes. De plus, nous pensons que si la CDPENAF ne donnait qu'un simple avis dans les départements d'outre-mer, il s'agirait d'un grand progrès en matière d'urbanisme.
Pour faire avancer nos dossiers, les collectivités doivent effectivement disposer d'une ingénierie de haut niveau pour négocier avec les services instructeurs. Il est également nécessaire que les postures des services de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) évoluent vers une logique plus orientée vers l'accompagnement que vers le contrôle et la sanction systématiques.
Par ailleurs, afin d'assurer la couverture des risques naturels majeurs, le contexte insulaire et ultramarin implique la nécessité d'une dotation en personnel et en matériel beaucoup plus importante que celle des départements hexagonaux à population équivalente, notamment pour les services départementaux d'incendie et de secours. Cet aspect induit des coûts supplémentaires, tant en matière d'investissement qu'en matière de fonctionnement.
Un événement tel que le cyclone Belal conduit à une demande de budget supplémentaire des SDIS, lesquels sont financés à plus de 80 % par le conseil départemental. Sur le plan budgétaire, nous ne pouvons pas anticiper ces coûts supplémentaires qui touchent aussi bien la gouvernance du SDIS et le conseil départemental.
Selon moi, il importe de maintenir l'aide des services de l'État et la dotation en financement. Il est également important que nous puissions accéder à ces aides de manière agile pour financer les coûts engendrés par nos services d'incendie, nos services de secours et donc de notre conseil départemental.
Bien entendu, la réponse à nos besoins demeure financière. La gestion des risques majeurs elle-même ne peut être qu'un pilier de révision des budgets alloués au regard de nombreux risques auxquels nous sommes confrontés.
Une ligne budgétaire du ministère de l'intérieur et des outre-mer prévoit un fonds d'urgence. Il s'agit d'une enveloppe théorique.
Je note dans vos témoignages qu'il convient de distinguer le traitement de l'urgence et le traitement curatif nécessaire à la résilience de terrains vulnérables.
Vous évoquez la difficulté à adapter un outil de sécurité civile à des événements qui ne se produisent pas continuellement. À cet égard, il semblerait compliqué de maintenir en état de veille une force pouvant réagir à un aléa.
Je précise que le représentant de la sécurité civile a témoigné des efforts accomplis par sa direction afin de favoriser la formation du personnel sur place. Comment évaluez-vous la culture du risque du personnel des collectivités et de la population ?
Par ailleurs, j'ai joué le rôle de responsable du texte pour mon groupe politique dans le cadre de la proposition de loi du président Serge Letchimy sur les indivisions successorales. Ce matin, une commission mixte paritaire s'est réunie sur le projet de loi sur les propriétés dégradées, qui prévoit un certain nombre de dispositions d'exemption des formalités d'urbanisme en cas de nécessité de rénovation d'urgence d'habitats insalubres.
Selon vous, ce type de règle doit-il être également adapté aux risques naturels et à la résilience ? Comment prendre en compte cette question de l'indisponibilité foncière sur vos territoires dans la gestion des aléas ?
En outre, le fonds Barnier peut être mobilisé uniquement au niveau des bâtiments publics. Dans le cadre de la modification des règlements d'urbanisme et de normes de construction, il est parfois demandé à des particuliers ou à des entreprises d'adapter leurs bâtiments ou de les reconstruire pour améliorer la résilience du territoire et supporter les aléas.
De fait, les collectivités locales sont sollicitées par les particuliers et les entreprises. Les outils dont vous bénéficiez, et à l'aide desquels vous pouvez orienter les particuliers, sont-ils adaptés à la gestion des risques naturels ?
Monsieur le rapporteur, vous évoquez ici un sujet sensible, à savoir le droit de propriété, dont un certain nombre de dispositions semblent devoir être révisées au regard des situations de crise. Actuellement, nous ne dégageons pas suffisamment de fonciers pour rendre notre territoire résilient, sur le principe de l'abandon de bien et sur le principe de la loi Letchimy en matière d'indivisions.
Pour ma part, j'ai pris une délibération-cadre afin que nous puissions intervenir rapidement sur les fonciers abandonnés. En effet, le droit de préemption, le transfert d'office avec le préfet et la procédure d'expropriation visant à bénéficier de disponibilité foncière sont des démarches particulièrement longues. Or nous devons adopter un principe d'anticipation. Il convient dès lors d'assouplir un certain nombre de dispositions dans le droit de propriété.
En outre, à travers les fonds verts, nous devrions pouvoir entamer une démarche anticipative en menant à bien les études et les diagnostics. Nous travaillons déjà avec les établissements publics fonciers de nos territoires, qui nous aident dans le traitement des « dents creuses », c'est-à-dire les territoires abandonnés des centres-bourgs et des zones rurales.
Nous travaillons déjà sur la rénovation et la mise aux normes de l'habitat avec le conseil départemental, la région et l'État. Les principales difficultés concernent l'habitat collectif. Certains programmes de bailleurs sociaux sont réalisés dans des zones devenues très vulnérables ou classées en zones rouges de la prévention des risques naturels, soit des zones inconstructibles. Des mesures de délocalisation sont alors envisagées.
Par ailleurs, un quartier de ma commune a subi les assauts du cyclone Fiona. Environ 2 000 personnes y sont logées dans des bâtiments collectifs. Nous devons les évacuer. Les prêts sont en cours de constitution et la ligne budgétaire unique a été mobilisée. Il s'agit de vies humaines. Le relogement des personnes soulève un grand nombre de questions et se heurte à une multitude de contraintes.
De nombreuses réformes semblent devoir être conduites au regard de textes de loi établis dans un contexte particulier de tranquillité citoyenne et de tranquillité écologique. Selon moi, nous devrions adapter non seulement le code général des collectivités, mais aussi toutes les lois ayant des conséquences sur nos interventions afin de nous permettre de traiter l'urgence le plus rapidement possible.
Lorsque les communes constituent une réserve foncière, elles rencontrent fréquemment l'opposition de la DEAL et de la CDPENAF. La grande majorité des villes des départements et régions d'outre-mer se situent au bord de la mer. Si le niveau de la mer se rehausse de 1 ou 2 centimètres, certains quartiers et même certaines villes disparaîtront. Les réserves foncières doivent donc être anticipées dès à présent.
À titre d'exemple, dans ma commune, des habitats collectifs ont été construits au bord de la mer. J'ai dû prendre des dispositions pour deux bâtiments afin de les classer en zone rouge, car les vagues pénètrent parfois dans les appartements. Ce problème d'anticipation de la montée des eaux se pose également en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les maires ont donc besoin d'un assouplissement de la loi pour pouvoir constituer des réserves foncières. Depuis 30 ans, nous savons que nous serons contraints de déplacer des villes entières. Or les communes concernées ne possèdent pas les moyens financiers nécessaires.
Par ailleurs, le désert médical constitue une autre problématique à souligner. Après des catastrophes importantes, nous devons mettre en place des chapiteaux pour accueillir les personnes malades. Le désert médical n'est pas particulièrement visible en temps normal. En revanche, si un tremblement de terre survient à Marie-Galante, les habitants ne peuvent solliciter que quatre ou cinq médecins. Comment évacuer les personnes si la météorologie est mauvaise et si les bateaux et les avions ne peuvent circuler ?
Plus généralement, la gestion des risques naturels majeurs nécessite de l'anticipation.
Effectivement, nous devons nous projeter. Tel est le sens de la réflexion menée par notre commission d'enquête.
Nous constatons à travers ce débat qu'il existe une différence entre la théorie et la pratique. L'objectif est bien de faire évoluer la théorie pour qu'elle se conforme à la pratique.
Par ailleurs, les populations qui résident dans ce que l'on nomme « habitat informel » intègrent parfois des personnes sans titre de séjour. Comment gérez-vous « l'aller vers » concernant ces populations, en cas d'aléas ou de prévention d'aléas, ainsi que leur mise à l'abri ? Comment traitez-vous la question de la résilience à l'égard de l'habitat illégal ?
Nous pouvons recourir aux écoles, aux abris sûrs et aux stades.
À Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane, nous demandons comment le maire peut réagir en cas de catastrophe importante, étant donné le grand nombre de maisons informelles dans cette commune. À Mayotte aussi, un cyclone peut également prendre des proportions catastrophiques pour la population.
Chaque année ou presque, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni doit construire des écoles. Un terrain vague peut être occupé par une quinzaine de maisons informelles du jour au lendemain matin. Or ces habitats ne respectent pas les normes de sécurité. Cette problématique s'apparente même à une « bombe à retardement » pour nos départements et pour la France. Celle-ci risque même des condamnations de l'Union européenne.
Les habitats informels sont des maisons fabriquées en tôle. Ils se transforment en « coupe-gorge » en cas de tempête ou glissement de terrain. Parfois, je me dis que les maires ne sont pas conscients de risques qu'ils courent en occupant cette fonction. La responsabilité pénale des maires peut être engagée, alors que ces derniers ne disposent pas des moyens nécessaires pour réagir. De plus, la législation est si complexe que toute intervention prend beaucoup de temps.
La loi Elan confère des outils aux responsables exécutifs locaux, notamment afin de procéder à la destruction des constructions illicites dans un délai de vingt-quatre ou quarante-huit heures. Or ces outils ne sont pas utilisés à Mayotte. Mayotte constitue le plus grand bidonville. Les constructions illicites sont connues, mais chacun refuse de s'en occuper, pour diverses raisons, jusqu'au jour où certains verront effectivement leur responsabilité pénale mise en jeu.
Les collectivités peuvent certes demander l'aide de l'État. Néanmoins, elles doivent également assumer leurs responsabilités. Devant une construction réalisée sans permis, parfois sur le terrain d'autrui, il convient de procéder à sa démolition avec le concours des services de l'État et ainsi prévenir toute prolifération.
Cette problématique est effectivement considérable à Mayotte. À La Réunion, un chantier important a été mené sur la résorption de l'habitat insalubre. À cet égard, dans le cadre du plan Orsec, l'ensemble des services des collectivités locales et territoriales, dont les services de secours et les associations de proximité, peuvent travailler sur cette question.
Par ailleurs, la sensibilisation du grand public joue un rôle majeur dans la transmission de la culture de la résilience. Elle passe par les réseaux sociaux, les associations et les éducateurs. Ces derniers savent où les populations les plus fragiles se trouvent sur leur territoire. En période de crise rattachée à un risque majeur, la coordination de l'ensemble des services permet, à l'échelle de l'île de La Réunion, d'accompagner et de prendre en charge toutes les populations, quelles qu'elles soient.
Les plans Orsec, pour leur part, prévoient l'ouverture des établissements en centres d'hébergement. Lorsqu'un risque majeur est annoncé, tout le système local est mis en œuvre, coordonné et piloté par le préfet de l'île, ce qui garantit le déclenchement de secours à la mesure de ce que chacun peut attendre en matière de prévention des risques.
Les données relatives au nombre de personnes d'origine étrangère et sans papiers qui se trouvent sur nos territoires sont détenues par l'État. Nous ne sommes pas tenus de les vérifier dans le cadre des inscriptions scolaires, par exemple.
Après le passage du cyclone Irma, j'ai retrouvé en Guadeloupe des personnes sans papiers qui avaient été évacuées de Saint-Martin et qui étaient entassées dans des logements de fortune. Elles couraient un risque grave, comme nous l'avons découvert au moment du passage de l'ouragan Maria à la Guadeloupe. Je leur ai demandé comment elles étaient parvenues en Guadeloupe. La réponse m'a quelque peu surpris : ces personnes avaient bénéficié de l'aide militaire.
Comment l'État gère-t-il les personnes qui se trouvent en situation irrégulière en cas de sinistre ? Comment est-il possible que l'on puisse les déplacer d'un territoire à l'autre ? Nous nous efforçons de connaître nos populations et de repérer les situations de vulnérabilité. Cependant, les migrations qui s'organisent d'île en île, comme celle que je viens de citer, soulèvent de nombreuses questions.
En pratique, nous avons orienté les personnes en question vers les services de l'État pour le traitement des questions de logement, car la loi nous interdit de faciliter l'hébergement durable de personnes sans papiers. À ce titre, les préfets tiennent un discours clair en la matière. Les collectivités ne sont pas tenues de s'occuper des questions de situation migratoire.
Nous devons assumer un certain nombre de responsabilités, dans la mesure où les personnes en question sont des êtres humains, quelles que soient leur nationalité et leur situation civile. Une meilleure coordination est certainement nécessaire concernant l'information à porter à la connaissance des élus locaux et des maires, notamment pour ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français (OQTF).
Notre proximité avec la gendarmerie nous permet d'obtenir certaines informations. Il existe néanmoins une forme d'opacité en la matière. Il serait donc utile que l'État collabore mieux avec les maires pour traiter la situation des populations présentes sur leur territoire.
Vous évoquez un sujet complexe qui n'est pas spécifique à l'outre-mer. Il s'agit d'une question régalienne postant sur la liberté de circulation des personnes. Elle relève exclusivement de la compétence de l'État. Toutefois, au regard de la conjugaison des événements et de la réaction de l'opinion, il semble que cette position commence à évoluer.
À titre personnel, je lutte ardemment contre l'immigration clandestine, car je peux en observer les dégâts sur mon propre territoire. Cependant, je reste humain et ne peux pas imaginer qu'en cas de catastrophe naturelle, nous ne venions pas en aide des personnes clandestines.
L'île de Mayotte a récemment connu une crise hydrique sans précédent. Dans le cadre, l'eau a été distribuée à tout le monde, y compris aux personnes sans papiers, car il était impensable, bien entendu, de les laisser mourir de soif sur place. Nous avons tous une part d'humanité.
De même, des personnes se sont retrouvées en situation irrégulière à Saint-Martin. L'État ne dispose pas de locaux dans ce territoire pour les loger. Dès lors, il a dû les acheminer ailleurs pour les loger et les mettre en sécurité.
Par ailleurs, l'État a récemment affrété un avion de 300 places pour conduire des Congolais réfugiés à Mayotte vers la métropole. Certains se sont offusqués du relogement de ces personnes dans de très beaux palais. En tout état de cause, le sujet que vous soulevez mérite un certain nombre de discussions.
Pour rappel, voici quelques années, les élus locaux n'étaient pas informés de la présence de personnes dangereuses sur leurs territoires. La situation a légèrement évolué depuis lors.
Je ne partage pas nécessairement la précision de monsieur le président concernant les palais de la République. Quoi qu'il en soit, le sujet de la sauvegarde de la vie des personnes doit être pris en compte. L'information des élus locaux demeure nécessaire, notamment lorsqu'un suraccident climatique survient et qu'ils découvrent la présence de certaines populations.
Pour ce qui concerne la culture du risque, comment favorisez-vous la connaissance des aléas et des bons gestes à adopter ?
Nous avons réalisé un important travail concernant la culture du risque. Lorsque nous sommes informés de la survenance d'un phénomène cyclonique ou d'un incendie, la population peut être mieux préparée grâce aux documents écrits, aux exercices que la préfecture organise dans la zone caribéenne et au travail que nous effectuons sur les réseaux sociaux et en collaboration avec l'éducation nationale.
Nous travaillons également avec des associations afin de diffuser des messages de prévention auprès de la population. Nous nous appuyons sur les grandes radios, les grands médias commerciaux et les médias associatifs.
En revanche, sur l'ensemble du territoire de la Guadeloupe, nous accusons du retard en matière de préparation au risque sismique. Un important travail a été réalisé dans le cadre des différents plans séisme Antilles sur les reconstructions, les bâtiments publics et les exigences architecturales relatives aux bâtiments privés. Ce travail doit se poursuivre. Nous notons d'ailleurs l'accélération de la mise à disposition de moyens par l'État dans ce domaine.
Il nous reste donc à préparer la population, ce qui requiert des moyens supplémentaires. Nous souhaitons confier aux associations et aux réserves de sécurité civile un rôle dans l'anticipation des événements. Peut-être s'agit-il de leur donner un agrément ou un statut particulier leur permettant d'accompagner les collectivités sur le terrain.
Précisément, il convient sans doute de mettre en place une forme de guichet unique pour traiter les questions de prévention et de formation de la population, afin que tous les acteurs disposent d'outils et d'un langage commun.
À cet égard, nous avons besoin de pouvoir communiquer en créole. L'agence régionale de santé a pris en compte ce besoin lors de la crise sanitaire du covid. Cette approche devrait donc être systématisée.
À Marie-Galante, nous avons travaillé sur les risques naturels majeurs auprès des collèges en utilisant le français et le créole. Nous organisons régulièrement des exercices. Pour ce qui concerne le risque sismique, un bus circule en Guadeloupe pour informer la population des bons gestes à adopter.
Il manque néanmoins d'autres moyens pour développer la culture du risque. Nous devons également travailler avec les agents des collectivités. Dans un territoire particulièrement exposé aux risques naturels, la culture doit s'apparenter à celle de l'hygiène élémentaire.
Nous avons effectivement un travail crucial à conduire au niveau des bâtiments scolaires et communaux. En tout état de cause, il est impératif de créer une culture du risque qui soit permanente. En entrant dans un bâtiment, le premier réflexe doit être de repérer une issue de secours, par exemple.
Je partage l'ensemble des propos de mes collègues en matière de prévention. Les acteurs sont multiples et doivent également être sensibilisés sur cet acte citoyen de la prévention des risques et de la sécurité. L'information passe par tous les acteurs du territoire, qu'il s'agisse des associations, des collectivités, des secours ou du centre communal d'action sociale.
À La Réunion, nous disposons également d'un site internet concernant le dossier départemental des risques majeurs. Vous pouvez le consulter à l'adresse suivante : https://ddrm-reunion.re. Ce site a pour objectif d'informer et de sensibiliser la population sur les risques naturels et les mesures de sauvegarde existantes.
En d'autres termes, nous possédons déjà la culture du risque. En cas de catastrophe, nous devons réagir seuls au regard de notre isolement. Ainsi, il existe déjà une forme de résilience naturelle à travers les mesures de soutien, d'entraide et de partage d'informations et des bonnes pratiques. La sensibilisation s'effectue à tous les échelons et sur l'ensemble du territoire, tant auprès des partenaires privés et associatifs qu'auprès des collectivités.
En conclusion, je souhaite souligner que l'accord signé par Mayotte en matière de coopération régionale lui permettra, avec l'État, de contribuer aux discussions avec les pays de sa zone régionale. Cet accord est donc positif.
En tant que président de l'ACCD'OM, je ne peux que saluer cette action. Celle-ci pourrait d'ailleurs être dupliquée dans le bassin caribéen.
Pour ma part, je souligne le retard important de nos territoires en matière de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). Une seule intercommunalité a progressé dans ce domaine du génie végétal. Nous avons besoin de moyens supplémentaires.
En pratique, nous avons eu tendance à artificialiser nos sols, notamment les sols situés sur les berges de nos rivières. Il s'agit de déterminer dans quelle mesure le génie végétal pourrait être également inscrit dans le programme scolaire. Nous avons même besoin d'un véritable programme de formation au métier du génie végétal.
De plus, ce sujet doit être introduit dans les écoconditions à remplir dans le cadre du financement vert de l'État et de l'Union européenne en matière de programmes d'aménagement. Il convient de renforcer les exigences de gestion des rivières et de donner une part plus importante au génie végétal, en complémentarité du génie civil.
Nous recourrons de plus en plus fréquemment à des solutions basées sur la nature, et non pas nécessairement aux méthodes traditionnelles, dont nous payons les conséquences aujourd'hui, c'est-à-dire la bétonnisation et l'artificialisation des sols.
Nous vous accueillons très prochainement à l'île de La Réunion. En présence du président Cyrille Melchior, nous pourrons compléter notre débat et aborder les points particuliers de l'île, sachant que Cyrille Melchior est également le représentant de l'assemblée des départements de France d'outre-mer.
Le caractère ultramarin de nos territoires nous relie. Un autre lien réside dans les risques naturels majeurs et les moyens d'y faire face. À cet égard, chaque territoire dispose de son organisation. Outre l'échange des bonnes pratiques, la gestion des risques passe avant tout par la prise en compte locale des enjeux.
Nous parvenons au terme de cet échange très constructif. Vos interventions nous ont éclairés et nous permettront de mieux comprendre la prise en charge des risques naturels en outre-mer. Nous vous remercions également de vos suggestions et propositions.
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), Mission de pilotage des politiques publiques de prévention et de gestion des risques naturels en outre-mer (MAPPPROM) : M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques et délégué aux risques majeurs.
Nous concluons notre journée par l'audition de monsieur Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques et délégué aux risques majeurs au sein du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Monsieur le directeur général, votre audition ouverte à la presse est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Cédric Bourillet prête serment.)
Je vous remercie de votre invitation. Je suis auditionné à deux titres, le premier ayant trait à mes fonctions pour le compte du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ma qualité de directeur général de la prévention des risques.
Par ailleurs, je suis délégué aux risques majeurs pour le compte de l'ensemble des administrations. J'ai donc l'honneur de diriger une équipe interministérielle nommée « mission d'appui aux politiques de prévention des risques naturels majeurs outre-mer » (Mappprom), laquelle intervient également pour le compte du ministère de l'intérieur et des outre-mer, du ministère du logement et de la construction.
Le premier de grands piliers de la prévention des risques naturels en métropole et en outre-mer est celui de la connaissance des risques, c'est-à-dire l'évaluation des aléas ou des phénomènes naturels qui peuvent survenir et l'évaluation de la vulnérabilité des cibles potentiellement exposées à cet aléa.
Le deuxième pilier concerne la culture du risque. L'ensemble des acteurs et des autorités publiques, mais également chaque entreprise et chaque citoyen, doivent avoir la connaissance des risques et des bons réflexes à adopter pour éviter d'être à l'origine d'un risque. À titre d'exemple, chacun doit savoir qu'un barbecue, des travaux ou un mégot peuvent être à l'origine d'un incendie de forêt et de végétation et qu'il convient dès lors de s'abstenir de certains comportements.
Chacun doit également savoir rechercher l'information et rester connecté pour recevoir les alertes en cas de danger de toute nature. Il s'agit en outre d'adopter les bons réflexes et les bons comportements si le risque se manifeste. Dans le cas de l'outre-mer, les Antilles se caractérisent par un risque sismique très important. Chaque citoyen doit connaître les réflexes à mettre en œuvre, si un bâtiment commence à trembler, afin de réduire son exposition ou de réduire le début du risque.
Le troisième pilier regroupe les actions matérielles de prévention, qu'il s'agisse des plans de prévention des risques, des mesures d'urbanisation, des réflexions en matière d'aménagement. Ces actions peuvent déboucher aussi bien sur des stratégies d'aménagement collectif, des solutions fondées sur la nature ou des mesures de protection collective. Par exemple, il s'agit de proposer aux personnes qui se situent dans des zones très exposées d'évacuer les lieux moyennant une indemnisation, lorsque cette solution s'avère moins coûteuse.
Ce pilier porte également sur la préparation aux situations d'urgence. Les équipes du ministère de l'intérieur y contribuent par la connaissance des aléas et par l'élaboration de stratégies.
L'un des objectifs du traitement d'un risque naturel, outre le fait de survivre à l'événement instantané, est aussi d'être capable d'assurer le retour à la normale le plus rapidement possible. De ce point de vue, le retour d'expérience permet de prendre des dispositions structurelles en matière de résilience et d'infrastructures critiques essentielles au fonctionnement de la société.
À l'aune de ces piliers, nous mettons en place des stratégies ainsi que des outils de communication, des outils réglementaires et des outils d'intervention financière, le fonds Barnier étant le principal outil financier à la disposition de notre ministère.
Vous évoquez la connaissance, la culture et la prévention du risque. Concrètement, quelles sont les initiatives prises jusqu'à présent pour sensibiliser les opinions ? A priori, les risques majeurs auxquels les territoires ultramarins sont exposés sont acquis pour tout le monde. Néanmoins, quel est le niveau de connaissance du citoyen sur ces risques ?
Quels sont les acquis en matière de culture du risque et quelles sont les politiques publiques envisagées pour créer cette culture lorsqu'elle est absente ? Quels axes d'amélioration les retours d'expérience laissent-ils entrevoir ?
Nos territoires et les populations d'outre-mer sont exposés notablement aux risques naturels. Cette exposition comporte également certaines spécificités en matière de risque sismique. Précisément, la zone des Antilles affiche un niveau de séisme potentiel plus élevé que le reste du territoire national. Le risque volcanique est présent à la fois dans l'océan Indien et aux Antilles, alors qu'il n'est absolument pas de même nature en métropole.
En outre, les territoires ultramarins sont également exposés aux cyclones et aux tempêtes tropicales. Ces événements météorologiques se présentent de façon nettement plus vive qu'en métropole, soit une autre spécificité.
Les populations ultramarines ont une connaissance plus importante des risques naturels que les métropolitains. Certaines expériences, parfois très anciennes, sont restées dans les mémoires. À titre d'exemple, de nombreux Martiniquais nous parlent des séismes majeurs du début du XXe siècle et d'événements plus récents.
Je cite également les alertes cycloniques que nous avons pu connaître ces dernières semaines à La Réunion. Fort heureusement, le cyclone a considérablement ralenti sa course et s'est avéré d'une intensité nettement plus faible que ce qui était craint. Toutefois, ce cyclone a donné lieu à une sensibilisation grandeur nature des populations.
À cet égard, plusieurs études conduites par nos soins ont fait état d'une forte attente des populations en matière d'information et de formation. Nous nous sommes donc efforcés de nous améliorer dans ces domaines. En 2023, pour la première fois, notre ministère a mené des campagnes d'information, portant notamment sur le risque d'inondation spécifique aux outre-mer. Nous avons même décliné les campagnes dans les langues des différents territoires concernés.
En Guyane, nous avons testé des dispositifs de distribution de fournitures scolaires auprès des enfants et la communication de messages spécifique est en cours.
Ainsi, nous avons testé de nouveaux outils depuis l'année 2023. Cette démarche, qui concerne des outils de toute nature, se poursuit en 2024. Les premiers retours demeurent globalement positifs.
Nous avons également réalisé des tests ex post de nos campagnes de communication. Bien entendu, nous avons interrogé les acteurs locaux. Ceux-ci nous encouragent à poursuivre et renouveler nos campagnes. Sur cette base, nous songeons notamment à couvrir la question des risques liés aux fortes pluies, aux crues, au ruissellement et à la montée rapide des eaux.
Certains interlocuteurs nous conseillent également de traiter la question du risque de glissement de terrain propre à certains territoires. Nous étudions la façon de développer des outils de communication sur ce sujet.
Plus généralement, le travail à effectuer sur la montée en puissance de la communication constitue une source de motivation pour nos services, qui l'appréhendent avec humilité.
Précédemment, vous avez indiqué qu'une réflexion porte également sur la construction de logements et la prévention des aléas de tremblement de terre, lesquels demeurent omniprésents en outre-mer. Par exemple, à Mayotte, avec la naissance du volcan, ce risque est particulièrement élevé.
Existe-t-il un risque de surcoût susceptible de décourager les personnes à construire leur logement ? Des outils permettent-ils de traiter ce sujet ?
Il convient de distinguer les futures constructions du parc existant de logements. Dans l'exemple que vous mentionnez, une construction neuve est conçue dès le démarrage selon les normes parasismiques. Le surcoût qui en découle reste donc modeste.
Nos collègues du ministère chargé du logement disposent de toutes les données chiffrées en la matière. Le surcoût représente un faible pourcentage du coût global, selon nos informations. En revanche, la reprise des bâtiments existants entraîne une dépense nouvelle qui vient s'ajouter aux autres coûts et qui, par définition, ne peut pas être intégrée dans le coût initial.
Pour cette raison, le plan séisme Antilles prévoit un important soutien du fonds Barnier, lequel peut s'ajouter à d'autres fonds disponibles, et ce, à la fois pour la reprise des bâtiments critiques, comme les écoles, les bâtiments de services de secours et de gestion de crise, ainsi que les logements sociaux collectifs, et pour la reprise de bâtis privés, lorsque les personnes souhaitent mener des travaux dans leurs habitations. Un référentiel technique et une réglementation spécifique sont nécessaires pour relever ce défi.
Pour ce qui concerne le risque cyclonique, la loi ouvrait la possibilité de définir le référentiel normatif réglementaire. Le travail de référentiel est en cours. Il convient de l'achever afin que les personnes qui conçoivent des logements soient informées des normes à respecter, ce qui implique une capacité de pilotage des chantiers. Dans le cadre des chantiers publics, une capacité d'ingénierie est également nécessaire.
J'évoque ici des domaines dans lesquels nous devons progresser et des freins à lever pour certaines opérations. Les professionnels du bâtiment doivent aussi être formés et disponibles. En outre, ils doivent pouvoir accéder aux ressources utiles pour conduire leurs chantiers correctement au regard des standards et des référentiels normatifs.
Dans le cadre du plan séisme Antilles, nous observons encore des freins et des goulets d'étranglement. Nous devons améliorer l'ensemble des outils mis à la disposition des professionnels du bâtiment pour que l'offre soit à la hauteur de leurs besoins.
Le risque sismique ne concerne-t-il que les Antilles et menace-t-il d'autres collectivités ? Évoquez-vous le plan séisme Antilles au regard des tests réalisés dans cette partie du territoire ?
Depuis 2007, le plan séisme Antilles se donne l'objectif d'une véritable résilience à l'horizon de 30 ans. La zone des Antilles a été retenue, car il s'agit de la principale zone sismique du territoire national. Dans la même zone, un séisme majeur s'est soldé par de très nombreux morts à Haïti. Cette partie du territoire doit attirer notre plus grande vigilance autour des questions sismiques.
Cependant, la zone antillaise n'a malheureusement pas le monopole du risque sismique. D'autres zones sont également concernées par ce risque, y compris en métropole. Pour rappel, une carte sismique est disponible sur le site Géorisques. Chacun peut y trouver toutes les informations utiles.
En tout état de cause, la zone Antilles constitue un grand laboratoire pour nos outils, nos appuis financiers et nos méthodes techniques, car nous y répondons à des enjeux considérables. Néanmoins, notre attention en matière de risque sismique ne se limite pas aux Antilles.
En outre-mer, une part non négligeable de nos compatriotes ne maîtrise pas le français. Il est donc nécessaire d'adapter la communication à cette partie de la population. Avez-vous pris en compte cet aspect ? À titre d'exemple, comment communiquer sur un danger et sur les réflexes à acquérir auprès de ma mère, qui a 87 ans et qui n'est jamais allé à l'école ?
De même, un travail de communication doit sans doute être effectué auprès des jeunes scolaires. À Mayotte, j'ai l'impression que ces derniers n'ont pas été mobilisés lors des récents événements météorologiques.
Dans le cadre d'une mission portant sur le même sujet, nous avons relevé que le Japon a mis en place la « journée japonaise » afin de mieux communiquer auprès de la population. J'ai cru comprendre qu'aux Antilles, un début de développement de culture a été entamé en la matière. En revanche, j'ignore si d'autres collectivités prennent en compte ce besoin.
La culture du risque constitue un sujet majeur pour nous. Nous restons très humbles dans notre approche, car nos campagnes consacrées à l'outre-mer n'ont débuté que l'an dernier.
Concernant la question linguistique que vous avez soulevée, nous avons choisi de décliner nos campagnes en plusieurs langues et d'adapter les langues aux territoires afin de couvrir le besoin afférant au « dernier kilomètre ». L'objectif est de faire circuler l'information de la meilleure manière possible et de toucher tous les publics.
Pour cela, nous testons différents canaux de communication, que ce soient les médias écoutés ou les médias écrits, ainsi que les réseaux sociaux, ces derniers étant très utilisés dans nos territoires d'outre-mer.
Pour ce qui concerne l'école et la communication à l'aide des fournitures scolaires, nous avons entamé nos expérimentations par la Guyane. Cette approche soulève d'ailleurs des questions logistiques.
En outre, la journée japonaise nous a largement inspirés. Lorsque Barbara Pompili se trouvait à la tête de notre ministère, elle avait demandé la conduite d'une mission sur la culture du risque. Cette mission présidée par le journaliste Frédéric Courant, de l'émission C'est pas Sorcier, a mis en exergue l'initiative de la journée dite « japonaise », ainsi que les initiatives intitulées « journée Réplik » et « semaine Sismik », qui contribuent depuis plusieurs années à une certaine forme de sensibilisation et de culture du risque.
De plus, voici deux ans, nous avons mis en place la journée nationale de la résilience dans l'ensemble du territoire français. Cette démarche s'inspire de la journée japonaise. Nous avons retenu la date du 13 octobre, c'est-à-dire la date choisie par l'ONU pour la journée mondiale de la prévention et de la gestion des catastrophes naturelles et technologiques.
Notre journée nationale de la résilience monte en puissance. Pour sa deuxième année en 2023, plus de 3 000 actions ou opérations ont été labellisées par les services de l'État sur l'ensemble du territoire. De nombreuses actions ont été programmées dans les territoires d'outre-mer soit par des collectivités, des citoyens, des groupes de personnel de l'éducation nationale et des associations. Nous observons une forte augmentation du nombre d'actions par rapport à 2022 et espérons franchir encore de nouveaux caps en 2024.
Quel est le taux de mobilisation du fonds Barnier dans les territoires d'outre-mer qui en bénéficient ?
Le fonds Barnier est mobilisé dans l'ensemble des territoires ultramarins qui relèvent du code de l'environnement, ainsi qu'en métropole. En pratique, il est davantage utilisé dans les territoires ultramarins outre-mer qu'en métropole. En moyenne, cette mobilisation représente 3 euros par habitant sur le territoire national, contre 22 euros par habitant en outre-mer.
Cette plus forte utilisation en outre-mer demeure parfaitement légitime, car elle répond à de grands enjeux en matière de connaissance des risques. Vous évoquez le phénomène sismovolcanique et l'émergence du volcan au large de Mayotte. À ce titre, le fonds Barnier finance une très grande partie des campagnes à mener au regard de ce phénomène.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, des sommes importantes ont également été dépensées pour réaliser le relevé bathymétrique du fond marin situé à proximité de ce territoire. En effet, en cas de tempête, la forme du sol joue un rôle crucial dans le risque de submersion marine. Or la partie habitée de la commune de Miquelon se situe à une très faible altitude.
Plus généralement, certains phénomènes spécifiques nécessitent de consolider nos connaissances scientifiques. Nous pouvons mobiliser le fonds Barnier pour réaliser des opérations en la matière. Ce fonds peut également être mobilisé pour d'autres opérations spécifiques, comme le plan séisme Antilles.
La part du fonds Barnier qui est consacrée aux territoires d'outre-mer est la plus importante, car notre approche est très guidée par le niveau de risque auquel les populations sont exposées.
Le fonds Barnier a-t-il déjà été mobilisé en Polynésie française, où il y a plusieurs îles qui sont immédiatement menacées ?
Sur le plan juridique, ce fonds ne peut pas intervenir en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, etc. Il ne couvre que les départements et les régions où s'applique le code de l'environnement.
Toutes les collectivités d'outre-mer où l'État conserve ses compétences sont-elles dotées de plans Orsec ?
Je ne peux répondre à cette question. Ce sujet concerne d'autres services du ministère de l'intérieur et des outre-mer. A priori, le plan Orsec est organisé par l'État. Pour leur part, les collectivités disposent de deux outils, c'est-à-dire les plans contribuant à la culture du risque et à l'information des populations et les plans communaux de sauvegarde. Ces derniers servent à préparer et gérer les crises et sont pilotés par le ministère de l'intérieur et des outre-mer.
Quelle est la forme d'anticipation des évolutions et donc de leurs effets sur le risque ? Nous avons souvent à l'esprit les risques d'ouragans, car ils s'avèrent directement visibles. Il convient néanmoins de tenir compte également du risque sur les évolutions des sols, c'est-à-dire les risques de glissement de terrain. Ces risques ont une incidence non seulement sur les normes de construction, mais également sur la constructibilité des territoires, et donc sur les règles d'urbanisme.
En outre-mer, le foncier est extraordinairement contraint et marqué par de fortes difficultés. À cet égard, nous avons observé la réaction des populations locales à la première mouture du plan de prévention des risques naturels (PPRN) de Saint-Martin après le passage de la tempête Irma. Le risque de submersion, qui était pris en compte, était sans doute moins important que le risque du vent.
Il s'agit de sujets particulièrement sensibles pour les populations, sans évoquer les problèmes liés aux indivisions successorales. Comment intégrez-vous cette évolution à terme ? La Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises envisage l'horizon de 2050 pour intégrer sa propre trajectoire. Quelle est votre position en la matière ?
De manière générale, nous nous efforçons d'établir des projections à l'horizon de 100 ans pour faire évoluer nos outils, dont les plans de prévention des risques. Les décisions que nous prenons aujourd'hui auront sans doute un impact dans 100 ans, ce que nous devons anticiper.
En parallèle, une démarche scientifique s'appuie sur les opérateurs techniques du ministère. Certains sujets sont plus faciles à aborder, dans la mesure où ils ne sont pas liés à l'évolution climatique. Il s'agit notamment des sujets sismiques et volcaniques. Dans certains domaines, comme celui de l'élévation du niveau de la mer, nous commençons à nous doter de modèles satisfaisants. Ces modèles nous permettent de mieux modéliser l'augmentation des risques de submersion.
D'autres sujets s'avèrent plus difficiles à anticiper. Les experts nous soumettent néanmoins des informations, des pistes ou des indices, notamment pour ce qui concerne l'intensification des cyclones, l'évolution des fortes pluies, l'évolution du risque d'incendie de forêt, etc. Notre politique consiste dans ce cas à financer le recueil des connaissances et l'anticipation des impacts du changement climatique, puis à intégrer ces données dans les outils de projection conçus avec un horizon de 100 ans.
Les politiques publiques de prévention des risques impliquent un financement. À cet égard, la question de l'assurabilité, ou plutôt celle de la non-assurabilité des biens privés et publics et sur les infrastructures publiques se pose fréquemment.
Contrairement à l'État, les collectivités ne peuvent pas facilement revendiquer d'être leurs propres assureurs. Comment traitez-vous ce problème d'assurabilité auprès des compagnies d'assurance, notamment pour leur démontrer un certain niveau de sinistralité et la façon de le contenir et ainsi permettre au bien de bénéficier d'une couverture assurantielle ?
Vous évoquez ici un sujet d'actualité et une question particulièrement sensible, sachant qu'elle relève de la direction du trésor de Bercy. Néanmoins, nous nous efforçons de lui apporter notre connaissance des enjeux et des aléas, notamment en matière d'assurabilité, de réassurance et de pérennité du dispositif CATNAT.
Nous devons répondre à un enjeu financier global, dans la mesure où le changement climatique induit potentiellement l'augmentation du coût des dégâts indemnisés. Ce coût peut être lié soit à l'augmentation de la fréquence ou de l'intensité des phénomènes naturels, soit à la hausse du coût des biens assurés elle-même, c'est-à-dire de la base devant faire l'objet d'une indemnisation.
L'enjeu est également d'éviter une forme de retrait de l'assurance dans certains territoires. Le ministre Bruno Le Maire et le ministre Christophe Béchu ont annoncé le lancement d'un certain nombre de missions et de réflexions sur ces sujets techniques particulièrement complexes d'assurance, de mutualisation, d'incitation financière, d'obligation réglementaire, etc.
Pour notre part, nous apportons nos connaissances concernant les territoires les plus exposés, sur la base des cartographies disponibles, l'évolution du changement climatique et toute la matière technique nécessaire pour construire les outils adaptés.
Bien entendu, la politique publique de prévention des risques majeurs renvoie aux notions de constructibilité et de cartographie associée. Cependant, la résilience des territoires et la prévention qui en découle impliquent une plus large gamme de politiques publiques.
Cet aspect fait-il partie de vos missions ? Les scénarios que vous établissez pour imaginer la résilience à l'aléa de demain et les stratégies de diminution de la vulnérabilité des territoires intègrent-ils la politique sanitaire, l'accès aux soins, l'accès à l'eau et l'approvisionnement ?
Appréhendez-vous les conséquences des risques naturels sur l'ensemble de la gamme des politiques publiques, notamment en matière d'éducation ?
Il s'agit effectivement d'un sujet de préoccupation et de vigilance lorsque nous mettons en place une stratégie locale. Pour cela, nous nous appuyons sur les services déconcentrés d'État.
L'objectif est que le citoyen soit protégé au moment du phénomène naturel, par exemple au sens de son habitation. En outre, le territoire doit ensuite être capable de revenir à la normale le plus rapidement possible et les installations ainsi que les infrastructures les plus critiques doivent avoir résisté et pouvoir offrir un service opérationnel en vingt-quatre ou quarante-huit heures.
Pour cela, nous utilisons des outils visant les infrastructures et les bâtiments les plus stratégiques. À ce titre, le plan séisme Antilles couvre les risques afférant aux écoles, aux services de sécurité civile, aux établissements de gestion de crise, etc.
Dans le cadre du plan de relance, les établissements de santé ont fait l'objet d'un renforcement, incluant des travaux sur les réseaux. De plus, la loi climat et résilience nous a dotés d'un nouvel outil permettant d'interroger les gestionnaires de réseaux sur leur résilience phase aux phénomènes naturels majeurs et sur les programmes d'investissement qu'ils ont mis en œuvre ou qu'ils ont planifié en réponse.
Je souligne que cet aspect concerne tous les réseaux, c'est-à-dire le réseau électrique, le réseau de gaz et le réseau de télécommunications. Ces derniers peuvent être essentiels pour le fonctionnement d'autres services publics.
Cette démarche s'étend-elle aux risques industriels, aux risques de pollution et à la gestion des déchets ?
Oui. Notre politique inclut également tous les aspects industriels, qui font l'objet d'outils plus spécifiques. Elle couvre notamment les installations classées au titre de la protection de l'environnement (ICPE).
Depuis de nombreuses années, la réglementation relative aux ICPE prévoit que les industriels concernés étudient leur résistance aux phénomènes naturels et au risque d'accident technologique engendré par un événement naturel, soit le risque dit « NaTech ». Notre ministère a annoncé une mission d'inspection générale afin de dresser le bilan de l'approche NaTech et d'envisager la généralisation des bonnes pratiques.
Outre le questionnaire en cours de préparation, je souhaiterais connaître la méthode d'établissement des scénarios. Vous devez prendre en compte une immense diversité de problématiques et de situations.
Nous supposons que votre matrice repose sur une grande quantité de données. Comment les retours d'expérience tirés des précédents aléas déjà sont-ils intégrés dans votre approche ? Comment travaillez-vous avec les autorités politiques locales pour établir vos scénarios ?
La première étape consiste à connaître les risques et les aléas. Il s'agit d'un travail extrêmement complexe lorsque plusieurs aléas se recoupent. Pour certains aspects, la science est relativement claire. Dans d'autres domaines, nous devons encore lever certaines incertitudes. Par exemple, nous n'avons pas encore recueilli toutes les réponses nécessaires pour appréhender le phénomène sismovolcanique de Mayotte.
Cette première étape constitue un préalable aux politiques publiques. Pour préserver l'avenir, nous devons ensuite réfléchir à la maîtrise de l'urbanisation. Les collectivités et les acteurs locaux sont associés à cette réflexion.
Vous avez évoqué l'émotion suscitée par le projet de plan de prévention des risques naturels de Saint-Martin. Ce plan illustre le fait que la démarche est réalisée en interaction avec les acteurs locaux, qui implique parfois des normes de construction sur les nouveaux bâtiments.
Concernant le surcoût éventuellement induit par ces normes dans la construction de nouveaux bâtiments, les règles varient selon que les constructions sont plus ou moins sensibles et nous permettent d'adopter une approche proportionnée. Pour ce qui concerne l'amélioration des constructions existantes, les outils à disposition sont partagés avec les acteurs locaux. Il s'agit aussi bien de solutions fondées sur la nature que des dispositions de protection collective, voire des mesures d'évacuation des personnes et de prescription d'investissements.
Lorsque la question a trait à un bâti public, des outils financiers peuvent également être mobilisés. De manière générale, la matrice s'avère effectivement très complexe, car nous devons tenir compte de l'aléa, de ses conséquences, du coût et de la faisabilité des projets, des délais nécessaires, etc. Notre approche se veut la plus systémique et la plus organisée possible.
Les personnes auditionnées aujourd'hui par notre commission d'enquête ont signalé les difficultés posées par le domaine législatif et réglementaire. Certains ont témoigné des difficultés à mettre en œuvre le fonds Barnier en raison de délais trop courts et ont évoqué une forme d'insécurité juridique dès lors qu'ils doivent agir dans l'urgence.
Dans le cadre de vos missions, jouez-vous un rôle de prescripteur par rapport à la puissance publique afin que ses propres règles s'adaptent au mieux aux nécessités du moment ?
La gestion des crises et des situations d'urgence relève du ministère de l'intérieur. Mon influence en la matière est donc limitée.
S'agissant du fonds Barnier, en revanche, les règles sont établies par ma direction générale. Nous les faisons évoluer régulièrement, notamment au regard des difficultés exposées par les acteurs locaux. Par exemple, ces derniers peinent parfois à créer le circuit financier le plus confortable pour réaliser un certain nombre d'actions.
Concernant la zone dite des « cinquante pas géométriques », une série de travaux et d'opérations est prévue dans certains de nos territoires. Selon les règles du fonds Barnier, l'agence des cinquante pas géométriques ne peut pas être le gestionnaire des sommes concernées et mener l'ensemble des opérations. Un circuit financier complexe doit alors être mis en place, nécessitant l'intervention du préfet.
Nous avons pu faire évoluer les textes pour permettre que l'agence soit directement mandatée pour utiliser le fonds Barnier et mener les opérations. Il s'agit donc d'un assouplissement mis en œuvre sur la base des informations du terrain et rendu possible par le droit.
Pour notre part, nous sommes chargés de définir le droit. Or je doute que nous sollicitions votre avis systématiquement.
S'agissant du logement privé, jouez-vous le même rôle auprès de l'agence nationale de l'habitat (Anah) afin de mobiliser d'autres fonds d'intervention ?
Quelques lignes du fonds Barnier sont ouvertes aux logements privés et individuels. Nous travaillons notamment avec l'Anah, qui ne se trouve pas sous ma tutelle, afin de profiter de son implantation territoriale et de son savoir-faire et d'accompagner les propriétaires ou les occupants de logements privés dans le traitement de sujets techniquement complexes.
À travers différents partenariats, nous nous efforçons ainsi de mutualiser les moyens financiers, les connaissances, les réseaux et les équipes. À ce titre, nous ne pourrons relever les défis liés aux risques naturels que de manière collective.
Je suppose qu'il est facile pour vous d'intervenir auprès des collectivités relevant de l'article 73, voire de l'article 74. Cependant, agissez-vous également auprès des territoires du Pacifique ?
Non. Lorsque le code de l'environnement ne s'applique pas, nous perdons le bénéfice de la quasi-totalité de nos outils. Or le fonds Barnier ne s'applique pas à ces territoires.
Nous vous remercions de votre exposé et de vos réponses. Je vous souhaite une agréable soirée.
La séance est levée à dix-neuf heures vingt.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Réunion du jeudi 14 mars 2024 à 15 heures
Présents. – Mme Florence Goulet, M. Mansour Kamardine, M. Guillaume Vuilletet.
Excusés. – Mme Joëlle Mélin, Mme Laetitia Saint-Paul.