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Intervention de Julien Marion

Réunion du jeudi 14 mars 2024 à 15h00
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Julien Marion, directeur général de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises :

Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer sur un sujet central pour l'activité de la DGSCGC, à savoir la gestion des risques naturels majeurs d'outre-mer.

Sur l'ensemble du territoire national, nous sommes confrontés aux conséquences du dérèglement climatique et à l'évolution très rapide de risques d'origine naturelle. En la matière, l'exception devient progressivement la norme. Ce sujet concerne également le territoire métropolitain, avec l'évolution du risque de feu de forêt. Le devoir et le rôle de la puissance publique sont de s'adapter à ces évolutions. Naturellement, la DGSCGC appréhende cet impératif d'adaptation avec sérieux.

Les territoires d'outre-mer sont particulièrement concernés par cette évolution et par ces phénomènes. Elles sont déjà confrontées à des risques naturels majeurs renforcés par un certain nombre de caractéristiques, dont l'insularité, l'éloignement de la métropole et la superposition d'un certain nombre de risques, qui engendrent des contraintes supplémentaires.

Les conséquences du changement climatique à l'horizon 2030 et 2050 sont variées. Dans les territoires ultramarins, il s'agit d'effets directement liés à une augmentation tendancielle des températures moyennes, à une récurrence accrue des périodes de forte chaleur, ainsi qu'à une hausse tendancielle des cumuls et une récurrence plus élevée des périodes de précipitations intenses.

Les phénomènes de houle cyclonique ou de cyclones connaissent également une croissance tendancielle parfaitement documentée et caractérisée. L'augmentation du niveau de la mer constitue un autre phénomène à prendre en compte. Moins visible, le phénomène d'acidification des océans ne doit pas être négligé non plus.

Ces différents aspects ont des conséquences indirectes sur un certain nombre de caractéristiques, avec les phénomènes d'érosion, d'inondation et de submersion marine, les feux de végétation qui découlent de la récurrence des périodes de sécheresse et l'évolution des ressources en eau. Les effets portent également sur la santé humaine, comme nous le constatons à Mayotte.

Dans ce cadre, la mobilisation de l'ensemble des acteurs, le développement de la résilience des populations, l'organisation d'une réponse nationale et locale constituent des impératifs et des éléments structurants de la réponse publique à ces évolutions.

À la différence du territoire métropolitain, les territoires ultramarins devront prendre en compte trois facteurs qui dimensionnent la réponse de sécurité civile afin de répondre de manière efficace à l'accélération des conséquences du changement climatique.

Le premier facteur est l'éloignement des moyens d'intervention de la métropole couplé à la fragilité des infrastructures de transport aérien et des infrastructures portuaires, soit une contrainte supplémentaire. Le deuxième facteur réside dans la plus grande vulnérabilité des territoires d'outre-mer en raison de leur caractère insulaire, avec une part très significative de la population directement exposée aux risques durant un même événement, voire sa totalité, dans un contexte de bilan démographique incertain. Troisièmement, les territoires ultramarins subissent des risques spécifiques, comme le risque cyclonique, le risque sismo-volcanique et le cumul de ces risques.

Du point de vue de la DGSCGC, les territoires ultramarins composent un formidable laboratoire de ce que nous sommes capables de mettre en œuvre en matière de résilience, de prévention des risques et d'éducation de la population à ces risques. En pratique, ils ont d'ores et déjà développé une culture de résilience plus avancée que ce qui s'observe en métropole. Avec les populations, les collectivités, les acteurs de l'État présents dans les territoires ultramarins, nous avons déjà construit un socle utile en matière de prévention des risques technologiques, de prévention des risques naturels et d'éducation à la culture du risque.

Dès 2021, la DGSCGC a entamé une réflexion sur les effets du changement climatique et la nécessaire adaptation de la réponse de sécurité civile en se projetant à l'horizon 2050. Certes, cette démarche conduite en lien étroit avec Météo-France couvre l'ensemble du territoire et doit déboucher sur une stratégie collective d'adaptation aux risques climatiques. Néanmoins, parmi les dix groupes de travail constitués à l'issue de cette démarche, un groupe de travail se focalise sur les risques naturels majeurs d'outre-mer, soit un axe prépondérant de la stratégie de réponse aux crises.

Dans un premier temps, nos travaux nous ont permis de rédiger la synthèse des évolutions du climat de chaque bassin océanique et à l'élaboration d'une feuille de route listant plusieurs recommandations d'adaptation de la réponse de sécurité civile face au défi climatique avec pour horizon l'année 2050.

Ces différentes productions ont nécessité environ deux ans de travail et ont été diffusées aux autorités locales en février 2023. Leurs recommandations ont vocation à être mises en œuvre par les collectivités et les services de l'État concernés.

Ces recommandations portent notamment sur un meilleur partage et une meilleure diffusion des connaissances, notamment à travers la création d'une base de données partagée par les acteurs de la gestion des crises. Elles visent également l'organisation de renforts de la coordination interministérielle grâce à des exercices. Les recommandations prévoient en outre la réalisation de travaux de sécurisation de l'accès aux infrastructures majeures, dont les infrastructures portuaires et aéroportuaires, de travaux sur la doctrine de planification ainsi qu'une réflexion sur les moyens rendus nécessaires par l'exposition aux risques climatiques majeurs.

La réponse de sécurité civile dans les territoires ultramarins aux risques d'origine naturelle repose principalement sur les services d'incendie et de secours. Je tiens à souligner la très grande qualité et le fort investissement des services d'incendie et de secours ultramarins. Ces derniers ont développé une véritable culture de la gestion du risque exceptionnel avec des moyens inférieurs à ceux des services d'incendie et de secours métropolitains, à population équivalente. Lors de plusieurs déplacements, j'ai pu constater l'investissement, l'engagement et la culture de résilience remarquable des sapeurs-pompiers ultramarins.

Dans les territoires ultramarins, la réponse à la crise est régie par les mêmes principes que sur l'ensemble du territoire de la République. La chaîne de commandement a fait la preuve de son efficacité dans la durée. Elle repose sur une répartition très claire des compétences et des responsabilités entre le maire, le préfet, l'État et l'échelon intermédiaire que constituent les zones de défense. Je souligne la capacité à mobiliser la solidarité nationale lorsque les capacités de réponse d'un territoire sont insuffisantes, ainsi que la souplesse et l'efficacité de notre organisation de sécurité civile face aux risques exceptionnels.

Notre réponse de sécurité civile face aux phénomènes climatiques exceptionnels d'outre-mer repose en grande partie sur notre réactivité à tous les stades de la gestion de la crise. Dès les premières alertes, nous devons nous efforcer de conserver le « coup d'avance », c'est-à-dire les 24 heures d'avance qui nous permettront, le cas échéant, de projeter les moyens en avance de phase pour pouvoir les mobiliser dès l'occurrence du phénomène.

Le préavis est donc déterminant, tout comme le temps nécessaire pour alerter les populations. À cet égard, nous avons le devoir de mobiliser pleinement les outils d'alerte des populations. En janvier dernier, à l'occasion du passage du cyclone Belal à La Réunion, nous avons pu vérifier que l'alerte des populations a été déterminante et a atteint ses objectifs.

La question du prépositionnement de moyens nationaux de sécurité civile dans les territoires ultramarins demeure parfaitement légitime. Il convient d'y répondre de la manière la plus argumentée possible. Ce besoin en moyens nationaux a été pris en compte dans le cadre de la Lopmi (loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur), adoptée par le Parlement et promulguée au début de l'année 2023.

En matière de sécurité civile, la Lopmi prévoit la création, à l'horizon 2025 aux Antilles et à l'horizon 2027 dans l'océan Indien, de moyens en personnel et en matériel nommés « harpons ». Il s'agit d'une dizaine d'équivalents temps plein (ETP) provenant des formations militaires de la sécurité civile qui seront prépositionnés de manière permanente dans les territoires précités.

Ces ETP auront pour mission de contribuer à la gestion des réserves nationales existantes et à leur projection, ainsi qu'à la formation et à l'entraînement des acteurs locaux à la gestion des crises. En cas de crise ou de catastrophe majeure, ces ETP avancés seront chargés de préparer l'arrivée des renforts. Ce schéma vient compléter le dispositif existant de prépositionnement, dans certains territoires ultramarins, de moyens de la réserve nationale et de moyens nationaux, comme les hélicoptères de la sécurité civile présents aux Antilles et en Guyane et le détachement à La Réunion d'un avion de type Dash pendant la saison des feux de forêt.

Ce format me semble le plus adapté, dans la mesure où le prépositionnement de moyens nationaux plus importants poserait d'autres difficultés de formation, d'entraînement et de projection sur le territoire national.

Très récemment, nous avons encore pu constater l'intérêt de projeter rapidement, depuis le territoire national, des renforts au profit des territoires ultramarins. Près de cent personnes sont intervenues à La Réunion pendant quinze jours lors du passage du cyclone Belal. En Nouvelle-Calédonie, nous avons projeté une équipe d'une quarantaine de sapeurs-pompiers à la demande des autorités locales afin de lutter contre des incendies de grande ampleur.

Depuis septembre 2023, nous avons projeté des moyens extrêmement conséquents de sécurité civile à Mayotte afin d'assurer la distribution d'eau potable en bouteilles auprès de la population de l'ensemble de l'île. Cette opération, qui parvient à son terme, se solde par l'équivalent de 35 000 jours-hommes de renfort mis en œuvre depuis la métropole, soit la plus grande projection de renfort de l'histoire de la sécurité civile. Elle représente l'équivalent de deux saisons de feux de forêt.

En 2015, nous avons projeté en outre-mer 321 jours-hommes de renfort de la sécurité civile, c'est-à-dire des formations militaires de la sécurité civile et des sapeurs-pompiers civils, contre 180 jours-hommes en 2016, 848 jours-hommes en 2017, 1 128 jours-hommes en 2018 et 2 568 jours-hommes en 2019. En 2020, la projection des moyens s'est tassée à 1 728 jours-hommes en raison de la crise sanitaire du covid. En 2021, elle a atteint 6 300 jours-hommes. Un nouveau tassement s'est observé en 2022, avec 1 730 jours-hommes.

En revanche, en 2023, 15 215 jours-hommes ont été projetés dans les territoires ultramarins. Au cours des trois premiers mois de l'année 2024, nous avons déjà atteint les 17 000 jours-hommes, soit davantage que l'intégralité de la projection de l'année 2023, qui affichait pour autant un niveau exceptionnel en la matière.

Ces données chiffrées illustrent parfaitement l'implication de la sécurité civile et constituent une sorte de « thermomètre » de son activité ultramarine. Il convient toutefois de réfléchir en parallèle aux causes de la « poussée de fièvre » en question et d'analyser les phénomènes. Enfin, notre réflexion doit également porter sur les éléments permettant de mieux prévenir les risques et d'améliorer l'éducation dans ce domaine.

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