Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du mardi 7 novembre 2023 à 17h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

(Présidence de Mme Isabelle Rauch, présidente)

La commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques (n° 1347) (M. Christophe Marion, rapporteur).

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L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, dont M. Christophe Marion a été désigné rapporteur. Comme le règlement de notre assemblée le permet, Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, s'est jointe à nous pour le début de cette réunion et participera à la discussion générale sur la proposition de loi.

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Après l'adoption à l'unanimité, en juillet dernier, de la loi sur la restitution des biens culturels juifs spoliés, cette proposition ouvre un nouveau chapitre quant aux restitutions de biens culturels, en se concentrant cette fois sur la problématique des restes humains détenus dans nos collections. Adoptée en première lecture par le Sénat à l'unanimité, le 13 juin dernier, elle est le résultat d'un long travail parlementaire. Je tiens à saluer la ténacité de la sénatrice Mme Catherine Morin-Desailly, qui a fait de ces enjeux de restitution l'un des grands combats de son engagement politique.

La proposition de loi répond à une attente réelle exprimée par plusieurs États étrangers qui réclament, parfois depuis de nombreuses années, la restitution de restes humains appartenant à nos collections publiques. Il s'agit donc de satisfaire ces demandes et de renforcer les partenariats culturels et scientifiques en cours. Mais il s'agit aussi de procéder, tout en prenant garde aux anathèmes rétrospectifs, à un acte mémoriel de reconnaissance du droit des peuples à construire leur souveraineté ; reconnaissance aussi d'une forme de violence, parfois, de notre histoire scientifique ou coloniale.

Selon le conservateur du patrimoine Michel Van Praët, plusieurs centaines de milliers de restes humains figurent à l'inventaire de nombreux musées, universités ou autres établissements publics. Il peut s'agir de squelettes entiers articulés, d'ossements, de spécimens de cheveux ou de peau ou encore de restes humains en fluides, dans des bocaux. Parmi eux, quelques milliers seraient d'origine étrangère. Insistons sur le caractère parcellaire de ces évaluations. Souvent collectés au cours d'expéditions ou de conquêtes coloniales du XVIIIe ou du XIXe siècle, les restes humains souffrent d'une documentation scientifique lacunaire, parfois erronée, et de déplacements erratiques entre différents lieux de conservation qui ont bien souvent brouillé les pistes quant à leur origine.

Leur présence dans nos collections publiques soulève, depuis plusieurs années, de façon croissante, la question du respect de la dignité humaine des individus dont ils proviennent et du soin apporté aux conditions de leur conservation. Celles-ci se sont améliorées, après avoir été longtemps déplorables, comme le relevait l'historienne Laure Cadot dans une étude, dès 2007. Pourtant ces restes, dépositaires d'un fragment de l'espèce humaine, sont aussi des témoins de son histoire. En cela, ils sont le patrimoine de notre humanité et méritent à ce titre le plus grand respect.

Cette question nous mène plus largement à interroger le statut de ce que la recherche historique et archéologique nomme les vestiges anthropobiologiques. Éclaté entre plusieurs codes – code civil, code du patrimoine, code funéraire –, le statut des restes humains mériterait d'être unifié et clarifié. Cela permettrait de faciliter le travail des professionnels qui les manipulent et de les protéger contre toute immixtion, notamment de la sphère religieuse. Cela autoriserait également les descendants des personnes à qui ont autrefois appartenu ces restes à y avoir un certain accès de façon encadrée – cette question pourrait se poser dans le cas des restes ultramarins.

La proposition de loi se compose de deux articles. Le premier établit une procédure permettant de déroger à l'inaliénabilité des biens appartenant aux collections publiques, afin de répondre aux demandes étrangères de restitution. Le texte se concentre en effet sur les demandes émanant d'États étrangers, qui pourront agir au nom d'un groupe humain présent sur leur territoire et dont la culture ou les traditions sont toujours actives.

Ces demandes doivent avoir des fins funéraires. La loi vise à autoriser la sortie des collections publiques des restes humains en vue de l'accomplissement d'un hommage ou d'un culte rendu aux morts par les communautés d'origine. Je tiens à insister particulièrement ici sur le sens très large que recouvre la notion de fins funéraires : il ne s'agit pas seulement d'une perspective d'inhumation ou de crémation, mais bien de toute cérémonie visant à célébrer les personnes dont sont issus les restes ou à perpétuer le lien entre les vivants et les morts.

Afin de nous assurer d'un plein respect des cultures des peuples concernés, dans toutes leurs manifestations, et sans préjuger du résultat des débats qui peuvent animer les communautés elles-mêmes quant au sort à réserver aux restes de leurs ancêtres, il me semble pertinent d'adjoindre à ces fins funéraires les fins mémorielles. Nous aurions alors la garantie de couvrir tous les cas de figure, tout en nous assurant que les usages contraires au respect de la dignité humaine continueraient d'être proscrits. C'est pourquoi je proposerai un amendement en ce sens.

Dans le texte, les restitutions sont encadrées par plusieurs conditions cumulatives. Elles concernent des restes humains à l'ancienneté inférieure à 500 ans. Cette expression pose selon moi deux problèmes : d'une part, c'est un seuil glissant lié à l'année de la demande de restitution ; d'autre part, cette borne peut apparaître trop limitée. Mais l'expérience étrangère a montré que les restitutions concernent rarement des cas antérieurs à 300 ans, même quand la limite inscrite dans les textes est supérieure, comme c'est le cas au Royaume-Uni, où elle est de 1 000 ans. Pour ces raisons, je proposerai par amendement de reprendre une expression issue du rapport de Jean-Luc Martinez qui me semble moins problématique : « Les restes humains concernés sont ceux de personnes mortes après l'an 1500. »

Autre condition : la collecte des restes a été contraire au principe de dignité humaine ou leur conservation porte atteinte au respect de la culture du groupe d'origine auquel les restes humains peuvent être reliés.

L'article 1er ne fait pas qu'énoncer les conditions de possibilité des restitutions : il prévoit également une procédure visant à établir l'identification des restes humains ou leur lien avec le groupe humain demandeur. Il faut s'arrêter un instant sur l'idée d'identification. Il ne saurait être question de parvenir à obtenir l'identité exacte ou nominative de l'individu dont proviennent les restes. La notion d'identification est ici entendue de manière bien plus large, comme un lien suffisamment probant avec un groupe humain défini. Un travail scientifique pour l'établir est prévu par la proposition de loi. Il devra être conduit par un comité d'experts composé de façon concertée avec l'État demandeur, afin d'établir une filiation entre les restes humains et le groupe humain dont il est présumé provenir. Ce travail conjoint sera la base de la décision de restitution qui sera rendue par le Premier ministre par un décret en Conseil d'État.

Le caractère très solennel de cette décision, ainsi que la scientificité des bases qui l'auront motivée, suffiront, à mon avis, à assurer que l'inaliénabilité des collections publiques ne soit surmontée qu'avec les plus hautes garanties. Ce principe est en effet fondamental pour la conservation de nos collections. Il ne s'agit pas de renier ce caractère essentiel mais bien de lui donner une exception limitée par l'exigence de respect de la dignité humaine. Il s'agit simplement ici de « faire respirer [les] collections », pour reprendre l'expression de Jacques Rigaud.

La transparence entourant la procédure sera assurée par la remise d'un rapport annuel du Gouvernement au Parlement, faisant l'état des lieux des restitutions demandées et opérées.

L'objet de l'article 2, la restitution des restes ultramarins, mérite à lui seul un second texte législatif. C'est pourquoi l'article prévoit que le Gouvernement présente sous un an des solutions spécifiques et adaptées. Je partage l'opinion selon laquelle une proposition de loi créant une procédure interétatique ne saurait être le cadre de résolution adéquat pour un sujet touchant notre communauté nationale. Cela ne signifie pas, j'y insiste, que celui-ci soit de moindre importance ou d'une priorité inférieure, mais précisément qu'il justifie que lui soit accordée toute l'attention qu'il mérite.

La restitution des restes ultramarins aux groupes humains d'origine doit avoir lieu. Que cela passe par un véhicule législatif ou d'autres moyens, c'est une question de reconnaissance importante pour la cohésion nationale, qui participe d'un travail de mémoire commun indispensable. Je connais l'engagement de la ministre de la Culture et du ministre délégué chargé des outre-mer sur ce sujet, et leur volonté d'avancer. Cet article 2 ne constitue qu'un premier pas nécessaire, qui devra mener à une résolution propre. J'y serai personnellement très attentif.

Je terminerai en rappelant la lente évolution des mentalités sur ces questions, et le chemin parcouru depuis la restitution des restes de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud en 2002. Toutes les personnes auditionnées ont partagé leur satisfaction quant au progrès que le texte constitue. Si la recherche scientifique est indispensable et doit pouvoir se faire, elle doit nécessairement aller de pair avec le respect de la dignité humaine. Dès lors qu'il sera accompagné des moyens nécessaires à de réelles recherches de provenance, ce texte contribuera, j'en suis convaincu, à faire un pas de plus en direction d'une conservation plus conforme à l'éthique de nos collections publiques.

Je veux conclure en vous disant, chers collègues, que derrière les restes humains dont nous parlons aujourd'hui se cachent des hommes et des femmes : des hommes et des femmes qui ont souvent connu des destins tragiques, qui sont pour certains morts loin de leur terre et de leur communauté, qui pour d'autres ont été profanés par le scalpel des anatomistes ou des explorateurs. L'espace d'un instant, identifions-nous à eux, vibrons des mêmes sentiments moraux que ceux qui les assaillirent, du même désespoir, de la même humiliation parfois ; souffrons avec eux. Et ce faisant, d'une certaine manière, mesurons l'importance de cette loi. Nous rendons leur dignité à des femmes et des hommes ; nous les rendons à leur terre ; nous les rendons aux leurs. Pour certaines cultures, grâce aux rites ancestraux qui n'ont pu être accomplis jusqu'alors, nous leur redonnerons même vie.

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Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture

Après le projet de loi sur les biens culturels spoliés dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, adopté à l'unanimité après de riches échanges, je suis très heureuse de vous retrouver pour ce texte qui concerne un autre sujet de restitution très important et sensible : les restes humains. Ce sujet vient à son tour contribuer au travail d'apaisement des mémoires que j'ai inscrit au cœur de mes priorités lors de ma nomination. La proposition de loi a été défendue au Sénat par Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias. Je veux profiter de cette occasion pour saluer leur travail et leur ténacité qui a permis au texte d'arriver sur le bureau de votre commission. Je veux aussi remercier chaleureusement Christophe Marion pour le travail approfondi qu'il a mené de manière très précise, subtile et délicate, travail qui l'a conduit à faire de nombreuses consultations et à proposer quelques ajustements.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire au Sénat, cette loi peut sembler technique mais elle est en fait assez philosophique, en ce qu'elle touche au plus profond de notre humanité, à notre rapport à la mort, à la fraternité. Elle nous permet d'affirmer la valeur universelle de la dignité de la personne. C'est une loi qui touche autant à l'intime qu'au collectif. Par le passé, des restes humains sont entrés dans nos collections publiques, après avoir été acquis de manière illégitime voire violente. Que l'intention fût à l'époque de recueillir des trophées ou de constituer des collections, dont on croyait qu'elles pouvaient dire quelque chose des différences entre les hommes, le résultat est le même : par ces actes, l'humanité a été blessée, des peuples ont été lésés.

Cette proposition de loi-cadre nous donne l'occasion d'avancer collectivement sur le chemin des restitutions. Je voulais vous citer la conclusion de l'avis n° 111 du Comité consultatif national d'éthique qui soulignait déjà en 2010 : « L'argument historique – la nécessité de préserver des traces et des vestiges d'un passé révolu – vaut d'être mis en balance avec d'autres valeurs telles que le respect de chaque civilisation et l'amitié entre les peuples. » On parle bien de cela aujourd'hui : le respect de chaque civilisation mais aussi l'amitié entre les peuples. Cette loi, si elle est adoptée, fixera un cadre pour faciliter le traitement des dossiers de restitution de restes humains, ce qui est éminemment souhaitable et attendu.

Les restes humains ne peuvent pas, pour l'instant, être restitués sans passer par la loi, laquelle consacre l'inaliénabilité des collections, un principe hérité du domaine royal qui a été réaffirmé par la République. Il n'est pas question de remettre en cause ce principe protecteur qui garantit la transmission du patrimoine de la nation. Toujours est-il que, jusqu'à présent, seules deux lois d'exception ont permis d'aller au bout d'une démarche de restitution de restes humains, pour l'Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande. Ces deux lois ont été l'occasion de débats nourris et passionnants dans nos assemblées. Elles ont aussi facilité, je pense, l'émergence de ces sujets dans l'opinion publique. Mais elles ne concernent que des cas particuliers et n'ont pas permis de dégager de principes généraux.

C'est pourquoi la proposition de loi est très bienvenue pour répondre à ce manque. Elle pose un cadre pleinement applicable aux demandes adressées à la France par des États étrangers. Elle permettra de conduire de manière méthodique et raisonnée, avec toute la rigueur scientifique requise, un processus de restitution sans pour autant porter une atteinte excessive à l'intégrité des collections publiques. Il y aura, à chaque fois, un comité scientifique bilatéral qui travaillera sur l'identification des restes humains. Cela a déjà été fait avec l'Algérie et avec l'Australie, et le sera prochainement avec Madagascar. Il ne sera pas toujours nécessaire de constituer ce comité bilatéral. Par exemple, pour le squelette du fils d'un chef amérindien de la communauté Liempichún, qui a fait l'objet d'une demande de restitution de l'Argentine, les conditions d'appropriation par pillage de la sépulture, par l'équipage du comte Henry de La Vaulx, entre 1896 et 1897, ont été très bien documentées. L'identification des restes de la dépouille a donc été parfaitement établie.

Le texte a pour objectif de sécuriser le processus de sortie des collections publiques du point de vue scientifique, pour éclairer la décision politique qui suivra, après l'étape du contrôle rigoureux par le Conseil d'État du respect du cadre législatif applicable. La proposition de loi permet de trouver un point d'équilibre entre le respect du principe protecteur de l'inaliénabilité des collections et la juste réponse à apporter à des demandes légitimes de la part de populations dont la conservation en collection des restes humains de leurs aïeux heurte la sensibilité et ne permet pas d'accomplir les coutumes funéraires.

J'ai bien conscience que plusieurs préoccupations sont apparues au cours du débat parlementaire, sur trois points en particulier. Le premier porte sur ce que l'on entend par la finalité funéraire assignée après la restitution. Christophe Marion a été très clair dans la définition qu'il vient d'en donner. Il y a plusieurs manières d'envisager ce mot. Dans le rapport remis par Jean-Luc Martinez, ainsi que dans les débats qui ont émergé au Sénat, il y avait une unanimité autour du fait que ces restitutions ne pouvaient pas mener à une exposition. En effet, si pour respecter la dignité humaine, nous considérons que des restes humains identifiés ne doivent pas être exposés dans un musée français, si nous considérons légitimes des demandes de leurs descendants de leur rendre hommage, il serait illogique de déroger au respect universel dû au corps du défunt pour l'exposer dans un musée étranger. Il ne faut pas non plus prendre les mots « fins funéraires » dans un sens trop restrictif, comme si nous voulions imposer nos façons de traiter les morts, alors que ce terme inclut beaucoup plus de pratiques et de rites que ce que certains peuvent entendre. Peut-être que pour éviter des interprétations trop limitatives l'expression pourrait intégrer une dimension mémorielle.

Le deuxième sujet de préoccupation concerne le critère de restituabilité sur l'ancienneté des restes humains. Si la loi propose 500 ans, c'est après mûre réflexion et la consultation de divers scientifiques. C'est aussi en raison, tout simplement, de la difficulté d'établir des filiations, de démontrer une continuité généalogique, culturelle, spirituelle, ethnique au-delà de cette durée et de rattacher étroitement des vestiges humains plus anciens aux populations qui les demandent. Préciser « après l'an 1500 » me semble pertinent.

Le troisième sujet de préoccupation, que j'ai tout à fait entendu, c'est le sort des restes humains ultramarins. Je suis évidemment sensible à la demande des descendants de ces Guyanais, qui ont été honteusement exhibés dans l'un de ces zoos humains organisé en 1892 au Jardin d'acclimatation. Au Sénat, le choix qui a été fait était de ne pas retarder cette proposition de loi, très attendue par un certain nombre de partenaires étrangers pour apporter une solution à des dossiers en attente depuis des années. Le sujet des restes ultramarins nécessite un travail complémentaire pour identifier le bon véhicule législatif, dans la mesure où il ne concerne que la France. Il s'agit d'accepter de déroger à l'inaliénabilité des collections. Mon cabinet a engagé un dialogue très constructif avec l'association Moliko Alet + Po, qui soutient une demande de restitution en lien avec les autorités coutumières de la collectivité territoriale de Guyane.

Enfin, je pense que vous allez m'interroger sur les moyens d'accompagner les recherches de provenance et, plus largement, sur la manière de traiter concrètement les demandes de restitution. Nous allons y travailler. J'ai déjà renforcé l'équipe du ministère de la Culture au service des musées de France. Mais il ne s'agit pas non plus de procéder à une identification générale de tous les restes humains des collections publiques, ce qui serait disproportionné. On répond à des demandes ciblées. On mobilisera tous les moyens nécessaires : recherche, billets d'avion, technologies et autres nécessités scientifiques pour faire avancer les recherches de provenance chaque fois que nécessaire. Il n'y a pas que le ministère de la Culture qui est concerné, puisque certaines collections relèvent du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Le ministère des Affaires étrangères peut aussi être impliqué. Les futures commissions scientifiques bilatérales feront des propositions et les moyens de recherche s'adapteront aux besoins exprimés – analyses génétiques, déplacements, bourses de recherche.

Christophe Marion a tout dit avec beaucoup de souffle dans son texte. Cette proposition de loi, c'est un texte de reconnaissance, un texte de dignité, un texte de justice. On ne peut pas réparer les actions du passé mais il est de notre devoir de créer les conditions d'un dialogue serein au présent, ce que va permettre la proposition de loi.

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La proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant à des collections publiques pose les bases d'une meilleure gestion de ces restitutions. En effet, cette loi-cadre vise à instaurer une procédure spécifique qui permettra de mettre fin aux lois de circonstance, lorsqu'un État fait une demande de restitution. Actuellement, ces restitutions de restes humains sont extrêmement limitées. La procédure est difficile à mettre en œuvre et il est nécessaire de recourir à des lois d'espèce au cas par cas, ce qui n'est pas satisfaisant. Le Parlement s'est d'ailleurs prononcé sur deux lois en faveur de restitutions. La première, votée en 2002, concernait la restitution à l'Afrique du Sud de la dépouille de Saartjie Baartman ; quant à la seconde, elle a été adoptée en 2010, pour restituer vingt têtes maories à la Nouvelle-Zélande.

Cette proposition de loi a donc comme objectif de mettre fin à ces lois de circonstance et d'offrir un cadre juridique clair permettant de répondre aux demandes de restitution. Il est à préciser que les restes humains de nos collections publiques ont bien souvent été acquis de manière illégitime voire violente. Ces biens sont arrivés dans des conditions suspectes et des peuples ont très clairement été lésés. Le texte n'est donc pas seulement technique mais prend aussi en compte ces spoliations. Ces collections sont particulièrement sensibles car elles sont constituées de corps humains ou d'éléments du corps humain. Il est nécessaire de leur offrir un traitement respectueux, digne et décent. Les restes humains ont un statut juridique particulier. Actuellement, le principe d'inaliénabilité fait obstacle à leur restitution. Afin de préserver la dignité humaine, le texte ouvre les restitutions à des fins funéraires, de manière large, en créant une procédure spécifique qui offrira aux États demandeurs un cadre juridique strict. Il permet de déroger au principe d'inaliénabilité des restes humains, tout en garantissant un traitement respectueux et digne de ceux-ci.

L'Australie, Madagascar et l'Argentine ont fait des demandes de restitution, dont la majorité à des fins funéraires. Si la proposition de loi venait à être adoptée, elle pourrait leur profiter. Le texte permettra également une meilleure reconnaissance de la nature particulière de ces biens et une reconnaissance de leur valeur culturelle et cultuelle. Le retour de ces restes humains à des fins funéraires permettra aussi de maintenir la cohésion dans certaines communautés. Les groupes d'humains issus des États demandeurs pourront enfin rendre hommage à leurs défunts et accomplir des cérémonies ou des cultes dans le respect de leurs croyances et de leur culture d'origine.

La restitution des restes humains s'impose comme un dialogue plus poussé et plus respectueux entre les cultures. Cette démarche permettra également à la France d'ouvrir de nouvelles coopérations culturelles et scientifiques. En effet, l'État possède de nombreux restes humains étudiés par la communauté scientifique. Une proportion significative de ces ossements pourrait d'ailleurs faire l'objet de demandes de restitution. Pour finir, cette loi permettra également d'exiger une transparence indispensable du travail scientifique effectué. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera en faveur de cette loi-cadre.

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Cette proposition de loi est une juste réponse de la France au regard du respect dû à tout être humain. Elle constitue également une forme de réparation. Les restes humains ont un statut flou, parfois qualifiés de biens culturels, parfois de sujets humains. Cette avancée tire les leçons d'une réflexion éthique sur le statut des corps humains post mortem et sur le respect de leur dignité. Les restes humains ne sont pas des biens culturels comme les autres, et il était indispensable de leur réserver un traitement particulier. Jusqu'alors, les restitutions étaient organisées au cas par cas, et c'était souvent le fait du prince. La procédure prévue par la proposition de loi, avec la création d'un comité compétent et la possibilité de mener des analyses scientifiques lorsqu'un doute demeure sur l'identification du reste humain, est plus qu'indispensable, elle est primordiale. Comment la réaliser concrètement ? On se souvient de l'affaire désastreuse de la restitution par Emmanuel Macron des crânes des résistants algériens qui n'étaient pas tous les bons – un nouvel épisode venu contrarier l'idylle franco-algérienne voulue par le Président de la République qui aurait souhaité en tirer un avantage diplomatique. Pouvez-vous nous dire un mot de ce fait humiliant pour la France ? Où en est-on ?

Le Rassemblement national soutiendra la proposition de loi. Mais nous appelons votre attention sur les points et les questions qui ne sont toujours pas réglés. Selon cette loi-cadre, la sortie des collections des restes humains serait exclusivement réservée à leur restitution à un État étranger à des fins funéraires. Mais quelle garantie aura-t-on que ce sera bien le cas ? L'ancienneté des restes pose aussi question. N'est-elle pas arbitraire ? L'approche britannique, à cet égard, est différente. Par ailleurs, peu d'États réclament aujourd'hui à la France des restitutions de ce type. Que conclure lorsque la communauté bénéficiaire ne veut pas récupérer le corps de ses ancêtres, comme c'est le cas pour la communauté de Wamba en République démocratique du Congo qui refuse le rapatriement de ces « fantômes » ?

Les enjeux scientifiques, culturels, éthiques sont en effet complexes, et l'on commettrait une nouvelle erreur en appliquant systématiquement nos schémas de pensée et nos grilles de lecture occidentales. Nous réclamons que soit réellement mise en place – je sais qu'elle est prévue – une information régulière du Parlement avec un rapport annuel présentant les demandes de restitution pendantes, les décisions de sortie des collections prises au cours de l'année écoulée et les travaux préparatoires y ayant conduit, ainsi que les restitutions effectives et les conditions dans lesquelles elles sont intervenues.

Enfin, comme cela a déjà été évoqué, les demandes de restitution devant émaner d'un État, celles en provenance des outre-mer sont exclues par définition. Il n'y a pas de cadre spécifique pour la question des restes humains ultramarins. C'est une anomalie de taille. Le texte exclut de fait, par exemple, la demande guyanaise concernant les Kali'nas. Si j'ai bien compris ce que vous disiez, monsieur le rapporteur, madame la ministre, rien n'est encore définitif à ce stade et l'on comprend l'émoi de nos compatriotes ultramarins. Nous porterons une attention particulière aux réponses apportées à ce sujet.

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Nous sommes à 3 000 mètres d'altitude. Nous sommes dans le désert d'Atacama, au Chili. Trois femmes creusent le sol. Elles sont à la recherche des restes de leur frère, de leur sœur, de leurs enfants. C'est ici que Pinochet et son régime d'extrême droite ont enterré les corps des milliers d'opposants politiques qu'ils ont assassinés. Nous sommes en 2010 et le réalisateur Patricio Guzmán filme ces femmes qui, dans un geste désespéré, cherchent des débris d'ossements qui leur ramèneraient des fragments du corps de leur proche. À quelques pas de leurs mains qui creusent sont érigés des télescopes dirigés vers le ciel. Le désert d'Atacama accueille en effet le plus grand observatoire mondial d'astronomie. Des chercheuses et des chercheurs y explorent l'immensité de l'univers, et nos origines. Plus que nul autre, elles et ils savent, comme l'a si bien expliqué en son temps Hubert Reeves, que notre planète et tous les êtres vivants qui y vivent sont composés de milliards d'atomes qui proviennent d'étoiles bien antérieures à la formation du système solaire, il y a environ 5 milliards d'années. Notre corps est constitué à 97 % de ces substances provenant des corps célestes. Peut-être peut-on imaginer que les 3 % restants sont faits de mémoire et de culture, de ce qui nous lie à celles et à ceux passés avant nous, qui ont tracé les pas derrière nous et nous permettent de mieux savoir où poser les nôtres.

Restituer des restes humains, c'est restituer un passé souvent douloureux à ceux à qui il manque. Ceux qui ont une mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent ; ceux qui n'en ont pas ne vivent nulle part.

Ce texte va dans le bon sens, puisqu'il simplifie la procédure de restitution des restes humains présents dans nos collections publiques, dont certains proviennent d'anciennes colonies. Nous sommes d'accord avec le principe de la restitution des restes humains, comme en témoigne la proposition de loi déposée par notre collègue Carlos Martens Bilongo. Nous sommes aussi de fervents défenseurs de la dignité humaine, de l'éthique et du devoir de mémoire, qui fondent le processus de restitution. Nous avons toutefois, vis-à-vis de ce texte, des réserves d'ordre juridique et éthique.

La proposition de loi dispose que la restitution est faite à des fins exclusivement funéraires. Il paraît contradictoire de restituer des restes humains à un pays tout en lui dictant ce qu'il doit en faire. Quel droit voulons-nous concéder aux États qui formulent une demande de restitution ? Acceptons-nous l'idée d'une forme de propriété culturelle ? Qu'en est-il des collections privées, absentes du texte ? Quels moyens supplémentaires consacre-t-on à la formation à la recherche pour authentifier les restes humains ? Quid des territoires ultramarins ? L'Unesco et la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones imposent de prendre en compte les représentations culturelles des pays d'où proviennent les restes humains : cela doit nous servir de boussole.

Je conclurai en citant l'une des femmes qui creusent le sol du désert d'Atacama, à côté des télescopes tournés vers l'espace : « J'aimerais que ces télescopes ne regardent pas que vers le ciel, mais aussi à travers la terre pour pouvoir les retrouver. » La restitution est aussi une réparation.

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Cette proposition de loi sénatoriale déposée par Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias s'inspire d'une mission d'information sur le retour des biens culturels aux pays d'origine présidée par Mme Morin-Desailly. Elle vise à faciliter la restitution à leurs pays d'origine des restes humains présents dans les collections relevant de l'État ou des collectivités territoriales. L'immense majorité des 23 665 restes humains conservés au Muséum national d'histoire naturelle sont d'origine française ; 700 ont été collectés à l'étranger et sont donc susceptibles d'être réclamés par leur pays d'origine et 100 cas sont particulièrement sensibles.

La spécificité de ces biens culturels est évidente et consacrée en droit, puisque le code civil dispose que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes humains de nos collections publiques sont, j'en suis certaine, conservés avec le soin, le respect, la dignité et la décence qu'exige la loi et qui anime le monde de la conservation française. Ces collections sont le fruit d'histoires diverses et il importe de se pencher sur les conditions de leur constitution. Restituer ces biens, quand le pays d'origine le demande, permet de reconnaître et de dénoncer les conditions dans lesquelles certains d'entre eux ont été collectés. On songe aux massacres perpétrés par les troupes impériales allemandes ou encore à la pratique très choquante des zoos humains. Dans ce cas, la restitution a du sens, puisqu'il s'agit de redonner à ces restes humains la dignité qu'on leur avait niée de leur vivant.

Mais tous les restes humains ne sont pas nécessairement liés à de tels épisodes, éminemment et évidemment condamnables. Certains d'entre eux ont été collectés lors de grandes expéditions naturalistes ou à l'occasion de fouilles archéologiques ; ils constituent une archive formidable qui documente les modes de vie, l'état de santé, les migrations d'une population donnée. Gardons-nous donc, sur cette question, d'une vision univoque dictée par la seule émotion. Il est essentiel de concilier intérêt scientifique et considérations éthiques.

Il est ici proposé, pour contrer « la lourdeur et la complexité de la procédure législative », d'adopter une dérogation de portée générale. Les restitutions seraient désormais décidées par décret en Conseil d'État, après instruction scientifique, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une loi spécifique. Toute mesure privant le législateur de son pouvoir de décision doit être prise avec d'infinies précautions. Aujourd'hui, seule une intervention du législateur permet de déroger au principe d'inaliénabilité du domaine public. Rien, demain, n'empêchera d'ouvrir la restitution à d'autres biens culturels pour d'autres motifs. On ne saurait passer ce risque sous silence, et c'est pourquoi je suis résolument opposée à l'alinéa 17 de l'article 1er.

La mission d'information de Catherine Morin-Desailly posait le principe de la restitution des biens culturels, sans plus de précision. La restitution des biens spoliés aux familles juives durant la seconde guerre mondiale ne faisait pas débat, pas plus que celle des restes humains, mais pouvez-vous prendre l'engagement, madame la ministre, vous qui êtes garante des collections publiques, que nous n'irons pas au-delà ?

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Je tiens à saluer notre collègue Catherine Morin-Desailly qui, au cours des dernières années, a fait évoluer de manière significative l'action des pouvoirs publics en matière de restitution de biens conservés dans nos collections muséales. J'ai également une pensée pour notre collègue du Mouvement démocrate, Nicolas About, qui, grâce à une autre proposition de loi sénatoriale, a ouvert la voie en 2002 à l'une des premières restitutions de restes humains, celle qui permit le retour dans son pays d'origine de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, surnommée la Vénus hottentote.

Rappelons que cette femme sud-africaine fut réduite en esclavage puis exhibée comme phénomène de foire au Royaume-Uni, en Hollande et en France, avant de susciter la curiosité de nos scientifiques, à commencer par Cuvier, et que son squelette et le moulage de son corps furent exposés au musée de l'Homme jusqu'en 1974. Grâce à la loi de 2002, et à la demande de son pays d'origine qui réclamait sa dépouille depuis les années 1940, Saartjie Baartman a pu être inhumée dignement par les descendants des membres de sa tribu près de son village natal. Ce droit à reposer en paix auprès des siens, il fallut plusieurs décennies et une loi spéciale pour le lui donner. En effet, pour empêcher les restitutions de ce type, le principe de l'inaliénabilité du domaine public, théorisé par l'un de nos grands légistes, Michel de L'Hospital, a toujours été avancé.

Sans méconnaître ce principe protecteur qui régit nos collections muséales, ni la valeur des collections et expositions ethnographiques et ethnologiques, il convient d'opérer une distinction claire entre la mise en valeur d'objets caractéristiques de civilisations extra-européennes, d'une part, et l'exhibition ou le quasi-recel de restes humains, d'autre part. Ce texte nous y invite, en fixant un cadre dérogatoire clair au principe d'inaliénabilité.

Les restes humains conservés dans nos collections publiques ont souvent été acquis de manière douteuse. De surcroît, nombre d'entre eux ont été conservés pour des raisons pseudo-scientifiques comme la phrénologie et la craniologie, des sciences sans conscience très en vogue aux XIXe et XXe siècles. Comme vous l'avez dit au Sénat, madame la ministre, quand ces restes humains sont arrivés dans des conditions suspectes et quand leur conservation dans un musée heurte le principe de la dignité humaine, nous devons nous interroger sur la légitimité de leur présence dans nos collections publiques.

Ce texte permettra, par le consensus et l'étude historique et scientifique, d'extraire de nos collections publiques des restes humains qui n'auraient pas dû y entrer. Il sera suivi, après la remise d'un rapport demandé au Gouvernement, de l'examen d'un autre texte de loi portant spécifiquement sur les restitutions aux territoires ultramarins. Il permettra surtout, et c'est là l'essentiel, aux communautés d'origine d'honorer la mémoire des leurs, dans le respect de leurs rites funéraires. Nous venons de rendre hommage à nos morts. Qui pourrait interdire à ceux qui le souhaitent d'honorer la mémoire des leurs ?

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Cette proposition de loi, qui s'inscrit dans le prolongement d'autres textes relatifs à la restitution de biens culturels, vise à faciliter la restitution à des États étrangers de restes humains appartenant à nos collections publiques : momies de l'Égypte antique ou d'Amérique précolombienne, crânes de combattants s'étant opposés à la colonisation de leur pays par la France, squelettes de personnes que l'anthropologie naissante entendait classer en catégories raciales.

Le texte introduit une dérogation générale au principe d'inaliénabilité, rendant possible sous certaines conditions la sortie de restes humains du domaine public, sans autorisation préalable du Parlement. L'inscription de ce dispositif-cadre dans le code du patrimoine offre une solution globale et transparente pour la restitution des restes humains. Nous ne serons plus confrontés à des décisions au cas par cas et notre pays pourra gérer efficacement de futurs cas de déclassement et de restitution, tout en préservant la dignité humaine de chaque individu concerné.

Le groupe Socialistes et apparentés votera en faveur de cette proposition de loi et nous espérons qu'elle sera adoptée à l'unanimité.

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Pour construire l'avenir de notre nation, nous devons faire face à notre passé, le connaître et le comprendre. La restitution des biens spoliés durant la seconde guerre mondiale a été un premier pas ; celle des restes humains appartenant aux collections publiques en est un deuxième, qui en appellera d'autres.

Plusieurs centaines d'établissements publics français comptent des restes humains dans leurs collections. Une partie d'entre eux sont d'origine étrangère et certains sont directement issus d'anciennes colonies. Il est temps de reconnaître que le musée n'est pas un espace neutre qui relèverait seulement de l'esthétisme ou de la science et que nos collections publiques sont le résultat d'une histoire, parfois violente, faite de domination et de colonisation. Les collections de nos musées se sont souvent constituées grâce à une politique de saisie et de pillage des biens, mais aussi des corps colonisés, qui est incompatible avec le principe de respect de la dignité de la personne. C'est le cas des restes humains issus des exhibitions coloniales parisiennes, comme les zoos humains.

Nous nous devons de dénoncer ce qui, dans un contexte colonial, était considéré comme une richesse ; nous ne sommes pas les gardiens légitimes de ce que nos aïeux considéraient comme des trophées exotiques. Je pense, comme mes collègues, à Saartjie Baartman, exhibée en Europe jusqu'à sa mort, puis disséquée par les zoologues, qui en ont fait un argument fallacieux de l'inégalité des races, et dont la dépouille n'a été restituée à l'Afrique du Sud qu'en 2002. Il est essentiel de regarder notre passé en face ; cette partie de notre histoire reste une plaie ouverte au cœur de notre République, particulièrement pour ceux de ses enfants qui descendent de peuples colonisés. Les grandes déclarations d'intention ne suffisent plus ; il faut des actes forts.

Grâce à cette loi-cadre, des restes humains pourront être restitués à leur pays d'origine. Il faudra la compléter par un texte relatif aux territoires ultramarins. Je plaide par ailleurs pour la création d'un musée national de l'histoire de la colonisation : il est essentiel d'avoir un lieu qui favorise à la fois la pédagogie et le débat sur ces questions et où l'on puisse travailler à la décolonisation des imaginaires de l'histoire officielle.

Le groupe Écologiste votera cette proposition de loi, comme il a voté celle relative à la restitution des biens spoliés durant la seconde guerre mondiale. Il demande que le Gouvernement s'engage à consacrer des moyens suffisants à la recherche, pour que les identifications nécessaires aux restitutions puissent être faites.

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S'il faut saluer l'engagement du Gouvernement sur la question des restitutions, le texte qui nous est soumis présente d'importantes lacunes et ne permettra pas de guérir les maux de la période coloniale. Il vise à sortir du domaine public français des restes humains, afin de les restituer à leur communauté d'origine. L'idée n'est pas de les faire passer d'un musée de l'Hexagone à un autre musée, mais de les restituer à leur communauté. Pourquoi, alors, en exclure les communautés ultramarines ? On voit bien que l'obstacle n'est pas juridique, mais politique.

Prenons l'exemple très douloureux des Kali'nas. Ces personnes ont été arrachées de chez elles par la force ou la tromperie, elles ont été exhibées comme des curiosités et sont décédées en Europe, loin des leurs. Le territoire des Kali'nas s'étend géographiquement des deux côtés du fleuve Maroni, source de vie. Il est scindé en deux par ce même fleuve, devenu frontière coloniale entre le Suriname et la Guyane au XVIIe siècle. Selon le texte que vous nous soumettez, seuls les Kali'nas du Suriname pourront légitimement formuler une demande de restitution à la France, en passant par l'État du Suriname. Deuxième exemple : l'université de Strasbourg a voulu engager cette année la restitution d'une trentaine de crânes à la Namibie et à la Tanzanie. La demande ayant été formulée par une province et une fondation, et non par ces États eux-mêmes, cette restitution n'entrerait pas dans le cadre de cette loi. Or il conviendrait que les communautés, qui sont souvent des minorités, puissent demander une restitution sans passer par un État.

Il importe également de réfléchir au statut juridique des restes humains en droit français. Que penser, par exemple, du statut des objets funéraires entreposés près des défunts ou sur leur corps, ou des moules réalisées sur les corps Kali'nas ? Il faut pouvoir répondre à ces questions et à celles qui ne manqueront pas de se poser à l'avenir. L'idée selon laquelle les restes humains doivent être restitués à un groupe humain « dont la culture et les traditions restent actives » me paraît également problématique, car cela relève d'une interprétation subjective. En Polynésie, l'association Te Tupuna, Te Tura a déjà procédé au rapatriement de 350 kilogrammes d' ivi, ou ossements, dont certains étaient accompagnés de leurs objets funéraires. Lorsque le muséum d'histoire naturelle de Stockholm a procédé à la restitution des restes marquisiens, il a pris en charge leur transport, ainsi que l'assurance, et le directeur des douanes en Polynésie a accepté d'exonérer de taxe leur rapatriement. Qui paiera les frais de transport des restes qui seront restitués après l'adoption de cette loi ?

Ce texte crée un comité dont le rôle est essentiel et dont la compétence devrait selon moi être élargie au récolement et à la recherche de provenance. Au lieu de se réunir uniquement en cas de doute sur l'identification, il devrait avoir une activité pérenne, au vu de son rôle fondamental dans la recherche de la vérité et la guérison des blessures du passé. Je forme le vœu que les peuples ultramarins ne fassent pas l'objet de lois d'espèce mais qu'ils soient intégrés dans cette loi-cadre.

Malgré toutes les réserves que j'ai formulées, je salue à nouveau le fait que la question des restitutions fasse l'objet d'une proposition de loi. Mon groupe la votera.

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De la même manière que notre groupe avait soutenu l'avènement d'une loi-cadre pour accompagner le mouvement de restitution des biens culturels spoliés lors des persécutions antisémites, nous nous satisfaisons de voir advenir un cadre général pour la restitution des restes humains présents dans les collections publiques. Nous saluons notre collègue Catherine Morin-Desailly pour son engagement, qui a permis l'adoption de cette proposition de loi transpartisane au Sénat.

Ce texte vise d'abord à garantir le respect de la dignité humaine en nous assurant que les restes humains feront l'objet de rites funéraires correspondant à leur culture d'origine. Leur collecte s'est souvent faite dans des conditions intolérables : captation patrimoniale dans le cadre du système colonial ; constitution en trophée de guerre ; vol, pillage ou profanation de sépultures. Leur présence au sein des collections publiques ne suffit pas à en faire des biens culturels comme les autres ; ils ne peuvent être perçus et traités comme de simples objets.

L'épisode de la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2012 a illustré le caractère parfois sordide de la présence de ces restes humains dans nos collections. Certains ont été prélevés en toute illégalité à l'étranger, à des fins de recherche et de documentation scientifique. Questionner leur origine et engager un travail de restitution aux pays concernés est un élément essentiel du travail de mémoire, de justice et de réparation auquel nous sommes tous attachés. C'est aussi une façon de construire des relations internationales de confiance et de respect. C'est un devoir qui est à la fois éthique et diplomatique.

Plutôt que de ne pas répondre aux demandes formulées ou d'engager des procédures détournées, il convenait d'adopter une loi-cadre, afin d'accompagner ce mouvement de restitution dans des conditions transparentes. Notre groupe se satisfait donc de ce texte équilibré.

Le texte ne dit pas ce qui se passera en cas de refus de restitution. Un recours sera-t-il possible ? Nous proposerons, afin de garantir la transparence de la procédure, que les rapports et avis sur les demandes de restitution soient systématiquement publiés. Nous regrettons également que le texte se limite aux demandes formulées par les pays étrangers et qu'il fasse l'impasse sur les restes humains ultramarins. Nous déplorons que ce problème, qui a bien été identifié par les sénateurs, ne fasse l'objet que d'une demande de rapport, et non d'une procédure ad hoc. Enfin, il importe d'accentuer l'effort de recherche sur la provenance de ces restes humains, ce qui implique des moyens financiers et humains supplémentaires.

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On ne peut traiter d'un tel sujet sans émotion, car les collections de restes humains ne sont pas des collections comme les autres. On ne peut traiter d'un tel sujet sans gravité, parce qu'il touche à l'éthique, au sensible et à la dignité et qu'il pose la question de la transformation de restes humains en objets de collection. On ne peut traiter d'un tel sujet sans prudence, enfin, car l'inaliénabilité est au fondement de nos collections publiques et de la constitution de notre patrimoine.

Le groupe Horizons et apparentés est profondément attaché à ce principe, parce qu'il protège notre bien commun et qu'il est un bouclier pour nos institutions culturelles. Toute la force de cette proposition de loi transpartisane est d'avoir trouvé un équilibre entre la dignité du corps humain et l'attachement à l'intégrité des collections publiques. Je me réjouis, madame la ministre, que vous ayez soutenu cette proposition de loi. Nous nous sommes heurtés à plusieurs reprises à la complexité de la procédure législative permettant la restitution. Notre intervention en qualité de législateur et donc indispensable pour définir la procédure et les conditions de la dérogation à l'inaliénabilité. Cette proposition de loi constitue une avancée majeure : la France disposera désormais d'un cadre pour traiter de façon claire et transparente les demandes de restitution de restes humains formulées par des États étrangers.

Le texte simplifie les démarches, clarifie la législation et met fin à certaines polémiques. Il prévoit la création d'une procédure administrative permettant à l'État ou aux collectivités territoriales, sous certaines conditions, de faire sortir de leurs collections des restes humains afin de les restituer à un État étranger, sans recourir à une loi spécifique. Le texte précise clairement les conditions qui seront requises et apporte un certain nombre de garanties, comme la création d'un comité d'experts scientifiques en cas de doute sur l'identification des restes humains ou la nécessité que la collectivité concernée par cette restitution donne son accord. Nous saluons la compétence donnée au Premier ministre d'autoriser la sortie des collections publiques par la voie d'un décret en Conseil d'État. Cette décision sera prise sur la base d'un rapport établi par le ministre de la Culture, qui permettra de s'assurer que les différentes conditions prévues par la présente proposition de loi auront été respectées.

D'autre part, nous saluons la remise au Parlement d'un rapport identifiant les solutions possibles pour introduire une procédure pérenne de restitution des restes humains originaires d'un territoire d'outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie. Monsieur le rapporteur, vous pouvez compter sur le plein soutien du groupe Horizons et apparentés pour faciliter les restitutions et développer des coopérations culturelles et scientifiques avec les États demandeurs.

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Nous en venons aux questions des autres députés.

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Plusieurs centaines d'établissements publics français comptent des restes humains dans leurs collections. S'ils émanent très majoritairement de France, une partie d'entre eux sont d'origine étrangère et proviennent, pour certains, d'anciennes colonies. Pour restituer ces restes humains, il est nécessaire d'obtenir l'approbation préalable du législateur, comme c'était le cas pour les biens culturels spoliés aux familles juives pendant la période nazie, avant la promulgation de la loi-cadre votée sous votre impulsion, madame la ministre. Cela explique en partie que seules deux restitutions par voie législative aient eu lieu jusqu'ici. Quels sont les moyens mis en œuvre pour anticiper les demandes de restitution à venir, c'est-à-dire pour mieux connaître l'état de nos collections, faire de la recherche de provenance et inciter les chercheurs à s'y intéresser ?

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Il faut évidemment rendre à leurs pays d'origine les restes humains qui sont exposés dans nos musées et qui ont leur place dans des cimetières. Il y va du respect de la personne. Au-delà de l'aspect humain, il y a aussi un aspect diplomatique, qui ne me semble pas être traité dans cette proposition de loi. Comment la République française peut-elle être sûre que les restes en question seront traités dignement, qu'ils ne seront pas exposés dans des musées locaux et ne seront pas utilisés par le pouvoir à des fins de politique intérieure ?

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Le 2 novembre 2022, j'ai déposé une proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des crânes algériens. Une partie de ces crânes appartenaient à des résistants algériens ayant combattu la colonisation française au XIXe siècle. Ces hommes ont été décapités, leurs crânes sont devenus des trophées de guerre et ils ont été conservés au Muséum national d'histoire naturelle. J'ai rencontré de grandes difficultés à identifier nombre de crânes conservés dans ces collections, d'autant qu'une partie d'entre eux avaient déjà été restitués en 2020, sans passer par le Parlement. Je reviendrai, au cours du débat, sur ces difficultés.

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L'article 1er prévoit que la sortie du domaine public de restes humains peut être prononcée si, « du point de vue du groupe humain d'origine, sa conservation dans les collections contrevient au respect de sa culture et de ses traditions ». Avec une condition aussi extensible, la recherche en anthropologie pourrait être privée d'un matériau de recherche essentiel, car nous pouvons nous attendre à ce que nombre de cultures ne se satisfassent pas de la conservation de restes humains dans des collections publiques. Les anthropologues ne pourraient plus étudier des restes humains provenant de pans entiers de l'humanité, alors que leur discipline scientifique s'enrichit par l'étude du genre humain dans toute sa diversité. Le Comité consultatif national d'éthique évoque la nécessité de prendre en compte l'intérêt scientifique de la conservation des restes humains. Comment concilier au mieux la condition précitée avec cet intérêt scientifique ?

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C'est une bonne chose de doter la France d'un mécanisme clair et transparent, s'agissant de la restitution de restes humains appartenant à des collections publiques. La première tentative, en janvier 2022, n'avait pas suscité un vif intérêt chez Mme Bachelot, alors ministre de la Culture – qui craignait peut-être d'ouvrir la boîte de Pandore –, si bien que le texte voté par le Sénat n'avait pas été examiné par l'Assemblée nationale. Ce nouveau texte est proche du premier, même s'il ne prévoit plus la création d'un conseil scientifique chargé de donner son avis sur les demandes de restitution. Je tenais à vous remercier, madame la ministre, d'avoir sollicité nos collègues sénateurs pour le préparer. Je pense cependant qu'il aurait été préférable que le Parlement dans son ensemble soit impliqué, et que les modalités d'application du texte ne reposent pas uniquement sur un décret en Conseil d'État. Le rapport de Jean-Luc Martinez prévoit d'inscrire dans le décret d'application de la loi que les frais d'analyse et de rapatriement des restes humains seront à la charge du pays demandeur. Qu'a-t-il été décidé sur ce point ?

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Rima Abdul-Malak, ministre

Merci à tous pour ce débat serein et approfondi sur un sujet éminent important. S'agissant des restes humains algériens, au sujet desquels plusieurs d'entre vous m'ont interrogée, je voudrais d'abord souligner qu'une commission bilatérale ayant accompli un travail scientifique rigoureux est parvenue à un consensus, validant l'identification de vingt-quatre crânes reconnus comme algériens. En l'absence de loi, ce n'est pas une restitution au sens juridique du terme qui s'est ensuivie, mais un dépôt. C'est le récit qui a en a été fait en Algérie qui a suscité la polémique et la confusion, notamment en raison de l'emploi du terme « martyre ». La commission scientifique avait bien confirmé, quoi qu'il en soit, qu'il s'agissait de crânes algériens – ce qui démontre l'importance des commissions bilatérales. Ni le ministre de la Culture, ni ses équipes, ni les parlementaires n'ont les compétences pour identifier les restes humains et pour s'assurer du respect du cadre de restitution prévu par la présente proposition de loi. Il faut faire confiance à ces commissions scientifiques, dont la composition doit être spécifique et réunir les spécialistes de chaque contexte – qu'il s'agisse d'anthropologues, de juristes, d'historiens, de conservateurs de musées ou de représentants autochtones.

L'information régulière du Parlement, essentielle, est gravée dans le marbre des alinéas 19 à 21 de l'article 1er : « Chaque année, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport présentant […] les demandes de restitution de restes humains adressées par des États étrangers [et les] décisions de sortie du domaine public […] assorties des rapports et des avis correspondants […]. » Nous nous y conformerons, bien entendu.

S'agissant des collections privées, dont nous avons déjà débattu à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, il n'est pas possible de légiférer. Il convient néanmoins d'avoir à l'esprit, concernant le cas spécifique des restes humains, que le code civil interdit le commerce du corps humain et que la justice peut, de ce fait, être saisie – ce qui, à ma connaissance, n'est jamais arrivé. S'il est important de poser la question des collections privées, la réponse ne peut passer par le présent texte.

Vous avez été plusieurs à souligner qu'il était important que la recherche scientifique puisse se poursuivre. Je voudrais souligner à cet égard que les restitutions seront très peu nombreuses eu égard au volume de restes humains sur lequel les scientifiques peuvent travailler, et que la recherche ne s'en trouvera pas restreinte. Sachez par exemple qu'il y a pas moins de 30 000 crânes au Muséum national d'histoire naturelle. Je rappelle aussi que les restitutions n'interviendront que sur demande, si elles sont légitimes et après validation d'une commission bilatérale.

J'en viens à la demande concernant les Kali'nas de Guyane, que nous ne laisserons pas sans réponse. Cette demande a pour finalité l'inhumation des restes humains ; un projet de mémorial a d'ailleurs été lancé. Je propose, en attendant que la dérogation au principe d'inaliénabilité des collections autorise l'inhumation, d'effectuer un transfert des restes humains. Cela permettrait de satisfaire la demande de retour sur le sol guyanais et pourrait se faire assez rapidement. La Guyane étant le seul territoire ultramarin à avoir émis une telle demande, nous pourrions ensuite envisager un projet de loi d'espèce : ce pourrait être un bon vecteur pour commencer, permettant de préparer le terrain et de voir arriver d'éventuelles autres demandes. Les premières restitutions de biens spoliés et de restes humains avaient d'abord fait l'objet de lois d'espèce. Mais nous pourrions tout aussi bien travailler ensemble directement à un projet de loi-cadre relatif aux restes humains conservés dans les collections publiques françaises et venant des territoires de notre pays. Je suis ouverte à toutes les options. S'agissant de la Guyane, en tout cas, les travaux scientifiques sont engagés et vont se poursuivre.

Vous m'avez également interrogée sur l'utilisation du terme « groupe humain » – qui a fait l'objet de débats avec les sénateurs et avec le rapporteur. Cette expression est en fait la meilleure alternative au mot « communauté », qui n'a pas de réalité juridique en droit français. Comme nous avons pu le vérifier en consultant le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, elle est régulièrement employée dans les textes de l'ONU notamment dans les conventions de l'Unesco. Il s'agit de l'expression la plus neutre et la plus englobante pour désigner un ensemble de personnes partageant des enjeux communs, culturels ou spirituels par exemple.

J'en viens à votre question, madame Genevard, à laquelle je m'attendais. Vous me demandez de prendre l'engagement qu'il n'y aura pas d'autre projet de loi relatif à d'autres champs de restitutions ; je prends au contraire l'engagement que nous ayons au moins un débat sur la restitution des biens culturels usurpés. Je m'y suis engagée depuis le début, en vous présentant une démarche en trois étapes. Le rapport de Jean-Luc Martinez doit évidemment faire l'objet de discussions avec vous et avec les sénateurs ; de nombreux échanges et consultations seront nécessaires. Quoi qu'il en soit, je ne désespère pas de vous convaincre et j'espère que nous pourrons avoir un débat de la même qualité que celui que nous avons aujourd'hui. Je rappelle qu'une loi relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, proposée par ma prédécesseure Roselyne Bachelot, a été adoptée à l'unanimité. Cela prouve qu'il est possible d'avancer sur ce chemin. Il faut cadrer les choses, bien sûr, et c'est justement le principe d'une loi-cadre : elle permet d'informer les pays demandeurs du cadre – critères, méthode – dans lequel la France envisage les restitutions, et ainsi d'éviter les demandes que l'on pourrait qualifier de farfelues. Je crois à une telle démarche et j'espère que nous aurons d'autres occasions d'en discuter.

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L'intérêt scientifique de ces restes humains doit être mis en balance avec la question du respect dû à la civilisation dont ils sont issus. Je suis plutôt favorable sur ce sujet à la réponse qu'a faite le groupe de travail du Sénat : il a écarté le critère de perte d'intérêt scientifique des restes humains considérés dans la mesure où cet intérêt aurait systématiquement fait obstacle aux restitutions. Les restes humains conservent en effet leur valeur scientifique. En outre, les évolutions de la science permettront peut-être d'ici quelques années d'en tirer des renseignements complémentaires, comme ce fut le cas avec le développement de la recherche sur l'ADN. Ce débat rejoint la question à laquelle les scientifiques sont toujours confrontés : le lancement de fouilles préventives archéologiques implique de détruire le chantier où elles seront menées et soulève le risque de perdre des informations qui auraient pu être découvertes cinquante ou soixante années plus tard.

J'ajoute que le travail mené par les commissions scientifiques bipartites sera l'occasion de documenter le plus possible les informations scientifiques susceptibles d'être obtenues, à un moment donné, à partir des restes humains concernés.

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Rima Abdul-Malak, ministre

Il m'a également été demandé comment l'on pouvait s'assurer du respect de la finalité funéraire, une fois la restitution actée. Les restitutions intervenues dans le cadre des lois d'espèce que nous avons déjà mentionnées – la proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories et celle relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud – ont toutes abouti à des inhumations. Il n'y a aucune raison de penser qu'un État faisant une demande de restitution à cette fin, pour éviter justement que les restes ne soient considérés comme des pièces de musée, agisse ensuite en contradiction avec ses intentions affichées. Le cas échéant, des conventions de coopération bilatérales signées par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et par nos ambassadeurs peuvent constituer des garde-fous. Mais elles ne me semblent pas nécessaires, la motivation première des États demandeurs consistant à pouvoir inhumer des restes humains qu'ils ne souhaitent pas voir exposés.

*

Article 1er : Création d'une procédure administrative pour la restitution des restes humains appartenant à des collections publiques

Amendement AC15 de M. Christophe Marion

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Cet amendement rédactionnel vise à supprimer les alinéas 2 et 3, en cohérence avec loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.

La commission adopte l'amendement.

Amendement AC16 de M. Christophe Marion

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Ce deuxième amendement rédactionnel vise à substituer aux mots : « il peut être décidé de », à l'alinéa 7, les mots : « peut être prononcée ».

La commission adopte l'amendement.

Amendement AC17 de M. Christophe Marion

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Il s'agit de nouveau d'un amendement rédactionnel, visant à remplacer le singulier « reste humain » par le pluriel « restes humains ».

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Pourquoi ? Le singulier a valeur générale.

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C'est une expression consacrée par les communautés scientifiques : on parle manifestement de « restes humains », au pluriel.

La commission adopte l'amendement.

Elle adopte l'amendement rédactionnel AC18 du rapporteur.

Amendements AC8 de M. Stéphane Lenormand et AC2 de Mme Mereana Reid Arbelot (discussion commune)

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Je serai brève, car nous avons déjà longuement évoqué le sujet. L'amendement AC8 vise à étendre la procédure de restitution de restes humains, prévue pour les seuls États étrangers, aux territoires ultramarins.

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Je comprends votre souci de prendre en compte la question de la restitution des restes humains ultramarins. Il est important de comprendre que celle-ci n'est pas secondaire : bien au contraire, elle est même prioritaire. J'ai d'ailleurs échangé, à l'occasion des auditions que j'ai menées, avec notre collègue Davy Rimane, président de la délégation aux outre-mer. Nous avons également entendu le Grand Conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengués pour évoquer le cas guyanais. Enfin, les historiens consultés – Pascal Blanchard notamment, spécialiste de la question des zoos humains – ont tous signalé l'importance de cette question.

Je suis toutefois aujourd'hui opposé à l'extension du premier article du présent texte aux restes humains provenant des territoires ultramarins pour plusieurs raisons. D'abord, ce texte instaure un cadre de travail binational, interétatique, et organise les relations de la France avec les États étrangers qui pourraient demander la restitution de restes humains. Il s'agit donc d'un texte à visée internationale, dont le cadre n'est pas nécessairement adapté aux réalités ultramarines. Le texte dispose ainsi que c'est un État qui sera habilité à exprimer la demande auprès des autorités françaises – le cas échéant, au nom d'un groupe humain de son territoire. S'il venait à s'appliquer aux territoires ultramarins, qui serait dépositaire d'un tel droit ? La famille liée à l'individu dont proviennent les restes humains ? Dans ce cas, jusqu'à quel degré de parenté ? Comment établir a priori cette filiation ? Que faire si certains membres de la même famille s'opposent à la restitution ? Une association peut-elle exprimer la demande, comme c'est le cas aujourd'hui s'agissant de la Guyane ? Le Grand Conseil coutumier serait-il habilité à la formuler ? Quid des collectivités territoriales ultramarines ? Je considère, s'agissant de ces dernières, que nous n'avons pas eu suffisamment d'échanges avec elles pour leur donner cette nouvelle compétence que, jusqu'à maintenant, elles n'ont pas clairement demandée.

Une loi-cadre ou d'espèce ne sera pas forcément nécessaire pour les territoires ultramarins. Il me semble important de nous laisser le temps de la réflexion, afin de pouvoir imaginer les bons véhicules législatifs et de répondre aux questions que je viens d'évoquer. L'article 2, introduit par le Sénat et prévoyant un délai relativement court d'un an pour envisager les différentes options possibles, me semble répondre à la préoccupation exprimée.

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Je pense que nous sommes tous d'accord pour que les restitutions vers les territoires ultramarins soient accélérées ; c'est un sujet très important, que les sénateurs ont d'ailleurs abordé. J'ai bien entendu les souhaits spécifiques émis par des communautés non reconnues ou des groupes humains, mais il y a quelque chose qui me dérange dans ces amendements : les territoires ultramarins faisant partie du territoire national, il est déjà possible, au travers des dépôts et des expositions, d'accélérer les restitutions qui leur sont destinées. Même si une accélération est sans doute nécessaire, un texte législatif ne l'est pas forcément. Il me semble enfin choquant qu'au lendemain des échanges sur le budget de la mission Outre-mer, les territoires ultramarins soient considérés comme des pays étrangers avec lesquels il faudrait négocier.

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Nous touchons là les différentes limites de ce texte, déjà soulevées par plusieurs groupes. Le fait que la demande de restitution ne puisse être formulée que par des États soulève de nombreuses questions, notamment lorsque cohabitent – pas toujours en bons termes – plusieurs groupes humains ou ethnies au sein du même État. S'agissant plus précisément des territoires ultramarins, il me semble que les amendements qui nous sont proposés n'ont pas pour objet de les mettre au même niveau que les pays étrangers mais de reconnaître qu'à une certaine époque la France s'est mal comportée, agissant en pays colonisateur. Je trouve incroyable que l'on ne réponde pas favorablement à la demande de peuples français réclamant la restitution de restes humains.

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Nous n'avons pas l'intention de nous comparer à des États étrangers : nous visons des communautés, des personnes qui souhaitent simplement faire leur deuil et récupérer des corps qui sont souvent ceux de leurs ancêtres. Je pense en particulier à la Polynésie, mais l'ensemble des territoires ultramarins ont connu des faits historiques similaires, liés aux erreurs commises durant la colonisation. C'est notre histoire commune. Nous souhaitons faire reconnaître notre droit à récupérer les corps de nos ancêtres.

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Les députés ultramarins expriment cette demande, non pas parce qu'ils ne se sentent pas français – bien au contraire –, mais parce que, dans sa rédaction actuelle, le texte n'accorde pas de place particulière aux territoires d'outre-mer.

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Cette demande me paraît tout à fait légitime, mais la proposition de loi, qui a trait aux rapports entre États, ne constitue pas le cadre adapté pour lui apporter une réponse. C'est pourquoi les sénateurs ont demandé ce rapport, auquel il nous appartiendra de donner rapidement une traduction. Nous sommes tous désireux de trouver des solutions et d'améliorer les procédures.

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Ce débat montre que la loi d'espèce est plus adaptée que la loi-cadre, laquelle ne prend pas en considération un grand nombre de situations.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AC1 de Mme Mereana Reid Arbelot

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Dans la mesure où nous ne souhaitons pas imposer à l'État demandeur des conditions à la restitution, nous proposons de supprimer les mots : « à des fins funéraires ».

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Je partage en grande partie votre analyse : il appartiendra aux communautés de provenance de statuer sur la destination des restes humains restitués, dans le respect du principe de la dignité humaine. Toutefois, rappelons que nous touchons à un principe très ancien puisque l'inaliénabilité du domaine public s'imposait déjà, sous l'Ancien Régime, au roi de France. Les exceptions qui lui sont portées doivent donc être bornées. La notion de « fins funéraires » me semblant problématique, je vous proposerai l'ajout d'un deuxième motif de restitution. Avis défavorable.

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La ministre a rappelé qu'il ne fallait pas « occidentalo-centrer » la loi et imposer au demandeur l'usage qu'il devra faire des restes humains restitués. Or c'est bien ce que l'on fait en précisant que la restitution devra se faire « à des fins funéraires ».

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Je partage votre point de vue ; c'est pourquoi je proposerai de compléter les dispositions de l'alinéa 8. Toutefois, comme je l'ai dit, on ne peut pas déroger aux règles de la domanialité publique sans prévoir des garde-fous.

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Je suis très opposée à cet amendement. À mes yeux, il faut absolument conserver la mention « à des fins funéraires », même si elle ne garantit pas de tout. La ministre a évoqué la restitution des crânes algériens. Bien que cette opération ait été menée pour un motif funéraire et que les crânes aient été effectivement inhumés, on n'a pas pu empêcher le « narratif » de l'Algérie, pour reprendre le terme de Mme Abdul-Malak. Ce pays a fait de la restitution un hommage rendu à des martyrs, lui conférant ainsi une finalité politique. Si on supprimait la condition tenant aux fins funéraires, on ouvrirait la porte à toutes les intentions, y compris celles dont on ne veut pas. Il ne me paraît pas injustifié, tant s'en faut, que nous fixions des conditions au dessaisissement de notre patrimoine.

La commission rejette l'amendement.

Amendements AC3 de Mme Mereana Reid Arbelot et AC20 de M. Christophe Marion (discussion commune)

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L'amendement AC3 vise à prévoir d'autres motifs de restitution et à laisser le choix au demandeur. Par le passé, la France a commis des erreurs, à l'instar d'autres États coloniaux. Elle doit éviter de continuer à donner des leçons.

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L'amendement AC20 apporte à mon sens une réponse à cette préoccupation. Avis défavorable sur l'amendement AC3.

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La demande de notre collègue Reid Arbelot me paraît très juste. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous confirmer que, dans votre amendement, le terme « mémorielles » inclut la finalité muséale ?

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Je suis défavorable à ces amendements. Certains de nos collègues de La France insoumise ont évoqué, parmi les finalités de la restitution, la réparation d'un comportement de colonisateur. On voit bien qu'il s'agit d'un motif totalement différent de celui qui est prévu par le texte. Ce serait faire mémoire d'un passé dont nous ne sommes pas particulièrement fiers et que nous ne revendiquons pas, mais qui n'en demeure pas moins le passé de la France. Affirmer la vocation mémorielle de la restitution des restes humains, c'est s'exposer à une exploitation politique telle que celle qui a été faite par les Algériens au sujet des crânes.

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Si je comprends bien, il faut enterrer l'histoire et ne plus en parler.

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Laissez-nous donc le droit d'en parler sereinement !

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Klara Boyer-Rossol, historienne spécialiste de Madagascar, nous dit : « Les usages funéraires, cultuels et sociaux sont infinis. Les communautés devraient avoir le droit de choisir. » L'ajout des mots « et mémorielles » me semble utile pour plusieurs raisons. Certaines coutumes ou certains rites peuvent présenter des dimensions funéraires mêlées à d'autres visées : ainsi, le bain des reliques de la communauté sakalava de l'Ouest malgache consiste à ressortir les reliques royales pour réaffirmer le pouvoir sacré du souverain. Cette cérémonie a donc un but funéraire, car un hommage est rendu aux rois morts, mais elle présente également une utilité sociale en ce qu'elle vise à souder la communauté autour de ses chefs. La mention des fins mémorielles répond à la volonté de n'ignorer aucune des coutumes au sein desquelles les restes humains occupent une place.

Par ailleurs, il me semble que le débat n'est pas toujours tranché, au sein des communautés, concernant les commémorations auxquelles les restes humains doivent être destinés. Le qualificatif « mémorielles » permettrait d'inclure, par exemple, la constitution d'un mémorial et ouvrirait le champ des pratiques considérées.

L'Allemagne a rendu des restes humains à la Namibie, il y a quelques années. Il s'agit, dans ce pays, d'une cérémonie très solennelle qui a pour objet la réhumanisation et la réconciliation. Les restes humains doivent s'intégrer au processus qui vise à guérir les blessures du passé et à discréditer ou faire cesser les idéologies racistes persistantes. Il n'est pas aisé de déterminer s'il s'agit d'un rite funéraire ou d'une cérémonie d'un autre ordre.

Aux États-Unis, des tribus amérindiennes, tels les Spiro Mounds, en Oklahoma, ou des communautés comme les Native Hawaiians sont divisées sur le traitement à réserver aux objets funéraires et aux restes humains. Certains veulent les retirer de la vue des profanes et les ré-inhumer au nom des valeurs ancestrales, tandis que d'autres entendent les préserver pour les générations futures au nom de leur éducation à leur culture d'origine. La notion de « fins funéraires » peut donc paraître assez restrictive en présence de rites ancestraux et de mémoire.

Dans nos civilisations occidentales, lorsqu'on montrait les reliques d'un saint, par exemple pour empêcher l'entrée de la peste dans une ville, il ne s'agissait pas d'un rite funéraire, mais cultuel. En février 2023, lorsqu'on a montré, à Bordeaux, le crâne de saint Thomas d'Aquin pour la première fois depuis le Moyen Âge, ce n'était pas davantage un rite funéraire.

Dès lors, au nom de quoi interdirait-on à des communautés d'exposer les restes d'un roi défunt pour actualiser sa présence ou sa protection ? La notion de « fins mémorielles » me semble ouvrir la voie à des rites ancestraux situés à la frontière entre les rites funéraires et les rites sociaux, cultuels ou historiques.

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Nous ne pouvons pas être trop prescriptifs à l'égard des États qui souhaitent récupérer des restes humains. Nous devons arrêter d'expliquer aux autres pays ce qu'ils doivent faire et comment ils doivent le faire. La seule chose à laquelle nous devons veiller, conformément à l'esprit du texte, c'est que les restes humains restitués ne fassent pas l'objet d'atteintes à la dignité humaine. Ce principe mis à part, qui sommes-nous pour expliquer ce qu'il faut faire de ces restes humains ? Peut-on interdire l'édification de monuments en hommage à nos anciens combattants – comme nous en avons chez nous – ou d'autres lieux de mémoire, au motif qu'il ne s'agit pas de sépultures au sens strict du terme ? La restitution des restes humains a partie liée, qu'on le veuille ou non, à un travail de mémoire, que nous devrions aussi accomplir, de manière urgente, dans notre pays.

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Il faudrait préciser les termes « restes humains ». On a parfois volé ou pris à des peuples autochtones des objets tels que des lances faites avec des cheveux ou des poils, des tambours comportant des peaux humaines. Je ne pense pas que l'on puisse interdire aux peuples qui vont récupérer ces objets de les exposer à des fins d'éducation des générations à venir. C'est pourquoi je propose, par mon amendement, d'ajouter les mots : « ou muséales ».

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Vous soulevez la question de savoir si les restes humains doivent être entendus stricto sensu ou si cette notion s'étend, par exemple, à des moulages réalisés à partir de corps morts et contenant des cheveux, des poils ou des restes d'ADN. De fait, nous détenons des biens culturels composés pour partie de restes humains, tels des tambours comportant de la peau humaine. Je ne suis pas sûr qu'il nous appartienne de trancher cette question aujourd'hui. J'ai déposé un amendement visant à ce que le comité scientifique, qui sera réuni pour statuer sur l'identification des restes humains et leur restitution, se prononce aussi sur leur qualité. Autrement dit, je souhaite qu'il indique si les objets culturels précités sont des restes humains – la question s'était posée, à l'époque, pour le moulage de Saartjie Baartman.

Successivement, la commission rejette l'amendement AC3 et adopte l'amendement AC20.

Elle adopte l'amendement rédactionnel AC19 du rapporteur.

Amendement AC29 de M. Christophe Marion

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Le texte s'applique aux restes humains vieux de 500 ans au plus, ce qui soulève deux questions. Premièrement, il s'agit d'une barrière mobile, car cet âge s'apprécie à la date de la demande, ce qui peut se révéler problématique. Aussi, je propose de reprendre une proposition faite par Jean-Luc Martinez dans le rapport sur les restitutions qu'il avait remis au Président de la République, à savoir que les restes humains concernés soient ceux de personnes mortes après l'an 1500. Cela permettrait de poser une barrière fixe.

Deuxièmement, plusieurs d'entre vous proposent de repousser la borne à 700 ou à 1 000 ans, en se fondant sur le fait que le Royaume-Uni a fixé la limite à 1 000 ans dans la loi qu'il a adoptée en 2004. Or les Britanniques indiquent qu'il n'y a eu quasiment aucune restitution de restes humains d'une ancienneté supérieure à 300 ans, et pas une seule de plus de 500 ans. En effet, à partir d'une certaine date, il est très difficile d'établir scientifiquement le lien avec une communauté humaine. À un tel degré d'ancienneté, il n'y a plus vraiment de documentation archivistique permettant l'identification précise des restes. Même les analyses ADN n'ont plus guère de sens compte tenu de l'ampleur des mélanges qui ont eu lieu. Il me paraît donc souhaitable de mettre à profit ces enseignements. J'aurai donc un avis défavorable sur les amendements qui tendent à repousser la limite à 700 ou à 1 000 ans.

La commission adopte l'amendement.

En conséquence, les amendements AC4 et AC6 de Mme Mereana Reid Arbelot tombent.

Amendement AC11 de Mme Caroline Parmentier

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Cet amendement d'appel vise à proposer la restitution du reste humain au-delà de 500 ans lorsqu'il est identifié avec certitude et présente un lien géographique, religieux, spirituel et culturel étroit et continu avec le groupe humain. Il semble souhaitable de prévoir cette exception – en nous inspirant de la loi britannique – dans ce cas de figure précis.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.

Elle adopte l'amendement rédactionnel AC21 de M. Christophe Marion, rapporteur.

Amendement AC22 de M. Christophe Marion

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L'amendement vise à réécrire l'alinéa 14 en y apportant plusieurs modifications. D'abord, il précise que le comité scientifique qui sera créé de façon concertée avec l'État demandeur et qui sera saisi d'une demande de restitution de restes humains devra représenter les deux États de manière « équilibrée » afin de ne pas empêcher sa constitution dans les cas où un nombre strictement paritaire de membres entre les deux pays ne pourrait être réuni.

Ensuite, il indique que le comité mène un travail pour « tenter de préciser » l'identification – entendue au sens large comme la qualification de la provenance ou du lien avec un groupe humain d'origine –, alors que la rédaction actuelle prévoit que le travail de vérification scientifique « permet de préciser » l'identification.

Enfin, l'amendement ajoute aux missions du comité celle d'établir que le document archéologique qui lui est soumis peut recevoir la qualification de « restes humains ». Cette qualification n'est pas toujours claire, et il devrait revenir aux scientifiques de la déterminer.

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Monsieur le rapporteur, avez-vous imaginé, au cours de vos travaux, que des parlementaires puissent faire partie du comité scientifique ?

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Non. La composition du comité n'a d'ailleurs pas été définie. Elle devrait varier au cas par cas, selon les demandes qui sont faites.

La commission adopte l'amendement.

Amendement AC23 de M. Christophe Marion

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Cet amendement vise à préciser la rédaction de l'alinéa 15, en prévoyant notamment que les tests génétiques ne pourront être réalisés sans l'accord de l'État demandeur. En effet, un certain nombre de communautés s'opposent formellement à ce que des traitements invasifs soient effectués sur des restes humains. Cela pourra empêcher l'identification précise des restes et, éventuellement, remettre en cause la restitution, mais c'est un choix que nous devons respecter.

La commission adopte l'amendement.

Amendements AC13 de M. Carlos Martens Bilongo, AC9 de Mme Béatrice Descamps et AC31 de M. Christophe Marion (discussion commune)

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Par l'amendement AC13, nous demandons que les rapports du comité scientifique et du ministre de la Culture soient rendus publics dès leur finalisation. L'article 1er prévoit qu'en cas de doute sur l'identification du reste humain faisant l'objet d'une demande de restitution, « un travail de vérification scientifique de son origine » soit conduit par ledit comité. Dans une proposition de loi de novembre 2022, Carlos Martens Bilongo affirmait la nécessité de restituer officiellement et intégralement les vingt-quatre crânes que la France a remis à la République d'Algérie pour une période de cinq ans, dans le cadre d'une convention de dépôt, hors de tout cadre légal. Rendre publics les résultats des expertises préalables à la restitution des restes humains, c'est faire de la culture l'affaire de tous et instaurer un contrôle citoyen sur les restitutions.

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L'amendement AC9 vise à renforcer la transparence de la procédure de restitution des restes humains, en garantissant la publication systématique des rapports sur la base desquels les restitutions ont lieu.

L'État et les collectivités territoriales pourront faire sortir de leur domaine public, par décret en Conseil d'État, des restes humains sur la base d'un rapport établi par le ou les ministères de tutelle des établissements concernés. L'amendement prévoit de rendre public ce rapport.

La publicité concernerait également le rapport du comité scientifique chargé de vérifier l'identification des restes humains en cas de doute sur celle-ci. Ce document, qui détaille les travaux conduits et fixe la liste des restes humains dont l'origine a pu être établie, est remis au Gouvernement et à l'État demandeur.

L'alinéa 19 prévoit certes la remise annuelle au Parlement d'un rapport présentant notamment les demandes de restitution et les décisions de sortie, assorties des rapports et des avis. Néanmoins une telle rédaction paraît restrictive : elle ne porte par exemple que sur les décisions ayant abouti à une sortie du domaine public.

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Je propose, par l'amendement AC31, de compléter l'alinéa 16 par la phrase suivante : « Il est rendu public, sous réserve de l'approbation de l'État étranger demandeur. »

Je précise qu'il n'y aura pas deux rapports distincts : le comité scientifique remettra son rapport au ministère de la Culture, lequel rédigera le projet de décret sur cette base et le transmettra au Conseil d'État.

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La publication d'un rapport établissant que des restes humains ne proviennent pas de l'État demandeur serait précieuse pour l'État dont ces restes sont originaires, car ce dernier pourrait s'en saisir pour former, à son tour, une demande.

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Monsieur le rapporteur, l'ambiguïté du texte peut être source d'incompréhension.

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En effet. C'est pourquoi je propose, par l'amendement AC32, une réécriture de l'alinéa 17 afin de préciser les choses.

Madame Amiot, votre demande est satisfaite car le rapport scientifique sera rendu public – à la condition, toutefois, que l'État demandeur y consente.

La commission rejette successivement les amendements AC13 et AC9.

Elle adopte l'amendement AC31.

Amendement AC32 de M. Christophe Marion

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Comme je l'indiquais, cet amendement vise à clarifier la rédaction de l'alinéa 17.

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La grande réserve que m'inspire la proposition de loi provient principalement de cet alinéa. Je suis favorable au principe de la restitution des restes humains demandée par les pays d'origine, car elle me paraît légitime. En revanche, je m'oppose à la procédure retenue. L'exposé des motifs indique que le choix de la loi-cadre vise avant tout à éviter une excessive lenteur. Or, lorsque nous nous sommes prononcés sur la restitution des biens spoliés à des familles juives, nous avons mené un travail législatif rapide et efficace. Le seul argument de plus de rapidité me semble très mince et prive le Parlement de son pouvoir de légiférer. On ne peut pas supprimer le caractère inaliénable d'un bien public, qui est une sorte de totem protégeant nos collections, par une loi-cadre qui ouvre la voie à la sortie de nombreux objets du domaine public. La ministre a d'ailleurs reconnu que des procédures étaient en cours pour d'autres biens.

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Je considère au contraire que le temps législatif est un temps long, ponctué d'une série d'étapes, à commencer par l'inscription à l'ordre du jour. Une loi-cadre permet non seulement d'assouplir les procédures mais aussi et surtout d'affirmer le principe de la restitution, au-delà des cas particuliers.

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Le rapporteur a parlé d'un seul rapport ; or, dans l'amendement, il est question de deux rapports. Qu'en est-il vraiment ?

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Il n'y aura bien qu'un rapport. Ce point sera clarifié en séance.

La commission adopte l'amendement.

Elle adopte l'amendement rédactionnel AC27 du rapporteur.

Amendement AC30 de M. Christophe Marion

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L'amendement vise à faire sortir du code du patrimoine une demande de rapport qui n'a pas à y figurer, son inscription dans le présent texte suffisant, et à apporter des modifications rédactionnelles.

La commission adopte l'amendement.

Amendement AC5 de Mme Mereana Reid Arbelot

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L'amendement est en cohérence avec notre volonté d'intégrer les territoires ultramarins dans le dispositif de restitution des restes humains.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.

Elle adopte l'amendement rédactionnel AC28 du rapporteur.

Elle adopte l'article 1er modifié.

Après l'article 1er

Amendement AC14 de M. François Piquemal

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Nous proposons d'inclure dans la liste des missions permanentes des musées de France des cycles de formations scientifiques, afin d'apprendre à identifier et à rattacher à un groupe humain des restes humains conservés dans les collections publiques.

La question des moyens et des formations n'est pas abordée par le texte. En avril dernier, Natacha Pernac, maîtresse de conférences en histoire de l'art moderne, et Aurore Chaigneau, professeure de droit spécialiste des questions de propriété, se sont interrogées dans Libération sur les moyens consacrés à la recherche de provenance des œuvres dans les collections publiques et les compétences nécessaires pour ce faire.

Mme la ministre a rappelé la présence de 30 000 crânes dans les musées nationaux d'histoire naturelle. Il faut former au maximum pour que ces musées puissent trouver la provenance des restes humains en leur possession.

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Les musées de France sont des institutions très diverses par leur taille. Certains n'ont pas plus de deux employés permanents. Ils font de la pédagogie, de la médiation culturelle mais pas de formation professionnelle. Si je comprends l'intention de votre amendement, il serait toutefois compliqué de l'imposer à tous les musées de France, notamment aux plus petits qui n'en auraient pas les moyens. En revanche, il est intéressant d'encourager les formations disponibles en recherche de provenance, comme cela se fait dans le diplôme proposé par l'université de Nanterre, qui permet aux professionnels de se former pendant six mois intégralement en ligne.

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Lors du débat sur les biens spoliés pendant la seconde guerre mondiale, nous avions déjà insisté sur la nécessité de former le plus de personnes possible à la recherche de provenance. La ministre s'était d'ailleurs engagée à soutenir notre demande. S'il n'y avait que 30 000 crânes à identifier dans nos musées ! Il faudrait au moins identifier les origines des restes humains, auxquels est parfois attachée toute une histoire qu'il faut pouvoir retracer.

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La restitution des restes humains, tout comme celle des biens juifs spoliés, nécessite clairement des moyens. Tous les scientifiques que nous avons reçus dans le cadre des auditions ont insisté sur ce point : ce ne pourra pas être un doctorant qui résoudra en trois ans toutes les questions sur les restes humains dans nos collections publiques. Mais je ne suis pas sûr que cela soit l'objet de ce texte ou que nous soyons dans la bonne commission pour en discuter.

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La question de la formation me semble vraiment cruciale.

La commission rejette l'amendement.

Article 2 : Demande de rapport au Gouvernement pour la création d'une procédure applicable aux Outre-mer

La commission adopte l'article 2 non modifié.

Après l'article 2

Amendement AC12 de Mme Caroline Parmentier

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Cet amendement formule une demande de rapport sur le nombre de restes humains étrangers de plus de 500 ans potentiellement sensibles, étant donné qu'ils sont exclus du champ de la proposition de loi.

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Ce pourrait être le rêve de tout conservateur français ! Mais j'ai bien peur que votre demande ne soit irréalisable dans l'année qui vient. Peut-être la priorité doit-elle se fixer sur l'identification des restes humains postérieurs à l'an 1500, afin de susciter des demandes de pays étrangers qui n'ont pas forcément connaissance de la présence de restes humains dans nos collections publiques. Je souhaiterais aussi qu'une priorité soit accordée aux restes humains ultramarins, de manière à apporter la réponse la plus rapide possible à nos concitoyens outre-mer. Avis défavorable.

La commission rejette l'amendement.

Titre

Amendement AC10 de Mme Caroline Parmentier

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L'alinéa 8 de l'article 1er du texte prévoit la restitution à des États de restes humains appartenant aux collections publiques à des fins funéraires. Aussi, dans un souci de précision, il convient de compléter le titre par les mots : « à des fins funéraires ».

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Je ne pense pas utile d'allonger le titre, d'autant que nous avons inclus une dimension mémorielle à la restitution. Avis défavorable.

L'amendement est retiré.

La commission adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.

La séance est levée à dix-neuf heures quarante.

Présences en réunion

Présents. – Mme Ségolène Amiot, Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Bénédicte Auzanot, Mme Géraldine Bannier, M. Quentin Bataillon, M. Belkhir Belhaddad, Mme Béatrice Bellamy, Mme Sophie Blanc, M. Idir Boumertit, M. Lionel Causse, M. Roger Chudeau, Mme Fabienne Colboc, Mme Béatrice Descamps, M. Francis Dubois, M. Inaki Echaniz, M. Philippe Emmanuel, Mme Estelle Folest, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Annie Genevard, M. Pierre Henriet, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Marie Lebec, M. Vincent Ledoux, M. Christophe Marion, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, Mme Caroline Parmentier, M. Emmanuel Pellerin, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Claude Raux, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Bertrand Sorre, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Guillaume Vuilletet, M. Léo Walter, M. Christopher Weissberg

Excusés. - M. Bruno Bilde, Mme Soumya Bourouaha, M. Frantz Gumbs, M. Stéphane Lenormand, M. Boris Vallaud

Assistaient également à la réunion. - M. Carlos Martens Bilongo, M. François Piquemal