S'il faut saluer l'engagement du Gouvernement sur la question des restitutions, le texte qui nous est soumis présente d'importantes lacunes et ne permettra pas de guérir les maux de la période coloniale. Il vise à sortir du domaine public français des restes humains, afin de les restituer à leur communauté d'origine. L'idée n'est pas de les faire passer d'un musée de l'Hexagone à un autre musée, mais de les restituer à leur communauté. Pourquoi, alors, en exclure les communautés ultramarines ? On voit bien que l'obstacle n'est pas juridique, mais politique.
Prenons l'exemple très douloureux des Kali'nas. Ces personnes ont été arrachées de chez elles par la force ou la tromperie, elles ont été exhibées comme des curiosités et sont décédées en Europe, loin des leurs. Le territoire des Kali'nas s'étend géographiquement des deux côtés du fleuve Maroni, source de vie. Il est scindé en deux par ce même fleuve, devenu frontière coloniale entre le Suriname et la Guyane au XVIIe siècle. Selon le texte que vous nous soumettez, seuls les Kali'nas du Suriname pourront légitimement formuler une demande de restitution à la France, en passant par l'État du Suriname. Deuxième exemple : l'université de Strasbourg a voulu engager cette année la restitution d'une trentaine de crânes à la Namibie et à la Tanzanie. La demande ayant été formulée par une province et une fondation, et non par ces États eux-mêmes, cette restitution n'entrerait pas dans le cadre de cette loi. Or il conviendrait que les communautés, qui sont souvent des minorités, puissent demander une restitution sans passer par un État.
Il importe également de réfléchir au statut juridique des restes humains en droit français. Que penser, par exemple, du statut des objets funéraires entreposés près des défunts ou sur leur corps, ou des moules réalisées sur les corps Kali'nas ? Il faut pouvoir répondre à ces questions et à celles qui ne manqueront pas de se poser à l'avenir. L'idée selon laquelle les restes humains doivent être restitués à un groupe humain « dont la culture et les traditions restent actives » me paraît également problématique, car cela relève d'une interprétation subjective. En Polynésie, l'association Te Tupuna, Te Tura a déjà procédé au rapatriement de 350 kilogrammes d' ivi, ou ossements, dont certains étaient accompagnés de leurs objets funéraires. Lorsque le muséum d'histoire naturelle de Stockholm a procédé à la restitution des restes marquisiens, il a pris en charge leur transport, ainsi que l'assurance, et le directeur des douanes en Polynésie a accepté d'exonérer de taxe leur rapatriement. Qui paiera les frais de transport des restes qui seront restitués après l'adoption de cette loi ?
Ce texte crée un comité dont le rôle est essentiel et dont la compétence devrait selon moi être élargie au récolement et à la recherche de provenance. Au lieu de se réunir uniquement en cas de doute sur l'identification, il devrait avoir une activité pérenne, au vu de son rôle fondamental dans la recherche de la vérité et la guérison des blessures du passé. Je forme le vœu que les peuples ultramarins ne fassent pas l'objet de lois d'espèce mais qu'ils soient intégrés dans cette loi-cadre.
Malgré toutes les réserves que j'ai formulées, je salue à nouveau le fait que la question des restitutions fasse l'objet d'une proposition de loi. Mon groupe la votera.