Merci à tous pour ce débat serein et approfondi sur un sujet éminent important. S'agissant des restes humains algériens, au sujet desquels plusieurs d'entre vous m'ont interrogée, je voudrais d'abord souligner qu'une commission bilatérale ayant accompli un travail scientifique rigoureux est parvenue à un consensus, validant l'identification de vingt-quatre crânes reconnus comme algériens. En l'absence de loi, ce n'est pas une restitution au sens juridique du terme qui s'est ensuivie, mais un dépôt. C'est le récit qui a en a été fait en Algérie qui a suscité la polémique et la confusion, notamment en raison de l'emploi du terme « martyre ». La commission scientifique avait bien confirmé, quoi qu'il en soit, qu'il s'agissait de crânes algériens – ce qui démontre l'importance des commissions bilatérales. Ni le ministre de la Culture, ni ses équipes, ni les parlementaires n'ont les compétences pour identifier les restes humains et pour s'assurer du respect du cadre de restitution prévu par la présente proposition de loi. Il faut faire confiance à ces commissions scientifiques, dont la composition doit être spécifique et réunir les spécialistes de chaque contexte – qu'il s'agisse d'anthropologues, de juristes, d'historiens, de conservateurs de musées ou de représentants autochtones.
L'information régulière du Parlement, essentielle, est gravée dans le marbre des alinéas 19 à 21 de l'article 1er : « Chaque année, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport présentant […] les demandes de restitution de restes humains adressées par des États étrangers [et les] décisions de sortie du domaine public […] assorties des rapports et des avis correspondants […]. » Nous nous y conformerons, bien entendu.
S'agissant des collections privées, dont nous avons déjà débattu à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, il n'est pas possible de légiférer. Il convient néanmoins d'avoir à l'esprit, concernant le cas spécifique des restes humains, que le code civil interdit le commerce du corps humain et que la justice peut, de ce fait, être saisie – ce qui, à ma connaissance, n'est jamais arrivé. S'il est important de poser la question des collections privées, la réponse ne peut passer par le présent texte.
Vous avez été plusieurs à souligner qu'il était important que la recherche scientifique puisse se poursuivre. Je voudrais souligner à cet égard que les restitutions seront très peu nombreuses eu égard au volume de restes humains sur lequel les scientifiques peuvent travailler, et que la recherche ne s'en trouvera pas restreinte. Sachez par exemple qu'il y a pas moins de 30 000 crânes au Muséum national d'histoire naturelle. Je rappelle aussi que les restitutions n'interviendront que sur demande, si elles sont légitimes et après validation d'une commission bilatérale.
J'en viens à la demande concernant les Kali'nas de Guyane, que nous ne laisserons pas sans réponse. Cette demande a pour finalité l'inhumation des restes humains ; un projet de mémorial a d'ailleurs été lancé. Je propose, en attendant que la dérogation au principe d'inaliénabilité des collections autorise l'inhumation, d'effectuer un transfert des restes humains. Cela permettrait de satisfaire la demande de retour sur le sol guyanais et pourrait se faire assez rapidement. La Guyane étant le seul territoire ultramarin à avoir émis une telle demande, nous pourrions ensuite envisager un projet de loi d'espèce : ce pourrait être un bon vecteur pour commencer, permettant de préparer le terrain et de voir arriver d'éventuelles autres demandes. Les premières restitutions de biens spoliés et de restes humains avaient d'abord fait l'objet de lois d'espèce. Mais nous pourrions tout aussi bien travailler ensemble directement à un projet de loi-cadre relatif aux restes humains conservés dans les collections publiques françaises et venant des territoires de notre pays. Je suis ouverte à toutes les options. S'agissant de la Guyane, en tout cas, les travaux scientifiques sont engagés et vont se poursuivre.
Vous m'avez également interrogée sur l'utilisation du terme « groupe humain » – qui a fait l'objet de débats avec les sénateurs et avec le rapporteur. Cette expression est en fait la meilleure alternative au mot « communauté », qui n'a pas de réalité juridique en droit français. Comme nous avons pu le vérifier en consultant le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, elle est régulièrement employée dans les textes de l'ONU notamment dans les conventions de l'Unesco. Il s'agit de l'expression la plus neutre et la plus englobante pour désigner un ensemble de personnes partageant des enjeux communs, culturels ou spirituels par exemple.
J'en viens à votre question, madame Genevard, à laquelle je m'attendais. Vous me demandez de prendre l'engagement qu'il n'y aura pas d'autre projet de loi relatif à d'autres champs de restitutions ; je prends au contraire l'engagement que nous ayons au moins un débat sur la restitution des biens culturels usurpés. Je m'y suis engagée depuis le début, en vous présentant une démarche en trois étapes. Le rapport de Jean-Luc Martinez doit évidemment faire l'objet de discussions avec vous et avec les sénateurs ; de nombreux échanges et consultations seront nécessaires. Quoi qu'il en soit, je ne désespère pas de vous convaincre et j'espère que nous pourrons avoir un débat de la même qualité que celui que nous avons aujourd'hui. Je rappelle qu'une loi relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, proposée par ma prédécesseure Roselyne Bachelot, a été adoptée à l'unanimité. Cela prouve qu'il est possible d'avancer sur ce chemin. Il faut cadrer les choses, bien sûr, et c'est justement le principe d'une loi-cadre : elle permet d'informer les pays demandeurs du cadre – critères, méthode – dans lequel la France envisage les restitutions, et ainsi d'éviter les demandes que l'on pourrait qualifier de farfelues. Je crois à une telle démarche et j'espère que nous aurons d'autres occasions d'en discuter.