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Intervention de François Piquemal

Réunion du mardi 7 novembre 2023 à 17h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Piquemal :

Nous sommes à 3 000 mètres d'altitude. Nous sommes dans le désert d'Atacama, au Chili. Trois femmes creusent le sol. Elles sont à la recherche des restes de leur frère, de leur sœur, de leurs enfants. C'est ici que Pinochet et son régime d'extrême droite ont enterré les corps des milliers d'opposants politiques qu'ils ont assassinés. Nous sommes en 2010 et le réalisateur Patricio Guzmán filme ces femmes qui, dans un geste désespéré, cherchent des débris d'ossements qui leur ramèneraient des fragments du corps de leur proche. À quelques pas de leurs mains qui creusent sont érigés des télescopes dirigés vers le ciel. Le désert d'Atacama accueille en effet le plus grand observatoire mondial d'astronomie. Des chercheuses et des chercheurs y explorent l'immensité de l'univers, et nos origines. Plus que nul autre, elles et ils savent, comme l'a si bien expliqué en son temps Hubert Reeves, que notre planète et tous les êtres vivants qui y vivent sont composés de milliards d'atomes qui proviennent d'étoiles bien antérieures à la formation du système solaire, il y a environ 5 milliards d'années. Notre corps est constitué à 97 % de ces substances provenant des corps célestes. Peut-être peut-on imaginer que les 3 % restants sont faits de mémoire et de culture, de ce qui nous lie à celles et à ceux passés avant nous, qui ont tracé les pas derrière nous et nous permettent de mieux savoir où poser les nôtres.

Restituer des restes humains, c'est restituer un passé souvent douloureux à ceux à qui il manque. Ceux qui ont une mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent ; ceux qui n'en ont pas ne vivent nulle part.

Ce texte va dans le bon sens, puisqu'il simplifie la procédure de restitution des restes humains présents dans nos collections publiques, dont certains proviennent d'anciennes colonies. Nous sommes d'accord avec le principe de la restitution des restes humains, comme en témoigne la proposition de loi déposée par notre collègue Carlos Martens Bilongo. Nous sommes aussi de fervents défenseurs de la dignité humaine, de l'éthique et du devoir de mémoire, qui fondent le processus de restitution. Nous avons toutefois, vis-à-vis de ce texte, des réserves d'ordre juridique et éthique.

La proposition de loi dispose que la restitution est faite à des fins exclusivement funéraires. Il paraît contradictoire de restituer des restes humains à un pays tout en lui dictant ce qu'il doit en faire. Quel droit voulons-nous concéder aux États qui formulent une demande de restitution ? Acceptons-nous l'idée d'une forme de propriété culturelle ? Qu'en est-il des collections privées, absentes du texte ? Quels moyens supplémentaires consacre-t-on à la formation à la recherche pour authentifier les restes humains ? Quid des territoires ultramarins ? L'Unesco et la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones imposent de prendre en compte les représentations culturelles des pays d'où proviennent les restes humains : cela doit nous servir de boussole.

Je conclurai en citant l'une des femmes qui creusent le sol du désert d'Atacama, à côté des télescopes tournés vers l'espace : « J'aimerais que ces télescopes ne regardent pas que vers le ciel, mais aussi à travers la terre pour pouvoir les retrouver. » La restitution est aussi une réparation.

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