Cette proposition de loi sénatoriale déposée par Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias s'inspire d'une mission d'information sur le retour des biens culturels aux pays d'origine présidée par Mme Morin-Desailly. Elle vise à faciliter la restitution à leurs pays d'origine des restes humains présents dans les collections relevant de l'État ou des collectivités territoriales. L'immense majorité des 23 665 restes humains conservés au Muséum national d'histoire naturelle sont d'origine française ; 700 ont été collectés à l'étranger et sont donc susceptibles d'être réclamés par leur pays d'origine et 100 cas sont particulièrement sensibles.
La spécificité de ces biens culturels est évidente et consacrée en droit, puisque le code civil dispose que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes humains de nos collections publiques sont, j'en suis certaine, conservés avec le soin, le respect, la dignité et la décence qu'exige la loi et qui anime le monde de la conservation française. Ces collections sont le fruit d'histoires diverses et il importe de se pencher sur les conditions de leur constitution. Restituer ces biens, quand le pays d'origine le demande, permet de reconnaître et de dénoncer les conditions dans lesquelles certains d'entre eux ont été collectés. On songe aux massacres perpétrés par les troupes impériales allemandes ou encore à la pratique très choquante des zoos humains. Dans ce cas, la restitution a du sens, puisqu'il s'agit de redonner à ces restes humains la dignité qu'on leur avait niée de leur vivant.
Mais tous les restes humains ne sont pas nécessairement liés à de tels épisodes, éminemment et évidemment condamnables. Certains d'entre eux ont été collectés lors de grandes expéditions naturalistes ou à l'occasion de fouilles archéologiques ; ils constituent une archive formidable qui documente les modes de vie, l'état de santé, les migrations d'une population donnée. Gardons-nous donc, sur cette question, d'une vision univoque dictée par la seule émotion. Il est essentiel de concilier intérêt scientifique et considérations éthiques.
Il est ici proposé, pour contrer « la lourdeur et la complexité de la procédure législative », d'adopter une dérogation de portée générale. Les restitutions seraient désormais décidées par décret en Conseil d'État, après instruction scientifique, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une loi spécifique. Toute mesure privant le législateur de son pouvoir de décision doit être prise avec d'infinies précautions. Aujourd'hui, seule une intervention du législateur permet de déroger au principe d'inaliénabilité du domaine public. Rien, demain, n'empêchera d'ouvrir la restitution à d'autres biens culturels pour d'autres motifs. On ne saurait passer ce risque sous silence, et c'est pourquoi je suis résolument opposée à l'alinéa 17 de l'article 1er.
La mission d'information de Catherine Morin-Desailly posait le principe de la restitution des biens culturels, sans plus de précision. La restitution des biens spoliés aux familles juives durant la seconde guerre mondiale ne faisait pas débat, pas plus que celle des restes humains, mais pouvez-vous prendre l'engagement, madame la ministre, vous qui êtes garante des collections publiques, que nous n'irons pas au-delà ?