La commission procède à la table ronde, ouverte à la presse, sur la situation en Israël et dans les Territoires palestiniens avec la participation de M. Dominique Moïsi, expert associé en géopolitique à l'Institut Montaigne, professeur au King's College de Londres, M. Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France et professeur émérite d'histoire de l'Occident moderne à l'université de Tel Aviv, et M. Frédéric Encel, essayiste et géopolitologue, professeur de relations internationales et de sciences politiques à la Paris School of Business (PSB).
La séance est ouverte à 15 h 05
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
Je tiens à remercier nos trois invités, messieurs Dominique Moïsi et Frédéric Encel, spécialistes de la géopolitique, ainsi que monsieur Élie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France et avec lequel j'ai des liens politiques extrêmement forts sur la construction de l'Europe.
Nous avons organisé cette réunion dans des délais très courts pour des raisons que nous aurions, évidemment, souhaité ne pas avoir à connaître. Ce qu'il s'est passé ces derniers jours sur le territoire israélien a été pour chacune et chacun d'entre nous, quelles que soient ses opinions, la cause d'une profonde douleur et d'une profonde tristesse. Je tiens à exprimer solennellement, comme nous l'avons fait hier en observant une minute de silence alors que nous recevions Mme Catherine Colonna, ma profonde solidarité et celle de la très grande majorité, sinon la totalité, de nos collègues de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, pour le peuple israélien, pour ses souffrances, pour la précarité qu'il ressent à juste titre et la menace qui l'affecte constamment de génération en génération. Il y a là quelque chose dont nous devons mesurer la gravité.
Il y a toujours le moment de l'émotion, le moment de la dénonciation de l'horreur, du fanatisme, de la violence, de la brutalité, des crimes. Enlever des femmes, des enfants, des vieillards, les incarcérer, les humilier, tuer de façon indistincte des civils : c'est ce que nous ne voulions plus revoir. C'est pourtant ce que nous avons revu ces derniers jours !
Notre commission a aussi pour rôle de réfléchir à ce qu'il s'est passé, à la complexité de la situation et à ce que nous devons faire. Nous avions décidé, à la demande du bureau, de nous réunir à chaque événement important. Cette réunion a justement pour objectif de nous aider à comprendre, à apprécier ces événements et la façon dont nous devons orienter notre politique dans les semaines et les mois qui viennent.
Trois personnalités remarquables s'associent aujourd'hui à notre réflexion. Nous accueillons ainsi Frédéric Encel, à qui nous avons récemment remis le prix géopolitique : c'est un analyste confirmé des problèmes stratégiques et militaires. Nous recevons également mon vieil ami Dominique Moïsi, qui est l'un des spécialistes les plus respectés, par l'acuité de son jugement, l'équilibre de ses prises de position, et par son souci de coller aussi près que possible à la vérité, à la justesse et à la justice des situations. Enfin, je salue Élie Barnavi, qui a été ambassadeur d'Israël à Paris ; il a ensuite suivi avec une attention particulière l'évolution politique en France et en Europe car il est très attentif à la construction européenne : il a notamment dirigé un formidable dictionnaire sur les affaires européennes
Je dois dire, cher ami, que nous avons lu votre tribune dans Le Monde avec une immense admiration pour la prise de distance intellectuelle dont vous avez fait preuve au cœur de cet événement dramatique. Vous avez analysé cette situation comme la conjonction d'un terrorisme fanatique, celui du Hamas, et d'une politique israélienne qui n'était pas satisfaisante. Nous avions ressenti dans cette commission toutes les limites de la politique du premier ministre Benyamin Netanyahou vis-à-vis de la Cisjordanie et du Hamas. Dans un débat public, nous avions dit à quel point l'abandon du processus de paix, l'exploitation des difficultés et des contradictions entre le Hamas et l'Autorité palestinienne, ainsi que l'indifférence aux enjeux de la Cisjordanie conduisaient à une situation où la solution à deux États n'était plus une alternative, puisque personne n'en voulait, mais aussi que rien ne l'avait remplacée, ce qui enfermait les Palestiniens dans une situation très difficile d'absence totale d'avenir collectif.
Cela n'excuse en rien le Hamas pour sa brutalité, ses crimes – je ne sais pas s'il s'agit de crimes de guerre ou de crimes de contre l'humanité –, ses violences insoutenables et inadmissibles. Mais nous sentions bien que la situation était dans une impasse. Vous l'avez dit en tant qu'Israélien ; je crois que vous avez été le premier et nous vous en sommes extrêmement reconnaissants.
Je vous invite tous les trois à vous exprimer, puis les représentants des groupes parlementaires vous poseront des questions auxquelles vous répondrez rapidement.
Cher Élie Barnavi, vous êtes à Tel Aviv au cœur du drame, c'est avec vous que nous allons commencer. Nous vous écoutons avec attention, respect et j'espère un peu d'optimisme pour l'avenir.
Je vous remercie pour vos propos et je tiens à vous dire toute l'amitié et tout le respect que j'ai pour vous comme intellectuel et comme homme politique.
Je suis très heureux de l'opportunité que vous m'offrez, même si ce n'est pas la première fois que je m'exprime devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Le moment est particulièrement lourd et je voudrais en profiter pour parler politique et vous dire très clairement ce que j'attends de la France et de l'Europe.
Ce qui est en train de se passer est l'effondrement d'une politique, d'une stratégie et d'une illusion. L'idée que nous pouvions balayer le problème palestinien sous le tapis, faire la paix avec les États sunnites en pensant qu'ils ne se considéraient plus concernés par le problème palestinien, à travers les accords d'Abraham et les négociations avec l'Arabie saoudite, était une illusion qui vient de nous éclater à la figure. Le problème palestinien est toujours là. Entre la bande Gaza et la Cisjordanie, il y a un peuple de cinq millions d'âmes qui demande que son sort soit réglé d'une manière qui lui accorde des droits et une dignité.
Certains disent que la solution à deux États n'est plus réaliste. Plus d'une fois, je me suis heurté au sourire apitoyé de tel ou tel expert ou de tel ou tel diplomate qui considérait que cette solution était illusoire et qu'il fallait passer à autre chose. Mais personne n'a jamais dit par quoi la remplacer, le statu quo étant, comme nous le constatons, intenable. Un État binational serait absurde et ne pourrait que mener à la guerre civile, à l'apartheid ou aux deux. Je ne connais pas d'exemple d'État binational heureux. Il faut donc sauver la solution à deux États.
La tragédie que nous sommes en train de traverser peut constituer une opportunité. J'ignore quels sont les véritables buts de guerre de mon gouvernement. Je pense qu'il a décidé d'en finir avec le règne du Hamas dans la bande de Gaza et de liquider non seulement ses capacités militaires mais aussi sa structure de pouvoir. C'est la raison pour laquelle il y aura certainement une opération terrestre, avec toutes les souffrances qu'elle engendrera. Une fois que cette tâche sera accomplie – je pense que nous en avons la capacité –, il y aura un vide politique à remplir. Il pourrait être rempli par Israël, avec une nouvelle occupation de la bande de Gaza. Il me semble impensable d'occuper un territoire sur lequel s'entassent plus de deux millions d'âmes. Par conséquent, il faut dès maintenant réfléchir à une feuille de route de la communauté internationale, c'est-à-dire les États-Unis, l'Europe, les États sunnites et les organismes financiers internationaux, éventuellement l'Organisation des Nations Unies, de manière à mettre en place les conditions d'une transition permettant d'éviter le vide et installer à Gaza un pouvoir, sous tutelle dans un premier temps, capable d'amorcer la reconstruction du territoire, ainsi qu'une transition politique acceptable.
Jusqu'à maintenant, l'Europe et les États-Unis ont servi de facilitateurs pour le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Ils nous ont offert un cadre, un endroit le plus souvent agréable, de vagues idées, et ils nous ont laissés ensuite régler seuls le problème. Cette approche, celle d'Oslo, a échoué. Il faut impérativement qu'une puissance tierce, j'espère que ce sera l'Europe, soit non pas une puissance neutre facilitant le dialogue mais une puissance de participation. Il faut qu'il y ait dorénavant un triangle Israéliens, Palestiniens et Européens, où l'Europe s'implique au nom de ses intérêts et de ses valeurs. L'idée qu'il est possible de laisser Israéliens et Palestiniens faire la paix seuls a fait la preuve de sa futilité. Il faut mettre en place une feuille de route définissant le but et les moyens d'y arriver et déterminer un mécanisme d'évaluation. La raison principale de l'effondrement du processus d'Oslo est l'absence de monitoring, les uns et les autres ayant fait ce qu'ils voulaient, personne n'ayant jamais exigé qu'ils se conforment à ce qu'ils avaient promis et qu'ils paient le prix pour ne pas avoir respecté leurs engagements.
On dit que l'Europe est problématique, avec les Allemands qui ont leurs propres problèmes, les pays d'Europe de l'Est qui sont en dehors du coup et plutôt alignés sur les positions de la droite israélienne. Je plaide pour une coalition des volontaires, c'est-à-dire l'Europe utile, avec la France, l'Allemagne, qui n'est pas si éloignée des positions françaises, l'Espagne et la Belgique, mais aussi le Royaume-Uni. Il faut que ces pays constituent un groupe de travail et mettent sur la table des propositions et des moyens. Si la communauté internationale ne se mobilise pas immédiatement, cette tragédie n'aura non seulement servi à rien mais elle débouchera sur d'autres tragédies et nous n'en sortirons jamais.
Je vous remercie monsieur l'ambassadeur. Je pense que cet appel à la gestion de Gaza par la communauté internationale, au premier rang de laquelle se trouveraient les États européens décidés à s'impliquer, serait très positif. Cette gestion internationale répondrait à une situation dans laquelle je ne vois pas quelles sont les options du gouvernement israélien.
La destruction de Gaza, où vivent deux millions et demi de personnes dans une situation de grande précarité et de famine, n'est pas une option. On ne voit pas ce qu'apporterait l'extension du conflit au Liban, sinon des ennuis que Tsahal a déjà connus. L'extension à un niveau plus élevé, avec une guerre contre l'Iran, serait calamiteuse. Je comprends très bien, face à cette absence d'options, votre appel justifié sur le plan moral et politique à un engagement de la communauté internationale, voire de la communauté européenne. Ce n'est pas facile à imaginer et à mettre en œuvre, mais cette proposition a le grand mérite de solliciter notre engagement et notre sens des responsabilités. Il est clair que l'Union européenne doit afficher dans ces moments autre chose que ses divisions, ses atermoiements et ses hésitations.
J'invite maintenant Frédéric Encel, grand spécialiste des questions stratégiques et militaires, à partager avec nous son analyse de la situation militaire dans l'immédiat et dans une perspective un peu plus lointaine.
J'ai en effet commis une thèse de doctorat consacrée à un « petit village » dont personne ne s'est jamais occupé : Jérusalem ; j'ai également obtenu mon habilitation à diriger des recherches (HDR) sur la notion de nation dans le cadre du conflit israélo-palestinien. J'en profite pour saluer Élie Barnavi, qui présidait mon jury.
Intéressons-nous au calendrier de cette opération. Pourquoi a-t-elle été déclenchée maintenant ? Mon hypothèse, qui a déjà été évoquée par un certain nombre de spécialistes ou d'observateurs, est qu'elle est liée aux négociations en cours entre Israël et l'Arabie saoudite. Pendant des décennies, l'Arabie saoudite a été l'un des États arabo-musulmans les plus conservateurs. Or, il était question que le cœur de l'islam sunnite, le gardien des lieux saints de La Mecque et de Médine, reconnaisse l'État d'Israël, c'est-à-dire la légitimité de la notion de peuple juif, ce qui n'existe absolument pas du point de vue de l'islam politique et radical et certainement pas du point de vue du Hamas, et celle d'un État-nation pour ce peuple juif, ôtant ainsi toute légitimité aux combats du Hamas. Je rappelle que le Hamas est la branche palestinienne des Frères musulmans, qui ne conteste pas seulement la politique de tel ou tel gouvernement d'Israël ou l'existence de l'État d'Israël, mais la notion même de peuple juif. Cette éventualité dont on s'approchait semaine après semaine – avec des gestes du prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane, des mots prononcés aux États-Unis, une scénographie – était insupportable sur le plan identitaire et stratégique pour le Hamas, lié à l'Iran. Je pense à cet égard qu'existe une alliance de circonstance, même si l'Iran est la puissance du chiisme et qu'au sein de la République islamique d'Iran, l'islam sunnite n'est même pas reconnu.
Le Hamas a décidé de frapper extrêmement fort, non pour modifier quantitativement, pardonnez-moi de ce terme affreux, ou techniquement son offensive mais pour changer de paradigme. Pour la première fois, il a perpétré un massacre de masse, qui s'apparenterait non pas à un crime de guerre mais à un crime contre l'humanité. Il espère déclencher, sur la bande de Gaza, une riposte d'une autre nature, si fulgurante, que ses conséquences, que les images du malheur de la population palestinienne interdiront à l'Arabie saoudite et peut-être à d'autres États arabo-musulmans de reconnaître l'État d'Israël, voire inciteront des États signataires des accords d'Abraham il y a trois ans à s'en retirer. Je précise bien néanmoins qu'il s'agit là d'une simple hypothèse de ma part.
J'ai toujours été naturellement favorable à la solution à deux États et je rejoins ce qui a été dit sur la tribune extrêmement lucide et courageuse d'Élie Barnavi, qui évoquait l'imbécillité de la politique du gouvernement israélien actuel, celui de Benyamin Netanyahou en l'occurrence.
Il faut néanmoins aussi appréhender les ressorts fondamentaux du Hamas. Celui-ci est la branche radicale des Frères musulmans, qui ont abattu Anouar el-Sadate en 1981, un premier ministre jordanien et d'autres personnalités au Moyen-Orient et ailleurs. Dès sa création en 1988 à Gaza par le cheikh Yassine, qui était un fanatique, le Hamas a toujours joué la politique du pire, pas seulement vis-à-vis d'Israël mais aussi vis-à-vis de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de l'Autorité palestinienne au moment des accords d'Oslo. Ces accords ont été conclus par un gouvernement israélien qui n'était pas d'extrême droite, par le tandem Yitzhak Rabin – Shimon Peres, soutenu par le parti de la gauche laïque Meretz et par les abstentions ou même par les votes favorables des députés arabes à la Knesset, et par l'OLP de Yasser Arafat, se transformant à partir du 4 mai 1994 en Autorité palestinienne. De 1993 à 1996, c'est-à-dire jusqu'à la victoire du candidat Netanyahou contre Peres, le Hamas a non seulement lutté contre les accords d'Oslo mais a perpétué des attentats monstrueux contre des civils dans les rues de Tel Aviv, de Jérusalem et d'autres villes d'Israël, de manière à choquer et à radicaliser l'opinion publique israélienne. C'est l'une des raisons expliquant la défaite de Shimon Peres. Je pense que l'histoire aurait été substantiellement différente s'il avait remporté les élections de 1996. Enfin, dans la charte du Hamas, qui n'a jamais été amendée, les juifs sont qualifiés de « singes » et de « porcs » et le judaïsme de « religion frelatée ». Si le Hamas, comme toute organisation fait de la politique et entretient des tactiques et des stratégies politiques, son ADN est de nature religieuse.
Je ne crois pas l'extension régionale du conflit pour deux raisons. Au sein de la Ligue arabe, qui réunit vingt-et-un États souverains et l'Autorité palestinienne, je dénombre environ trois tiers. Le premier tiers regroupe les États signataires des accords d'Abraham, dont les deux poids lourds que sont le Maroc et les Émirats arabes unis, et les États qui sont en paix avec Israël depuis de longues années et qui veulent le rester, l'Égypte et la Jordanie. Le deuxième tiers est composé des pays du front du refus, notamment la Syrie et l'Algérie. Enfin, le troisième tiers est composé d'États qui n'existent plus que sur le papier, comme la Libye ou la Somalie. Les États du front du refus n'ont pas la capacité de lutter contre Israël et d'ouvrir un autre front. La Syrie est exsangue et n'exerce sa souveraineté que par la volonté de Moscou. Quant aux États signataires des accords d'Abraham, je ne sais pas ce qu'ils décideront mais, si j'étais souverain chérifien du Maroc ou président des Émirats arabes unis, je réfléchirais à deux fois avant de m'en retirer. En effet, en contrepartie de la signature de ces accords, le Maroc a obtenu la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par les États-Unis et les Émirats arabes unis une escadrille de chasseurs bombardiers F-35 – c'est le seul pays de la région, hormis Israël, à disposer de cet appareil. Par ailleurs, les Émirats arabes unis bénéficient de services, de matériels, de renseignements et accessoirement de touristes israéliens en très grand nombre et de très grande qualité. Pour toutes ces raisons, je ne crois pas à l'extension du conflit.
De son côté, le Hezbollah a démontré au cours des trois dernières guerres entre le Hamas et Israël que son agenda était essentiellement libanais. Il obéit à Téhéran qui est d'une façon ou d'une autre derrière le Hamas et peut-être même derrière la « boucherie » du 7 octobre. Le Hezbollah souhaite faire du Liban un État inféodé à Téhéran et profondément chiite. Son problème n'est donc pas la survie du Hamas et encore moins la bande de Gaza. J'ajoute que pendant la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, le Hamas n'était intervenu que de manière symbolique. Je reprends là le concept fondamentalement géopolitique de mon maître le grand géographe Yves Lacoste : celui de représentation. J'essaie d'adopter les représentations de ceux dont j'essaie d'analyser le comportement géopolitique. Si j'étais le chef du Hezbollah, je réfléchirais à deux fois. Le gouvernement israélien se sent tellement libre de frapper de manière tellement forte en riposte aux attaques du 7 octobre, qu'il n'aura aucune hésitation à casser les infrastructures et à éliminer de nombreux membres du Hezbollah.
Je pense également que ce gouvernement israélien est frappé, le terme n'est pas très heureux, du syndrome Golda Meir. Si en 1973 les renseignements militaires israéliens ont failli, il y a eu aujourd'hui une erreur beaucoup plus grave dont le gouvernement sera comptable quand une commission d'enquête se mettra en place. Contrairement à certains pays, en Israël les commissions d'enquête ne servent pas à enterrer les problèmes. Elles font fréquemment chuter des gouvernements, y compris les plus prestigieux. Benyamin Netanyahou et son gouvernement seront vraisemblablement comptables d'une politique qui a échoué soit par naïveté vis-à-vis de la stratégie du Hamas, soit par surcroît d'intérêt sécuritaire pour les colonies de peuplement en Cisjordanie. En effet, plusieurs régiments avaient été appelés pour les protéger pour les fêtes de Simhhat Torah, le dernier jour de Souccot. S'il s'avérait que ce premier ministre s'était fourvoyé sur l'un ou l'autre de ces éléments ou sur les deux, nous serions face à une affaire d'État comme il n'y en a jamais eu en Israël.
Enfin, je continue moi aussi à entendre, quand est évoquée la solution à deux États, le ricanement mauvais de ceux qui considèrent le pessimisme comme une forme de réalisme et le réalisme comme une forme de pessimisme, l'un et l'autre étant intrinsèquement confondus. Il n'y a pas d'alternative à la solution des deux États. À ceux qui me disent que c'est impossible et que je dois regarder la carte, je réponds qu'au moment où le nationaliste ombrageux Menahem Begin est arrivé au pouvoir en 1977, il y avait 8 implantations israéliennes dans le Sinaï. Un an plus tard la paix a été signée et les implantations ont été évacuées quatre ans après. La paix de Camp David reste l'une des plus solide du Moyen-Orient. En 2005, le premier ministre Ariel Sharon, rarement considéré comme une colombe, a décidé le retrait de la bande de Gaza en tordant le bras du Likoud et au camp nationaliste israélien. En deux semaines, soit en moins de temps que celui réclamé par l'état-major, sans guerre civile, sans que le sang coule, il a évacué les vingt implantations de la bande de Gaza. C'est pourquoi je reste optimiste sur la solution des deux États, même si sa mise en place est de plus en plus difficile. Nous ne savons pas quelle sera la nature d'un prochain gouvernement israélien, ni de quelle manière l'Autorité palestinienne, sous l'égide d'un autre président, se comportera, ni si les Européens prendront leurs responsabilités comme nous sommes plusieurs à la souhaiter, mais il faut que nous restions fixés sur cette boussole.
Si l'Union européenne ne s'implique pas, elle prendra devant l'histoire l'écrasante responsabilité d'avoir laissé à d'autres le soin d'orienter le Proche-Orient selon leurs valeurs. Les valeurs de messieurs Trump, Poutine ou Xi Jinping ne sont, me semble-t-il, pas les meilleures pour le Proche-Orient.
Je vous remercie pour votre magnifique analyse. Nous sommes nombreux à vous suivre sur le caractère totalitaire et terroriste du Hamas. Chacun a pu également apprécier votre analyse relativement optimiste sur les extensions du conflit. Certains ont comparé le 7 octobre 2023 avec le 11 septembre 2001. Un de mes amis me disait que la comparaison était pertinente mais aussi dramatique au regard de la manière dont les Américains ont sur-réagi de manière maladroite et inopportune. Il faut éviter une sur-réaction. Pour tout homme d'État responsable, il me paraît raisonnable de penser que les options d'extension du conflit ne sont pas les bonnes. Enfin, beaucoup considèrent que la solution des deux États appartient au passé mais je crois qu'on ne détruit que ce que l'on remplace et je constate qu'aucune autre solution n'est venue remplacer cette idée.
J'invite maintenant Dominique Moïsi à nous livrer son analyse toujours pertinente, équilibrée et stimulante.
Je vais essayer de compléter les présentations de mes prédécesseurs en traitant le thème du traumatisme du passé, des avertissements du passé et des défis du présent et du futur.
Pour comprendre la sidération devant des enfants décapités, des femmes violées puis égorgées, il faut remonter à un poème constitutif de l'État d'Israël, le « Massacre des innocents », écrit après le massacre de Kichinev en 1903. C'est l'une des raisons de la fondation de l'État d'Israël. Une autre image est essentielle pour la compréhension de notre débat, celle de cet enfant terrorisé dans le ghetto de Varsovie, qui ne sait combien d'heures il lui reste à vivre. Israël a été créé pour éviter que les enfants juifs se retrouvent dans une situation où leur vie ne tiendrait qu'à un fil et où ils pourraient être massacrés.
Pour la première fois depuis la création de l'État d'Israël, un pogrom d'une particulière sauvagerie a eu lieu sur la terre qui était censée éviter la répétition de ce type de situation. Le mur qui a été construit pendant des années apparaît rétrospectivement comme une sorte de ligne Maginot tragique, qui a défiguré le paysage et qui n'a pas protégé Israël. C'est le traumatisme du passé. En 1995, j'ai été invité par Shimon Peres à m'exprimer devant la Knesset. J'ai dit que le problème des relations entre Israël et les Palestiniens ne serait réglé que lorsque les Israéliens transcenderaient la Shoah et que les Palestiniens l'intégreraient. Personne n'est allé dans cette direction. Quand je vois les événements d'aujourd'hui, je pense avec intensité à Yitzhak Rabin. J'avais le privilège de rencontrer assez régulièrement quand il était de passage à Paris au début des années 1990. Il a dit, au moment des accords d'Oslo, « il faut négocier la paix comme s'il n'y avait pas de terroristes, il faut lutter contre les terroristes comme s'il n'y avait pas de négociations de paix ». Cette approche, qui me paraît indispensable, est-elle encore possible ?
Les accords d'Oslo comportaient des parties secrètes. Le statut des réfugiés était négocié à Rome et celui de Jérusalem à Paris. J'ai participé à ces réunions, j'en ai modéré certaines, et j'ai un souvenir très fort des relations humaines entre les deux délégations. Elles étaient en désaccord sur tout toute la journée mais le matin et le soir, aux repas, c'étaient des cousins : ils se prenaient dans les bras, ils s'embrassaient. Ils étaient peut-être marginaux dans leurs sociétés respectives mais ils représentaient un idéal, un moment d'espoir, qu'il n'est peut-être pas possible de recréer.
Au-delà des traumatismes du passé, il y a aussi les avertissements du passé. La comparaison avec le 11 septembre 2001 me paraît très juste. Cependant, les 3 000 victimes américaines des attentats du 11 septembre 2001 représenteraient l'équivalent de 44 000 morts en une journée pour Israël.
Ce sont des chiffres macabres mais il est important de les avoir en tête pour comprendre l'intensité du traumatisme. Les États-Unis avaient sous-réagi avant le 11 septembre ; ils ont sur-réagi après. Le 10 septembre 2001, l'Amérique était infiniment plus forte que le 7 octobre 2023. Une multiplication de guerres malheureuses, d'aventures mal préparées au Moyen-Orient, a permis à la Russie de retrouver une ambition agressive et à la Chine d'accélérer sa volonté de puissance. Il y a aujourd'hui moins d'Amérique, non pas du fait du 11 septembre 2001 mais de sa sur-réaction au 11 septembre. C'est un avertissement majeur car le Hamas veut entraîner Israël sur le chemin suicidaire qui a été celui des États-Unis. Mais si l'Amérique peut perdre une guerre, ce n'est pas le cas d'Israël. Je vous rappelle que l'ensemble du monde juif, entre 15 et 16 millions de personnes, représente l'erreur statistique dans le calcul de la population chinoise.
Il faut donc être conscient des erreurs massives qui ont été commises. Je fais partie de ceux qui, depuis 1973, considèrent qu'Israël ne pourra pas survivre à long terme s'il n'y a pas de solution au problème palestinien. C'est un objectif vital, absolu. Israël a été victime au cours des derniers mois et des dernières années, d' hubris, ce mot grec qu'on retrouve chez Thucydide dans « La guerre du Péloponnèse ». L' hubris était déjà présente en 1973 au moment de la guerre du Kippour. Toutes les données étaient sur la table, les Américains avaient transmis les informations mais personne n'y croyait ; ce n'était pas possible, les Égyptiens ne seraient pas capables de traverser le canal de Suez. Le même schéma s'est répété avant le 11 septembre 2001 et avant le 7 octobre 2023. À cette hubris, s'est greffée une évolution politique catastrophique. Les Israéliens ont donné la priorité à leurs divisions internes. Or, on ne songe pas à refaire les structures d'une maison quand le feu couve à ses portes. C'est pourtant ce qu'il s'est passé. La rave party à quelques kilomètres de Gaza est un résumé émotionnel de tout ce qui s'est passé : la rave d'un côté, la rage de l'autre.
Israël doit aujourd'hui combattre le Hamas avec toutes ses forces et prendre conscience que sa priorité est de rechercher une solution au problème palestinien. Je ne sais pas si c'est émotionnellement envisageable, je n'en suis pas sûr du tout. Je suis moins optimiste que Frédéric Encel. Les États n'agissent pas nécessairement en fonction de leurs intérêts ; ils se laissent entraîner par les passions. Le risque d'un dérapage, le risque que la guerre s'étende sont réels. Si ce n'est pas le scénario le plus probable, ce n'est pas non plus un scénario que l'on doit négliger. La guerre peut s'étendre car des parties ont intérêt à ce qu'une nouvelle guerre obsède le monde occidental et détourne ses yeux de la guerre en Ukraine. Il y a une alliance objective entre, d'un côté, la Russie et l'Iran et, de l'autre, les États-Unis et Israël.
Il est important de passer des émotions, qui sont fondamentales pour comprendre ce qu'il s'est passé et ce qui va se passer, aux enjeux géopolitiques.
Je vous remercie tous les trois pour ces éclairages fondamentaux. Quelles sont les options, à très court terme, du gouvernement israélien ?
Je crois que la réponse figure sur la première page du livre d'Henry Kissinger sur la Chine. Il décrit la réunion, en octobre 1961, entre Mao Tsé-toung et ses principaux généraux, à la veille d'une nouvelle guerre entre la Chine et l'Inde. Mao dit à ses généraux que la Chine va faire comme l'empereur Lao Tseu au XIIe siècle avant Jésus Christ – Kissinger est fasciné qu'une référence historique d'une telle antériorité puisse être utilisée par les généraux chinois – : Mao annonce que la Chine va entrer avec toutes ses forces dans le territoire, atteindre ses objectifs et de retirer immédiatement.
Israël veut détruire la branche armée du Hamas et son administration en faisant le moins de victimes possibles. Je suis conscient du côté irréaliste de la conjonction de ces deux objectifs. Quand les forces d'Israël vont entrer, le pouvoir devra savoir quand elles en sortiront.
Je crains que le Hamas ait ôté toute alternative à n'importe quel gouvernement israélien. Le Hamas n'a pas perpétré une attaque mais un pogrom. Il y a donc un changement de paradigme.
Je mesure très bien le caractère impossible de ma question mais cette impossibilité doit être constatée.
Militairement, Israël doit détruire le Hamas. En revanche, je ne sais pas comment on détruit le Hamas politiquement, mais il faut faire en sorte qu'il ne soit plus au pouvoir à Gaza. La question essentielle est : que fait-on après ? Le gouvernement n'a aucune chance d'avoir une vision claire de ce qu'il pourrait faire politiquement et diplomatiquement. La classe politique israélienne est dans un désarroi complet. Même s'il est demain remplacé par un gouvernement de centre droit ou de centre gauche, celui-ci n'aura pas les moyens d'imaginer tout seul une stratégie politique permettant de résoudre définitivement le problème.
C'est la raison pour laquelle, à travers vous, je m'adresse à la France et à l'Europe. Il faut nous aider. Si vous nous laissez seuls, nous n'avons pas de solution. Il faut nous accompagner, y compris de manière ferme. Nous ne sommes pas la Corée du Nord ; nous ne pouvons pas vivre seuls. La communauté internationale a les moyens de nous contraindre à y voir clair. Il faut absolument que ce territoire soit pris en charge et qu'une feuille de route claire donne aussi de l'espoir à cette population.
J'ai parfaitement compris votre message et je suis certain que le président de la République française le comprendra et en tirera un certain nombre de conséquences.
Je serai à Paris au mois de novembre avec deux de mes collègues du monde diplomatique et sécuritaire et je compte rencontrer autant de personnalités que possible. J'aurai la chance d'être reçu par le président de la République et je martèlerai mon message pour que la France et l'Europe se réveillent, sinon nous sommes fichus. Nous n'avons pas les moyens de nous sortir seuls de cette situation.
Je partage ce constat et l'inquiétude liée à ce constat. Je donne maintenant la parole aux porte-parole des groupes.
Je vous remercie tous les trois d'être avec nous aujourd'hui. Monsieur Moïsi, vous avez fait référence au poème de Haïm Nahman Bialik sur le pogrom de Kichinev. Alors qu'on fait des comparaisons historiques avec la guette du Kippour ou le 11 septembre 2001, je crois qu'avec son lot de massacres d'enfants, de personnes âgées, de barbaries terroristes, de viols, ce sont aux images qu'on pensait dépassées d'un pogrom auquel nous sommes malheureusement en train d'assister en direct.
Au nom du groupe Renaissance, je tiens à exprimer notre solidarité et notre soutien absolus aux Israéliens face au terrorisme. J'ai aussi une pensée pour les familles françaises endeuillées et je rappelle, qu'Israël, en tant que démocratie, a bien sûr, en vertu du droit international et de l'article 51 de la Charte des Nations Unies, le droit et le devoir de défendre ses citoyens.
L'analyse du contexte n'empêche pas la clarté morale qui nous impose de nommer les choses. « Mal nommer les choses est ajouter au malheur du monde », disait Albert Camus. Nous sommes ici face au terrorisme islamiste. Les terroristes du Hamas qui tuent les Israéliens le font aux cris « d'Allah akbar » et de « mort aux juifs ».
C'est sur la solution politique et le contexte géopolitique que je veux vous interroger. Quels sont les rôles de l'Iran et de la Russie, cette dernière ayant bien sûr intérêt à ce que nous détournions les yeux de l'agression contre l'Ukraine ? Que pensez-vous de l'aide internationale à l'Autorité palestinienne qui a fait débat ces derniers jours ? Cette aide est-elle détournée et doit-elle faire l'objet d'une révision ? Quel est l'avenir du leadership palestinien ? À côté du Hamas il y a aussi la question de l'Autorité palestinienne et d'un président très vieillissant, Mahmoud Abbas.
Il y a des intérêts communs entre l'Iran et la Russie, qui veulent éviter qu'un ordre américain se réinstaure au Moyen-Orient à l'occasion de cette tragédie. Ils proposent un contre ordre : le désordre. Les Chinois, qui affirment avoir réussi à rapprocher l'Iran et l'Arabie saoudite, ce qui est faux, considèrent que tout le monde a échoué et qu'il leur appartient d'essayer de faire la paix. C'est une manière de dire que l'heure de l'Amérique est passée. Mais si l'heure de l'Amérique est passée, c'est la Russie et l'Iran qui imposent le désordre au Moyen-Orient.
Par ailleurs, je ne crois pas qu'il faille interrompre brutalement l'aide de l'Union européenne aux Palestiniens, mais il est évident qu'il faut veiller à ce que cet argent n'arrive pas au Hamas. Je suis pour la voie médiane et je condamne les propos du commissaire hongrois qui voulait tout arrêter. Je partage l'approche de Josep Borrell, que j'aurais formulée de manière un peu plus musclée.
Sur le leadership palestinien, je laisse Frédéric Encel et Élie Barnavi vous répondre.
L'Autorité palestinienne est en dessous de tout. Cela n'excuse en rien l'impéritie du gouvernement israélien actuel. J'ai fait l'essentiel de mes études universitaires sur place, j'ai parlé à des milliers de Palestiniens et la quasi-totalité d'entre eux détestaient l'Autorité palestinienne. Ils détestaient même Yasser Arafat et n'ont aujourd'hui que mépris pour Mahmoud Abbas. Tout d'abord parce que cette Autorité palestinienne n'a pas réussi à débloquer la situation et à leur apporter politiquement un mieux ; ensuite parce qu'elle est corrompue. Je ne suis pas certain que les Européens puissent y faire grand-chose, sauf peut-être à manier « carottes et bâton » sur un certain nombre de problématiques liées à l'argent que nous consacrons aux Palestiniens.
Sur la Russie, M. Poutine mène une politique et une stratégie, y compris au Proche-Orient, très excessivement cynique. Mais elle a laissé l'État d'Israël interdire à l'Iran de s'installer durablement, avec des bases militaires à l'Est du plateau du Golan et au Sud de la Syrie. À partir de la reculade, à mon sens désastreuse, d'Obama en 2013, les Russes se sont installés et auraient pu gêner davantage les opérations israéliennes. Je ne suis pas certain que cette politique se poursuive mais, jusqu'à présent, la Russie permettait à Israël de gêner l'Iran.
Enfin, je pense que nous avons intérêt à soutenir encore davantage les États arabes sunnites modérés, c'est-à-dire le Maroc, l'Égypte et les Émirats arabes unis.
Je suis d'accord avec tout ce qui vient d'être dit, notamment sur le délabrement de l'Autorité palestinienne. Il nous faut cependant la remettre en selle car il n'y a pas d'alternative pour prendre la suite du Hamas dans la bande de Gaza.
Nous avons assisté ces derniers jours à des événements d'une extrême gravité, perpétrés par un groupement terroriste animé par un fondamentalisme islamiste radical. Ces crimes relèvent de la pire barbarie. Les faits constatés sont autant de transgressions immorales, inacceptables et révoltantes des règles internationales précisées par les quatre conventions de Genève. La lâcheté qui consiste à s'en prendre à des populations civiles innocentes, à les massacrer dans des conditions innommables, à les prendre en otage pour en user de la manière effrayante que l'on sait, cette lâcheté ne devrait souffrir d'aucune minimisation. Il est parfaitement souhaitable qu'Israël puisse éradiquer le Hamas, afin que cette organisation terroriste ne puisse définitivement plus se livrer à de tels crimes.
Nous notons et déplorons que le Hamas s'acharne non seulement sur les populations juives parce que juives, mais qu'il prend aussi en otage les populations gazaouies contre leur gré, avec une grande violence et avec un cynisme qui contredit certaines de ses déclarations de défense des Palestiniens. Le Hamas ne veut pas d'une solution à deux États : le Hamas veut la disparition pure et simple de l'État d'Israël. On est loin des aspirations à la paix telles qu'elles existent parmi les hommes de bonne volonté de chaque communauté, telles qu'elles se manifestèrent autrefois par les accords d'Oslo, en septembre 1993.
Plus récemment, quel que soit le caractère contestable de certaines de leurs dispositions, les accords d'Abraham, en septembre 2020, participaient d'un retour au-devant de la scène d'aspirations pacifiques de part et d'autre. Nous n'en sommes plus ce point, hélas. Aujourd'hui, bien que la situation commande de conserver du sang froid autant que possible, cela passe par un soutien indéfectible à Israël dans sa volonté de faire disparaître le Hamas, tout en en protégeant les populations de part et d'autre.
Sur le plan national, le Rassemblement national ne peut s'empêcher de rappeler qu'il faut mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour que ce conflit ne soit pas importé en France. La protection de nos compatriotes juifs, la lutte contre l'apologie du terrorisme islamiste, la maîtrise des flux migratoires dont la France et les Français sont les victimes, sont des préalables indispensables pour éviter d'accroître les tensions que nombre d'extrémistes souhaiteraient faire exploser sur le sol national.
Madame Ménache a dressé un certain nombre de constats et exprimé des convictions davantage qu'elle n'a, me semble-t-il, posé de questions à nos intervenants. Si aucun d'entre vous ne souhaite réagir, messieurs, je donne la parole à l'oratrice suivante.
Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir organisé cette table ronde. Au nom de mon groupe, je veux d'abord redire que nos pensées vont aux familles et aux proches des civils israéliens et palestiniens qui ont été tués, aux otages et aux portés disparus, avec une pensée particulière pour nos compatriotes.
La France insoumise condamne tous les crimes de guerre. Ils sont passibles, je le rappelle pour mes collègues, de la Cour pénale internationale. Mais les bombes qui tombent sur Gaza ne sont pas plus acceptables que les atrocités du Hamas. Le siège total de Gaza est une violation du droit international, rappelé encore récemment par l'Organisation des Nations Unies (ONU). Depuis le début du conflit, les organisations non gouvernementales (ONG) et l'Organisation mondiale de la santé réclament un couloir humanitaire et le respect du droit international. Plus de 260 000 personnes ont été contraintes de fuir leur domicile et près d'un demi-million de personnes n'ont pas pu recevoir de rations alimentaires cette semaine. Les frappes aériennes ont pour leur part endommagé les installations pour l'eau et l'assainissement.
Mes chers collègues, un seul message devrait parvenir du concert des nations en cette heure si grave, comme l'ont fait le secrétaire général de l'ONU, l'Irlande, la Suisse, l'Espagne, la Norvège, le Mexique et tant de pays : il faut appeler au cessez-le-feu !
Comprenez alors que nous sommes inquiets depuis samedi, puisque nous observons que la diplomatie française rompt avec son positionnement historique, en s'alignant de façon unilatérale sur le gouvernement d'extrême droite israélien. Pas un appel aux cessez-le-feu n'est édicté et le gouvernement aura mis cinq jours à prononcer le mot « paix ». Je le dis ici, nous devons renouer avec la tradition diplomatique qui a existé de Charles de Gaulle à Jacques Chirac, une voix de la France indépendante, qui exige le cessez-le-feu immédiat, agit pour le couloir humanitaire et travaille à la construction politique de la paix.
Je note que les trois intervenants se sont exprimés pour la solution des deux États et considèrent qu'il faut continuer à la promouvoir pour la paix. Nous partageons ces positions. Comment pouvons-nous relancer ce processus de paix pour aboutir à la solution des deux États ? Quelles mesures d'urgence préconisez-vous pour concrétiser le cessez-le-feu et faire cesser le cercle infernal de la violence et des crimes de guerre ? Enfin, puisque vous avez parlé, monsieur Moïsi, des défis du futur je voudrais terminer avec les mots du chercheur Xavier Guignard : « La question israélo-palestinienne participe à ces quelques poches à l'international qui nous obligent à nous demander quel monde on souhaite. Veut-on vivre dans un monde où la loi du plus fort domine ou dans un monde régi par un certain nombre de valeurs, où la vie humaine et la dignité sont préservées ? Quels discours opposer à la propagande de guerre ? Nous assistons à une fuite en avant d'un discours qui oppose le nous contre eux, sans qu'on comprenne très bien où se situe cette frontière à l'intérieur de notre humanité. »
Je pense que ce gouvernement israélien n'acceptera pas de revenir sur les rails d'un processus de négociation mais Israël étant une authentique démocratie ce sera, d'une part, à une commission d'enquête et, d'autre part, aux citoyens israéliens de décider. S'il leur semble bon de porter au pouvoir un gouvernement plus centriste, voire de centre gauche, qui souhaiterait revenir à un processus de paix, c'est tout à fait possible. La deuxième condition est de désarmer le Hamas au sens militaire, et non de l'éradiquer, car on n'éradique pas un mouvement qui joue un rôle social, religieux et éducatif et qui ne fait pas que du terrorisme.
Je partage complètement la position d'Élie Barnavi quand il dit que, en dépit de tous ses défauts, l'Autorité palestinienne est la seule interlocutrice légale et légitime vis-à-vis de la communauté internationale pour rétablir les conditions d'un processus de paix avec Israël.
En toute indépendance, je tiens à défendre la position du gouvernement français aujourd'hui, qui me paraît fidèle à ses principes d'hier. La France ne s'est pas alignée sur les États-Unis. Elle a suivi un fil, qui est celui des valeurs.
On ne peut pas mettre sur le même plan, comme vous l'avez fait, les crimes de guerre des Israéliens et des Palestiniens. On ne peut pas rester insensible au retour de la barbarie dans notre monde quand des enfants sont égorgés devant leurs parents ou avec eux. Vous avez cité monsieur Guignard, qui dit que nous choisissons le monde dans lequel nous allons vivre. Le monde dans lequel nous vivons n'est pas un monde où les enfants ont le droit d'être égorgés. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'exigence de justice. Celle-ci passe par l'existence d'un État palestinien aux côtés de l'État israélien. Mais l'urgence du moment, au nom des valeurs auxquelles vous vous référez, c'est précisément ne pas mettre sur le même plan les égorgeurs et les victimes civiles de Gaza.
Je crois que vos propos sont très largement, peut-être pas unanimement, partagés par les membres de la commission. Nous sommes tous sensibles à la légitimité du combat palestinien pour un avenir collectif passant par la création de leur État. En même temps, personne ici ne peut renvoyer dos à dos les Israéliens et les Palestiniens.
Le recours à l'horreur crée une situation profondément asymétrique et nous ne pouvons pas, je pense m'exprimer au nom de la très grande majorité de cette commission, mettre sur le même plan ces deux combats. L'horreur qu'a subie l'État israélien est absolument inadmissible. Pour le reste, il est vrai que la violence et la guerre sont partout, les États sont décevants, le monde international n'est pas celui que nous souhaitons, mais nous avons touché quelque chose qui dépasse l'entendement, qui dépasse l'admissible.
Je vous remercie monsieur le président pour votre intervention. Vous avez dit, à juste titre, qu'elle retraçait la majorité de l'opinion de cette commission. J'ai également bien noté les propos extrêmement forts de monsieur Moïsi. Je ne doute pas que madame Panot relaiera ce vous avez dit. J'ajoute, chère collègue, que je ne pense pas que vous soyez la meilleure experte pour nous donner des leçons de gaullisme en citant le général de Gaulle ou Jacques Chirac. Vous me permettrez de vous dire cela compte tenu des positions qui ont été les vôtres sur cette affaire et de vos efforts désespérés pour essayer de revenir sur vos déclarations initiales et celles de votre groupe.
Je salue mon ami Frédéric Encel que j'ai la chance de compter comme administré dans ma commune. Je voudrais également dire à monsieur Barnavi qu'il a été un très grand ambassadeur et que j'ai beaucoup de souvenirs, en tant que député-maire de Maisons-Alfort, de son action.
J'ai beaucoup apprécié les propos de l'ensemble des intervenants, vous nous avez aidés à prendre en compte toutes les dimensions, historiques, philosophiques, géopolitiques des événements. Je tiens à exprimer la solidarité du groupe Les Républicains à nos amis d'Israël, aux amis du peuple d'Israël face à ces actions absolument inqualifiables. Nous sommes tous de la génération d'après la Shoah et nous espérions ne jamais revoir ces images absolument terribles de la barbarie la plus inacceptable.
Je voudrais aussi exprimer notre solidarité vis-à-vis de toutes les victimes, de toutes ces familles endeuillées, et vis-à-vis de toute la communauté juive française qui est extrêmement éprouvée.
Enfin, je demande à nos trois intervenants quel est l'horizon politique ? Quels sont les voies et moyens d'une solution à deux États ? Vous avez tous les trois dit qu'il n'y avait pas d'alternative. Vous avez une grande confiance dans l'Europe, plus que certains d'entre nous. Que peut faire l'Europe, quel rôle politique peut-elle jouer ? Quelles sont les options du gouvernement israélien actuel ou du futur gouvernement d'union nationale ? Quel est l'avenir des accords d'Abraham, qui ont représenté un changement politique considérable ? Enfin, quel est le rôle de l'Iran ?
Le gouvernement d'union nationale qui se prépare n'a d'autre objectif que la guerre ; il n'a pas de plan. Cette formule a été imaginée pour la gestion du conflit parce que certains ne font pas confiance à l'équipe en place aujourd'hui. Si vous demandez à la droite religieuse ou nationaliste comment ils voient l'avenir avec cinq millions de Palestiniens, ils n'ont de réponse. Seuls les ultrareligieux, les messianiques, répondent que « Dieu y pourvoira ».
C'est la raison pour laquelle je lance cet appel pathétique à l'Europe. Elle doit effectuer le travail que les Américains auraient dû faire depuis longtemps ; je me suis largement expliqué sur ce sujet.
Il faut dessiner un cadre d'action, par exemple avec une nouvelle déclaration de Venise, comme celle de 1980, exposant les principes de l'Europe, sa feuille de route et sa volonté de la faire respecter puisqu'il y va de ses intérêts et de ses valeurs. Ce serait un début pour mettre le gouvernement israélien au pied du mur et lui montrer qu'il y a d'autres acteurs, qui ont l'intention d'être respectés.
L'alternative est de sortir de ce bain de sang à Gaza comme nous y sommes entrés, avec un Hamas largement affaibli et meurtri mais qui recommencera dès qu'il aura reconstitué ses capacités militaires.
Nous sommes dans un cycle sans fin, dont on ne peut sortir que par la diplomatie et la politique. C'est ce à quoi j'invite les Français et les Européens. Je sais que ce n'est pas facile. Je sais aussi que le président de la République française le ressent très profondément. Vous avez d'autres sujets à gérer, comme l'Ukraine mais le problème est le même partout. Ce sont de grosses violations du droit international, des droits humains, et vous ne pouvez pas dire que vous vous occupez d'un problème en laissant un autre de côté, car ce dernier s'impose à nous, parfois de la manière absolument incroyable à laquelle on vient d'assister.
Je crois que si nous voulons relancer le couple franco-allemand, si nous voulons permettre au Royaume-Uni, quand le labour reviendra au pouvoir dans quelques mois, de se rapprocher de l'Europe, le conflit du Moyen-Orient est le sujet parfait. Pour des raisons historiques, ces trois pays ont une responsabilité particulière et des intérêts particuliers. Essayons de faire progresser l'Europe en faisant progresser la paix. Rappelez-vous la fameuse formule de Paul Féval « si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ». Si vous ne vous occupez pas du Moyen-Orient, le Moyen-Orient s'occupera de vous.
Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir si rapidement organisé cet échange avec trois intervenants d'une immense qualité, que je remercie à la fois pour la clarté de leurs propos qui ont éclairé notre commission et pour les quelques raisons d'espérer qu'ils nous ont données. Après l'effroi et la sidération qui nous ont saisis samedi matin, chaque jour nous découvrons l'horreur de la barbarie et ce qu'elle signifie pour les Israéliens, les Palestiniens et l'ensemble de la communauté internationale.
Au nom du groupe Démocrate, je tiens à redire avec la plus grande force notre condamnation totale de ces attaques terroristes, qui ont fait un nombre de victimes qui ne cesse d'augmenter.
Je voudrais également avoir une pensée pour les désormais dix ressortissants français qui ont été tués ainsi que pour l'ensemble de leurs proches et de leurs familles et pour celles des otages.
La France ne s'est pas alignée sur le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Elle a simplement rappelé ce que devait être la réaction d'une démocratie par rapport à l'inhumanité, parce qu'aucune justification n'existe au terrorisme.
Ma première question s'adresse à monsieur Barnavi. Sur la réaction de la société israélienne, vous évoquez à la fois la mise en place d'un gouvernement d'union nationale et en même temps la création d'une commission d'enquête mettant en cause le gouvernement Netanyahou. Comment imaginez-vous les prochains mois sur le plan de la politique israélienne ?
La deuxième s'adresse à Frédéric Encel. Vous avez rappelé que le Hamas était le premier ennemi du peuple palestinien. Quel rôle pourrait jouer le peuple palestinien, alors que l'Autorité palestinienne est totalement décrédibilisée, dans l'extermination du Hamas ?
Enfin, monsieur Moïsi a évoqué l'alliance objective de la Russie et de l'Iran. Quel est le rôle des gardiens de la révolution en Iran ?
Avant le 7 octobre, la société israélienne était extrêmement divisée, je pense que vous avez suivi les manifestations monstres du samedi soir. Il y avait même un état de guerre civile latente. Depuis, les rangs se sont resserrés, avec un formidable élan de cohésion nationale. Tant que les combats se poursuivront, il n'y aura pas de politique normale. J'espère que l'une des conséquences de cette affaire sera l'affaiblissement, aux yeux de l'opinion publique, du camp messianique, ultranationaliste et ultraorthodoxe et que nous retrouverons le chemin d'une politique plus sensée.
Une fois le Hamas désarmé, il faudra tout faire, pour aider politiquement, financièrement et militairement l'Autorité palestinienne à revenir dans la bande de Gaza, d'où elle a été chassée par un putsch du Hamas en 2007. Par ailleurs, le gouvernement israélien devra immédiatement entamer tout ou partie de l'évacuation de la zone B établie par les accords d'Oslo. Elle regroupe 260 villages palestiniens dans lesquels les Israéliens ne voudront jamais retourner. Enfin, il faudra se mettre autour d'une table de négociation avec un délai d'un an pour parvenir à une solution à deux États sur la base d'une rectification de frontières. J'insiste sur ce délai d'un an car les accords d'Oslo avaient, entre autres, péché par naïveté vis-à-vis des extrémistes des deux camps. Les négociations avaient duré trop longtemps, permettant à ces extrémistes de torpiller le processus de paix.
Les gardiens de la révolution ont pour rôle d'éviter tout changement de régime. Ils ont la fonction à l'intérieur qu'aurait une bombe atomique à l'extérieur. Ils ont retenu la leçon de l'effondrement du shah, qui n'a pas tiré sur la foule. Ils n'hésitent pas à tirer sur les femmes, sur la foule. Ils veillent à ce que le régime toujours plus fragilisé, toujours plus impopulaire, continu de survivre. Il finira pourtant par disparaître.
Je partage l'intégralité des propos de nos trois intervenants. Les événements du 7 octobre sont inédits, à la fois par leur ampleur et par leur nature. Des femmes, des enfants, des hommes, des vieillards ont été assassinés, massacrés parce que juifs. Nous sommes au-delà de ce qui est « acceptable » dans une zone de guerre. Nous sommes dans une forme de terrorisme aveugle, qui est impardonnable.
Je suis convaincu qu'il n'y aura pas de paix durable sans État palestinien et sans garanties de sécurité pour l'État d'Israël. Pour arriver du point A au point B, il faut passer par un point A' et éviter une surenchère. C'est le piège tendu par le Hamas. Celui-ci savait très bien quelle serait la réaction d'Israël, que Netanyahou prendrait la décision d'une riposte brutale qui offrirait des images d'une violence inouïe, lui permettant de ramener vers ses thèses la rue arabe. Le Hamas n'a que faire des Palestiniens, il poursuit un objectif que chacun a décrit avant moi.
Comment fait-on pour que la France et l'Europe évitent cette surenchère parce qu'elle condamne, au moins à court terme, toute possibilité de négociation. Je n'imagine pas les Israéliens et les Palestiniens revenir à une table de négociation après des semaines, des mois ou des années d'une guerre longue, douloureuse, qui fera beaucoup de victimes et empêchera toute réconciliation.
Vous avez dit que l'Autorité palestinienne était la seule interlocutrice mais chacun sait dans quel état elle se trouve. D'une manière générale, on fait toujours la paix avec ses ennemis. Il faut donc savoir quels sont ses ennemis et identifier ceux avec lesquels on peut faire la paix.
Vous avez tout à fait raison mais Israël ne peut pas faire la paix avec le Hamas. Elle doit faire la paix avec l'adversaire, l'Autorité palestinienne.
Je ne faisais aucune objection à votre discours, j'essayais juste d'en prolonger la logique.
Je suis tout à fait d'accord avec monsieur Faure. Ce qui me paraît difficile, c'est qu'on ne recrée pas ce qui est mort. Si on le fait, ce sera artificiel et sous respiration assistée occidentale. Il me paraît donc difficile de ressusciter l'Autorité palestinienne. Je le souhaite car je ne vois pas d'alternative, mais je crains que ce ne soit pas très réaliste.
Le calendrier est le facteur clé. Les Israéliens vont continuer à bombarder la bande de Gaza et à en faire le siège, pour affaiblir les Palestiniens, les affamer. Ils interviendront au sol quand ils se sentiront prêts. Ce ne sera pas nécessairement dans les jours qui viennent mais peut-être dans les prochaines semaines. La situation est un peu comme celles du Moyen-Âge, où l'on affamait les assiégés en attendant qu'ils tombent d'eux-mêmes, plutôt que de partir à l'assaut. Sur le plan de l'opinion publique internationale, ce ne sera pas facile. Les pressions vont basculer. Pour le moment, elle est dans l'indignation de la barbarie ; demain, elle zappera car elle n'est pas très sérieuse et parce qu'elle a des émotions sélectives et successives. Le temps stratégique d'Israël est long, son temps émotionnel est très court.
Il est très juste de dire qu'on ne fait la paix qu'avec ses ennemis. La condition du choix de l'ennemi doit être l'existence d'un plus petit dénominateur commun. Il n'existe pas avec le Hamas. C'est la raison pour laquelle, si Mahmoud Abbas est un problème, ce n'est pas forcément le cas pour l'Autorité palestinienne. Même si elle est moribonde, elle tient socio-économiquement, administrativement et même, dans une certaine mesure, sécuritairement, le moins mal possible, les zones A et B de Cisjordanie. Je pense qu'il faut la soutenir pour qu'elle réinvestisse militairement et administrativement la bande de Gaza, peut-être pas avec Mahmoud Abbas mais il y a derrière lui des hommes qui seraient prêts à le faire.
Proclamer la mort de l'Autorité palestinienne n'a pas grand sens. Elle est en mauvais état mais c'est une entité internationalement reconnue. Nous pouvons, si nous le décidons, lui redonner du souffle et du pouvoir. Pendant des années, la politique d'Israël a consisté à privilégier le Hamas et à déplumer, à humilier l'Autorité palestinienne. Si cela change, avec d'autres hommes, elle peut retrouver un rôle.
Je partage cette dernière position ; je trouve que Dominique Moïsi est fataliste. Cette Autorité palestinienne qui n'est portée par rien sinon par un vieillard, par de l'argent qui est utilisé on ne sait pas comment et par des élections qui ont eu lieu au début du siècle, doit pouvoir évoluer si nous nous y attelons sérieusement en créant les conditions d'une vraie sélection démocratique. Je ne dis pas que ce sera facile mais nous devons essayer.
Je précise que je m'exprime ici en mon nom propre et non au nom du groupe Écologistes et apparentés. Je me souviens d'un ancien premier ministre, auquel j'en avais beaucoup voulu, qui avait dit expliquer c'est déjà vouloir un peu excuser.
J'en ai beaucoup voulu à cet ancien premier ministre parce que je crois que le travail de chercheur consiste justement à expliquer, même face à l'horreur absolue que nous avons vécue. Monsieur Barnavi, j'ai lu votre interview dans Le Monde, dans laquelle vous dites que ce qu'il s'est passé est la conjonction d'une organisation fanatique et d'une politique imbécile d'Israël. Vous apportez des explications, comme Frédéric Encel, comme Dominique Moïsi, comme vos collègues chercheurs quand ils montrent que la politique israélienne contribue à la radicalisation de tant de jeunes.
Vous avez dit, monsieur Moïsi, que la France était fidèle à sa politique, mais qu'a-t-elle fait depuis des années ? Quelle initiative a-t-elle prise face à la radicalisation, face à une Autorité palestinienne qui n'existe quasiment plus et au renforcement de la colonisation et du morcellement des territoires de Cisjordanie ? Il y a vingt ans, quand j'allais en Cisjordanie, les Palestiniens me disaient déjà que l'Autorité palestinienne était corrompue. Une relève au Fatah est-elle possible ?
Enfin, je vous remercie de nous avoir redonné espoir sur la solution à deux États. Je commençais à désespérer et je m'étais laissé convaincre qu'avec un tel morcellement, ce n'était plus possible. Notre collègue Nadia Essayan, ancienne députée palestinienne, avait dit à la tribune de l'Assemblée nationale sous la précédente législature qu'elle n'y croyait plus et qu'elle envisageait une solution avec un État binational ou une autre option.
Je pense que vous avez raison, il y a eu une démission de la France, une lassitude, un affaissement de sa politique au Proche-Orient. J'ai parlé avec de nombreux diplomates français : aucun n'y croit. La France n'a pas changé de position mais semble avoir renoncé à la défendre.
Je raconte dans un livre mon expérience au Quai d'Orsay, à l'Élysée, à Matignon et à l'Assemblée nationale, où on me disait que nous étions incorrigibles et qu'il n'y avait rien à faire avec nous. C'est contre ce découragement, contre cette démission que je m'insurge et que je voudrais secouer nos amis français. Ne lâchez rien car lâcher c'est ne pas porter secours à des peuples en danger. La France pourrait faire beaucoup de choses. Je retiens aussi la suggestion de Dominique Encel d'organiser un trio avec la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. C'est une très bonne idée ; on pourrait y ajouter d'autres pays comme l'Espagne. Ce serait le noyau d'une coalition de volontaires avec laquelle on pourrait commencer à travailler.
Nous avons en effet eu le sentiment que nous n'avions pas les moyens ni la légitimité pour intervenir dans le débat intérieur israélien qui prenait le tour que vous avez dénoncé. La mobilisation de la France avec d'autres forces européennes est un chemin sur lequel nous devons nous engager avec beaucoup de résolution.
Je vous remercie monsieur le président d'avoir organisé cette table ronde passionnante avec trois invités. Nous sommes bouleversés par la barbarie de ce pogrom organisé par le Hamas, que rien ne peut justifier. Loin de servir la cause des Palestiniens de Gaza, qui sont d'ailleurs pris en otage depuis tant d'années, les fanatiques mettent en péril Israël, la région, et la paix dans le monde. Israël a raison de vouloir anéantir cette organisation terroriste mais se pose une question fondamentale : comment anéantir cette organisation armée sans aboutir à un massacre de masse dans la bande de Gaza, qui forcerait les pays arabes de la région à rompre la politique des petits pas du processus d'Abraham et surtout qui creuserait encore le fossé entre la jeunesse palestinienne et Israël ?
Nous n'avons pas parlé aujourd'hui de deux situations. La première est celle de l'Égypte, qui est en grand péril, avec une situation économique désastreuse. S'il y a demain des dizaines de milliers de morts dans la bande de Gaza, quelle sera sa capacité à tenir ? La seconde est celle de l'Iran. J'ai retrouvé un communiqué de l'Agence internationale de l'énergie atomique du 28 février dernier qui détecte en Iran des particules d'uranium enrichi à 83,7 %, c'est-à-dire juste en dessous des 90 %. Quelle est la situation en Iran et quel est le risque d'une escalade dramatique ? La vraie question est comment peut-on anéantir le Hamas militaire tout en évitant un drame à Gaza ?
Comment peut-on donner une perspective d'avenir aux Palestiniens et leur éviter de n'avoir, comme seul défenseur, que le Hamas ? Je regrette que la France ait été très silencieuse par le passé. Je ne dis pas que c'était facile. Avant de compter sur l'Union européenne, qui s'est ridiculisée sur l'affaire des financements, je souhaiterais que la France exprime clairement sa position. C'est une étape indispensable pour que d'autres pays européens se joignent la démarche voulue par monsieur Barnavi et qu'il défend dans ses articles remarquables.
Depuis de longues années, on évoque un blocus israélien de Gaza. Or, il y a un blocus israélo-égyptien. Sans l'Égypte, dont le président maréchal al-Sissi craint comme la peste l'extension de ce conflit et les Frères musulmans, il n'y aura pas de solution. C'est d'autant plus important de mettre ce pays dans la boucle que la France entretient de très bonnes relations avec lui, comme avec la Jordanie et les Émirats arabes unis. Rares sont les pays à disposer d'atouts diplomatiques et militaires dans cette région.
Enfin, l'une des personnalités préférées des Palestiniens, Marwan Barghouti, est en prison en Israël, sans aucun doute pour de très justes motifs. Je suis de ceux qui considèrent qu'il pourrait peut-être faire l'objet d'une expulsion par les Israéliens, moyennant son engagement à lutter pour que l'Autorité palestinienne reprenne pied à Gaza. Ce pourrait être un début de solution pour l'après Mahmoud Abbas.
Les Égyptiens ne veulent pas être la solution aux problèmes israéliens ; ils ne veulent pas ouvrir leur frontière et accueillir de réfugiés. Les Israéliens sont peut-être en train de dire au Hamas qu'ils feront le siège de Gaza, en coupant l'eau, l'électricité et l'approvisionnement en nourriture, tant que celui-ci n'aura pas libéré les otages. Le Hamas a pris des citoyens en otages, Israël prend la population de Gaza en otage. C'est une forme de chantage, un jeu complexe, d'un cynisme dangereux, pour diviser la population de Gaza du Hamas.
Le blocus ne peut avoir que cette signification mais c'est un calcul complètement fou d'affamer deux millions et demi de personnes pour cinquante otages.
S'il y a des élections présidentielles dans les Territoires palestiniens, Marwan Barghouti est sûr d'être élu président. Il sera à ce moment-là difficile de le garder en prison. C'est une solution que les acteurs extérieurs peuvent suggérer au gouvernement israélien.
Après les orateurs des groupes, les collègues vont à présent intervenir à titre individuel.
Je remercie les trois intervenants pour leur expertise et pour l'optimisme dont ils font preuve. Je souffre pour Israël ; je souffre pour nos frères et nos sœurs juifs de France, attachés au seul État juif au monde. Quand nous voyons la barbarie, l'horreur absolue qui a un visage et qui s'appelle le Hamas, nous ne pouvons que condamner fermement et sans réserve ce qu'il s'est passé. Aujourd'hui, nous sommes dans la peine et dans l'indignation. Demain, nous devrons être dans la réflexion et la proposition. Toucher une démocratie telle qu'Israël, c'est mettre en danger l'équilibre du monde et laisser la place au terrorisme et aux dictatures. Quelles sont les pistes qui permettraient d'éviter à long terme un enlisement et une aggravation du conflit dans la région ? Quel rôle la France peut-elle jouer ? Comment éviter les répercussions au niveau national, notamment les actes antisémites ?
Monsieur Parakian, vous devriez être président de cette commission. Vous avez posé toutes les questions qui ont dominé ce débat, ce qui serait une excellente conclusion sous une forme affirmative et non interrogative. Je pense que nos invités se sont efforcés d'y répondre depuis le début de nos échanges et n'ont pas besoin de se répéter.
Je précise que personne au sein de notre parti ne renvoie dos à dos les victimes du massacre et les auteurs du pogrom. Nous disons simplement que le silence régulier, quasi permanent et de plus en plus assourdissant sur ce qu'il se passe au quotidien dans les Territoires palestiniens constitue la raison pour laquelle nous sommes incapables d'expliquer ce qu'il se déroule. J'ajoute que la notion de crime de guerre a été utilisée par Hubert Védrine, notamment parce que c'est une notion reconnue en droit international, qui permettrait de juger les auteurs des actes.
Je souhaite vérifier auprès de nos trois invités l'authenticité de deux citations. Est-il exact, comme l'a affirmé Haaretz il y a quelques jours, qu'en 2019, devant les députés du Likoud, Benyamin Netanyahou a dit : « Quiconque veut contrecarrer l'établissement d'un État palestinien doit renforcer le Hamas et transférer de l'argent au Hamas, cela fait partie de notre stratégie » ? Si c'est vrai, pouvez-vous la contextualiser pour éviter que nous l'interprétions ? Par ailleurs, le ministre d'extrême droite Bezalel Smotrich a-t-il dit, il y a quelques mois : « L'Autorité palestinienne est notre fardeau, le Hamas est notre chance » ?
Je ne peux pas répondre pour la citation attribuée à Bezalel Smotrich mais je confirme celle de Benyamin Netanyahou.
Je vous remercie messieurs de nous éclairer sur la situation israélo-palestinienne, qui concentre toute notre attention ces derniers jours. Depuis le plan de partage adopté par l'ONU en 1947, et plus d'un quart de siècle après les accords Oslo, le conflit israélo-palestinien a fait l'objet de nombreuses tentatives de relance du processus de paix, en vain. Les tensions n'ont cessé de croître au Proche ou Moyen-Orient, comportant majoritairement des peuples arabes, parfois divisés entre sunnites et chiites. Ces dernières années, le conflit israélo-arabe semblait s'apaiser depuis la signature des accords d'Abraham. Par ces accords, les représentants des Émirats arabes unis, du Bahreïn, du Maroc et Israël officialisaient la normalisation des liens diplomatiques. L'Arabie saoudite était également dans le processus de reconnaissance d'Israël. Cependant, le regain de tensions israélo-palestiniennes semble compromettre cette avancée diplomatique majeure au sein du Moyen-Orient.
Monsieur Encel, pensez-vous que nous devons craindre une remise en cause ou une abrogation de ce traité ? Des conflits du type de ceux lors du printemps arabe sont-ils à redouter ?
Hegel disait que les États n'ont que des intérêts, en général à court terme et au sein de leurs propres frontières ou à leurs frontières immédiates. Je pense que le Maroc et les Émirats arabes unis ne remettront pas en cause les accords d'Abraham. Ils peuvent convoquer un ambassadeur et le sermonner mais ils ne reviendront pas sur la reconnaissance de l'État d'Israël parce qu'ils ont obtenu en échange des avantages tout à fait substantiels. Par ailleurs, ils ont conscience de la dangerosité des Frères Musulmans.
Enfin, diviser pour mieux régner est l'un des fondements de la géopolitique, au moins depuis Thucydide qu'a cité très justement Dominique Moïsi. Mais c'est un jeu extrêmement dangereux quand on le joue trop longtemps avec des adversaires qui sont des ennemis irréductibles.
Je remercie nos invités pour leur éclairage. Vous avez tous les trois expliqué qu'il n'y a pas d'autre solution que celle des deux États. Cette piste, avec un État palestinien coupé en deux est-elle viable ? En effet, historiquement, les pays coupés en deux ont surtout été des terreaux de guerre. Comment peut-on résoudre cette équation ?
Vous avez également évoqué le front du refus de la Ligue arabe. Comment interprétez-vous le silence du Fatah ? L'Autorité palestinienne semble totalement dépassée par les événements. Comment imaginer qu'elle puisse reprendre la main sur la bande de Gaza d'autant plus si elle arrive dans les valises de l'étranger ?
Les États-Unis et les Émirats arabes unis sont tronçonnés et il y a en Afrique occidentale l'enclave de Cabinda. Certes, nous avons tous en mémoire le corridor de Dantzig mais je n'imagine pas un seul instant Israël accepter de se diviser pour permettre à la Cisjordanie et à la bande de Gaza d'être reliées.
Je rappelle qu'en 1999 et 2000, pendant quelques mois, une route reliait Gaza et la Cisjordanie. Celle-ci était utilisée par le Hamas pour sa politique sociale et l'organisation de mariages, sous supervision sécuritaire israélienne. Pendant les six ou sept mois où elle a fonctionné de manière autonome, il n'y a jamais eu le moindre attentat.
À un moment, un échange de territoires a été envisagé, Israël donnant aux Palestiniens des territoires en échange de ceux sur lesquels étaient installées des colonies. Nous sommes aujourd'hui bien loin de cette hypothèse.
Je me permets de reprendre les propos tenus par monsieur Moïsi sur France Info : « il faut condamner sans ambiguïté les actes barbares qui ont été commis et il faut prendre du recul pour comprendre d'où vient cette barbarie. N'est-elle pas le produit d'une humiliation extrême ? ». Je souscris pleinement à vos propos : expliquer ce n'est pas excuser, c'est chercher à avancer. Le Hamas perdure aussi à cause du désespoir et de l'absence de perspective politique qui relève d'une responsabilité collective. Ce n'est pas faute de dire depuis longtemps que la mollesse de l'Occident dans le soutien à la solution à deux États est coupable, notamment vis-à-vis de la situation dramatique de Gaza que Nicolas Sarkozy lui-même décrivait en 2009 comme « la plus grande prison à ciel ouvert du monde » : 70 % de la population gazaouie a moins de 30 ans et n'a quasiment connu que ce blocus. Pensez-vous, comme Denis Sieffert, spécialiste du conflit israélo-palestinien qu'il ne peut y avoir d'extinction de ce conflit sans une solution respectueuse des droits des Palestiniens ?
Je confirme les propos que j'ai tenus sur France Info.
Expliquer ce qu'il s'est passé le 7 octobre par le sort réservé aux Palestiniens, c'est justifier l'hitlérisme par l'iniquité du traité de Versailles.
Il faut comprendre la nature du Hamas. J'ai passé ma vie à étudier la religion radicale depuis le VIIème siècle. C'est un mouvement religieux, dont l'ambition et la raison d'être sont l'éradication de l'État d'Israël pour des raisons religieuses. Je vous rappelle qu'en 2005 Gaza a été vidée de toute présence israélienne. Rien n'empêchait les Gazaouis de transformer ce territoire et d'en faire la vitrine de l'État palestinien à venir mais ils ont préféré tirer des missiles sur Israël.
Les Israéliens n'ont pas décidé le blocus de Gaza par sadisme. Dès 2006, Israël a été confronté à une entité violente, ennemie, à ses portes. Le Hamas n'est pas l'expression des aspirations légitimes du peuple palestinien, c'est une organisation islamiste radicale, terroriste, dont les intérêts n'ont rien à voir avec ceux du peuple palestinien tels que nous les comprenons à Paris.
Il est également important de comprendre qu'Israël, dans son évolution radicale, et l'Autorité palestinienne, dans son autodestruction prolongée, ont donné des armes au Hamas.
Je suis tout à fait d'accord avec ce qui vient d'être dit. Je considère qu'il y a une différence fondamentale entre le peuple palestinien et le Hamas. L'humiliation, comme l'a dit madame Soudais, a été infligée au peuple palestinien, mais cela n'a rien à voir avec les motivations, l'organisation, les moyens mis en œuvre par le Hamas pour s'inscrire dans un jeu géopolitique assez compliqué, d'une nature très différente, même si les liens dialectiques sont évidents.
Nous devons distinguer les intérêts du peuple palestinien du sort du Hamas. Nous avons trop longtemps, surtout le gouvernement israélien, ignoré les aspirations légitimes du peuple palestinien. J'ai la conviction profonde que le moment est venu d'y faire droit. Tout repose sur la distinction entre une organisation terroriste, qui n'est pas représentative, qui est dominatrice et dictatoriale, et un peuple palestinien qui a été méprisé dans ses aspirations les plus légitimes au cours des dernières années.
Je vous remercie monsieur le président d'avoir organisé ce débat au sein de notre commission, cinq jours après l'effroi, l'horreur absolue. Je regrette que certains commissaires soient absents en raison de conflits d'agendas.
Sur le sentiment d'impuissance que nous éprouvons, nous avons analysé ce que la France aurait dû faire. Qu'avez-vous envie de dire à la représentation nationale sur ce que notre pays peut faire aujourd'hui pour éviter que la société nationale s'embrase et importe ce conflit ?
Les seuls qui méritent d'être remerciés, ce sont nos trois invités qui ont répondu présents quand nous les avons contactés et qui nous ont apporté des lumières considérables. À la question fondamentale que vous posez, je pense qu'il n'y a pas de réponse au-delà de ce qui a été dit tout au long de cette réunion. Nos trois invités ont dressé un constat assez dur, dégagé certaines orientations et ont fait part de la même perplexité que celle qui nous habite sur la capacité des différents acteurs à surmonter ces difficultés.
Je leur laisse néanmoins la parole pour l'ultime message qu'ils souhaiteraient nous délivrer.
Je quitte ma casquette d'universitaire pour prendre celle de citoyen français. Je considère que le conflit israélo-palestinien ne doit pas être importé en France. Je serai extrêmement sévère vis à de ceux qui, prétendus universitaires ou vrais universitaires, considèrent qu'il faut l'importer. C'est une posture irresponsable et potentiellement criminelle. Nous ne devons rien tolérer d'un point de vue moral, juridique ou politique dans notre société sous le prétexte du conflit israélo-palestinien.
Je répète une nouvelle fois le même message obsessionnel que j'ai essayé de faire passer tout au long de cette réunion. Je conclus sur un appel au secours, un appel à l'action, un appel à aider nos deux peuples à sortir de l'ornière. Je sais que c'est possible et je demande à la représentation nationale de se faire l'interprète de cette imploration auprès des responsables français.
Il faut expliquer, avec clarté, avec pédagogie, avec modération pourquoi ce qu'il se passe est d'une extraordinaire importance.
Trois sentiments nous habitent à l'issue de cette réunion.
Le premier est l'indignation et la compassion pour ce qui arrive au peuple israélien. Je crois que tout le monde a ressenti, quelles que soient les différences d'analyse politique, l'extrême souffrance du peuple israélien et sa légitime colère. Nos amis israéliens doivent être assurés de notre profonde sympathie dans cette épreuve.
Le deuxième est la volonté de comprendre. Nous avons un devoir d'intelligence, de lucidité, d'explication. J'ai toujours été fasciné par la capacité du peuple juif à toujours comprendre les drames les plus épouvantables auxquels il a été exposé et de savoir ce qu'il fallait faire. J'avais observé cette prise de distance de l'intelligence, quand je travaillais avec Simone Veil et qu'elle parlait de ce qui lui était arrivé à Auschwitz. Cette capacité de maîtriser l'horreur par l'intelligence est un devoir pour nous. Nous devons comprendre, expliquer, analyser.
Enfin, le troisième sentiment est une exigence de volonté. Nous devons veiller à ce que les événements en Israël ne se traduisent pas par des violences, des déchirements et des discordes à l'intérieur de notre communauté nationale. Nous avons tous un devoir dans nos partis politiques pour amener nos concitoyens à réagir intelligemment et à éviter qu'ils soient tentés par la violence.
J'ai été très sensible à ce qu'a dit Élie Barnavi sur notre responsabilité politique. Je ne sais pas si la France a été insuffisance. Dominique Moïsi a eu raison de rappeler que le président de la République était resté fidèle à l'inspiration fondamentale de la France sur ce dossier. Nous n'en avons certainement pas fait assez, sans doute parce que, seuls, nous n'avions pas les moyens d'en faire autant qu'il aurait été nécessaire. L'appel d'Élie Barnavi à l'Europe est évident. Dominique Moïsi s'est associé à ce message en évoquant la nécessité d'une convergence entre les Britanniques, les Allemands, les Espagnols et les Français. Nous ne pouvons pas être aux abonnés absents de cette tragédie. Les Européens se perdent dans des querelles qui ne sont pas dignes d'eux et des défis que nous avons à relever ensemble. C'est le moment de faire de la politique. Les Américains ont immédiatement dépêché un porte-avions en Méditerranée orientale, pour marquer qu'ils voulaient éviter un embrasement régional. Nous n'avons pas les moyens d'agir de cette manière mais nous devons être présents collectivement et solidairement sur ce dossier.
Ce sont les trois messages que j'estime devoir être retenus de cet échange de vues très intéressant. Solidarité et sympathie avec les Israéliens, capacité d'analyse, de compréhension et de lucidité sur la situation créée par ces terribles événements et mobilisation.
Je vous remercie tous les trois de nous avoir aidés à comprendre la situation. Nous quittons cette réunion avec l'idée que nous devons relever ensemble de nouveaux défis.
La séance est levée à 17 h 35.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, M. Pierre Cordier, M. Sébastien Delogu, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Olivier Faure, M. Nicolas Forissier, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Benjamin Haddad, M. Michel Herbillon, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Brigitte Klinkert, M. Arnaud Le Gall, Mme Yaël Menache, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, M. Didier Parakian, M. Frédéric Petit, Mme Béatrice Piron, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, Mme Laurence Vichnievsky
Excusés. - M. Sébastien Chenu, Mme Mireille Clapot, M. Thibaut François, M. Michel Guiniot, M. Meyer Habib, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Karine Lebon, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Liliana Tanguy, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa