Intervention de Élie Barnavi

Réunion du mercredi 11 octobre 2023 à 15h05
Commission des affaires étrangères

Élie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France et professeur émérite d'histoire de l'Occident moderne à l'université de Tel Aviv :

Je vous remercie pour vos propos et je tiens à vous dire toute l'amitié et tout le respect que j'ai pour vous comme intellectuel et comme homme politique.

Je suis très heureux de l'opportunité que vous m'offrez, même si ce n'est pas la première fois que je m'exprime devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Le moment est particulièrement lourd et je voudrais en profiter pour parler politique et vous dire très clairement ce que j'attends de la France et de l'Europe.

Ce qui est en train de se passer est l'effondrement d'une politique, d'une stratégie et d'une illusion. L'idée que nous pouvions balayer le problème palestinien sous le tapis, faire la paix avec les États sunnites en pensant qu'ils ne se considéraient plus concernés par le problème palestinien, à travers les accords d'Abraham et les négociations avec l'Arabie saoudite, était une illusion qui vient de nous éclater à la figure. Le problème palestinien est toujours là. Entre la bande Gaza et la Cisjordanie, il y a un peuple de cinq millions d'âmes qui demande que son sort soit réglé d'une manière qui lui accorde des droits et une dignité.

Certains disent que la solution à deux États n'est plus réaliste. Plus d'une fois, je me suis heurté au sourire apitoyé de tel ou tel expert ou de tel ou tel diplomate qui considérait que cette solution était illusoire et qu'il fallait passer à autre chose. Mais personne n'a jamais dit par quoi la remplacer, le statu quo étant, comme nous le constatons, intenable. Un État binational serait absurde et ne pourrait que mener à la guerre civile, à l'apartheid ou aux deux. Je ne connais pas d'exemple d'État binational heureux. Il faut donc sauver la solution à deux États.

La tragédie que nous sommes en train de traverser peut constituer une opportunité. J'ignore quels sont les véritables buts de guerre de mon gouvernement. Je pense qu'il a décidé d'en finir avec le règne du Hamas dans la bande de Gaza et de liquider non seulement ses capacités militaires mais aussi sa structure de pouvoir. C'est la raison pour laquelle il y aura certainement une opération terrestre, avec toutes les souffrances qu'elle engendrera. Une fois que cette tâche sera accomplie – je pense que nous en avons la capacité –, il y aura un vide politique à remplir. Il pourrait être rempli par Israël, avec une nouvelle occupation de la bande de Gaza. Il me semble impensable d'occuper un territoire sur lequel s'entassent plus de deux millions d'âmes. Par conséquent, il faut dès maintenant réfléchir à une feuille de route de la communauté internationale, c'est-à-dire les États-Unis, l'Europe, les États sunnites et les organismes financiers internationaux, éventuellement l'Organisation des Nations Unies, de manière à mettre en place les conditions d'une transition permettant d'éviter le vide et installer à Gaza un pouvoir, sous tutelle dans un premier temps, capable d'amorcer la reconstruction du territoire, ainsi qu'une transition politique acceptable.

Jusqu'à maintenant, l'Europe et les États-Unis ont servi de facilitateurs pour le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Ils nous ont offert un cadre, un endroit le plus souvent agréable, de vagues idées, et ils nous ont laissés ensuite régler seuls le problème. Cette approche, celle d'Oslo, a échoué. Il faut impérativement qu'une puissance tierce, j'espère que ce sera l'Europe, soit non pas une puissance neutre facilitant le dialogue mais une puissance de participation. Il faut qu'il y ait dorénavant un triangle Israéliens, Palestiniens et Européens, où l'Europe s'implique au nom de ses intérêts et de ses valeurs. L'idée qu'il est possible de laisser Israéliens et Palestiniens faire la paix seuls a fait la preuve de sa futilité. Il faut mettre en place une feuille de route définissant le but et les moyens d'y arriver et déterminer un mécanisme d'évaluation. La raison principale de l'effondrement du processus d'Oslo est l'absence de monitoring, les uns et les autres ayant fait ce qu'ils voulaient, personne n'ayant jamais exigé qu'ils se conforment à ce qu'ils avaient promis et qu'ils paient le prix pour ne pas avoir respecté leurs engagements.

On dit que l'Europe est problématique, avec les Allemands qui ont leurs propres problèmes, les pays d'Europe de l'Est qui sont en dehors du coup et plutôt alignés sur les positions de la droite israélienne. Je plaide pour une coalition des volontaires, c'est-à-dire l'Europe utile, avec la France, l'Allemagne, qui n'est pas si éloignée des positions françaises, l'Espagne et la Belgique, mais aussi le Royaume-Uni. Il faut que ces pays constituent un groupe de travail et mettent sur la table des propositions et des moyens. Si la communauté internationale ne se mobilise pas immédiatement, cette tragédie n'aura non seulement servi à rien mais elle débouchera sur d'autres tragédies et nous n'en sortirons jamais.

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