La réunion

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Jeudi 13 avril 2023

La séance est ouverte à quinze heures vingt.

(Présidence de M. Jean-Félix Acquaviva, président de la commission)

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Nous auditionnons, à huis clos, les supérieurs directs et collègues ou anciens collègues de la surveillante que nous avons entendue la semaine dernière et qui avait formulé un certain nombre d'observations avant le drame du 2 mars 2022.

Messieurs, votre audition nous a semblé indispensable pour comprendre précisément comment ont été gérées, au sein de la détention, les différentes observations effectuées par votre collègue quelques semaines avant l'agression mortelle d'Yvan Colonna et jusqu'à la veille de celle-ci. Nous nous interrogeons sur le sort qui leur a été réservé, notamment sur ce qui a conduit à les inscrire, ou non, dans le logiciel Genesis. D'autres surveillants nous ont en effet confirmé qu'elles pouvaient remonter par différents canaux en dehors du logiciel, soit verbalement, soit au moyen de comptes rendus professionnels (CRP).

Votre collègue nous a indiqué qu'elle n'avait pas fait état, dans Genesis, de l'échange auquel avait participé Franck Elong Abé et au cours duquel les mots « Je vais le tuer » avaient été prononcés, au motif qu'il était impossible d'identifier leur auteur. Nous en prenons acte, même si nous avons notre avis sur cette question. Elle nous a dit avoir fait remonter cette observation oralement.

On retrouve en revanche dans ce logiciel la mention du don de paquets de pâtes par M. Elong Abé à un autre détenu, tel qu'évoqué dans les CRP de votre collègue des 11 et 21 mars 2022. Il ne s'agit pas de l'observation la plus intéressante a priori mais elle y figure.

Enfin, votre collègue a fait état d'un changement d'attitude de M. Elong Abé quelques semaines avant l'agression, celui-ci semblant faire le vide dans sa cellule. Or, sauf erreur, cette observation ne figure pas dans l'extraction Genesis qui nous a été communiquée par la direction de l'administration pénitentiaire (DAP). Votre collègue nous a dit avoir, peut-être, fait une mauvaise manipulation ou mal validé l'inscription mais, en tout état de cause, elle affirme en avoir informé ses supérieurs et elle a réitéré l'avoir enregistrée dans le logiciel.

À ce stade, j'aurai une première question : que savait la direction de ces différentes observations – le changement d'attitude et la conversation – et à quel moment en a-t-elle été informée ? Si des comptes rendus ont été rédigés a posteriori, il semble que ces éléments aient bien remonté la chaîne hiérarchique, par des canaux directs, oralement.

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Vous avez été destinataires d'un questionnaire que je vous ai fait transmettre. J'interviendrai le cas échéant pour préciser certaines questions ou pour réagir à vos propos.

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Messieurs, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires je vais vous demander successivement de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie, chacun à votre tour, de lever la main droite et de dire « Je le jure ».

(MM. l'ancien chef de secteur, l'adjoint au chef de détention, le chef de détention et l'ancien premier surveillant prêtent successivement serment.)

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Ancien chef de secteur

Je souhaite me présenter brièvement. Entré dans l'administration pénitentiaire en 1991, je totalise un peu plus de trente-deux ans de service. J'ai décidé de faire valoir mes droits à la retraite au 1er août 2022 car je n'étais plus en harmonie avec mon travail à la maison centrale d'Arles, et en raison de l'éloignement géographique.

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Nous avons besoin de comprendre certains éléments s'agissant de la transmission d'informations à la hiérarchie. Celle-ci s'est opérée au moyen de comptes rendus professionnels rédigés par la surveillante les 11 et 21 mars 2022.

Le mardi 1er mars, soit la veille de l'agression mortelle, une conversation a eu lieu entre trois détenus, dont Franck Elong Abé, au cours de laquelle la surveillante a entendu l'un d'eux dire « Je vais le tuer », sans pouvoir identifier la voix. Au même moment, un quatrième détenu tapait à la porte de sa cellule parce qu'il voulait aller en promenade. La surveillante a affirmé avoir transmis à l'ancien premier surveillant les deux informations relatives à la conversation et au comportement du quatrième détenu. Selon elle, après vous avoir demandé si elle devait faire une observation, vous lui avez répondu que vous alliez voir directement avec l'officier du bâtiment. Cette information orale transmise par la surveillante a-t-elle cheminé jusqu'à la direction de l'établissement le jour même ?

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Ancien premier surveillant

Cette information n'a pas été transmise car la surveillante ne rapporte pas ces faits-là. Le 1er mars, vers quatorze heures trente, je me trouve avec l'officier de bâtiment, l'ancien chef de secteur et un membre de la direction pour la réunion des mouvements des personnes détenues. La surveillante m'informe par émetteur-récepteur qu'un détenu tape avec insistance à la porte pour sortir en promenade en dehors de son créneau de promenade – c'est un comportement totalement inhabituel de la part de cette personne – et que, en même temps, elle a entendu les propos que vous avez rappelés, venant soit de l'extérieur, des promenades, soit des cellules côté promenade. À aucun moment elle ne me relate une conversation entre trois détenus.

Au regard de la situation et du contexte, je prends la décision de ne pas faire sortir le détenu qui réclamait d'aller en promenade et j'en informe mon officier car, en maison centrale, les tapages créent toujours des tensions. La surveillante me relate qu'elle a entendu « On va le tuer, on va le niquer » mais ne me dit pas que c'est une conversation entre trois détenus. Je n'ai appris l'existence de celle-ci que dernièrement. Je parle donc seulement de la situation de tapage à mon officier de bâtiment.

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Vous n'avez donc fait remonter que l'information concernant le détenu auteur du tapage, parce que vous n'aviez pas d'éléments plus précis concernant les propos entendus, contrairement à ce que la surveillante a écrit le 11 mars.

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Ancien premier surveillant

Tout à fait, monsieur le président.

Concernant le détenu auteur du tapage, mon officier confirme la décision de ne pas le faire sortir en promenade et décide de le voir en audience. Celle-ci a été tenue mais n'a pas révélé de menace particulière. Voilà le niveau d'information dont nous disposions à ce moment-là.

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Nous nous interrogeons beaucoup sur l'existence de deux comptes rendus professionnels sur un même objet, à savoir des propos menaçants entre personnes détenues. Pourquoi ce genre d'observations sur des faits intervenus la veille d'une agression importante fait-il l'objet de comptes rendus écrits plusieurs jours après le drame ? La surveillante nous a expliqué que cela avait été fait à la demande de l'adjoint au chef de détention.

Par ailleurs, le compte rendu du 21 mars comporte deux observations qui ne figurent pas dans celui du 11 mars. Premièrement, il est fait état d'un contrôle des barreaux et des cellules des trois détenus ayant participé à la conversation. Ce contrôle est donc motivé par la participation à la conversation. Deuxièmement, elle mentionne le changement d'attitude, depuis quelques semaines, de Franck Elong Abé, qui faisait du vide dans sa cellule ; elle l'avait interrogé à ce sujet.

Est-ce bien à votre demande, monsieur l'adjoint au chef de détention, que la surveillante a rédigé un premier compte rendu professionnel, puis un second plus étayé ? Étiez-vous au courant du changement de comportement de Franck Elong Abé ?

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Adjoint au chef de détention

Le 11 mars, lorsque je prends mon service dans la matinée, on me rapporte que la surveillante, lors de son dernier service de nuit, quelques jours auparavant, aurait parlé d'une situation concernant M. Colonna et M. Elong Abé. Je l'interroge sur ce point : elle me confirme avoir tenu de tels propos. Je lui demande alors de rédiger un compte rendu professionnel, ce qu'elle fait le jour-même. Sur la feuille de service, je constate que c'est l'ancien premier surveillant qui était en service dans ce bâtiment ce jour-là ; je lui demande donc également de rédiger un compte rendu. Je numérise ensuite ces deux comptes rendus et les remets au secrétariat de la direction le lundi 14 mars. Mme X, qui en prend connaissance, me demande des précisions ; je reçois donc à nouveau la surveillante dans mon bureau et lui demande de détailler certains points, ce qu'elle fait dans le compte rendu du 21 mars.

Dans l'application Genesis, la seule observation consignée pour la journée du 1er mars porte sur le don de paquets de pâtes. De même, le « point jour » envoyé quotidiennement par le responsable du bâtiment, qui reprend tous les éléments marquants ou nécessitant d'être abordés lors de la réunion détention du soir, ne mentionne pas la situation évoquée.

Je n'ai vu aucune observation dans Genesis concernant un changement de comportement de Franck Elong Abé. Ce que je peux dire, en revanche, c'est que nous réalisons régulièrement des fouilles des cellules, au cours desquelles nous faisons des photos avant et après. Celles-ci n'ont montré aucun changement dans la cellule de Franck Elong Abé. Quant au contrôle des barreaudages, le compte rendu professionnel de la surveillante n'a peut-être pas été très bien rédigé sur ce point car le contrôle n'a pas été fait seulement dans ces trois cellules : il a concerné l'intégralité des cellules du premier étage du bâtiment A.

Enfin, seule la surveillante peut expliquer les différences existant entre les deux comptes rendus. Je précise que si j'ai assuré la diffusion du premier, le second n'est pas passé par moi : il a été directement communiqué à Mme X. J'en ai pris connaissance lorsqu'il a fait l'objet d'une diffusion restreinte.

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Nous prenons note de ce que vous venez de déclarer sous serment devant la commission. Les deux comptes rendus professionnels sont très précis sur la conversation entre les trois détenus, qui sont cités nommément. Je note également le lien qui est fait entre le contrôle des barreaux et la conversation ainsi que le changement de comportement depuis plusieurs semaines : ce sont des éléments décrits de manière précise.

Je souhaite vous interroger sur deux autres éléments. Tout d'abord, la surveillante a affirmé, à plusieurs reprises, avoir indiqué dans le logiciel Genesis le changement de comportement de M. Franck Elong Abé. Or cette information n'apparaît ni dans l'extraction du logiciel ni dans l'onglet séparé qui nous ont été communiqués.

Ensuite, en réponse à notre question sur la raison de l'absence d'observation, dans le logiciel, sur la conversation, qui est une information importante, elle nous a indiqué qu'elle avait préféré faire une transmission orale parce qu'elle ne pouvait pas identifier celui des trois détenus qui avait tenu ces propos. Nous lui avons demandé si la hiérarchie aurait pu enregistrer cette information à sa place dans le logiciel : elle a dit qu'elle ne l'aurait certainement pas fait, pour la même raison.

Que pensez-vous de ces deux éléments ?

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Ancien chef de secteur

Je souhaite lever un doute sur un point : les observations rédigées dans Genesis ne peuvent pas s'effacer ni être supprimées par un membre de la hiérarchie. Seul l'agent rédacteur peut supprimer son observation, dès lors qu'elle n'a pas été validée par la hiérarchie. Mes collègues pourront vous confirmer qu'aucune personne ne peut effacer une information une fois qu'elle a été validée.

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Adjoint au chef de détention

Je confirme ce qui vient d'être dit. Je pourrai mettre à votre disposition la documentation du logiciel Genesis, qui précise qu'une observation rédigée par un agent peut être modifiée ou supprimée, mais uniquement par son auteur et à la condition qu'elle n'ait pas encore été prise en compte. Je ne suis pas en mesure de vous dire si quelqu'un a le profil, à la maison centrale d'Arles, pour effacer une observation qui a été prise en compte car cela relève du paramétrage de l'application, auquel je n'ai pas accès. Je n'ai pas fait le test pour voir si je pouvais supprimer une observation validée.

L'application Genesis trace toutes les manipulations : je n'imagine pas un seul instant qu'une opération de suppression ne soit pas tracée. La documentation décrit le menu permettant de supprimer les observations prises en compte et précise qu'une fois l'observation supprimée, celle-ci n'est plus consultable sur Genesis mais reste en base de données pour un éventuel contrôle du motif de la suppression. La documentation contient une copie d'écran montrant que lorsque la personne s'apprête à faire une suppression, elle doit obligatoirement saisir un motif. S'il y a eu, comme vous le pensez peut-être, une suppression, elle a forcément laissé des traces dans l'application, lesquelles doivent logiquement permettre d'identifier l'auteur de la suppression.

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Nous sommes d'accord que toute observation validée a un numéro de séquençage, un numéro unique de saisie ? En toute logique, les observations doivent être numérotées dans l'ordre où elles sont faites. Je vous rejoins donc sur le fait que l'on doit pouvoir vérifier si un administrateur a supprimé une observation.

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Adjoint au chef de détention

Oui, mais cette numérotation n'est pas visible : nous ne pouvons pas vous dire s'il manque des observations dans la liste. Il y a forcément un numéro quelque part, dans l'application, mais nous ne pouvons pas le voir.

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Nous sommes d'accord sur le fait qu'il y a un numéro informatique qui pourrait permettre de vérifier s'il y a eu une anomalie, et à quel niveau.

Si nous vous posons toutes ces questions, c'est parce qu'il y a eu des déclarations contradictoires : Mme la surveillante a déclaré avoir rentré une information dans le logiciel ; or elle n'y figure pas. Surtout, nous avons été surpris de constater que, dans la première extraction du logiciel Genesis qui nous a été transmise, il n'y avait aucune information concernant Franck Elong Abé à compter du 29 janvier 2022. Plus tard, on nous a transmis par mail les informations qui avaient été saisies à son sujet dans l'onglet dont font l'objet les personnes sous surveillance particulière. Or on y trouve des observations d'un intérêt minime, notamment le don de paquets de pâtes, mais rien sur la conversation ni sur son changement de comportement – alors que la surveillante dit l'avoir signalé.

J'aurais besoin d'explications pour bien comprendre le fonctionnement de cet onglet. On nous a dit, d'abord, que cet onglet complémentaire était dû au fait que Franck Elong Abé faisait l'objet d'une surveillance particulière. Puis on nous a dit que c'était un outil qui visait à faciliter, pour les agents, la saisie des données, parce qu'on s'était rendu compte que les observations saisies dans le logiciel n'étaient pas assez régulières à la maison centrale d'Arles. Une instruction de service a été émise pour que les agents, à la fin de leur service, fassent une dernière saisie dans cet onglet. Et on nous a indiqué que ces informations figuraient bien dans le logiciel.

Autrement dit, même si cet onglet visait à faciliter le relevé d'observations, celles-ci devaient remonter dans le logiciel. D'après ce que je comprends, il ne devrait donc pas y avoir de différence entre les deux documents qui nous ont été transmis. Confirmez-vous que ce qui est saisi dans l'onglet remonte automatiquement dans le logiciel ?

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Adjoint au chef de détention

Absolument. Il y a deux modalités d'utilisation du logiciel. Premièrement, les agents peuvent, à tout moment, rédiger une observation. Il leur faut alors renseigner la date, l'heure, le lieu et le thème de l'observation. On rappelle souvent aux agents qu'on a besoin de telles observations.

Deuxièmement, il y a l'onglet pour les surveillances particulières. Je ne dirais pas que son but est de faciliter la saisie. Nous sommes souvent confrontés à la difficulté d'obtenir suffisamment d'observations pour analyser le comportement des détenus. La surveillance particulière est programmée sur une période donnée. Pendant deux ou trois mois, on va demander que des observations soient faites sur des détenus particulièrement signalés (DPS) soit le matin, soit l'après-midi, soit les deux. Très souvent, c'est les deux. Cette seconde fonctionnalité permet de faire apparaître cette consigne sur le tableau de bord des agents : ils savent qu'ils doivent rédiger une observation. C'est effectivement une démarche simplifiée, dans le sens où ils n'ont à renseigner ni le lieu ni le thème.

Ce qui n'est pas simple, c'est que l'on n'accède pas à ces deux types d'information de la même façon, et tout le monde ne maîtrise pas ce double accès. C'est peut-être ce qui explique que, dans un premier temps, vous n'ayez reçu que les observations, et pas les informations relevées dans le cadre de la surveillance particulière.

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Lorsqu'on fait une observation dans l'onglet, est-ce qu'elle remonte automatiquement dans le logiciel ?

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Adjoint au chef de détention

Oui, elle remonte automatiquement dans l'application.

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Sur la période considérée, ces observations devraient donc apparaître dans le logiciel.

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Adjoint au chef de détention

Tout à fait. Les agents doivent saisir, une ou deux fois par jour, une observation sur les personnes qui font l'objet d'une surveillance particulière. Et cela remonte dans le logiciel. Mais la consultation de ces observations ne se fait pas de la même façon que celles qui sont faites à l'initiative des agents.

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Cela signifie qu'elles n'apparaissent pas dans le logiciel classique ?

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Adjoint au chef de détention

Elles apparaissent, mais leur consultation ne se fait pas de la même manière. Sur l'écran, on a un bouton « Observations » et un bouton « Surveillance particulière ». Si je clique sur « Observations », j'ai toutes les observations relatives à la personne détenue. Si je clique sur « Surveillance particulière », je vais devoir choisir la période durant laquelle il a été en surveillance particulière, et j'aurai accès à toutes les observations faites durant cette période. Ce sont deux modes de consultation différents, mais complémentaires.

Je voudrais ajouter un élément important. Lorsque la surveillante m'a remis son compte rendu professionnel, je lui ai demandé qui avait dit « Je vais le tuer », mais elle ne le savait pas. Elle ne savait pas si ces propos venaient de l'une des trois cellules ou de la cour de promenade. Je lui ai posé ces questions au moment où elle m'a remis son CRP mais je n'ai pas eu de réponse.

Cela explique aussi qu'elle vous ait dit qu'il lui était impossible de faire une observation. On ne peut pas rédiger une observation dans l'application Genesis si l'on n'est pas en mesure de l'attribuer à une personne détenue. La seule chose que pouvait faire la surveillante, dans ces circonstances, c'était rédiger un compte rendu professionnel. Quand ils n'ont pas les moyens de rédiger un compte rendu d'incident (CRI) ou de faire une observation à l'encontre d'une personne détenue, on demande aux agents de rédiger un compte rendu professionnel. C'est ce que j'ai fait le 11 mars, lorsque la surveillante m'a confirmé qu'elle avait des choses à dire sur des faits survenus le 1er mars.

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On trouve pourtant mention, dans le logiciel, de conversations entre détenus, qui portent parfois sur des sujets assez futiles, ou mineurs. Je me rappelle en avoir lu, même sur la fiche de Franck Elong Abé.

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Adjoint au chef de détention

Bien sûr. Mais la seule observation retrouvée durant cette période, celle qui concerne des paquets de pâtes donnés à un détenu par M. Elong Abé et par un autre détenu, ne figure que dans le dossier Genesis du premier d'entre eux. En effet, lorsque la surveillante a saisi cette information, elle l'a fait de manière incomplète. C'est aussi un point que j'ai abordé avec elle, quand nous avons parlé de son compte rendu professionnel. Je lui ai conseillé de retourner sur Genesis et de compléter sa saisie. Elle ne pouvait plus modifier la précédente observation, parce qu'elle avait déjà été prise en compte, mais elle aurait pu saisir une nouvelle observation, qu'elle aurait attribuée à la fois à M. Elong Abé et à l'autre détenu, ce qu'elle n'a pas fait.

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Adjoint au chef de détention

Uniquement de cela. C'est de cela que nous avons parlé.

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Il me semble pourtant que sur l'onglet concernant M. Elong Abé, il est fait mention de ces paquets de pâtes.

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Adjoint au chef de détention

En réalité, l'observation ne figure que dans le dossier Genesis du détenu qui a reçu ces paquets : il est indiqué qu'il s'est fait remettre des pâtes par M. Elong Abé et par un autre détenu.

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Nous venons de vérifier : il est bien précisé, dans l'onglet particulier de Franck Elong Abé, qu'il a donné trente paquets de pâtes à un codétenu.

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Adjoint au chef de détention

Au temps pour moi. J'ai dû consulter la partie « Observations » sur ce point.

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À ce stade, on constate un écart entre le CRP de la surveillante et ce qui figure dans Genesis. Ce qui nous interpelle, c'est que, dans son rapport, l'identité des trois personnes participant à la conversation est précisée.

Le renseignement pénitentiaire nous dit avoir été informé de ces observations – la conversation et le changement d'attitude de Franck Elong Abé – le 14 mars, par mail. Confirmez-vous que le renseignement pénitentiaire n'a pu avoir connaissance de ces faits et de ces observations qu'à cette date-là ?

Ce délai nous interroge, comme celui qui sépare la date de l'agression du premier CRP, le 11 mars. La maison centrale d'Arles est une centrale de petite taille, avec peu de détenus et peu d'agents : les choses doivent donc s'y savoir rapidement.

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Adjoint au chef de détention

Je vous confirme ce que je vous ai dit tout à l'heure, à savoir que lorsque la surveillante me parle de cette situation le 11 mars, je lui demande de rédiger un compte rendu professionnel. Je demande également un compte rendu à l'ancien premier surveillant qui, sauf erreur de ma part, ne travaillait pas ce jour-là. J'ai numérisé ces deux documents le samedi 12 mars au matin et ils ont été transmis par le secrétariat de direction, le 14 mars, à l'ensemble de la direction et, je pense, à l'officier renseignement et au chef de détention.

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Vous avez dit tout à l'heure, à propos du logiciel, que les agents peuvent retirer leur observation avant validation, s'ils s'aperçoivent qu'ils se sont trompés. Vous avez dit aussi qu'il est possible de supprimer une observation a posteriori, à un autre échelon, même si c'est plus compliqué. Avez-vous connaissance de ces différents échelons ? À quel étage se situe ce niveau d'administration ? Y en a-t-il un au niveau de la centrale, un au niveau interrégional et un à Paris, à la DAP ? Ou bien n'y a-t-il que deux échelons, voire un seul, au niveau de chaque centrale ? Savez-vous qui administre ce logiciel, qui a la main dessus ?

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Adjoint au chef de détention

Je ne peux pas vous le dire. Sur mon poste, il y a, dans le menu, une fonctionnalité qui permet de supprimer une observation qui a été prise en compte. Est-ce que je peux vraiment le faire ? Je ne le sais pas, mais cette option figure dans mon menu et je ne suis sans doute pas le seul à en disposer. Cela étant, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, il y a eu un paramétrage spécifique de l'application Genesis auquel, en tant qu'utilisateurs, nous n'avons pas accès.

La seconde chose que je peux vous dire, de par mon expérience, c'est que si un chef d'établissement veut rechercher les traces qui ont été laissées dans une application, il doit en faire la demande au directeur interrégional, qui la transmet au directeur de l'administration pénitentiaire, qui la transmet au secrétariat général du ministère de la Justice.

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Je vais à présent vous poser des questions sur votre perception du détenu Franck Elong Abé. Que pouvez-vous dire de son comportement ? Quels sont les qualificatifs que vous utiliseriez pour décrire sa personnalité ? Aviez-vous noté un changement de comportement chez lui, dans les jours ou les semaines qui ont précédé le drame ?

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Chef de détention

Je ne me suis pas encore exprimé, et pour cause : j'étais en congé lorsque M. Colonna a été agressé. Néanmoins, je voyais régulièrement M. Elong Abé et M. Colonna au cours de mes vacations à la maison centrale.

M. Elong Abé a toujours été quelqu'un de sûr de lui ; il est instruit et s'intéresse aux questions de géopolitique ; il est très sportif. J'ai toujours eu de bonnes relations avec lui. Je suis intervenu une fois sur la cour de promenade du quartier arrivants, qu'il refusait de réintégrer. Il avait un bâton à la main, on a pensé qu'il voulait s'en servir contre le personnel et il a prétendu que c'était pour bloquer la grille d'accès à la cour de promenade. En tout cas, il ne s'est jamais montré vindicatif ou agressif vis-à-vis du personnel de la maison centrale d'Arles.

Je n'ai pas noté de changement de comportement de sa part. Pour moi, il a toujours été le même. C'est quelqu'un d'un peu spécial, avec des idées bien arrêtées, mais je n'ai pas observé le changement de comportement dont la surveillante a fait état dans ses observations –postérieures à l'agression.

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Sur le plan psychique, vous paraissait-il stable ? Instable ? Difficile ?

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Chef de détention

Les mesures d'isolement dont il a fait l'objet pendant un certain temps ont certainement joué. Mettre quelqu'un à l'isolement, cela nous arrange en termes de sécurité, mais je ne crois pas que cela arrange le psychisme d'un homme. Être enfermé dans une cellule vingt-deux heures sur vingt-quatre, c'est difficile sur le long terme. Après l'isolement, il est passé au quartier spécifique d'intégration (QSI), avant de réintégrer la détention ordinaire.

Notre travail consiste aussi à « porter » ces personnes détenues. Il y a une date de libération et il faut que, ce jour-là, elles soient à peu près sociabilisées. C'est ce qu'on s'est évertué à faire avec M. Elong Abé. Psychiquement, c'est quelqu'un qui pouvait tomber dans une forme de déprime, mais aussi devenir assez prolixe, sinon exubérant. C'était un peu en dents de scie.

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Que pouvez-vous dire de Smaïn Aït Ali Belkacem ? Est-ce un détenu que vous connaissez ? Comment pourriez-vous le qualifier ?

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Chef de détention

Je connais M. Aït Ali Belkacem mais je n'avais pas du tout les mêmes rapports avec lui qu'avec M. Elong Abé. À la maison centrale d'Arles, il a été affecté essentiellement à l'isolement. Je le voyais toujours à l'occasion de procédures disciplinaires. Mes rapports avec lui étaient donc plutôt tendus et conflictuels et il n'y avait pour ainsi dire aucun dialogue entre nous. Avec moi, il s'enfermait dans le mutisme.

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Ancien premier surveillant

Ce que je retiens du passage de M. Aït Ali Belkacem à la maison centrale d'Arles, ce sont plusieurs mois difficiles. Il a entrepris une grève de la faim qui a duré plusieurs semaines et a utilisé ses excréments pour tapisser les murs de sa cellule d'isolement. Il a aussi bloqué le quartier disciplinaire et jeté ses excréments sur les agents.

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Ancien chef de secteur

J'ai connu M. Aït Ali Belkacem à la maison centrale de Lannemezan, puis je l'ai retrouvé à la maison centrale d'Arles, et ce n'était plus la même personne. À Arles, il est vrai qu'il tapissait sa cellule d'excréments et d'urine. Avec moi, il y avait un léger dialogue, parce qu'on s'était connu dix ou quinze ans auparavant. Mais c'était quelqu'un de très difficile. Il ne parlait pratiquement avec personne, parfois un peu avec moi, mais à peine.

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Diriez-vous qu'il était en pleine possession de ses moyens intellectuels ? Ou bien pensez-vous qu'il était défaillant ?

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Ancien chef de secteur

Très honnêtement, il m'arrivait parfois de penser qu'il jouait un double jeu. Quand il avait à demander quelque chose, il était lucide mais, quand ça l'arrangeait, il se refermait comme une huître. Aujourd'hui encore, je ne sais pas s'il jouait un jeu. Quand je lui ai demandé ce qu'il faisait avec ses excréments, il m'a répondu que c'était « pour emmerder la direction ».

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Pensez-vous que Franck Elong Abé et Smaïn Aït Ali Belkacem aient pu être en relation à Arles, ou bien cela vous paraît-il impossible ?

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Ancien premier surveillant

Comme Smaïn Aït Ali Belkacem était au quartier d'isolement et Franck Elong Abé à l'étage juste en dessous, il se peut qu'ils aient échangé par la fenêtre. Ils peuvent avoir eu des échanges verbaux.

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Comment qualifieriez-vous le comportement d'Yvan Colonna et son parcours carcéral à Arles ?

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Chef de détention

Il m'est arrivé d'avoir affaire à M. Colonna, dans le cadre d'audiences aléatoires, parfois à sa demande pour faire entrer des objets en détention, notamment lors de parloirs, ou lors de problèmes de parloir. Nos relations ont toujours été très cordiales. Il était dans l'écoute, c'était quelqu'un avec qui on pouvait discuter. Nous n'avons jamais parlé politique, ni religion ; on parlait de la vie, de la famille, de ce qu'il faisait – de sport notamment, car il était lui aussi très sportif.

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Ancien premier surveillant

Lors de mes services au bâtiment A, je parlais régulièrement avec M. Colonna, notamment de sport. Je n'ai jamais eu aucun problème avec lui.

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Ancien premier surveillant

Sincèrement, je ne peux pas me positionner à ce sujet. Je n'ai jamais parlé de religion avec M. Colonna. Nos conversations portaient sur la vie en détention ou sur le sport.

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Chef de détention

Les personnes détenues montrent parfois un visage très différent, en fonction de leur interlocuteur. Je ne peux pas vous dire si M. Colonna a blasphémé. Avec moi, il n'a jamais parlé de religion, ni de politique. Mais j'ignore les discours qu'il a pu tenir à d'autres détenus.

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Messieurs, je vous remercie.

Notre cycle d'auditions s'achève. Notre rapporteur va maintenant pouvoir s'atteler à la rédaction du futur rapport. Je rappelle que celui-ci doit être déposé le 27 mai au plus tard, à l'expiration du délai de six mois applicable aux commissions d'enquête. Deux étapes précéderont ce dépôt : la mise en consultation du projet de rapport pendant quelques jours, puis l'examen du rapport par la commission d'enquête qui, le cas échéant, l'adoptera et autorisera sa publication.

Compte tenu du délai précédemment rappelé, les dates suivantes seraient retenues pour ces deux étapes : la mise en consultation du lundi 22 au mercredi 24 mai ; une réunion d'examen de la commission le jeudi 25 mai. Des contributions individuelles ou de groupe pourront être transmises, qui figureront en annexe du rapport. Une convocation sera adressée en temps utile aux membres de la commission, qui rappellera l'ensemble de ces points et précisera les modalités de transmission des éventuelles contributions.

Nous nous retrouverons donc en mai. D'ici là, je souhaite un bon courage à notre rapporteur pour la rédaction de son rapport, et je vous remercie pour votre implication dans les travaux de cette commission d'enquête dont les conclusions sont très attendues.

La séance s'achève à seize heures vingt.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Jean-Félix Acquaviva, M. Mickaël Cosson, M. Laurent Marcangeli

Excusé. – M. Philippe Juvin