La réunion

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La séance est ouverte à 16 heures 35.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente.

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Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille ; M. Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l'université d'Aix-Marseille, membre de l'Institut universitaire de France, qui participera à nos travaux en visioconférence ; et M. Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris 2 Panthéon-Assas.

Messieurs, au-delà du fait que vous êtes de fins connaisseurs et praticiens du droit public, vous avez tous une sensibilité particulière vis-à-vis des sujets qui intéressent le Parlement. Monsieur Derosier, votre père, Bernard, a siégé sur nos bancs pendant plusieurs législatures et vous avez eu l'occasion de travailler au sein de notre institution. Monsieur Kerléo, vous avez notamment dirigé un Règlement de l'Assemblée nationale commenté. Je précise que nous avons un lien familial, puisque vous êtes mon gendre, mais je ne voyais pas de raison de vous interdire d'intervenir. Nous sommes dans une démarche de transparence et nous souhaitons éviter toute ambiguïté qui pourrait nuire à notre réflexion commune. Monsieur Morel, votre thèse portait sur Le Sénat et sa légitimité, laquelle fut récompensée par le prix de la thèse de cette institution.

Votre regard nous sera donc doublement précieux, notamment s'agissant des pistes que vous pourriez tracer – tant juridiques que pratiques – de nature à renforcer le rôle local et l'ancrage territorial des parlementaires.

Le champ que notre mission d'information a vocation à couvrir est vaste et les thèmes à aborder potentiellement nombreux. Je n'en évoquerai que quelques-uns pour lancer nos débats, avant de passer la parole à Mme la rapporteure.

S'agissant de la fin du cumul entre le mandat de parlementaire et les principaux mandats locaux, des analyses ont-elles été conduites qui en auraient évalué les conséquences sur l'activité parlementaire ? Je pense aux possibles effets tant en termes quantitatifs – par exemple la présence des parlementaires en commission ou en séance –, qu'en termes qualitatifs – la place du Parlement dans le jeu institutionnel, son apport dans l'exercice de ses fonctions constitutionnelles.

Par ailleurs, selon vous, dans l'absolu et par comparaison avec d'autres Parlements étrangers, les parlementaires français disposent-ils des moyens adaptés pour exercer leur mandat ? Je pense aux moyens financiers, humains, mais pas uniquement. Une autre ressource, le temps, est particulièrement rare et précieuse. Il s'agit sans doute d'un modèle de question rhétorique, mais l'organisation du « temps parlementaire » est-elle perfectible, notamment pour favoriser le rôle local et l'ancrage territorial des élus nationaux ?

Nous sommes très désireux de connaître la réflexion des constitutionnalistes sur ce sujet. Nous pensons que le rôle local des parlementaires est réel et qu'il existe un impensé juridique à ce propos. Nous souhaitons que cette question soit examinée à divers niveaux : au niveau de la Constitution ; au niveau de la loi organique ; au niveau de la loi ordinaire. L'ancrage territorial par le biais du cumul des mandats était une donnée. Sans le cumul, cet ancrage est une construction propre au député. L'un des objectifs de notre mission est de réfléchir à cet ancrage territorial.

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Après cette présentation exhaustive sur-le-champ et les enjeux de notre mission, je souhaite apporter quelques précisions. Tout d'abord, rappelons le contexte de notre présence ici. Une proposition de loi, initialement déposée par M. Alfandari, visait à rétablir la possibilité de cumul entre un mandat parlementaire et les fonctions d'adjoint au maire et de vice-président de région et de département. À la suite des débats sur cette proposition de loi, la Conférence des présidents nous a mandatés pour examiner les sujets évoqués par ma collègue.

Nous devons aborder la question du cumul des mandats. Actuellement, un certain type de cumul existe et il est essentiel d'examiner ses conséquences en termes qualitatifs. Par ailleurs, bien que la présidente ne l'ait pas mentionné, certains collègues souhaitent rétablir la réserve parlementaire. Il est donc important de recueillir vos avis sur ce point.

Cet impensé juridique, extrêmement bien défini par la présidente, mérite également notre attention. Nous devons faire le point sur les travaux déjà réalisés. Nous avons déjà agi ; par exemple, les parlementaires siègent désormais dans les conseils de surveillance des hôpitaux et dans les comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). Cependant, ces initiatives restent fragmentaires. Il est crucial de discuter de la place que les parlementaires pourraient occuper dans leurs circonscriptions pour recréer le lien organique qui existait lorsqu'ils cumulaient plusieurs fonctions exécutives.

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Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille

Je suis ravi de participer aux travaux cette mission d'information. J'avais déjà été entendu dans le cadre de la proposition de loi organique que vous avez mentionnée, et je suis heureux de revenir dans cette institution. Comme la présidente l'a rappelé, cette maison a marqué non seulement mes premières années d'activités professionnelles, mais aussi mon enfance, en raison de la présence d'un parlementaire de ma famille qui exerçait ici et qui était un cumulard dans l'âme. Comme vous, madame la présidente, je mentionnerai mes potentiels conflits d'intérêts. J'ai toujours été très attaché au cumul des mandats, peut-être par déformation familiale. Je pense que le cumul – qui n'était pas sans connaître des limitations, même dans les années 1980 et au début des années 2000 – pouvait comporter certaines vertus. J'en soulignerai deux.

Premièrement, l'ancrage territorial, qui s'est incontestablement estompé depuis l'instauration du Parlement du non-cumul. Cependant, cette atténuation de l'ancrage territorial n'est pas exclusivement due à la suppression du cumul. En 2017, l'Assemblée nationale a connu un renouvellement sans précédent, avec des élus qui n'étaient pas forcément investis de fonctions électives locales, et encore moins de fonctions exécutives locales, puisque cela ne leur était plus possible. Je pense que cette atténuation de l'ancrage territorial est davantage due à ce renouvellement qu'à l'interdiction du cumul. Néanmoins il va de soi, de mon point de vue, que si le cumul était toujours autorisé, notamment pour les fonctions exécutives, l'ancrage territorial pourrait être renforcé. Toutefois, même si j'ai toujours été attaché au cumul, je ne suis pas favorable à un retour en arrière. Je considère que nous avons pris une décision et que certains arguments avancés pour supprimer le cumul n'étaient pas totalement infondés. D'autres solutions peuvent être trouvées pour renforcer l'ancrage territorial, sans nécessairement rétablir le cumul des mandats.

La seconde vertu du cumul des mandats réside dans les moyens, notamment humains, dont disposait un parlementaire cumulant une fonction législative avec une fonction de maire ou de président d'un exécutif local, grâce à son cabinet. Il est évident qu'il n'était pas question de mobiliser tous les collaborateurs et conseillers de son cabinet sur les sujets législatifs. Cependant, l'expertise de ces derniers s'agissant des sujets locaux s'avérait incontestablement précieuse pour son mandat de parlementaire – et je parle en connaissance de cause. Ainsi, le travail d'un parlementaire, lorsque ce dernier était davantage entouré, s'en trouvait facilité, et sa qualité améliorée.

Vous avez soulevé, tant madame la rapporteure que madame la présidente, la question des moyens. Cette question est inévitablement et directement liée au renforcement de l'ancrage territorial. Pour répondre clairement et brièvement à une question posée, je pense que les moyens des parlementaires français sont insuffisants.

Quelles solutions pourrions-nous envisager ? Je me limiterai à en proposer deux, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre, ni nécessairement exhaustives.

En premier lieu, nous pouvons renforcer l'ancrage territorial des parlementaires avec les collectivités territoriales. À mon sens, le levier se situe au niveau du Sénat. J'ai dirigé l'année dernière un Groupe de réflexion sur l'évolution de la constitution et des institutions (Gréci). Les propositions de ce groupe ont été mises en ligne sur une plateforme électronique, legreci.fr, et seront publiées chez LexisNexis en septembre. Nous y avons notamment formulé une proposition visant à refondre le mode de désignation des sénateurs. Cette proposition permettrait, d'une part, de renforcer encore l'attachement avec les collectivités territoriales et, d'autre part, d'estomper la sur-représentativité des petites communes rurales. Pour ce faire, les sénateurs seraient désignés de deux façons, comme c'est déjà le cas aujourd'hui. Environ la moitié d'entre eux seraient issus des conseils régionaux, des conseils départementaux et des conseils municipaux des villes de plus de 100 000 habitants. Je précise que, dans ce schéma, les collectivités d'outre-mer sont assimilées à des régions. Cela représente environ 160 sénateurs qui seraient élus par le conseil au sein de leur propre conseil, à l'image d'un président de conseil régional. Ainsi, un des membres serait élu pour devenir le sénateur de la région, du département ou de la commune de plus de 100 000 habitants.

L'autre moitié des sénateurs serait élue sur une base régionale par les conseils municipaux, répartis en différentes catégories : les conseils municipaux des communes de moins de 1 000 habitants éliraient un sénateur pour la région ; ceux des communes de 1 000 à 10 000 habitants en éliraient deux ; ceux des communes de 10 000 à 100 000 habitants en éliraient quatre. Cela ferait approximativement sept sénateurs supplémentaires par région. En multipliant par le nombre de régions, on arrive à un total d'environ 165 sénateurs. Les détails précis sont disponibles dans la proposition que vous pouvez consulter sur la plateforme.

Cette méthode permettrait non seulement de moderniser le Sénat, mais aussi de favoriser une alternance peut-être plus fréquente que celle observée depuis 1958. Elle renforcerait également le lien avec les collectivités territoriales.

Quant au lien avec la population, plusieurs mesures peuvent être envisagées. Certains de mes illustres collègues ont notamment proposé de créer des assemblées citoyennes à l'initiative des parlementaires. Cependant, cela me semble impossible sans une modification de la Constitution et une remise en cause du sacro-saint principe auquel nous sommes tous attachés selon lequel tout mandat impératif est nul et qu'on ne peut imposer une obligation à un député ou à un sénateur. En revanche, il est possible d'imposer aux mairies de publier chaque année le compte rendu ou le bilan annuel du mandat du parlementaire de la circonscription dont il relève. Si la mairie ne recevait pas un tel document, elle devrait indiquer publiquement qu'aucun bilan ou compte rendu n'a été reçu. Je suis convaincu qu'un député ou un sénateur qui omettrait une fois d'envoyer son bilan ou son compte rendu annuel ne répéterait pas cette erreur. L'année suivante, il se rattraperait en organisant une conférence de presse et en fournissant un bilan détaillé pour démontrer à ses administrés l'efficacité de son travail au cours de l'année précédente. Cela contribuerait, selon moi, à renforcer le lien entre l'élu et les citoyens et administrés de sa circonscription.

Vous nous interrogez sur le renforcement des compétences et des interventions des députés et des sénateurs au sein de différentes instances, donc sur le statut du parlementaire, qui me semble également devoir être renforcé. Vous avez mentionné dans le questionnaire qui nous a été adressé le droit de visite des députés et des sénateurs dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques. Je pense que ce droit pourrait être très largement étendu à tous les établissements publics et services publics, permettant ainsi aux parlementaires de mener à bien leurs missions de contrôle et de représentation. Les parlementaires pourraient être associés à tous les organismes locaux. Pour cela, il est évident qu'un meilleur aménagement du temps parlementaire serait nécessaire, afin de réserver davantage de temps à la présence dans la circonscription. C'était d'ailleurs l'un des objectifs de la révision constitutionnelle de 2008. Une semaine devait précisément être réservée au travail en circonscription, mais le calendrier parlementaire ne l'a pas permis. Je pense néanmoins que cela serait possible, non sans s'acharner à défendre l'idée selon laquelle le travail législatif doit d'abord se dérouler en commission avant de se poursuivre en séance. La séance plénière devrait simplement permettre de débattre des points essentiels et de ratifier le travail de fond effectué par la commission.

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Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

Le sujet que nous abordons aujourd'hui est d'une importance capitale, car il touche à la fois au lien entre le local et le national et au rôle du Parlement, notamment en ce qui concerne les rapports d'autonomie qu'il peut entretenir vis-à-vis des collectivités territoriales et de l'exécutif. Pour comprendre cette question, il est essentiel de revenir brièvement sur l'histoire du lien entre les parlementaires et le local. Cette histoire remonte à la Troisième République. Avant cette période, le personnel politique était majoritairement parisien. En effet, des notables étaient désignés par les différents régimes successifs et parachutés dans les différentes circonscriptions. La proclamation de la Troisième République marque une première étape avec le renouvellement du personnel politique. Une nouvelle classe politique, plus ancrée localement, émerge alors. Cette tendance s'accentue après la crise boulangiste, où des figures de proue comme Clemenceau, qui se présentait dans quarante circonscriptions, doivent désormais se limiter à une seule. Cela oblige les parlementaires à être enracinés dans leur territoire et à pouvoir dialoguer au niveau local.

La deuxième étape concerne le développement des services publics. Sous la Troisième République, un bon député est alors celui qui est capable de négocier avec Paris pour que, par exemple, une ligne de chemin de fer desserve tel territoire. Cette dimension conjoncturelle joue un rôle crucial, notamment durant les deux guerres mondiales. Pendant la première guerre mondiale, les parlementaires retournent sur le terrain et deviennent des sortes d'administrateurs de leurs circonscriptions. Cette vieille histoire reste spécifiquement française. Pour appréhender pleinement le sujet, il faut reconnaître que les questions de cumul des mandats et d'ancrage territorial des parlementaires demeurent des problématiques très françaises.

Le cumul des mandats existe dans d'autres pays. Selon les derniers chiffres que j'ai trouvés 35 % des parlementaires sont concernés en Suède, 24 % en Allemagne, 20 % en Espagne, 7 % en Italie et 3 % au Royaume-Uni. Cependant, ce que l'on appelle en sciences politiques le cursus honorum, c'est-à-dire le parcours du local au national – devenir conseiller municipal, maire, conseiller départemental, président du conseil départemental puis parlementaire –, est une caractéristique très française. Dans la plupart des pays européens, comme l'Allemagne, le Portugal ou la Grande-Bretagne, il existe une véritable séparation entre la vie politique locale et la vie politique nationale. Autrement dit, il existe deux types de personnel politique, et le fait qu'un député s'investisse dans sa circonscription n'est pas une évidence dans de nombreux pays étrangers. En France, c'est une évidence et un fait historique, mais ce n'est pas une évidence claire.

Aujourd'hui, la question se pose à plusieurs niveaux. Est-ce que ce lien est rompu ? La réponse est : non. Cependant, trois éléments ont fondamentalement fragilisé ce lien. Le premier élément est évidemment la fin du cumul des mandats. J'y reviendrai. Le deuxième élément, et je crois que l'on ne prend pas assez conscience de la nouveauté de ce fait, est une véritable distinction entre le champ partisan au niveau national et au niveau local. C'est la première fois depuis le début de la Troisième République que les forces politiques qui dominent le champ politique national ne sont pas celles qui dominent le champ politique local. Autrefois, les partis jouaient le rôle de courroies de transmission. En Grande-Bretagne ou en Allemagne, ils jouent encore ce rôle. En France, nous assistons aujourd'hui à cette double rupture, encouragée par l'affaiblissement de l'administration déconcentrée, ce qui conduit à une étanchéité croissante entre les champs politiques local – où persiste le cumul entre les différentes fonctions – et national – avec les députés et les sénateurs.

Devons-nous regretter le cumul des mandats ? J'ai une idée personnelle, mais elle importe peu. Les études publiées en droit et en sciences politiques sur ce sujet ne sont pas unanimes. Par exemple, les travaux de Laurent Bach montrent qu'un député qui cumule s'investit beaucoup moins à l'Assemblée nationale. En effet, pour des raisons compréhensibles, il a plus intérêt à s'investir au niveau de sa collectivité. Les données en sciences politiques indiquent que plus un parlementaire s'investit dans sa circonscription, plus ses chances de réélection augmentent. À l'inverse, plus il s'investit à l'Assemblée nationale, moins ses chances de réélection sont élevées, indépendamment des vagues majoritaires. Les données de Laurent Bach, basées sur plusieurs législatures, démontrent statistiquement cette réalité. D'autres auteurs – notamment Abel François et Laurent Weill – suggèrent une analyse plus complexe. Les parlementaires qui cumulent mais qui ne peuvent pas compter sur des services locaux s'investissent effectivement moins à l'Assemblée nationale. En revanche, ceux qui cumulent et qui peuvent s'appuyer sur l'administration d'une collectivité, comme l'a souligné Jean-Philippe Derosier, sont parfois plus actifs, en raison du soutien que leur apporte cette expertise locale.

Deux questions se posent alors. Premièrement, est-ce bénéfique ? Je n'en suis pas certain, car l'administration d'une collectivité n'a pas pour vocation de servir le travail d'un parlementaire, mais de répondre aux besoins de la collectivité. Cela soulève une question d'ordre éthique. Deuxièmement, si les parlementaires cumulant des mandats bénéficient d'un avantage, cela signifie-t-il que ce cumul profite à l'Assemblée nationale ou ne fait-il que pallier un manque de moyens des parlementaires ? Sur ce point, je rejoins pleinement l'avis de mon prédécesseur.

Le budget de l'Assemblée nationale équivaut à celui de la ville de Bordeaux – non de la métropole, mais de la ville elle-même. De même, le budget du Sénat correspond à celui de la ville de Grenoble – pas de la métropole, mais de la ville. Le Parlement français figure parmi les moins bien dotés en termes d'assistants parlementaires. Je ne parle pas ici de l'indemnité des parlementaires, mais des moyens humains qui leur apportent leur concours et leur permettent de développer une contre-expertise, entre autres. L'intérêt de votre mission d'information est indiscutable, mais il est nécessaire d'élargir le sujet à cet égard.

Pourquoi ressent-on aujourd'hui le besoin d'un ancrage territorial des parlementaires, alors que ce n'est le cas nulle part ailleurs ? Au-delà de la question des moyens, il convient de prendre en considération l'effet des chocs politiques. Si l'on retrace l'histoire du cumul des mandats, on observe qu'il se développe particulièrement sous la Cinquième République à deux périodes : après 1962 ‒ ainsi que dans les années 1980 ‒ et dans les années 1990. Dans les années 1960 à 1980, on prend conscience des vagues majoritaires. Avec le mode de scrutin actuel, si je suis dans le parti opposé au Président de la République récemment élu, mes chances de réélection deviennent plus réduites. L'ancrage local devient alors le seul levier sur lequel je peux agir. Les parlementaires s'ancrent localement parce qu'ils sentent qu'ils ont moins de pouvoir à Paris – ce qui renvoie à la question du pouvoir du Parlement –, et parce que c'est souvent la seule manière de « faire le gros dos » face aux vagues majoritaires. Dans les années 1990, des statistiques en sciences politiques montrent que l'affaiblissement et la fragilisation des partis politiques conduisent à un développement du cumul des mandats et de l'ancrage local. Le parti politique ne constitue plus un objet d'investissement comme auparavant. Au total, l'affaiblissement des partis politiques et du Parlement couplé au manque de moyens de ce dernier créent un besoin d'ancrage local. Cependant, il ne faut pas confondre le mal et la solution.

Peut-on encore développer cet ancrage local des parlementaires ? Au-delà des éléments que j'ai pu évoquer, je suis en grande partie d'accord avec les solutions proposées par le professeur Derosier – à l'exception des analyses relatives au Sénat. Mais il est essentiel de se poser la question suivante : pourquoi l'ancrage local des parlementaires est-il important ? Pourquoi faudrait-il développer leur présence dans les différents comités locaux ? Quel est l'objectif ? S'agit-il de contrôler ? Dans ce cas, cela permet-il de faire remonter des informations ? Si tel est le cas, est-ce que cela implique que le parlementaire pourrait constater qu'une loi n'est pas appliquée ou mal appliquée ? Dès lors, que pourrait-il faire ? Se pose alors la question des possibles recours pour excès de pouvoir, fondés sur la reconnaissance d'un intérêt à agir des parlementaires. À défaut le parlementaire se contenterait de siéger au sein de ces différents organes locaux et, le cas échéant, de constater l'impuissance. Une telle présence ne me semble donc pas, par elle-même, de nature à résoudre le problème de l'ancrage local.

Je vous invite par ailleurs à ne pas être dupes s'agissant de la démocratie participative au niveau local. Les études sur les comités citoyens au niveau local montrent que ce sont toujours les mêmes personnes qui participent, c'est-à-dire les retraités, les CSP+, les représentants d'associations, les individus qui non seulement votent, mais qui disposent souvent des relais pour agir au niveau national. De nombreux parlementaires nous ont approchés lors des manifestations des gilets jaunes en soulignant le fait qu'ils avaient organisé des consultations au niveau local. Or, évidemment, ce ne sont pas les gilets jaunes qui y participaient. Attention à ne pas confondre démocratie locale, collectivité territoriale – avec des taux d'abstention très élevés –, et ancrage local. Souvent, ces trois éléments ne sont pas corrélés.

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Pourquoi l'ancrage territorial est-il nécessaire ? Parce que le député a une responsabilité envers le territoire qui l'a élu. Le député d'aujourd'hui n'est plus celui d'hier. Nous sommes dans une configuration totalement différente.

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Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l'université d'Aix-Marseille

J'ai à la fois la chance et la malchance de prendre la parole après mes deux collègues car nombre des points que je souhaitais aborder ont déjà été évoqués, notamment d'un point de vue historique. Je vais donc m'efforcer d'aller à l'essentiel et d'évoquer des propositions.

Tout d'abord, il est indéniable que votre mission aborde un impensé juridique, car nous vivons aujourd'hui sous le dogme du mandat parlementaire selon lequel chaque député représente la nation en assemblée. C'est une évidence et une nécessité, mais une telle vision nous empêche aussi, dans une certaine mesure, de considérer le rôle du député à l'échelon local. La réforme du non-cumul des mandats nous a conduits à repenser cette relation avec la circonscription. Cependant, il ne faut pas limiter cette réflexion à la relation entre le député et sa circonscription ; il convient de l'élargir à sa relation avec les territoires en général.

Pour ma part, je suis beaucoup moins sceptique que mes collègues quant à la réforme du non-cumul des mandats, avec laquelle je suis en accord quasi total. Je ne pense pas que cette réforme soit la cause de la distance qui existe désormais entre le parlementaire et sa circonscription. Je partage l'avis de Jean-Philippe Derosier : bien plus que la réforme du non-cumul, c'est plutôt le renouvellement de la classe politique qui a conduit à l'émergence de nouveaux profils, souvent dépourvus d'ancrage territorial à l'origine.

Je suis légèrement dubitatif lorsque j'entends mon collègue Benjamin Morel – l'avantage de parler après lui est que je peux rebondir sur ses propos. Je ne crois pas que la réflexion sur le rôle local du parlementaire soit une spécificité française. Il me semble important de nuancer ce point. Des distinctions sont sans doute à opérer selon les formes d'État, notamment entre un État fédéral et un État unitaire. Dans un État fédéral, il est clair que le parlementaire entretient une relation extrêmement forte avec son territoire. Aux États-Unis, les parlementaires sont étroitement liés à leur circonscription et l'un de leurs rôles consiste expressément à « mettre de l'huile dans les rouages » de l'État fédéral en faisant remonter les considérations locales vers le sommet de celui-ci. Tel est également le cas au Canada, pour des raisons légèrement différentes. En effet, les provinces et les communautés y possèdent des identités culturelles marquées et attendent de leurs parlementaires qu'ils relaient leurs attentes spécifiques. Dans de nombreux États fédéraux, le rapport local des parlementaires est très prégnant.

Le Royaume-Uni – bien qu'il ne s'agisse pas d'un État fédéral – constitue un autre exemple, avec des parlementaires qui entretiennent un lien très fort avec leur circonscription. Même si aucun texte ne reconnaît expressément cette relation, dans la culture politique et dans les faits, celle-ci est très forte. Il est important de nuancer cette vision d'une spécificité française vis-à-vis de tels questionnements. Il faut néanmoins se demander pourquoi ce lien est nécessaire. Je partage totalement l'opinion de Mme la présidente lorsqu'elle souligne que le parlementaire d'aujourd'hui n'est plus celui d'hier. Plus que jamais il convient de recréer, de manière générale, du lien politique dans les territoires.

Plusieurs raisons le justifient. Premièrement, sur le plan démocratique, il est nécessaire de renouer une forme de dialogue et de confiance entre le parlementaire et les habitants de la circonscription. Cet élément est fondamental dans le contexte actuel de tensions politiques et sociales relativement fortes. Par ailleurs, retisser un lien avec le territoire permettrait de conférer une expertise au parlementaire sur les attentes, les besoins et les projets locaux, éléments qu'il pourrait ensuite relayer à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Dans une perspective démocratique, le parlementaire joue également un rôle pédagogique. Il doit expliquer aux citoyens, au niveau des territoires, ce qui est réalisé au niveau national, la politique menée, les discussions en cours.

Le rôle local du parlementaire est un impensé juridique, il n'est pas encadré par des règles particulières. Nous savons néanmoins que certains députés jouent un rôle exclusivement local. Dans la question de l'ancrage territorial, trois aspects se distinguent. Il y a d'abord le rôle local qu'exerce le parlementaire au bénéfice de l'exercice de sa fonction nationale. Il est susceptible d'acquérir une expertise et des informations qu'il peut ensuite faire falloir dans l'exercice de cette fonction, dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques ou pour permettre la meilleure adaptation des textes législatifs. Le parlementaire doit par ailleurs faire redescendre les différents éléments pertinents au niveau des territoires, jouant ainsi un rôle pédagogique et explicatif. Enfin, de manière informelle, le parlementaire peut jouer un rôle exclusivement local, facilitant les relations entre autorités déconcentrées et décentralisées, ainsi qu'entre les habitants et les personnes morales de droit public ou privé. Tous les parlementaires ne jouent pas ce rôle, mais certains prennent en main des situations personnelles.

Pour améliorer ou mieux prendre en compte cet ancrage territorial, une solution radicale consisterait à consacrer dans la Constitution l'existence d'un rôle supplémentaire pour le parlementaire, à savoir son rôle local. Une telle perspective est toutefois peu probable. En revanche, je soutiens la proposition de Jean-Philippe Derosier consistant à permettre aux parlementaires, en vertu de la loi, de se rendre dans l'ensemble des services publics. Il n'y a pas de raison de limiter cette possibilité aux seuls établissements pénitentiaires notamment. Il serait également intéressant de rédiger une charte du rôle local du parlementaire, qui inclurait des bonnes pratiques, des retours d'expérience, ainsi que des rappels quant à certaines obligations protocolaires. Cette charte pourrait aussi détailler les comportements appropriés lors d'invitations par les élus locaux ou les acteurs privés et mentionner l'existence de pratiques déjà mises dans certains territoires par certains parlementaires, à l'instar des ateliers législatifs citoyens ou des jurys populaires. Cela constituerait une source d'incitation et d'information pour l'ensemble des parlementaires. Il me semble également important que la source des amendements issus des rencontres et des ateliers législatifs citoyens organisés par les parlementaires soit mentionnée dans les annexes des rapports sur les projets et propositions de loi. Cela mettrait en lumière l'intérêt de ces démarches délibératives et participatives auprès des citoyens dans les circonscriptions. Plus généralement, il serait utile de mentionner toutes les rencontres effectuées sur les territoires dans le cadre des missions parlementaires.

Les fonctions nationales peuvent servir de tremplin pour s'ouvrir davantage aux territoires. Il s'agirait de permettre à un plus grand nombre de députés de créer des missions d'information. Au lieu de se limiter à des auditions parisiennes, ces missions pourraient être décentralisées pour favoriser les rencontres avec les acteurs locaux, publics et privés. Elles ouvriraient potentiellement le travail parlementaire à l'ensemble du territoire national.

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Je vous remercie de vous être livrés à l'exercice consistant à formuler des propositions. Il est essentiel de faire descendre l'information et d'expliquer le fonctionnement de nos institutions, notamment s'agissant de la fabrique de la loi. Il est primordial que nos concitoyens comprennent comment les lois sont élaborées. L'objectif est de permettre à nos concitoyens de se sentir légitimes pour proposer, réagir et s'investir. Cela me semble fondamental.

Je souhaite également aborder la question des moyens. Actuellement, nous avons la possibilité d'envoyer une seule lettre par an à nos concitoyens, d'où l'importance de bien cibler cette communication et de la rendre substantielle, avec des QR codes et des liens pour montrer que notre action ne se limite pas à cette lettre. Il existe aussi des newsletters et d'autres moyens de communication, mais nous devons être capables de toucher l'ensemble de la population. C'est une nécessité.

La mission de contrôle est extrêmement importante. Si nous constatons une non-application de la loi, quels moyens pouvons-nous mettre en œuvre pour y remédier ? Cela nous ramène encore à la question des moyens. Il existe une mission parfois perçue comme moins noble par nos collègues : la mission d'assistance sociale. Elle est pourtant essentielle, également parce qu'elle permet de faire remonter les difficultés d'application des lois.

En résumé, il nous faut renforcer notre capacité à informer nos concitoyens et à contrôler l'application des lois, tout en disposant des moyens nécessaires pour accomplir ces missions.

Je mentionne un aspect que nous n'avons pas encore abordé, celui du contact physique avec nos concitoyens. Ce point me semble d'une importance capitale. Il est également essentiel de discuter de l'accès des parlementaires aux collectivités territoriales, sujet que vous n'avez pas mentionné. Ne pourrait-on pas envisager de permettre aux parlementaires à participer aux conseils intercommunaux ? Il ne s'agit pas de contraindre les collectivités à cet égard, mais de les inviter à l'envisager. Je soumets cette proposition à votre réflexion, car elle pourrait également s'appliquer aux entreprises, aux associations et aux services déconcentrés de l'État.

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J'ai écouté attentivement vos propos et j'ai retenu plusieurs points importants. Vous avez mentionné l'absence de mandat impératif, mais la mise en place d'un référendum révocatoire pourrait être envisagée. Un tel référendum ne pourrait-il pas être un moyen de recréer un lien entre les élus et les citoyens ? Tous les moyens d'action sur notre territoire et notre circonscription ont été supprimés depuis la disparition de la réserve parlementaire. Nous n'avons plus de moyens d'agir, nous sommes devenus des élus fantômes. Les citoyens viennent nous voir, mais nous ne pouvons rien leur proposer. Je m'interroge sur l'existence et l'intérêt de ce lien. Ma circonscription qui compte plus de 150 000 habitants, alors qu'en Lozère, il y en a 75 000. Cela signifie que mes électeurs sont deux fois moins représentés à l'Assemblée nationale que les habitants de la Lozère. Est-ce normal ? Ne devrions-nous revenir au mode de scrutin de 1986 ? Il s'agirait de mettre un terme à ce lien fictif avec un territoire et de revenir à la proportionnelle départementale, qui garantit un pluralisme sans attribuer un rôle sur un territoire qui, de toute manière, n'existe pas et ne peut exister car nous ne distribuons pas de logements, nous ne gérons pas de services publics, etc.

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Je propose que chacun d'entre vous réponde sur la question du référendum révocatoire qui me paraît être un sujet effectivement important.

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Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille

Nous pouvons aussi répondre à Mme la rapporteure. J'ai affirmé mon attachement à la règle de l'article 27 de la Constitution, mais je n'ai jamais évoqué le référendum révocatoire et je n'y suis absolument pas favorable. Mon opposition repose sur des raisons juridiques. Contrairement à ce que vous avancez, bien que je respecte les propositions de votre parti politique, je pense que le référendum révocatoire casse le lien entre l'électeur et l'élu. Ce dernier ne chercherait alors plus à accomplir sa mission en accord avec ses convictions et l'intérêt général, mais viserait constamment à satisfaire les moindres attentes de ses électeurs. Je ne crois pas que ce soit sain. La société dans laquelle nous vivons, marquée par une connectivité numérique accrue, renforce une vision court-termiste qui ne permet pas d'avoir une perspective à long terme sur l'exercice d'un mandat de deux, quatre ou cinq ans.

Une autre solution, à laquelle je ne suis pas favorable à titre personnel, mais qui peut être discutée juridiquement, serait de raccourcir la durée des mandats.

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Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

Je suis défavorable au référendum révocatoire, mais il faut reconnaître que, là où il existe, il n'entraîne pas de dysfonctionnements majeurs. Soyons honnêtes du point de vue du droit et de la politique comparés : il n'y a pas de raz-de-marée d'instabilité lorsque le référendum révocatoire existe. C'est une question de principe, un principe sur lequel on peut discuter. La fin du mandat impératif constitue l'un des apports de la Révolution française. Le député élu est mandaté pour délibérer sur ce qui constitue l'intérêt général. Il doit pouvoir se laisser convaincre. Il se peut qu'il ait promis quelque chose durant la campagne, mais s'il comprend, à la faveur du débat, que ce qu'il avait promis s'avère néfaste, il doit pouvoir changer d'avis. Le référendum révocatoire exerce une pression liée à la campagne électorale et qui empêche la détermination de cet intérêt général. Pour des raisons ancrées dans une forme de républicanisme français traditionnel, je suis plutôt défavorable à cette mesure. Cependant, je reconnais que cela n'a jamais entraîné une instabilité chronique dans les États où cette mesure a été mise en place.

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Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l'université d'Aix-Marseille

Je ne suis pas favorable au référendum révocatoire, car il constitue une pression sur le parlementaire durant un mandat qui, à mon avis, n'est pas suffisamment long pour lui permettre de faire ses preuves et pour mettre en œuvre une politique. Je partage le constat de Benjamin Morel ; là où il a été instauré, il n'a jamais entraîné une instabilité politique problématique ou chronique. Le référendum révocatoire soulève toujours une difficulté. Soit les conditions sont extrêmement rigoureuses et strictes, rendant la révocation quasi impossible ; soit elles sont trop permissives, créant un véritable risque d'instabilité. Je ne perçois pas en quoi cette pression et cette tension entre le parlementaire et les électeurs pourraient renforcer un ancrage territorial. Je demeure sceptique à ce sujet.

Je souhaite aborder certains points évoqués par Mme la rapporteure. Parmi les différentes propositions que j'avais envisagées, celle qui me semble particulièrement pertinente concerne la relation à renouer entre le parlementaire et les collectivités territoriales. Il me paraît nécessaire, dans ce contexte, de proposer un texte législatif permettant aux parlementaires d'être entendus et de présenter, comme le suggérait Jean-Philippe Derosier, un bilan de mandat ou un bilan annuel. Toutefois, il serait intéressant d'élargir cette idée et de permettre aux parlementaires d'exposer les enjeux d'une réforme, les grands enjeux territoriaux, etc.

La question de l'assistance sociale recouvre ce que je désignais lorsque j'évoquais le rôle purement local du parlementaire, qui consiste parfois à prendre en charge des situations personnelles de citoyens rencontrant, par exemple, de réelles difficultés d'accès à certains droits. Bien que cela puisse sembler éloigné de l'exercice du mandat parlementaire, ce rôle reste fondamental pour comprendre les blocages du quotidien auxquels les habitants d'un territoire peuvent être confrontés dans leurs relations avec l'administration, les autorités déconcentrées ou décentralisées et les services publics. Ce rôle est essentiel, car il permet d'adapter les textes législatifs et alimente les pistes de réforme.

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Vous nous avez indiqué lors de votre propos introductif que vous aviez plusieurs propositions. N'hésitez pas à nous les transmettre ; elles pourraient être annexées au rapport de la mission.

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Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille

Nous avons formulé 130 propositions dans le cadre du Gréci ‒ 171 lorsqu'on les développe ‒, mais toute ne concerne pas l'ancrage territorial.

J'ai mentionné les collectivités territoriales de manière incidente en évoquant la proposition de refonte du mode de désignation des sénateurs, qui suppose un lien institutionnel avec les collectivités territoriales. En effet, la moitié des sénateurs seraient issus des conseils des collectivités territoriales. Je ne serais absolument pas opposé à ce que les députés puissent également accéder aux conseils des collectivités de leurs circonscriptions ‒ je trouverai même cela assez sain. Toutefois, je doute qu'ils aient le temps d'y être systématiquement présents, notamment dans les conseils municipaux, qui sont particulièrement nombreux en raison du morcellement municipal que nous connaissons. C'est pourquoi je m'étais concentré sur le Sénat.

Par ailleurs, j'avais évoqué la communication d'un bilan annuel, susceptible d'inclure par ailleurs un volet prospectif. Il ne s'agit pas seulement de rapporter les actions réalisées minute par minute, mais de mettre en place une forme de communication institutionnalisée.

Concernant le contrôle, nous avons proposé deux mesures dans le cadre du Gréci. La première consiste en une révision de l'article 37 de la Constitution, imposant au Gouvernement de prendre les mesures d'exécution des lois dans un délai déterminé ‒ six mois. La seconde proposition, qui s'inscrit dans le prolongement de la première, est l'ajout d'un article 51-3, constitutionnalisant la pratique de contrôle par le Parlement de la bonne exécution des lois six mois après leur adoption. Les modalités de ce contrôle seraient laissées libres, mais l'obligation serait constitutionnalisée. Aucune sanction directe ne serait prévue, mais le name and shame pourrait jouer un rôle dissuasif dans une certaine mesure.

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Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

Je ne partage pas l'avis de Jean-Philippe Derosier s'agissant du Sénat. Le Sénat, représentant des collectivités, date de 1958. Constitutionnellement, il représente les collectivités de manière assez incidente ; il représente surtout le peuple territorialisé. S'il devait représenter les collectivités territoriales en tant que telles, il ne serait plus une assemblée à compétence générale mais deviendrait une assemblée consultative ‒ on change alors la forme de l'État. Sur ce point, il ne faut pas s'avancer davantage. Cela ne signifie pas qu'un plus grand investissement des collectivités dans l'action législative n'est pas envisageable. On ouvre ainsi un champ de possibilités : loi de programmation des finances des collectivités territoriales, consultation des celles-ci en amont des projets de loi, etc. Le rôle des élus locaux dans ce domaine doit être revalorisé, ce qui constitue peut-être un chantier en soi.

Le problème de la communication entre le parlementaire au niveau local et les collectivités territoriales me semble aujourd'hui plus lié aux circonstances que j'évoquais, c'est-à-dire cette forme d'étanchéité entre les deux champs. Les partis politiques, moins bien implantés qu'autrefois, ne facilitent plus les choses comme avant, où tout se faisait plus naturellement dans le cadre des partis. Cette situation est-elle structurelle ou conjoncturelle ? Cela change la perception du problème.

Concernant le contrôle, je suis d'accord avec ce qui a été dit, notamment sur l'accès des parlementaires à certains lieux. Mais là encore, je reviens sur le pourquoi. Au bout du compte, que fait-on ? Quelles en sont les conséquences ? Je reviens à la question de l'intérêt à agir dans le cadre des recours pour excès de pouvoir. Cela semble être un élément pertinent, notamment sur l'ancrage local, permettant aux parlementaires de ne pas se contenter de dire : « Je constate un dysfonctionnement, mais que voulez-vous que je fasse ? Je vais rédiger une question écrite et l'adresser au ministre », mais « Je suis en mesure d'agir concrètement pour remédier à la source du dysfonctionnement ».

Il en va de même s'agissant de la revalorisation de la capacité d'initiative des parlementaires afin d'en tirer des conséquences législatives.

La mission « d'assistance sociale » me semble tout à fait essentielle. Cela pose également la question des moyens. Vous en êtes bien conscients, les assistants parlementaires en circonscription sont débordés et ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour assurer pleinement ce type de mission. Si davantage de moyens étaient alloués aux parlementaires pour le recrutement de collaborateurs ‒ sans pour autant atteindre les niveaux des parlementaires américains mais en s'inspirant par exemple du Bundestag ‒, il serait possible de renforcer l'ancrage local et de mieux s'investir sur le terrain. Comme l'a très bien souligné M. Kerléo tout à l'heure, cela permettrait d'améliorer la pédagogie et la diffusion de l'information. Toutefois, la démarche nécessite des moyens, notamment humains.

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Le quinquennat présidentiel n'a-t-il pas fragilisé l'ancrage territorial des élus en raison des élections législatives qui suivent immédiatement les présidentielles, rendant difficile une campagne personnalisée ? On observe des vagues électorales qui permettent à des candidats non enracinés et non identifiés de bénéficier de cette dynamique.

Dans le cadre de la réflexion quant au cadre qui pourrait être bâti s'agissant du rôle local des parlementaires et de leur ancrage territorial, ne faut-il pas prendre en compte les différences entre les territoires ? Par exemple, un élu de circonscription urbaine, qui représente parfois seulement une partie d'une ville, entretient un rapport avec les collectivités locales très différent de celui d'un député dont la circonscription comprend près de trois cents communes, comme dans le Grand Est. L'ancrage se fait souvent par l'intermédiaire d'associations en milieu urbain. Ne faudrait-il pas prendre en compte la spécificité des territoires et des circonscriptions ?

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L'objectif de la loi sur le non-cumul des mandats était de lutter contre l'abstention. Ma question est simple : avez-vous réalisé ou consulté des études sur l'abstention, en comparant les élus qui cumulent des mandats au niveau local avec ceux qui ne le font pas ‒ les parlementaires ? Mon impression ‒ mais je n'ai lu aucune étude à ce sujet ‒ est que les élus qui cumulent des mandats au niveau local sont « mieux élus » que ceux qui ne cumulent pas. Existe-t-il des études à ce sujet ?

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Je souhaite rappeler que le cumul des mandats existe toujours, comme vous l'avez mentionné, non seulement chez nous, mais aussi ailleurs, et entre différents mandats. En effet, il est possible d'être maire, président ou présidente d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), conseiller départemental ou régional, et de présider de nombreux conseils d'administration, établissements publics industriels et commerciaux (Epic), de syndicats, etc. D'après mon expérience, la qualité du travail et de l'investissement est nettement moindre ‒ ou du moins inégale ‒ lorsque l'on multiplie les mandats et les responsabilités.

Concernant les parlementaires, j'ai toujours du mal à croire que la proximité passe obligatoirement par le cumul des mandats. De quelle proximité parle-t-on réellement ? Est-ce une proximité avec le territoire ou plutôt avec ceux qui le dirigent ? Les recherches universitaires montrent que les élus locaux ne sont finalement pas si représentatifs de la population française que l'on pourrait l'imaginer. S'agit-il plutôt d'une proximité avec les citoyennes et citoyens qui y vivent ? À cet égard, quelle place tient la composition sociologique de l'Assemblée ? Une autre question que j'aurais aimé poser a été soulevée par mon collègue Xavier Breton.

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En entendant nos interlocuteurs, je constate la nécessité d'améliorer l'association des collectivités territoriales au travail législatif. J'essaie de mettre cela en pratique dans ma circonscription, mais je peux vous assurer que ce n'est pas simple. Les maires manquent de temps pour suivre nos activités, même lorsque nous leur fournissons de nombreuses synthèses. Bien que nous puissions les associer, je constate des difficultés à les intéresser, malgré mes efforts réguliers pour organiser des conférences des maires et participer aux conseils municipaux.

Je ne pense pas que cela soit lié à la question du cumul des mandats. Nous avons voté une loi il y a un certain temps pour mettre fin à cette pratique. Aujourd'hui, il est essentiel de faire comprendre localement que cette loi a été adoptée et qu'il faut désormais agir différemment. En tant que parlementaires, nous faisons face à la réticence des services de l'État à collaborer avec nous. Ce n'est pas une question de cumul des mandats, mais de coopération. Il ne s'agit pas de multiplier les lois, mais de s'assurer que les services de l'État nous fournissent les informations nécessaires lorsque nous travaillons dans nos circonscriptions, ce qui fait souvent défaut. La qualité de notre collaboration dépend du binôme que nous formons avec le préfet en poste. En six ans, j'ai travaillé avec quatre préfets différents, ce qui pose un problème de continuité dans notre travail. À chaque arrivée d'un nouveau préfet, nous devons répéter le même cycle, ce qui entrave notre efficacité.

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Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

Le problème ne réside pas tant dans la mise en place du quinquennat que dans le télescopage des calendriers électoraux, lequel a fragilisé les partis politiques, qui ne présentent plus de grands programmes durant les élections législatives, et a également affaibli l'ancrage local des parlementaires. Le phénomène que vous décrivez est observable élection après élection et, d'un point de vue statistique, de manière très claire depuis 1962. Avant cela, les dissolutions de confort et les élections législatives suivant un référendum ou une élection présidentielle entraînaient des effets de vagues. Ces vagues, amplifiées par le mode de scrutin, nécessitaient un ancrage local très fort et une bonne image locale pour y résister. Ces effets de vagues ont été institutionnalisés par le quinquennat et le télescopage des calendriers électoraux – deux sujets distincts à l'époque avec, notamment, l'adoption d'une loi organique qui n'avait pas reçu l'aval du Sénat.

En ce qui concerne l'ancrage urbain-rural, je suis tout à fait d'accord. J'ai rédigé un article il y a quelques années, qui a peut-être un peu vieilli à cause de la pandémie de covid-19, mais qui montrait qu'en politique et en droit comparés, il existe des différences notables à l'étranger. La prise en compte de l'éloignement de la capitale et des caractéristiques de la circonscription s'agissant des moyens matériels mis à disposition – c'est d'ailleurs le cas en France pour les outre-mer – et le temps imparti à l'activité législative peut être modulée. En effet, il pourrait être pertinent de réfléchir à une modulation de l'activité des parlementaires selon le type de circonscription. Cela se fait assez bien, notamment en Grande-Bretagne.

À ma connaissance, il n'existe pas d'étude claire sur le lien entre le non-cumul et l'abstention en France. Ce qui est certain, c'est que le principal phénomène en matière d'abstention législative est une participation différentielle liée à l'élection présidentielle précédente. Pour simplifier, l'électorat du président se mobilise, tandis que celui de l'opposition, groggy, ne se mobilise pas. Cela ne s'est pas produit lors des dernières élections, d'où la majorité relative actuelle. Il n'existe pas de lien direct entre l'abstention et la fin du cumul des mandats. En revanche il est vrai que, localement, une sur-mobilisation d'une partie de l'électorat qui structurellement serait plus abstentionniste peut se produire si le parlementaire est bien ancré dans son territoire. La prime au sortant est un phénomène bien documenté en science politique, et elle s'applique tant aux élections locales qu'aux élections législatives. La notoriété et la visibilité d'un candidat sortant engendrent un effet de vote significatif. Toutefois, il est difficile de déterminer si cet effet influe sur la participation générale, c'est-à-dire s'il incite davantage d'électeurs à se rendre aux urnes, ou s'il se limite à orienter le choix des votants ‒ certains électeurs votant pour un candidat simplement parce qu'ils le connaissent, même s'ils en auraient initialement préféré un autre. L'impact sur l'abstention reste incertain, mais la prime au sortant est indéniable.

Un dernier point concerne la représentativité des citoyens. Encore une fois, il ne faut pas être trop dupe s'agissant de la démocratie participative. En substance, il faut être en mesure d'aller chercher les gilets jaunes, en créant des points de contact visibles et institutionnalisés. Par exemple, la création de maisons de l'Assemblée nationale avait été évoquée il y a quelques années. C'est important car la permanence d'un parlementaire varie en fonction de la personne élue. Si moi, gilet jaune, ignore qui est mon parlementaire et où le trouver, un point de contact stable et institutionnalisé, en plus des permanences habituelles, permettrait de faciliter l'accès et de créer un recours potentiel. Cela rejoint également la question du rôle du parlementaire en tant qu'assistant social. Il est parfois important de disposer de lieux consacrés à telle institution, afin d'être visible, audible et d'accueillir de nouvelles populations.

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Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l'université d'Aix-Marseille

Je souhaite prolonger la réflexion de M. Morel, qui me semble primordiale. Dans les procédures de démocratie participative, on retrouve toujours les mêmes participants. C'est une des grandes critiques qui leur sont adressées. Il est impératif d'aller chercher ceux qui ne viennent pas spontanément, de leur demander leur avis. Une réflexion mérite d'être menée sur la manière de les attirer, de les capter, de les inciter à venir éventuellement à la permanence, même si l'exercice n'est pas évident en cas de déménagement de celle-ci. Il serait peut-être pertinent de réfléchir au statut de cette permanence, d'analyser s'il serait possible de la reconnaître juridiquement et de lui attribuer des moyens.

Le grand débat national a constitué un moment où les Français ont pu s'exprimer. Des dizaines de milliers d'opinions ont été recueillies mais elles ont disparu, elles n'ont pas été exploitées. Le rôle du parlementaire pourrait consister à recréer de manière permanente ce grand débat national en ouvrant des cahiers de doléances dans les permanences. Cela permettrait à chacun de s'exprimer, d'écrire ses préoccupations, en facilitant cette possibilité pour ceux qui n'auraient pas naturellement l'envie de s'adresser directement au parlementaire. Il est essentiel d'ouvrir cette possibilité d'expression, que ce soit dans les permanences ou ailleurs, sans nécessiter un contact direct avec le parlementaire. Il faut repenser le statut de la permanence comme un lieu de vie du Parlement dans les territoires.

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Je reviens à la question de la députée Aude Luquet sur la difficulté à travailler avec les services de l'État qui ne veulent pas du parlementaire, que l'on dérange. Quand on est invité à se rendre dans certains services on peut le faire, mais être à l'initiative d'une telle démarche se révèle quand même très compliqué.

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Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l'université d'Aix-Marseille

Il y a deux aspects à considérer : l'association avec les collectivités territoriales ; l'association avec le préfet. Je comprends parfaitement la difficulté. Les élus locaux et les maires sont eux-mêmes absolument débordés, avec des moyens parfois dérisoires. Organiser des temps de rencontre s'avère compliqué. Pour garantir leur efficacité, il faudrait une assise juridique, prévoir des conférences locales entre parlementaires et élus locaux. Il faudrait peut-être les reconnaître juridiquement et élaborer un cadre permettant de faciliter ces rencontres. Il est selon moi indispensable de permettre à un parlementaire de venir s'exprimer dans un conseil municipal, d'exposer les problèmes d'un territoire, d'expliquer les enjeux d'une réforme, etc. Je comprends bien la difficulté dans certains territoires, où les déplacements sont extrêmement problématiques en raison du grand nombre de collectivités. Il faudrait réfléchir à des moyens différents pour certains parlementaires, bien que cela pose la question du respect de l'égalité du statut des parlementaires.

Quant au lien avec le préfet, c'est une question très compliquée du point de vue juridique. Imposer juridiquement à un préfet d'entrer en contact avec un parlementaire, de l'écouter et de le rencontrer, risque d'être inconstitutionnel et considéré comme une atteinte à la séparation des pouvoirs, puisque le préfet dépend de l'exécutif et non du Parlement. Nous nous heurtons sans doute ici à une limite constitutionnelle que je ne vois pas comment surmonter.

Il faut donc compter sur des rapports informels et des bonnes pratiques. Cela n'empêche pas d'élaborer des textes sans portée normative, des codes ou des chartes de bonnes pratiques dans les relations entre autorités déconcentrées et parlementaires sur un territoire, ou entre autorités décentralisées et parlementaires. Il serait possible d'établir des textes non contraignants, mais très incitatifs sur la nécessité d'écouter, d'entendre et de recevoir à la demande du parlementaire. Toutefois, juridiquement, il me semble impossible de prévoir un dispositif contraignant.

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Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille

Je rejoins largement ce que disait le professeur Kerléo. Cependant, concernant le dernier point, je pense que nous pouvons institutionnaliser des rapports entre les parlementaires et le préfet sans porter atteinte à la séparation des pouvoirs. La séparation des pouvoirs ne signifie pas l'isolement des pouvoirs, mais leur collaboration. Les parlementaires entretiennent des relations avec les gouvernements, il n'y a donc pas de raison qu'ils n'en aient pas avec le préfet au niveau local. Divers moyens peuvent être envisagés ‒ pas nécessairement des conférences réunissant préfets et parlementaires, ce qui ne me semblerait pas d'une grande utilité. En revanche, imposer au préfet de faciliter la vie des parlementaires au niveau local, selon des modalités à déterminer, est une idée à explorer. Les préfets jouent un rôle dans l'aménagement des territoires qu'ils administrent, ce qui rend cette collaboration tout à fait envisageable.

Je souscris pleinement à la préoccupation de la députée Aude Luquet. Des considérations humaines sont également à prendre prises en compte pour faire comprendre aux préfets que les parlementaires ne sont pas des incompétents en puissance. Cela passe par une formation dans l'administration, que la disparition de l'École nationale d'administration n'a pas forcément facilitée. Avec le temps, peut-être que les choses évolueront.

Je suis plus sceptique quant à l'observation de mon collègue Morel concernant la prime aux sortants. Elle est incontestable au niveau local pour certaines communes, mais je suis plus réservé sur les législatives. L'exemple de 2017 a démontré qu'il n'y avait pas de prime aux sortants, bien au contraire. Je ne suis pas certain que ce soit un élément à prendre en compte.

En ce qui concerne la lutte contre l'abstention liée à la fin du cumul des mandats, je n'ai pas connaissance d'études spécifiques à ce sujet. Il est certain, et je rejoins M. Morel sur ce point, que l'abstention lors des élections législatives est en grande partie due à la proximité de l'élection présidentielle. Une solution pourrait être, comme proposé dans le cadre du Gréci, d'organiser les deux scrutins le même jour. J'y suis personnellement favorable, car cela permettrait de fusionner les deux campagnes électorales. Les députés élus seraient, comme aujourd'hui, en partie redevables au Président de la République, mais ce dernier le serait également envers les députés qui auraient soutenu sa campagne. Cet aspect mérite d'être pris en compte pour répondre aux enjeux du quinquennat et des calendriers électoraux.

La diversité territoriale de la France ne peut être ignorée. Nous sommes le plus grand pays d'Europe continentale, à l'exception de l'Ukraine, avec un territoire extrêmement varié. Contrairement à ce que laissait entendre M. Kerléo, l'attribution de moyens différenciés est envisageable ; cela existe déjà. Par exemple, un élu d'outre-mer ne dispose pas des mêmes moyens qu'un élu de métropole ; un élu représentant les Français de l'étranger n'a pas les mêmes moyens qu'un parlementaire élu dans le cadre des circonscriptions nationales. Il serait donc pertinent d'adapter les moyens en fonction de la taille et de la géographie des circonscriptions. Un élu de montagne, par exemple, peut mettre deux heures pour parcourir vingt kilomètres, en raison des contraintes géographiques ‒ on va parfois plus vite à ski, ou en hélicoptère !

J'en viens à l'interrogation sur la proximité avec le territoire et les citoyens et j'y réponds : les deux, mon général ! Il faut à la fois être proche de son territoire, en connaître les spécificités et les subtilités, et, à travers lui, être proche de la population de ce territoire, donc des citoyens. De mon point de vue, l'un ne va pas sans l'autre. Un lien étroit doit exister avec les collectivités, d'où ma proposition qui ne modifierait pas nécessairement la forme de l'État ‒ notion assez floue selon moi. Il est important d'être proche des électeurs, des personnes que l'on représente. À cet égard, tous les moyens sont bons, à condition d'utiliser les plus appropriés. Cela m'amène à aborder une question soulevée précédemment : le retour à la proportionnelle. J'ai toujours été profondément hostile à cette idée. Je pense qu'elle affaiblirait encore davantage le lien entre les électeurs et les parlementaires élus au scrutin proportionnel. De plus, le scrutin proportionnel est, à mon sens, bien moins démocratique que le scrutin majoritaire. Ce sujet pourrait faire l'objet d'une autre mission d'information.

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Le propos a été riche et je vous remercie de votre implication. On vous demande de parler de nous, et nous nous connaissons bien. Parfois, il semble qu'il faudrait, comme me le soufflait Mme la rapporteure sur le ton de l'humour, que vous veniez en stage avec nous dans nos permanences pour mesurer une réalité que nous cherchons à transcrire dans la loi afin de faciliter notre vie de parlementaire.

Comprenez bien que notre préoccupation est de faire en sorte que les institutions fonctionnent bien ensemble. Nous avons le sentiment qu'avec le non-cumul des mandats, qui n'a pas été suivi d'une analyse de « l'après non-cumul », les institutions travaillent chacune de manière isolée. Cela nuit à la lisibilité des politiques publiques conduites par le Gouvernement. C'est un sujet démocratique extrêmement sérieux. Envisager d'institutionnaliser des relations avec des préfets que l'on côtoie de manière permanente sur le territoire me semble une piste de réflexion extrêmement intéressante. Mes collègues et moi-même sommes interloqués lorsqu'il s'agit d'exposer une loi que nous connaissons bien parce que nous en avons débattu en commission et que nous voyons le préfet la présenter de manière incomplète et insatisfaisante – ce qui est logique car il n'a pas participé aux débats. Or nous sommes présents à ses côtés et à même d'apporter aux élus des explications sur telle disposition, sur la manière dont elle devait être mise en œuvre – modalité que le règlement ou le décret ne respecte pas toujours.

Nous devons aborder ces questions qui deviennent de plus en plus pressantes. Il est impossible de les résoudre sans une approche réglementaire, législative, voire constitutionnelle.

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Nous vous remercions de vous être prêtés à l'exercice et examinerons attentivement vos propositions. Il était essentiel de vous entendre.

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Nous attendons vos propositions, notamment celles qui émergeront de cette discussion.

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Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille

Bien que je ne puisse répondre à toutes les questions du questionnaire, je vous transmettrai quelques points essentiels.

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Nous avons des observations à formuler concernant les territoires, et cela ne se limite pas au moment du grand débat. Tous les parlementaires, qu'ils soient de l'opposition ou de la majorité, doivent s'exprimer. Le Parlement doit vivre, et je pense qu'il ne vit pas suffisamment aujourd'hui ‒ bien qu'il soit récréatif !

Je vous remercie.

La séance est levée à 18 heures 05.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Bruno Bilde, M. Xavier Breton, M. Sébastien Chenu, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Bastien Lachaud, Mme Aude Luquet, M. Stéphane Peu, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Jean-Claude Raux, M. Jean-Pierre Taite, Mme Cécile Untermaier

Excusés. - M. Jean-Charles Larsonneur, M. Jean-François Lovisolo