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Intervention de Jean-Philippe Derosier

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 16h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur le rôle local et l'ancrage territorial des parlementaires

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille :

Je suis ravi de participer aux travaux cette mission d'information. J'avais déjà été entendu dans le cadre de la proposition de loi organique que vous avez mentionnée, et je suis heureux de revenir dans cette institution. Comme la présidente l'a rappelé, cette maison a marqué non seulement mes premières années d'activités professionnelles, mais aussi mon enfance, en raison de la présence d'un parlementaire de ma famille qui exerçait ici et qui était un cumulard dans l'âme. Comme vous, madame la présidente, je mentionnerai mes potentiels conflits d'intérêts. J'ai toujours été très attaché au cumul des mandats, peut-être par déformation familiale. Je pense que le cumul – qui n'était pas sans connaître des limitations, même dans les années 1980 et au début des années 2000 – pouvait comporter certaines vertus. J'en soulignerai deux.

Premièrement, l'ancrage territorial, qui s'est incontestablement estompé depuis l'instauration du Parlement du non-cumul. Cependant, cette atténuation de l'ancrage territorial n'est pas exclusivement due à la suppression du cumul. En 2017, l'Assemblée nationale a connu un renouvellement sans précédent, avec des élus qui n'étaient pas forcément investis de fonctions électives locales, et encore moins de fonctions exécutives locales, puisque cela ne leur était plus possible. Je pense que cette atténuation de l'ancrage territorial est davantage due à ce renouvellement qu'à l'interdiction du cumul. Néanmoins il va de soi, de mon point de vue, que si le cumul était toujours autorisé, notamment pour les fonctions exécutives, l'ancrage territorial pourrait être renforcé. Toutefois, même si j'ai toujours été attaché au cumul, je ne suis pas favorable à un retour en arrière. Je considère que nous avons pris une décision et que certains arguments avancés pour supprimer le cumul n'étaient pas totalement infondés. D'autres solutions peuvent être trouvées pour renforcer l'ancrage territorial, sans nécessairement rétablir le cumul des mandats.

La seconde vertu du cumul des mandats réside dans les moyens, notamment humains, dont disposait un parlementaire cumulant une fonction législative avec une fonction de maire ou de président d'un exécutif local, grâce à son cabinet. Il est évident qu'il n'était pas question de mobiliser tous les collaborateurs et conseillers de son cabinet sur les sujets législatifs. Cependant, l'expertise de ces derniers s'agissant des sujets locaux s'avérait incontestablement précieuse pour son mandat de parlementaire – et je parle en connaissance de cause. Ainsi, le travail d'un parlementaire, lorsque ce dernier était davantage entouré, s'en trouvait facilité, et sa qualité améliorée.

Vous avez soulevé, tant madame la rapporteure que madame la présidente, la question des moyens. Cette question est inévitablement et directement liée au renforcement de l'ancrage territorial. Pour répondre clairement et brièvement à une question posée, je pense que les moyens des parlementaires français sont insuffisants.

Quelles solutions pourrions-nous envisager ? Je me limiterai à en proposer deux, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre, ni nécessairement exhaustives.

En premier lieu, nous pouvons renforcer l'ancrage territorial des parlementaires avec les collectivités territoriales. À mon sens, le levier se situe au niveau du Sénat. J'ai dirigé l'année dernière un Groupe de réflexion sur l'évolution de la constitution et des institutions (Gréci). Les propositions de ce groupe ont été mises en ligne sur une plateforme électronique, legreci.fr, et seront publiées chez LexisNexis en septembre. Nous y avons notamment formulé une proposition visant à refondre le mode de désignation des sénateurs. Cette proposition permettrait, d'une part, de renforcer encore l'attachement avec les collectivités territoriales et, d'autre part, d'estomper la sur-représentativité des petites communes rurales. Pour ce faire, les sénateurs seraient désignés de deux façons, comme c'est déjà le cas aujourd'hui. Environ la moitié d'entre eux seraient issus des conseils régionaux, des conseils départementaux et des conseils municipaux des villes de plus de 100 000 habitants. Je précise que, dans ce schéma, les collectivités d'outre-mer sont assimilées à des régions. Cela représente environ 160 sénateurs qui seraient élus par le conseil au sein de leur propre conseil, à l'image d'un président de conseil régional. Ainsi, un des membres serait élu pour devenir le sénateur de la région, du département ou de la commune de plus de 100 000 habitants.

L'autre moitié des sénateurs serait élue sur une base régionale par les conseils municipaux, répartis en différentes catégories : les conseils municipaux des communes de moins de 1 000 habitants éliraient un sénateur pour la région ; ceux des communes de 1 000 à 10 000 habitants en éliraient deux ; ceux des communes de 10 000 à 100 000 habitants en éliraient quatre. Cela ferait approximativement sept sénateurs supplémentaires par région. En multipliant par le nombre de régions, on arrive à un total d'environ 165 sénateurs. Les détails précis sont disponibles dans la proposition que vous pouvez consulter sur la plateforme.

Cette méthode permettrait non seulement de moderniser le Sénat, mais aussi de favoriser une alternance peut-être plus fréquente que celle observée depuis 1958. Elle renforcerait également le lien avec les collectivités territoriales.

Quant au lien avec la population, plusieurs mesures peuvent être envisagées. Certains de mes illustres collègues ont notamment proposé de créer des assemblées citoyennes à l'initiative des parlementaires. Cependant, cela me semble impossible sans une modification de la Constitution et une remise en cause du sacro-saint principe auquel nous sommes tous attachés selon lequel tout mandat impératif est nul et qu'on ne peut imposer une obligation à un député ou à un sénateur. En revanche, il est possible d'imposer aux mairies de publier chaque année le compte rendu ou le bilan annuel du mandat du parlementaire de la circonscription dont il relève. Si la mairie ne recevait pas un tel document, elle devrait indiquer publiquement qu'aucun bilan ou compte rendu n'a été reçu. Je suis convaincu qu'un député ou un sénateur qui omettrait une fois d'envoyer son bilan ou son compte rendu annuel ne répéterait pas cette erreur. L'année suivante, il se rattraperait en organisant une conférence de presse et en fournissant un bilan détaillé pour démontrer à ses administrés l'efficacité de son travail au cours de l'année précédente. Cela contribuerait, selon moi, à renforcer le lien entre l'élu et les citoyens et administrés de sa circonscription.

Vous nous interrogez sur le renforcement des compétences et des interventions des députés et des sénateurs au sein de différentes instances, donc sur le statut du parlementaire, qui me semble également devoir être renforcé. Vous avez mentionné dans le questionnaire qui nous a été adressé le droit de visite des députés et des sénateurs dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques. Je pense que ce droit pourrait être très largement étendu à tous les établissements publics et services publics, permettant ainsi aux parlementaires de mener à bien leurs missions de contrôle et de représentation. Les parlementaires pourraient être associés à tous les organismes locaux. Pour cela, il est évident qu'un meilleur aménagement du temps parlementaire serait nécessaire, afin de réserver davantage de temps à la présence dans la circonscription. C'était d'ailleurs l'un des objectifs de la révision constitutionnelle de 2008. Une semaine devait précisément être réservée au travail en circonscription, mais le calendrier parlementaire ne l'a pas permis. Je pense néanmoins que cela serait possible, non sans s'acharner à défendre l'idée selon laquelle le travail législatif doit d'abord se dérouler en commission avant de se poursuivre en séance. La séance plénière devrait simplement permettre de débattre des points essentiels et de ratifier le travail de fond effectué par la commission.

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