Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Réunion du mardi 14 mai 2024 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à seize heures quarante.

Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition du Comité de vigilance des enfants placés, représentés par Mmes Diodio Métro, Anne-Solène Taillardat et M. Lyès Louffok, anciens enfants placés.

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Je vous propose d'ouvrir les travaux de cette commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance, que je suis évidemment très heureuse de pouvoir présider. L'enjeu est immense s'agissant de cette commission d'enquête, au regard des nombreux travaux et rapports réalisés sur ce sujet. Il nous faut collectivement réussir à être utiles, à trouver une voie différente et une voie efficace pour pouvoir changer et révolutionner nos politiques de protection de l'enfance à l''avenir. En réalité, nous allons être confrontés à travers ces auditions à des récits et à des éléments très personnels qui touchent évidemment à l'enfance, à des drames que des enfants ont pu vivre et peuvent encore vivre aujourd'hui. Il faudra malgré tout prendre de la hauteur sur ce sujet pour trouver les failles de ces politiques de protection de l'enfance, les raisons de ces failles et, évidemment, des solutions. L'enjeu est immense, mais je ne doute pas que nous y parviendrons toutes et tous.

Quelques mots aussi pour vous dire qu'avant de prendre cette hauteur, nous avons choisi, à l'initiative de Mme la rapporteure, d'ouvrir ce cycle d'auditions en recueillant d'abord la parole des premiers concernés par ces politiques. Je voudrais remercier et souhaiter la bienvenue à Mme Diodio Métro, Mme Anne-Solène Taillardat et M. Lyès Louffok, anciens enfants placés et membres du comité de vigilance.

J'informe les députés présents qu'un vote solennel aura peut-être lieu en séance publique au cours de notre audition. Auquel cas, nous nous permettrons de suspendre cette séance quelques instants, le temps que ceux qui le souhaitent aillent voter. Ce n'est pas forcément très confortable, mais ce sont les aléas de l'Assemblée nationale.

Mesdames, monsieur, par vos témoignages, par le récit de vos parcours personnels, vous allez apporter une contribution essentielle aux travaux de notre commission d'enquête pour mettre en lumière les défaillances des politiques de protection de l'enfance.

Ces échanges nous permettront aussi, je l'espère, d'identifier des solutions afin d'améliorer la prise en charge des enfants placés tout au long de leur parcours. Nous écouterons d'abord l'intervention de Mme la rapporteure, vous aurez ensuite la parole pour un propos liminaire d'environ quinze minutes. Nous poursuivrons par des questions-réponses avec les députés présents.

J'ai deux éléments à vous communiquer au préalable. D'abord, cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. L'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

Ensuite, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mmes Diodio Métro, Anne-Solène Taillardat et M. Lyès Louffok prêtent serment).

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L'instant que nous venons de vivre, c'est-à-dire la prestation de serment en commission d'enquête, pour bien connaître les jeunes qui sont ici présents, est un moment de grande émotion.

Le comité de vigilance est aujourd'hui représenté par trois illustres personnes Mmes Taillardat et Métro, M. Louffok, que nous sommes évidemment ravis de vous recevoir. Je sais que derrière les écrans, de nombreux jeunes écoutent et suivent nos travaux. Je les salue aussi.

Cette première audition marque le début d'une commission d'enquête que nous avons souhaitée pour éclairer le débat sur les manquements des politiques publiques en protection de l'enfance. Chaque mot a du sens. En tant que rapporteure de cette commission d'enquête, j'ai souhaité et proposé en effet à la présidente, qui a accepté et je la remercie, que notre audition donne en premier la parole aux jeunes. Nous devons en effet remettre au cœur des politiques publiques les premiers concernés, entendre leurs parcours et leur expertise. Cette audition éclairera grandement nos travaux, mais aussi les parlementaires qui peuvent moins bien connaître le sujet de la protection de l'enfance. C'est très important.

Nous le savons, la politique publique de l'enfance constitue un angle mort des politiques publiques depuis de nombreuses années. Depuis 2014, nous tentons de changer de paradigme, notamment avec la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfance, dite « loi Rossignol », le plan « grande pauvreté » et la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite « loi Taquet ». Avant même la loi Taquet, ses travaux en tant que ministre, en 2019, ont également marqué cette période. Cependant, ces initiatives sont souvent survenues dans un contexte de crise grave de la protection de l''enfance.

Malheureusement, dans les territoires, bien que le législateur ait toujours souhaité être à la hauteur des attentes des enfants, cette volonté de changement ne se traduit pas dans les pratiques professionnelles locales. Une des réalités de la protection de l'enfance est qu'il s'agit d'un écosystème où l'on ne peut pas constamment opposer l'État et les départements. L'ensemble de cet écosystème porte une responsabilité majeure. La République a une responsabilité majeure envers ses jeunes et, à ce jour, je dois le dire, elle se comporte comme un parent défaillant pour les 377 000 enfants qui sont à sa charge.

Il est donc essentiel de mener vers l'autonomie un enfant en suppléance parentale, pour lequel nous devons le meilleur, c'est-à-dire l'autonomie et non pas des ruptures de parcours souvent trop nombreuses, à l'âge où il n'est pas encore en capacité d'être autonome.

Nous aurons à cœur de creuser toutes les difficultés, tous les manquements. Trop d'appels à l'aide ont été lancés ces derniers mois et ces dernières années, particulièrement depuis un an, par les associations, les travailleurs en première ligne, les présidents des départements de gauche. Nous avons eu droit à un plan Marshall, à l'initiative du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE). Les départements de gauche ont demandé officiellement la mise en place d'états généraux.

Nous ne pouvons pas rester indifférents. Il y a cette réalité, il y a une prise de conscience des drames silencieux qui se jouent à l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui n'est pas au rendez-vous. Nous ne pouvons pas continuer à ne plus nous mobiliser au sujet de vies brisées, de décès.

On investit 10 milliards d'euros en faveur de la protection de l'enfance, pour des résultats qui ne sont pas aujourd'hui au rendez-vous, en sachant que cela coûte aussi des milliards à la société de ne pas investir dans l'avenir. Je souhaite que votre éclairage puisse être le fer-de-lance qui nous mobilise tous pour avancer en tant que législateur.

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

Je vous remercie sincèrement pour cette invitation à témoigner devant votre commission d'enquête sur les dysfonctionnements de notre système d'aide sociale à l'enfance, un système qui a rythmé ma vie, de la naissance jusqu'à ma majorité. Ces dix-huit années ont été une suite de carences, de ruptures, de violences et d'injustices qui ont laissé des cicatrices profondes, non seulement sur moi, mais aussi sur tant d'autres enfants qui ont traversé les mêmes épreuves.

Quand j'ai commencé à dénoncer ces injustices, il y a maintenant douze ans, à peine sorti de ce système, je ne pouvais imaginer que mes paroles trouveraient écho jusque dans cette enceinte.

Aujourd'hui, en voyant la mise en place de cette commission d'enquête, je ressens à la fois de la fierté et de l'espoir. Fierté parce que nos voix ont été entendues ; espoir parce que, comme vous, nous aspirons à un changement concret, radical et à une réparation totale de notre système de protection de l'enfance.

En créant cette commission d'enquête, la France répond enfin à la demande du Conseil de l'Europe de dresser un état des lieux des violences subies par les enfants placés et de reconnaître leurs souffrances. Cependant, cela ne doit pas nous faire oublier le chemin que nous avons dû parcourir seuls pour en arriver là, les prises de parole publiques quand personne ne voulait écouter, les reportages quand personne ne voulait voir, le travail colossal des associations d'anciens enfants placés quand personne n'a voulu aider.

Cette victoire est aussi teintée de tristesse et de colère pour ceux que nous avons perdus en cours de route, victimes de ce système défaillant. C'est à eux que nous pensons aujourd'hui. À Myriam, 15 ans, qui a été retrouvée morte après avoir fui son foyer depuis plus d'un mois, un foyer réputé pour des dysfonctionnements et signalé à plusieurs reprises par des enquêtes indépendantes. À Lily, 15 ans, qui a mis fin à ses jours dans un hôtel près de Clermont-Ferrand en raison de la non-publication par l'ancienne ministre Charlotte Caubel du décret de la loi Taquet interdisant sa présence à cet endroit. Je l'affirme solennellement, la responsabilité de Madame Caubel dans le drame de l'affaire de la petite Lily est immense et j'espère qu'elle sera amenée à rendre des comptes devant votre commission. À Jess, 17 ans, qui a été poignardé à mort dans un hôtel où l'ASE l'avait abandonné. À Anthony, 17 ans, dont le corps a été retrouvé nu dans un champ près du camping où l'ASE l'avait lui aussi abandonné.

Mesdames et messieurs les députés, même si ces décès ne suscitent pas la vague de révolte qu'ils méritent, ils ne sont pas les seuls. Je pourrais malheureusement continuer pendant des heures. Le système de protection de l'enfance est en crise et les enfants placés se trouvent dépossédés de leurs droits, marginalisés, privés des moyens de se défendre. Notre système actuel, loin de protéger ses enfants, les expose à des risques, à des abus, à des traumatismes qui marquent leur vie à jamais.

Alors que le gouvernement encourage la libération de la parole des enfants et lance des campagnes de communication sur le numéro national de l'enfance en danger, le 119, qui souffre d'un manque chronique d'écoutants, notre dispositif de protection de l'enfance n'est plus en mesure d'assurer ses missions. Le nombre croissant d'enfants bénéficiant d'une mesure de protection ordonnée par l'autorité judiciaire mais non exécutée, ainsi que la perte de confiance envers notre dispositif, sont des signes alarmants. Que dirons-nous à ces enfants qui cherchent de l'aide, aux voisins qui lancent l'alerte ou à l'institutrice dont les informations préoccupantes, faute d'être évaluées à temps, restent sans réponse ? L'inexécution des décisions de justice par les départements et l'aide sociale à l'enfance est doublement préoccupante.

Elle témoigne d'un manquement au respect de l'État de droit et met directement en danger la vie des enfants. Les chiffres de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les infanticides sont une illustration tragique des conséquences de ces défaillances. 34 % des enfants décédés sous les coups de leurs parents vivaient dans une famille connue des services de l'ASE et 49 % d'entre eux dans des familles suivies par d'autres services sociaux.

Les lois relatives à la protection de l'enfance votées dans cette enceinte peinent à être appliquées. Le fichier national des agréments des familles d'accueil se fait attendre et l'absence de taux et de normes d'encadrement dans les établissements est un problème majeur.

Selon le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso), il faudrait débloquer 1,5 milliard d'euros supplémentaires pour garantir une présence de professionnels satisfaisante là où, dans les établissements qui accueillent vos enfants, ces normes existent pourtant.

De plus, la situation des jeunes majeurs est toujours alarmante. Ils sont encore mis à la rue à leur majorité, alors que la loi l'interdit. Ainsi, 40 % des jeunes sans domicile fixe âgés de moins de 25 ans de nationalité française sont d'anciens enfants placés. Commencer sa vie le dos chargé et les poches vides, avec pour seul bagage un sac-poubelle qu'on nous donne à la majorité, voilà la jeunesse que nous fabriquons.

Enfin, faute d'investissement et d'accompagnement suffisants, trop d'enfants pris en charge par l'ASE rencontrent des difficultés scolaires majeures. Deux tiers des enfants placés ont au moins un an de retard à l'entrée en sixième et seuls 13 % des enfants placés obtiennent le brevet des collèges, contre 80 % en population générale.

Ces dysfonctionnements de l'ASE ne sont pas isolés. Ils trouvent leurs racines dans des décennies de réformes insuffisantes, de ressources limitées et de professionnels mal préparés et sous-payés.

Mesdames et messieurs les députés, après cette sombre énumération de tragédies, je vous implore de ressentir au plus profond de votre être l'ampleur du désastre qui frappe les enfants placés. Ces récits de souffrances et de pertes devraient non seulement susciter l'indignation, mais surtout l'action immédiate et résolue de votre part en tant que législateur.

Regardons en face la réalité brutale. Ces enfants, ces adolescents, ces jeunes majeurs sont sous notre responsabilité collective et leur bien-être ne peut être sacrifié sur l'autel de la bureaucratie ou de l'indifférence. Pensez à vos propres enfants ou à ceux que vous avez connus. Pensez à l'horreur que vous ressentiriez si jamais ils étaient confrontés à un tel système. S'il s'agissait de vos enfants, seriez-vous capables de tolérer un tel niveau d'injustice, de négligence et de souffrance ? Si par malheur vous aviez été placé dans ce système, seriez-vous aujourd'hui assis en tant que député dans cette salle ?

La réponse, je le crains, est incertaine, car la réalité est que trop peu d'entre nous ont la chance de survivre et de prospérer après avoir été ballotté par les vagues de l'aide sociale à l'enfance.

Votre commission d'enquête doit être le catalyseur d'une prise de conscience collective. Au-delà des constats connus et des propositions déjà formulées, elle doit répondre à une question fondamentale. Qui est responsable ?

Comme la Suisse, le Danemark, le Canada ou le Chili, il est grand temps pour nous aussi de reconnaître les erreurs du passé, d'en identifier les responsabilités et d'agir pour réformer en profondeur notre système de protection de l'enfance : recentraliser la politique de protection de l'enfance, rendre obligatoire pour chaque enfant l'assistance d'un avocat, créer une autorité administrative indépendante de contrôle, améliorer les conditions de travail des éducateurs et rendre leurs diplômes obligatoires, instaurer un droit de visite parlementaire dans les établissements de l'ASE, interdire les placements à l'hôtel pour tous les enfants sans exception, élargir la protection des jeunes majeurs jusqu'à 25 ans.

Tout cela parce que les vies d'enfants placés méritent d'être protégées, chéries, et non pas écrasées sous le poids de politiques défaillantes et de l'irresponsabilité d'un grand nombre de présidents de départements.

En conclusion, je vous exhorte à ne pas détourner le regard, à ne pas éteindre la flamme de l'indignation qui doit brûler en nous face à ces abjectes réalités. Ce n'est pas seulement une question de politique, c'est une question de moralité, d'humanité et de justice. Ne décevons pas ces enfants, ne décevons pas notre devoir envers eux, envers nous-mêmes et envers l'avenir de notre Nation. Victor Hugo aurait honte de savoir que l'histoire de Cosette aurait encore pu être écrite en 2024.

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Anne-Solène Taillardat, ancienne enfant placée

Je vous remercie tout d'abord, au nom du comité de vigilance des enfants placés, pour cette invitation à ouvrir les auditions de cette commission d'enquête. C'est un geste symbolique fort, qui pose un cadre clair, incontournable : rien pour nous, sans nous. Aujourd'hui, entre les paroles puissantes et engagées de mes deux collègues, j'ai fait le choix de vous raconter une histoire. Cette histoire, c'est l'histoire d'enfants et d'adolescents qui ont vécu la violence intrafamiliale, la précarité, l'abandon, l'exil, la maladie mentale et/ou l'addiction d'un ou des parents.

Celle d'enfants et d'adolescents qui ont appris bien trop tôt les ruptures, l'insécurité, le vide, le trop, la dissonance, la violence, le rejet, l'impuissance, l'urgence. C'est l'histoire d'enfants et d'adolescents qui ont connu les familles d'accueil et les foyers avec des trajectoires tellement disparates et aléatoires qu'il peut sembler totalement incongru qu'ils cohabitent au sein d'une même communauté.

Stabilité totale ou relative versus discontinuité et déplacements multiples, sécurité physique et affective versus maltraitance et violence institutionnelle, considération de leurs besoins fondamentaux et respect de leurs droits versus objetisation, discrimination et négation de leur statut particulier d'enfant, vie versus survie et parfois même mort. Jess, Nour, Anthony, Denko, Marina, Amine, Lily, Méline, Myriam et tous les autres, ceux que la société oublie trop vite, appelle les yeux secs, ceux dont on ne connaît ni le nom, ni l'histoire, ceux dont on est les seuls à tenir les comptes, car il n'existe pas de statistiques.

Certains diront que les morts d'enfants confiées à l'ASE sont très rares. Certes, mais même un seul enfant qui meurt devrait révolter suffisamment pour provoquer les puissants changements structurels nécessaires pour que cela ne se reproduise jamais. Et si les morts sont rares, les dysfonctionnements, eux, sont légion, connus, décryptés, documentés, dénoncés par les premiers concernés eux-mêmes, par les professionnels, par les chercheurs, par les institutions, et ils laissent des traces, parfois en filigrane, parfois indélébiles, parfois tellement envahissantes qu'elles colonisent l'âme et l'esprit, sans laisser assez de place aux envies, aux projets, aux rêves. Cette histoire a autant de visages que de mômes qui l'ont vécue, autant de chemins aussi, du plus sombre au plus lumineux, en passant par toutes les nuances de couleurs.

Cette histoire, c'est la mienne, c'est celle de mes frères et sœurs de parcours. C'est l'histoire d'une communauté qui a cruellement besoin que la société ouvre les yeux et commence à bouger pour mettre en place les conditions d'émergence de son pouvoir d'agir individuel et collectif. Depuis 2017, je fais partie du réseau Repairs, un réseau d'entraide par et pour les jeunes sortants de l'ASE. Chaque jour, nous sommes confrontés aux conséquences des défaillances et des manquements de l'ASE. Parce qu'ils n'ont pas été protégés à temps, des enfants présentent des psycho-traumatismes complexes, des retards de développement, des troubles psychiques, somatiques et/ou du comportement profondément ancrés. Il leur faudra beaucoup de temps, d'accompagnement et de soins pour reprendre leur développement, et certains garderont longtemps des séquelles.

Les blessures laissées par nos enfances fragilisées se réparent avec de la bienveillance, de l'affection, de la sécurité physique et affective et de la stabilité. C'est loin d'être la norme. Combien de jeunes du réseau Repairs n'avaient pas assez de leurs dix doigts pour compter le nombre de lieux dans lesquels ils ont été placés ? Moins visible, moins directement palpable, la violence institutionnelle que représentent les carences dans la prise en compte des besoins et des droits fondamentaux des enfants est de fait moins conscientisée. Les logiques de places et de cases prennent trop souvent le pas sur les droits, les besoins et les envies de l'enfant. Il devient alors un objet de protection et pas un sujet pensant et ressentant.

Il est au mieux l'acteur d'un scénario écrit par d'autres, selon des critères souvent obscurs et arbitraires, là où on devrait lui permettre de devenir l'auteur de sa vie. Plus visibles, plus explicites, mais tout aussi difficilement traitées, les violences subies par les enfants pendant leur placement sont encore trop courantes. Racisme, discrimination, négligence, violences verbales, psychologiques, physiques, sexuelles… Ces violences sont encore trop souvent considérées comme un phénomène marginal à traiter au cas par cas, là où elles constituent un phénomène systémique dans un secteur en souffrance et en manque de moyens qui s'effondre de l'intérieur. Comment peut-on grandir sereinement et se construire sur des bases solides si celles du système qui nous protège peuvent céder à tout moment ?

À l'âge adulte, ce sont ainsi des problématiques d'attachement, de santé physique et psychique, de confiance et d'estime de soi auxquelles nous sommes confrontés. C'est un rapport aux institutions, aux autres, au monde, teinté de cette couleur particulière qui rend tout moins évident et moins fluide. C'est Ahmed et sa phobie administrative qui lui joue des sales tours. Moussa, aimé et admiré, qui s'enfonce dans les addictions sous nos yeux impuissants. Sophie, hantée par les maltraitances qu'elle a subies et qui ne parvient plus à parler que de ça. Mia, qui s'efface tellement qu'on l'oublie, mais pas encore assez à son goût. John, qui ne demande jamais d'aide parce qu'il ne sait pas comment on fait. Carla, tellement révoltée qu'elle se consume petit à petit. Adame, qui a peur de déranger, partout, tout le temps. Malik, brillant, mais dans l'incapacité de se conformer au monde du travail. Alex, parcours de réussite montré en exemple, mais dans l'incapacité de construire une vie affective.

À Repairs, beaucoup de nos membres sont des jeunes majeurs, dont un nombre important a rencontré des difficultés à l'arrivée à la majorité. Pour ces jeunes, dont le parcours de vie a souvent été marqué par les incertitudes, les ruptures et l'absence de sens, donner corps à cette vie d'adulte dans laquelle on les projette par principe, sans réelle prise en compte de leur cheminement, de leurs besoins, de leurs aspirations, peut s'avérer inconfortable, complexe, voire impossible. La sortie de l'ASE devient alors un véritable sécateur à rêves.

Lyès rappelait tout à l'heure les statistiques sur les jeunes sans domicile fixe (SDF) de moins de 25 ans. Pour nous, à Repairs, ce ne sont pas des statistiques. Ce sont des yeux froncés, des têtes baissées, des poings serrés, des larmes, des rages, des résignations, des découragements, des impasses, des détresses, des cris, des silences. C'est Seïdou qu'on regarde partir la mâchoire serrée en sachant qu'il dormira dehors ce soir. Anassa qui bouillonne, prêt à exploser et qu'on essaye d'apaiser alors qu'on a autant la rage que lui. Amine, dont l'ASE torpille le dossier de demande de titre de séjour, puis le met dehors. Flo, mis à la rue malgré ses troubles cognitifs, qui dort chez son ami, qui ne lui laisse accès au frigo et à la douche que quand il le décide et lui confisque sa carte bleue. Bakary, envahi par ses troubles psycho-traumatiques, qu'on perdra de vue après quelques semaines de rue. Lola, qui essaie de survivre dehors comme elle peut en faisant la manche. Et Rose, son amie, qui essaie aussi de survivre comme elle peut en se prostituant. C'est Thomas, sur qui l'ASE se venge d'avoir fait un recours en effectuant un signalement au procureur pour des faits présumés remontant à plus d'un an. Nassir, contraint de dormir dans la cave du magasin qui l'emploie illégalement. Ismaël, mis à la rue à dix-huit ans et deux mois parce que l'ASE estime avoir fait son travail et respecté la loi. Je pourrais continuer pendant des pages à vous parler de ces mômes, mais j'arrive au bout de l'histoire que je voulais vous raconter aujourd'hui.

Cette histoire me hante, jour et nuit, elle hante tous mes pairs engagés et militants qui crient l'urgence et se heurtent à un bouclier d'indifférence. Cette histoire devrait tous nous empêcher de dormir.

Pour les mômes d'hier, le mal est fait, parfois de façon irréversible et nous nous épuisons à les soutenir, tant bien que mal. Mais nous avons une responsabilité collective envers les mômes d'aujourd'hui et de demain. Pendant ces auditions, vous entendrez des professionnels de la protection de l'enfance, à bout de souffle, inquiets, épuisés, assistant impuissants à un naufrage annoncé. Personne ne les écoute, ils sont inaudibles, ils sont ceux que la société refuse d'entendre parce qu'ils cheminent aux côtés de ceux qu'elle ne veut pas voir. Et pourtant, ce sont eux qui, chaque jour, dans des conditions toujours plus difficiles, travaillent à faire de l'idéal de cohésion sociale une réalité de notre société. Écoutez-les, prenons soin d'eux.

Pendant cette audition, vous entendrez des responsables de conseils départementaux à qui il revient de porter une politique de protection de l'enfance sur leur territoire, trop souvent, dans un mouvement « défensivo-offensif », parce que certains n'en ont pas les moyens et parce que d'autres ont les moyens mais décident de les mettre ailleurs dans des thématiques plus « bankable » sur le plan électoral. Les départements passent leur temps à nous rappeler les montants qu'ils investissent déjà sur nous. Ils brandissent leur budget comme un argument d'autorité et cela devrait clôturer le débat. Ils nous regardent du haut de leurs fonctions très importantes avec leurs yeux pleins de chiffres, comme si cela devait nous suffire, qu'ils avaient fait leur part et qu'on devait se dire : « Ah bah oui, le budget est déjà de plusieurs dizaines de millions d'euros, soyons raisonnables, ne demandons pas plus, tant pis ». On n'opposerait jamais ce genre d'arguments aux enfants malades.

Et puis les lignes budgétaires, ça n'efface ni les jeunes devenus SDF, ni les morts. Notre protection devrait les obliger. Rappelez-leur. Notre parole devient politique, lentement, trop rarement, dans la douleur ou dans l'ignorance souvent, mais elle le devient. Plus personne ne pourra revenir là-dessus.

Notre expertise expérientielle se révèle à mesure qu'on se montre, qu'on se parle, qu'on s'organise et, surtout, à mesure qu'on nous laisse des espaces de parole ou qu'on les conquiert.

Certains caricaturent nos luttes, nous accusant même parfois de ternir l'image du secteur et de tout ce qu'il s'y passe de beau. Les mots « ingratitude » et « exagération » ne sont pas prononcés, bien sûr, mais on pressent qu'ils sont au bord des lèvres. À ceux-là, je réponds que vous vous trompez de combat et qu'au fond, vous le savez. Nous avons tous le même idéal : une protection de l'enfance juste, digne, protectrice, avec des moyens et une reconnaissance à la hauteur de l'engagement incroyable qu'elle implique.

Bien sûr que la protection de l'enfance produit du beau. Nous avons toutes et tous croisé des gens qui nous ont marqués. Ils ont contribué à ce que nous sommes devenus aujourd'hui. Parlez, racontez, montrez-le, c'est indispensable, c'est votre responsabilité. Nous applaudirons, comme nous l'avons fait récemment pour les documentaires « Bébés placés » de Karine Dusfour ou « Comme si j'étais morte » de Benjamin Montel. Mais de grâce, le monde n'est pas si manichéen pour qu'on ne puisse pas, dans le même temps, montrer le beau et dénoncer l'indécent et le dramatique dans le but d'améliorer ce qui doit l'être. Alors oui, les petits pas, les avancées, les professionnels qui font un boulot remarquable, les quelques départements qui mènent une politique volontariste, les parcours individuels de réussite et de résilience, oui, d'accord.

Mais tant qu'il restera des Seïdou, des Nour, des Lola, des Jess, c'est qu'on n'aura pas suffisamment avancé. Et en attendant que le système soit à la hauteur de chaque enfant qu'il a à protéger, nous nous tiendrons là, debout, et nous montrerons les failles inlassablement, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus aucune.

Parce qu'en attendant, des mômes ne sont pas protégés. En attendant, des mômes sont déplacés de foyers en familles d'accueil, comme des pions sur un damier. En attendant, des mômes sont discriminés, maltraités au seul prétexte de leur extranéité. En attendant, des mômes sont abandonnés dans des hôtels miteux, sans adultes à leur côté au quotidien. En attendant, des mômes subissent de nouvelles violences dans les institutions mêmes qui sont censées les protéger. En attendant, des mômes ne reçoivent pas les soins appropriés dont ils ont besoin pour se réparer. En attendant, des mômes finissent à la rue comme des vieux meubles cassés qu'on dépose sur le trottoir une fois qu'on en a fini avec eux. En attendant, des mômes sont abîmés, brisés et certains meurent. En attendant, des mômes survivent au lieu de vivre. En attendant, des mômes meurent. Merci.

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Diodio Metro, ancienne enfant placée

Tout d'abord, merci de l'opportunité que vous nous offrez, nous, anciens enfants placés, et de l'enquête que vous allez mener dans les semaines à venir sur tous ces dysfonctionnements passés et présents de l'ASE.

Je suis une ancienne enfant de l'ASE, aujourd'hui cheffe de service éducatif, co-fondatrice et présidente de l'association départementale d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (Adepape) du Val d'Oise.

Je ne suis pas née française et pourtant, j'ai une histoire avec la France dès mon enfance. Mon parcours migratoire n'a été ni un choix, ni une obligation, mais le rêve d'un grand-père ancien tirailleur. J'ai été choisie parmi mes sœurs car je portais le prénom de mon arrière-grand-mère. J'ai été accueillie en protection de l'enfance après m'être retrouvée à la rue à 16 ans pour avoir refusé un mariage forcé. J'ai passé huit mois à la rue avant de pouvoir bénéficier d'une protection. L'évaluation de ma minorité a été un traumatisme que j'ai réussi à dépasser aujourd'hui, mais cela m'a demandé un long travail.

Est-ce que vous trouvez normal qu'en France, en 2024, un enfant sorte du dispositif de protection de l'enfance avec un sac poubelle pour seul bagage ? On marche sur la tête. Est-ce que vous trouvez normal qu'en France, en 2024, des décisions de justice pour protéger un enfant ne soient pas exécutées ? On marche sur la tête. Est-ce que vous trouvez normal qu'en France, en 2024, des enfants meurent encore sous le coup de leurs parents ? Oui, on marche sur la tête. Si un parent traitait son enfant comme l'État traite les enfants de la protection de l'enfance, il lui serait retiré.

Vous et moi, nous savons que cela n'est pas normal. Sinon, cette commission d'enquête n'existerait pas. J'ai mal à ma protection de l'enfance et j'ai mal à ma France. Cela fait plus de vingt ans que je travaille en protection de l'enfance. Chaque jour, je suis engagée, comme beaucoup de travailleurs sociaux, au nom des enfants de la République, au nom de la protection de l'enfance, afin de rendre les invisibles visibles. Chaque jour, je rencontre des jeunes sortis des dispositifs de protection de l'enfance pour une seule raison : ils ont 18 ans. Pour certains, c'est le jour de leur anniversaire, le jour de leurs 18 ans. La rue à 18 ans. Dans quelle famille voit-on ça ? Et pourtant, des lois existent. La France a signé la convention internationale des droits de l'enfant il y a plus de trente ans et cela n'est toujours pas appliqué et respecté sur l'ensemble du territoire. Pas plus que les lois de 2002, de 2007, de 2016, de 2022. Chaque jour, ces lois votées par vous, mesdames et messieurs les députés, ne sont pas appliquées et respectées. Qui vient rappeler la loi ? Qui est garant des droits des enfants placés ? La protection de l'enfance impose des droits et des devoirs aux autorités concernées, au même titre que l'exercice de l'autorité parentale pour des parents. Au niveau de la justice, on dit : « Je t'écoute, je te crois, je te protège », mais comment peut-on appeler à la libération de la parole des enfants, tout en sachant qu'une protection ne peut être assurée ?

Chaque enfant doit bénéficier d'une prise en charge en matière de santé, qu'elle soit physique ou psychique, et quelles que soient les origines de l'enfant. Comment s'en sortir lorsque les lieux de soins sont saturés ? En matière de scolarité et d'emploi, comme le disait ma collègue, chaque enfant doit pouvoir bénéficier d'une scolarité correspondant à ses choix, à ses envies et à ses compétences, quelle que soit la durée du parcours. Nous savons tous que plus de 70 % des jeunes sortants de la protection de l'enfance sont sans diplôme. Dans ces conditions, comment trouver un emploi et devenir citoyen lorsqu'on n'a pas reçu les bagages indispensables ?

De nombreux anciens enfants placés, dont moi-même, témoignent que ce qui permet de s'en sortir, c'est la rencontre. Aujourd'hui, les professionnels sont tous à bout de souffle. Dans ces conditions, comment faire pour que cette rencontre puisse exister ? En fin de compte, la protection de l'enfance est devenue une loterie. En ce moment, il n'y a pas beaucoup de billets gagnants.

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Tout d'abord, je vous remercie pour la qualité de vos interventions, dont je ne doutais pas.

Nous manquons énormément de statistiques en France, à la différence du Québec, dont les recherches permettent une appropriation des problématiques posées. Aujourd'hui, à peu près 160 000 enfants sur 377 000 sont accueillis, les autres bénéficient d'une action éducative en milieu ouvert (AEMO). Les chiffres ne sont d'ailleurs, suivant les documents, jamais les mêmes : ils peuvent varier de 377 000 à 400 000. Pour mener une politique publique, encore faut-il avoir des études précises et des analyses qui vont bien plus loin que les chiffres.

De votre expérience, l'AEMO a-t-elle été utile dans le parcours des jeunes ? S'est-elle terminée par un placement, une ordonnance de placement provisoire (OPP), un parcours en protection de l'enfance dans le cadre de l'accueil ? En examinant les parcours des jeunes, j'ai toujours été frappée par le fait qu'ils sont pris en charge très jeunes par les services sociaux. Cependant, le repérage et l'accueil en protection de l'enfance sont souvent décalés de plusieurs années, durant lesquelles le jeune n'a pas été accompagné comme il se doit. Cela entraîne des conséquences extrêmement importantes en matière de soins autour du jeune, y compris psychiques.

J'aimerais aussi connaître votre analyse de la situation d'aujourd'hui. J'ai écouté la personne du Val-d'Oise. Quand vous dites que les sorties se font à « 18 ans avec un sac poubelle » : est-ce toujours le cas ? Si oui, dans quels départements ?

La loi du 7 février 2022, bien que riche, ne prévoyait initialement rien pour les jeunes majeurs. Cependant, grâce à notre travail, nous avons réussi à étendre l'accompagnement jusqu'à 21 ans, même si notre objectif était d'atteindre 25 ans. Aujourd'hui, certains départements proposent des contrats jeunes majeurs de trois mois renouvelables, parfois jusqu'à 18 ans et demi, 19 ans et trois mois, bien avant les 21 ans prévus. Cela ne correspond pas à l'esprit d'accompagnement que nous souhaitions. J'aimerais donc connaître vos premiers retours et votre analyse sur ces sujets.

Enfin, concernant la renationalisation de ce que l'on appelait autrefois la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass), je souhaiterais que vous m'expliquiez en quoi cela pourrait être bénéfique.

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Diodio Metro, ancienne enfant placée

L'AEMO est utile à condition que le délai pour rencontrer une famille ne soit pas d'un mois. Actuellement, les rencontres ont lieu une fois par mois, et encore, si nous avons de la chance. Parfois, ces échanges se font uniquement par téléphone, sans interaction directe. Il est difficile d'appréhender les difficultés d'une famille et de fournir l'accompagnement nécessaire en ne les rencontrant qu'une fois par mois ou deux fois par an.

Je pense que des moyens supplémentaires sont nécessaires. L'AEMO peut permettre d'éviter le placement des enfants, ce qui arrive fréquemment. Cependant, cela n'est pertinent que si les intervenants disposent de suffisamment de temps. Se rendre dans une famille demande du temps, tant pour créer du lien que pour comprendre la problématique et élaborer une stratégie éducative. Ensuite, il faut pouvoir mettre en œuvre un travail éducatif. Cela n'est pas possible compte tenu du nombre de situations à gérer. Souvent, nous accueillons des jeunes qui sortent de l'AEMO. Beaucoup n'ont pas été placés, mais à 18 ans, ils ne bénéficient pas forcément d'un projet pour l'autonomie des jeunes majeurs (PAJM). Je tiens à préciser que le terme « contrat » n'existe pas dans la loi. Un enfant n'a pas de contrat avec un département pour avancer. Il dispose d'un projet d'accompagnement éducatif, qui n'est pas nécessairement financier. Beaucoup de choses peuvent être réalisées sans argent. Pour être honnête, certains enfants que j'accueille dans le Val-d'Oise, après cinq ou dix ans de placement, n'ont toujours pas de pièce d'identité à 19 ans.

Comment les individus peuvent-ils accéder aux droits communs lorsqu'ils ne possèdent pas de pièce d'identité ? Par exemple, les erreurs d'orthographe sur la carte Vitale peuvent avoir des conséquences énormes pour un jeune. Imaginez que nos propres enfants aient une erreur d'orthographe sur leur carte Vitale. Nous ne penserions pas forcément que cela pose problème, mais en réalité, les répercussions sont importantes.

Je suis convaincue qu'il existe des solutions possibles sans nécessiter forcément un financement. Cela demande une concertation et un travail collaboratif entre les organes de l'État et les associations. Il suffit de le vouloir, de s'engager suffisamment pour y parvenir.

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Anne-Solène Taillardat, ancienne enfant placée

Concernant l'AEMO, je souhaite ajouter quelques précisions aux propos de Diodio. Effectivement, une visite mensuelle au domicile est totalement insuffisante pour donner un sens à cette mesure. Commencer à appliquer une mesure douze à dix-huit mois après que le magistrat l'a ordonnée est encore plus absurde. Cela conduit à une dégradation des situations, parfois dramatique, rendant l'AEMO inutile. Lorsque le premier éducateur intervient, la situation s'est tellement détériorée que la mesure perd tout son sens. Entre le moment où l'éducateur constate l'inutilité de la mesure et celui où il en informe le magistrat, puis celui où une audience est décidée, on peut encore perdre beaucoup de temps.

L'AEMO a un véritable intérêt lorsque cette mesure est appliquée dans de bonnes conditions, ce qui est rarement le cas actuellement, du moins pas dans les départements franciliens dont nous sommes issus.

Concernant les jeunes majeurs, il est important de rappeler que le terme de « contrat » est inapproprié. Il ne s'agit pas de contrats au sens juridique, et cela ne le sera jamais. Ce sont des accompagnements que les départements doivent proposer aux jeunes majeurs. Nous avons effectivement un biais puisque nous sommes dans des départements franciliens et que nous accueillons principalement des jeunes de ces mêmes départements. Nous constatons néanmoins une nette dégradation dans des départements qui, historiquement, avaient mis en place une politique volontariste, comme le Val-de-Marne par exemple.

Certains départements rencontrent des difficultés persistantes pour offrir un accompagnement aux jeunes majeurs, notamment en Seine-et-Marne. Cette situation est particulièrement problématique pour ceux ayant été mineurs isolés, qui subissent de véritables discriminations dans l'accès aux APJM. On observe une nette dégradation de la situation, malgré une politique volontariste de certains départements comme Paris, où la situation s'améliore. De nombreux jeunes viennent de toute l'Île-de-France et souvent de province, ce qui montre que peu de départements respectent scrupuleusement la loi. Si tel était le cas, notre charge de travail serait considérablement réduite et nous serions moins épuisés.

Nous constatons également le développement d'une conformité partielle à la loi. Par exemple, les APJM de trois mois semblent répondre à une obligation d'accompagnement après la majorité, mais ils ne permettent aucun déploiement de projets éducatifs, d'insertion professionnelle ou de prise en charge des problématiques de santé ou administratives. Ces pratiques constituent des moyens de contourner la loi et sont inadmissibles. Nous accompagnons sans relâche ces jeunes pour faire valoir leurs droits et attaquer les décisions illégales devant les tribunaux administratifs. Nous obtenons souvent de grands succès, bien que certains départements fassent preuve de créativité pour contourner la loi in fine.

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

La question de la recentralisation est un débat récent mais très pertinent. Depuis de nombreuses années, je propose cette idée pour plusieurs raisons. Tout d'abord, lorsque le législateur a décidé, dans les années 1980, de décentraliser cette politique publique, deux objectifs étaient visés. Le premier était de rapprocher les citoyens de la décision politique, en favorisant la proximité. En 2007, il s'agissait également de contribuer à la déjudiciarisation de la protection de l'enfance, en lien avec la nécessité d'agir au plus près de la population.

En 2024, force est de constater que les objectifs ayant justifié cette décentralisation des politiques d'aide sociale à l'enfance n'ont pas été atteints. Leur pertinence n'a pas été démontrée. En observant le nombre de mesures judiciaires par rapport aux mesures administratives, on comprend que la subsidiarité du placement judiciaire au profit du placement administratif, censée illustrer le travail de proximité des élus avec la population, n'a pas pu se réaliser. Actuellement, 90 % des mesures sont d'ordre judiciaire et seulement 10 % d'ordre administratif, c'est-à-dire contractualisées entre le département et les parents. Cette réalité statistique illustre un problème dans l'effectivité du travail de proximité avec la population et l'objectif de déjudiciarisation.

Par ailleurs, il existe une absence de confiance manifeste envers le système de protection de l'enfance. Plusieurs éléments étayent les dysfonctionnements systémiques de l'ASE, générant une crise de confiance de la population. Cette crise freine la capacité des parents à solliciter de l'aide des services départementaux lorsqu'ils en ressentent le besoin pour leurs enfants.

Ces dernières années, on observe également des choix budgétaires problématiques au sein des départements. Ces décisions financières influencent négativement la qualité et l'efficacité des services de protection de l'enfance. Il y a trois semaines, un département a retiré 250 000 euros à son service de prévention spécialisée. Simultanément, ce même département a annoncé avoir débloqué 180 000 euros pour le passage de la flamme olympique. Je m'interroge quant à la responsabilité politique des élus qui prennent de telles décisions budgétaires.

On observe, ces derniers mois, un intérêt croissant des élus départementaux pour les politiques sociales liées à l'enfance. En tant qu'observateur de ce secteur depuis plus de douze ans, je constate qu'il était autrefois difficile de susciter l'intérêt des présidents de département sur ces questions. Aujourd'hui, ils s'emparent de ce sujet. Cependant, je ne les vois toujours pas aborder, le dimanche sur les marchés, le sujet de la violence sexuelle, ni parler des enfants placés dans les foyers ou les familles d'accueil du département.

Pour moi, la recentralisation n'est pas une fin en soi. Je n'ai jamais considéré cela comme une solution miracle. Je pense, en revanche, que toute réforme systémique de notre système de protection de l'enfance doit être précédée d'une réflexion approfondie. Actuellement, les départements initient des actions extrêmement limitées. Leur principale mission consiste à lancer des appels à projets pour financer des associations qui, elles-mêmes, accueillent les enfants confiés à l'ASE. Avec autant d'associations chargées d'exécuter les décisions de justice, au détriment des établissements publics, la question de l'action concrète des départements se pose, au-delà du simple financement. En effet, 80 % des établissements de protection de l'enfance relèvent du secteur associatif. On peut donc affirmer que notre système de protection de l'enfance repose presque exclusivement sur ce secteur. Recentrer la politique de protection de l'enfance apporterait, selon moi, une plus-value par rapport à la situation actuelle, notamment en permettant l'élaboration de politiques interministérielles et coordonnées. Aujourd'hui, il est évident, et cela sera confirmé par les présidents de départements qui s'exprimeront devant vous, qu'il y a une absence totale de coordination entre les départements, les agences régionales de santé (ARS), l'éducation nationale, la justice et les autres administrations de l'État. Je ne suis pas ici pour déterminer si la responsabilité incombe aux départements ou à l'État, mais il est certain que le fait de recentrer les politiques d'aide sociale en France permettrait de développer une politique interministérielle forte et cohérente. Cela donnerait également au Parlement les moyens d'assurer son rôle de contrôle de l'action gouvernementale et de légiférer avec les ressources financières nécessaires.

Lorsqu'on vote des lois en faveur de la protection de l'enfance et que l'on constate en 2024 que les lois de 2002 ne sont toujours pas appliquées, cela soulève la question des moyens alloués pour rendre ces lois effectives. Le principe de libre administration des collectivités territoriales empêche aujourd'hui d'harmoniser les règles, processus et modalités d'action sur l'ensemble du territoire national. Je pense qu'une recentralisation de la politique de protection de l'enfance permettrait de redonner à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sa dimension civile. Ce fut une erreur de la déposséder de cette composante. Les enfants en danger, qu'ils soient sous main de justice ou sous protection de l'ASE, restent avant tout des enfants en danger. La PJJ, bien qu'imparfaite, possède un savoir-faire et une présence sur les territoires. C'est une administration déconcentrée, dotée d'une École nationale de la PJJ. Il est donc pertinent de réintégrer le civil avec le pénal pour établir enfin de véritables politiques de protection de l'enfance, réellement ambitieuses, pour tous les enfants.

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Monsieur Louffok, vous avez énoncé diverses propositions, mais à une telle vitesse que je n'ai pas pu toutes les retenir. Pourriez-vous revenir sur ces propositions ?

Nous entamons nos travaux et ne sommes pas tous experts du système, qui est assez complexe. J'aimerais bénéficier de votre regard d'enfants placés, mais aussi de professionnels, car, madame Métro, vous travaillez aujourd'hui dans ce domaine en tant que travailleuse sociale. Vous n'avez pas évoqué vos actions actuelles. Pouvez-vous nous expliquer le parcours administratif et judiciaire de ces enfants dans différents contextes ? Madame Métro, vous avez mentionné que vous veniez d'un pays étranger. Vous n'étiez pas française à l'origine. Il existe des cas d'enfants maltraités dans leur famille, mais qui sont français. Les situations sont multiples. Pouvez-vous détailler les différents cas de figure qui amènent les enfants à être pris en charge par les services de l'État ? Comment cela se déroule-t-il concrètement ? Quels sont les établissements vers lesquels ils sont dirigés ? Qui est chargé de les accompagner et à quelle fréquence ? Expliquez-nous de manière très pratique la manière dont cela se passe lorsqu'un enfant est confronté aux services de l'État ou des départements.

Madame Taillardat, vous avez mentionné que certains départements cherchent parfois à contourner la loi. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là ? Quelles sont les dispositions législatives actuellement non appliquées par les départements alors qu'elles devraient l'être ? Dans de nombreux autres domaines, le fonctionnement en silos pose de réelles difficultés de communication entre les services. Vous avez fourni des chiffres intéressants. Il est essentiel de comprendre le fonctionnement des services pour bien appréhender vos témoignages.

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Diodio Metro, ancienne enfant placée

En matière de protection de l'enfance, nous utilisons fréquemment des sigles, ce qui peut rendre la compréhension difficile pour les non-initiés. Lorsqu'un enfant entre dans le dispositif de protection de l'enfance, plusieurs statuts peuvent s'appliquer. En tant que travailleur social au sein d'une Adepape, je suis confrontée à ces différentes situations. Si un enfant est placé à la suite d'une décision judiciaire, il s'agit d'un placement judiciaire. En revanche, l'AEMO relève du domaine administratif, où un accord est signé entre les parents et le département pour accompagner l'enfant. Ce type de placement repose sur une demande d'aide des parents et peut être assimilé à un contrat.

Il est également essentiel de distinguer les pupilles de l'État des pupilles de la nation, car leurs droits diffèrent considérablement. J'ai été étonnée de constater que certains responsables politiques confondent ces deux statuts. En tant que membre du conseil de famille de mon département, je participe à des commissions spécifiques, telles que celles des Adepape. Un pupille de l'État est un enfant né sous X ou un enfant dont le délaissement parental a été prononcé par un juge. Ce délaissement intervient lorsqu'un parent n'a pas répondu ou n'a pas été présent pendant une période déterminée. La commission d'examen de la situation et du statut des enfants confiés (Cessec) permet alors de rendre cet enfant administrativement adoptable. Toutefois, il est important de noter qu'un enfant peut être adoptable sur le papier sans pour autant être adopté. On entend souvent dire qu'il existe de nombreux enfants en protection de l'enfance susceptibles d'être adoptés, mais la réalité est plus complexe. En conclusion, la protection de l'enfance implique une diversité de statuts et de procédures, souvent méconnus du grand public. Il est crucial de bien comprendre ces distinctions pour assurer une prise en charge adaptée et respectueuse des droits de chaque enfant.

Nous devons prendre en compte à la fois les aspects matériels et psychologiques. Lorsqu'il s'agit d'enfants, il est essentiel d'évaluer leur capacité à imaginer ou rêver d'avoir un parent. Certains enfants ne souhaitent pas avoir de parents et restent donc dans le système. Dans ces cas, le préfet devient leur tuteur par délégation au conseil de famille, qui exerce alors l'autorité parentale.

Pour les enfants nés sous X, je peux témoigner de mon expérience en PJJ. J'ai également travaillé dans le domaine du handicap, car la protection de l'enfance englobe aussi la santé mentale. De nombreux enfants ont subi des abus sexuels, souvent au sein du cercle familial. J'ai travaillé dans une structure accueillant exclusivement des enfants avec de tels parcours, et il est extrêmement complexe pour un travailleur social de les accompagner tout au long de leur parcours judiciaire. Il existe toujours un décalage entre les procédures judiciaires et administratives. Nous nous réjouissons que les enfants victimes de féminicides puissent désormais bénéficier d'un statut protecteur. Cependant, ces enfants, à 18 ans, doivent entreprendre des démarches pour obtenir un contrat jeune majeur.

Il est crucial que les pupilles de l'État, distincts des pupilles de la nation, bénéficient des mêmes droits, indépendamment des circonstances de la perte de leurs parents. Tous ces enfants devraient être protégés jusqu'à l'âge de 25 ans. Je tiens à préciser que je suis fermement en faveur de la protection des pupilles de la nation. Je ne remets absolument pas en cause ce principe. Je pense néanmoins qu'un pupille de l'État devrait bénéficier de la même protection. Ces enfants, que le conseil de famille ne rencontre que deux fois par an, sont de plus en plus nombreux depuis la crise du Covid. La Cessec, dans de nombreux départements, se réunit désormais deux fois par mois en raison de l'augmentation du nombre d'enfants devenant pupilles de l'État. Si l'État assume la responsabilité de ces pupilles, il me semble que c'est à lui de financer leur prise en charge, et non aux départements.

Il existe différents statuts pour ces enfants, notamment les mineurs non accompagnés. Le terme exact est celui de mineur privé, temporairement ou définitivement, de la protection de sa famille. L'exercice de l'autorité parentale est souvent délégué au département, qui se retrouve alors juge et partie. Cette situation est complexe, car il est difficile de décider pour le jeune tout en assumant les coûts. Il serait essentiel que ces jeunes disposent de véritables garants, de personnes assurant la protection de leurs droits. Cela me paraît fondamental.

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

Sur les différentes modalités de prise en charge, il faut retenir deux possibilités principales. La première est administrative, fondée sur un principe de contractualisation avec les parents, un principe fondamental puisque le placement judiciaire ne peut être que subsidiaire. Concrètement, si une information préoccupante est transmise au parquet et qu'il est mentionné que la famille souhaite collaborer avec les services de l'ASE, la saisine du juge des enfants ne pourra pas se faire. Il est nécessaire de démontrer le refus du parent de collaborer avec ces services ou de prouver une situation de danger extrême pour pouvoir saisir l'autorité judiciaire. C'est pourquoi le chiffre que j'évoquais précédemment concernant la répartition des mesures administratives et judiciaires est révélateur de l'absence de confiance de la population envers le système de protection de l'enfance.

Dans le cadre de la mesure administrative, il est possible d'avoir un accompagnement éducatif à domicile (AED), reposant sur un contrat entre le département et la famille de l'enfant, permettant la visite d'éducateurs de l'ASE. Souvent, ce sont des services associatifs qui se chargent du suivi et de l'accompagnement. Il existe également la possibilité d'un accueil provisoire, contractualisé avec le parent, qui confierait son enfant aux services de l'ASE. L'enfant pourrait alors être placé dans trois grandes catégories de structures : les foyers ou maisons d'enfants à caractère social, les familles d'accueil, et plus récemment, les hôtels, gîtes et campings, une situation que je trouve absolument scandaleuse.

Pour la partie judiciaire, la saisine de l'autorité judiciaire intervient dès lors que le parent refuse de collaborer avec le service de l'ASE ou que le danger est grave et immédiat pour le mineur. Le parquet transmet l'information préoccupante au juge des enfants dans un délai de deux semaines. Une audience se tient en présence de l'enfant et de sa famille. Le juge des enfants dispose de plusieurs options : ordonner l'exécution d'une AEMO ou décider d'un placement à l'ASE.

Le troisième outil à la disposition du juge, bien que peu sollicité, concerne les mesures d'accompagnement à la gestion budgétaire. Le juge peut ainsi ordonner un accompagnement budgétaire pour la famille concernée par la saisine.

De même que pour les mesures administratives, les placements dans le cadre judiciaire se répartissent principalement entre trois types de structures que sont les maisons d'enfants à caractère social, les foyers de l'enfance départementaux et les familles d'accueil. Il existe également des tiers dignes de confiance.

Ce qui est particulièrement préoccupant, et je vous renvoie aux dernières données produites par le syndicat de la magistrature, c'est que les magistrats font face à une surcharge de travail. Plus inquiétant encore, 70 % des juges des enfants peuvent renoncer à prendre une mesure de protection, conscients que les services départementaux de l'ASE ne seront pas en mesure de l'exécuter. Les données fournies par le syndicat de la magistrature n'intègrent pas les placements éducatifs à domicile. Cette pratique, inventée par les départements pour réduire les statistiques des mesures de placement non exécutées et réaliser des économies, ne figure dans aucun texte législatif.

Je rappelle que lorsqu'un juge des enfants ordonne le placement d'un enfant en danger dans sa famille, ce n'est pas pour qu'il reste dans son environnement familial, mais bien pour qu'il en soit extrait et protégé par les services compétents. Actuellement, on observe une multiplication des appels à projets pour des placements éducatifs à domicile (PEAD). En Alsace, par exemple, un appel à projets pour cent places en PEAD a été lancé l'année dernière. Il est essentiel de faire une distinction entre un placement et une mesure à domicile. Lorsqu'un juge ordonne un placement, le département ne peut pas exécuter cette décision de justice selon ses propres modalités, notamment en laissant l'enfant à domicile. Il doit exécuter la décision telle qu'ordonnée par l'autorité judiciaire. La situation actuelle est préoccupante.

Je rappelle également que le non-respect des mesures judiciaires de placement peut engager la responsabilité pénale et civile du président du département. Nous avons alerté depuis trop longtemps sur les drames susceptibles de survenir lorsque les placements ne sont pas exécutés malgré une décision de justice. Des décès récurrents en résultent. Les chiffres de l'Igas sur les infanticides d'enfants préalablement repérés par les services de l'ASE sont alarmants. Les présidents de département doivent comprendre qu'ils pourraient un jour se retrouver devant un tribunal pour ne pas avoir exécuté ces décisions de justice.

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Je souhaite apporter une précision concernant les PAED. Le Conseil d'État a récemment décidé de les aligner sur la conception des AEMO. Cette décision aura un impact certain, selon moi.

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

Je suis désolé, madame la rapporteure, c'est uniquement un avis du Conseil d'État. Il n'est pas opposable. Il faudra qu'il y ait un contentieux sur la question.

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Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous devons à la fois évaluer le manque de moyens et interroger le système en place. Le sujet de la recentralisation, que vous avez déjà évoqué, reviendra certainement lors des auditions, avec des avis extrêmement variés.

Vous avez mentionné certains départements adoptant une politique volontariste. Cela suppose non seulement que ces collectivités disposent de moyens, mais surtout qu'elles manifestent une volonté politique. Une politique relevant de l'État doit répondre à l'exigence d'égalité républicaine ; or il est évident que cette égalité n'existe pas, puisque les volontés politiques varient d'un département à l'autre.

Madame Taillardat, vous avez indiqué que très peu de départements respectent la loi à la lettre. Monsieur Louffok, vous avez souligné l'absence de coordination entre les services de l'État et les départements.

En mettant de côté la question de la recentralisation, pensez-vous qu'il soit envisageable de concevoir un modèle dans lequel l'État disposerait des prérogatives nécessaires pour être plus coercitif à l'égard des départements ? Cela impliquerait d'évaluer objectivement les politiques menées par ces départements, peut-être même de les noter, et, le cas échéant, d'envisager des sanctions, dont la forme reste à définir.

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

En l'absence de recentralisation, un fléchage des dotations pourrait être intéressant pour contraindre les départements à allouer des fonds à la politique publique de protection de l'enfance. Actuellement, certains départements, notamment à la veille des Jeux olympiques, choisissent délibérément d'investir dans des compétences facultatives au détriment de compétences obligatoires. Ces départements, souvent cités dans les médias, pourraient faire l'objet d'un fléchage des dotations globales pour les contraindre à dépenser proportionnellement aux besoins de leur territoire.

Une autre idée, inspirée par le gouvernement, est celle de la compétence partagée. Si la recentralisation de la politique de protection de l'enfance n'est pas envisagée, il serait pertinent de créer un véritable statut juridique de la compétence partagée.

En attendant, je rappelle que les préfets ont un rôle à jouer, notamment en matière de contrôle de légalité, et que ce rôle n'est pas toujours assuré. L'État devrait, à mon avis, renforcer considérablement ses liens avec les préfets et leur demander d'être beaucoup plus rigoureux dans les contrôles de légalité, notamment en matière d'appels d'offres sur les marchés publics. Il est inacceptable que des structures interdites par la loi Taquet, telles que certains hôtels, campings ou gîtes, continuent à être financées. De plus, les décisions votées dans diverses assemblées départementales, refusant de protéger des mineurs non accompagnés placés sur décision de justice, constituent une atteinte manifeste à la loi. Les préfets devraient jouer un rôle plus important dans ces contrôles.

Cependant, pour moi, la recentralisation demeure une étape fondamentale et un objectif à atteindre.

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Anne-Solène Taillardat, ancienne enfant placée

Une proposition complémentaire consiste en la création d'une instance de contrôle indépendante des lieux de placement, distincte des départements. Cette demande, que nous portons depuis longtemps, s'inspire du modèle de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Nous souhaiterions une instance indépendante de contrôle, non liée aux départements, sachant qu'actuellement ce sont les départements qui exercent la mission de contrôler les établissements qu'ils financent. Cela peut évidemment poser des problèmes d'objectivité.

En ce qui concerne les sanctions, je pense sincèrement que les sanctions financières demeurent les plus contraignantes pour les départements qui disposent des moyens, mais refusent de les allouer à cette politique publique obligatoire.

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

Très rapidement, il est nécessaire de mettre en place une instance nationale indépendante de contrôle, qui pourrait prendre la forme d'une autorité administrative indépendante. Cette piste me semble particulièrement appropriée. En complément, je propose de rendre obligatoire la désignation systématique d'un avocat pour tous les enfants placés sous la protection des services de l'ASE. Cela constitue, selon moi, le meilleur moyen de lutter contre les violences institutionnelles et de protéger les droits fondamentaux des enfants. Lorsque chaque enfant placé aura la possibilité d'être assisté par un avocat dans les procédures civiles – je rappelle que cette assistance est obligatoire dans les procédures pénales, mais ne l'est pas dans les procédures civiles, il disposera d'un interlocuteur de confiance, dédié exclusivement à la défense de ses intérêts. Cet avocat pourra être sollicité par l'enfant, faire exécuter les décisions de justice, veiller au respect des droits procéduraux lors des audiences et intervenir sur de nombreux autres aspects. Cette mesure créerait un contre-pouvoir vis-à-vis des départements, car l'enfant, souvent démuni dans un système complexe et difficile à comprendre, n'a pas toujours d'adultes de confiance pour le soutenir. La présence d'un avocat clairement identifié pour défendre ses intérêts permettrait à l'enfant de s'exprimer et de faire valoir ses droits de manière plus efficace.

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Vous avez mentionné les départements, mais ce sujet n'est jamais véritablement abordé durant les campagnes électorales. Les départements et les partis politiques réagissent en fonction des attentes, et non simplement des émotions des citoyens. Cela nous interpelle, nous, ainsi que ceux qui nous observent, quant à notre responsabilité.

Vous avez évoqué diverses propositions, notamment la recentralisation. J'aimerais vous poser une question concernant les expériences passées, tant en France qu'à l'étranger. Je n'apprécie guère le terme « placement », que je trouve très inélégant, mais quelles sont les meilleures solutions pour assurer cette sécurité physique et affective, ainsi qu'un accompagnement optimal durant ces périodes de rupture très difficiles ? Au-delà des moyens et des orientations budgétaires, il est essentiel de déterminer quelles sont les structures les plus adaptées. S'agit-il des centres ou des familles ? Et lorsque l'une de ces options est choisie, quels sont les conditions et les facteurs de succès ?

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

Cette question a été tranchée par l'Organisation des nations unies dans le cadre de l'élaboration de lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants. Ces lignes directrices indiquent de manière très claire que l'accueil familial est la forme de placement la plus protectrice des droits et des besoins fondamentaux de l'enfant. Cette préférence s'explique par une raison assez simple. L'accueil familial est le seul qui permet de garantir une stabilité du lien affectif avec un adulte de référence. De plus, il offre des chances supplémentaires dans la vie d'adulte par rapport aux enfants placés en institution. Je vous encourage vivement à vous référer à ces lignes directrices. Elles existent depuis plus de trente ans, bien que peu de monde les connaissent. Les normes onusiennes sont de haute qualité en matière de protection des enfants.

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Pourquoi, dans notre approche actuelle, que ce soit au niveau central ou départemental, l'accueil en famille fonctionne-t-il moins bien que dans d'autres pays étrangers ? Est-ce dû à la sélection des familles ? Est-ce une question de moyens financiers ? Il est essentiel de se pencher sur ces aspects.

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

Permettez-moi de vous parler de la pénurie des familles d'accueil en France. En 2016, plus de 50 % des enfants étaient accueillis dans des familles d'accueil. En 2024, ce chiffre est tombé à 40 %. Cette diminution s'explique notamment par une pénurie liée à une pyramide des âges défavorable, avec une population active vieillissante qui n'est pas systématiquement remplacée lors des départs à la retraite. Actuellement, le recrutement de nouvelles familles d'accueil rencontre un frein : les services départementaux peinent à considérer qu'une personne souhaitant devenir famille d'accueil puisse conserver son emploi d'origine. Cette barrière idéologique persiste, on considère souvent qu'une mère au foyer sans emploi est la mieux placée pour s'occuper des enfants. Cette vision rend difficile l'exploration d'autres modes d'accueil pour les enfants placés, notamment en vue de délivrer des agréments pour devenir assistants familiaux.

Une proposition de loi sera examinée au Sénat à la fin du mois de mai. Elle a de bonnes chances d'être votée et j'espère qu'elle arrivera rapidement devant votre chambre. Ce texte vise notamment à permettre le cumul de l'emploi – en tout cas à le graver dans le marbre de la loi, afin de faire évoluer les pratiques départementales.

Concernant la conception même du système de protection de l'enfance, nous faisons face à une véritable problématique. Au fil de l'histoire, nous avons évolué des orphelinats aux mères nourricières. Aujourd'hui, nous parlons de l'ASE et des familles d'accueil. Cependant, nous n'avons jamais réellement défini et affirmé la mission de notre politique de protection de l'enfance – cela pourrait être l'objet de la commission d'enquête.

Pour ma part, je suis convaincu qu'une politique de protection de l'enfance digne de ce nom repose sur deux éléments concrets. Premièrement, une politique de secours aux populations, en l'occurrence les enfants, qui sont les plus vulnérables parmi nous. Deuxièmement, une politique de suppléance parentale. En envisageant la politique de protection de l'enfance à partir de ces deux éléments, nous élargissons notre cadre de pensée et pouvons plus facilement identifier les aberrations actuelles. Lorsqu'on parle de suppléance parentale, il devient immédiatement inconcevable de placer un enfant dans un foyer ou une structure collective pendant dix, quinze ou dix-huit ans. De même, il serait impensable de mettre des enfants à la rue à dix-huit ans sous le simple prétexte qu'ils ont atteint la majorité légale. Pour moi, un système de protection de l'enfance doit intégrer ces deux éléments.

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Anne-Solène Taillardat, ancienne enfant placée

La stabilité du parcours de l'enfant est évidemment primordiale. J'ai évoqué dans mon introduction de nombreux enfants qui passent par un premier foyer d'urgence, puis une famille d'accueil, éventuellement un foyer, puis peut-être un autre foyer d'urgence, et ainsi de suite. La possibilité de créer des liens durables est tout aussi importante que la stabilité du parcours. Ces liens ne se limitent pas uniquement à l'assistante familiale, ils s'étendent à l'ensemble de la famille d'accueil, à l'environnement social global de l'enfant. La protection de l'enfance est souvent trop cloisonnée. Il est nécessaire d'inclure les loisirs ou l'école, et d'éviter que l'enfant ne fréquente cinq établissements scolaires différents au cours de son parcours. La question des soins appropriés est également centrale, qu'il s'agisse de soins physiques ou de soins psychiques.

La prise en compte du psycho-traumatisme reste largement sous-estimée en protection de l'enfance. Nous savons que ces éléments sont des facteurs prédictifs d'une insertion réussie. L'accompagnement jusqu'à l'extinction des besoins est également important. Il est opportun de rappeler que, pour les enfants issus de familles lambda, l'âge moyen de décohabitation est de 24 ans, alors que pour les enfants pris en charge par la protection de l'enfance, cet âge est, au mieux, de 21 ans lorsque tout se passe bien. À cet égard, ces dernières années, un travail formidable a été accompli en Australie. Une étude a démontré que pour chaque dollar investi sur un jeune majeur, deux à six dollars de coûts sociaux futurs sont évités.

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Je connaissais déjà partiellement ces éléments, mais cette commission d'enquête est une excellente occasion de les faire connaître à tous. Je souhaite rappeler les points que vous préconisez. Je suis satisfaite de vous entendre car vos préconisations rejoignent celles de mon parti politique. Il est essentiel de recentraliser la politique de protection de l'enfance et d'imposer l'obligation d'assistance de l'avocat, tant au niveau pénal que civil. J'irais même plus loin que vous : dès qu'il y a une information préoccupante, l'État devrait désigner un avocat pour l'enfant.

Vous proposez également d'instaurer un droit de visite pour les parlementaires. J'ai eu beaucoup de peine quand le projet de ma collègue Laure Lavalette, qui proposait justement un droit de visite aux parlementaires, sénateurs et députés, a été refusé par le Parlement. Il y a donc une responsabilité des députés. Lorsqu'il s'agit de défendre les intérêts des enfants, il ne doit pas y avoir de politique. Si J'espère qu'à l'avenir, lorsque nous reprendrons certaines de vos propositions, l'ensemble des députés de l'Assemblée nationale les adoptera.

Je souhaite également recentrer le débat sur les maltraitances. Je souhaite attirer votre attention sur un cas survenu en Seine-et-Marne, celui du jeune Bastien. Pardonnez-moi si je me répète, mais il est essentiel que cette commission en prenne connaissance. En Seine-et-Marne, Bastien a été placé dans une machine à laver après neuf signalements et trois informations préoccupantes. J'ai écrit à Monsieur Jean-François Parigi, président du conseil départemental, qui ne m'a toujours pas reçue, bien que je sois élue depuis presque deux ans. Vous avez mentionné plus tôt que certains conseils départementaux font preuve de résistance lorsqu'il s'agit de protection infantile, et c'est effectivement le cas ici.

Il est impératif de comprendre pourquoi ces informations préoccupantes ne sont pas suivies d'actions. En consultant la brochure du syndicat de la magistrature, on constate que 77 % des juges des enfants ont déjà renoncé à prononcer des décisions de placement d'enfants en danger au sein de leur famille, faute de places disponibles ou de structures adaptées. Cette situation est désolante. Il est nécessaire de diriger les financements vers ce domaine, et je partage votre avis pour l'instant : l'État n'a pas alloué les ressources nécessaires. Je souhaite retenir votre préconisation, à savoir la mise en place d'un organisme extérieur.

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Madame Roullaud, avez-vous une question ? Il faut que chacun puisse s'exprimer. Jusqu'à présent, vous avez principalement politisé la commission d'enquête sans poser de questions.

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Le sujet revêt une importance capitale pour tous les citoyens qui nous écoutent et pour notre travail de députés. Ne croyez pas que cette démarche vise à politiser le débat, il s'agit avant tout de progresser.

Je rappelle également à Madame Blin, qui n'a pas entendu mes propositions, qu'il y a aussi celle d'un organisme extérieur chargé du contrôle. En effet, je tiens à souligner que, selon le rapport de la Cour des comptes de 2014, en cinq ans, seuls trente-huit contrôles ont été effectués dans les établissements publics.

Vous avez dit qu'il faut interdire le placement des enfants dans des hôtels. Cependant, dans le cas où un enfant est victime de violences dans le foyer où il se trouve, ne pensez-vous pas qu'il serait préférable, en raison de la pénurie de solutions de placement, de recourir à un hôtel plutôt que de laisser l'enfant dans une situation dangereuse ?

Ensuite, pensez-vous qu'il serait pertinent de prévoir dans la loi un mécanisme permettant à l'enfant d'avoir son mot à dire concernant son placement ? En lisant divers ouvrages, y compris celui de Monsieur Louffok, on constate que les enfants sont souvent déplacés de manière dramatique, parfois arrachés à un environnement où ils se sentent bien. Cette question me préoccupe énormément. Ne pourrait-on pas envisager, sans aller jusqu'à un droit de veto, d'intégrer cette préoccupation dans la législation ?

Enfin, pourriez-vous nous expliquer plus en détail le rôle des cellules de recueil des informations préoccupantes (Crip) ? Beaucoup de membres de cette commission ne connaissent pas bien leur fonctionnement.

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Diodio Metro, ancienne enfant placée

Je vais répondre à la question concernant les hôtels. Imaginez qu'un enfant abusé sexuellement dans une institution se retrouve à l'hôtel. Pour rappel, 95 % des enfants à l'hôtel sont des mineurs non accompagnés. Que se passe-t-il à l'hôtel ? J'ai des jeunes qui sont arrivés à l'association après y avoir passé trois ans. Vous rendez- vous compte ? Une journée sans voir personne. Rien que le vide et l'angoisse. Cela conduit à des suicides.

Le plus grand danger vient de l'extérieur. Ces gamins sont happés par des réseaux, d'abord ceux de la prostitution puisque 50 % des enfants prostitués sont des mineurs issus de la protection de l'enfance. Quand j'étais éducatrice, nous en parlions, mais personne ne nous croyait. Nous alertions il y a quinze ans sur le risque de prostitution de ces enfants.

Être à l'hôtel, c'est une angoisse immense. Un vide sidéral qui conduit un enfant à la dépression et à être happé par des réseaux. Au-delà de la prostitution, il y a tous les dangers liés aux trafics, notamment de drogues. La semaine dernière, j'ai reçu un appel de la police concernant un jeune homme de 18 ans, en fin de prise en charge sur le territoire. Ce jeune avait appelé la police pour être protégé d'un réseau. Nous avons contacté le 115, car nous n'avions pas d'autres solutions. Il se trouvait dans un foyer de jeunes travailleurs (FJT). On nous a répondu qu'il n'y avait pas de place. La police a surveillé et protégé ce jeune homme pendant 15 jours. Nous avons dû solliciter l'intervention du préfet pour obtenir une injonction de protection, car il avait été placé dans un environnement où il était exposé à des réseaux dangereux. C'est le risque inhérent à l'hébergement en hôtel.

Lorsqu'un enfant se retrouve victime d'abus sexuels, il est essentiel de comprendre les circonstances qui ont conduit à cette situation. Premièrement, il est impératif de mettre en place des dispositifs de réponse judiciaire, notamment en les orientant vers les unités médico-judiciaires (UMJ) pour constater les faits. Deuxièmement, il faut prévoir des lieux de protection et de sécurité. Une telle situation n'aurait jamais dû se produire. Qu'est-ce qui a permis que cela arrive ? L'hébergement en hôtel ne constitue pas une solution adéquate pour ces jeunes filles. Au contraire, cela les expose davantage aux dangers du système.

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Anne-Solène Taillardat, ancienne enfant placée

Lorsqu'on évoque les hôtels, il est essentiel de comprendre que ce sont des établissements où les couvertures présentent des taches de sang, de sperme ou de matière fécale, au choix. Les draps y sont changés au bon vouloir de l'hôtelier, parfois une seule fois par mois, dans le meilleur des cas. Ce sont des lieux où il est impossible de se préparer à manger. Les résidents doivent se contenter de sandwiches ou, pour les plus chanceux, de tickets restaurant pour des kebabs. En termes de nutrition, c'est un véritable scandale. Je ne mentionne même pas la gale, les cafards, les souris, ou encore les hôteliers qui voient des billets à la place des jeunes qu'ils accueillent. Certains peuvent même se montrer violents ou harceler sexuellement les jeunes femmes.

Nous parlons d'enfants de 14 à 17 ans, abandonnés entre quatre murs souvent très exigus, parfois entassés à deux ou trois dans une chambre d'hôtel pendant des jours. Souvent, ces jeunes ne sont pas scolarisés parce que les structures n'ont pas réussi à travailler avec eux ou parce qu'ils sont mineurs isolés, discriminés et relégués là faute de moyens pour leur offrir mieux qu'une chambre d'hôtel. Ils se retrouvent plongés dans l'isolement et l'absence, entre quatre murs d'une chambre insalubre. Personne ne souhaiterait cela pour son propre enfant, même s'il a été victime de maltraitance dans son foyer.

Il incombe aux départements de prévoir suffisamment de places pour ces jeunes. On ne peut pas concevoir un système en se disant que, même s'il est défaillant, on peut l'autoriser. Actuellement, le département du Nord, parmi d'autres comme la Loire-Atlantique, tente d'être créatif en remplaçant parfois les hôtels par des campings ou des gîtes.

Nous réclamons des places avec des professionnels diplômés pour s'occuper de ces enfants en difficulté. Aucun de vous n'accepterait de laisser son enfant, ou même de passer une seule nuit, dans une telle chambre d'hôtel. Par conséquent, non, je ne pense pas que l'hébergement à l'hôtel soit une solution.

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

Concernant les hôtels, il est essentiel de souligner que les présidents de départements, en responsabilité, devraient être en mesure d'évaluer les bénéfices et les risques d'un dispositif. Si, par exemple, un enfant est victime de violences sexuelles dans un foyer, j'espère que le premier réflexe du président de département ne sera pas de placer cet enfant dans un hôtel, mais plutôt de faire appel à une famille d'accueil bénévole. Il s'agit d'une évaluation bénéfices-risques. Je préfère largement que l'on sollicite des bénévoles plutôt que de laisser des enfants dans des structures où ils pourraient potentiellement mourir.

En ce qui concerne les informations préoccupantes, je rappelle qu'en 2022, le Parlement a voté l'obligation pour les départements de se doter du référentiel de la Haute autorité de santé (HAS) pour l'évaluation du danger. Lorsqu'une évaluation d'informations préoccupantes doit être réalisée aujourd'hui en France, le référentiel de la HAS est obligatoire et doit être utilisé pour mener cette évaluation. Nous faisons face à un dysfonctionnement notable car en 2022, le Parlement a également voté le principe que la formation à ce référentiel devait être assurée par le groupement d'intérêt public Enfance en danger (Giped). Cependant, les moyens alloués au Giped dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale n'ont pas augmenté, voire ont diminué, alors que de nombreuses missions lui ont été confiées. Je pense notamment à la formation au référentiel de la HAS, mais aussi à la création du fichier national pour recenser les agréments de familles d'accueil, qui n'a toujours pas été instaurée. J'attends avec impatience l'audition des responsables du Giped et nous ne manquerons pas de vous transmettre une série de questions, si cela vous intéresse, sur les réorientations et les changements de lieux de placement.

Je rappelle que la loi de 2016 impose aux départements d'informer le juge des enfants en amont des changements de lieux de placement. Or, cette loi n'est pas respectée. Cela empêche le juge de convoquer une audience, d'entendre les parties et de vérifier que le choix des services départementaux respecte l'intérêt supérieur de l'enfant. Par ailleurs, la présence d'un avocat dans ces situations permettrait de soulever ces points de procédure.

Il est également important de rappeler que les enfants ont le droit de faire appel des décisions les concernant. Cependant, sans assistance systématique d'un avocat et sans connaissance des procédures d'appel, ce droit reste théorique et n'est jamais exercé en pratique. Les enfants disposent de ce droit, mais nous ne leur avons pas donné les moyens de le faire valoir.

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Votre présence et la constitution de ce comité marquent un tournant dans l'histoire de la protection de l'enfance. Les personnes concernées n'ont jamais eu la parole dans notre pays, et pour la première fois, elles la prennent. C'est un moment important, historique, qui nous appelle à une grande responsabilité en tant que parlementaires. Je souhaite que vos vidéos soient diffusées partout, car elles permettent de planter le décor de nos travaux.

Le constat de l'effondrement de la protection de l'enfance est largement partagé, que ce soit par les premiers concernés, les enfants placés et les anciens enfants placés, mais aussi par les professionnels de la protection de l'enfance et du travail social, ainsi que par les magistrats et les juges des enfants, submergés par des conditions de travail de plus en plus difficiles. Une partie des départements partage également ce constat, certains avec un diagnostic particulièrement inquiétant, voire raciste. Par exemple, une collègue députée a soulevé la question des pratiques illégales de certains départements, comme le refus de prise en charge des mineurs non accompagnés, ce qui est illégal et constitue un problème majeur. Face à cela, nous n'avons observé aucune remise en question, ni aucune déclaration du gouvernement, lorsque Charlotte Caubel était secrétaire d'État.

Ce qui doit nous intéresser aujourd'hui, ce sont les perspectives et les propositions pour changer cette situation et éviter d'entendre de tels récits à l'avenir. Nous sommes dans un moment où il est essentiel de politiser les enjeux de la protection de l'enfance. Ce n'est pas un gros mot, c'est extrêmement important, et c'est le mandat qui m'a été confié, qui doit être le mandat de chacun ici, avec nos propositions respectives. En tout cas, je n'ai aucune difficulté à affirmer que je fais des propositions politiques, j'en suis même assez fière.

Un conflit persiste entre les départements et l'État, comme vous l'avez souligné. Au milieu, des enfants sont pris dans ce conflit, à l'image de deux parents qui se déchirent. En tant que professionnels, nous parlons souvent de conflits de loyauté, d'instrumentalisation des enfants. Je constate que nous avons deux parents défaillants, à savoir l'État et les départements, qui se renvoient la balle. Ainsi, votre proposition de recentralisation me semble pertinente.

Par ailleurs, nous manquons d'indicateurs pour évaluer le nombre d'enfants concernés par la protection de l'enfance ; ce travail est souvent réalisé par les syndicats, suppléant ainsi aux outils de l'État. J'aimerais connaître vos propositions pour obtenir des indicateurs précis en matière de protection de l'enfance.

Une autre question soulevée concerne les aspects budgétaires. Il a été rappelé que certains départements investissent davantage, mais ces investissements demeurent insuffisants face aux besoins. Il est essentiel de partir des besoins en protection de l'enfance, et non simplement d'augmenter les budgets. Je rappelle également que certains départements réclament de nouvelles compétences, comme l'agriculture, ce qui est assez particulier dans un contexte où les compétences actuelles ne sont pas pleinement assurées.

Ensuite, je souhaitais vous interroger sur les possibilités de contrôle. J'ai bien pris connaissance de votre proposition concernant la création d'une autorité de contrôle sur le modèle de ce qui existe pour les lieux de privation de liberté, que je trouve très intéressante. Dans l'immédiat, quel pourrait être le rôle du préfet, notamment dans les départements où des placements hôteliers existent encore ? Nous avons lu des articles relatant des situations graves avec des enfants très jeunes placés en hôtel, notamment dans le département du Nord. Que peuvent faire les préfectures de manière immédiate ?

Concernant l'amélioration des conditions de travail, vous avez brièvement abordé la question des taux d'encadrement. Effectivement, nous envoyons nos enfants en colonie de vacances lorsque le taux d'encadrement est adéquat. Or, les enfants sont placés à l'ASE sans taux d'encadrement. Je souhaiterais également vous entendre sur les questions salariales, car je constate une dégradation très forte du niveau de vie des professionnels.

Enfin, je voudrais aborder une question plus large sur les changements culturels nécessaires dans notre pays, tant sur les droits des enfants que sur ce que nous, parlementaires et citoyens, pourrions faire. Existe-t-il un sursaut, similaire à celui des luttes féministes, pour comprendre que les dominations exercées sur les femmes peuvent également exister sur les enfants ? Nous n'avons pas de comptage des infanticides, mais avez-vous des pistes pour un sursaut culturel visant à prendre en compte les droits des enfants de manière différente ? Nous commençons à parler d'enfantisme. Quel est votre avis sur ce sujet ?

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Anne-Solène Taillardat, ancienne enfant placée

Je vais aborder la question des statistiques. Lorsqu'on ne souhaite pas reconnaître un problème, on choisit de l'ignorer. C'est ce que la France a fait concernant la protection de l'enfance depuis longtemps. Elle a décidé de ne pas se doter des moyens nécessaires pour obtenir des statistiques précises et pour suivre l'évolution de ces enfants sur des aspects essentiels tels que la santé, la scolarité et le développement à long terme. Quelques recherches ont été menées, notamment l'étude longitudinale sur l'accès à l'autonomie des jeunes, réalisée par Isabelle Fréchon pour l'Institut national d'études démographiques. Cette étude, remarquable, a été conduite en plusieurs vagues sur un échantillon de jeunes de différents départements du Nord et de la région Île-de-France. Elle a eu des effets significatifs sur la compréhension des trajectoires des enfants. Elle a démontré que plus un jeune est pris en charge longtemps après sa majorité, plus il parvient à atteindre un niveau scolaire comparable à celui de la population générale. De plus, la multiplicité des lieux de placement a un impact négatif sur la création d'un entourage fiable et solide.

Il incombe à l'État de demander des comptes et d'imposer aux départements des remontées statistiques exhaustives et fiables. Il doit les contraindre à fournir toutes ces données essentielles, afin de pouvoir ajuster les politiques de protection de l'enfance en fonction des besoins, de l'évolution et des effets de leur mise en œuvre. Cela est indispensable et doit être mis en place de manière impérative.

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Lyes Louffok, ancien enfant placé

Depuis 2012, une obligation impose aux départements de transmettre leurs données. Une enquête du journal Le Monde, publiée il y a un peu plus d'un mois, révèle une situation alarmante. En plus de dix ans, seuls dix départements ont effectivement transmis leurs données via des logiciels obsolètes, coûtant annuellement au moins 50 millions d'euros. Ces chiffres ne couvrent pas l'ensemble des départements utilisant ces logiciels. De plus, les propriétaires de ces logiciels sont des entreprises domiciliées dans des paradis fiscaux. Il est impératif de creuser cette question. Les professionnels de l'ASE utilisent couramment le logiciel Iodas, censé faciliter la remontée des données. Cependant, la majorité des collègues dans ce secteur constateront que ce logiciel n'est pas utilisé de manière efficace.

Par ailleurs, les stratégies de lutte contre la pauvreté et de protection de l'enfance, qui ont amorcé un principe de contractualisation avec les départements en échange de financements publics supplémentaires, visaient notamment à obtenir des remontées d'informations plus précises. Ces stratégies établissaient des indicateurs et des règles à respecter en échange de financements, permettant ainsi d'obtenir des données plus fines que celles recueillies jusqu'à présent. Malheureusement, en 2024, nous n'avons aucun retour sur l'effectivité de ces stratégies. Nous ignorons si les départements ayant reçu des fonds de l'État ont respecté l'intégralité du cahier des charges. Il serait pertinent de poser la question à la direction générale de la cohésion sociale lors de son audition.

Concernant le rôle des préfets, je pense qu'il est impératif de fermer certains hôtels, notamment dans le Nord. Ces établissements accueillent des enfants de 8 à 13 ans non accompagnés, ce qui est inacceptable. Le préfet dispose du pouvoir de fermer ces structures et de charger le département de trouver des solutions alternatives. Nous ne pouvons tolérer, au vu des événements récents, de continuer à héberger des enfants de 8, 9 ou 10 ans dans des hôtels, en violation de la loi. Si le département doit débloquer 50 millions d'euros supplémentaires pour trouver des places en urgence ou augmenter les salaires des familles d'accueil afin d'en attirer davantage sur son territoire, il doit le faire. Il est inacceptable que les enfants subissent les conséquences de cette pratique illégale et dangereuse. La fermeture d'établissements et de structures touristiques me semble être une mesure raisonnable compte tenu de la gravité de cette situation.

Sur le plan sociétal, je remarque avec optimisme que l'Assemblée nationale a choisi de créer une délégation aux droits des enfants, ce qui constitue une avancée significative. Nous espérons que le Sénat suivra cette initiative.

Aujourd'hui, deux commissions d'enquête sont lancées : l'une sur les dysfonctionnements de l'ASE ; l'autre sur les victimes de violences sexuelles dans le monde de l'art et du cinéma. La place des enfants prend de plus en plus d'importance au sein du Parlement, particulièrement à l'Assemblée nationale. Ces efforts doivent être poursuivis.

Je tiens à souligner qu'il existe des possibilités d'engagement accessibles à tous, notamment le parrainage de proximité. En tant que fervent défenseur de cette initiative, je considère qu'elle permet de mettre en relation des membres de la société civile, des citoyens ordinaires désireux de consacrer du temps à un enfant, afin de construire une relation affective stable et durable. Ces personnes partagent bénévolement ces moments et ne font pas partie du système de l'ASE. Le parrainage de proximité crée également une forme de vigie citoyenne pour les enfants placés. Plus nous aurons de parrains et de marraines, mieux ce sera. La loi de 2022 oblige d'ailleurs les départements à proposer systématiquement un parrain ou une marraine à tous les enfants placés. Cependant, cet aspect de la loi n'est pas respecté.

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Vous avez mentionné le principe du « jamais sans nous ». Vous avez abordé de nombreux sujets d'ordre général, national et départemental. J'aimerais profiter de votre expérience pour obtenir des précisions sur ce que signifient un accueil et un placement. Vous avez raconté les histoires de jeunes majeurs qui, à 18 ans, quittent leur placement avec des sacs poubelles, soulignant le caractère très déshumanisant de cette pratique. De plus, le vocabulaire utilisé, comme « vêtures » pour le shopping ou « transferts » pour les vacances, contribue à un système déshumanisé. J'aimerais vous entendre sur ce point.

Vous avez également parlé des différentes ruptures dans les parcours d'accueil, souvent accompagnées de fugues, ainsi que des divers types d'accueil, que ce soit dans des familles d'accueil, des lieux de vie ou des foyers. Même si les chiffres semblent difficiles à obtenir, j'aimerais avoir une idée approximative de la répartition des enfants par type de structure d'accueil. Ma collègue a posé une question sur les modalités d'accueil idéales. Pour ma part, j'aimerais connaître les particularités de chaque type de structure. Être accueilli dans un foyer a des implications spécifiques, tout comme être accueilli par une famille d'accueil. Il est important de comprendre les difficultés rencontrées par certains professionnels, notamment ceux qui travaillent en famille d'accueil et qui peuvent se retrouver très isolés.

Je souhaiterais également vous entendre sur l'accès aux soins, notamment les soins psychiques et ceux liés aux handicaps. Comment ces soins sont-ils dispensés dans le cadre de l'ASE ?

Enfin, la question de la prévention me semble essentielle. Vous avez évoqué les différents rôles de l'ASE, mais qu'en est-il de la prévention, avant que les problèmes ne surviennent ?

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Je vous laisse répondre. Les questions étant nombreuses, vous pourrez compléter vos réponses par des contributions écrites.

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Diodio Metro, ancienne enfant placée

En tant que professionnelle de l'accueil, j'ai travaillé en foyer d'urgence. L'une des difficultés majeures réside dans l'accueil des enfants. J'étais responsable d'un groupe, appelé groupe des moyens, comprenant des enfants âgés de 8 à 12 ans. Nous devions souvent les accueillir en improvisant des couchages, faute de place. Par exemple, à trois heures du matin, on m'a informée de l'arrivée d'une petite fille de 8 ans. J'ai dû installer un matelas dans le couloir pour pouvoir l'accueillir. Cela ne constitue pas un véritable accueil. Je parle spécifiquement de mon département, le Val-d'Oise. Depuis quelque temps, je suis alertée par le nombre croissant d'enfants en accueil d'urgence. Le foyer d'urgence est censé être temporaire, avec une durée de séjour maximale de trois mois. Cependant, certains enfants y restent un an, observant les autres partir tandis qu'eux demeurent sur place. Cela signifie que les institutions font des choix parmi les enfants. Ceux qui posent moins de problèmes comportementaux sont privilégiés. Ainsi, nous sélectionnons les enfants que nous accueillons, ce qui pose problème. Imaginez-vous avec un enfant de 10 ans présentant des comportements difficiles. J'ai souvent rencontré des situations où il fallait contenir physiquement un enfant pour l'empêcher de se blesser ou de blesser les autres ; par exemple, l'empêcher de se fracasser la tête contre le mur ou de jeter un camarade par la fenêtre. Et souvent, je me retrouvais seule, car mon collègue devait partir en rendez-vous. Il reste encore dix autres cas, car les groupes sont souvent composés de douze personnes. À un moment donné, je comprends que l'institution protège également ses professionnels. Il arrive que les institutions protègent, mais les lieux d'accueil d'urgence n'ont pas cette option. Ils sont contraints de garder les enfants, même s'ils n'ont pas de solution immédiate.

Je pense que l'accueil en protection de l'enfance est différent. Pour ma part, j'ai travaillé dans des maisons d'enfants à caractère social (Mecs). Nous avons évoqué plus tôt les familles d'accueil, qui jouent un rôle essentiel. J'ai beaucoup apprécié mon expérience en Mecs. J'ai travaillé dans une institution où les enfants étaient répartis par tranches d'âge, avec la possibilité de passer d'un groupe à l'autre tout en restant dans la même structure. Cela permettait de conserver les mêmes éducateurs, qui suivaient parfois les enfants sur plusieurs années, et d'accueillir des fratries. Ce fonctionnement, avec un rythme bien défini et une équipe conséquente, m'a permis de partager de véritables moments de vie avec ces enfants et de les accompagner de manière continue. J'ai suivi des enfants de 9 à 21 ans. Je pense que tout dépend de la manière dont l'institution réfléchit à son organisation. Il existe de belles institutions qui offrent un accueil de qualité.

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Anne-Solène Taillardat, ancienne enfant placée

Je propose que nous rédigions une contribution sur le sujet des professionnels tels que les assistants familiaux et les éducateurs.

Je vais me concentrer sur la question de la santé. Comme Diodio et Lyès, je suis également éducatrice spécialisée. J'ai travaillé pendant onze ans en protection de l'enfance. Dans la structure où j'exerçais, nous avions instauré un bilan de santé systématique à l'arrivée des enfants, incluant des consultations avec un médecin généraliste, un ophtalmologue, un dentiste, et, pour une bonne moitié des enfants accueillis, un bilan orthophonique. Cette démarche nous faisait passer pour des extraterrestres dans le département. Pourtant, cela devrait être la norme pour tous les enfants. Nous emmenions nos propres enfants chez le médecin, nous vérifions leur vue, leur audition, l'absence de caries, et nous nous interrogieons sur d'éventuels troubles d'apprentissage en cas de difficultés. Pour les enfants en protection de l'enfance, ce n'est malheureusement pas systématique. Les problèmes dentaires, par exemple, sont fréquents et souvent graves chez ces enfants. Cela se voit immédiatement. Je ne vous parle même pas des problèmes de santé psychique. La question du psycho-trauma n'est prise en compte que depuis très peu de temps par la protection de l'enfance, et nous sommes encore loin de l'envisager systématiquement. Ces enfants en souffrance sont souvent perçus à travers le prisme du dérangement qu'ils causent à l'institution ou du danger qu'ils représentent, plutôt que sous l'angle de leur souffrance.

Je souhaite attirer l'attention sur l'impuissance des professionnels, à qui je ne jette pas la pierre, car ils sont souvent laissés seuls. Et quand je dis seuls, ce n'est pas nécessairement être les seuls dans l'établissement, mais plutôt être extrêmement démunis en raison de problèmes majeurs de coordination entre les différents secteurs de l'État, notamment en pédopsychiatrie. Ayant travaillé en Seine-Saint-Denis pendant onze ans, j'ai constaté que la pédopsychiatrie y est totalement ravagée. Même lorsque nous souhaitions mettre en place un suivi pour un enfant, nous étions confrontés à des listes d'attente de neuf à dix-huit mois pour des enfants déjà en grande détresse. Si nous demandions une intervention que nous estimions urgente, on nous répondait qu'il fallait qu'il y ait un passage à l'acte.

La formation des professionnels au repérage des troubles psycho-traumatiques et à leur prise en charge quotidienne représente un chantier majeur. Ces troubles ont évidemment une incidence sur ces enfants, sur la manière dont ils entrent en relation avec les adultes, avec les autres enfants, et sur leur parcours scolaire. Nous sommes encore très loin de répondre à ces besoins.

Vous avez également soulevé la question du handicap en protection de l'enfance, que je considère comme l'impensé des impensés. Il existe extrêmement peu de structures accessibles, notamment pour les handicaps physiques. De plus, très peu de professionnels sont formés, par exemple à la langue des signes, et très peu de structures sont capables de s'adapter facilement en cas de handicap visuel. Les professionnels sont souvent démunis face à des problèmes de coordination entre les différents secteurs de l'État, la pédopsychiatrie est en crise et la question du handicap en protection de l'enfance est largement négligée. Nous faisons face à une pénurie de structures spécialisées dans l'éducation nationale, ce qui contraint certains enfants à partir en Belgique pour être accueillis dans des établissements adaptés.

Lorsque l'on aborde des troubles tels que l'autisme ou les déficiences intellectuelles, il devient impératif de coordonner le service de protection de l'enfance avec l'agence régionale de santé, dans un système où les places manquent cruellement des deux côtés. Nous sommes alors confrontés à des situations dramatiques où des enfants se retrouvent dans des établissements totalement inadaptés à leurs troubles. Je pense notamment à un petit garçon dans le Val-de-Marne, souffrant de troubles autistiques majeurs, accueilli dans un établissement inadapté à ses besoins. Cet enfant est en grande souffrance, tout comme les autres enfants accueillis avec lui. Il n'y a pas de place disponible et il faut attendre qu'un autre enfant passe dans une structure pour adultes ou décède pour qu'il puisse être admis dans un établissement adapté. La question du handicap représente donc un enjeu majeur en matière de protection de l'enfance.

La séance s'achève à dix-huit heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Anne-Laure Blin, M. Paul Christophe, Mme Ingrid Dordain, M. Philippe Fait, M. David Guiraud, Mme Christine Le Nabour, Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, M. Sébastien Peytavie, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, M. Hervé Saulignac, Mme Huguette Tiegna, M. Stéphane Viry

Excusés. – M. Frédéric Boccaletti, Mme Béatrice Descamps