La question de la recentralisation est un débat récent mais très pertinent. Depuis de nombreuses années, je propose cette idée pour plusieurs raisons. Tout d'abord, lorsque le législateur a décidé, dans les années 1980, de décentraliser cette politique publique, deux objectifs étaient visés. Le premier était de rapprocher les citoyens de la décision politique, en favorisant la proximité. En 2007, il s'agissait également de contribuer à la déjudiciarisation de la protection de l'enfance, en lien avec la nécessité d'agir au plus près de la population.
En 2024, force est de constater que les objectifs ayant justifié cette décentralisation des politiques d'aide sociale à l'enfance n'ont pas été atteints. Leur pertinence n'a pas été démontrée. En observant le nombre de mesures judiciaires par rapport aux mesures administratives, on comprend que la subsidiarité du placement judiciaire au profit du placement administratif, censée illustrer le travail de proximité des élus avec la population, n'a pas pu se réaliser. Actuellement, 90 % des mesures sont d'ordre judiciaire et seulement 10 % d'ordre administratif, c'est-à-dire contractualisées entre le département et les parents. Cette réalité statistique illustre un problème dans l'effectivité du travail de proximité avec la population et l'objectif de déjudiciarisation.
Par ailleurs, il existe une absence de confiance manifeste envers le système de protection de l'enfance. Plusieurs éléments étayent les dysfonctionnements systémiques de l'ASE, générant une crise de confiance de la population. Cette crise freine la capacité des parents à solliciter de l'aide des services départementaux lorsqu'ils en ressentent le besoin pour leurs enfants.
Ces dernières années, on observe également des choix budgétaires problématiques au sein des départements. Ces décisions financières influencent négativement la qualité et l'efficacité des services de protection de l'enfance. Il y a trois semaines, un département a retiré 250 000 euros à son service de prévention spécialisée. Simultanément, ce même département a annoncé avoir débloqué 180 000 euros pour le passage de la flamme olympique. Je m'interroge quant à la responsabilité politique des élus qui prennent de telles décisions budgétaires.
On observe, ces derniers mois, un intérêt croissant des élus départementaux pour les politiques sociales liées à l'enfance. En tant qu'observateur de ce secteur depuis plus de douze ans, je constate qu'il était autrefois difficile de susciter l'intérêt des présidents de département sur ces questions. Aujourd'hui, ils s'emparent de ce sujet. Cependant, je ne les vois toujours pas aborder, le dimanche sur les marchés, le sujet de la violence sexuelle, ni parler des enfants placés dans les foyers ou les familles d'accueil du département.
Pour moi, la recentralisation n'est pas une fin en soi. Je n'ai jamais considéré cela comme une solution miracle. Je pense, en revanche, que toute réforme systémique de notre système de protection de l'enfance doit être précédée d'une réflexion approfondie. Actuellement, les départements initient des actions extrêmement limitées. Leur principale mission consiste à lancer des appels à projets pour financer des associations qui, elles-mêmes, accueillent les enfants confiés à l'ASE. Avec autant d'associations chargées d'exécuter les décisions de justice, au détriment des établissements publics, la question de l'action concrète des départements se pose, au-delà du simple financement. En effet, 80 % des établissements de protection de l'enfance relèvent du secteur associatif. On peut donc affirmer que notre système de protection de l'enfance repose presque exclusivement sur ce secteur. Recentrer la politique de protection de l'enfance apporterait, selon moi, une plus-value par rapport à la situation actuelle, notamment en permettant l'élaboration de politiques interministérielles et coordonnées. Aujourd'hui, il est évident, et cela sera confirmé par les présidents de départements qui s'exprimeront devant vous, qu'il y a une absence totale de coordination entre les départements, les agences régionales de santé (ARS), l'éducation nationale, la justice et les autres administrations de l'État. Je ne suis pas ici pour déterminer si la responsabilité incombe aux départements ou à l'État, mais il est certain que le fait de recentrer les politiques d'aide sociale en France permettrait de développer une politique interministérielle forte et cohérente. Cela donnerait également au Parlement les moyens d'assurer son rôle de contrôle de l'action gouvernementale et de légiférer avec les ressources financières nécessaires.
Lorsqu'on vote des lois en faveur de la protection de l'enfance et que l'on constate en 2024 que les lois de 2002 ne sont toujours pas appliquées, cela soulève la question des moyens alloués pour rendre ces lois effectives. Le principe de libre administration des collectivités territoriales empêche aujourd'hui d'harmoniser les règles, processus et modalités d'action sur l'ensemble du territoire national. Je pense qu'une recentralisation de la politique de protection de l'enfance permettrait de redonner à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sa dimension civile. Ce fut une erreur de la déposséder de cette composante. Les enfants en danger, qu'ils soient sous main de justice ou sous protection de l'ASE, restent avant tout des enfants en danger. La PJJ, bien qu'imparfaite, possède un savoir-faire et une présence sur les territoires. C'est une administration déconcentrée, dotée d'une École nationale de la PJJ. Il est donc pertinent de réintégrer le civil avec le pénal pour établir enfin de véritables politiques de protection de l'enfance, réellement ambitieuses, pour tous les enfants.