La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Enrico Letta, président de l'institut Jacques Delors, ancien président du Conseil des ministres italien, auteur du rapport du 18 avril 2024 au Conseil européen sur l'avenir du marché unique.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
La séance est ouverte à 9 h 05
Nous auditionnons ce matin M. Enrico Letta, président de l'Institut Jacques Delors, ancien président du Conseil des ministres italien, et auteur d'un rapport remis le 18 avril 2024 au Conseil européen sur l'avenir du marché unique. Ce rapport a été le fruit d'un travail extrêmement intense, non seulement sur le plan intellectuel mais aussi sur le plan matériel, puisque le président Letta n'imaginait pas le produire sans avoir consulté le plus grand nombre d'acteurs possibles, qu'il s'agisse des acteurs publics, des chefs de gouvernement, des fonctionnaires et, surtout, d'un très grand nombre d'acteurs de la société civile.
Dans votre rapport, vous illustrez les difficultés du marché unique en prenant l'exemple des trains à grande vitesse. Il est, par exemple, impossible de passer d'une frontière de l'Union à l'autre en recourant à chaque fois à un train à grande vitesse. Vous vous étonnez donc, à juste titre, qu'il n'y ait pas, dans l'Europe actuelle, un réseau complet de trains à grande vitesse. Cet exemple est à la fois anecdotique mais, en même temps, extrêmement révélateur.
Monsieur le président, cher Enrico, j'ai le grand honneur et le grand plaisir de vous accueillir. Nous avons fréquenté ensemble le Parlement européen, où nous nous sommes rencontrés et où nous avons immédiatement noué des relations de travail et des intérêts politiques partagés. Je garde un très grand souvenir des moments où j'ai siégé avec vous sur les bancs du Parlement européen. Ensuite, nous nous sommes retrouvés à Sciences Po, où vous étiez le grand animateur des études internationales.
Votre carrière a été très remarquable. Vous avez été le plus jeune ministre de l'histoire italienne, en 1998. Vous avez été notamment ministre des politiques communautaires, ministre de l'industrie, secrétaire d'État à la présidence du conseil, puis député national et député européen. Vous avez été nommé président du conseil des ministres en 2013, avant de quitter une première fois la vie politique en 2014, puis de revenir aux affaires publiques de votre pays en 2021. Vous avez affronté, dans des conditions difficiles, les élections italiennes et vous vous êtes à nouveau replié sur vos chères études et sur l'engagement intellectuel et politique au service de l'Union européenne (UE).
Votre rapport remis au Conseil européen s'intitule « Bien plus qu'un marché – Rapidité, sécurité, solidité ». Ce sous-titre est en soi évocateur, puisqu'il ne vise rien de moins qu'à renforcer le marché unique pour assurer un avenir durable et la prospérité de tous les citoyens de l'Union. Ce travail doit être mis en perspective par rapport aux grands débats qui sont les nôtres actuellement sur le plan européen.
Le principe qui vous anime est le suivant : l'insuffisance de l'intégration européenne représente l'une des raisons des performances du marché intérieur, certes remarquables, mais elles-mêmes insuffisantes. Vous focalisez votre réflexion sur trois grands domaines.
Le premier concerne le marché monétaire, dont les spécialistes conviennent qu'il est insuffisamment intégré et ne fournit pas, en quantité et en qualité suffisantes, les moyens nécessaires au dépassement des situations par l'investissement.
Le second point a trait au marché de l'énergie : vous insistez sur le fait que l'énergie est au cœur du projet européen et soulignez la nécessité de développer le marché unique dans ce domaine. Cette question nous interroge effectivement : nous savons en effet que de nombreux pays européens, au premier rang desquels la France et l'Allemagne, adoptent des approches différentes sur une énergie décarbonée mais non renouvelable, l'énergie nucléaire.
Enfin, le troisième domaine porte sur les télécoms et, d'une façon générale, sur l'ensemble des technologies de l'information. Vous soulignez, à juste titre, qu'elles sont absolument décisives pour l'avenir et évoquez à cet égard l'idée d'une cinquième liberté. Il existe en effet les quatre libertés fondamentales de circulation, qui sont celles des traités européens, et une cinquième liberté, qui serait celle de la recherche.
Votre rapport pose deux sortes de problèmes. Tout d'abord, nous vivons effectivement une période de doute profond, de remise en cause, de contestation. À la différence des idées qui inspirent votre rapport, beaucoup de personnes pensent que small is beautiful et qu'il faut plutôt se replier sur des valeurs nationales. Il existe là une tension évidente, qui se manifeste dans les intentions de vote aux élections européennes du 9 juin prochain. Pour votre part, vous vous situez résolument dans la continuité de l'œuvre de Jacques Delors et des fondateurs de l'UE.
Votre compatriote, M. Mario Draghi s'apprête à rendre public un rapport qui, sans être contradictoire avec le vôtre, est d'une tonalité un peu différente. À ce sujet, je vous interroge sur la compatibilité entre votre rapport et la réflexion du président Draghi, qui appelle à un renforcement de la politique industrielle et à une vigilance plus grande sur la protection des frontières. On le sent autant inspiré par l'héritage européen de Jean Monnet et Jacques Delors que par ce qui se passe par exemple aux États-Unis sous la direction du président Biden. Vos rapports sont-ils en décalage ou en complémentarité ?
Le deuxième élément qui appelle réflexion porte sur le décalage bien connu entre les objectifs et les moyens. Le président Jean-Claude Juncker disait qu'en Europe, nous sommes à peu près tous d'accord sur ce que nous devons faire mais que nous sommes absolument incapables, en situation difficile, de dire comment nous pouvons y arriver et par quels moyens. Votre rapport évoque notamment les problèmes de financement. La France, qui n'est jamais inquiète de ses propres déficits, appelle toujours à une mobilisation de l'emprunt, ce qui suscite quand même des réactions inquiètes de la part de pays plus économes, comme l'Allemagne. De même, nous tardons à voir venir une ressource européenne propre de manière significative.
Au-delà de ces problèmes de financement figurent ceux du soutien politique. Les gouvernements qui sont associés à l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui vous paraissent-ils prêts à sauter le pas et à aller beaucoup plus loin sur la voie de l'intégration, ce qui impliquerait, me semble-t-il, des choix plus clairs et plus nets et en matière institutionnelle, par exemple.
Enfin, vous indiquez qu'il faut s'orienter résolument vers l'élargissement en direction des Balkans, ce qui est intellectuellement très séduisant mais politiquement très difficile à faire passer dans l'opinion, et notamment dans notre pays. Deuxièmement, la détérioration de la situation géopolitique nous invite effectivement à investir massivement dans la politique technologique et militaire. Mais si nous voulons être à parité technologique avec les grands champions chinois ou américains, ne convient-il pas de faire plus ?
Votre très stimulant rapport soulève donc un certain nombre de questions et il arrive au bon moment car nous menons un débat européen, qui se poursuivra au-delà des prochaines élections. Je vous remercie, cher Enrico Letta, d'avoir bien voulu venir devant la commission des affaires étrangères nous faire part de vos réflexions.
Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui et souhaite vous préciser en préambule que ce rapport a été conçu comme un exercice collectif très inclusif. Le président Bourlanges vient d'évoquer cette anecdote emblématique des trains à grande vitesse que j'ai souhaité faire figurer dans le rapport. Il est possible de traverser la France avec le TGV – le train à grande vitesse de la société nationale des chemins de fer, SNCF –, de traverser l'Italie avec le Frecciarossa, de traverser l'Espagne avec les trains AVE – alta velocidad española –, mais il demeure impossible de rallier deux capitales européennes sans prendre l'avion. Cet exemple illustre l'histoire d'une Europe dans laquelle les évolutions sont plutôt nationales et où les connexions sont difficiles, ce qui signifie que nous n'exploitons pas assez la force du marché intérieur, à la différence des États-Unis et de la Chine. Les frontières qui demeurent au sein de l'Europe constituent une limite à notre compétitivité.
Ensuite, afin d'éviter toute forme de malentendu, je tiens à préciser que les recommandations du rapport n'impliquent aucun changement de traité. Ce rapport m'a été demandé par le Conseil européen et la Commission européenne afin de disposer d'une boîte à outils très concrète dans laquelle les chefs d'État et de gouvernement, le Parlement européen et la Commission pourront puiser utilement. Il ne s'agit pas de ma vision personnelle mais d'idées concrètes et de compromis entre les différentes tendances politiques, afin que les propositions soient les plus réalisables possibles. À titre d'exemple, si j'avais dû me contenter de présenter mon propre point de vue, j'aurais indiqué la nécessité d'un deuxième plan NextGenerationEU pour financer la transition juste, verte et numérique. Je le pense mais suis conscient qu'un nombre non négligeable d'États ne partagent pas cette idée.
Ce rapport est donc issu de discussions très intéressantes et intenses que j'ai pu mener partout en Europe. À ce titre, la France figure parmi les pays que j'ai le plus sillonnés, me permettant de rencontrer de nombreux interlocuteurs dans différentes villes. J'ajoute que j'ai eu la possibilité de discuter avec l'ensemble des groupes politiques du Parlement européen. En résumé, ce rapport est le fruit de débats avec les acteurs politiques représentés au Parlement européen.
Le président Bourlanges a mentionné l'œuvre de Jacques Delors, avec lequel j'ai eu la chance de parler avant son décès au mois de décembre dernier, une fois que le Conseil européen m'avait confié la rédaction de ce rapport. J'ai donc pu bénéficier de son point de vue sur quelques-uns des aspects essentiels pour décider quelle était la ligne à adopter. Il m'a ainsi rappelé que, lorsqu'il avait lancé le marché unique en 1985, l'Allemagne n'était pas réunifiée et l'Union soviétique existait toujours. La communauté européenne était alors composée de dix membres, la Chine et l'Inde ensemble ne représentaient à elles deux que 4 % de l'économie mondiale. Désormais, ces deux pays représentent 25 % du produit intérieur brut (PIB) mondial et la dimension géopolitique est plus que jamais incontournable. Les questions de sécurité sont aujourd'hui centrales, alors que le marché intérieur n'avait jamais été envisagé sous l'angle de la défense. Désormais, nous ne pouvons pas les ignorer.
Ensuite, Jacques Delors a aussi souligné que ce lancement du marché unique ne concernait pas les télécoms, l'énergie et les services financiers, autant de domaines que les États conservaient pour eux-mêmes. De fait, nous avons vécu pendant trente-neuf ans avec une dimension nationale sur ces sujets. Cette limitation a conduit les Américains à nous devancer dans nombre de ces domaines. Dans celui des services financiers, la Banque centrale européenne et la Banque de France ont calculé que, tous les ans, 300 milliards d'euros d'épargne européenne s'orientent vers les États-Unis pour alimenter et renforcer l'économie américaine. Cette fuite de l'épargne tient au fait que notre marché financier est totalement fragmenté et n'est pas capable d'être aussi attrayant que le marché américain. Le même mécanisme est malheureusement à l'œuvre dans de nombreux autres domaines, comme celui des télécoms par exemple, toujours en raison de cette fragmentation.
Par ailleurs, Jacques Delors a toujours estimé que le marché intérieur avait réussi parce qu'il était complété par une politique de cohésion. Sans politique de cohésion, sans effort de convergence entre les zones faibles et les zones plus fortes de l'Union, ce marché intérieur aurait été moins accompli. J'ai donc souhaité placer ce sujet au cœur du rapport, en lançant une provocation intellectuelle mais très concrète et politique. Le marché intérieur a toujours été connu comme promouvant la liberté de bouger ou freedom to move. Or je pense que l'on a beaucoup trop sous-estimé l'importance de considérer simultanément la liberté de bouger et la liberté de rester, freedom to move et freedom to stay. Nous nous sommes trop concentrés sur celle-ci, sans comprendre que cette seule attention à la liberté de bouger a provoqué dans l'Europe une situation de tensions très forte. En effet, la mobilité est unidirectionnelle. Elle va de l'Est à l'Ouest, du Sud vers le Nord et crée donc une tension très forte dans l'espace central européen – la zone d'accueil – comme, inversement, dans les périphéries de l'Europe qui sont aujourd'hui en train d'être dépouillées de leur jeunesses et de leurs intelligences. En résumé, ce sujet important a été placé au cœur du rapport, qui propose de nombreuses idées et solutions.
Le président Bourlanges a évoqué la cinquième liberté, l'un des éléments centraux de notre retard sur les États-Unis et la Chine en matière d'innovation, dont l'intelligence artificielle concentre aujourd'hui toute l'attention médiatique. Je propose donc que la prochaine présidence de la Commission européenne nomme un vice-président responsable de la cinquième liberté, qui embrasse l'innovation, la recherche, la connaissance et qui doit devenir l'un des éléments fondamentaux de la prochaine législature européenne.
Dans ce rapport, je ne propose absolument pas que l'UE devienne les États-Unis ; elle doit rester elle-même. Or la force de l'Union européenne réside dans ce fantastique mélange entre grands et petits, qu'il s'agisse des États, des villes, des entreprises ou plus généralement de l'activité économique. Il faut tenir ce mix. Dans une communauté internationale qui a totalement changé – je fais notamment référence au rôle de la Chine et de l'Inde –, même les grands pays de l'Union, comme la France ou l'Italie, sont aujourd'hui les composants beaucoup plus petits d'un monde devenu beaucoup trop grand. Cet état de fait implique que nous cherchions des améliorations, de manière très pragmatique : je fais notamment référence au cadre des marchés financiers. Si nos marchés financiers ne fonctionnent pas, l'économie réelle ne pourra pas fonctionner.
Parmi les enjeux essentiels, il s'agit notamment de savoir comment aider les petites et moyennes entreprises, à travers notamment une activité essentielle de simplification, mais surtout l'idée du « vingt-huitième » régime ou pays. L'idée consiste ici à créer un système virtuel en matière de droit des affaires et de fiscalité pour créer une forme de « passe-partout » permettant aux petites et moyennes entreprises (PME) de travailler dans l'ensemble des Vingt-sept. Aujourd'hui, il leur est impossible d'agir de la sorte car elles sont confrontées à vingt-sept droits des affaires différents. J'ai discuté de ce sujet avec les associations des PME à travers l'Europe et il ne s'agit pas d'effacer les droits nationaux, ce qui serait évidemment impossible, mais de donner un choix pour simplifier la situation et la rendre plus pratique. J'ai également présenté ce propos en dehors de l'Europe et j'ai reçu de grandes marques d'intérêt de la part des investisseurs internationaux. Aujourd'hui, ils considèrent que l'UE est trop compliquée, avec vingt-quatre langues, vingt-sept droits des affaires, vingt-sept systèmes fiscaux.
Au-delà de la question du « petit », figure aussi celle du « grand ». Le rapport comporte ainsi trois feuilles de route sur les télécoms, l'énergie et les services financiers. Je souhaite d'ailleurs m'arrêter sur ce dernier aspect et sa relation avec la transition juste, verte et digitale. Le lancement de l'union des marchés de capitaux il y a dix ans s'est avéré être une faillite : le message délivré à l'époque était celui de « la finance pour la finance », et non celui d'une finance orientée vers ce qui est utile dans la vie concrète des gens.
En conséquence, ma proposition vise à bâtir une union de l'épargne et des investissements. En offrant des incitations fiscales importantes, elle donne la possibilité à l'épargne des Européens de s'investir dans une transition verte, juste et digitale, mais également rentable. En effet, cette transition sera coûteuse, à la fois économiquement et politiquement : si nous ne trouvons pas d'argent pour la financer, le retour de manivelle sera violent. Je l'ai compris en discutant avec les agriculteurs à Varsovie, avec les PME dans les différents pays.
Comment y parvenir ? Ma proposition consiste à disposer d'un mix entre, d'une part, un investissement privé – auquel sont attachés les pays « frugaux » – à l'aide d'incitations importantes et, d'autre part, un emprunt commun pour financer et accompagner la transition verte et sociale. Si nous nous ne sommes pas en mesure de disposer de cet argent pour accompagner cette transition verte et sociale, les prochains qui défileront dans la rue seront les travailleurs de l'industrie automobile mais également ceux d'autres industries.
Le Conseil européen m'a demandé de porter ce rapport dans les capitales et la future présidence hongroise a décidé de le placer au centre de sa réflexion économique. Je suis donc impatient de recueillir vos réactions et commentaires et de répondre à vos questions, mais également de revenir devant vous si vous le considérez utile. J'ai également tenu à ce que ce rapport sorte avant les prochaines élections européennes, afin qu'il puisse contribuer au débat, tant il est vrai que le vote des électeurs orientera les décisions politiques pour les prochaines années.
Je vous remercie pour cette brillante synthèse et donne à présent la parole aux orateurs des groupes politiques.
Je suis ravi de prendre la parole aujourd'hui devant vous au nom de mon groupe pour saluer le travail remarquable que vous avez accompli dans ce rapport sur l'avenir du marché unique européen. En ces temps d'incertitudes économiques et géopolitiques majeurs, votre contribution nous offre des pistes précieuses pour renforcer la compétitivité, la souveraineté et l'attractivité de l'Union sur la scène mondiale. Elle nous invite à répondre avec ambition et détermination aux défis posés par la rude concurrence de nos grands rivaux, qu'ils soient américains ou chinois. Votre analyse lucide souligne avec justesse les faiblesses et les vulnérabilités qui minent encore l'intégration de notre marché, dans des secteurs stratégiques comme l'énergie, les télécommunications ou les marchés financiers.
La fragmentation réglementaire, les égoïsmes nationaux résiduels, les lourdeurs administratives constituent autant d'entraves à notre pleine puissance économique que vous nous exhortez à lever sans délai. Vos préconisations ambitieuses tracent la voie d'une Europe unie, déterminée à parler d'une seule voix forte sur les sujets décisifs. L'appel à davantage d'harmonisation, de coordination et de mutualisation au niveau européen dans des domaines clés comme l'énergie ou les marchés de capitaux doit être entendu. L'objectif d'une véritable « union de l'épargne et de l'investissement » pour mobiliser les ressources indispensables à notre compétitivité future représente un cap stratégique qu'il nous faut nous fixer. De même, vos propositions opérationnelles pour approfondir l'intégration du marché des télécommunications en unifiant la régulation et les politiques d'attribution des fréquences représentent un agenda concret à mettre en œuvre sans attendre.
Votre volonté de rééquilibrer les rapports de force avec les grandes plateformes numériques au bénéfice de nos opérateurs historiques témoigne d'une vision économique pragmatique et ambitieuse pour l'Europe. Nous ne pouvons pas nous résoudre à subir la domination de ces géants étrangers. L'avenir de notre souveraineté numérique en dépend.
Monsieur Letta, votre rapport marque un jalon essentiel pour préparer l'Europe de demain, celle qui aura à défendre ses intérêts stratégiques et à promouvoir son modèle économique et social sur la scène internationale. Il nous revient désormais de le transformer en une feuille de route opérationnelle et de décliner en actes politiques forts les principales propositions de ce rapport. Parmi toutes les pistes que vous avez identifiées, quelle est, selon vous, la priorité absolue à mettre en œuvre dès à présent pour donner un nouvel élan au marché unique européen ?
Selon moi, la première des priorités consiste à financer la transition verte, juste et numérique lors des cinq prochaines années. Si tel n'est pas le cas, nous allons dans le mur. Lors de mes nombreuses discussions, j'ai pu constater qu'il existe aujourd'hui une profonde division entre deux groupes de pays sur l'opportunité de conduire de nouveaux efforts communs, à travers un nouveau plan NextGenerationEU.
Le sujet principal consiste à mener une initiative commune, ancrée à la fois sur l'investissement privé – évidemment rentable pour les épargnants – et l'argent public. Si nous y parvenons, il sera possible de trouver un accord entre les Vingt-sept et, surtout, d'éviter la fuite de ces capitaux en dehors de l'Europe en raison de la fragmentation des marchés financiers européens, qui nous rend aujourd'hui tous plus faibles. Il suffit d'observer à ce titre le classement des dix plus grandes banques d'investissement dans le monde.
De mon point de vue, il est donc essentiel de mettre la finance au service des besoins nouveaux auxquels nous sommes confrontés. Par ailleurs, dans mon propos liminaire, je n'ai pas évoqué deux autres sujets, qui sont également incontournables : d'une part, le financement des besoins de défense – en sachant qu'une partie de ce financement doit être dirigé vers la défense commune européenne – et, d'autre part, l'élargissement, sujet éminemment délicat mais qui doit être traité.
Le projet d'intégration européenne franchit un nouveau cap avec un plan d'élargissement, ainsi que l'établissement d'un véritable gouvernement européen. Selon les informations présentées dans votre rapport, le nouveau marché unique devra prendre en compte trois aspects : contribuer à la transition écologique et numérique, poursuivre l'élargissement de l'Union européenne et renforcer la sécurité de l'Union en prenant des décisions plus exigeantes dans les domaines de la défense.
Il est clair que la fin de l'unanimité dans la prise des décisions diplomatiques pourrait gravement compromettre la souveraineté des États membres. En abolissant cette exigence d'unanimité, l'UE risque d'imposer des décisions diplomatiques et militaires à des pays qui pourraient être en désaccord, érodant ainsi la souveraineté nationale. Cette approche centralisée pourrait entraîner des tensions internes et une résistance accrue de la part des États membres soucieux de préserver leur autonomie dans des domaines qui sont cruciaux. L'Union européenne doit donc trouver un équilibre délicat entre l'intégration et le respect des souverainetés nationales, pour éviter de nuire à la cohésion et à la stabilité de l'Union, mais surtout à l'intérêt des peuples européens. Comment justifier la suppression des droits de veto tenant compte des divergences au sein de l'Union européenne ?
Vous avez indiqué avoir rencontré tous les groupes politiques au Parlement européen et également M. Delors. Je pense pour ma part qu'il aurait été surtout judicieux de rencontrer les peuples. Je viens en outre de poser la question à mon groupe politique au Parlement européen, le groupe Identité et démocratie, qui m'a indiqué ne pas avoir fait l'objet d'une demande d'entretien de votre part. Je tiens à vous rappeler que le parti que j'ai l'honneur de représenter est crédité de 33 % d'intentions de vote pour les élections européennes par les sondages aujourd'hui. Votre rapport ignore donc théoriquement à peu près 33 % des électeurs français, en attendant les résultats des élections du 9 juin.
Votre mission dans le cadre de ce rapport a, je crois, duré entre un an et un an et demi. La Commission européenne ne nous a pas apporté de réponse à la question suivante, que je souhaite donc vous poser : quelle a été la tarification du rapport qui vous a été commandé ? En tant qu'ancien président du Conseil italien, pouvez-vous, en toute transparence, nous répondre sur ces montants, ainsi qu'à mes questions concernant la souveraineté et le droit de veto ?
Comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, je ne préconise aucun changement de traité ; j'ignore donc d'où vous extrayez les éléments concernant l'abolition de l'exigence de l'unanimité.
Ensuite, j'ai parlé avec tous les chefs de groupe du Parlement européen, y compris celui de votre groupe, dans le cadre d'une réunion. Je leur ai également fait part de ma disponibilité pour approfondir des sujets s'ils le souhaitaient.
S'agissant des coûts, la réponse est très simple : je ne vous ai rien coûté. Je suis membre du Parlement italien, qui m'a donné la possibilité, pendant un semestre, de ne pas participer à ses travaux et de conduire ce travail. La présidence belge de l'Union européenne a réglé de son côté les frais de transports, les billets non prioritaires des vols low cost que j'ai empruntés.
Je vous remercie de ces précisions bienvenues, qui marquent une contribution nette de l'Italie aux travaux de l'Union européenne, ce qui devrait rassurer certains dans cette salle !
La France insoumise est totalement et radicalement opposée à l'idéologie du marché unique, qui a promu la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux au sein de l'Union européenne. Depuis plus de trente ans, cette idéologie a permis l'installation de concurrences déloyales, de dumpings social, fiscal, et même environnemental, comme les dirigeants européens l'admettent aujourd'hui. Je pense notamment à la destruction lente et programmée des industries nationales, puisque si un État subventionne une activité, ceci est considéré comme une concurrence à l'encontre des autres pays européens. La France est encore meurtrie du souvenir de la destruction d'ArcelorMittal ou d'Alstom.
Le dumping social est bien à l'œuvre, puisque le marché unique a permis aux entreprises de jouer avec le droit social, les droits des travailleurs, pour obtenir plus de profits. La même logique préside au dumping fiscal, qui permet aux entreprises de payer le moins d'impôts possible. Je me réfère à ce titre aux compagnies aériennes low cost, qui n'ont pu se développer précisément qu'en payant moins d'impôts et en diminuant les salaires de leurs personnels.
La même logique a contribué au démantèlement de services publics nationaux. Par exemple, le service public du train en France a été ouvert à la concurrence sans que, simultanément, un service public européen n'ait été établi pour prendre le relais et généraliser les connexions transfrontalières. De plus, au-delà d'une concurrence à l'intérieur de l'espace européen, nous organisons une concurrence entre différentes zones mondiales. Récemment, l'UE a ratifié un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, qui exportera notamment en Europe des produits laitiers, dont les normes sociales, sanitaires et environnementales ne sont absolument pas identiques à celles qui sont appliquées dans l'UE.
Mais c'est dans le domaine de l'énergie que l'échec du marché unique est le plus flagrant. Totalénergies a réalisé 20 milliards d'euros de profits sur deux ans. Pendant ce temps, des populations entières ont du mal à régler leurs factures, les boulangeries ferment. Vous proposez plus de marché, alors même qu'il faut en finir avec cette idéologie du marché unique.
Je prends note de vos points de vue sur la question générale, presque existentielle du marché unique. Je ne partage pas votre analyse car j'estime que le marché unique a représenté un actif très important pour l'Europe. Je le redis : en 1985, nos pays étaient des grands pays dans un monde petit. Aujourd'hui, nous sommes tous des pays moyens, voire petits, dans un monde grand. Ici réside la véritable différence. En conséquence, faire de l'Union européenne le coupable me semble être erroné.
Désormais, avec la montée en puissance de la Chine, de l'Inde et d'autres pays, notre rang a diminué et, pour reconquérir ce niveau, il nous faut hisser une souveraineté commune. Dans certains domaines, la concurrence n'est pas globale et permet de pouvoir rester petits mais, dans d'autres, l'Europe doit être capable de parler d'une seule voix. Je pense notamment à l'industrie aéronautique. Aujourd'hui, Airbus gagne dans le monde entier en raison de sa taille et de son caractère européen. Dans certains domaines, le marché unique nous aide à être plus forts.
C'est la raison pour laquelle nous devons être capables de flexibiliser nos politiques dans des secteurs, parfois en aidant les plus petits à être plus forts et parfois en disposant d'une taille critique telle qu'elle nous rend plus compétitifs.
Ma question porte sur l'une de vos propositions que nous n'avons pas encore évoquée, même si vous y avez fait allusion : le marché unique de l'industrie de défense au sein de de l'Union européenne. En 2023, le budget cumulé des vingt-sept pays de l'Union en matière de défense s'est élevé à 270 milliards d'euros, soit plus de deux fois celui de la Russie et autant que celui de la Chine. Pourtant, nos capacités de production d'armes sont très limitées. Vous avez vous-même souligné qu'environ 85 % des achats d'armes destinées à l'Ukraine provenaient de pays en dehors l'Union européenne, mettant en lumière une nouvelle fois l'absence de coordination industrielle entre Etats membres.
Thierry Breton, que nous avons eu l'honneur de recevoir récemment, défendait en début d'année la mise en place d'un fonds spécial doté de 100 milliards d'euros, pour renforcer la production d'armes au sein de l'Union, l'objectif étant de rattraper notre retard. Cependant, la question du financement d'un tel fonds demeure en suspens. De même, le dernier rapport annuel de l'Agence européenne de la défense a indiqué qu'en 2022, 70 % des États membres de l'Union, soit dix-neuf sur vingt-sept, n'ont pas souhaité transmettre à l'UE la part de leur budget national engagée dans des programmes d'armement en coopération européenne. Dans ces conditions, existe-t-il une véritable volonté politique des États membres de s'engager en faveur d'un marché commun de l'industrie de défense ?
Ensuite, ce renforcement ne devrait-t-il pas s'envisager aussi avec le Royaume-Uni, qui ne fait plus partie de l'Union mais dispose de l'armée la plus importante en Europe et d'un budget considérable au regard de standards internationaux ?
Je vous avoue que, quand j'ai commencé cet exercice au mois de septembre, je n'aurais jamais pensé devoir m'occuper de défense, non pas parce que ce sujet n'était pas important mais parce qu'il relevait d'un domaine extérieur au marché unique. Désormais, il me semble essentiel de pouvoir les associer et je préconise une montée en puissance vers une intégration de la défense européenne.
À ce titre, je partage totalement l'idée de Thierry Breton, dont j'ai beaucoup soutenu le travail lors des derniers mois. Depuis deux ans, l'Europe aide l'Ukraine, à travers un effort inédit et qu'il convient de poursuivre. Mais cet effort se heurte au fait que 80 % du matériel militaire fourni à l'Ukraine a dû être acheté en dehors de l'Europe. Ainsi, l'argent du contribuable européen a servi à créer des emplois en Corée du Sud, en Turquie, dans le Michigan, dans le Wisconsin. À l'opposé, seules 12 % des dépenses militaires américaines à destination de l'Ukraine ne provenaient pas de matériels produits sur le sol des États-Unis.
Je pense que l'Union européenne demeure une entreprise de paix et qu'elle doit conserver cette vocation. Cependant, pour assurer la sécurité de nos frontières et des peuples européens, il est nécessaire de dépenser de l'argent dans le domaine de la défense ; mais ces sommes doivent contribuer à aider les emplois en Europe. Or ce point essentiel est lié au marché de la défense européen, qui demeure trop fragmenté aujourd'hui, lui aussi.
Enfin, mon rapport mentionne effectivement le Royaume-Uni car j'estime que nous devons ouvrir avec ce pays des discussions pour savoir comment travailler ensemble dans le domaine de la défense.
Monsieur le président Letta, je vous remercie pour votre intervention passionnante et stimulante. Votre rapport présente le mérite de la clairvoyance dans le moment historique que vit aujourd'hui l'Europe. Comme vous l'avez bien indiqué lors de votre réponse précédente, l'UE doit aujourd'hui faire face à des géants. Ces derniers ont en effet émergé et les cartes ont été rebattues. Comme vous l'avez pointé dans votre rapport, le risque désormais encouru est celui du décrochage.
Vous proposez une nouvelle étape dans la construction européenne. Considérant que nous avons aujourd'hui besoin de davantage d'Europe pour faire face à cette réalité, nous y souscrivons complètement. En effet, nous sommes convaincus qu'il faut aujourd'hui poursuivre la construction européenne. Dans votre esprit, cette nouvelle étape est construite autour de l'épargne et de l'investissement, au service des industries, ce à quoi nous souscrivons également.
Dans votre rapport, il est question d'une mutualisation des aides aux entreprises au plan européen, pour faire face aux distorsions de concurrence chinoises et américaines. Vous proposez également un plan de relance semblable à celui mis en place lors de l'épidémie de Covid, avec une capacité budgétaire commune. Je crois que ces sujets méritent de faire l'objet de débats.
Selon vous, il sera nécessaire d'utiliser une méthode de planification mais pouvez-vous nous en dire davantage ? À quoi correspond cette planification, sur le plan européen ? Aujourd'hui, elle demeure un mot plus qu'une réalité politique. Enfin, je rejoins la précédente question posée par ma collègue concernant le lien entre le marché commun de la défense et la construction d'une Europe de la défense. Quelle est votre position à ce sujet ?
Les cinq dernières années ont vu de grandes réalisations en Europe : les leaders européens ont fait preuve d'une grande lucidité mais ils ont surtout réagi à des crises. Je pense pour ma part qu'il faut mettre l'accent sur des plans, des actions, raison pour laquelle j'en reviens à la « méthode Delors ». En effet, les grandes réalisations européennes, comme le marché unique, l'union économique et monétaire, la politique de cohésion, n'étaient pas le fruit d'une réaction face à une crise immédiate mais une vision qui nous a offert la possibilité de résister dans cette compétition globale qui a tellement changé au fil des années.
À cet effet, mon rapport est donc bien conçu comme une boîte à outils. Il reviendra ensuite à la volonté politique des gouvernements et des forces politiques qui seront majoritaires au Parlement européen d'opérer des choix. Dans ce rapport, j'ai bien souligné que, dans un monde qui évolue très rapidement, où les autres montent en puissance, l'inertie nous condamne au déclin. Nous avons vécu vingt ans d'émergence de la Chine et je pense pouvoir affirmer que nous allons connaître vingt ans d'émergence de l'Inde. Or ces changements sont liés à des dimensions que nous ne pouvons mener seuls. Il nous faut agir ensemble, sans effacer les particularismes nationaux. J'ai toujours apprécié les propos de Jacques Delors sur la « fédération d'États-nation ».
Ensuite, j'estime que si nous ne sommes pas en condition d'avoir un marché commun de la défense, nous n'aurons jamais une Union de la défense. Je le dis d'autant plus facilement que je suis issu d'un pays dont les traditions militaires et l'appréciation de la défense sont très différentes de celles qui ont cours en France. Aujourd'hui, nous avons besoin d'une forte défense, à la fois avec nos alliés américains mais aussi en propre, grâce à une capacité de défense européenne qui n'est pas satisfaisante actuellement.
Monsieur Letta, vous proposez dans votre rapport de mettre en place un plan de relance industrielle semblable à celui mis en œuvre par l'Union européenne pendant la crise sanitaire. Vous venez d'y faire référence mais je crois avoir compris que vous souhaitez que le versement des aides aux entreprises soit conditionné. Pouvez-vous nous en dire plus sur les modalités de ce conditionnement ?
J'estime que les aides d'État doivent être gérées de façon différente par rapport au passé, particulièrement le passé récent, car elles ont provoqué plus de fragmentations et d'inégalités à l'intérieur de l'Europe. Évidemment, certains pays disposent de plus de marges fiscales pour aider les entreprises mais d'autres, plus petits ou plus impactés par la dette, n'en ont pas les moyens.
Ma proposition consiste à discuter au niveau européen d'une aide avec l'État membre qui en formule la demande mais, si cette aide d'État est accordée, un pourcentage de cette dernière – 10 à 15 % – doit être orienté vers une enveloppe commune, qui serait utilisée en faveur de la politique industrielle européenne. Il s'agit par exemple d'éviter que toute aide d'État fournie à une zone proche d'une frontière n'entraîne une distorsion dans les autres pays, comme cela se passe aujourd'hui.
L'année dernière, l'idée de ce fonds de souveraineté a vu le jour mais cette bonne idée a immédiatement dérapé en raison d'un manque de financement : le fonds de souveraineté est demeuré dans une impasse parce que nous ne savons pas comment le financer. Ma proposition constitue donc une façon de financer cette politique industrielle européenne.
Certains partis allemands partagent-ils ce point de vue ? En effet, cette idée revient d'abord à une contribution de l'Allemagne au financement des aides d'État.
Lorsque j'ai parlé avec les Allemands, j'ai cru comprendre qu'ils avaient bien discerné que cette phase d'aides d'État totalement incontrôlées, dans laquelle nous avons vécu depuis quatre ans, est sur le point de s'achever. En conséquence, leur intérêt consiste aussi à disposer d'une règle qui permette de gérer ces aspects de façon beaucoup plus ordonnée.
Monsieur Letta, merci de vous exprimer en français : c'est si rare dans les arcanes de l'Union européenne aujourd'hui. Je ne doute pas un instant de votre sincérité mais j'ai l'impression que vous participez toujours de la même confusion qui nous a menés où nous en sommes aujourd'hui.
Je souhaite revenir sur les exemples que vous avez évoqués lors de vos propos. Vous avez d'abord mentionné les capitales européennes qui ne seraient pas reliées par les TGV. Mais pour ma part, je remarque que les villes de Paris et de Londres sont bien reliées par un train à grande vitesse sans que le Royaume-Uni ne fasse partie de l'Union européenne. Ce projet a été mené entre États et il a très bien fonctionné ainsi.
Vous avez ensuite cité Airbus, la seule réalisation qui ait permis de l'emporter face aux Américains. Encore convient-il de relever qu'Airbus n'a pas été construit grâce à l'Union européenne – heureusement d'ailleurs, car cela n'aurait jamais abouti – mais par la volonté de quelques États qui ont coopéré ensemble.
Ces deux exemples montrent que vous êtes toujours dans cette même logique de confusion. Il est à la fois fascinant et effrayant – je me permets de vous le dire avec une totale franchise – que vous vouliez continuer à aggraver tout ce qui a échoué depuis trente ans.
Vous nous avez ainsi expliqué que l'échec des télécoms est à imputer aux États. Mais ce sont bien l'Union européenne et la Commission de Bruxelles qui ont toujours refusé des fusions entre opérateurs et qui ont, par la politique de la concurrence, cassé toutes les visions des producteurs, à l'instar de ce qui s'est passé pour Alstom et Siemens.
Il est donc un peu facile d'accuser les États et les nations à propos des chaînes que l'Union européenne a installées, interdisant de mener de vraies politiques. Malgré tout, vous voulez continuer ce libre-échange déloyal et la dispersion des moyens : la France a dépensé des dizaines de milliards pour délocaliser ses usines dans l'Est de l'Europe.
Un contresens immense est aussi à l'œuvre concernant les États-Unis. Il existe d'immenses différences entre les États américains mais ce pays fédéral diffère de l'Europe par ses mesures protectionnistes témoignant de la volonté de se défendre, ainsi qu'une politique budgétaire expansionniste et un véritable esprit de conquête, que certains États auraient pu mettre en place.
Mais vous allez encore aggraver la situation parce que vous êtes en faveur de l'élargissement à l'Ukraine, qui sera ruineux, en faveur de l'interdiction du moteur thermique, qui est une folie absolue, en faveur d'un nouveau pacte de stabilité, qui interdira aux États d'investir pour l'avenir, tout en refusant des mesures protectionnistes. Comment se plaindre dans ce cas que la Chine et les États-Unis fassent la course en tête devant l'Europe ? Seule une Europe des nations qui abandonne cette organisation bureaucratique qui nous tue parviendra à sauver l'Europe.
Mon approche du sujet est différente de la vôtre. Dans mes propos et dans le rapport, je n'accuse pas les États membres. Je leur propose un pragmatisme nouveau, dont nous devons à mon sens absolument faire preuve aujourd'hui.
Vous avez cité le cas des télécoms. À l'heure actuelle, il n'existe pas de marché unique des télécoms mais vingt-sept marchés nationaux fragmentés. Aujourd'hui, un opérateur télécom chinois a en moyenne 467 millions de clients et un opérateur américain 107 millions de clients. En Europe, la base moyenne de clientèle d'un opérateur n'est en revanche que de 5 millions d'individus, en sachant qu'il existe plus de 100 opérateurs sur le continent. Dans ces conditions, cette fragmentation ne nous permet absolument pas de jouer dans le même championnat que nos compétiteurs. Nous devons donc passer à un nombre gérable d'opérateurs et nous pouvons y parvenir à l'aide d'un marché unique des télécoms. Mes propositions ne sont donc pas idéologiques mais très concrètes. Elles sont également attendues par le monde des télécoms. Quand le monde était petit, nos opérateurs télécoms disposaient d'une taille mondiale pertinente ; cela n'est plus le cas.
En quelque sorte, vous inversez le vers célèbre de Charles Baudelaire, « Que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! ».
Je cède à présent la parole aux députés souhaitant s'exprimer à titre individuel.
Je vous remercie d'être présent aujourd'hui pour échanger avec notre commission sur l'avenir du marché unique. Je souhaite à mon tour évoquer les télécoms. Le marché des télécommunications en Europe est particulièrement fragmenté et cette situation génère une concurrence entre les opérateurs européens, empêchant des investissements nécessaires pour stimuler l'innovation et la croissance et ne permettant pas d'atteindre les objectifs de connectivité que nous souhaiterions pour l'Union européenne.
La consolidation que vous proposez dans le secteur des télécoms, en enjoignant les pays européens à encourager une harmonisation de la règle et la création d'un marché unique, vise à réduire le nombre d'opérateurs. Cette évolution du marché permettrait de renforcer la compétitivité européenne face aux grandes puissances que sont les États-Unis ou la Chine.
En Amérique latine, une poignée d'opérateurs dominent le marché, ce qui permet une meilleure rentabilité et une rationalisation des investissements. Pensez-vous qu'il est vraiment envisageable en Europe de n'avoir qu'une dizaine d'opérateurs ?
Je ne pense pas que le système américain, bâti autour de trois opérateurs, soit le bon système pour l'Europe. In medio stat virtus : il nous faut trouver un juste milieu, c'est-à-dire à la fois protéger les consommateurs et disposer d'un chiffre intermédiaire d'opérateurs plus puissants et capables d'effectuer des investissements importants. La faute n'incombe pas à la Commission européenne, ni à Mme Vestager ou M. Guersent : ils appliquent les règles relatives au marché pertinent – relevant market. Il faut donc élargir ce marché pertinent à l'Europe entière.
L'élaboration d'une politique économique et industrielle européenne commune nécessite de pouvoir disposer de sources d'énergie suffisantes pour pouvoir l'alimenter. Après l'invasion russe de l'Ukraine et l'arrêt du commerce d'hydrocarbures avec la Russie, et après la décision récente de Joe Biden de réduire les exportations de gaz naturel liquéfié, l'Europe se retrouve en situation de dépendance et de grande précarité énergétique. La puissance industrielle allemande et, plus largement, toutes les économies européennes sont mises à mal du fait des coups de menton des responsables politiques, qui prennent à la sauvette des décisions engageant notre continent, non pas sur la voie de la superpuissance mais sur celle du tiers-monde.
Je souhaite donc comprendre comment vous comptez concilier l'élaboration d'une stratégie économique européenne d'envergure avec cette situation de dépendance énergétique, que les partisans du marché unique ont méthodiquement organisée.
L'indépendance énergétique européenne est une mission fondamentale. Je fais partie de ceux qui n'auraient jamais imaginé qu'en seulement neuf mois, nous puissions parvenir à limiter notre dépendance au gaz et au pétrole russes – notamment en Allemagne et en Italie –, mais cela est pourtant arrivé. Aujourd'hui, il faut donc continuer dans cette direction et faire en sorte que chaque pays soit capable d'alimenter sa propre indépendance, tout en se dirigeant au niveau européen vers les énergies renouvelables, grâce aux bonnes interconnexions européennes.
Un article du traité donne la liberté à chaque pays de disposer de son mix énergétique et personne ne souhaite le modifier. Mais simultanément, le travail d'interconnexion entre les pays européens offre la possibilité que les énergies renouvelables puissent profiter à tous les pays européens, et non uniquement ceux qui les produisent.
Le 18 avril dernier, lors du Conseil européen, vous avez présenté votre rapport et vos pistes de réflexion pour réformer le marché unique européen qui assure, en théorie, depuis 1993 la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux au sein de l'Union. Vous avez mentionné dans le rapport le risque de décrochage en indiquant que nous ne pouvons plus attendre.
À la lecture de ces cent cinquante pages, nous notons de nombreux éléments, notamment une refonte des fonds structurels, des propositions en portabilité des droits, une carte européenne d'assurance maladie numérique, des informations sur les droits et, in fine, la relance du projet de numéro européen de sécurité sociale.
Selon vos propres termes, nous devons être moins naïfs. Au Rassemblement national, nous ne le sommes pas et nous ne souhaitons pas perdre les prérogatives de notre pays face à cette Union européenne des technocrates. Ne pensez-vous pas qu'il faille revenir à une Europe des nations et non à la construction d'une Europe fédérale ?
Votre question me fournit l'occasion d'expliquer ma vision du marché unique à partir de mon expérience personnelle. J'ai vécu deux phases de ma vie en France. La première a eu lieu avant le marché unique, lorsque, enfant, j'ai suivi mon père qui travaillait dans les années 1970 à l'université de Strasbourg. Je suis ensuite revenu en France avec ma propre famille dans les années 2015-2020. À Strasbourg, nous étions une famille d'immigrés italiens en France. Lors de ma deuxième venue, nous étions des citoyens européens qui avaient décidé de vivre et travailler à Paris. Je vous assure que la différence est immense.
Votre rapport préconise de rediriger une partie des aides publiques accordées aux entreprises par les États membres vers le financement d'initiatives et d'investissements européens. Les États devraient donc consacrer une portion de ces aides à ces financements européens. S'il ne s'agit pas d'un changement des traités, cette proposition opère malgré tout un transfert de pouvoir déguisé car elle permettrait à la Commission de gérer directement ces fonds, parfois – sinon souvent – en contradiction ou en concurrence avec certains intérêts nationaux.
Parmi les critères retenus dans votre rapport pour déterminer les attributions des aides d'État au niveau européen figure, notamment, celui du développement des régions. Moins une région est développée, plus les entreprises qui investissent ou qui y sont présentes seraient favorisées. Or comme vous l'avez indiqué précédemment, le niveau de développement économique au sein de l'Union européenne est très disparate, notamment entre l'Ouest et l'Est du continent. C'est pourquoi des pays comme la France et l'Italie, par exemple, qui contribuent déjà le plus au budget de l'UE – ils payent plus qu'ils ne reçoivent – pourraient encore voir leur contribution nette aggravée avec votre projet.
Votre stratégie industrielle européenne ne bénéficiera donc pas à de nombreux pays européens mais elle contribuera bien à les défavoriser économiquement, alors que nos industries ont déjà beaucoup souffert de la mondialisation et du marché unique. Que gagneraient la France et l'Italie – et l'emploi dans nos pays respectifs – si ces financements européens devaient être mis en place ?
Mes propositions visent à créer une véritable politique industrielle européenne, dans la lignée de l'action de Thierry Breton. À mon sens, cette politique devrait changer la donne pour des pays comme la France et l'Italie : compte tenu de l'environnement actuel et de la dimension de nos compétiteurs, une simple politique industrielle et d'aides nationales n'est pas suffisante pour nous permettre de combler le décrochage dont nous souffrons. L'action doit intervenir au niveau européen, notamment en matière de télécoms, de services financiers et de cette cinquième liberté autour de l'innovation et de la recherche.
Dans votre rapport, vous avez indiqué que le marché unique devrait soutenir les capacités de défense européenne et vous envisagez un marché commun garantissant à tous les membres l'accès à la capacité militaire nécessaire à la défense de leurs citoyens et à la promotion de la paix mondiale. Dans cette droite ligne, la stratégie pour l'industrie de défense (EDIS) voulue par la Commission européenne fixe par exemple comme objectif que les États membres acquièrent au moins 40 % de leurs équipements de défense de manière conjointe d'ici 2030. Notre pays dispose d'un savoir-faire industriel unique sur presque toute la palette des armements, ce qui garantit sa souveraineté et sa liberté quant à sa politique d'exportation d'armements. Quel serait notre intérêt à la mutualisation de la production industrielle de défense des États membres et à celle des achats conjoints supervisés par la Commission ?
Comme je l'ai indiqué précédemment, 80 % des achats militaires européens ont concerné des matériels produits en dehors de notre continent : en Corée du Sud, en Turquie et aux États-Unis, favorisant ainsi l'emploi dans ces pays. Aujourd'hui, la force de l'industrie militaire française, pourtant solide, n'est pas suffisante. Je propose de changer d'échelle pour favoriser une intégration au niveau européen, seul moyen pour parvenir à acheter européen – et donc français – à l'avenir.
Vous alertez sur le décrochage compétitif de l'Europe mais vous soulignez également le besoin urgent d'unir les marchés des capitaux et la nécessité d'un marché financier européen plus intégré et plus robuste, à travers la mise en place d'une « union de l'épargne et des investissements ».
En septembre dernier, la France et l'Allemagne ont lancé une feuille de route commune pour l'union des marchés de capitaux et, lors du sommet du 18 avril, nos deux pays ont proposé la création de produits d'épargne européens, malgré l'opposition de plusieurs États membres comme le Luxembourg et l'Irlande. Dans ce contexte, quelles initiatives doivent être prises au début du mandat de la prochaine Commission européenne pour s'assurer de l'achèvement de cette union ? Quelles actions concrètes pourriez-vous recommander pour accélérer l'intégration des marchés de capitaux et enfin libérer leur potentiel ?
Pour mon travail, je me suis beaucoup appuyé sur des travaux nationaux, binationaux ou multilatéraux qui avaient été établis au préalable. Je pense notamment au texte franco-allemand élaboré par MM. Le Maire et Lindner, dont j'ai d'ailleurs parlé avec le président de la République française et le chancelier allemand. Ce texte a constitué pour moi une source d'inspiration très importante. Il est évident qu'il faut nous orienter dans une direction semblable à la ligne qu'ils ont tracée, et le faire rapidement. Je constate d'ailleurs que, lorsque je me suis rendu devant le Conseil européen le 18 avril dernier, les conclusions de ce même Conseil ont traduit un pas dans cette direction.
J'espère que mon rapport ainsi que celui de M. Draghi permettront de transmettre cet élan essentiel, ce momentum, afin que la prochaine législature du Parlement européen ne soit pas frappée d'inertie et qu'elle puisse trouver dans ces rapports des idées permettant d'accomplir des avancées décisives.
Le président de la République a indiqué que l'Europe était mortelle dans un discours qui a fait sensation à la Sorbonne. Vous avez affirmé que, dans les circonstances actuelles, l'inertie menait au déclin. Je partage ce point de vue : le monde évolue vite mais l'Europe trop lentement, précisément par ce qu'elle n'est pas composée d'un seul pays et qu'elle a agi avec prudence, prenant beaucoup de temps avant de se décider.
Votre rapport incite à agir et non plus à se contenter de réagir à des crises. Nous avons besoin d'une vision. À ce sujet, à quelques jours des élections européennes, comment voyez-vous l'Europe dans cinq ans ? Estimez-vous qu'elle sera plus ou moins intégrée qu'aujourd'hui ?
Lors de la dernière campagne électorale pour les élections européennes, j'étais en France. Celle-ci intervenait après le départ du Royaume-Uni et il n'était alors question que de sorties, d' exit : Brexit, Frexit, Italexit et ainsi de suite. Aujourd'hui, ce terme ne fait plus partie du débat et j'y vois là une démonstration de la force de l'idée européenne.
J'espère que les cinq prochaines années verront des avancées décisives dans les domaines étudiés par mon rapport : les services financiers, les télécoms, l'énergie, la défense. J'espère surtout que le chapitre central de mon rapport, celui sur le marché unique pour tous, pour les grandes comme les petites entreprises, pour ceux qui veulent bouger ou ceux qui veulent rester, permette à l'ensemble de ces acteurs de trouver leur propre liberté. Comme vous le constatez, mon propos s'inscrit bien dans la lignée de la pensée et des idées originales de Jacques Delors.
Vous avez fait part de votre argument selon lequel un marché unique des télécoms est nécessaire, notamment pour concurrencer les opérateurs chinois et américains. Or cet argument avait précisément été avancé pour mettre en place le marché unique de l'énergie. En France, EDF-GDF – Electricité et Gaz de France – géraient tout à la fois la production, le réseau, la distribution, mais ces trois services ont été démantelés et ouverts à la concurrence. Depuis, le marché unique de l'énergie a provoqué l'explosion de la spéculation et des superprofits. Simultanément, en 2023, pour ces raisons, la France a connu un million d'interventions pour impayés de factures. En conséquence, je ne suis absolument pas persuadée qu'un marché unique permette de régler ces problèmes. Bien au contraire, il agit au détriment des intérêts des consommateurs au sein des pays.
Dans le domaine énergétique, l'explosion des coûts n'est pas due à l'Union européenne ou à l'intégration mais à la crise géopolitique d'une incroyable intensité que nous vivons depuis deux ans et demi. À cause du chantage exercé par M. Poutine sur tous les Européens, cette crise a provoqué une hausse des prix de l'énergie qui était imprévisible et initialement ingérable. Malgré tout, nous sommes parvenus ensemble à réduire notre dépendance et la situation est en train de s'améliorer. Mais au-delà, il faut comprendre que les crises que nous vivons sont en grande partie liées à un manque d'Europe, plutôt qu'à un trop-plein d'Europe. Je note enfin que les traités laissent à chacun la liberté de son mix énergétique.
Je vous remercie pour cet exposé sur une Europe qui doit garder son indépendance et doit être forte vis-à-vis des autres puissances mondiales. Après la deuxième guerre mondiale et jusqu'en 1985, nous étions des pays forts. Comment faire pour convaincre nos concitoyens que l'UE représente la moins mauvaise des solutions ?
Je pense que nous devons le faire de manière très concrète, pragmatique, comme cela a été le cas pour la Covid, la crise énergétique ou la défense. Grâce à l'Union européenne et à une meilleure intégration, nous sommes capables de faire face à des besoins que chaque pays ne peut individuellement remplir. Mon rapport vise précisément à proposer une série d'instruments extrêmement concrets et non idéologiques.
Je rappelle toujours que nous avons réussi à réaliser le marché commun avec Margaret Thatcher, qui n'était pas précisément pro-européenne. Ce marché commun a été concrètement utile dans la vie des gens et il a pu changer concrètement leur vie, comme je l'ai indiqué lorsque j'ai évoqué mon cas personnel.
Monsieur le président Letta, cher Enrico, je vous remercie pour vos propos et votre rapport, qui se situent à l'articulation d'une double démarche : d'une part, une démarche d'approfondissement et d'intensification du marché intérieur, tel qu'il avait été mis en place sous l'impulsion de Jacques Delors au milieu des années 1980 et, d'autre part, une démarche d'adaptation, puisque ce marché intérieur changera.
En conclusion, tous nos collègues ont pu observer à quel point un homme d'État italien comme vous était profondément proche, par la culture, la langue, mais aussi les préoccupations, des problématiques qui sont les nôtres. J'y vois là la traduction de l'enrichissement mutuel de nos cultures respectives.
Pendant longtemps, j'ai assuré un cours sur l'Europe à Sciences Po. Dans ce cadre, je m'attachais à expliquer à mes étudiants que si le couple franco-allemand était très important au sein de l'Europe, il ne faisait pas tout. Ainsi, des contributions italiennes ont été à plusieurs reprises absolument décisives. Après l'échec de la Communauté européenne de défense, les Italiens et les Belges ont relancé la machine européenne ; cela n'est pas pour rien que le traité instituant la communauté économique européenne a été signé à Rome. Ensuite, dans les années 1980, MM. Craxi et Andreotti ont jeté, lors du Conseil européen de Milan, les bases politiques de l'œuvre concrète menée par la Commission européenne et Jacques Delors. Lors de la crise grecque, M. Draghi a également joué un rôle très important et je trouve très significatif que les deux récents rapports qui enrichissent la réflexion pour poursuivre l'œuvre européenne aient été produits par des Italiens.
La séance est levée à 10 h 50
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Carlos Martens Bilongo, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Philippe Emmanuel, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, M. Bruno Fuchs, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, Mme Claire Guichard, M. Michel Guiniot, M. David Habib, M. Benjamin Haddad, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Élise Leboucher, M. Vincent Ledoux, Mme Nathalie Oziol, M. Jimmy Pahun, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Olivier Véran, Mme Laurence Vichnievsky, M. Lionel Vuibert, M. Éric Woerth
Excusés. - Mme Élisabeth Borne, M. Sébastien Chenu, Mme Julie Delpech, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, Mme Marine Le Pen, Mme Yaël Menache, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Sabrina Sebaihi, M. Jiovanny William, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. - Mme Anne-Cécile Violland