La commission d'enquête a auditionné Monsieur Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, ancien ministre de la santé.
Après sa réunion constitutive qui s'est tenue le 30 avril 2024, la commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public entame son cycle d'auditions et de tables-rondes, qui se poursuivra jusqu'en juillet. Nous accueillons aujourd'hui M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France et ancien ministre de la santé.
L'hôpital public connaît une situation extrêmement difficile depuis plusieurs années, et nous devons répondre à l'inquiétude de nos compatriotes quant à la qualité et à la rapidité des soins sur l'ensemble du territoire. Nous devons également répondre à l'inquiétude, l'angoisse et la fatigue de nos soignants, qui ont le sentiment de passer de crise en crise.
La crise actuelle n'est pas seulement une crise de moyens, qui aurait pu être réglée par les efforts financiers produits à l'occasion de la crise de la covid-19, mais également une crise multifactorielle, plus complexe. Elle reflète des problèmes d'organisation du système et d'évolution de notre société. Durant des décennies, nous avons formé de moins en moins de soignants, l'organisation de l'hôpital a été transformée, notamment avec l'introduction des 35 heures, et un cloisonnement entre la ville et l'hôpital s'est installé. Les besoins ont changé, notre population a vieilli et les maladies chroniques ont augmenté. Les aspirations des soignants ont également évolué, ils ne souhaitent plus travailler dans les mêmes conditions que leurs aînés.
Il convient d'appréhender les difficultés de l'hôpital public au regard de la situation de l'ensemble du système de soins. Nous devons nous montrer lucides sur les constats, afin d'apporter les bonnes réponses. La situation actuelle est le fruit de décisions et de choix politiques, certains opportuns, d'autres moins judicieux. Vous avez été, monsieur le ministre, l'un des acteurs de cette chaîne de décisions et de choix politiques. C'est à ce titre que la commission d'enquête a souhaité vous entendre aujourd'hui.
Avant de vous céder la parole, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Xavier Bertrand prête serment.
Cette audition m'invite à revenir sur une période remontant à plus de vingt ans. J'ai exercé la fonction de secrétaire d'État chargé de l'assurance maladie entre mars 2004 et mai 2005, soit durant quatorze mois au cours desquels, auprès du ministre de la santé Philippe Douste-Blazy, j'ai eu la charge de la préparation, du vote et du suivi de la réforme de l'assurance maladie. J'ai ensuite été nommé ministre de la santé et des solidarités, entre juin 2005 et mars 2007, puis ai repris ces fonctions, en y ajoutant le ministère du travail, entre novembre 2010 et mai 2011.
J'ai ainsi eu l'honneur de diriger l'un des ministères les plus beaux et les plus exigeants, où j'ai eu l'occasion de traiter de sujets qui intéressaient les présidents de la République alors en exercice, Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, notamment le plan Cancer et la réforme de l'assurance maladie. Il est important de rappeler que le ministère de la santé, lorsqu'il bénéficie du soutien des plus hautes autorités de l'État, n'est pas un ministère en proie à des oppositions avec les services du ministère de l'économie.
En 2004, nous avons fait adopter la loi n° 2004-810 relative à l'assurance maladie. Cette loi-socle, comprenant une partie hospitalière, était portée par une vision très générale de l'accès aux soins. Ceux qui doutaient qu'elle permette d'atteindre certains objectifs financiers n'avaient pas pris la mesure des objectifs de la réforme en matière de gouvernance. Cette loi visait à réduire les déficits : en 2003, le déficit de la branche assurance maladie s'élevait à 9,5 milliards d'euros (Md€) ; la loi a permis de ramener ce déficit à 4,4 Md€ en 2008, c'est-à-dire avant la crise financière. Elle a également permis d'améliorer l'offre de soins, la maîtrise médicalisée et la gouvernance, et nombre de ses principes sont toujours en vigueur aujourd'hui.
Dans le cadre de mes fonctions, j'ai eu par ailleurs à préparer notre pays à des crises sanitaires majeures, comme la grippe aviaire. À l'époque, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait classé la France parmi les pays les mieux préparés, avec 1,4 milliard de masques en stock. Nous avions également mis en place des plans de prévention contre des attaques terroristes (Biotox et Piratox) et géré des crises sanitaires telles que les épidémies de chikungunya et de dengue.
D'importants plans de santé publique ont été lancés lorsque j'étais ministre de la santé, tels que le plan Cancer, sous l'impulsion de Jacques Chirac, l'interdiction de fumer dans les lieux publics, ainsi que des plans sur la maladie d'Alzheimer, les urgences et la santé mentale. Ces initiatives ont démontré une volonté politique forte et ont produit des résultats concrets.
Nous avons également conduit des plans d'investissement hospitalier majeurs : d'abord, le plan Hôpital 2007, que j'ai conduit avec Philippe Douste-Blazy ; puis le plan Hôpital 2012, que j'ai préparé et qui intéressera directement votre commission d'enquête.
Enfin, nous avons entrepris des réformes structurantes : l'évolution du numerus clausus, qui a augmenté de 47 % entre 2003 et 2012, la loi sur les médicaments ou encore des orientations pour la santé numérique. J'ai aussi mené une action déterminée pour la santé outre-mer. Voilà quelques-unes des actions que j'ai conduites concernant les évolutions financières et les dépenses de santé.
Ma première question porte sur l'augmentation du numerus clausus dont vous avez parlé. Que représente réellement cette augmentation ?
Vous avez par ailleurs vécu la mise en place de la tarification à l'activité (T2A), lancée par votre prédécesseur. J'aimerais connaître votre sentiment sur cette tarification et son évolution. Avec le recul, estimez-vous qu'il s'agissait d'une bonne solution ? Considérez-vous aujourd'hui qu'il serait préférable de revenir à un système de dotation ?
Dans les années quatre-vingt dix, un principe parfaitement stupide prévalait, dicté par les technocrates et les comptables et validé par les politiques : moins de médecins signifiait moins d'actes, donc moins de dépenses, donc moins de déficits. Or un pays doit être en mesure de répondre aux besoins de santé de sa population, et limiter le nombre de médecins entraînait fatalement une pénurie d'offre et une surcharge de travail pour les professionnels.
En 2003, le numerus clausus des médecins, dentistes inclus, était de 5 100 places. De mémoire, ce numerus clausus était de 5 700 en 2004 et 2005. Lorsque j'ai quitté mes fonctions en 2012, il était de 7 500 : cela représente donc une augmentation de 47 % par rapport à 2003.
Augmenter le numerus clausus a été un combat. Sur ce sujet, le ministère de la santé n'est pas le seul décisionnaire : il doit composer, négocier, parfois lutter, avec le ministère de l'enseignement supérieur. J'ai eu la chance, pour ma part, que le ministre de l'enseignement supérieur de l'époque, M. François Goulard, soit en phase avec mes propositions, ce qui nous a permis de dégager une vision commune. Le ministre de la santé doit également défendre sa position face aux doyens de faculté de médecine, qui opposent à l'augmentation du numerus clausus – et ils le font encore aujourd'hui – des problèmes matériels et pratiques.
Pourquoi ai-je augmenté ce numerus clausus ? En échangeant avec de jeunes médecins et de jeunes internes, j'ai pris conscience que les nouvelles générations ne souhaitaient plus travailler dans les mêmes conditions que les générations précédentes. Dès lors, il valait mieux former davantage de médecins – et par conséquent relever le numerus clausus – plutôt que risquer une pénurie.
Je m'en tiendrai à l'analyse de la période durant laquelle j'exerçais des responsabilités ministérielles et ne souhaite pas me prononcer sur les politiques menées ces dernières années. Mon regard sur la situation actuelle n'est d'ailleurs probablement pas l'enjeu de votre commission d'enquête.
Je peux néanmoins évoquer la tarification à l'activité. Je considère que la T2A n'était pas une mauvaise idée, parce que le système précédent – à savoir, le « budget global » – sanctuarisait et sacralisait des positions bien établies dans les hôpitaux : il créait, en fin de compte, des rentes de situation. La T2A a du sens à la condition de prendre en compte la spécificité de l'hôpital public. Un hôpital public n'est pas un établissement comme les autres : il est ouvert 365 jours par an, accueille tout le monde 24 heures sur 24 ; en outre, les centres hospitaliers universitaires (CHU) exercent une fonction d'enseignement et de recherche. Or cette réalité n'est pas prise en compte par une T2A à 100 %. J'ai d'ailleurs été sollicité pour accélérer la mise en place de la T2A à 100 %, mais je m'y suis refusé.
En tant que ministre de la santé, j'ai mis en place les missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (Merri), afin de valoriser les carrières et de renforcer l'attractivité des métiers de santé. Je me suis également beaucoup appuyé, parce qu'elles prenaient en compte l'intérêt général, sur les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac), qui permettaient de fournir des enveloppes aux agences régionales d'hospitalisation (ARH), que je privilégiais d'ailleurs par rapport aux agences régionales de santé (ARS). En outre, la tarification à l'activité a été calculée d'une manière assez bureaucratique et aurait dû être revue au fil des années, tant dans ses modalités que dans son contenu.
Le problème actuel de la T2A – et, en particulier, d'une tarification à 100 % – est de « miner » la possibilité d'intervenir pour répondre à des missions d'intérêt général ou à des facteurs spécifiques à certains établissements, et, surtout, de créer une concurrence entre certains services – ainsi, les services d'urgence ont été nettement défavorisés par rapport à d'autres services. Au sein d'un même groupe hospitalier public, une véritable concurrence peut s'installer entre les établissements.
Toutefois, malgré les inconvénients d'une tarification à 100 %, j'estime qu'il ne faut pas regretter le précédent système de budget global.
Les agences régionales de santé font régulièrement l'objet de remises en cause, certains estimant qu'elles devraient dépendre du conseil régional. Lorsque vous étiez ministre, comment fonctionnaient ces agences en termes d'organisation interne et de relations avec le ministère de la santé ? Comment les directives du ministère étaient-elles appliquées dans les territoires ?
J'ai été ministre à une époque antérieure à la partition de 2007 entre le ministère de la santé et celui des comptes publics. Même si, naturellement, des impératifs budgétaires s'imposaient, je disposais par conséquent de l'autorité requise pour préparer les projets de loi de financement de la sécurité sociale sans être soumis aux mêmes injonctions budgétaires qu'aujourd'hui.
Les réunions régulières avec les agences régionales de l'hospitalisation permettaient de rendre les plans de santé publique opérationnels. Ces réunions offraient également l'avantage de faire remonter des informations intéressantes du terrain. J'ai toujours pensé que les ARS sont surdimensionnées et que l'échelon départemental n'est pas suffisamment valorisé. Dans des situations de crise sanitaire, la dimension régalienne doit l'emporter et je n'ai pas compris les raisons pour lesquelles, à l'époque, les préfets n'ont pas été placés au cœur du dispositif.
Aujourd'hui, les agences régionales de santé font face à de nombreuses responsabilités. Leur management interne est très important et rendu compliqué par le manque de prise en compte de la dimension départementale. De plus, les contraintes budgétaires actuelles s'appliquent directement aux directeurs d'ARS, qui les transfèrent à leur tour aux directeurs d'hôpitaux.
Le déficit de l'assurance maladie a nettement diminué durant cette période. Cependant, bien qu'il y ait eu des recettes supplémentaires, ce n'est pas cela qui a fait le succès de la réforme de 2004. Ce succès tient davantage à la maîtrise médicalisée et au respect scrupuleux de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) en 2010 et 2011, pour la première fois depuis vingt ans. La réforme de l'assurance maladie a dépassé les objectifs fixés, pour la simple raison qu'elle a été réellement appliquée. D'ailleurs, je dois certainement ma nomination au poste de ministre de la santé au fait d'avoir été en mesure de mener à bien cette réforme.
Présidence de Mme Béatrice Bellamy
Lors de votre audition à l'Assemblée nationale, en juillet 2020, concernant l'épidémie de covid-19, vous avez déclaré, à propos de la gestion du stock de masques, que « tout est question d'argent, du début à la fin. Une logique d'économie s'est imposée au fil des années. C'est un problème de vigilance et de moyens budgétaires ». En tant que ministre, vous étiez conscient du vieillissement de la population. Est-ce cette logique comptable, celle-là même que vous dénonciez dans une question écrite en 2003, qui vous a conduit à fermer tant de lits d'hôpitaux ? Ou bien, comme vous l'avez suggéré dans votre propos liminaire, la faute en revient-elle aux fonctionnaires du ministère des finances ? Si tel est le cas, pouvez-vous préciser à quels services de Bercy vous faites allusion ? Il serait sans doute intéressant de les auditionner dans le cadre de la présente commission d'enquête.
Je peine à discerner le lien entre votre question et celle des masques. Lorsque j'ai quitté mes fonctions, le stock s'élevait à 1,4 milliard de masques. Que s'est-il passé ensuite ? Je ne suis appelé à répondre, devant vous, que de mes responsabilités en tant que ministre de la santé.
S'agissant des lits d'hôpitaux : en 2005, on dénombrait 290 000 lits d'hospitalisation dans le secteur public, toutes disciplines confondues ; en 2007, lorsque je quitte mes fonctions, il y a 287 000 lits d'hospitalisation complète. Parallèlement, les places d'hospitalisation à domicile (HAD) sont passées de 4 735 à 7 730. En ce qui concerne la médecine, la chirurgie et l'obstétrique (MCO), il y avait 19 000 lits d'hospitalisation partielle en 2005 et 21 300 lits en 2007. Les seules fermetures ont concerné des lits d'hospitalisation complète et elles ont été largement compensées par l'augmentation des places en HAD et en ambulatoire. En 2010, lorsque je reprends mes fonctions, il y a 254 000 lits d'hospitalisation complète, toutes disciplines confondues, et 11 500 places en HAD ; en 2012, lorsque je quitte le ministère, il y a 251 000 lits d'hospitalisation complète et 12 500 places en HAD. Ces chiffres montrent clairement que l'affirmation selon laquelle des dizaines de milliers de lits auraient été fermés lorsque j'étais en fonction est fausse.
Concernant les effectifs hospitaliers : ils s'élèvent à 900 000 employés dans la fonction publique hospitalière à la fin de l'année 2003 ; fin 2011, ce nombre dépassait pour la première fois le million. Cette augmentation a concerné principalement les personnels médicaux et paramédicaux.
Les soignants considèrent que la tarification à l'activité a provoqué une grave crise de sens à l'hôpital, en y imposant une notion de rentabilité favorisant les actes rentables et délaissant d'autres pratiques, à l'image de la pédiatrie. Lorsque vous étiez ministre, aviez-vous envisagé cette crise de sens ?
Vous avez déclaré, en 2005, que « la mise en œuvre de la tarification à l'activité permettra de mieux répondre aux besoins de financement des établissements. ». Vous avez également indiqué que cette tarification avait permis à l'assurance maladie de réaliser des économies : or le déficit des hôpitaux a doublé depuis l'instauration de la T2A !
Je n'ai pas dit que la tarification à l'activité avait permis de réaliser des économies. J'ai affirmé, en revanche, que la réforme de l'assurance maladie de 2004 avait permis de réduit le déficit de la branche d'assurance maladie, qui est passé de 9,5 Md€ par an en 2003 à 4,4 Md€ en 2008.
Comme je l'ai indiqué, je me suis opposé à l'accélération de la montée en puissance de la T2A. Toutefois, je le répète, je n'éprouve aucune nostalgie pour le budget global. La tarification à l'activité permet une meilleure visibilité, à condition qu'elle soit bien calculée et bien tarifée et qu'elle n'engendre pas de disparités au détriment de certaines spécialités. Vous avez mentionné la pédiatrie et vous avez raison ; les urgences ont, elles aussi, été longtemps pénalisées par le tarif de la T2A. C'est pourquoi il me semblait important de corriger ces effets avec les Migac, dont je regrette la disparition parce qu'elles permettaient des engagements de la part des établissements de soins et qu'elles offraient de la visibilité à ces établissements – ce qui était essentiel.
Par la suite, la T2A est montée à 100 %, ce qui ôtait la possibilité de corriger ses effets, hormis par l'intermédiaire d'aides ponctuelles apportées aux hôpitaux. Des disparités existaient également dans les groupes homogènes de séjours (GHS) ; des nomenclatures ont été établies pour régler cette question. Après mon départ, les choses n'ont pas évolué et je m'étonne d'ailleurs que la réforme de 2004 n'ait pas été révisée par la suite : les lois ne sont pas éternelles et toute réforme devrait être réévaluée. J'assume, à ce titre, avoir soutenu avec force, lorsque j'ai été nommé ministre de la santé en novembre 2010, la proposition de loi n° 65 (26 octobre 2010) du sénateur Jean-Pierre Fourcade, qui corrigeait certains éléments de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi « HPST ».
Comment expliquer qu'aujourd'hui 90 % du territoire national soient en état de désertification médicale ?
Je l'explique par le fait que l'on ne fait pas suffisamment confiance aux professionnels de santé. Or cette confiance est indispensable à la réussite d'une réforme. En 2004, malgré des enjeux budgétaires importants, j'ai opté pour une maîtrise « médicalisée » à rebours d'une maîtrise « comptable ». Avec la proposition de loi « Fourcade », devenue la loi du 10 août 2011, j'ai cherché un équilibre entre l'hospitalier et le libéral : notre système de santé est dual, avec un secteur public et un secteur privé, des établissements et de l'ambulatoire. Force est néanmoins de reconnaître que notre système est hospitalo-centré au bénéfice de l'hôpital public, comme le montrent les dernières décisions sur les tarifs.
J'ai mis en place des incitations pour les jeunes médecins en milieu rural. Les maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) représentaient, à l'époque, une innovation majeure. Cependant, l'assurance maladie s'est efforcée de briser ces dispositifs, partant de l'idée que moins de médecins signifie moins d'actes, donc moins de dépenses et moins de déficits. Certains, d'ailleurs, continuent de raisonner ainsi… Or le véritable enjeu est de répondre aux besoins essentiels de la population en matière de santé.
Il nous faut faire face à ces besoins, renforcés par le vieillissement de la population et les affections de longue durée (ALD), avec des moyens adéquats et une allocation de ressources supérieure dans les années à venir. Des réformes structurelles restent à mener, par exemple sur les doublons : à une époque, on estimait que 15 % des examens médicaux étaient redondants ; ce chiffre n'a pas disparu et il existe encore des gisements d'économies importants à exploiter.
Toutes les économies possibles une fois réalisées, nous avons encore besoin d'une allocation de ressources supplémentaires parce que, en dépit du « Ségur de la santé », l'hôpital public reste en crise de confiance. Nous avons du mal à y retenir les professionnels et la question des déroulements de carrière reste problématique. En outre, les médecins ne sont pas suffisamment associés à la gouvernance. Nous avons pourtant constaté, au moment de la crise de la covid-19, que l'hôpital avait su faire face, parce que les soignants avaient pris les choses en main. Tant que la gouvernance ne changera pas, l'hôpital sera en difficulté.
D'autre part, comment développer l'hôpital sans penser à ce qui se passe en amont et en aval de l'hospitalisation ? J'ai le sentiment, aujourd'hui, que manquent une vision globale de l'hôpital et les moyens nécessaires à son développement. On se contente de défavoriser le secteur privé. À cet égard, les nouveaux tarifs, dont j'entends les motivations financières, représentent, selon moi, une ineptie : ils font courir le risque de fermetures de cliniques privées, ce qui aggravera les problèmes de l'hôpital. Nous ne pouvons pas réussir, j'en suis profondément convaincu, sans faire confiance aux soignants, à l'hôpital comme en ambulatoire.
La lutte contre les déserts médicaux se heurte toujours aux mêmes problèmes de manque de personnel et de manque d'attractivité de certaines zones. Quelles mesures devons-nous prendre pour remédier à cette situation ?
Les professionnels de santé, dans certaines zones, ne cherchent pas forcément à gagner plus. Leur problème, qui n'est d'ailleurs pas propre aux médecins, concerne l'équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Dans ces cas-là, l'exercice collectif est souvent la solution. Il demeure complexe, mais il permet d'envisager une même rémunération sur moins de jours de travail. La valorisation des actes a toujours du sens.
Par ailleurs, les contrats passés par des collectivités ou par l'assurance maladie, au sein d'une même région, manquent de précision. Si vous faites vos études de médecine à Amiens ou à Lille, vous ne voulez pas forcément être affecté ailleurs dans la région. On pense que les jeunes médecins devraient se sentir redevables parce que leurs études sont payées. Or un jeune médecin, lorsqu'il achève ses études, est un trentenaire déjà bien engagé dans la vie, parfois avec une famille. Sa façon de rendre ce qu'il a reçu pendant ses études est de soigner les Français, cela doit être respecté.
Je suis favorable à l'incitation et opposé à la coercition. On ne peut pas changer les règles en cours de partie ; si on change les règles, c'est pour l'avenir. Et si on change les règles, le problème de l'attractivité se déportera de la sortie des études à l'entrée dans les études de médecine. Le nombre d'étudiants chutera. Pourquoi ? Parce que l'exercice libéral repose à la fois sur la liberté d'installation et sur la liberté de prescription. Réduire ces libertés suscitera une crise des vocations.
De nombreuses collectivités locales cherchent désormais à salarier les médecins. Quel est l'intérêt pour les médecins ? L'intérêt, pour eux, est de soigner les gens en entretenant une autre relation avec l'assurance maladie. Un médecin généraliste consacre une grande part de son temps à des procédures administratives destinées à l'assurance maladie. À l'hôpital, ce temps est considérablement réduit et les praticiens peuvent se consacrer davantage à ce pour quoi ils ont fait des études, c'est-à-dire soigner. La question du temps médical est l'une des clés, à long terme, pour restaurer l'attractivité des métiers, au-delà même de la rémunération.
En tant que ministre de la santé, j'ai souhaité que la médecine générale soit reconnue comme une spécialité, ce qui correspondait à une attente importante. J'ai également veillé à ce que le prix de la consultation soit porté à 23 euros, dans un souci de reconnaissance. Je pense que, au-delà des chiffres, il est important de changer l'état d'esprit des praticiens par ce type de mesure.
Entre 2001 et 2021, 33 % des maternités ont fermé et un certain nombre de ces fermetures se sont produites sous vos différents mandats. Un rapport récent de l'Académie de médecine recommande de poursuivre la fermeture de toutes les maternités effectuant moins de mille accouchements par an, soit 111 maternités en France. Je sais que vous avez soutenu la maternité de Péronne. Soutenez-vous le maintien de toutes les maternités en France ou bien uniquement celles de votre région ?
Lorsque j'étais ministre de la santé, j'ai imposé le maintien de la maternité de Saint-Agrève, qui ne se situe pas dans ma région. Pourquoi ? Parce que cette maternité se trouve en zone de montagne. Vous le voyez, mon soutien n'est pas limité à ma région.
Dans le cadre du plan de lutte contre le cancer, nous avions voulu mettre en place des centres de référence pour le cancer. Cela nous avait amenés à des arbitrages et à flécher des crédits importants vers ces centres. Je me suis toujours efforcé de réfléchir sans une règle à calcul à la main.
Lorsqu'une opération est programmée, nos concitoyens n'hésitent pas à se déplacer loin de leur lieu d'habitation. Leur crainte concerne l'urgence, parce qu'ils savent que le temps qui les sépare de la prise en charge médicale peut entraîner de graves conséquences. Reste à savoir si l'accouchement est une urgence. À chaque fois qu'une maternité ferme, le problème consiste à mettre en place des systèmes de consultations avancées.
Toutefois, si l'accouchement ne relève pas toujours de l'urgence, cela peut arriver. C'est la raison pour laquelle il convient de maintenir un tissu de proximité. Or le problème de la démographie se pose. Au manque d'attractivité s'ajoute le juridisme, au nom duquel certains professionnels ne pratiquent plus d'accouchements, mais seulement des consultations. En effet, maintenir une maternité ouverte alors que le nombre de praticiens est insuffisant pose la question du nombre de gardes, et donc de la continuité des soins. Le premier enjeu est toujours celui de la qualité des soins et il ne saurait être réduit à un simple ratio budgétaire.
Le numerus clausus n'a pas été assoupli, me semble-t-il, à votre époque. J'ai même connu un temps où l'on incitait les médecins à partir à la retraite plus tôt. C'était une gestion comptable. Avez-vous entrepris une action particulière concernant le nombre d'étudiants formés ?
Comme je l'ai indiqué précédemment, le numerus clausus a augmenté de presque 50 % entre 2003 et 2012. Je pense que vous faites référence au mécanisme d'incitation à la cessation d'activité (Mica), qui avait été mis en place pour permettre à des médecins de partir à la retraite plus tôt. Il s'agit d'une question distincte de celle du numerus clausus. Pour ma part, j'ai développé le cumul emploi-retraite pour permettre aux médecins de continuer à exercer à temps partiel, sans avoir besoin d'un expert-comptable pour connaître les ratios à ne pas dépasser.
Vous établissez régulièrement, dans vos interventions, un lien entre l'hôpital et le budget. J'aimerais me concentrer sur des questions budgétaires et managériales. La première concerne la répartition des crédits entre l'hôpital public, les hôpitaux privés à but non lucratif et les hôpitaux privés à but lucratif. Cette répartition vous semble-t-elle satisfaisante ?
Non. Nous devons faire davantage confiance aux établissements privés. Il est évident que l'hôpital public souffre,mais compter y remédier en réduisant drastiquement les crédits alloués aux hôpitaux privés est une erreur. On pense pouvoir donner des gages au public avec des évolutions tarifaires du secteur privé très inférieures à l'inflation : c'est insensé ! Les cliniques privées ne roulent pas sur l'or, loin de là. Des services entiers fermeront dans les mois à venir, c'est la réalité. Aujourd'hui, une profonde réflexion sur l'hôpital public s'impose, notamment sur la gouvernance et la praticité. Malgré une augmentation de leur traitement, les personnels ne veulent pas rester dans l'hôpital public. Il convient d'apporter des réponses à cette situation.
Les hôpitaux publics pourront-ils garantir à leurs patients l'accès aux nouvelles thérapies ? La pénurie de médicaments en médecine de ville incite à en douter. L'intelligence artificielle (IA) arrive et elle représentera une formidable avancée si nous gardons la dimension profondément humaine de notre système de santé, liée à la qualité de notre formation. Or que faisons-nous pour intégrer l'IA ? Le plan « Hôpital 2012 » prévoyait 10 Md€ d'investissement et une informatisation des systèmes de santé à l'hôpital. Où en sommes-nous aujourd'hui ? L'enjeu n'est pas seulement d'éviter la catastrophe qui s'annonce, mais aussi de projeter notre système de santé dans vingt ou trente ans. Nous devons reconstruire le système de santé à partir des CHU, mais pas seulement. Nous avons besoin d'une vision totalement prospective. Nous ne pouvons pas nous contenter d'une vision comptable et budgétaire, sans penser aux grandes évolutions de notre système de santé.
Fragiliser les établissements de santé privés n'engendrerait que des difficultés. De nombreux établissements privés seraient en mesure d'ouvrir un service d'urgence. Pourquoi ne les sollicite-t-on pas ? Pourquoi ne leur accorde-t-on pas d'autorisation à cette fin ?
Plus largement, depuis combien de temps les questions de santé n'ont-elles pas été au centre d'un débat présidentiel ? La santé est l'une des principales préoccupations de nos concitoyens. Or le ministère de la santé est rarement situé très haut sur l'échelle hiérarchique du gouvernement. Il ne bénéficie pas d'une reconnaissance budgétaire suffisante. Chacun sait dans quelles conditions nos soignants ont travaillé durant la crise de la Covid-19. Ils nous ont permis de tenir, mais ils finiront par se décourager et cette perspective m'inquiète au plus haut point. J'ai mentionné les établissements privés, mais je pourrais aussi parler des infirmiers libéraux, des pharmaciens et de certaines spécialités qui sont aujourd'hui en grande souffrance.
Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous auditionnerons un certain nombre d'entreprises qui développent la médecine de demain, parce que, en effet, il convient de se projeter vers l'avenir.
Les dotations et les subventions entraînent des devoirs et des obligations. Ne demande-t-on pas trop à l'hôpital public et pas assez à l'hôpital privé ? Je pense notamment aux urgences, au maillage territorial ou à la permanence des soins.
Les hôpitaux privés sont prêts à ouvrir des services d'urgence. Pourquoi ne leur demande-t-on pas plus souvent ? S'il s'agit de déshabiller le privé pour habiller l'hôpital public, l'évolution tarifaire de + 0,3 % apporte un élément de réponse : si on voulait montrer qu'on n'aime pas le privé, on ne s'y prendrait pas autrement.
Le véritable sujet est l'allocation de ressources au sens large. Le vieillissement de la population, les affections de longue durée et cette bombe à retardement qu'est l'obésité, vont augmenter les besoins. L'intelligence artificielle générera des frais supplémentaires et certaines nouvelles thérapies, notamment contre le cancer ou l'obésité, seront à des tarifs élevés. Il faut permettre à chacun, qu'il soit payé au Smic ou millionnaire, d'y accéder grâce à l'assurance maladie, parce qu'en France, contrairement à d'autres pays, la carte que l'on exige pour obtenir un soin est une carte Vitale – et non une carte bancaire. Nous devons continuer à remettre en question notre système afin de maintenir ce service. La question de l'accès aux soins se pose, en effet, mais notre système de santé reste un système exceptionnel par sa qualité.
Vous avez insisté sur la confiance qu'il convient d'accorder aux professionnels de santé. Mais vous avez rappelé qu'en revenant au ministère de la santé, vous avez constaté que de nombreux jeunes médecins quittaient l'hôpital public pour s'installer en libéral. En parallèle, le phénomène du dépassement des honoraires a pris une ampleur très importante. Dès lors, cette confiance doit-elle être aveugle ?
Les abus liés à l'intérim ont lourdement pesé sur les finances de l'hôpital public. Le développement de la télémédecine et des centres de santé fait peser le risque d'une marchandisation de la médecine. Les spécialités les plus attractives sont aussi les plus lucratives, alors que la gériatrie, la psychiatrie et la médecine générale, qui seront indispensables, figurent tout en bas de la liste. Or nous nous heurtons à un refus catégorique d'envisager toute forme de régulation, sauf peut-être de la part de la Cour des comptes. Pensez-vous que nous serons amenés à piloter le système de santé selon les besoins ou en laissant se développer une offre animée par une logique purement libérale ?
La revalorisation des spécialités que vous avez mentionnées est une priorité. S'il convient de conserver le principe de la tarification à l'acte, il est certain que cette tarification atteint certaines limites. La réforme de 2004, toujours en vigueur vingt ans plus tard alors que le système de santé a profondément évolué, devrait être complètement revue.
Vous avez mentionné la financiarisation du système de santé, qui est peu évoquée. Quand l'État ne se donne plus les moyens d'assumer ses responsabilités, d'autres s'en chargent. Nous avons connu des mouvements de concentration, avec des capitaux privés qui ont pénétré certains domaines, notamment les laboratoires d'analyse. Aujourd'hui, ce phénomène touche d'autres secteurs, à l'image des soins dentaires. Nous risquons de basculer vers un système à l'américaine, avec des soins de qualité réservés aux plus riches. La financiarisation à outrance représente un grave danger.
Mettre en place de véritables « contrats de maîtrise médicalisée » permettrait d'obtenir des résultats, à condition de trouver les bons interlocuteurs. J'ai eu la chance de travailler avec des interlocuteurs syndicaux, à l'hôpital et en médecine de ville, qui étaient des personnes dignes de confiance et disposées à signer et appliquer les accords. Je crois au dialogue social et au rôle des organismes paritaires, même si, dans le système de santé, il y a eu en 2004 un renforcement significatif de la place de l'État.
Je crois beaucoup au potentiel de la télémédecine, mais elle doit s'entourer de garde-fous : les patients ne se rendront pas seuls dans une cabine pour appuyer sur un bouton et consulter un serveur vocal. La présence de paramédicaux – infirmiers, infirmières ou professionnels de santé – reste indispensable. De manière générale, le système de santé « à la française » n'est viable qu'à la condition de conserver cette dimension humaine. Celle-ci doit d'ailleurs être mieux intégrée dans les cursus de formation.
Vous nous avez dit votre fierté d'avoir promu le cumul emploi-retraite. Or, à l'époque, nous n'étions pas encore confrontés à la problématique de la désertification médicale. L'objectif semblait alors de faciliter le prolongement de l'exercice, notamment en médecine de ville, plutôt que former et intégrer la génération des jeunes médecins, qui manque aujourd'hui.
Je me souviens d'un échange remontant à l'époque où j'étais secrétaire d'État, vers 2004 ou 2005, avec de jeunes médecins qui m'avaient expliqué qu'ils ne travailleraient pas comme leurs prédécesseurs. On pensait, à l'époque, que cette conception du métier était liée à sa féminisation. Or j'avais en face de moi de jeunes hommes qui se disaient prêts à travailler, à bien soigner, à faire de longues journées, mais qui souhaitaient aussi « profiter de la vie » et trouver un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. La figure du médecin avec sa sacoche, qui travaille quatre-vingt dix heures par semaine, appartient au passé.
J'ai promu le cumul emploi-retraite dans le but de maintenir des médecins en activité, parce que j'avais conscience que du temps passerait avant qu'on puisse mesurer les effets positifs d'un élargissement du numerus clausus, tant en médecine hospitalière qu'en médecine de ville. Aussi, pour faire la jonction entre l'effet différé du relèvement du numerus clausus et les besoins présents, il était nécessaire de convaincre certains médecins de rester en activité. En ce sens, le cumul emploi-retraite s'opposait au Mica qui, au contraire, incitait les médecins à quitter la profession au nom de cette logique que j'ai évoquée, consistant à réduire le nombre de médecins dans le but de diminuer le nombre d'actes médicaux. Contre cette logique-là, je me suis employé à promouvoir une logique d'anticipation.
En tant que ministre, j'ai pu bénéficier de mon expérience d'élu local. J'avais été confronté, en tant qu'élu départemental, au problème démographique. Lorsque j'étais maire de Saint-Quentin, je faisais la promotion de ma ville aux étudiants en médecine, en leur expliquant ce que nous étions en mesure de mettre en place pour les inciter à s'installer. J'étais convaincu que nous serions confrontés à des problèmes d'attractivité.
Vous faisiez alors ce que font toujours les maires aujourd'hui, c'est-à-dire être les ambassadeurs de leurs villes…
Quel regard portez-vous sur la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite loi « Valletoux », et sur les délégations de tâches ? Que pensez-vous notamment de la possibilité d'accéder à des infirmiers en pratique avancée (IPA), des kinésithérapeutes ou des orthophonistes sans prescription médicale ? Enfin, quel est votre point de vue sur les assistants médicaux et, de manière plus générale, sur les nouveaux métiers créés afin de permettre aux médecins de retrouver du temps médical ?
La convocation qui m'a été adressée par votre commission d'enquête indiquait que j'étais invité à m'exprimer sur mes actions en tant qu'ancien ministre de la santé, et non pas à exposer ma vision sur les lois récentes…
Je suis favorable aux délégations de tâches, sous réserve de bien s'entendre sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un transfert de compétences qui, par définition, ne se délèguent pas. J'avais d'ailleurs fait voter au Sénat, en 2011 ou 2012, les premières dispositions sur la délégation de tâches en optométrie, ce qui m'avait valu des critiques. J'ai également initié la convention pharmaceutique permettant aux pharmaciens d'assumer de nouvelles responsabilités. Je considère que le médecin généraliste doit jouer un rôle clé, mais aussi qu'il doit être en mesure de déléguer certaines tâches. Je crois en cette approche et c'est la raison pour laquelle, en 2005, j'ai porté la réforme licence-master-doctorat pour les infirmières. En 2012, j'ai validé le rapport Hénart sur les pratiques avancées pour les infirmières, en soulignant que ce dispositif représentait une voie pour l'avenir. Je regrette qu'il ait fallu autant de temps pour donner vie aux dispositions préconisées dans ce rapport.
Je tiens cependant à souligner qu'il convient de se prémunir contre le risque d'une désorganisation du système de santé par les différents dispositifs de délégation de charges. Je note que les dernières annonces de mesures visant, paraît-il, à gagner du temps médical, n'ont pas été effectuées par le ministre de la santé et qu'elles risquent de désorganiser notre système.
Le métier d'assistant médical a du sens, puisqu'il permet au médecin de gagner du temps médical. Mais les pratiques ne changeront pas tant que l'horizon restera bouché. Actuellement, le financement est seulement garanti pour deux ou trois ans. Comment voulez-vous organiser quelque chose de durable dans un tel laps de temps ? Pourquoi ce financement n'est-il pas pérenne ? Il convient d'offrir une pérennité et une visibilité véritables. J'estime que les assistants médicaux représentent l'avenir, si toutefois l'assurance maladie est en mesure de garantir un financement de six ans, voire plus.
Un assistant médical a également pour rôle d'augmenter la patientèle – et par conséquent d'accroître le chiffre d'affaires du cabinet, ce qui permet de financer son poste.
On parle d'augmenter la patientèle, mais les médecins aujourd'hui ne sont pas en mesure d'accepter de nouveaux patients en tant que médecin traitant. Et le véritable drame survient lorsque le médecin part à la retraite sans être remplacé.
Je ne comprends pas pourquoi on cherche à éliminer les visites à domicile. Pourquoi ne pas soutenir davantage SOS Médecins, afin qu'ils se développent non seulement dans les grandes villes et les villes moyennes, mais aussi dans les zones semi-rurales ? Les visites à domicile peuvent coûter cher, mais moins qu'une hospitalisation ou un passage aux urgences. Conforter SOS Médecins était d'ailleurs l'un des axes de mon action en tant que ministre de la santé. Je suis convaincu que cela fait partie de la solution aux problèmes que nous rencontrons, et je constate d'ailleurs, dans ma région, la chance que représentent les antennes de SOS Médecins et les solutions qu'elles apportent en termes de garde et de présence médicale.
L'objectif national de dépenses d'assurance maladie fixe, depuis 1996, un plafond à ne pas dépasser. Vous dites défendre un traitement des questions de santé qui ne soit pas inféodé à des règles comptables et budgétaires. À ce titre, pourquoi n'avez-vous pas réformé l'Ondam, éventuellement en lui attribuant des objectifs plus ambitieux ? Cela aurait contribué à éviter que certains hôpitaux connaissent les déficits qui sont les leurs actuellement.
Il est nécessaire que l'objectif national fasse leurs parts au possible et au souhaitable : il est souhaitable de répondre aux besoins des établissements et des professionnels afin de couvrir les besoins en santé, mais il convient aussi de mesurer le niveau de maîtrise médicalisée qu'il est possible de garantir.
En 2004, j'avais été marqué par une note de Bercy affirmant que la réforme de l'assurance maladie ne donnerait pas de résultats. Cette prédiction s'est révélée fausse et cette réforme a dépassé ses objectifs. Pourquoi ? Grâce à la maîtrise médicalisée, qui a apporté de véritables réponses tout en instaurant de la confiance. Cette réforme prévoyait de nouvelles recettes et une participation des usagers. Surtout, elle apportait une réorganisation et un fonctionnement du système de soins basé sur la maîtrise médicalisée. Nous espérions, alors, atteindre 3 Md€ en 2005, 6,5 Md€ en 2006 et 10 Md€ en 2007. Cette maîtrise médicalisée était l'objet d'un partenariat avec les professionnels de santé et les établissements. En 2010 et 2011, pour la première fois depuis les ordonnances « Juppé » de 1996, l'Ondam a été respecté.
Cependant, il me semble qu'une évolution de l'Ondam est nécessaire. En 2004, alors que la branche assurance maladie était financièrement à l'agonie, le président de la commission des finances de votre assemblée, Pierre Méhaignerie, avait proposé la création d'un objectif régional des dépenses d'assurance maladie (Ordam). Je lui avais alors objecté, dans le cadre d'un débat parlementaire, que l'objectif était de se rapprocher de l'équilibre financier par la maîtrise médicalisée – ce à quoi nous sommes parvenus, en divisant le déficit par deux. Aujourd'hui, je pense qu'il faut aller vers une part d'Ordam – et je ne le dis pas seulement parce que je suis président de région. Dans les Hauts-de-France, les déterminants de santé comptent parmi les moins bons de France et l'espérance de vie y est inférieure à celle du pays. Ne pas tenir compte des spécificités régionales relèverait d'un véritable scandale sanitaire.
Les régions, à qui l'on n'accorde qu'un strapontin aux conseils d'administration des agences régionales de santé, ne disposent pas d'un rôle décisionnel suffisant. Un nouveau partenariat entre l'État et les collectivités locales, c'est-à-dire les départements (pour la partie médico-sociale) mais aussi les régions, permettrait d'envisager un objectif régional des dépenses d'assurance maladie tenant compte des déterminants de santé et des besoins spécifiques des territoires.
Ma dernière question concerne la répartition des responsabilités entre les présidents de commission médicale d'établissement (CME), les présidents de conseil de surveillance et les directeurs d'hôpital. Aujourd'hui, dans les hôpitaux publics, nous observons des tensions et des difficultés de communication entre ces différents acteurs. Le directeur, élu, et le président de la CME, qui est un médecin, semblent souvent en désaccord. Comment réformer ce triumvirat dirigeant l'hôpital, afin d'obtenir de meilleurs résultats et pallier le manque de lien de subordination entre le directeur et le médecin ?
Il m'apparaît nécessaire de revoir le contenu des études à l'École des hautes études en santé publique de Rennes, où l'on forme les directeurs d'hôpital. En matière de management, il faut reconnaître que des évolutions sont intervenues. Le Président de la République, à Bordeaux, a affirmé que le directeur est le patron de l'hôpital. Ce n'est pas aussi simple. Le succès repose sur une bonne entente entre le directeur et les soignants. Être un bon directeur est chose difficile. Il faut répondre aux injonctions des agences régionales de santé, parce qu'elles émanent de Bercy, et accompagner les projets médicaux, tout en cherchant à atteindre l'équilibre alors que l'activité est liée à la T2A. Ce n'est toutefois pas impossible. À ce titre, j'aimerais citer l'exemple du centre hospitalier de Valenciennes, où l'ancien directeur a su mettre en place une logique axée sur des objectifs médicaux, tout en veillant à ce que l'administratif soit aligné avec ces objectifs médicaux. Je crois beaucoup à la médicalisation de l'hôpital, qui repose, encore une fois, sur la confiance envers les soignants.
Les médecins savent compter et gérer, mais il ne faut pas oublier que chercher des économies peut affaiblir la qualité. En misant sur la qualité, des économies se réalisent naturellement. Ce raisonnement n'est pas un raisonnement comptable : il a prouvé son efficacité, notamment à la faveur de la réforme de 2004, et il suppose un changement de logique en termes de management.
Notre système de santé est précieux, il crée un lien entre tous les Français, qu'ils soient en bonne santé ou non. Il est aujourd'hui menacé, non pas par un manque de volonté de réforme, mais par l'absence d'une véritable vision d'ensemble permettant d'appréhender la crise profonde actuelle et la catastrophe qui nous guette. La confiance, l'attractivité et le maintien dans l'emploi sont les clés pour relever les défis de demain. La gestion de la dimension humaine en est une autre, de même que l'usage de l'intelligence artificielle, les nouvelles thérapies et les nouveaux équipements.
Nous sommes à l'aube d'une révolution, notamment en matière de prévention, en grande partie grâce à l'imagerie. Cependant, cela nécessite des moyens importants. La dimension structurelle est évidemment à prendre en compte, mais il convient également d'appréhender le problème de l'affectation des ressources. J'ai eu la chance, malgré les réformes à mener, de travailler à une époque où certaines marges de manœuvre existaient. L'argent ne coulait pas à flot, mais nous avions la possibilité, grâce aux économies réalisées, d'investir. Un système de santé dans lequel on n'investit pas est un système de santé qui, fatalement, s'affaiblira.
Il s'avère que les hôpitaux français comptent dans leurs rangs 10 % de personnel administratif de plus que la moyenne des hôpitaux européens. Comment alléger cette charge, voire réaliser des économies, afin de réallouer des financements ? Quelle est votre vision concernant le management de l'hôpital ?
Vous avez mentionné l'hôpital de Valenciennes, j'aimerais citer également une expérimentation menée à Nice, où les services administratifs travaillent en fonction d'objectifs médicaux et où les médecins eux-mêmes gèrent en partie les budgets.
Rapprocher l'administratif de la dimension médicale est indéniablement une solution et j'y crois fermement. Bien réviser le management et le fonctionnement de l'hôpital permettrait de requérir moins de personnel administratif et moins de temps dévolu à l'administration. Cependant, il convient de noter que, dans certains pays (dont l'Allemagne), les fonctions de support, telles que la restauration et le nettoyage, ne sont pas incluses dans le décompte du personnel administratif. Ces fonctions sont externalisées, ce qui explique en partie le différentiel de dix points que vous signalez.
Il est crucial de révolutionner les mentalités des professionnels, notamment en ce qui concerne le choix des spécialités et l'engagement envers les territoires les plus démunis. Cela passe par une réforme des études de médecine.
Par ailleurs, il me semble nécessaire de conserver des services d'urgence et de maternité sur l'ensemble du territoire, car de nombreuses vies en dépendent.
Le véritable sujet est celui du maintien de la qualité des soins. En ce sens, la démographie médicale est très importante, notamment en psychiatrie. Il convient toutefois de distinguer ce qui est programmé et ce qui ne l'est pas. Le soin non programmé doit suivre une autre logique. J'ai maintenu des services dans certaines régions, notamment en Corse, où le nombre d'équipements et d'actes était inférieur aux seuils requis. Mais en Corse, l'été, on ne compte pas en kilomètres, mais en temps de transport. C'est la raison pour laquelle il importe de tenir compte des situations particulières : il ne faut pas raisonner uniquement en termes de budget ou de seuils, mais aussi en se mettant à la place des usagers.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos réponses. N'hésitez pas à nous transmettre toute contribution écrite que vous jugerez utile.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public
Réunion du mercredi 15 mai 2024 à 16 h 30
Présents. – M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, Mme Béatrice Bellamy, Mme Sophie Blanc, M. Emmanuel Fernandes, M. Michel Lauzzana, Mme Murielle Lepvraud, M. Matthieu Marchio, M. Bastien Marchive, M. Damien Maudet, M. Paul Midy, M. Christophe Naegelen, M. Jean-Claude Raux, M. Antoine Villedieu
Excusé. – Mme Mélanie Thomin