La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Décentralisation des politiques publiques agricoles : simplifier, adapter et mieux associer les territoires ».
Ce débat a été demandé par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d'une durée d'une heure. Nous procéderons ensuite, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Stéphane Le Moing, directeur général de l'Agence de services et de paiement (ASP) ; à M. Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne et de la commission Agriculture, alimentation, forêt, pêche, de Régions de France ; à M. Gilbert Guignand, secrétaire adjoint de Chambres d'agriculture France et président de la chambre régionale d'agriculture Auvergne-Rhône-Alpes.
Je vais maintenant donner la parole à chacun de nos invités, pour une intervention d'environ cinq minutes.
La parole est à M. Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne et de la commission Agriculture de Régions de France.
Mesdames et messieurs les députés, je suis ravi de m'exprimer devant vous au nom de Régions de France, qui travaille sur les questions agricoles depuis de nombreuses années, sur le fondement des lois successives qui ont attribué aux régions des compétences dans ce domaine ô combien important pour la souveraineté de notre pays et pour l'alimentation de nos concitoyens.
Régions de France se fait fort d'être un partenaire en matière de politiques publiques agricoles. Les collectivités régionales sont engagées depuis plus de quinze ans aux côtés des chambres d'agriculture, qui sont nos interlocuteurs privilégiés, ainsi que du Gouvernement, afin de faire progresser les politiques pour lesquelles la loi nous a conféré des compétences.
Les régions interviennent d'abord grâce à leurs fonds propres, qui ont augmenté de manière significative au cours des dix dernières années. Les dix-huit régions combinées ont multiplié par deux le budget alloué à l'agriculture. Elles gèrent également les fonds européens qui viennent compléter les crédits régionaux, notamment, depuis les dernières réformes, les fonds relatifs à l'installation, qui sont au cœur du soutien des régions à l'agriculture, et ceux dédiés à l'investissement, domaine qui constitue l'autre grand pilier de notre action.
Nous souhaitons appeler l'attention des parlementaires sur les solutions que nous proposons pour mieux faire dans les années qui viennent, et ce toujours dans une logique de coopération – et non de rapport de force – avec l'État, c'est-à-dire dans le cadre d'une relation de confiance. Celle-ci est déjà une réalité, avec la réunion tripartite régulière à laquelle participent le ministre chargé de l'agriculture, le représentant des chambres d'agriculture et le représentant de Régions de France. J'insiste : notre ambition est de collaborer pour régler les différents points suscitant des troubles ou des inquiétudes, ainsi que les défauts de fonctionnement des différentes entités publiques.
Cela posé, je souhaite évoquer trois éléments qui me semblent intéressants.
Premièrement, il convient d'adapter les dispositifs nationaux aux réalités régionales. Nous l'avons fait valoir au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire à plusieurs reprises, les acteurs nous interpellant régulièrement au sujet de la complexité des dispositifs. Celle-ci est notamment due à l'empilement des actions, des appels à projets, des ambitions, issus tant de l'échelon régional que de l'échelon national, sans coordination.
J'en veux pour preuve la question des haies. Alors que les régions assument une politique dans ce domaine, le Gouvernement, arguant de son importance pour la biodiversité, a lancé sa propre orientation, venue se superposer à celle existante. La logique voudrait plutôt que, quand l'État souhaite toucher à une compétence relevant prioritairement des régions, il élabore une feuille de route et dégage des moyens supplémentaires, mais sans additionner son propre cahier des charges, afin de ne pas troubler les différents acteurs.
Deuxièmement, la multiplication des agences et des dispositifs relevant de leur compétence constitue un autre élément suscitant de l'exaspération dans l'ensemble des territoires. Que l'État – tout comme les régions et les collectivités – applique une politique est normal, mais le faire par l'intermédiaire d'une agence crée une distance avec les territoires. Nous préférons travailler avec les préfets de département ou de région et avec l'État en direct, car les agences, en raison de leur organisation, tendent à ne répondre ni aux autorités locales que nous sommes, ni au ministre lui-même. Il s'agit en effet parfois de grandes boîtes noires, sources de complexité supplémentaire, à l'instar des agences de l'eau, de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), ou encore de l'Agence française de la biodiversité (AFB).
Enfin, je souhaitais appeler votre attention sur notre capacité à agir directement. L'Agence des services et de paiement, dont le directeur général est ici présent, représente une autre source de complexité, non en tant qu'entité, mais en raison de son fonctionnement, car elle doit s'approprier les dix-huit dispositifs des différentes régions – ou plutôt dix-sept, étant donné que la Corse verse les fonds directement. Or, comme nous le faisons avec les crédits du Fonds européens de développement régional (Feder), nous serions capables de verser les aides directement, en prenant notre propre risque, étant entendu que nos taux d'erreur sont plus faibles que ceux de l'État. J'estime qu'une telle simplification devrait être envisagée, sereinement et sans animosité.
Espérant que vos questions me permettront d'expliciter davantage les choses, je conclurai mon propos liminaire en évoquant les agents comptables des lycées et des collèges, qui traitent 95 % des dépenses des établissements tout en relevant de l'autorité de l'État et du ministre chargé de l'éducation. Cela pose un vrai problème s'agissant de la capacité des établissements à acheter, notamment les produits alimentaires proposés dans les cantines.
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT. – M. Jean-Charles Larsonneur applaudit également.
La parole est à M. Stéphane Le Moing, directeur général de l'Agence de services et de paiement.
Mon propos tiendra en trois points.
Premièrement, je tiens à dire qu'en matière de décentralisation, objet de notre débat, l'ASP est neutre. L'agence travaille dans le cadre de règles définies par les autorités politiques. Elle peut s'adapter – cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant – à n'importe quel environnement et à n'importe quel degré de décentralisation. Les différentes situations, dans les autres États membres de l'Union européenne, le prouvent : toutes les configurations sont possibles, depuis les plus décentralisées et fédérales, jusqu'aux plus centralisées, celle de la France étant intermédiaire.
Par ailleurs – deuxième élément –, les fonds européens sont effectivement complexes. Tous nos collègues des autres organismes payeurs de l'Union européenne s'en plaignent, même s'il est vrai que le niveau de complexité est probablement plus élevé en France. Cela étant, au-delà des exigences européennes, que l'ASP, comme tous les autres organismes payeurs, respecte, l'essentiel de la complexité tient selon moi aux règles d'éligibilité aux dispositifs. Certains relèvent de l'État et d'autres des régions, ces dernières ayant d'ailleurs la main sur une partie de la gestion de la politique agricole commune (PAC) depuis la précédente programmation. À cet égard, des règles très différentes peuvent s'appliquer d'un territoire à l'autre.
Troisièmement, je tiens à rappeler que l'ASP n'influe pas sur les règles prévues par les règlements qu'on lui demande d'appliquer, qu'ils soient européens, nationaux ou, s'agissant par exemple des appels à projets, régionaux. En revanche, une fois qu'une règle existe, nous sommes obligés, en tant qu'organisme payeur, de contrôler sa bonne application. Ainsi, quand une condition est fixée pour le versement d'une aide, l'ASP a pour compétence liée de contrôler qu'elle est effectivement remplie, quoi que nous en pensions par ailleurs – en tant que directeur général, j'ai mon avis sur les sources de la complexité que nous constatons tous en France.
Je tenais à insister sur notre absence de marge de manœuvre et sur l'importance, bien sûr pour les agriculteurs, mais aussi pour l'ASP en tant qu'opérateur, de voir émerger les règles les plus favorables possible, afin que leur application reste raisonnablement complexe.
La parole est à M. Gilbert Guignand, secrétaire adjoint de Chambres d'agriculture France et président de la chambre régionale d'agriculture Auvergne-Rhône-Alpes.
La décentralisation est à la fois positive et contraignante.
S'agissant des aspects positifs, la décentralisation permet au réseau des chambres d'agriculture d'opérer au service des exploitations, sur le « dernier kilomètre », étant entendu que nous sommes au service de toutes les agricultures et de tous les agriculteurs.
Nous sommes très complémentaires des régions, avec lesquelles nous travaillons étroitement. Ces dernières élaborent des politiques agricoles différentes les unes des autres, mais le problème est ailleurs : il réside dans le manque de complémentarité et de vision commune dans certains domaines, comme celui des installations d'agriculteurs.
De plus, outre la dimension politique, dont nous discutons avec les régions et les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf), se posent des questions administratives et informatiques. En effet, les programmes informatiques sont souvent différents – là aussi – d'une région à une autre. L'ASP et les chambres d'agriculture l'ont notamment constaté s'agissant du versement des aides à l'installation. Il a fallu passer beaucoup de temps, presque une année entière, pour que les régions soient en mesure de verser ces fonds en temps et en heure.
Ainsi, nous nous retrouvons parfois pris entre l'État et les régions. De la même manière, le dispositif France Services agriculture doit découler du pacte et de la loi d'orientation et d'avenir agricoles (PLOAA). Je n'ai rien contre cet outil, mais il nécessitera de l'harmonisation et une ligne directrice nationale pour être utilisé de la manière souhaitée.
J'ai le sentiment que l'État souhaite reprendre les compétences qu'il a transférées aux régions, notamment celles du deuxième pilier liées à l'installation ou à l'investissement, mais aussi certaines mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec). Et nous, nous sommes coincés.
Nous le sommes aussi avec les agences de l'eau. Ainsi, dans ma région, elles sont trois, qui mènent trois politiques différentes. Comment construire une politique régionale de l'eau dans un tel contexte ?
Nous plaidons pour une approche davantage axée autour de l'agronomie. Notre région va des Baronnies de la Drôme aux cimes du Cantal, et l'on trouve des terres agricoles de 250 à 1 200 mètres d'altitude. Pourtant, les dates d'épandage sont pratiquement les mêmes partout ! Il faudrait mieux s'adapter aux territoires et donner plus de pouvoir aux préfets en cas d'événements exceptionnels – sécheresse, grêle, inondations.
Nous sommes convaincus qu'à l'intérieur de grandes régions aussi diverses que la mienne – avec douze départements –, nous ne pourrons avancer, moderniser notre agriculture et produire pour assurer notre sécurité alimentaire sans projet de territoire, pour l'économie ou l'eau par exemple. Il faut rendre du pouvoir aux territoires, afin de retrouver une dynamique et du bon sens paysan, en collaboration avec l'État et les régions. C'est une demande très forte des chambres d'agriculture.
Je vous remercie pour vos propos introductifs. Nous allons poursuivre ce débat avec les questions, dans un format qui n'est pas tout à fait habituel à l'Assemblée nationale. Les questions seront posées dans l'ordre dans lequel elles sont transmises au service de la séance. Elles durent deux minutes et les invités ont ensuite deux minutes pour répondre. Je vous invite à préciser à qui vous souhaitez adresser votre question.
La parole est à M. Paul Molac.
Quand je vous écoute, j'ai l'impression que l'administration centrale ne veut pas prendre en compte ce qui s'est passé dans les années 1980, avec la création de régions dotées de compétences, notamment économiques, confirmées par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi Notre).
Cela donne une impression d'empilement : on a une idée géniale à Paris mais sans avoir préalablement analysé ce qui existait dans les régions. Ne s'agit-il pas d'un pilotage à l'aveugle, l'État décidant de politiques que les régions ont déjà déployées ?
Ces dernières sont directement au contact des agriculteurs et de leurs besoins. Ainsi, vous avez évoqué l'exemple des épandages : on ne peut pas épandre quand il pleut énormément – le lisier irait directement à la rivière. Pourtant, il existe une période d'épandage à laquelle on ne peut pas déroger. Cela n'a aucun sens d'un point de vue agronomique ou agricole.
L'organisation de l'agriculture française est complexe. Certains estiment qu'il y a trop de porcs en Bretagne : faut-il les répartir partout en France ? Croyez-vous que le céréalier du Bassin parisien, le viticulteur du sud-ouest ou l'arboriculteur du sud-est vont se mettre à élever des porcs ? Certainement pas !
Ne ferait-on donc pas mieux de confier un certain nombre de décisions aux régions, en fonction du profil de leurs agriculteurs et de ce qu'elles veulent faire de leurs territoires ? On assiste à des va-et-vient néfastes : ainsi, s'agissant des Maec, nous avons embêté ce pauvre Fesneau pendant plus de six mois pour savoir comment il allait les verser !
L'État n'aurait-il pas oublié de prendre en compte la régionalisation ? Ne fait-il pas confiance aux régions, qui sont pourtant les plus proches des territoires.
Vous avez raison, nous faisons face à une administration à mémoire de forme. Quand un ministre prend une décision qui vexe une partie de son administration, le ministre suivant se retrouve avec des propositions allant en sens inverse – les Maec en sont un bon exemple.
Pourtant, personne n'y gagne, ni le ministre, ni les territoires, ni les agriculteurs. Bien entendu, une vision nationale est indispensable pour soutenir notre ambition d'atteindre la souveraineté alimentaire. C'est un élément clé, sur lequel s'accordent beaucoup d'acteurs.
Mais il faut considérer les différentes agricultures françaises et cela ne peut se faire qu'à l'échelle de territoires plus petits. Or, les régions sont la maille choisie par le législateur pour décliner les politiques publiques en la matière, en prenant en compte nos agricultures, nos traditions, nos terroirs, nos conditions de sol et de climat, et nos manières de faire.
Pourquoi les Maec fonctionnent-elles dans certaines régions et pas dans d'autres ? Pourquoi certains plans d'accompagnement, issus d'un partenariat fort entre régions et chambres d'agriculture, fonctionnent-ils dans certains territoires, et moins dans d'autres ? Pourquoi sait-on s'ouvrir à différents réseaux dans certaines régions, là où, dans d'autres, on est sur des réseaux exclusifs ? C'est le fruit de l'histoire de chaque territoire. Paris ne peut pas arguer de la simplification pour déployer un fonctionnement unique sur tout le territoire puisque, ensuite, on installe pleins de filtres pour s'adapter à chacun des territoires.
Quand, pour répondre aux agriculteurs, à des calamités ou à des situations particulières, on met en place des appels à projets divers et variés, on introduit de la complexité dans le système, car ces appels à projets ne tiennent pas compte des politiques publiques régionales, souvent négociées avec les chambres et les partenaires syndicaux des territoires. Il serait donc plus pertinent de prévoir des enveloppes nationales et une contractualisation avec les territoires, afin de mieux s'adapter aux situations locales.
Je rappelle que les deux minutes doivent permettre à tous les intervenants de répondre, même si l'exercice est un peu compliqué, je le reconnais. Les deux autres intervenants souhaitent-ils néanmoins ajouter un mot ?
La parole est à M. Stéphane Le Moing.
Ne représentant pas l'État, je n'ai pas la légitimité requise pour répondre sur l'opportunité de ce que vous suggérez.
Mais vous avez évoqué les va-et-vient s'agissant des Maec. La décision a été prise pour de bonnes raisons, à partir d'un constat commun aux régions et à l'État : l'empilement de compétences dont parlait M. Chesnais-Girard avait abouti au cumul de complexités diverses, et à une diversité de Maec sur le territoire. Or, en France, le seul organisme payeur est l'ASP, qui se retrouvait confronté à une tâche déraisonnable compte tenu des délais. C'est à partir de ce constat que l'État a pris la décision de récupérer les Maec.
Ma question s'adresse aux trois intervenants. Quand on parle de décentralisation des politiques publiques agricoles, on doit aussi s'intéresser à la question de la représentativité des acteurs locaux dans les instances locales, chambres d'agriculture départementales ou sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) par exemple, dont la composition est fortement liée aux résultats des élections des chambres d'agriculture.
Les élections approchant, des interrogations, voire des contestations, émergent au sein du monde agricole autour du mode de scrutin, certains estimant qu'il favorise largement ceux arrivés en tête, au détriment de la représentativité du monde agricole départemental, et d'une prise en compte plus large des différents acteurs locaux. Qu'en pensez-vous ?
Je souhaite également évoquer l'importance de la décentralisation en matière de bifurcation écologique, afin notamment de préserver les races et variétés locales, de moins en moins soutenues suite aux dernières adaptations législatives. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Quels soutiens sont envisageables ? Ne faudrait-il pas redonner plus de pouvoirs aux territoires ? L'adaptation des races aux paysages locaux me semble intéressante pour la bifurcation.
Les élections au sein des chambres sont comme vos élections politiques : celui qui a la majorité commande. Nous sommes élus sur la base de listes syndicales – Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Jeunes agriculteurs (JA), Confédération paysanne ou Coordination rurale. Quand nous sommes élus, si nous sommes majoritaires, nous défendons ensuite l'ensemble des agricultures et des agriculteurs.
Il existe des programmes agricoles départementaux – même s'ils sont de plus en plus régionaux. Pour ma part, je pense écouter tous les acteurs régionaux. C'est notre ligne de conduite, celle que nous avons construite. Je n'ai pas l'impression que nous laissions certains agriculteurs de côté au sein des chambres d'agriculture. Peut-être ne veulent-ils pas venir nous voir, mais c'est différent.
Vous m'interrogez sur les races locales. Nous menons des programmes sur les races à faible effectif en Auvergne Rhône-Alpes, comme dans d'autres régions, mais il n'est pas possible d'allouer le même budget à ces programmes qu'à la viticulture, qui représente, dans ma région, la première filière économique. Cela explique les arbitrages financiers.
Je vous le répète, je ne me sens pas mal à l'aise dans mon rôle de majoritaire pour travailler avec les agriculteurs, avec les paysans. Si, pour vous, ce sont les minorités qui commandent, chez nous, en chambre d'agriculture, c'est encore la majorité.
En matière agricole, la décentralisation s'avère complexe et soulève de nombreux défis. La répartition des compétences entre les différents niveaux de gouvernance – nationale, régionale, locale – doit être précisément définie pour éviter les chevauchements et les conflits. En outre, les acteurs locaux doivent disposer des compétences et des ressources nécessaires, notamment financières et d'ingénierie, pour assumer leurs responsabilités. Enfin, même en décentralisant et en se rapprochant du terrain, il faudra toujours combattre la complexité des procédures administratives, qui étouffe nos agriculteurs. La coordination entre les différents niveaux de gouvernance est essentielle pour garantir la cohésion des politiques agricoles.
Pourrons-nous éviter que des disparités territoriales ne créent une nouvelle concurrence déloyale en France, à l'instar de ce que nous vivons déjà avec nos voisins européens ?
Les sols et les climats sont déjà des facteurs de concurrence déloyale entre nos régions. Par rapport à l'Occitanie ou à la région Auvergne-Rhône-Alpes, ma région, la Bretagne, ne se trouve pas du tout dans la même situation pédoclimatique et ne produit donc pas dans les mêmes conditions. Or cela est rarement pris en compte dans les décisions prises au niveau national : lors des rencontres qui réunissent l'État, les régions, les chambres d'agriculture et les syndicats, on s'en tient aux grandes masses, s'en tenir compte des particularités de nos territoires.
Or, je le répète, en procédant par des actions locales coordonnées au niveau des régions, au service d'une ambition définie nationalement, nous pourrions élaborer les dispositifs adéquats. Cela a été démontré par l'éducation nationale : il y a vingt-cinq ans, tout le monde pensait que l'égalité républicaine ne résisterait pas à l'octroi des compétences sur les écoles, les collèges et les lycées aux communes, aux départements et aux régions. Or nous avons prouvé qu'il était possible de s'adapter aux spécificités locales, dans les zones très denses ou, au contraire, très peu denses.
Il en va de même pour l'agriculture, avec cette caractéristique supplémentaire qu'elle dépend des sols et du climat, et que le changement climatique est en train de s'accélérer.
Le bon sens paysan implique de coller à l'actualité, au territoire, au terrain : voilà ce que nous voulons et ce que nous faisons avec la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Vous parliez de la transposition à outrance des normes et vous aviez raison : c'est ce qui nous dérange parce que c'est en train de tuer nos paysans. Lorsqu'ils se sont révoltés, il y a deux ou trois semaines, c'était certes pour des problèmes de revenu, mais surtout à cause de ces normes que l'on définit à Bruxelles ou à Paris et que l'on fait appliquer de Marseille jusqu'à Lille. Or, comme l'a dit le président Chesnais-Girard, nous ne sommes pas tous dans la même situation ! C'est pourquoi nous sommes en faveur de la décentralisation : nous voudrions même aller un peu plus loin et que, sans aller jusqu'au niveau cantonal, on descende au moins au niveau des territoires.
Prenons la gestion de l'eau : les différences entre territoires sont flagrantes. Il faut prendre en compte le cadre économique – l'eau est une ressource qui doit être partagée, elle n'est réservée ni aux agriculteurs, ni aux industriels, ni aux collectivités. Nous devons construire des projets de territoire globaux, à l'échelle d'un versant ou d'une vallée. Nous n'y arriverons pas en prenant les décisions à Paris ou à Lyon : il faut redescendre au niveau des territoires. Il existe en effet parfois deux ou trois territoires spécifiques dans un département. C'est pourquoi je vous ai demandé que nous puissions travailler avec les préfets et qu'ils puissent adapter la réglementation nationale au cadre local.
Ma question s'adresse au président de la région Bretagne.
Parmi les nombreuses pistes pour améliorer la condition des agriculteurs, certaines relèvent de décisions nationales ou européennes et peuvent se révéler longues et complexes à mettre en œuvre. D'autres, comme la décentralisation de certaines compétences, notamment la gestion des aides, des incitations et des indemnisations, semblent plus concrètes et plus simples à déployer. La région Occitanie et sa présidente, Carole Delga, se sont portées volontaires pour expérimenter cette gestion décentralisée – c'est peut-être le cas d'autres régions.
La décentralisation ne constitue cependant pas une fin en soi : elle ne servirait à rien si elle se réduisait à une simple délégation administrative. Elle pourrait certes contribuer à réduire les délais mais resterait insuffisante si elle ne permettait pas de peser sur les grandes orientations politiques.
Ainsi, il faudrait que les régions autorisées à expérimenter le pilotage des aides, des incitations et des indemnisations puissent favoriser les structures vertueuses, qui respectent des critères de durabilité, d'adaptation des cultures et de circuits courts plutôt que celles lancées dans une fuite en avant vers l'agrandissement, la mécanisation et l'industrialisation de l'agriculture.
Aujourd'hui, à l'échelle européenne, 80 % des aides sont captées par 20 % des agriculteurs : il est urgent d'inverser cette tendance. La décentralisation est peut-être un bon outil pour ce faire. Qu'en pensez-vous ?
Je vous répondrai d'abord en tant que président de la commission agricole de Régions de France.
Les régions veulent expérimenter : elles souhaitent proposer au Gouvernement d'aller plus loin en la matière pour faciliter la vie des agriculteurs. Dans un monde de plus en plus complexe qui exige d'adapter les politiques publiques aux situations des territoires – la sécheresse, les tempêtes, le recul des traits de côte, les maladies, notamment les épizooties – nous avons besoin de la puissance de l'État mais aussi de la réactivité des équipes locales.
Je prends maintenant ma casquette de président de la région Bretagne. Il faut mener un grand débat, dès à présent, pour préparer la PAC pour 2027-2032. 2027, cela peut paraître loin, mais c'est demain ! Je peux vous assurer que d'autres, en Europe, s'organisent, avec une vision très claire de ce qu'ils veulent. Si nous restons dans un débat de court terme et interne à la France pour améliorer l'efficacité de notre politique agricole sans nous préoccuper du débat sur la prochaine PAC, nos chances de peser dans ce dernier s'amenuisent.
La prochaine PAC devra prendre en compte la dignité des agriculteurs et la question de leurs revenus. Il ne faut peut-être pas envisager des prix planchers, mais de nouveaux mécanismes, notamment contracycliques, des politiques européennes pour assurer une juste rémunération : ils ne peuvent être discutés qu'à l'échelon européen – je souhaite évidemment que la campagne électorale qui va s'ouvrir mette la question au cœur des débats –, avec les autres États membres et dans le nouvel hémicycle.
Si l'on choisit de rester dans la logique basique du nombre d'euros par hectare, sans comprendre qu'il y a des périodes où on gagne beaucoup, comme c'est le cas en ce moment pour le porc en Bretagne, et d'autres où c'est la catastrophe et où l'on appelle à la rescousse les régions, l'État et l'Europe, on passe à côté d'une occasion de réguler le marché.
L'autre solution, dont je ne suis pas le plus grand fan, c'est de fixer les prix et les salaires ; mais dans l'Union européenne telle qu'on la connaît, avec un marché ouvert, bon courage pour la mise en œuvre d'une telle politique !
Depuis la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi Maptam, les régions sont reconnues comme autorités de gestion des fonds européens agricoles, en particulier en matière de développement rural, deuxième pilier de la PAC.
Cependant, depuis l'an dernier, les conseillers régionaux ont seulement en charge les mesures non surfaciques – installation, investissement agricole et agroalimentaire, forêts, programme Liaison entre actions de développement de l'économie rurale (Leader) –, tandis que les autres dispositifs reviennent à l'État – Maec, conversion en agriculture biologique, indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), gestion des risques et prédation.
Chaque région précise ses propres critères d'éligibilité, ses montants de subventions et leurs éventuelles modifications. Si les régions ont perdu en périmètre de compétences, elles ont gagné en autonomie dans la gestion des mesures qu'elles conservent, notamment en matière de politique d'installation.
L'État a gardé la main sur le paiement de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), désormais forfaitaire et uniforme, et qui s'élève à 4 470 euros par exploitation pour une durée maximale de cinq ans – elle est majorée s'il s'agit d'un groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec) regroupant plusieurs agriculteurs.
Cette approche est cependant source d'importantes inégalités de traitement. Ainsi, les « investissements bonifiés en faveur des jeunes agriculteurs » (73.17), inscrits dans le plan stratégique national (PSN) de la PAC 2023-2027, n'ont été retenus que par six régions, quand les « investissements productifs on farm » (73.01) non réservés aux agriculteurs nouvellement installés, sont appliqués de manière différenciée.
S'appuyant sur ses propres réalités, chaque région peut ainsi compléter les dispositifs existants par ceux qu'elle choisit de développer – par exemple des aides aux nouveaux agriculteurs qui ne sont pas éligibles à la dotation jeunes agriculteurs. Deux jeunes agriculteurs, dans le même domaine de production, toucheront donc des aides différentes en fonction de la région où ils se sont établis – des exemples concrets m'ont été donnés.
Ne pensez-vous pas que la régionalisation, si elle permet d'adapter les mesures aux préoccupations spécifiques de certains territoires, doit également être soumise à des exigences d'équité et de cohérence générale ? Quelle est votre position sur ces distorsions interrégionales dans l'attribution des aides ?
Il était primordial de laisser à chaque région la capacité d'inventer des dispositifs d'accompagnement des jeunes agriculteurs. Nous avons débattu avec les JA et les chambres d'agriculture au sujet du niveau des aides. Le piège, c'est de comparer, comme peut le faire la presse, les aides spécifiques versées aux jeunes agriculteurs par les différentes régions ce qui peut conduire à conclure que telle région est meilleure que telle autre.
Or les aides à l'investissement réservées aux jeunes agriculteurs dans les cinq premières années sont également différentes selon les régions, ainsi que les accompagnements sous forme contractuelle, qui forment un troisième niveau d'accompagnement.
Il faut donc comparer l'accompagnement des jeunes agriculteurs par les régions pendant les cinq premières années – c'est ce que j'ai dit au président de Chambres d'Agriculture France, Sébastien Windsor, et c'est ce que nous ferons avec les chambres d'agriculture et les régions.
Nous verrons alors que nous nous adaptons à nos systèmes agricoles, qui sont, je le répète, différents, pour accompagner nos agriculteurs en fonction de situations locales contrastées. Voilà ma vision des choses, qui suppose un socle national négocié entre l'État et les régions, mais aussi une liberté pour les régions d'innover et de s'adapter aux territoires dans le dialogue avec les différents partenaires, chambres d'agriculture mais aussi représentants syndicaux des diverses obédiences du monde agricole.
Aujourd'hui, une partie des aides versées aux jeunes agriculteurs est financée par les régions. Mais il ne faut pas négliger la dimension réglementaire d'une installation, pour laquelle nous avons encore besoin des services de l'État, les aspects sanitaires et les mises aux normes, qui relèvent toujours des directions départementales des territoires (DDT). Nous devons donc trouver un équilibre entre les administrations départementales et régionales : à certains endroits, tout se passe bien, mais le degré de concertation entre les deux pôles est très variable, ce qui rend la situation actuelle complexe.
Il y a un sujet que nous n'avons pas encore abordé, c'est la question sanitaire, aussi bien animale que végétale, qui constitue d'après moi une bombe à retardement. Or, là aussi, il existe des règles et des lois. Comme le président Chesnais-Girard l'a dit, il faut que les régions travaillent en bonne intelligence avec l'État, notamment avec les Draaf, pour aboutir à des conciliations et pour que les dossiers agricoles ne prennent pas de retard.
Vous connaissez aussi bien que moi les délais qu'implique la construction d'un bâtiment agricole. Nous parlons tous de simplification administrative, de réduction des délais et de compétitivité, mais je tiens à souligner que, dans des pays proches du nôtre comme l'Allemagne, on peut monter un dossier bien ficelé en six mois, alors qu'en France il faut pratiquement deux ans, voire deux ans et demi !
Pour améliorer la compétitivité de notre agriculture, il y a là aussi des choses à changer. Je pense que…
Je suis obligée de vous interrompre afin de respecter le format convenu pour nos échanges, mais vous aurez sûrement l'occasion de rebondir sur ce point, lors d'une prochaine question.
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Je remercie les intervenants, ainsi que le groupe LIOT pour l'organisation de ce débat très intéressant.
Dans vos interventions, deux aspects ont particulièrement retenu mon attention. Le premier, c'est la question de l'adaptation aux territoires : comme vous l'avez rappelé, chaque territoire est différent et ne permet pas les mêmes productions, en fonction du sol ou de l'ensoleillement. Vous avez aussi évoqué à plusieurs reprises les conséquences du réchauffement climatique, comme le recul des traits de côte ou la gestion de la ressource en eau.
Je suis élue d'un territoire de montagne, je connais donc aussi les enjeux propres à ces territoires : l'agriculture en montagne est très différente de celle que l'on pratique en plaine. Quels sont les outils dont on dispose pour adapter l'agriculture à ces importants changements induits par le réchauffement climatique ? Vous nous dites que l'adaptation se fera à l'échelle des territoires, mais comment voyez-vous les choses exactement ?
J'entends tout à fait qu'il puisse y avoir une certaine réticence envers des normes définies loin des agriculteurs. Toutefois, nous ne pouvons pas faire comme si le réchauffement climatique n'existait pas, vous en êtes les premiers touchés.
Par ailleurs, la politique agricole actuelle s'inscrit dans un certain modèle économique. Quand je discute avec des agriculteurs, ils me disent devoir envoyer leur lait à Gap, ou leurs bovins à abattre en Bretagne. Or l'envie de consommer plus localement est palpable chez les consommateurs, tout comme celle des agriculteurs de reprendre la main dans le cadre de circuits plus courts, face à des acteurs agro-industriels, dont le fonctionnement est très centralisé. Là aussi, les régions ont un rôle à jouer, notamment en matière de structuration des filières économiques locales. Quels outils économiques identifiez-vous pour développer des circuits plus courts, qui nous permettraient de répondre à cette demande de proximité ?
Je veux bien répondre mais vous avez déjà donné beaucoup d'éléments de réponse !
Je suis un fervent partisan de l'investissement dans la recherche, l'innovation et le développement. C'est ce qui nous permettra de faire progresser notre agriculture pour qu'elle puisse s'adapter. Malheureusement, nous avons connu plusieurs années de vaches maigres, surtout s'agissant des crédits dédiés à la recherche et à l'innovation.
Tout agriculteur, comme tout responsable – politique ou autre – a en tête les enjeux relatifs aux économies d'eau, tels que les recherches de fuite dans les réseaux.
La recherche peut aboutir à des changements importants, mais il ne faut négliger les aspects financiers car passer d'un système à un autre est une prise de risque. C'est pourquoi nous avions proposé une mesure de transition, qui visait à accompagner les agriculteurs dans leur changement de gestion des exploitations et de la production.
S'agissant de la consommation locale, nous y sommes très favorables, mais nous avons quelques inquiétudes relatives aux projets alimentaires territoriaux. Vous le savez mieux que moi, les démarches administratives liées aux marchés publics sont problématiques et découragent les agriculteurs qui pourraient fournir les cantines des collèges, par exemple. En les simplifiant, nous serions capables de nous adapter à vos demandes.
Ma question synthétise ce débat, tout en en reprenant le titre : à quel point la PAC est-elle soluble dans la décentralisation ? Autrement dit, que peut-on faire de mieux, dans la perspective de la PAC 2027, en matière de subsidiarité ? Les blocages pour les régions se situent-ils au niveau de l'État ? Peut-on aller plus loin ? Les régions s'occupent beaucoup du deuxième pilier – avec des nuances bien sûr : Maec, installation et investissement. Pourrait-on penser différemment une PAC 2027 ?
J'ai noté avec intérêt la remarque de Loïg Chesnais-Girard sur les prix fixes ; je ne saisis pas non plus comment on pourrait arrêter des prix fixes dans une Europe à vingt-sept, mais je ne demande qu'à comprendre.
Évidemment, toutes les régions ont des besoins différents. Les enjeux relatifs à l'installation, aux mesures de compensation ou de service environnemental ne sont pas les mêmes en Bretagne, en Occitanie ou dans les régions alpines. Peut-on aller plus loin en matière de subsidiarité, avec un résultat que l'on peut estimer meilleur pour l'agriculture et les filières de chaque territoire ?
C'est un vrai débat. En procédant à une comparaison avec les régions des autres États membres, on verrait que la première question consiste à se demander s'il faudrait un règlement national, une orientation nationale avec des règlements régionaux, ou encore un règlement national intégrant dix-huit volets correspondant aux dix-huit régions – en métropole et outre-mer.
Cela constitue déjà un beau sujet de débat. Ensuite il faut gérer la complexité : soit on assume de créer des filiales de l'ASP dans les régions – et cela a un coût –, soit on attribue le pilotage d'une partie des politiques nationales par l'ASP, alors qu'une autre partie est assumée par les régions, dans un objectif de simplification. Soit dit en passant, la Corse paye !
Elle est dans la République et elle parvient à payer, comme la loi le prévoit, cependant que l'on dit aux autres régions que c'est trop compliqué et que la France est une et indivisible !
Sourires.
La solidarité est un autre sujet de débat, parce que les climats, les sols et les situations ne sont pas les mêmes ; et parce que les moyens financiers et les revenus ne sont pas non plus les mêmes. Le revenu agricole d'un éleveur bovin extensif en herbe, en montagne ou en Bretagne, est très faible. En revanche, l'élevage porcin ou la culture céréalière se portent bien.
Les situations sont donc très variées. Dire qu'il faut un seul système de paiement en France revient à créer des situations très injustes. Ce débat est particulièrement compliqué ; nous ne pourrons certainement pas l'ouvrir compte tenu de l'ambiance actuelle, mais il faudra le tenir. Au niveau national, il déboucherait sur un blocage, en raison notamment de postures syndicales nationales, comme l'a indiqué votre collègue ; mais au niveau local, il pourrait être beaucoup plus apaisé, avec les mêmes syndicats qui, à cette échelle, comprennent l'intérêt de défendre des évolutions sur différents sujets, de l'usage des pesticides aux rémunérations, en passant par les efforts de transition que nous devons assumer.
Je vous remercie de votre présence à ce débat sur la décentralisation, qui me tient à cœur en tant que député du Gers. Dans le Sud-Ouest, nous subissons de plein fouet le changement climatique et les disparités territoriales, qui nous mettent en difficulté. Il y a quelques semaines, la contestation est d'ailleurs partie de cette région.
Monsieur le président de la région Bretagne, vous avez évoqué la nécessité de mieux coordonner et de simplifier les politiques publiques nationales et régionales, afin notamment d'éviter la surtransposition des cahiers des charges qui provoque parfois des difficultés pour les agriculteurs cherchant à financer leur développement.
Je souhaite plutôt mettre l'accent sur l'ASP, s'agissant des difficultés des exploitations. En fin d'année 2023 comme en début d'année 2024, nous constatons les difficultés à obtenir les paiements du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), dont les délais sont assez longs ; ils sont peut-être dus à des problèmes techniques, mais il existe aussi un problème de contrôle et de surtransposition des exigences européennes, instaurée notamment par les services de l'ASP. Comment faire pour que les contrôles ne soient pas une surtransposition et permettent de débloquer plus rapidement les aides que vous devez payer et qui sont au cœur du problème de trésorerie des agriculteurs ?
Ma deuxième question s'adresse au représentant de Régions de France. S'agissant de la PAC non surfacique et le Feader, un transfert a eu lieu il y a quelques années ; puisqu'il est question de décentralisation, considérez-vous qu'il concerne également les moyens associés ? Il n'y aura pas de décentralisation sans décentralisation des moyens humains et financiers associés ; à cet égard, les régions sont-elles satisfaites ? J'ai déjà une petite idée à ce sujet, étant moi-même conseiller régional de la région Occitanie.
Je suis surpris que vous évoquiez les aides du Feader, parce qu'une nouvelle gouvernance a été instaurée dans la perspective de la nouvelle programmation européenne. Désormais, les régions ont à la fois la main sur les politiques, comme précédemment, mais aussi sur les outils. L'ASP demeure l'organisme payeur unique en France s'agissant de ces aides.
Il est donc nécessaire que l'interface entre le système de gestion des régions, qui sont autonomes, et les systèmes d'information de l'Agence, en tant qu'organisme payeur, fonctionne efficacement. Les outils sont en place à l'ASP, alors que les régions finalisent leurs propres outils de gestion, selon des rythmes d'avancement très différents.
Par conséquent, je ne vois pas comment on peut reprocher à l'Agence de ne pas payer les aides, notamment à l'installation, qui sont désormais à la main des régions. De plus, il n'existe pas de problèmes particuliers dans le versement direct, par le biais de l'Agence, des aides pour lesquelles il reste des crédits relevant de la précédente loi de programmation. J'avoue ne pas comprendre la nature des difficultés que vous avez évoquées.
J'ai quelques dossiers d'aide à l'installation qui sont à nouveau en cours d'analyse par l'ASP, alors qu'ils l'ont déjà été dans ma région. Les règles imposées par la loi présentent donc des complexités que nous pourrions simplifier ; vous y avez fait allusion au début de votre propos et nous pourrons y revenir.
Je vais avoir besoins de quelques dizaines de secondes supplémentaires pour répondre à la deuxième question. Oui, il existe un problème de transfert des moyens de l'État lorsque celui-ci transfère une compétence. Les régions ont récupéré les aides à l'investissement et à l'installation ; elles ont également récupéré des agents de l'État, mais dans une moindre mesure que lorsque l'État assumait cette compétence. Au nom de Régions de France, nous avons demandé une réévaluation, qui a été effectuée par une autorité indépendante. Celle-ci a reconnu que les effectifs n'étaient pas à niveau et a préconisé de continuer à discuter. Nous discutons.
Je souhaite poser deux questions simples qui s'inscrivent dans la continuité des annonces faites il y a maintenant plus d'un an et demi. Au salon Terres de Jim, dans le Loiret, le Président de la République a annoncé une loi d'orientation d'avenir agricole, avec un objectif de simplification ; l'idée d'un guichet unique a réapparu à l'occasion des débats provoqués par la crise agricole que nous connaissons. Ce projet de loi d'orientation agricole était censé être examiné en 2023 ; il le sera d'ici à l'été 2024. Depuis un an et demi, nous voulons définir ce guichet unique
Les régions financent, par le biais de subventions, des projets, des installations, des infrastructures, de la recherche parfois, mais aussi des aides – vous venez de le rappeler, monsieur le président de région. Parallèlement, certains départements vont s'octroyer une compétence optionnelle sur le sujet et voudront intervenir. Finalement, l'État et plusieurs collectivités territoriales seront parties prenantes. Comme partout dans l'économie, le guichet unique, c'est un peu l'Arlésienne qu'on ne voit jamais. Les pauvres paysans se retrouvent contraints de se tourner vers différents interlocuteurs. J'ai hâte de découvrir ce guichet unique, que j'appelle de mes vœux ; espérons qu'il convienne à l'ensemble des acteurs de terrain.
Ma seconde question concerne les chambres d'agriculture. À plusieurs reprises, j'ai rappelé au ministre de l'agriculture qu'il manquait, dans la loi d'orientation agricole, le volet du modèle économique. Il s'agit d'accompagner les agriculteurs au plus près du terrain, y compris en matière de conversion ; il faut savoir dire aux paysans lorsqu'une production est morte et savoir les accompagner dans leur transition, en tenant compte de l'ensemble de la chaîne de valeur. J'aimerais entendre les chambres d'agriculture à ce sujet.
S'agissant du guichet unique, la situation est réglée entre les collectivités si chacune respecte la loi, puisque le législateur, dans sa grande sagesse, a précisé que les régions sont les chefs de file. Lorsqu'une intercommunalité décide de se lancer, elle doit demander à la région une délibération pour s'assurer de la cohérence des politiques publiques. Quant aux départements, ils sont exclus de ce dispositif, sauf dans des cas très spécifiques et après délibération de la région. Si les préfets ne font pas respecter ces règles et ce principe, on rajoute en effet de la complexité.
En revanche l'État, pour des raisons diverses et variées, peut décider de lancer un appel à projets consacré aux engins agricoles, au renforcement des toitures pour installer des panneaux photovoltaïques, aux haies ou à divers dispositifs. Ces appels à projets viennent percuter les aides que nous octroyons ; pire, lorsque l'État utilise des fonds européens pour lancer des appels à projets, ces financements se superposent aux aides des régions, qui sont elles-mêmes issues de fonds européens, ce qui est interdit. Les agriculteurs se retrouvent alors fort marris puisque, après leur avoir dit oui, on leur dit finalement non, l'argent européen national croisant l'argent européen régional.
Il me semble donc que, quand l'État veut lancer un projet, il faut qu'il renvoie vers les régions, par contractualisation, la politique qu'il veut mener, assortie des indicateurs adéquats ; elles la mettront alors en œuvre. Sinon, qu'il reprenne les compétences aux régions et on aura de la simplification !
S'agissant de la PLOAA, nous avons tenu des débats avec les administrations régionales, la région et la profession agricole, au cours desquels nous avons exprimé plusieurs souhaits. Certains d'entre eux se retrouveront dans le projet de loi qui sera bientôt présenté.
L'accompagnement des filières est un sujet majeur. Dans ma région, l'une d'elle me préoccupe particulièrement : la viticulture du sud de la vallée du Rhône. Il nous faut élaborer, avec l'État et la région, des plans de filière communs pour réorienter les agriculteurs.
Les aides publiques, c'est bien, mais ce ne sont parfois qu'un emplâtre sur une jambe de bois, et nous faut travailler sur les sujets de fond pour trouver des solutions aux producteurs. Ainsi, les producteurs de lavande ont perdu leurs débouchés et doivent être réorientés ; trouver des solutions, c'est le travail de la chambre d'agriculture. Mais certains marchés ne sont pas faciles à intégrer ; de plus, après la production viennent la transformation et tout ce qui se fait en aval, qui ne s'invente pas en un jour ; enfin, les producteurs sont toujours en concurrence.
En travaillant avec la région, au moins peut-on avoir une vision à moyen terme. Reste que l'accompagnement des viticulteurs est délicat : allez leur dire qu'ils doivent arracher toutes leurs vignes ! On essaye de le leur faire comprendre, mais tous ne veulent pas l'entendre car, derrière les vignes, il y a souvent une histoire familiale. Mais on le sait, l'agriculture d'aujourd'hui ne sera pas celle de demain.
Et puis, il y aura de nouvelles productions dans le sud de ma région en raison du changement climatique qui nous frappe de plein fouet. Ce sera à nous de trouver des solutions avec les agriculteurs, car les propositions des chambres d'agriculture dont ces derniers ne voudraient pas ne serviraient à rien. Si demain nous ne travaillons pas tous ensemble, y compris avec nos collectivités, sur tous les sujets, on sera tous perdants.
Messieurs, je vous remercie tous les trois pour vos éclairages et pour vos réponses.
Suspension et reprise de la séance
Je suspends la séance un instant avant de passer à la seconde partie de ce débat.
La séance, suspendue à vingt-deux heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Je remercie le groupe LIOT d'avoir proposé l'inscription de ce débat à l'ordre du jour. Cela me donne l'occasion de rappeler les préoccupations et les objectifs du Gouvernement en matière de simplification et d'adaptation de notre politique agricole aux réalités du terrain.
Nous engageons un tournant dans l'action publique avec l'ambition, d'une part, de faciliter la vie de nos agriculteurs en simplifiant les procédures et les normes partout où elles peuvent l'être de manière concrète dans l'action au quotidien des agriculteurs et, d'autre part, de s'engager pleinement, territoire par territoire, dans la transition et dans l'adaptation de notre agriculture au changement climatique.
Il y a près d'un mois, le Premier ministre, Gabriel Attal, a présenté un ensemble de soixante-deux mesures pour soutenir nos agriculteurs et renforcer la souveraineté alimentaire de notre pays. Ce plan prévoit notamment un volet pour simplifier et faciliter la vie d'agriculteurs confrontés à un empilement de normes tel qu'ils perdent du temps et parfois même le sens de leur travail.
Dix mesures de simplification immédiates, réglementaires comme législatives, ont été annoncées et leur déploiement a déjà commencé. Je pense en particulier à la simplification des curages des cours d'eau agricole – sujet de grande actualité après les inondations survenues dans le Pas-de-Calais –, qui a fait l'objet d'un décret publié, mais également à la réduction des délais de recours contre les projets hydrauliques et d'élevage – un décret a été transmis au Conseil d'État le 13 février et nos travaux se sont inspirés de ceux réalisés dans le domaine des énergies renouvelables.
Je pense aussi à la réduction des délais de contentieux des projets relatifs à la gestion de l'eau par la suppression d'un niveau de juridiction, également inspirée par notre politique en matière d'énergies renouvelables – un décret a été transmis au Conseil d'État –, et par l'application de la présomption d'urgence – un article a été intégré au projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, lui-même transmis au Conseil d'État.
Parmi ces dix mesures, on trouve la simplification et l'unification des quatorze régimes applicable aux haies, sujet abondamment commenté par plusieurs parlementaires – un article sur ce sujet est intégré au projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles. Je citerai aussi la révision des procédures de contrôle – une mission interinspections a été lancée cette semaine.
Nous souhaitons que ce choc de simplification advienne également au niveau européen. Ainsi, nous avons saisi la Commission européenne et travaillé avec nos partenaires pour alléger la charge administrative qui pèse sur les agriculteurs. Plusieurs victoires ont déjà été obtenues, je pense notamment à la dérogation sur les jachères – particulièrement adaptée cette année – ou encore à la rationalisation des contrôles applicables aux agriculteurs, en facilitant en particulier l'application du droit à l'erreur.
Le 26 janvier, le Premier ministre a également annoncé le lancement du « mois de la simplification », dont l'ambition serait, en partant du terrain et du point de vue de l'agriculteur, de travailler dans chaque département, avec les préfets, pour faire remonter des propositions de mesures de simplification, qui pourraient ensuite se traduire par la modification de normes par arrêté préfectoral. Dans ce cadre, 2 500 propositions de nature très diverses ont déjà été recueillies ; certaines ont déjà permis la modification de soixante-trois arrêtés préfectoraux et d'autres sont encore en cours d'instruction dans les départements, sachant que toutes n'impliqueront pas de telles modifications. En tout état de cause, nous défendons une démarche ascendante qui doit permettre de mieux comprendre, à partir de cas très concrets, la nature des mesures de simplification que nous pouvons appliquer.
Notre approche a donc consisté à nous mettre à la place des agriculteurs et à chercher à simplifier les démarches qu'ils doivent réaliser, en évitant les redondances, à mieux appliquer, sur le terrain, le droit à l'erreur pourtant institué il y a quelques années – quand on regarde les choses de près, il ne trouve pas toujours de traduction concrète –, et à améliorer l'accompagnement des usagers dans la sollicitation de différents dispositifs.
La contribution des organisations syndicales, des organismes consulaires et mutualistes, des organismes d'expertise et des collectivités à ce chantier de simplification a été précieuse.
Le 21 février, Marc Fesneau, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, a réuni le Conseil supérieur d'orientation agricole (CSO) pour un premier exercice de simplification dont le suivi mensuel sera assuré jusqu'à l'été.
Comme vous le constatez, nous nous attaquons à la simplification sur tous les fronts. Nous sollicitons les représentants des agriculteurs, nous partons du terrain, nous agissons à l'échelon européen et nous nous fondons sur les difficultés que les parlementaires ont eux-mêmes pointées dans leurs travaux.
En matière d'agriculture, il faut évoquer les différentes situations territoriales. Les particularités de la vigne des Pyrénées-Orientales ne sont en effet pas celles de l'endive du nord de la France ou encore celles de la Salers du Massif central. Ceux qui les connaissent le mieux sont les acteurs locaux dans leur diversité, tout particulièrement les collectivités territoriales. Afin de renforcer l'efficacité de notre modèle agricole, elles devront donc être plus étroitement associées à l'élaboration des politiques publiques agricoles.
Associer, c'est d'abord concerter, ce que nous avons fait ces dernières années. Le pacte d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture, présenté par Marc Fesneau le 15 décembre dernier, en est une preuve : construit grâce à une concertation de plusieurs mois, menée dans chacune de nos régions, y compris dans les outre-mer, il comprend trente-cinq mesures devant permettre la réconciliation entre agriculture et société et faciliter l'installation de nouveaux agriculteurs, alors que 200 000 agriculteurs sont susceptibles de prendre leur retraite dans les prochaines années.
Le remplacement des générations constitue un véritable défi. Vous en avez déjà parlé lors de la première heure de ce débat : France Services agriculture verra le jour pour le relever et pour accompagner les porteurs de projets agricoles en étant au plus proche leurs besoins. S'agissant des aides de la PAC, le plan stratégique national a été finalisé en 2022, après deux ans de concertation, avec les conseils régionaux notamment. Ceux-ci sont en effet les autorités de gestion des aides non surfaciques, c'est-à-dire non corrélées aux surfaces agricoles, attribuées au titre du deuxième pilier de la PAC relatif au développement agricole et rural – je pense notamment aux aides à l'installation et aux aides à l'investissement.
Associer, c'est faire confiance et accompagner les initiatives qui émergent dans les territoires. Les 438 projets alimentaires territoriaux recensés en France et soutenus par des collectivités, fédèrent par exemple différents acteurs, dont les citoyens, autour de la question de l'alimentation. De nouveaux lauréats d'un appel à projets national seront annoncés le 29 février. Cet outil, créé en 2014, fonctionne et tient compte des spécificités de nos régions, tout en impulsant une mobilisation collective.
Associer, c'est enfin faire ensemble. En matière de restauration collective, la loi a assigné des objectifs ambitieux de montée en gamme à l'ensemble des acteurs publics : l'utilisation de 50 % de produits durables ou de qualité, dont 20 % de produits issus de l'agriculture biologique, ainsi que l'utilisation de 60 % de produits durables et de qualité pour les viandes et poissons – ce dernier taux devant atteindre 100 % pour la restauration collective de l'État.
Le travail est mené au niveau de chaque type de collectivité territoriale : les communes pour les écoles primaires, les départements pour les collèges et les régions pour les lycées. Nous avons mis à leur disposition un outil numérique qui permet le suivi des objectifs : la plateforme « ma cantine ». Seuls 5 000 établissements ont renseigné les informations relatives à ces objectifs : il est donc permis de penser que des progrès restent à accomplir avec les collectivités locales, notamment pour partager les bonnes pratiques de suivi des recommandations et des obligations fixées en matière d'approvisionnement des cantines en produits de qualité, issus de l'agriculture biologique et consommés en circuit court.
Dans le cadre de la gestion de la crise agricole actuelle, le Gouvernement adressera bientôt un courrier aux collectivités locales leur demandant l'inscription de leurs restaurants sur la plateforme numérique « ma cantine ». Un diagnostic partagé pourra ainsi être établi et, lors d'une conférence des solutions, que nous organiserons au début du mois d'avril, nous pourrons échanger sur les bonnes pratiques et des mesures d'améliorations qui n'engendrent pas de charge budgétaire supplémentaire et dont l'efficacité a été démontrée par l'expérience de collectivités locales.
Simplifier, adapter et coconstruire sont les maîtres mots de l'action que nous souhaitons, avec Marc Fesneau, mener au plus près des territoires.
Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes.
La parole est à M. David Taupiac.
Votre propos introductif était très général et traduit une logique descendante. De mon côté, je suis favorable à la décentralisation et à l'engagement d'une démarche ascendante. Écoutez les territoires pour construire nos politiques publiques. Nous en sommes très loin ; j'appelle à un sursaut sur ce point.
Dernièrement, vous avez notamment annoncé vouloir donner aux départements un rôle plus important en matière hydraulique, en leur permettant de participer au financement des dispositifs de sécurisation hydraulique. Comme l'a indiqué le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, les collectivités, en particulier les régions, réclament une évolution de la gouvernance. Elles souhaitent que leur rôle dans les comités de bassin soit renforcé. Le problème est que ces annonces sont faites sans que nous ayons connaissance des moyens qui seraient alloués. Pourtant, décentraliser, c'est aussi transférer des moyens. Cette évolution doit être assortie d'une réelle réflexion sur la fiscalité de l'eau pour conforter les moyens d'action. Quels arbitrages le Gouvernement rendra-t-il en la matière ?
Par ailleurs, alors qu'elles ont insufflé un espoir de rééquilibrage du partage de la valeur, il est incompréhensible que les lois Egalim 1 et 2, de 2018 et 2021, ne produisent pas encore d'effets. Les régions souhaitent structurer et renforcer les circuits d'approvisionnements locaux et régionaux. Disposant de nombreux leviers de soutien aux filières, à la production agricole et à la production sous signe de qualité, elles proposent de piloter des schémas d'approvisionnement en produits agricoles et alimentaires locaux.
Le transfert vers les départements et les régions des gestionnaires de restauration des collèges et des lycées, qui gèrent le budget alloué par ces collectivités, devrait résoudre un des problèmes que nous rencontrons – c'est une demande récurrente. En effet, les départements et les régions ne peuvent pas appliquer leurs propres politiques publiques en matière alimentaire. Envisagez-vous de transférer les gestionnaires de restauration vers ces collectivités ?
Je n'ai pas adopté une logique descendante, mais, au contraire, j'ai récapitulé toutes les actions que nous avons menées en partant du terrain et en associant étroitement l'ensemble des collectivités locales.
Je reviens donc sur trois de ses actions en complétant mes propos précédents. D'abord, toutes les régions, dans le cadre de leurs compétences, ont été associées à l'élaboration du PSN. La gestion des aides non surfaciques de la PAC leur a ainsi été transférée.
Ensuite, dans le cadre de son élaboration, le pacte agricole a fait l'objet d'une longue concertation sur le terrain, notamment au sein des régions, y compris en outre-mer. Il comporte des mesures qui traduisent la vision des collectivités locales.
Enfin, on ne saurait faire plus ascendant à partir du terrain que la démarche qui a consisté à faire remonter 2 500 propositions de simplification, formulées par des agriculteurs depuis la réalité des cours de leur ferme, puis à les examiner une par une.
En dépit des dispositions de la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Egalim 2, seules 5 000 cantines sont inscrites sur le site ma-cantine.agriculture.gouv.fr, alors que cette démarche ne nécessite pas spécialement l'allocation de moyens par les collectivités locales. Ces cantines communiquent une information très utile, qui révèle une très grande diversité de pratiques, de performances et de réussites. Ce matin, j'étais avec des représentants de la restauration collective, notamment avec les quarante-quatre représentants des associations des régions et des départements engagés dans l'application d'Egalim 2. Au-delà de la demande, parfois relayée, visant à transférer les gestionnaires de restauration, ils m'expliquaient – je pense notamment aux représentants du département de l'Essonne –, en prenant des exemples très précis, qu'ils avaient réussi à appliquer pleinement la loi : ils ont augmenté la part de produits bio et d'approvisionnement local dans les marchés publics. C'est l'enjeu principal.
La question du transfert des gestionnaires de restauration ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Certaines collectivités locales atteignent ou se rapprochent de leur objectif. Vous avez raison de soulever cette question légitime, mais elle ne constitue pas le point bloquant. Nous devons tous nous retrousser les manches, notamment l'État, étant donné que toutes ses cantines n'atteignent pas les objectifs d'Egalim 2. Nous devons nous concentrer sur l'élaboration des cahiers des charges, sur la formation des cuisiniers et sur les systèmes d'information qui permettent de réduire le gaspillage – c'est l'un des objectifs de la loi. On recourt à une gestion en régie ou à une gestion déléguée des cantines afin d'atteindre ces objectifs.
Je rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes. Il s'agit d'une séance publique comme celles qui se tiennent dans l'hémicycle, même si son format est un peu particulier puisque, lors de la première partie du débat, nous avons reçu des invités extérieurs.
La parole est à M. Benoit Mournet.
Ce n'est pas tout à fait un hasard si la crise agricole que nous traversons est née dans le Sud-Ouest. Notre agriculture y est plus familiale, plus paysanne et plus pauvre que dans d'autres régions. Pour bien répondre à cette crise, il faut s'adapter à la diversité des terroirs. Ma question sera simple : y a-t-il encore une place pour une agriculture paysanne et pastorale, qui n'a pas nécessairement besoin d'engager une transition écologique qu'elle pratique déjà ?
Je vous amène quelques instants dans les Hautes-Pyrénées. Côté montagne, notre modèle, soutenu par l'Europe, est agropastoral, avec des estives collectives. Il nous a fallu plaider très fortement pour que des mesures de simplification relatives aux tirs de défense soient prises. Nous subissons les prédations de l'ours, notamment dans les Pyrénées. L'existence d'une double prédation – l'ours et le loup – devrait conduire à définir des zones difficilement protégeables.
Du côté des plaines et des coteaux, la pérennité de l'élevage est encore plus critique. En effet, il s'agit de terres plutôt ingrates et difficilement accessibles. Le modèle agricole des coteaux de Galan et du Val d'Adour, qui consiste à pratiquer l'élevage à côté des cultures, a de la valeur. Nous n'avons pas compris pourquoi certaines communes des coteaux ont été sorties du zonage ICHN.
Je précise que je ne mésestime pas la question de la structuration de la filière bovine à laquelle nous devrons répondre. Quant aux céréaliers, leur sujet de préoccupation principale est l'eau. Je salue les mesures de simplification que vous avez citées.
Enfin, dans les coteaux du Madiran, les viticulteurs labourent encore à l'aide de chevaux. Ils vendent une bouteille 10 euros ; elle sera revendue huit à dix fois plus chère dans les grands restaurants. Je pense également à une exploitation qui n'a pu toucher 1 euro sur sa récolte en 2023, décimée par le mildiou. Il ne faut pas imaginer que tous les agriculteurs ont accès simplement à tous les outils d'information. J'appelle donc de mes vœux l'instauration d'un France Services agriculture.
Votre question en comporte plusieurs. Le Gouvernement s'est engagé sur la question du loup et a fait évoluer plusieurs règles. Le premier sujet est relatif au statut du loup, eu égard au droit européen. Cette espèce est « strictement protégée », ce qui signifie que seuls des tirs de défense peuvent être effectués avec un plafond de destruction. Nous ne sommes pas dans la logique de gestion par le nombre, qui prévaudrait si nous avions affaire à une espèce « protégée ». Au niveau européen, la France a initié un travail afin que le loup devienne une espèce protégée, compte tenu du nombre de représentants de l'espèce sur le territoire français que nous avons estimé. C'est un point important qui se joue au niveau européen, et nous agissons.
Le statut doit d'abord être modifié dans la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe, dite Convention de Berne, puis dans la directive « habitats ». Des travaux sont lancés afin que ces textes soient modifiés d'ici à l'été.
Au niveau national, avec la préfète Fabienne Buccio, nous venons de publier le plan national d'actions 2024-2029 sur le loup et les activités d'élevage, qui répond pleinement à vos attentes. Il prévoit le déploiement de louvetiers, la mise à disposition d'équipements destinés aux tireurs, la simplification de l'organisation des tirs de défense.
Le zonage ICHN répond à des critères objectifs, validés par le juge administratif. Je comprends la frustration née de la sortie de certaines communes du zonage. Néanmoins, elle résulte de l'application de ces critères.
S'agissant de la viticulture, il y a un enjeu…
Mme la présidente coupe le micro de l'oratrice, dont le temps de parole est écoulé.
La création des grandes régions a entraîné un éloignement des services, un traitement trop long des dossiers, une complexification des échelons. En outre, l'organisation administrative régionale ne dispose pas forcément des compétences requises et elle est de plus en plus éloignée des réalités de terrain, contrairement à ce qu'on prétend – de nombreux acteurs le constatent.
La régionalisation des politiques publiques agricoles, dont l'objectif affiché est de répondre aux spécificités des territoires, a, en réalité, renforcé la relation entre les régions et l'Union européenne et, en quelque sorte, effacé l'État. Cette situation n'est-elle pas en contradiction avec une politique d'aménagement du territoire à mener au niveau national pour renforcer et garantir l'égalité et l'équité au bénéfice de nos filières et de la souveraineté alimentaire de notre pays ?
Une grande partie de la PAC est pilotée par l'État. Les dispositifs déployés par l'État, et financés par l'Agence de services et de paiement dont vous avez auditionné le directeur général tout à l'heure, garantissent l'égalité de toutes les exploitations. C'est à l'État de respecter les délais de paiement, d'instruire les dossiers dans les délais impartis, et de simplifier l'accès à ces différents dispositifs. Il existe des marges d'amélioration, nous sommes en train d'y travailler.
Les délégations aux régions sont le résultat d'un travail réalisé en concertation avec elles, en vue de déterminer les fonctions qui relèveraient le plus de leurs compétences. Nous les assumons.
Au Salon de l'agriculture, plusieurs jeunes agriculteurs, dont l'exploitation se situe parfois dans des territoires à cheval sur deux régions, m'ont indiqué bénéficier des aides de la région la moins généreuse ; ils ont le sentiment d'être maltraités par rapport à ceux qui travaillent de l'autre côté de la frontière régionale. L'essence même de la décentralisation est la définition d'une vision politique pour un territoire par des collectivités locales qui l'appliquent. Si l'on veut la décentralisation avec un portage et une vision politiques, il faut assumer l'existence d'une différenciation territoriale. Il y a là un point d'équilibre. Sans cela, on peut toujours promouvoir des politiques au niveau national en courant le risque de les standardiser sans réaliser de différenciation. De manière un peu taquine, je vous renvoie donc la question. Il faut faire vivre cette PAC avant d'en tirer des conclusions trop hâtives.
Dans votre propos liminaire, vous avez rappelé que 200 000 exploitations sont en passe d'être transmises d'ici à dix ans, car nombre d'agriculteurs, nous le savons, seront alors à la retraite, ou en âge de l'être. Or parmi ces 200 000 exploitations, certaines sont dites intransmissibles en raison d'une valorisation capitalistique qui ne permet pas à un jeune agriculteur ou à un jeune qui souhaiterait épouser cette profession d'investir, faute d'être accompagné par un organisme bancaire. Comment comptez-vous résoudre ce problème dans le cadre de la future loi ? Je vous alerte sur ce point, quand bien même vous ne pourriez pas répondre à la question.
La transmission de ces 200 000 exploitations représente en effet un défi, vous avez raison de le souligner. Il ne pourra pas être relevé – beaucoup le pressentent – en jouant uniquement sur l'extension des exploitations existantes, car cela obligerait les jeunes agriculteurs à emprunter des sommes considérables pour valoriser leur patrimoine ce qui limiterait leur capacité d'endettement futur. Cela compliquerait la situation à l'heure de la transition agroécologique, et ils ne pourraient pas investir par exemple dans des équipements – on connaît le prix d'un tracteur. Leur installation s'en trouverait freinée. De jeunes agriculteurs passionnés par leur métier et exerçant actuellement dans des exploitations familiales, ou en tant que salariés, disent hésiter à passer à l'acte à cause de cette situation.
Au moyen du pacte et de la loi d'orientation et d'avenir agricoles, ainsi que d'un futur projet de loi de finances, soit rectificatif soit initial – puisque nous parlons de mesures d'ordre fiscal –, nous cherchons à alléger le poids de ces transmissions. Des prêts garantis par l'État, à hauteur de 2 milliards d'euros, sont prévus pour accompagner l'installation des jeunes agriculteurs. Des structures facilitant le portage du foncier les y aideront également ; le réseau France Services agriculture permettra en outre de les accompagner juridiquement et financièrement lors de la construction du projet. Enfin, des exonérations fiscales – sur lesquelles nous devons encore travailler – compléteront l'ensemble des mesures destinées à faciliter les transmissions.
La question agricole occupe l'actualité depuis de longues semaines. Les agriculteurs veulent des réponses rapides, adaptées à leurs problèmes et, pour certains, à leur détresse. Il semblerait qu'ils s'impatientent. Parmi les nombreuses pistes pour améliorer leur condition, certaines relèvent de décisions nationales ou européennes qui peuvent se révéler longues et complexes à mettre en œuvre. D'autres semblent plus concrètes et plus simples à déployer, notamment en décentralisant un certain nombre de compétences en matière de gestion des aides, des incitations ou des indemnisations.
Parmi d'autres, la région Occitanie, par la voix de sa présidente Carole Delga, s'est portée volontaire pour expérimenter la gestion décentralisée. Décentraliser ne constitue cependant pas une fin en soi et ne servira à rien s'il s'agit d'une simple délégation administrative et qu'il reste impossible de peser sur les grandes orientations politiques : cela pourrait certes réduire les délais mais resterait insuffisant. Il faudrait donc que les régions autorisées à expérimenter le pilotage des aides, des incitations ou des indemnisations puissent le faire en les ciblant. Elles pourraient ainsi favoriser des structures vertueuses, respectant des critères de durabilité, d'adaptation des cultures ou de circuits courts, plutôt que la fuite en avant vers l'agrandissement, la mécanisation et l'industrialisation de l'agriculture.
À l'échelle européenne, 80 % des aides sont captées par 20 % des agriculteurs. Il faut d'urgence inverser la tendance, et la décentralisation est sans doute un très bon outil pour y parvenir. Que répond le Gouvernement à cette demande d'expérimentation formulée par les régions ?
Je ne suis pas sûre de comprendre : demandez-vous une expérimentation de la décentralisation des aides qui sont attribuées dans le cadre de la PAC – lesquelles sont en effet assez strictement établies –, ou de celles que nous prévoyons dans les budgets alloués, par exemple, au plan de soutien à la viticulture, au plan de reconquête de la souveraineté de l'élevage ou au plan de lutte contre la MHE, la maladie hémorragique épizootique ?
Il me semble que les régions ont compétence pour mener, sur leur propre budget, des politiques de développement économique qui accordent plus ou moins de place à l'agriculture. Certaines d'entre elles vont ainsi d'ores et déjà au-delà des dispositifs nationaux ou européens.
Concernant les aides, telles que celles prévues pour faire face à la MHE, il me paraît assez légitime, lorsqu'une épizootie frappe un troupeau, qu'elles soient les mêmes sur tout le territoire national : lorsque vous faites face au même type de conséquences, vous bénéficiez du même type de soutien.
S'agissant de la viticulture, nous devons mener un travail de concertation. Dans les Pyrénées-Orientales, par exemple, l'État a débloqué une enveloppe de 80 millions d'euros pour des interventions d'urgence. Il prévoit également 150 millions d'euros pour des aides plus structurelles, pouvant conduire à l'arrachage définitif de la vigne. Dans certaines situations, un travail spécifique avec une région peut ainsi conduire, non pas à lui déléguer la gestion des aides, mais à les distribuer avec elle.
On ne peut pas attendre la conclusion d'une convention région par région avant d'intervenir et de libérer les crédits, sans quoi je crains que ces plans de soutien ne soient pas très opérationnels. Lorsque j'étais ministre de la transition énergétique, j'ai déployé le dispositif Territoires d'industrie immédiatement, selon un système qui évitait la conclusion d'une convention. On a travaillé ensemble, puis chacun a versé les aides selon ses propres circuits, avec rapidité, ce qui nous a épargné les dix mois de discussion qui m'avaient été nécessaires pour appliquer un autre dispositif quelques mois auparavant – cette expérience m'avait amenée à privilégier ce système.
Nous discutons d'un sujet assez spécifique, celui de la décentralisation. Les raisons de la très forte mobilisation du monde agricole sont diverses et les sujets de débat le seraient également. On a largement et fort logiquement évoqué les compétences des collectivités et de la possibilité d'expérimenter la territorialisation des aides. Je reviendrai pour ma part sur leur capacité d'accompagnement les filières. Dans les questions que me posent certains agriculteurs, je l'évoquais plus tôt, s'exprime le souhait de consommer de manière beaucoup plus locale, notamment chez ceux qui discutent avec des acteurs de l'agroalimentaire extrêmement centralisés.
Pour prendre un exemple concret, mercredi dernier, dans une ferme, l'un d'entre eux me disait vendre du lait transporté à Gap et des bovins tués en Bretagne. Cela n'a pas de sens, ni écologiquement ni pour les agriculteurs, lesquels sont aux prises avec des grosses entreprises qui fixent des prix extrêmement bas.
Concernant ces filières, le Gouvernement entend-il favoriser une organisation beaucoup plus territorialisée et un modèle économique privilégiant des circuits plus courts ? Cela permettrait non seulement aux consommateurs de connaître l'origine des produits mais également aux agriculteurs de travailler avec des acteurs de la transformation dans des réseaux beaucoup plus régionalisés au lieu de dépendre d'une organisation fortement centralisée en France voire au niveau européen.
Votre question, si je comprends bien, concerne l'organisation du système, de l'amont à l'aval, qui permettrait d'être au plus proche du terrain. Cela pose une autre question car l'exploitant conclue un contrat sous seing privé avec son transformateur : le choix d'appartenir à telle ou telle coopérative relève de son libre arbitre.
Vous mentionnez des coopératives de dimension nationale, voire internationale. Certaines sont effectivement des acteurs majeurs de la transformation sur le plan européen, voire mondial, mais d'autres sont de taille beaucoup plus modeste. Il a aussi des choix dans tout cela. Je ne sais pas jusqu'où l'État a vocation à organiser, en disant à tel acteur à qui il doit vendre et pourquoi. Vous avez raison sur un point : il s'agit d'un rapport de force, et les lois Egalim successives visent précisément à rééquilibrer ce rapport de force.
Des initiatives ont toutefois émergé, y compris dans la filière laitière, avec des acteurs de la transformation – je pense aux sociétés Bel ou C'est qui le patron ? – dont le modèle se fonde sur des relations plus équilibrées et de plus long terme entre les producteurs et les consommateurs, en intégrant la dimension environnementale et la question des circuits courts.
Au-delà de ce rééquilibrage du rapport de force auquel nous essayons de procéder grâce aux lois Egalim, je ne vois donc pas de jeu, dans la nature de ces contrats, permettant une intervention de l'État.
Se poser en revanche la question stratégique de l'organisation des filières, et considérer qu'elle doit être construite territoire par territoire, parce que la viticulture dans les Pyrénées-Orientales n'aura pas le même destin que dans la Loire – pour des raisons de dérèglement climatique ou de ressources différenciées en eau –, tout cela me paraît tout à fait légitime. Nous voulons soutenir des plans de souveraineté territorialisés, filière par filière, qui pourront probablement entraîner ce que vous appelez de vos vœux, à savoir le rééquilibrage des contrats, lesquels seront davantage organisés territorialement. J'espère avoir répondu à votre question.
Oui, mais il reste un petit sujet. Puis-je m'exprimer, madame la présidente ?
Malgré l'organisation de ce débat, vous pouvez reprendre la parole madame Chatelain.
Le déséquilibre tient à la nature privée des contrats, vous l'avez mentionnée, mais aussi à l'impression, partagée par un certain nombre d'agriculteurs, qu'ils n'ont finalement pas le choix face à des acteurs qui semblent s'être globalement entendus entre eux, à la fois sur la répartition du territoire et sur les prix. Là est l'enjeu pour l'État, me semble-t-il, dès lors qu'on observe des ententes plus ou moins tacites entre de grands acteurs financiers.
Le problème de l'instauration d'un rapport de force équilibré se pose aussi dans la grande distribution. Quand, sur un marché, cinq groupes sont en train de n'être plus que trois, il s'agit d'une organisation oligopolistique. On en tire les conclusions qu'on veut, mais passer de cinq à trois est une réduction, c'est un constat.
Je suis un peu désemparé, car votre introduction ne correspondait pas tout à fait au thème du débat : la décentralisation des politiques agricoles en lien, notamment, avec les régions.
En revanche, vous avez déjà répondu à la question que je voulais poser sur les distorsions d'aide à l'installation d'une région à une autre.
Je vais donc, comme vous, m'éloigner du sujet.
Sourires.
Beaucoup d'annonces ont été faites à la suite de la colère exprimée par les agriculteurs. Mais on sait bien que le Gouvernement risque de se cogner le nez à la vitre de l'Union européenne. Certes, les plans stratégiques nationaux, qui déclinent la politique agricole commune et s'inscrivent dans les cadres très stricts de l'Union européenne, peuvent être légèrement révisés d'une année sur l'autre si l'on constate une inadéquation entre ce que l'État a prévu et ce qu'il aurait pu faire pour mieux répondre aux attentes – en d'autres termes, on peut apporter une rectification si l'on s'est planté.
Mais de là à reprendre une mesure que j'ai proposée à trois reprises au cours des vingt dernières années dans le cadre de la niche parlementaire de mon groupe et qui a été invariablement repoussée au motif qu'elle était d'inspiration bolchevique, qu'elle participait d'une économie administrée et qu'elle méconnaissait le droit de la concurrence ! Je veux, bien entendu, parler des prix planchers, qui ont été évoqués par le Président de la République.
Ce n'était pas du tout l'effet d'une sorte de clause miroir ,
Sourires
mais je me suis demandé comment il allait faire. Depuis vingt ans, on m'explique que c'est une mesure bolchevique impossible à mettre en œuvre, et voilà que le Président de la République nous dit désormais que c'est faisable !
Sourires.
Comment une telle mesure peut-elle s'appliquer sans fausser le principe de libre concurrence chère à l'Union européenne ?
S'agissant de votre première question, je me suis concentrée sur la seconde partie du thème de notre débat, à savoir « simplifier, adapter et mieux associer les territoires ». Peut-être aurais-je dû me focaliser sur la décentralisation.
Je ne sais pas. Je crois plutôt qu'un tel thème peut être abordé de différentes manières et que nous ne nous sommes pas attachés au même aspect – peut-être est-ce révélateur de quelque chose, du reste.
Quant aux prix planchers, ils sont, au fond, un prolongement des lois Egalim. Celle de 2023, la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite Egalim 3, prévoit des index de référence définis par les interprofessions, index qui sont un des éléments pouvant servir à la construction des contrats, à la « marche en avant » et à la prise en compte du coût de la matière première agricole. Nous estimons que l'on doit pouvoir aller plus loin, de sorte que ces index permettent une réelle prise en compte du coût de la matière première dans les contrats agricoles.
Il ne s'agit donc pas d'instaurer des prix administrés, définis par l'État. L'index de référence restera fixé par l'interprofession, sur la base des coûts de production, au terme d'une discussion en son sein. Il doit inciter cette dernière à renforcer la contractualisation. Dans le secteur du lait, par exemple, on observe que 90 % des volumes et 70 % des exploitations sont contractualisés. Un travail important a donc été réalisé. On entend parler, à juste raison, de ce qui ne fonctionne pas, mais le fait est qu'une part des volumes est contractualisée dans de bonnes conditions, sur la base de l'index de référence.
Nous estimons qu'il faut aller plus loin dans ce domaine ; c'est pourquoi la mesure envisagée nous semble compatible avec le droit européen et ne correspond probablement pas à la proposition que vous avez défendue à plusieurs reprises.
Je me concentrerai, pour ma part, sur la décentralisation.
Je souhaite tout d'abord appeler votre attention sur la question des politiques menées par les régions. Prenons la question des haies, par exemple : cela fait maintenant une bonne vingtaine d'années que la région Bretagne a adopté une politique dans ce domaine. Il ne faut donc pas que les décisions du Gouvernement arrivent comme un cheveu sur la soupe, sans avoir été précédées d'une concertation – c'est, du reste, le reproche que l'on vous avait fait à propos du programme Territoires d'industrie.
Ce qui est vrai concernant les haies l'est aussi s'agissant des installations. Comme l'a indiqué le président de la région Bretagne tout à l'heure, si l'on veut garantir une véritable égalité, il faut faire le compte de l'ensemble des aides versées en sus par les régions. On s'apercevra alors que les choses sont beaucoup plus équilibrées qu'on l'a dit.
Quant à la question des lois Egalim, elle rejoint celle des intendants. Les personnels des lycées sont des personnels régionaux tandis que l'intendant demeure un agent de l'État. Or je sais, pour siéger au conseil d'administration de plusieurs lycées, que les intendants discutent avec la région de telle ou telle question – la tarification sociale de la cantine, par exemple, décidée par la région Bretagne. En fait, ils sont en contact permanent avec la région, si bien que, s'ils ne relèvent pas juridiquement de cette collectivité, ils sont « régionalisés » de fait. Il ne serait donc pas du tout choquant qu'ils relèvent statutairement de la région ; ce serait même plus simple et plus clair !
La région Bretagne a mis en place des indicateurs concernant les cantines des lycées. On sait ainsi que la part du bio est de 22 % et celle des produits bénéficiant d'un signe de qualité de 34 %. On voit donc bien où il faut faire porter l'effort, même si notre collectivité est sans doute en avance. Les indicateurs sont donc indispensables. La loi Notre, étant bien faite, la région exerce la compétence en matière économique et donc, d'une certaine manière, dans le domaine alimentaire s'agissant des lycées. La région Bretagne a donc conclu, avec les départements volontaires, un contrat afin de développer les circuits courts pour la fourniture des cantines des lycées.
Vous pouvez bien entendu vous inspirer de ces expériences. Mais il faut surtout bien les prendre en compte, pour éviter que les régions ne doivent tout changer parce qu'une décision venue d'en haut les y contraint. C'est en ce sens que la décentralisation et les logiques ascendantes sont importantes.
Sur la question des lois Egalim, je vous rejoins : c'est bien la démarche que nous souhaitons adopter. Tout d'abord, ce que vous avez dit à propos des gestionnaires montre que le fait qu'ils soient ou non rattachés à la région ne change pas grand-chose. Vous allez donc dans mon sens. La question est plutôt d'ordre d'administratif ; vous pourrez l'évoquer, le cas échéant, avec la ministre de l'éducation nationale.
Quant aux pratiques adoptées par la région Bretagne pour les cantines, elles peuvent surtout être très utiles à d'autres régions. Je crains, par exemple, de ne pas pouvoir en tirer des enseignements pour les cantines du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et de ses services déconcentrés, car les clientèles et les pratiques des restaurants sont différentes. En revanche, rien ne ressemble plus à un lycée qu'un autre lycée ou, éventuellement, un collège.
C'est à ce niveau-là que l'on peut rechercher des complémentarités fondées sur des expérimentations qui ont fonctionné. C'est tout l'intérêt du site ma-cantine.agriculture.gouv.fr : il est important d'animer ce réseau pour partager les bonnes pratiques et favoriser l'émulation entre les différentes collectivités locales. Pourquoi l'une d'entre elles ne pourrait-elle pas bénéficier d'un outil informatique, par exemple, qui a été développé par une autre et a fait ses preuves ? Le développement peut avoir un coût, mais nous pouvons nous accorder à reconnaître que cela aurait beaucoup de valeur pour les autres collectivités.
Je m'inscris dans cette logique s'agissant de l'approche des solutions. Au demeurant, il n'y a pas une seule manière de faire. J'ai ainsi observé, lors de mes réunions avec des responsables de la restauration collective, qu'il existe des modèles assez centralisés et des modèles assez décentralisés qui fonctionnent aussi bien les uns que les autres, probablement parce qu'ils s'inscrivent dans logiques territoriales différentes : les premiers correspondent davantage à un habitat urbain que les seconds, plus adaptés à des zones moins denses – j'enfonce là une porte ouverte.
Le fait de disposer de trois ou quatre modèles établis qui font figure d'avant-garde aiderait les collectivités locales à se positionner. Chacune pourrait reprendre un cahier des charges et une organisation éprouvée. Elle devra bien entendu les adapter à la marge, mais elle n'aura pas eu à réinventer la poudre et elle sera gagnante.
Par ailleurs, il faut s'inscrire dans des logiques qui rompent avec le fonctionnement en silos. Ainsi, faire travailler le secteur médico-social avec les cantines des établissements scolaires des régions, des départements, voire des communes, ce n'est pas idiot. Certains y sont parvenus, et cela apporte beaucoup de valeur. Le bénéfice est considérable, ce qui motive souvent les équipes, non seulement du point de vue de la qualité de la nourriture servie aux enfants, mais aussi du point de vue de la qualité de la prise en charge dans les établissements médico-sociaux. De fait, cela permet d'éviter la dénutrition des personnes âgées ou hospitalisées. Ainsi, le dispositif est favorable à la fois au bien-être des personnes et aux finances de la sécurité sociale.
Nous avons donc beaucoup de grain à moudre. nous ne sommes pas allés au bout des choses. Il ne faut pas s'arrêter à des questions d'argent ou de statut, même s'il est légitime que vous me titilliez sur le sujet.
Prochaine séance, demain, à neuf heures :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra