La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Suite de la discussion d'un projet de loi
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033, 1234 rectifié).
Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant à l'amendement n° 857 au rapport annexé à l'article 2.
Il a pour but de mettre fin à l'opération Sentinelle et d'en finir avec la militarisation des actions de police. Selon un rapport publié le 12 septembre 2022 par la Cour des comptes, les forces militaires, qui ne disposent ni du renseignement intérieur, ni de pouvoirs de police, ni des armements appropriés en zone urbaine, ne paraissent pas les mieux placées pour faire face à la nouvelle forme de menace terroriste.
Nous pensons en effet que l'opération Sentinelle est coûteuse et, pour tout dire, inefficace. Elle use inutilement les soldats et les expose. Elle repose sur l'idée illusoire d'un quadrillage total du territoire qui permettrait aux soldats d'intervenir en cas de nécessité. Or, par définition, le fait de déjouer un attentat ne peut pas relever d'une logique de flagrant délit.
La Cour dénonce l'affichage de militaires dans les rues à des fins de tranquillité publique et de perception plus que d'efficacité militaire. S'appuyant sur un rapport de l'inspection des armées, la Cour note une banalisation et un amalgame des militaires avec les policiers et gendarmes.
Selon le groupe LFI – NUPES, cette loi de programmation militaire doit aussi être l'occasion de renforcer et protéger les libertés publiques. Il faut sortir de cette pente dangereuse que constitue la confusion entre sécurité publique et défense.
En réalité, l'évocation d'un continuum sécurité-défense sert de justification à la militarisation des actions de police et à la restriction des libertés publiques. L'inscription de l'état d'urgence dans le droit ordinaire est emblématique de cette dérive, de même que la tentation de recourir à l'armée pour régler toutes sortes de problèmes comme le maintien de l'ordre lors de manifestations dans les banlieues, selon l'expression stigmatisante souvent utilisée, ou encore dans la formation des jeunes décrocheurs.
Nous demandons donc la fin de l'opération Sentinelle qui permettra aux soldats de se concentrer sur leurs missions.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
L'amendement n° 858 de M. Aurélien Saintoul est défendu.
La parole est à M. Jean-Michel Jacques, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour donner l'avis de la commission.
Vous faites comme si la menace terroriste avait disparu, ce qui n'est pas du tout le cas. L'opération Sentinelle a un rôle à jouer dans la situation actuelle, et ce n'est certainement pas le moment de la supprimer alors que nous allons accueillir les Jeux olympiques (JO), ce qui fait peser d'autres menaces que nous percevons déjà.
Vous affirmez aussi que déjouer un attentat ne peut pas relever d'une logique de flagrant délit. À Marseille, un militaire réserviste de l'opération Sentinelle avait pourtant empêché un attentat avec efficacité.
La parole est à M. le ministre des armées, pour donner l'avis du Gouvernement.
Même avis. Votre groupe a déposé d'autres amendements sur l'opération Sentinelle, qui arrivent à un moment plus propice du débat sur le rapport annexé. Plutôt que de refaire plusieurs fois le même débat, je préfère désormais intervenir de manière plus détaillée aux bons moments.
Non, nous ne disons pas que la menace terroriste a disparu. Nous n'avons pas cette naïveté. Nous faisons partie de ceux qui, au contraire, considèrent qu'il faut donner des moyens à toutes les forces compétentes dans la lutte contre les menaces terroristes en tous genres, y compris quand il s'agit de menaces venues de l'extrême droite, particulièrement saillantes comme l'a rappelé le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) en personne devant la représentation nationale.
Nous ne sommes pas des gens naïfs. En revanche, nous observons une militarisation des problèmes de sécurité intérieure, et, d'une certaine façon, nous nous faisons le porte-voix de nombreux militaires qui s'inquiètent d'un mélange des genres entre notamment le maintien de l'ordre et les missions des armées elles-mêmes. Nous savons que ces sujets ont été mis sur la table à l'occasion de grands mouvements sociaux.
Nous savons aussi, comme vient de le dire mon collègue Fernandes, qu'il est illusoire d'imaginer lutter contre le terrorisme, quelle que soit son origine, en recherchant le flagrant délit. Certes, il y a des hasards, des coïncidences, mais ces hasards et coïncidences peuvent aussi être provoqués : les personnels en uniforme peuvent malheureusement être perçus comme des cibles par des terroristes. À tout prendre, ce n'est donc pas un bon raisonnement.
Partant de l'intervention de policiers en dehors de leur service ou en civil lors d'attentats comme celui du Bataclan, vous pouvez aussi en déduire un raisonnement par l'absurde : tout le monde devrait devenir policier ou porter une arme à feu. Vous vous trompez sur nos intentions : nous voulons des moyens pour la police et les armées, mais des missions clairement identifiées pour chaque entité.
Je voudrais rendre hommage à nos armées qui assurent la sécurité des Français face à quelque péril que ce soit. Dans des circonstances difficiles et en cas de danger, nous pouvons toujours compter sur leur sens de l'engagement, leur professionnalisme, leur courage et leurs qualités professionnelles. Je pense aux militaires de l'opération Sentinelle qui luttent contre la menace terroriste, à ceux de l'opération Héphaïstos qui combattent les feux de forêt chaque été dans le sud de la France, à ceux de l'opération Harpie qui se battent contre l'orpaillage illégal en Guyane ou ceux de l'opération Résilience, engagés contre la propagation de la covid-19. Merci à nos armées, nous avons besoin d'elles.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur plusieurs bancs du groupe RN. – MM. Laurent Croizier et Loïc Kervran applaudissent également.
J'en reste au principe consistant à ne prendre que deux intervenants par amendement : un pour, un contre. Nous allons donc passer au vote.
Nous abordons la discussion sur la dissuasion nucléaire avec cet amendement qui part de l'idée que nul n'est capable de nous assurer que, dans cinquante ou soixante ans, la dissuasion nucléaire que nous connaissons sera toujours d'actualité.
Des dirigeants un tant soit peu responsables ne doivent donc pas prendre le moindre risque dans ce domaine. Il est nécessaire de réfléchir à toute forme de dissuasion, y compris non nucléaire, qui pourrait un jour remplacer une dissuasion nucléaire devenue inopérante. Il ne s'agit pas de dire que la dissuasion nucléaire actuelle n'est pas crédible, mais que cela pourrait advenir. Nous ne pouvons pas prendre le moindre risque parce qu'il y va de la survie de la nation.
Puisqu'il faut réfléchir à toute autre forme de dissuasion, nous suggérons qu'elle pourrait venir de l'espace – nous aurions aussi pu évoquer une cyberdissuasion. Les ruptures technologiques sont telles que nous devons réfléchir à l'après-dissuasion nucléaire, d'autant que nous avons signé et ratifié le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), dont l'article VI nous engage à œuvrer pour le désarmement nucléaire multilatéral.
Nous devons respecter la parole de la France. Nous devons avancer et entamer des négociations pour en finir avec l'arme nucléaire, et, dans le même temps, nous devons essayer de travailler à une dissuasion. Voilà le sens de cet amendement qui invite à la réflexion. Réfléchir ne peut pas faire de mal.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l'amendement n° 862 .
Compte tenu de la gravité et de la précision que requiert un sujet comme celui de la dissuasion nucléaire, je vais commencer par vous lire le texte de notre amendement.
Nous proposons de rédiger ainsi l'alinéa 7 : « Les nouvelles technologies peuvent ouvrir la voie à des stratégies dissuasives qui ne seraient pas nucléaires. Disposer des moyens d'atteindre à coup sûr un dispositif de sécurité en son cœur du fait d'un avantage technologique pourrait bien être l'enjeu de la future dissuasion française. Ce pourrait être le cas d'une dissuasion spatiale dont la capacité à désorganiser une société en visant le cœur de ses infrastructures serait moins létale, mais potentiellement aussi dissuasive que l'arme nucléaire elle-même. En clair, si à l'avenir la discrétion des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins devait être compromise par un certain nombre de nouvelles technologies, la France devrait pouvoir disposer d'un mécanisme alternatif de dissuasion. Il faut y penser dès maintenant. »
J'ai pris la peine de me livrer à cet exercice un peu fastidieux pour vous et pour moi, afin que nous ne nous exposions pas à un risque de caricature. Comme l'a dit mon collègue, il ne s'agit pas de renoncer à la dissuasion nucléaire aujourd'hui, mais d'anticiper en ayant à l'esprit que les ruptures technologiques, auxquelles nous sommes confrontés depuis au moins une décennie, vont en s'accélérant, alors que le temps de développement des programmes de dissuasion et d'armement demeure, lui, incompressible.
Si nous ne voulons pas être pris au dépourvu, nous devons envisager dès maintenant l'éventualité d'alternatives, d'attitudes ou de stratégies dissuasives qui ne soient pas strictement nucléaires. Contrairement aux spécialistes, nous n'entrerons pas dans le débat sur le thème : faut-il penser une dissuasion conventionnelle ? Ce n'est pas notre angle d'approche. Nous ne voulons pas parler d'une stratégie de dissuasion conventionnelle, mais de solutions alternatives à la dissuasion nucléaire.
Nous abordons une discussion concernant nos choix en matière de dissuasion nucléaire. Puisque nous aurons l'occasion de nous exprimer plusieurs fois, je vais consacrer mes deux premières minutes d'intervention à saluer les choix de la France depuis qu'elle s'est engagée dans la dissuasion nucléaire.
Elle a ratifié des traités visant au désarmement et à la non-prolifération nucléaires – le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et le TNP – et Jacques Chirac a mis fin aux essais nucléaires en 1996. Ce sont des choix importants.
Dans ce domaine, notre pays se montre aussi beaucoup plus transparent que d'autres, qui font le choix de l'opacité et du secret. Avec ses 300 têtes nucléaires, la France est d'ailleurs bien loin d'être la principale puissance nucléaire, le podium étant occupé par les États-Unis, la Chine et la Russie.
Cela étant, la menace nucléaire n'a jamais été aussi forte dans le monde, un monde où l'on ne sait plus se parler et négocier, et où l'on règle ses problèmes par les armes. Dans ce contexte, l'arme de destruction massive qu'est la bombe atomique fait peser une énorme menace sur l'avenir de la planète et de l'humanité.
Les hommages rendus aux victimes de Hiroshima et de Nagasaki, lors du dernier G7, sont à garder en mémoire : l'arme nucléaire ne doit plus jamais être utilisée. C'est pourquoi nous proposons une série d'amendements invitant la France à prendre des initiatives pour un désarmement nucléaire multilatéral : il faut que notre pays soit à l'initiative dans ce domaine. Cependant, je précise bien que tant qu'il n'y a pas de désarmement multilatéral, nous acceptons que le nucléaire reste la clef de voûte de notre défense nationale.
Ils soulèvent deux questions distinctes. La première concerne la R&D (recherche et développement) et les travaux d'innovation susceptibles d'être menés pour identifier un hypothétique moyen de développer une dissuasion non nucléaire. La LPM prévoit de consacrer d'importants moyens à la recherche, au développement et à l'innovation. Toutes les actions nécessaires et envisageables pour aider la France à se renforcer et à assurer sa dissuasion sont entreprises. Votre demande est donc, en quelque sorte, satisfaite.
S'agissant ensuite du débat soulevé par le parti communiste, la France s'en tient à une dissuasion strictement suffisante, qui constitue son assurance vie. J'émets donc un avis défavorable aux trois amendements.
La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Alors que nous entamons une série d'amendements relatifs à la dissuasion, je tiens à dire quelques mots. J'ai eu l'occasion, tout à l'heure, d'indiquer à Fabien Roussel combien le débat autour de la dissuasion était vif en France, notamment au sein de la commission de la défense. J'y vois là la condition de la crédibilité, de la durabilité et du caractère acceptable de la dissuasion.
Peut-être est-il utile de rappeler à ceux de nos collègues qui ne sont pas membres de la commission en quoi consiste la dissuasion. Son objectif consiste tout simplement à permettre à la nation française, viscéralement attachée à sa liberté, de menacer de causer des dommages inacceptables à quiconque s'en prendrait à ses intérêts vitaux. Bien entendu, la dissuasion est une arme de non-emploi, strictement défensive. Pour préserver sa crédibilité, nous avons besoin de la moderniser, d'où les choix qui vous sont proposés aujourd'hui. Nous devons également inscrire cet effort de modernisation dans la continuité, afin d'éviter les errements observés en matière de nucléaire civil, lesquels ont parfois pu conduire à l'arrêt d'une filière. Nous avons en outre besoin de visibilité, les programmes de dissuasion s'inscrivant dans le temps long. Notre collègue Yannick Chenevard rappelait par exemple que la mise à l'eau d'un sous-marin nous engageait pour près d'une centaine d'années. C'est pourquoi nous avons choisi de nous inscrire dans la continuité des efforts déjà fournis.
Je remercie enfin notre collègue Fabien Roussel d'avoir rappelé que la dissuasion nucléaire reste, même à ses yeux, la clef de voûte de notre défense nationale : j'y vois là une évolution positive, dont je me réjouis. Merci, par ailleurs, d'avoir rappelé que la France se montre exemplaire en la matière : outre le fait que nous sommes, avec le Royaume-Uni, le premier État à avoir signé le TICE, nous avons démantelé de façon transparente nos sites d'essais et nos installations de production de matières fissiles, avons supprimé les composantes terrestres de notre dissuasion – les missiles balistiques sol-sol stockés sur le plateau d'Albion, mais aussi les missiles tactiques Pluton ou Hadès – et menons une stratégie de stricte suffisance en matière de porteurs, de vecteurs et de têtes nucléaires. La France, tout en se donnant les moyens d'une dissuasion crédible, applique sa stratégie de stricte suffisance de manière tout à fait exemplaire. C'est pourquoi nous pouvons, à mon sens, nous satisfaire des choix opérés dans le cadre de ce projet de LPM.
Je commencerai par remercier l'ensemble des intervenants précédents pour la précision avec laquelle ils ont abordé le débat, car nos échanges sur ces questions sont écoutés avec attention. Sous le contrôle des plus expérimentés de vos collègues, je tiens d'ailleurs à souligner qu'il est assez rare, me semble-t-il, que des discussions de ce niveau se tiennent à propos de la dissuasion nucléaire au cours d'une séance publique à l'Assemblée nationale. Comme vous, monsieur Roussel, je ne suis pas certain que d'autres démocraties dotées de l'arme nucléaire se conforment au même niveau de débat public sur leur dissuasion actuelle et future, que ce soit en commission ou dans l'hémicycle.
Vous êtes revenu sur la singularité française en matière de doctrine et de conception de la dissuasion nucléaire. Merci pour cette remarque, qui laisse voir combien la France a pris du temps pour déployer sa dissuasion nucléaire – ce qui n'est pas sans difficulté dans la vie politique actuelle, très largement dictée par le temps court.
D'abord, elle s'est lancée dans l'aventure technologique nucléaire seule contre tous – nous y reviendrons lorsque nous évoquerons l'Otan et la décision du général de Gaulle d'en quitter le commandement intégré en 1966 –, et pour cause : la situation n'était pas tout à fait la même qu'à l'heure actuelle. Souvenons-nous comment le secrétaire à la défense américain de l'époque, Robert McNamara, à chaque réunion ministérielle de l'Otan, faisait part à Pierre Messmer de l'opposition des États-Unis d'Amérique et d'autres à l'obtention par la République française du statut de puissance dotée.
Après l'aventure technologique est venue, si j'ose dire, celle de la suffisance et de la permanence de celle-ci – c'est-à-dire de la capacité, pour l'armée de l'air, la marine et, à l'époque, l'armée de terre, à mettre en œuvre la dissuasion nucléaire à tout moment, y compris pendant les épisodes très divers que le pays a connus au cours de la guerre froide.
Et puis, vous avez eu raison de le souligner, le président Mitterrand a pris à propos des essais nucléaires des décisions que le président Chirac a ensuite mises en œuvre ou adaptées, et dont nous aurons l'occasion d'évoquer les effets en Polynésie. Vous savez qu'en tant qu'ancien ministre des outre-mer, ce dossier me tient à cœur et que j'ai eu l'occasion, dans le cadre de ces fonctions, de prendre quelques décisions en matière de transparence.
L'histoire de la dissuasion est donc marquée d'une empreinte spécifiquement française. Je vous remercie de l'avoir souligné, car si l'on peut s'opposer à cette particularité, il importe de la garder à l'esprit si l'on entend traiter cette question sérieusement.
Ensuite, les deux amendements d'appel déposés par les députés du groupe La France insoumise sont relativement compliqués à appréhender, dans la mesure où la rédaction proposée par leurs auteurs ne s'inscrit pas dans une temporalité de court ou de moyen terme, mais nous incite à nous projeter. Je m'efforcerai de le faire avec vous, avec toutes les contraintes qui s'imposent à un ministre des armées s'exprimant en séance publique et dans le respect du secret défense.
D'après la doctrine française – car, comme le député Roussel l'a souligné, la France applique certainement une des doctrines les plus lisibles au monde – de dissuasion, cette dernière, pour faire très bref, doit être défensive, strictement suffisante et capable de causer des dommages inacceptables à la partie adverse. J'ajouterai volontiers un quatrième critère.
Son caractère souverain coule de source.
Le caractère souverain de la dissuasion est acquis et n'est pas remis en cause, mais il ne figure pas dans la doctrine. À strictement parler, cette dernière prévoit la défense des intérêts vitaux, un usage défensif, un caractère strictement suffisant et avec un ultime avertissement pour rétablir la dissuasion. Voilà les éléments de doctrine tels qu'ils ont été réaffirmés au fil du temps, un quinquennat ou un septennat après l'autre, au long d'une construction de nature quasiment géologique, itérative et incrémentale, chaque chef d'État étant venu préciser la doctrine applicable. Celle-ci, bien que plus lisible que dans beaucoup d'autres pays, garde des parts de flou : ce dernier, comme vous l'avez vous-mêmes rappelé de nombreuses fois en commission, fait partie intégrante de la grammaire de la dissuasion.
Le fait de réfléchir à la dissuasion de demain ou d'après-demain pose une première difficulté, consistant à savoir si elle sera nucléaire ou non. Vous suggérez, dans la rédaction proposée, d'envisager le cas d'une dissuasion nucléaire devenue inopérante. Si je ne peux réfuter ce raisonnement intellectuel et conceptuel, je vous invite à en revenir à la notion de dommages inacceptables : la source de la dissuasion, c'est la peur. C'est terrible, mais, de fait, l'arme nucléaire reste un outil terrifiant : c'est bien en cela qu'elle dissuade les autres compétiteurs – dont j'ai oublié de préciser qu'ils doivent, en vertu de notre doctrine, être d'origine étatique – de s'en prendre à nos intérêts vitaux. Si nous suivions votre raisonnement, nous devrions donc trouver – pour continuer de nous appuyer sur le sentiment humain de peur – quelque chose d'aussi terrifiant que l'arme nucléaire pour assurer notre dissuasion. Vous comprenez bien quels tiroirs nous ouvririons ainsi. Je me prête toutefois à l'exercice démocratique et de transparence qui consiste à envisager cette possibilité avec vous.
Le premier tiroir que nous ouvrons involontairement en ayant cette conversation est celui de la prolifération, même si cette dernière n'est pas de nature nucléaire : si la dissuasion nucléaire devient inopérante, d'autres pourraient envisager d'avoir recours à des armes biologiques, etc. Ce serait l'exact inverse de la dissuasion nucléaire telle que la France, la République, notre démocratie, l'appréhende et telle que nous venons de la décrire – vous l'aurez compris, on touche là aux limites de l'échange à voix haute.
Le deuxième tiroir ouvert par l'amendement – et c'est pour cette raison que j'émettrai un avis défavorable à l'ajout de ce paragraphe au rapport annexé – concerne le fait que la dissuasion repose sur son efficacité et son effectivité. Toute expression de doute, en la matière, est par essence nuisible.
Je remercie d'ailleurs le député Roussel d'avoir indiqué, avant la suspension de vingt heures, que, bien qu'opposé à la dissuasion nucléaire, il la moderniserait tout de même s'il était aux responsabilités, dans la mesure où la dissuasion est indispensable tant que la menace existe – pour synthétiser son propos. Réfléchir au fait que la dissuasion continue de jouer son rôle est un travail à temps plein, mené par de nombreuses personnes au sein du ministère des armées. Par définition, ce travail est mené secrètement, car le contraire impliquerait que nous envisageons la possibilité de ne plus dissuader – pardon pour ce raisonnement alambiqué, mais c'est celui qu'il faut tenir.
Dernier point : avec tout le respect et l'amitié que j'ai pour le président de la commission de la défense, je me permettrai de corriger un élément de son intervention.
L'arme nucléaire n'est pas une arme de non-emploi : elle est défensive et strictement suffisante. Nous en revenons ainsi à l'essence même de la doctrine : par définition, si un de nos compétiteurs s'en prend à nos intérêts vitaux… – je ne finis pas ma phrase, mais vous m'aurez compris.
Merci, monsieur le ministre, pour cette réponse que les élus du groupe Les Républicains jugent parfaite. On est tenté d'inviter certains de vos collègues du Gouvernement, qui nous privent parfois de réponses de qualité, donnant ainsi lieu à des débats d'une autre nature, à prendre exemple sur vous.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes RN et LFI – NUPES.
Il a de bonnes origines, même si elles ont un peu évolué au fil du temps.
Sourires.
Je tenais à souligner que cet amendement, déposé par des députés situés très à gauche de l'échiquier politique, me semble très intéressant, même si j'y suis résolument opposé.
Pourquoi est-il très intéressant ? Parce que M. Roussel, qui n'est pas un simple député, puisqu'il exerce des responsabilités au sein d'un parti qui fait tout de même partie de notre histoire, a utilisé le terme « clef de voûte ». Je constate en outre que notre collègue Saintoul, tout en évoquant la nécessité d'un débat, ne remet pas en cause la dissuasion elle-même. Ainsi, sur une question aussi grave et fondamentale et dans une des assemblées les plus divisées que j'ai eu l'occasion de connaître, nous parvenons à des positions très proches.
Pour ma part, je m'en réjouis, d'autant que cet hommage rendu par la gauche s'adresse aux pionniers de la dissuasion. Rappelons en effet qu'à une époque, seuls les gaullistes la défendaient explicitement :…
…sur les bancs de la gauche modérée, du centre et bien évidemment de l'extrême gauche, ne s'exprimaient alors que des oppositions. Cela signifie, chers collègues, qu'il faut savoir être minoritaires à l'occasion pour être très majoritaires plus tard.
Sourires sur les bancs du groupe RE.
En tout état de cause, je suis résolument opposé à cet amendement, parce qu'il ne saurait exister de continuum entre la dissuasion nucléaire et les autres armements : il y a entre eux une différence majeure, totale et sensible.
Pour cette raison, évoquer une dissuasion autre que nucléaire n'est pas pertinent.
M. Jean-Louis Thiériot applaudit.
Un mot d'abord sur le vocabulaire utilisé : pardon, mais, à quatorze mois des Jeux olympiques de 2024, qualifier nos ennemis potentiels de « compétiteurs » me semble poser problème. Ce terme, plus souvent utilisé dans le sport, ne paraît pas adapté.
Il est cependant utilisé dans la grammaire de la dissuasion.
Je le sais bien. Néanmoins, au sein de l'Assemblée nationale du pays qui s'apprête à accueillir les Jeux olympiques, je préfère parler d'« ennemis potentiels ».
Ensuite, la doctrine du parti communiste en matière de dissuasion nucléaire, que Fabien Roussel a présentée, inclut aussi la volonté de participer activement à toutes les démarches envisageables pour éliminer l'arme nucléaire partout sur la planète. Nous avons signé le TNP, dont l'article VI prévoit le désarmement nucléaire. Ayant signé ce traité, nous devons tout mettre en œuvre pour procéder à ce désarmement. Le statu quo, que ce soit en géopolitique ou en matière nucléaire, n'est jamais satisfaisant.
Ceux qui ont inscrit l'objectif de désarmement dans le TNP ont d'ailleurs envisagé la possibilité qu'un incident ou une catastrophe survienne. Nous avons d'ailleurs, dans l'histoire de l'arme nucléaire, frôlé la catastrophe à bien des moments. À l'heure où des hackers sont capables de s'introduire dans les réseaux les plus sécurisés du monde, l'arme nucléaire devient une cible potentielle – peut-être a-t-elle d'ailleurs déjà fait l'objet d'attaques, qui ont été déjouées. À titre personnel, je préfère que cette cible n'existe pas, plutôt que de devoir imaginer qu'une catastrophe pourrait se produire un jour – sans même parler de ceux qui pourraient décider d'appuyer sur le bouton.
L'amendement n° 165 n'est pas adopté.
Sur les amendements n° 517 et identiques, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je suis saisi de quatre amendements identiques, n° 517 , 1485 , 1583 et 1591 .
La parole est à M. Fabien Roussel, pour soutenir l'amendement n° 517 .
Les termes du débat étant posés, entrons dans le vif du sujet. Lors de l'examen de la motion de rejet préalable, vous m'aviez répondu, monsieur le ministre, qu'il ne fallait pas comparer, comme je l'avais fait, le coût de cette loi de programmation militaire – 413 milliards d'euros – à d'autres dépenses, notamment sociales, qui pourraient être utiles pour les Français.
Dans son avant-propos au rapport d'information qui rassemble les auditions de la commission sur la dissuasion nucléaire, le président Gassilloud lui-même note pourtant que celle-ci représente quelque « 7 euros par mois et par Français ». C'est un coût. Il s'élève à 54 milliards pour notre pays pour la période 2024-2030, soit 21 millions d'euros par jour en 2030 contre 15 millions aujourd'hui. C'est un montant considérable, peut-être le plus élevé de toutes les dépenses d'armement. Cela mérite un grand débat afin que les Français puissent mesurer le coût de cette politique.
D'autre part, c'est une chose de dire que nous devons entretenir notre dissuasion nucléaire et faire en sorte que notre voix soit respectée parmi les puissances nucléaires. De ce point de vue, c'est vrai, pourquoi ne pas procéder à une modernisation ? Je dirai même : allons-y !
En revanche, c'est une autre chose que de vouloir accroître notre puissance nucléaire en travaillant à une nouvelle génération d'armes, de missiles comme l'ASN4G, d'avions ou de porte-avions qui seront produits demain. Je pourrais également évoquer les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération ou encore le projet Scaf, le système de combat aérien du futur.
Nous ne partageons pas cette deuxième orientation car, au fond, elle consiste, pour la France, à s'engager non pas sur la voie de la non-prolifération, mais au contraire sur celle de l'accroissement de la puissance nucléaire.
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l'amendement n° 1485 .
Monsieur le ministre, en matière de défense comme dans d'autres domaines, nous sommes les héritiers de toute une histoire. Vous avez rappelé la singularité de celle-ci.
Il faut aujourd'hui faire un constat : la dissuasion nucléaire est au cœur de l'organisation de notre armée et de notre politique de défense. C'est un fait, on ne peut que le reconnaître.
À présent, nous nous demandons tous comment nous projeter dans l'avenir. Nous, écologistes, estimons qu'il doit être possible de vivre, demain, dans un monde où l'arme nucléaire n'existe plus, ce qui suppose d'aller vers un désarmement multilatéral, donc de l'ensemble des puissances dotées de l'arme nucléaire.
Si le mot « non-emploi » a été utilisé, ce n'est pas pour rien. La puissance destructrice de l'arme nucléaire est tellement importante que sa force réside dans le caractère potentiel de son utilisation.
Le jour où elle est utilisée, elle produit des dommages inacceptables, au niveau à la fois humain, environnemental et matériel.
On ignore jusqu'où un tel engrenage nous mènerait, aussi bien vis-à-vis de nos amis que de nous-mêmes. Au fond, pendant la guerre froide, nous avons vécu avec l'idée qu'il était possible que l'arme nucléaire soit utilisée. Si la tension est parfois montée, elle n'a toutefois jamais été utilisée dans ce contexte. Si elle devait l'être, on ignore l'engrenage dans lequel on entrerait tout comme les destructions qui seraient occasionnées.
Selon nous, la France doit perpétuer cette tradition qui consiste à se faire le porte-parole de la paix et du désarmement. Par conséquent, tout en reconnaissant la réalité de notre politique de défense actuelle, nous devons commencer à poser des actes marquant une progression sur la voie du désarmement. La première étape, c'est l'application – réelle – des mesures du traité de non-prolifération. Que la France s'empare de cette question et passe à l'action de manière diplomatique, forte et claire.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et GDR – NUPES.
La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l'amendement n° 1583 .
Monsieur le ministre, je souhaite m'associer aux propos de M. Le Fur qui vous a remercié pour la haute tenue de votre réponse. Elle s'est révélée sérieuse, exacte et rigoureuse. Son style devrait en effet inspirer vos collègues du Gouvernement.
Au nom de la rigueur historique, je ne peux pas ne pas répondre au collègue Le Fur qu'à l'origine, parmi les personnes favorables au principe de la dissuasion nucléaire, figure Pierre Mendès France, lequel siégeait plutôt de notre côté de l'hémicycle.
Je salue également le fait que, dans sa réponse, le ministre ait précisé que, d'après la doctrine française, la dissuasion nucléaire concerne les menaces étatiques. Malheureusement, on a pu lire dans certains amendements déposés par le groupe LR qu'elle pouvait aussi porter sur des menaces non étatiques, ce qui me semble poser problème.
J'en viens à l'amendement. Il vise à mettre en exergue du rapport annexé la volonté de la France – qui est manifeste, puisque nous avons signé et ratifié le TNP – d'œuvrer à la stricte application de l'article VI du TNP, lequel prévoit un désarmement négocié et, évidemment, non pas unilatéral, mais bien multilatéral. Dès lors que nous affirmons que notre système de défense repose sur la dissuasion, il est indispensable que nous ne renoncions pas pour autant à l'objectif de désarmement global que la France s'est elle-même donné. Une telle démarche correspond selon moi à une forme d'équilibre – un mot que vous avez souvent employé.
Par ailleurs, j'aimerais réagir à ce que vous avez dit concernant les solutions alternatives à la dissuasion nucléaire que nous avons exposées dans les amendements précédents – autrement dit, la dissuasion de demain. Selon vous, si notre proposition était mise en œuvre, on ouvrirait à la fois le tiroir de la prolifération et celui du doute.
D'une part, ce que vous appelez un risque de prolifération correspond en réalité à la course aux armements. Or celle-ci existe déjà – que les armes soient nucléaires ou non. S'agissant des domaines visés par nos amendements, on peut espérer que la parenthèse actuelle se referme un jour, que le droit international prévale et que l'on assiste donc à une forme de retrait.
D'autre part, votre argument relatif au doute apparaît comme un paralogisme. Cela revient en effet à considérer qu'il faudrait s'interdire d'agir maintenant…
La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l'amendement n° 1591 .
Monsieur le ministre, en commission, vous nous avez expliqué pendant de longues heures que la NUPES était divisée sur les questions de défense.
Or, nous le voyons ici, plusieurs groupes de la NUPES ont déposé un amendement identique visant à réaffirmer que la dissuasion nucléaire est aujourd'hui – parce que nous n'avons pas le choix – la clef de voûte de notre politique de défense, mais que, dans le même temps, il est important que la France respecte ses engagements, notamment ceux qui ont été pris lors de la ratification du traité de non-prolifération, comme le fait d'agir diplomatiquement en faveur d'un désarmement multilatéral s'agissant du nucléaire.
On pourrait nous rétorquer que ce n'est pas le bon moment, car le risque nucléaire n'a jamais été aussi grand qu'aujourd'hui, qu'il a atteint son summum. Or, précisément, les Américains et les Soviétiques ont décidé de commencer à discuter juste après la crise des fusées de Cuba parce qu'ils savaient que le monde était passé tout près – à quelques secondes – de la destruction.
Pour la même raison, nous devons prendre aujourd'hui une initiative en faveur du désarmement. Car la France est le seul pays doté de l'arme nucléaire qui soit en mesure de tenir ce discours. Nous sommes la seule nation dont le passé est marqué par l'indépendance, l'autonomie, ce qui nous permet de nous adresser à l'ensemble des nations du monde pour leur dire qu'il est temps d'avancer ensemble.
Évidemment, notre pays n'a pas le potentiel destructeur des États-Unis et de la Russie, voire de la Chine, précisément parce que nous avons adopté le principe de la stricte suffisance. Par conséquent, la France ne doit pas être le premier pays à désarmer, mais c'est elle qui doit prendre l'initiative diplomatique en ce sens. D'ailleurs, quelles démarches notre pays a-t-il entreprises en la matière dans la période actuelle ? Depuis combien de temps n'a-t-il pas appelé les autres dirigeants du monde à désarmer ? Nous devons le faire. Il y va de l'honneur de notre nation.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
La France respecte totalement ses engagements internationaux. Je ne répéterai pas ce qui a déjà été dit par le président Gassilloud, mais je pourrais citer le format de la dissuasion, en cohérence avec le principe de la stricte suffisance évidente, l'abandon des composantes terrestres ou encore le démantèlement irréversible de ses anciens sites de production de matières fissiles pour les armes et de ses anciens sites d'essais nucléaires. Je n'y reviendrai pas.
J'aimerais simplement réagir aux propos du président Roussel à propos du coût du nucléaire, qu'il s'agisse des sous-marins…
Sourires
Je comprends votre argument. Cependant, ces coûts sont obligatoires, sinon la dissuasion n'est pas possible. Vous dites que vous êtes favorables à une rénovation de la dissuasion, mais sans l'enrichir des nouvelles technologies qui représentent un coût supplémentaire. Le problème, c'est que, dans ce cas, vous n'êtes plus dans une logique de dissuasion. La France descendrait d'un rang par rapport aux autres pays qui ne l'ont pas attendue pour monter en gamme. De mon point de vue, votre raisonnement ne tient pas debout. J'émets un avis défavorable sur l'ensemble de ces amendements.
Ces amendements nous invitent à poursuivre la réflexion que vous avez ouverte à propos de la place de la dissuasion nucléaire dans la défense des intérêts vitaux de notre nation et de son efficacité. Nous continuons ainsi à avoir le débat que le secrétaire national et député Roussel a réclamé tout à l'heure.
La dissuasion nucléaire est en tout cas un sujet grave, qui mérite que nous en débattions le plus calmement possible. J'espère au passage que nous garderons en mémoire la séance de ce soir. Il faudrait demander à nos équipes de vérifier mais, à mon avis, cela fait en effet très longtemps que n'avait pas eu lieu un débat d'une telle sensibilité sur ce sujet. Je vous remercie pour vos mots, mais nous savons bien qu'un tel exercice – le débat intellectuel et politique noble – se pratique à plusieurs.
Je distinguerai les propos que vous avez tenus ce soir de ce qui est écrit dans vos amendements identiques. On peut lire dans ces derniers : « Afin d'œuvrer à une paix durable, la France doit engager l'élaboration d'une stratégie de dissuasion non nucléaire […]. »
Je ne peux évidemment pas donner un avis favorable…
Non, pas sur des amendements qui laissent penser que notre dissuasion ne dissuade pas. C'est en tout cas ainsi que je comprends cette phrase.
Dans un souci de transparence vis-à-vis de l'ensemble des bancs, je préviens que j'émettrai un avis défavorable sur ces amendements ainsi que sur la plupart de ceux qui suivront, jusqu'au n° 1435 de Mme Chatelain, qui prévoit d'inscrire dans le rapport annexé les engagements de la France en matière de non-prolifération. En effet, la lutte contre la prolifération fait partie de la doctrine française. Cet amendement bien écrit et équilibré se réfère au droit international, puisqu'il mentionne un traité sur lequel la France s'est déjà engagée. C'est la première fois qu'une LPM mentionnerait une telle démarche.
Protéger et garantir notre dissuasion nucléaire tout en agissant diplomatiquement dans l'objectif d'une future non-prolifération n'est pas incompatible. Les nouveaux dangers qui nous menacent et qui menacent la paix doivent nous encourager à maintenir notre capacité de dissuasion nucléaire, et ce sans la partager ni l'abandonner ni la céder. C'est bien ainsi que la France restera un acteur essentiel dans le concert des nations, un pays que l'on écoute et qui participe à l'équilibre mondial par sa dissuasion et en retrouvant une pleine et entière souveraineté.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.
Au nom du groupe Socialistes et apparentés, j'indique que nous nous abstiendrons sur ces amendements. Nous respectons les engagements du TNP et tenons à le rappeler. Mais, comme le souligne l'amendement n° 1435 , monsieur le ministre, si notre pays tient absolument à poursuivre les engagements qu'il a pris lorsqu'il a signé le TNP, les temps actuels ne nous paraissent pas propices à une action beaucoup plus active de sa part dans ce domaine, et il faut bien envisager d'autres formes d'action extrêmement dangereuses et contre lesquelles la dissuasion nucléaire ne pourra nous protéger : je pense notamment aux cyberattaques qui pourraient demain provoquer des drames, ce qui suppose de travailler à d'autres formes de dissuasion. Sans remettre en cause le traité de non-prolifération nucléaire, une réflexion doit donc se poursuivre autour de la question de la dissuasion nucléaire.
Nos deux amendements évoquent certes l'idée d'une dissuasion alternative et donc non nucléaire, mais vous aurez compris, monsieur le ministre, qu'il s'agissait d'amendements de repli permettant d'articuler la projection dans le temps, que nous soumettions ainsi à votre réflexion, avec l'idée d'une alternative à la dissuasion actuelle, sans que cette nouvelle stratégie empêche de poursuivre la concrétisation de nos obligations dans le domaine du désarmement. C'est la raison pour laquelle les deux aspects de la question sont liés, peut-être de façon malhabile selon vous, mais il était intéressant, au moins pour le débat, de montrer comment ils pouvaient s'articuler. Au sein du groupe LFI – NUPES, nous nous inscrivons dans une logique de désarmement, mais nous sommes lucides et nous savons bien que celui-ci ne se réalisera pas d'un claquement de doigts et qu'il faut donc proposer une stratégie qui comporte pour les États dotés la possibilité de se savoir protégés quoi qu'il arrive.
S'agissant du concept de stricte suffisance, qui a été évoqué tout à l'heure, je voudrais vous apporter, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon témoignage. J'ai eu la chance de rencontrer à Hiroshima au mois de janvier dernier une hibakusha, une très vieille dame bien sûr, qui m'a dit …
Rires et exclamations sur les bancs du groupe RN
Je pense que le sort des hibakushas ne devrait pas susciter l'hilarité, même si je ne m'attends à rien de digne de la part de l'extrême droite.
Cette dame, alors que je lui expliquais la doctrine française, reposant notamment sur le principe de stricte suffisance, a eu un mot d'une naïveté qui continue à me faire réfléchir : « Mais, monsieur, si vous avez 300 ogives et que vous appelez cela de la stricte suffisance, c'est que ce sont des normes techniques, oubliant que la technique devrait obéir au politique. » Je soumets cette phrase au débat. Je connais l'importance des raisons techniques en ce domaine, j'ai rencontré des industriels et des militaires qui me l'ont expliquée, mais je trouve que ces raisons méritent aussi d'être questionnées d'un autre point de vue, ne serait-ce que par le biais de cette phrase pleine de dignité et de lucidité que j'avais envie de partager avec vous.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 173
Nombre de suffrages exprimés 168
Majorité absolue 85
Pour l'adoption 28
Contre 140
Nous en venons à deux amendements identiques, n° 576 et 673 .
J'annonce que je suis saisi par le groupe Rassemblement national d'une demande de scrutin public sur ces amendements.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l'amendement n° 576 .
Toujours s'agissant de la doctrine de la dissuasion française, je rappelle qu'il fut un temps, pas si éloigné, où celle-ci était considérée comme le cœur souverain de notre défense, qu'il ne s'agissait pas de partager. Certains présidents ont ensuite jugé utile de prévoir qu'elle puisse l'être avec nos alliés européens. Mais ces derniers bénéficient déjà, dans le cadre de l'Otan, du bouclier nucléaire américain. Qu'ont-ils alors besoin d'une double protection ?
Vous dites, monsieur le ministre, que l'important, c'est la crédibilité de notre dissuasion et donc qu'il n'y ait pas de doute sur la définition de nos intérêts vitaux ; mais à trop l'élargir cette définition, ne crée-t-on pas un doute, augmentant ainsi une incertitude qui finira par empêcher le doigt de presser le bouton, ce qui rendrait la dissuasion inopérante ? Ne devrions-nous pas en rester à une définition plus stricte, et donc plus nationale, de nos intérêts vitaux ? Cela ne veut pas dire abandonner nos alliés européens qui, je le répète, sont de toute façon défendus dans le cadre de l'Otan par le bouclier nucléaire américain, vous ne cessez de nous le rappeler, mais aussi par l'article 42 du traité de l'Union européenne qui a la même force juridique à cet égard que l'article 5 de l'Otan, fondé sur le principe de la défense en cas d'attaque.
Toutefois, cela n'implique pas forcément une riposte nucléaire, et je vois donc dans cette évolution un glissement par rapport à la doctrine qui a été élaborée par le général de Gaulle – nos amis Les Républicains ne cessent de le rappeler –, glissement qui nous inquiète. C'est pourquoi nous souhaitons, dans le cadre de cette LPM, revenir à l'essence originelle de la doctrine.
Mme Danièle Obono applaudit.
L'amendement n° 673 de M. Aurélien Saintoul est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Avis défavorable, parce qu'il y a une confusion entre le partage de la dissuasion nucléaire et les intérêts vitaux qui peuvent, eux, être également européens.
Nous abordons le troisième volet qui permet, en pointillé, de poursuivre la discussion sur le fonctionnement de la dissuasion, même si nous serons davantage au cœur de la doctrine quand nous aurons des débats plus technologiques sur les contrats opérationnels en fonction des vecteurs et des équipements capacitaires.
Premièrement, il est utile de rappeler que notre pays ne participe pas à la planification nucléaire de l'Otan – vous remarquerez qu'en disant cela, je fais honneur à votre penchant pour la dialectique, qui explique sans doute votre intérêt pour la dissuasion nucléaire.
Deuxièmement, le rapporteur l'a dit, mais je vais me permettre de développer ce point en complétant la réponse que j'ai faite précédemment au député Giletti au sujet de la notion de souveraineté. Le vocabulaire relatif à la dissuasion nucléaire étant très codifié, il importe d'être précis : il n'y a pas de partage dans l'usage de cette dissuasion, et il en est ainsi depuis les années soixante.
C'est la deuxième raison qui justifie l'avis défavorable du Gouvernement. Je rappelle au passage que cette absence de partage est l'un des motifs – je fais un peu d'histoire, puisque le député Le Fur nous y a invités – pour lesquels plusieurs familles politiques se sont longtemps opposées à cette dissuasion voulue par les gaullistes, en majorité relative entre 1958 et 1962. En effet, les centristes voulaient qu'elle soit partagée sous la forme d'un bouton européen, alors que d'autres suivaient les ordres venus de Moscou et que d'autres encore, notamment à l'extrême droite, s'opposaient systématiquement au général de Gaulle, peu importe ce qu'il proposait.
Il est donc vrai que la dissuasion nucléaire a pris du temps à être acceptée au cours des années soixante – même si, cela a été rappelé ici, Pierre Mendès France avait créé dès la décennie précédente l'embryon de la DAM, la direction des applications militaires. Il est vrai qu'il avait été membre du gouvernement du général de Gaulle et qu'au lendemain de la Libération, les Résistants se disaient : « Plus jamais juin 1940 » – comme d'autres ont pu se dire quelques années plus tard : « Plus jamais l'humiliation de Suez ».
Troisièmement, je suis tout à fait opposé à ce que nos intérêts vitaux soient d'une manière ou d'une autre encadrés, parce que la force de notre modèle de dissuasion – et j'ai en effet bien compris que vos amendements étaient d'appel et visaient à susciter à nouveau un débat sur le sujet –, c'est qu'ils ne le sont pas. Sinon, ce serait un des moyens de l'affaiblir, de l'amoindrir. Bien sûr, un président de la République, et lui seul selon la logique de notre système institutionnel, pourrait en décider autrement et souhaiter clarifier cette notion d'intérêts vitaux dans les grammaires de la dissuasion et de la diplomatie, s'il l'estimait nécessaire en tant que chef des armées et chef de la diplomatie. Sans aller beaucoup plus loin dans la démonstration, je rappelle que quand les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande, puis le président Macron, ont dit que nos intérêts vitaux avaient nécessairement une dimension européenne, cela n'a jamais signifié que l'usage de la dissuasion devait être partagé au niveau européen, mais qu'ils estimaient que la sécurité de la France peut aussi se mesurer en fonction de ce qui peut se passer autour. Je n'en dirai pas plus parce que c'est aussi la force de la dissuasion que de ne pas en dire plus sur ce que sont les intérêts vitaux.
Pour l'ensemble de ces raisons, j'émets un avis défavorable.
Exclamations sur divers bancs
une droite gaulliste ou gaullienne, mais en tout état de cause, il y a une droite qui aime la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Vous qui êtes un homme courtois et précis, monsieur le ministre, je pense que vous pouvez l'entendre.
Ensuite, je note que, une fois n'est pas coutume, ces deux amendements de la NUPES sont très intéressants, car ils renvoient aux principes. Aujourd'hui, on a politiquement et au niveau national une interrogation : que va faire M. Macron après 2027, puisqu'il sera un jeune retraité ? Pour notre part, nous avons cru comprendre que devenir le premier président d'une Europe fédérale ne lui déplairait pas ; or, pour ce faire, il faut bien qu'il transmette des éléments de souveraineté à cette entité supranationale qu'est l'Union européenne. Il verrait bien ainsi notre siège au Conseil de sécurité de l'ONU transféré à l'Union européenne…
Et puis il y a notre dissuasion. Je souligne qu'elle fait partie de notre souveraineté, qu'elle constitue même le cœur de notre protection, et que les contribuables français l'ont financée depuis des décennies, contrairement aux autres contribuables de l'actuelle Union européenne. Ma foi, apporter un tel joyau dans la corbeille de mariage serait du plus bel effet… Nous pensons donc qu'il est prudent d'inscrire dès à présent dans le marbre de la loi que la dissuasion nucléaire ne se partage pas.
Mêmes mouvements.
Je n'appellerai jamais un joyau une arme capable de détruire des millions de personnes en même temps. Jamais.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES et Écolo – NUPES.
Monsieur le ministre, sur les intérêts vitaux, on vous suit, car on comprend qu'il ne soit pas question de donner la liste des cibles dont l'atteinte vaudrait dissuasion. Par contre, on ne peut pas vous suivre quand vous proposez de mettre autant d'argent dans la modernisation de l'arme nucléaire, parce que cela revient en fait à la rendre plus efficace, donc encore plus meurtrière.
Plus dissuasive, dites-vous, mais au regard du TNP, cela revient à de la prolifération. Et c'est bien pourquoi la mise en œuvre de ce traité n'avance pas sur le plan du désarmement : les pays dotés font de la surenchère en investissant régulièrement dans l'arme nucléaire. On a évoqué les années « Ni Pershing, ni SS-20 », mais comment cela a-t-il abouti à un relatif désarmement ? Pourquoi a-t-on abandonné le plateau d'Albion ? C'est parce que l'opinion publique s'était saisie de la question de l'arme nucléaire – et vous avez raison, monsieur le ministre : c'est bien qu'elle suive aujourd'hui ce débat.
Il y avait dans les années 1970 et 1980 de nombreuses manifestations dont le mot d'ordre était « Ni Pershing, ni SS-20 », et tout le monde avait compris que l'arme nucléaire était capable de détruire la planète et l'humanité tout entière.
Il ne faut jamais l'oublier : l'arme nucléaire est capable de détruire la planète !
Exclamations sur les bancs du groupe RE.
Vous pouvez moderniser notre force tout en la réduisant dans le cadre du traité, ce que nous vous invitons à faire. Mais, compte tenu du flou qui entoure les sommes en jeu, dont je veux bien entendre qu'il s'agit d'un flou stratégique, nous ne pouvons pas vous suivre.
Monsieur Lecoq, la modernisation ne s'apparente pas à de la prolifération ; ce n'est pas vrai, je ne peux pas laisser dire ça.
Ensuite, il a été entendu, lors de mes échanges avec M. Roussel, que l'argent mis sur la table ne servait pas à durcir la dissuasion, mais à la maintenir à niveau pour qu'elle demeure dissuasive. Je vous ai donné des exemples précis, notamment celui de la discrétion acoustique ; sans pouvoir en dire beaucoup plus, je vous parle là d'une réalité qui nécessite de l'argent, tout comme en demande la vétusté de l'actuelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Tous les vingt ou trente ans commence un nouveau cycle, et vous examinez actuellement la LPM qui va amorcer le cycle des sous-marins nucléaires de troisième génération : par définition, cela exige des investissements, et je ne veux pas qu'on entretienne le flou sur cette question.
Merci de ce que vous dites sur les intérêts vitaux – j'y reviendrai dans un instant. Quoi qu'il en soit, je réaffirme ici devant vous, au nom du Gouvernement de la République et au nom du chef des armées, le Président de la République, qu'il n'y a pas de modification de la doctrine. Mieux, comme je le disais tout à l'heure, à partir de l'amendement n° 1435 de Mme Châtelain, nous allons reprendre les engagements sur la non-prolifération et les intégrer au rapport annexé.
Monsieur de Lépinau, quand j'ai parlé des députés d'extrême droite, je parlais de ceux qui s'en prenaient aux gaullistes en 1960. Si vous le prenez pour vous, c'est qu'au fond vous vous sentez les héritiers de ceux-là, et au moins les choses sont claires ! .
Protestations sur les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur les bancs du groupe RE
Il me semble avoir fait preuve, depuis le début de nos discussions, à la fois d'ouverture, de calme et de sérieux, mais je ne veux pas de caricatures ! L'extrême droite a combattu le général de Gaulle et ses gouvernements ; elle s'est opposée à la première loi de programmation militaire en 1960, puis, en 1964, à celle qui a installé la dissuasion nucléaire que vous prétendez défendre aujourd'hui !
Mêmes mouvements.
Alors, pas de faux procès, pas de faux-semblants, pas de caricatures !
Les députés du groupe RE se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, Dem, SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
Je ne fais pas de procès d'intention, mais on ne revoit pas l'histoire quand cela nous arrange !
Vous souhaitez encadrer ce que sont nos intérêts vitaux, comme vous l'avez laissé entendre en vous exprimant sur les amendements de MM. Lachaud et Saintoul. Or, précisément, l'un des héritages du général de Gaulle, jamais remis en cause par aucun de ses successeurs depuis 1962 et l'élection du président de la République au suffrage universel, a été de ne pas encadrer ces intérêts vitaux et de ne pas en faire une notion à la portée limitée. Vous entendez voter, par un scrutin public que vous avez demandé, en faveur d'amendements de La France insoumise qui affaiblissent l'héritage du général de Gaulle : eh bien, allez-y ! Au moins, les choses seront claires.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Sur le fondement de l'article 54, alinéa 5, monsieur le président. C'est un sujet d'importance. Nous parlons des intérêts vitaux de la nation depuis maintenant une heure et avons un débat de très haut niveau, grâce aux orateurs qui s'expriment sur l'ensemble des bancs. Je pense qu'il serait utile que vous autorisiez tous les groupes qui le souhaitent à s'exprimer sur cet amendement, de manière que l'Assemblée soit pleinement éclairée
« Non ! » sur divers bancs
sur un sujet essentiel nécessitant l'engagement de plusieurs milliards au cours des prochaines années.
Merci de votre conseil, mais nous allons continuer comme nous avons commencé.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 187
Nombre de suffrages exprimés 186
Majorité absolue 94
Pour l'adoption 68
Contre 118
Je ne le trouve pas si rédactionnel que ça, car il change légèrement le sens de la phrase. Sur un sujet comme la dissuasion, je préfère en rester à la rédaction initiale. C'est donc un avis défavorable ou une demande de retrait.
L'amendement n° 55 est retiré.
La parole est à Mme Caroline Colombier, pour soutenir l'amendement n° 65 .
Cet amendement reprend le dispositif de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir la force de dissuasion nucléaire, que notre groupe avait déposée.
Pour que la France puisse assurer son rôle de puissance d'équilibre et garantir la sécurité de ses intérêts au regard des menaces qui pèsent sur elle, elle dispose de cette capacité de dissuasion, devenue avec le temps un outil indispensable pour peser et porter avec crédibilité la voix et l'influence de la France sur la scène internationale.
Pourtant, cet outil indispensable fait, depuis de nombreuses années, l'objet de remises en cause et de contestations – même si l'on constate ce soir quelques progrès de la part de la gauche, longtemps bloquée sur un logiciel d'un autre âge. Certains trouvent la force de dissuasion nucléaire trop coûteuse ; d'autres rêvent d'un partage idéaliste et fantasmé au sein d'une Europe de la défense ; les idéologues de l'écologie, enfin, voient dans la dissuasion une menace pour le climat.
Il nous paraît donc indispensable, puisque nous sommes tous d'accord sur ce point, d'inscrire dans la loi, que « l'organisation, la gestion et la mise en condition d'emploi de la dissuasion ne peuvent faire l'objet d'aucun abandon, d'aucune cession ni d'aucun partage ».
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Avis défavorable. Le rapport annexé n'a pas vocation à servir de doctrine d'emploi pour la dissuasion nucléaire.
En matière de dissuasion, on doit être le plus précis possible. Vous vous référez à l'organisation : il n'y a aucun doute sur ce point – la comparaison avec la Grande-Bretagne est inutile pour montrer que c'est bien une spécificité française ; il en va de même pour la gestion ; en revanche, en ce qui concerne la mise en condition d'emploi, on en revient à la doctrine et aux intérêts vitaux, et votre formulation en la matière n'a rien de précis. C'est donc, là encore, un avis défavorable. Nous parlons d'un sujet sur lequel on ne peut se permettre d'être bavard.
Je saisis l'occasion de revenir sur mon amendement précédent pour vous répondre, monsieur le ministre. Il ne s'agissait pas de définir les intérêts vitaux, mais plutôt d'évoquer la notion de partage.
Si le mot même de partage ne figurait pas dans l'amendement, l'idée a été évoquée et elle est dans l'air, y compris en Europe. Pour notre part, elle nous conduit aussi à rappeler que nous ne souscrivons pas à la croyance en un « parapluie nucléaire » – même si c'est un problème qui concerne davantage les autres nations que la nôtre, c'est une question à laquelle il faut réfléchir quand on est membre d'une alliance comme l'Otan.
J'ajoute que cette idée du partage a notamment été évoquée outre-Rhin et que depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, la question est posée des risques pesant sur le financement de la dissuasion nucléaire. Il était donc normal d'évoquer le sujet, sans qu'il s'agisse pour nous de chercher à circonscrire les intérêts vitaux de la nation.
Pour le reste, l'amendement du RN est imprécis, vous l'avez bien dit.
L'amendement pourrait être conservé sans la mention de la mise en condition d'emploi, car je maintiens qu'il est important de préciser que la cession ou le partage ne sont pas envisageables.
Il me semble que le débat a été tranché dès le départ, avec l'adoption de notre modèle. C'est intéressant, car les propos du député Saintoul sur la doctrine conduisent plus loin encore que là où nous sommes. En effet, qui dit parapluie parle d'une autre doctrine, en l'occurrence développée par les Américains. Et là, on change d'emblée d'univers, puisqu'on parle d'armes prépositionnées dans les autres pays. Nous aurons l'occasion d'évoquer le Scaf, mais pourquoi croyez-vous que nos amis allemands achètent aussi des avions américains ? Tout simplement parce que ce sont eux qui peuvent transporter la bombe.
Les choses sont claires, et il faut le dire. Au regard du système de la « double clef », ce qui fait la lisibilité de notre doctrine nucléaire depuis le début, c'est qu'elle est intrinsèquement souveraine. Elle ne se partage pas, elle n'est pas cessible.
On ne doit pas laisser planer le doute là-dessus, et c'est clairement écrit dans la LPM : cela résulte de la rédaction des dispositions relatives aux contrats et de la manière dont sont structurées la force océanique stratégique (Fost), les forces aériennes stratégiques (FAS) et la force aéronavale nucléaire (Fanu). En tout état de cause, il suffit de comparer avec la dissuasion américaine pour voir que nos deux organisations n'obéissent pas à la même logique.
On en revient une fois de plus à l'élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962, à la répartition des compétences en matière de défense, à ce qui, aux termes du code de la défense nationale, définit qui assure et assume le contrôle des armes au sein du Gouvernement – notamment votre serviteur.
Tout ceci figure clairement dans la loi, si bien qu'à trop vouloir être bavard sur la dissuasion, on finit par dessiner en creux des sous-jacents étranges.
En la matière, je suis un peu le gardien du temple, ce qui explique – et vous m'en excuserez – que je me sois tout à l'heure un peu agacé sur la question des intérêts vitaux, parce que je ne veux pas qu'on les encadre.
De même, l'incessibilité participe intrinsèquement de notre modèle de dissuasion depuis 1960, et nos débats, dont je vous remercie pour leur qualité, montrent que de l'ensemble de vos bancs s'élève le souhait unanime que cela demeure ainsi. C'est une bonne chose.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 184
Nombre de suffrages exprimés 183
Majorité absolue 92
Pour l'adoption 50
Contre 133
L'amendement n° 65 n'est pas adopté.
Par cet amendement, nous proposons que la France rejoigne le traité sur l'interdiction des armes nucléaires, le Tian – en tant qu'observateur, je le précise.
On le répète depuis hier : parmi les neuf puissances nucléaires, il en est qui représentent une menace grandissante. À cet égard, sans doute certains d'entre vous connaissent-ils les travaux de l'université de Chicago, notamment l'horloge de la fin du monde, the Doomsday Clock, qui permet de montrer que l'apocalypse nucléaire marquant la fin du monde n'a jamais été aussi proche puisque, si la fin du monde survient à minuit, il était, en janvier dernier, vingt-trois heures cinquante-huit.
Face à cette menace qui s'approche, on nous répondra dissuasion. Mais l'escalade doit-elle être le seul horizon que nous puissions offrir à nos sociétés et aux générations futures ? Toujours plus d'escalade, toujours plus d'argent public, pour aboutir, peut-être, à une catastrophe nucléaire ?
Nous considérons que la France doit être à l'avant-garde des puissances nucléaires et devenir membre observateur du Tian, pour favoriser un désarmement qui, évidemment, ne soit pas unilatéral. Nous sommes conscients qu'il est encore d'actualité de déclarer que « les pacifistes sont à l'ouest et les missiles sont à l'Est », mais par ce traité sur l'interdiction des armes nucléaires, qui n'est pas en contradiction avec le TNP – il le complète –, la France doit montrer la voie vers un autre horizon que l'escalade nucléaire.
J'ajoute que le Tian comporte un volet important d'assistance humanitaire, lequel oblige à mieux indemniser les victimes d'essais nucléaires. La question concerne évidemment la France, qui a opéré des essais dans le Sahara algérien et en Polynésie.
La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l'amendement n° 674 .
Vous avez ici une nouvelle démonstration de l'entente au sein de la NUPES, monsieur le ministre : ce sont des amendements identiques issus de nos groupes que vous avez devant vous.
Il s'agit de demander que la France adhère au Tian en tant que membre observateur. Ce faisant, le pays honorerait d'une certaine façon sa signature du TNP, qui l'engage à prendre de bonne foi toutes les initiatives en vue d'un désarmement.
Il ne s'agit pas de reconnaître dès à présent une obligation de désarmement unilatéral, vous l'aurez bien compris. Et pour appuyer la pertinence de ce devoir moral que nous nous imposerions, je citerai, comme je l'ai fait en commission, l'exemple de l'Allemagne, qui n'a pas rechigné à se présenter à la première conférence d'examen du Tian, tout comme l'ont fait de nombreux autres États croyant en la dissuasion nucléaire pour s'être placés sous le parapluie états-unien. Ces pays ont ainsi choisi de ne pas balayer d'un revers de main cette initiative de la société civile internationale, le Tian étant le fruit de l'action de l'Ican – campagne internationale pour abolir les armes nucléaires.
Nous estimons qu'il est désormais possible de porter un œil bienveillant sur cette initiative. Il nous semble même qu'il serait dangereux pour la position française de continuer, comme le Gouvernement l'a fait ces dernières années, de faire pression sur nos amis et alliés, en leur demandant de contester la légitimité de la stratégie de l'Ican. Nous nous isolerions en continuant d'agir de la sorte et nous nous montrerions arrogants, pour ne pas dire hautains à l'égard des États non dotés. Il faut que nous fassions ce geste de compréhension à l'égard de la société civile internationale.
Je le répète, il ne s'agit pas d'aller vers un désarmement unilatéral, mais d'adresser un signe d'ouverture.
La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir l'amendement n° 1145 .
Si notre modèle de dissuasion est opérant dans le champ actuel des relations internationales, il ne doit pas nous empêcher d'imaginer un monde débarrassé des armes de destruction massive. La France, en tant que membre observateur du traité sur l'interdiction des armes nucléaires, pourrait contribuer aux travaux conduits par les signataires et à leurs avancées.
Nous ne pouvons évidemment pas mettre un terme à la dissuasion en l'absence d'un processus multilatéral de désarmement nucléaire : disposer d'un arsenal atomique représente à l'heure actuelle une garantie pour la sécurité des Français et des Françaises. Nous pouvons néanmoins renforcer notre engagement dans l'ensemble des processus internationaux visant à établir des relations pacifiées. Cette démarche est en adéquation avec notre vision du rôle international de la France : elle doit promouvoir une conception universelle et non dévoyée des droits humains au service de la paix.
Nous aspirons à travailler à un monde plus juste dans lequel les rapports entre les différentes nations seraient fondés sur la coopération ; un monde dans lequel quelques États ne jouiraient pas d'une sécurité supérieure aux autres parce qu'ils disposent d'un arsenal atomique. Allons plus loin et œuvrons pour une LPM du XXI
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l'amendement n° 1445 .
Si vous l'autorisez, monsieur le président, je dépasserai légèrement mes deux minutes de temps de parole ,
Protestations sur quelques bancs
Tout d'abord, je rejoins les trois interventions précédentes et je tiens à insister sur l'importance du geste que représenterait l'adhésion de la France au Tian en tant que membre observateur. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, notre pays a toujours eu une position et une voix singulières en matière de dissuasion. En définitive, nous prolongerions cette histoire en accomplissant ce geste alors que nous sommes un pays doté pour lequel la dissuasion nucléaire – cela a été dit dès le début du débat – occupe une place très importante. Ce serait la marque forte de notre engagement en vue d'une interdiction multilatérale des armes nucléaires, dont la dangerosité a aussi été rappelée.
Car s'il s'agit d'un outil de défense qui peut nous donner le sentiment d'être protégés, c'est aussi une crainte et un danger pour l'ensemble de l'humanité. Avancer dans la perspective d'un désarmement reviendrait au fond à prendre en compte la sécurité humaine dans son ensemble. C'est bien dans cette logique de recherche et de maintien de la paix que la France pourrait devenir observatrice. Pour le groupe Écologiste – NUPES, il s'agit de la solution la plus pertinente.
Toutefois, si cette perspective devait être rejetée, nous proposons que, sous l'égide de l'ONU, la France amorce des discussions avec l'ensemble des États dotés ainsi que ses partenaires européens, en vue de la signature du Tian : c'est l'objet de l'amendement n° 1438 . Dit autrement, si vous estimez qu'un poste d'observateur représenterait un marqueur trop important, commençons de simples négociations. Nous le savons, c'est lors des plus fortes tensions que nous avons obtenu des avancées en matière de dénucléarisation de nos armées. Je le répète, une autre possibilité serait de nous placer sous l'égide de l'ONU et de lancer des discussions, y compris avec les États dotés, pour entrer dans une trajectoire de sortie des armes nucléaires.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES.
Il y a quelques jours, devant le mémorial de la paix d'Hiroshima, monument dédié aux victimes des bombes d'Hiroshima et de Nagasaki, l'ensemble des représentants des pays du G7 se sont recueillis. Le communiqué final de cette réunion indique que la France et les autres membres du G7 s'engagent à « approfondir les efforts de désarmement et de non-prolifération visant à atteindre l'objectif ultime d'un monde sans armes nucléaires ». Le Président de la République française a donc signé en faveur de « l'objectif ultime d'un monde sans armes nucléaires ».
Je rêve d'une France et d'une République française qui passerait de la parole aux actes. Je rêve d'un Président de la République, peut-être en 2027 ,
M. Christophe Barthès s'exclame
qui prendrait la tête de ce combat et qui ferait le tour des puissances nucléaires pour leur demander de s'engager dans le désarmement et de participer en tant qu'observateurs au traité sur l'interdiction des armes nucléaires.
Des pays européens, certains étant même membres de l'Union européenne, y participent déjà en tant qu'observateurs : je pense à l'Allemagne, à la Finlande, à la Norvège, à la Suède, à la Suisse. Deux grands pays comme le Brésil et l'Indonésie ont également fait le choix d'y adhérer en tant qu'observateurs. Ce serait l'honneur de la France d'emprunter le même chemin, ce qui ne remettrait pas en cause la dissuasion nucléaire comme pilier de notre défense.
J'espère que ce sera aussi notre choix et qu'il sera inscrit dans le projet de loi de programmation militaire.
Quel est l'avis de la commission sur les six amendements en discussion commune ?
Le Tian n'est pas compatible avec l'approche réaliste et progressive du désarmement nucléaire de la France, laquelle suppose de tenir compte de l'environnement stratégique. J'émets donc un avis défavorable sur l'ensemble de ces amendements.
La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Je souhaite dire un dernier mot sur la dissuasion. Pour l'ensemble des raisons que j'ai évoquées tout à l'heure, la France est exemplaire en matière de désarmement et respecte totalement ses engagements dans le cadre du TNP, traité qui la définit comme l'un des cinq États dotés d'armes nucléaires.
Le TNP a été signé par 191 États et sauf erreur de ma part, seuls quatre pays ont refusé d'y adhérer.
Le Tian me semble totalement inadapté au contexte sécuritaire international. La Russie emploie une rhétorique nucléaire agressive, la Chine prévoit de doubler son arsenal nucléaire, tandis que l'Iran et la Corée du Nord représentent des menaces. Ainsi, non seulement le Tian est incompatible avec ce contexte, mais il fragilise même le TNP. Il n'a été signé que par soixante-huit États et il bloque la possibilité d'avancer de bonne foi vers le désarmement.
Enfin, à qui ce Tian s'adresse-t-il ? Uniquement aux démocraties occidentales, où le débat est possible. S'adresse-t-il à la Chine ou à la Russie ? Sûrement pas. Si nous y adhérions en tant que membre observateur, nous nous exposerions au chantage nucléaire des démocraties occidentales. Je le répète, non seulement cela nous affaiblirait, mais j'estime sincèrement que cela ne contribuerait pas à la progression de bonne foi vers un désarmement.
Nous poursuivons le débat engagé depuis vingt et une heure trente sur la dissuasion nucléaire, et nous voyons bien que les choses doivent être très équilibrées. Nous avons commencé nos discussions en nous entendant sur le fait qu'un désarmement unilatéral de la France ne saurait être envisagé. Peut-être n'est-ce pas un acquis, mais je garde cet élément en mémoire pour le relier à ma réponse sur ces amendements. Nous nous sommes ensuite interrogés sur l'avenir de la dissuasion : je n'y reviens pas. Puis nous avons abordé la notion d'intérêts vitaux et celle de souveraineté technologique.
S'agissant maintenant du Tian, commençons par ne pas banaliser le statut d'observateur, chose qui m'a frappé dans vos interventions. Vous dites qu'il serait important, pour un pays comme le nôtre, d'y adhérer, mais ce pas serait en réalité si important qu'il reviendrait à mettre le doigt dans un engrenage, en l'occurrence celui consistant à entamer un désarmement unilatéral : soyons clairs. Les mots ont un sens : un traité d'interdiction, quand vous y adhérez vous-même, cela commence à ressembler à du désarmement unilatéral, madame et messieurs les députés.
Si, ne banalisez pas le statut d'observateur.
De plus, le président de la commission de la défense a raison de le dire, eu égard au contexte que nous connaissons : tout signal, y compris émanant du Parlement, qui donnerait l'impression que nous ne croyons pas en notre capacité à dissuader nos compétiteurs – veuillez me pardonner, monsieur Lecoq, mais il s'agit de l'expression consacrée dans la grammaire de la dissuasion – serait un mauvais signal.
Cela a été rappelé de nombreuses fois, la France est exemplaire dans le domaine nucléaire, mais avancer dans la voie qui mène à un traité d'interdiction, même en tant qu'observateur, constituerait le début du commencement d'un virage vers le désarmement unilatéral,…
…que vous le vouliez ou non – et je ne mets pas en cause votre bonne foi.
Vous souhaitez une démarche multilatérale mais, lorsque nous examinons un projet de loi de programmation militaire définissant le format des armées françaises et notre action internationale, vous proposez de nous engager progressivement sur le chemin qui mène au désarmement unilatéral. Nous le refusons.
Je demande le retrait de ces six amendements ; à défaut l'avis du Gouvernement sera défavorable. Être exemplaire ne veut pas dire s'affaiblir.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Mme Sophie Mette applaudit également.
Je suis impressionné par le sens du timing de tous ceux qui ont défendu ces amendements.
Alors que l'Ukraine est sous les bombes, nous avons besoin de profiter de l'ambiguïté entourant la notion d'intérêts vitaux pour que les Russes soient conscients que certains franchissements de seuils pourraient mettre en péril leurs ambitions.
Notre dissuasion contribue à cette ambiguïté. À cet égard, le cardinal de Retz ne disait-il pas qu'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment ?
Et vous, au moment précis où nos armes nucléaires sont plus que jamais utiles, vous proposez que nous rejoignions le Tian !
J'écoutais notre collègue Roussel, notre camarade qui, avec l'héritage de l'URSS et de ses missiles, nous disait avoir le rêve qu'en 2027 lui ou ses amis soient au pouvoir.
L'escalade dont parlait M. Julien-Laferrière, c'est vous ! Si demain nous ne disposons plus de la dissuasion, que nous restera-t-il ? Une dissuasion conventionnelle. Il ne nous faudra alors pas consacrer 2 % du PIB à la défense, mais 3, 4 ou 5 % du PIB, comme le font les Polonais.
Le moment est venu de se souvenir des propos de François Mitterrand, qui, bien que venant de la gauche, avait repris à son compte l'héritage du général de Gaulle : « Le pacifisme est à l'Ouest et les euromissiles sont à l'Est. »
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et HOR, ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.
Notre collègue a bien fait de parler de la guerre en Ukraine car la dissuasion nucléaire ne l'a pas empêchée.
Exclamations sur quelques bancs du groupe RE.
L'Ukraine a abandonné ses armes nucléaires il y a plus de vingt-cinq ans !
Je n'étais pas d'accord avec M. Thiériot, mais je l'ai écouté. Je ne devrais pas avoir à le rappeler, monsieur le président.
Nous allons tous sur les marchés pour discuter avec les gens. Souvenez-vous de ce qu'ils avaient en tête l'année dernière, au moment où la Russie envahissait l'Ukraine. Ils pensaient alors à la bombe atomique russe et disaient leur effroi de voir une puissance nucléaire déclencher une guerre.
Je me souviens avoir rencontré des gens terrorisés et notamment des jeunes, qui voyaient leurs rêves et leur espoir dans l'avenir être menacés par cette guerre. On a vite oublié ce moment-là !
Je constate par ailleurs qu'il existe des États dotés de l'arme atomique, qui sont d'ailleurs tous opposés au Tian, et des États qui n'en sont pas dotés, car, en théorie, le droit international leur interdit de détenir cette arme. Au nom de quoi certains États peuvent-ils bénéficier de la dissuasion nucléaire et d'autres ne le peuvent-ils pas ? Au nom de quoi la défense de leur pays coûterait-elle moins chers aux Français, grâce à la dissuasion nucléaire, alors que d'autres doivent financer une défense conventionnelle plus coûteuse ? Comment justifier une telle inégalité ?
Un monde pacifié ne pourra voir le jour que par une collaboration d'égal à égal. Il nous faut solder l'héritage de la deuxième guerre mondiale et abandonner la bombe atomique.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES, ainsi que sur quelques bancs des groupes SOC et Écolo – NUPES.
Je vous informe que, sur l'amendement n° 1333 , je suis saisi par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Mélanie Thomin, pour soutenir cet amendement.
Notre politique de dissuasion nucléaire est d'abord la garantie de la paix sur l'ensemble du territoire national et, nous voulons le réaffirmer ce soir, sur l'ensemble du territoire européen. Pour préserver nos intérêts vitaux dans le monde actuel, la dissuasion est nécessaire.
Nous saluons les engagements de la France en matière de réduction des armements nucléaires et nous rappelons qu'elle s'est donné des obligations en la matière. Les réflexions sur le désarmement exprimées ce soir par nos collègues nous semblent particulièrement légitimes. Elles rejoignent celles de militants de ma circonscription, qui ont manifesté ces dernières semaines face à la base de l'île Longue, sur les processus de désarmement nucléaire. Nous devons être attentifs à leur message, qui peut alimenter nos débats.
Le groupe Socialistes et apparentés est favorable à l'idée qu'une stratégie garantissant la paix n'est pas immorale. Une telle stratégie pourra nous permettre, à terme, de nous passer de l'arme nucléaire. Toutefois, le contexte international actuel ne nous autorise aucune faiblesse.
Nous avons pu entendre ce soir plusieurs références historiques – notre collègue Thiériot vient d'évoquer le président Mitterrand. Je souhaite pour ma part rappeler les propos que le président Hollande a tenus en 2015 dans un discours prononcé à Istres : « Le temps de la dissuasion nucléaire n'est pas dépassé. » Il avait également affirmé dans ce même discours que la dissuasion « n'a pas sa place dans le cadre d'une stratégie offensive, elle n'est conçue que dans une stratégie défensive ». Vous l'avez d'ailleurs rappelé, monsieur le ministre.
Par cet amendement, nous souhaitons réaffirmer notre crédibilité en matière de dissuasion.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public : l'une sur l'amendement n° 1435 , à la demande du groupe Renaissance, et l'autre sur l'amendement n° 504 , à la demande du groupe Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 1333 ?
La crédibilité est le fondement même de notre dissuasion. Avis favorable.
Je vous remercie pour votre intervention, madame Thomin. Elle rappelle l'histoire politique de votre groupe parlementaire au cours de la V
Votre amendement est limpide. La crédibilité est un des mots-clés de notre doctrine. Avis favorable.
Plusieurs d'entre vous demandent à prendre la parole pour défendre les positions favorable, défavorable ou abstentionniste. Pour défendre l'abstention, la parole est à M. Fabien Roussel.
Si vous êtes contre ou pour, je ne pourrai plus donner la parole à un autre orateur du même avis.
Voilà à quoi nous en sommes réduits pour bénéficier de deux modestes minutes afin de nous exprimer sur un sujet aussi important et sur un amendement pour lequel le groupe Renaissance a demandé un scrutin public !
Que mettons-nous derrière le mot « crédibilité » ? On peut en même temps y mettre tout et n'importe quoi, beaucoup et peu.
La puissance explosive de la bombe larguée sur Hiroshima était de 20 kilotonnes. Elle a provoqué la mort de toutes les personnes qui se trouvaient dans une zone de 1 kilomètre carré autour du point d'impact ainsi que des dégâts irréversibles dans une zone de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, avec des conséquences constatées pendant des décennies, qui persistent encore aujourd'hui. Nos têtes nucléaires ont aujourd'hui une puissance de 100 kilotonnes et les missiles M45 et M51 peuvent en porter six chacun, soit une puissance de frappe mille fois supérieure à celle de la bombe d'Hiroshima. On peut donc se demander si notre dissuasion nucléaire n'est pas déjà assez crédible.
Nous entendons et je l'ai d'ailleurs déjà dit, qu'il faut l'entretenir afin qu'elle conserve son efficacité et son poids dissuasif, mais pourquoi le projet de loi prévoit-il de renforcer les têtes nucléaires afin qu'elles soient plus efficaces et plus meurtrières ? Le fait que nos bombes soient mille fois plus puissantes que celle d'Hiroshima amène à s'interroger, non pas sur la crédibilité, mais sur le choix de renforcer notre arsenal nucléaire. Cette ambiguïté explique notre abstention, que nous avons décidée sans malice, monsieur le ministre.
Je souhaite répondre à notre collègue Thiériot, qui s'est dit impressionné.
Il nous montre encore une fois qu'à un débat serein et raisonné, tel que nous l'avons mené jusqu'à présent, il préfère la caricature. C'est d'autant plus regrettable qu'il a déposé un amendement grâce auquel, selon lui, nous pourrions éradiquer Daech avec l'arme nucléaire. Cet amendement, qui contredit la doctrine nucléaire française dans sa pureté, n'est pas à la hauteur de nos débats.
Il nous a aussi gratifiés de son savoir encyclopédique en matière de citations littéraires, mais, que je sache, le cardinal de Retz n'était pas partisan de la dissuasion nucléaire, pas plus qu'il n'était fin connaisseur de sa grammaire.
L'amendement de nos collègues du groupe Socialistes me semble un peu superfétatoire puisque les textes faisant autorité en la matière ne dissocient pas la notion de crédibilité de celle de dissuasion. Nous soutenons cette logique : l'une ne peut exister sans l'autre.
Nous avons tous ici conscience de l'horreur qu'est l'utilisation de l'arme nucléaire. Certains ont d'ailleurs rappelé les conséquences de l'explosion à Hiroshima d'une bombe de 15 kilotonnes. Cette conscience de l'horreur fait partie de la dissuasion : le nucléaire dissuade parce qu'il est horrible.
On trouve dans certains des propos tenus depuis tout à l'heure du Chamberlain et du Daladier.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ces propos manifestent un esprit positif et pacifiste. Il faut y faire attention, car cet esprit ne fait pas gagner une guerre et risque de faire disparaître la nation. Prenons-y garde ! Notre collègue communiste a évoqué l'Ukraine : qui peut imaginer un instant qu'elle aurait été attaquée par les Russes si elle avait refusé de se séparer de son arsenal nucléaire en 1992 ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 177
Nombre de suffrages exprimés 127
Majorité absolue 64
Pour l'adoption 123
Contre 4
L'amendement n° 1333 est adopté.
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l'amendement n° 1435 .
Il vient sans doute clôturer les presque deux heures de débat de ce soir sur la dissuasion nucléaire, question extrêmement importante pour notre politique de défense. Je voudrais souligner, comme l'ont fait de nombreux collègues, la qualité de ces échanges.
Au cours de ce débat, la NUPES a démontré sa volonté commune et constante de tracer un chemin vers la paix afin de construire un monde où l'arme nucléaire ne serait plus nécessaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
L'Assemblée s'est prononcée sur nos nombreux amendements. J'espère que celui-là fera l'objet d'un accord, pour lequel, monsieur le ministre, vous avez d'ailleurs ouvert la porte. Il vise en effet à rappeler l'engagement de la France à respecter les obligations qu'elle s'est données en ratifiant le traité de non-prolifération des armes nucléaires. Ce traité est très important, car il a donné du temps aux diplomates et aux responsables politiques pour poursuivre une démarche de désarmement, que nous souhaitons amplifier.
L'inscription de ces obligations pour la première fois dans le rapport annexé d'une loi de programmation militaire serait un symbole fort qui rappellerait l'importance que nous accordons à la parole de la France concernant le TNP.
La France respecte toujours les traités qu'elle signe. Je m'interroge donc sur la nécessité de le rappeler dans le rapport annexé. Avis de sagesse.
Ce sujet pourrait également pourrait faire l'unanimité. La voix française s'exprime à travers les engagements internationaux concernant la non-prolifération, pris dans le passé par notre pays après avoir été débattus dans cet hémicycle. Ceux-ci sont désormais acceptés par tout le monde, en tout cas par le Gouvernement. J'émets un avis favorable.
Ne sous-estimons pas la force symbolique d'un tel amendement, moins vain que certains autres dont nous débattons pourtant longtemps pour quelques mots. Certes, il n'apporte pas de nouveauté du point de vue du droit, mais faire figurer clairement dans un document de nature militaire le respect du traité de non-prolifération permet d'affirmer la cohérence de la dissuasion nucléaire, outre celle de notre diplomatie.
Cet amendement permet ainsi d'achever ce cycle de deux heures de débat sur la dissuasion nucléaire et montre bien au fond, que ce n'est pas tant l'unité entre les membres de la NUPES qu'il faut trouver
Sourires
que celle entre les Françaises et les Français, au service de la sécurité de la nation.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et HOR.
C'est justement l'unité de la NUPES qui permet d'aboutir à celle de la nation.
Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SOC et Écolo – NUPES.
Monsieur le ministre, au-delà ce point, je salue votre réponse. Votre avis favorable confirme que ce sont dans les périodes de crise, où les tensions sont les plus extrêmes, que les grandes démocraties doivent réaffirmer leur attachement au droit international et à leur volonté de désarmement.
M. Emmanuel Fernandes applaudit.
Il importe de le dire et de faire figurer cette mention dans le projet de LPM, en mandatant ainsi l'exécutif pour mener les négociations prévues dans le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Ainsi, celui-ci ne sera pas seulement une incantation, mais l'incarnation de la volonté, que j'espère la plus large possible, d'aller vers un indispensable désarmement. C'est, répétons-le, la force de la démocratie de le rappeler en période de crise.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
Le groupe Rassemblement national s'abstiendra, car, selon nous, écrire que la France respectera ses traités est une lapalissade. Cela signifierait qu'en l'absence d'une telle mention, elle ne les respecterait pas. On créerait une suspicion que nous ne pouvons tolérer.
En outre, parce que le diable se cache souvent chez vous dans les détails, j'ai lu l'exposé sommaire de l'amendement. Celui-ci précise l'objectif que vous gardez en tête : en finir avec la dissuasion nucléaire.
Pour notre part, nous croyons à la dissuasion nucléaire, nous croyons que plus nous assumons son renforcement, plus elle fait peur, mieux elle nous protège. Tous les signaux qui laisseraient penser que nous doutons, que l'opinion publique la rejette, sont autant de coups de canif portés à son efficacité.
Nous nous abstiendrons sur cet amendement – nous ne saurions voter contre, puisque nous voulons bien évidemment que la France respecte les traités qu'elle a signés.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 174
Nombre de suffrages exprimés 127
Majorité absolue 64
Pour l'adoption 116
Contre 11
L'amendement n° 1435 est adopté.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe RE.
Le retard accumulé dans le programme de système de combat aérien du futur, dont la mise en service ne devrait pas survenir avant 2040 nous oblige à accélérer le développement d'un cinquième standard du Rafale, afin d'assurer la continuité de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire.
Monsieur le ministre, vous l'avez précisé en commission de la défense la semaine dernière, le passage du Rafale au standard F5 est de toute manière prévu, que le Scaf voie le jour ou non – c'est le moins que l'on puisse espérer, car cette évolution est plus que souhaitable.
Le développement du nouveau standard est essentiel pour assurer à l'horizon 2030 la supériorité opérationnelle de l'aviation de chasse française face à l'évolution des menaces et, surtout, la crédibilité de la dissuasion nucléaire aéroportée, le Rafale F5 devant emporter le nouveau missile hypervéloce air-sol nucléaire de quatrième génération. L'optimisation de nos capacités de combat collaboratif sera au cœur de ce nouveau standard, à travers la collaboration de senseurs entre radars, systèmes de guerre électroniques et capteurs optiques.
Lorsque le Président de la République annonce souhaiter « le tout Rafale » d'ici à 2030 – projet qui, rappelons-le, a peu de chance d'aboutir –, nous attendons du Gouvernement qu'il précise et clarifie cette évolution, malgré le présent rapport annexé qui entretient un flou général.
Bien sûr, parce que le groupe Rassemblement national a à cœur de satisfaire les besoins des armées françaises en priorité, nous ne nous révoltons pas du nouveau plagiat commis par le Gouvernement…
N'interpellez pas vos collègues, monsieur Mathieu. Monsieur Giletti, poursuivez.
Monsieur Mathieu, vous viendrez me voir tout à l'heure et je vous expliquerai.
Le Gouvernement a soudain déposé un amendement faisant référence au standard F5 du Rafale. Si nous nous réjouissons d'être pour lui une source d'inspiration, il devrait reconnaître que nous sommes à l'origine d'un tel amendement, qui satisfait les besoins de l'armée de l'air et de l'espace.
J'ai bon espoir que notre bonne volonté soit encouragée par l'adoption du présent amendement, qui permettrait d'apporter une simple mais nécessaire précision.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Vous évoquez vous-même l'amendement du Gouvernement ; je laisse le soin à M. le ministre de le présenter et je vous demande de retirer le vôtre.
Le problème est de fond et de forme : je ne vois pas bien où est le plagiat ; en tout cas, ce n'est pas le Rassemblement national qui a décidé du développement du standard F5, mais votre serviteur, en comité ministériel d'investissement.
Votre statut de rapporteur pour avis de crédits de la mission "Défense" liés à l'armée de l'air nous a conduits à débattre en commission de la défense sur les rythmes de l'équipement en avion de chasse – qu'il s'agisse du Rafale aujourd'hui ou du Scaf demain. Celui-ci sera développé, quoi qu'il arrive, même si le choix des partenaires ne fait pas l'unanimité, car c'est l'avion du futur de la France, post-Rafale ; nous y reviendrons à l'amendement suivant.
Je vous demande de retirer votre amendement. En commission, vous m'avez interpellé sur le standard F5, souhaitant obtenir confirmation qu'il restait d'actualité. Vous avez eu la gentillesse de rappeler dans cet hémicycle ma première réponse, positive, et accompagnée de l'annonce d'une longue période de tuilage entre le F5 et le Scaf. Nous parlons de la génération des avions des années 2030, qui contribuera à la modernisation de la force aérienne stratégique, comme vous l'avez indiqué vous-même, je n'y reviens pas.
L'amendement n° 292 , que je défendrai tout à l'heure a deux vertus. Tout d'abord, il ne porte pas, contrairement au vôtre, sur la partie principielle du rapport annexé, mais vise à modifier le tableau capacitaire de son alinéa 37, comme je m'y étais engagé devant vous. Il est ainsi rédigé : « Le standard F5 du Rafale sera développé pendant cette loi de programmation militaire. Il comprend notamment le développement d'un drone accompagnateur du Rafale, issu des travaux du démonstrateur Neuron ».
Je serai une fois de plus honnête : cette rédaction, déposée au nom du Gouvernement, est le fruit de la longue discussion, en commission, avec les députés de divers bancs, qui demandaient des clarifications.
Si je vous demande de retirer votre amendement, c'est donc non seulement parce qu'il ne modifierait pas le bon alinéa du texte, mais aussi par ce qu'il y manque les précisions apportées par le Gouvernement, qui permettront de lever tous les doutes.
Vous avez vous-même auditionné le délégué général pour l'armement et Dassault. Vous savez en conséquence que les programmes sont tenus et que les équipes de cette entreprise se donnent beaucoup de mal pour respecter les délais de développement du standard F5. C'est heureux ; cela nous ouvrira des perspectives à l'export, car ce standard intéressera certains de nos partenaires. J'espère vous avoir rassuré.
Les travaux en commission ont permis d'aboutir à l'amendement du Gouvernement. Le problème de forme est récurrent depuis le début de l'examen du présent texte en séance publique, il y a quelques heures : nous avons l'impression que le Gouvernement reprend à son compte certains de nos amendements alors qu'il pourrait les soutenir, comme si, monsieur le ministre, vous ne vouliez pas souscrire à nos travaux tout en vous en inspirant par ailleurs. Levons ce malentendu.
Levons tout de suite le doute, s'il subsiste : je réponds à toutes les questions, de quelque banc qu'elles viennent, comme cela a été le cas en commission, alors qu'un ministre n'est pas forcément tenu de participer à l'intégralité des débats. Depuis le début des débats, j'ai en outre émis des avis de sagesse ou favorables sur des amendements provenant de tous les bancs – chacun reste ensuite libre de son vote.
Enfin, c'est vrai, durant les travaux de la commission – je le précise pour les députés qui n'en sont pas membres –, j'ai pris l'engagement de déposer plusieurs amendements de clarification, en réponse à certaines propositions dont je comprenais le fond et parce que le Gouvernement prend ses responsabilités.
Parmi la dizaine d'amendements ainsi déposés, un concerne l'Ukraine, conformément à ma promesse, d'autres visent à solder les dernières négociations avec les industriels – j'avais déjà annoncé le dépôt de celui relatif au satellite Iris la semaine dernière, lors des questions au Gouvernement. Quant au présent amendement, il est pour nous évident – pour reprendre les racines latines du mot, ex et video, cela saute aux yeux – qu'il est nécessaire de développer le standard F5 pour l'après-Rafale et l'avant-Scaf. Nous l'avons donc inscrit dans notre copie, en tenant bien compte des aspects budgétaires et industriels.
Monsieur Giletti, vous-même avez demandé avec force davantage de clarté sur ce point ; c'est ce que permettra l'amendement du Gouvernement, qui a en outre l'avantage de mentionner le drone accompagnateur issu des travaux du Neuron, dont vous savez très bien qu'il est un intrant majeur du F5.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 154
Nombre de suffrages exprimés 152
Majorité absolue 77
Pour l'adoption 43
Contre 109
L'amendement n° 504 n'est pas adopté.
Le 1er décembre 2022, après des années rythmées par des désaccords et de fausses annonces, un accord a finalement été trouvé entre les industriels impliqués dans le projet de système de combat aérien du futur, le Scaf, permettant l'entrée en vigueur du contrat conclu entre Dassault aviation, Airbus, Indra et Eumet pour le lancement de la phase 1B du projet le 20 mars de cette année. Ces derniers disposent de trente-six mois pour mettre au point le démonstrateur du NGF – New Generation Fighter –, c'est-à-dire l'avion de chasse au cœur du programme.
Il n'y a guère matière à se féliciter, quand on sait que, par pure idéologie, le Gouvernement a forcé la poursuite d'un tel projet, alors même qu'il piétine les intérêts nationaux. C'est vrai, cet accord confie à la France la maîtrise d'œuvre complète et l'architecture du programme, à travers Dassault aviation, mais c'est bien normal, quand on sait qu'en matière d'avion de chasse, plus particulièrement en matière de commande de vol, cette entreprise ne connaît pas de concurrent – l'Allemagne est pour sa part incapable de produire un avion de combat depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Il n'en demeure pas moins que la poursuite de ce projet menace notre souveraineté, notre dissuasion nucléaire et notre ingénierie technologique. Nous n'avons pas vocation à transférer celle-ci, ni à partager le savoir-faire français. Comme en témoigne le succès du Rafale, la France est tout à fait capable de mener ce projet de construction d'avion de nouvelle génération de manière autonome.
C'est pourquoi, en cas de retard trop important du développement du Scaf, voire d'échec de celui-ci – échec que l'on peut légitimement craindre, si l'on considère les dernières années –, il faut garder à l'esprit que les industries aéronautiques françaises détiennent le savoir-faire technologique pour développer de manière autonome et souveraine notre futur système de combat aérien. Dès lors, nous demandons la suppression de la mention du Scaf, afin de privilégier une rédaction neutre du rapport annexé et de laisser la voie ouverte à une solution alternative souveraine.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Le Scaf permet, comme son nom l'indique, de préparer l'avion de combat du futur. Il serait donc étrange que le mot n'apparaisse pas dans le rapport annexé ; par ailleurs, même si les partenariats auxquels ce programme donne lieu devaient évoluer, celui-ci ne changerait pas de nom. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Même avis. Sur ce point, le rapport annexé ne saurait être plus factuel. Il mentionne simplement « l'évolution du Rafale et la préparation de l'avion de combat du futur "Scaf" ». Nous reviendrons plus tard, lors de l'examen du tableau de l'alinéa 37 du rapport annexé, sur l'absence de consensus concernant le rôle du Parlement et les éventuelles alliances pour ce programme – il pourrait être franco-français, conformément au désir des uns, ou développé en partenariat, comme le souhaitent les autres. Toujours est-il qu'il y aura un Scaf.
Il est important d'inscrire dans la LPM qu'il y a un avenir pour notre aviation de chasse après le Rafale F5. C'est une question de souveraineté et cela mérite d'être précisé. Supprimer le terme « Scaf » reviendrait à conclure qu'il n'y a plus rien après le F5 ; ce n'est pas souhaitable. En conséquence j'insiste et je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur le député, car il me semble, par ailleurs, aller à l'encontre de tout ce que nous avons dit en commission sur l'avenir de l'aviation de chasse.
Derrière le mot « neutralité », nous voyons en fait réapparaître le projet du Rassemblement national consistant à rompre nos partenariats avec l'Allemagne.
Quelle est votre vision de la France ? C'est celle d'une France renfermée, mais aussi d'une France isolée. Le Brexit vous a fait rêver, et il fut un temps où vous assumiez au moins d'être partisans du Frexit ; maintenant, vous avez le Frexit caché, le Frexit honteux. C'est pourtant une réalité : vous voulez couper les ponts avec nos partenaires, notamment avec l'Allemagne. C'est inscrit dans votre programme, et dans votre livret thématique relatif à la défense. Votre neutralité, j'appelle cela de l'isolement. Pour nous, écologistes, il faut plus de coopération européenne ! C'est de là que viendra le renforcement de notre défense.
Mais ça fonctionne ! Qu'est-ce qui permettra de mutualiser, de coopérer, de nous défendre ? Ce seront les partenariats, des partenariats avec des pays démocratiques, alliés, les partenariats qui ont permis de construire une Europe de la paix depuis des dizaines d'années ! Tout cela, c'est grâce à l'Europe.
C'est contre cela que vous vous battez puisque vous voulez d'une France vassalisée, soumise aux intérêts de la Russie. C'est ça le projet du Rassemblement national !
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe RE. – M. Philippe Latombe applaudit également. – Protestations sur les bancs du groupe RN.
L'amendement n° 1120 n'est pas adopté.
La parole est à M. Laurent Jacobelli, pour soutenir l'amendement n° 310 .
Madame Chatelain, à défaut d'être honnête intellectuellement, vous êtes une caricature.
Vous préférez une collaboration qui ne fonctionne pas, au motif qu'elle implique l'Allemagne. Quelle soumission ! Ne faudrait-il pas plutôt réfléchir à une alternative qui fonctionne ?
Il semble que la défense de la France vous importe moins que la fusion européenne. À chacun ses priorités mais, dans cet hémicycle, nous débattons du projet de loi de programmation militaire et nous nous attachons à imaginer une LPM qui défende les Français. Je sais que cette notion est encore un peu floue dans votre esprit.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Monsieur le ministre, lorsque le Président de la République, Emmanuel Macron – je crois que vous le connaissez mieux que moi –, annonce l'accord avec l'Allemagne en fanfaronnant, il parle bien du Scaf, un projet franco-allemand. Nous ne faisons que reprendre ses termes.
Si j'ai bien compris que nous devions donner sa chance au produit, nous ne devons pas être naïfs – vous ne l'êtes d'ailleurs pas. Si, demain, le projet n'aboutit pas, nous ne pouvons pas nous retrouver avec les deux pieds dans le même sabot, même si ce dernier est vert.
C'est pourquoi, après le mot « Scaf », nous souhaitons insérer « ou une alternative souveraine » afin de rappeler la nécessité d'élaborer cet avion du futur, tout en faisant preuve de pragmatisme. Le pragmatisme, voyez-vous, madame Chatelain, c'est l'inverse de l'idéologie. Comprenez-vous la différence entre nous ?
Nous prenons en compte le fait que ce programme n'aboutira peut-être pas.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
N'oublions pas les aspects positifs du Scaf : la mutualisation, et donc la baisse des coûts et, dans tous les cas ce qui est acquis en matière de recherche et de développement. Nous avançons et tout se passe bien. Dans toutes les hypothèses, nous conserverons notre souveraineté et nous développerons un système d'aviation du futur. Demande de retrait ou avis défavorable.
Il y a beaucoup d'amendements sur le Scaf et je reprendrai peut-être plus longuement la parole pour recadrer le sujet. En revanche, en l'espèce, la rédaction de votre amendement pose problème. Je le répète, le Scaf n'est pas le nom du programme de coopération franco-allemande, c'est seulement le système de combat aérien du futur.
Vous souhaitez ajouter, après Scaf, « ou une alternative souveraine » comme s'il s'agissait d'une autre solution. Ce n'est pas le cas : même si nous produisons le Scaf tout seuls, il restera le Scaf, le système de combat aérien du futur, avec avion, drone, cloud de combat, etc. Vous le savez, vous êtes commissaire à la défense et nous en avons déjà parlé pendant des heures. Cette rédaction n'a légistiquement aucun sens ; elle ne veut tout simplement rien dire. Nous pourrons en revanche débattre des partenaires et des conditions de ce programme.
En l'espèce, si vous voulez être rigoureux – et il le faut puisque vous m'avez appelé à l'être, notamment sur le TNP, en estimant qu'il n'était pas opportun d'y faire référence dans le rapport annexé –, vous devriez retirer votre amendement, inapproprié.
Sur le fondement de l'alinéa 3 de l'article 70, pour mise en cause personnelle.
Protestations sur les bancs du groupe RN.
Mon collègue m'a interpellée à plusieurs reprises. Je souhaite lui répondre.
Monsieur Jacobelli, tout nous oppose.
Madame Chatelain, merci d'en rester à un rappel au règlement, et de ne pas engager de débat sur l'article.
Vous aurez la parole pour réaffirmer vos positions, mais cela ne peut se faire dans le cadre d'un rappel au règlement.
Dans ce cas, je tiens à rappeler, monsieur le président, et vous le savez, que les mises en cause personnelles ne sont pas autorisées…
Le président coupe le micro de l'oratrice.
En réalité, nos collègues du Rassemblement national n'ont pas confiance en la capacité de notre industrie aéronautique d'être leader d'un projet comme le Scaf. Ce projet avance-t-il ? Oui. Y a-t-il des lignes rouges, claires et connues depuis longtemps ? Oui. Existe-t-il des plans B si la coopération était un échec ? Oui. Sommes-nous en situation de piloter ce projet ? Oui.
Pourquoi n'avez-vous pas confiance en l'industrie aéronautique française ? Pourquoi systématiquement faire comme si nous étions incapables de mener à bien un projet avec nos partenaires européens, tout en conservant le leadership, avec nos atouts, nos forces et nos valeurs.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Je partage le point de vue du ministre, cet amendement n'a pas de sens. C'est pourquoi nous ne participerons pas au vote.
Mais, monsieur le ministre, soyons précis : vous avez parlé du standard F5 du Rafale et d'un drone de combat s'appuyant sur le Neuron. Très bien ! En réalité, vous venez de faire la démonstration que l'industrie française – Dassault en l'espèce – est capable de fournir, seule, un avion de combat, un drone qui combat à ses côtés et donc un système de combat aérien du futur. La France a donc la capacité, de manière souveraine, de penser l'après-Rafale. Nous en prenons bonne note pour la suite du débat.
L'amendement n° 310 n'est pas adopté.
…se rendait sur un bâtiment militaire en rade de Toulon afin de présenter les défis stratégiques majeurs auxquels la France doit et devra faire face. Dans son discours, il assure que la dissuasion nucléaire française contribue à la sécurité de l'Europe. Au Rassemblement national, nous considérons que l'arme atomique française, fille de l'héritage gaullien et du programme né en 1954, contribue à la sécurité de la nation et, avant tout, à celle des Français.
La France doit assumer « nettement une doctrine de défense fondée sur la dissuasion nucléaire intégralement nationale et des forces armées sous commandement national », selon les mots de Marine Le Pen. La dissuasion nucléaire est le fondement ultime de notre indépendance. C'est pourquoi la modernisation de notre force de frappe nucléaire se doit d'être poursuivie et, si possible, accélérée. Cela concerne toutes ses composantes – sous-marine, aéroportée, hydrographique – ainsi que les infrastructures technico-opérationnelles et de communication et, comme vous le propose cet amendement, le service de santé des armées (SSA). Il y va de la crédibilité de notre modèle de dissuasion et de la survie de notre nation.
Au sein du SSA, le service de protection radiologique des armées (SPRA) est composé de femmes et d'hommes qui agissent dans l'ombre pour soutenir et consolider notre modèle de dissuasion. Leur expertise porte sur la réglementation, les mesures de prévention, le respect des procédures et la surveillance du personnel exposé aux rayons ionisants ainsi que celle des installations. Ils interviennent également en situation d'urgence radiologique.
Ce sont eux qui nous protègent en cas de menace nucléaire et de conflit de haute intensité. Cette unité militaire méconnue du grand public mérite notre reconnaissance. Cet amendement s'inscrit dans notre volonté – n'en déplaise à certains de nos homologues de la gauche de cet hémicycle – de crédibiliser le développement de notre modèle de dissuasion et d'en accélérer les effets.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.
Il convient de renforcer le service de protection radiologique des armées, comme le service de santé des armées, vous avez raison, mais votre amendement est trop spécifique et une telle précision n'a pas sa place dans le rapport annexé. Demande de retrait.
Au sein du SSA, ce service, hébergé à l'hôpital d'instruction des armées Percy, fera l'objet d'une attention particulière. Cependant il n'est pas nécessaire de l'identifier, en tant que tel, dans le rapport annexé. Ainsi, dans ce rapport, on ne fait pas référence à la direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, ou à d'autres grandes directions qui participent à la dissuasion. Il serait donc étrange d'y faire figurer le SPRA plus qu'un autre.
Je le répète, si vous me demandez si le service fera l'objet d'une attention particulière, la réponse est positive, monsieur le député. Si votre groupe estime qu'il y a un doute – personne ne m'en a jamais saisi –, je serai heureux de le savoir et de corriger, le cas échéant, le tableau annexé par le biais de l'amendement du Gouvernement relatif au SSA. Demande de retrait. À défaut, avis défavorable.
L'amendement n° 1608 n'est pas adopté.
Depuis la fin des essais nucléaires français, les installations permettant de simuler ces essais sont devenues essentielles. En effet, ces simulations assurent la fiabilité et la sûreté, et donc la crédibilité, de notre dissuasion. À ce jour, la France compte parmi les pays les plus avancés dans ce domaine, grâce notamment à son laser Mégajoule – le plus énergétique au monde – inauguré en 2014, et au supercalculateur Tera-1000.
Si cette prouesse est évidemment une fierté pour notre pays, il n'en reste pas moins que les avancées technologiques sont dans ce domaine extrêmement rapides comme en témoigne le fait qu'en seulement trois ans, entre 2018 et 2021, le supercalculateur Tera-1000 a perdu des places au sein du classement mondial des supercalculateurs les plus puissants.
Cette expertise constitue un atout majeur, qui permet à notre dissuasion de conserver sa place et de continuer à assurer la sécurité de notre pays.
Notre amendement vise à graver dans la loi de programmation militaire l'importance de poursuivre, de façon souveraine ou dans le cadre de coopérations internationales comme c'est déjà le cas avec le Royaume-Uni, les investissements dans ce domaine où la compétition internationale est très forte et où les développements technologiques sont rapides.
Je vous rejoins sur l'importance de la simulation pour la crédibilité de notre dissuasion. Cependant nous y portons déjà une attention très particulière. Demande de retrait. À défaut, avis défavorable.
Le sujet est effectivement intégré dans l'agrégat global de la dissuasion et on pourrait tenir le même raisonnement pour d'autres modules de la chaîne de dissuasion.
Vous visez « le cadre de relations internationales » à la fin de votre amendement, ce qui me dérange. Vous avez raison de parler du Royaume-Uni, mais le projet Epure – expérimentations de physique utilisant la radiographie éclair – est très spécifique parce qu'il résulte de la volonté de deux puissances dotées de travailler ensemble. Les choses n'iront pas plus loin, pour toutes les raisons que vous avez d'ailleurs précédemment défendues dans l'hémicycle. Avis défavorable.
Tout à l'heure, M. Belhamiti a reproché aux membres du groupe Rassemblement national de ne pas avoir confiance dans les capacités de l'industrie, de la recherche et de l'armée française que ce soit pour mener à bien le projet Scaf ou de façon plus générale. Si nous défendons des amendements qui visent à tracer des voies de recours en cas d'échec, toujours avec le souci de garantir notre souveraineté, ce n'est pas une marque de défiance à l'égard de l'industrie, de l'armée et du génie français, c'est que nous avons du mal à faire confiance au Gouvernement, qui depuis des années brade de nombreuses entreprises à des puissances étrangères.
C'est pourquoi nous cherchons à verrouiller le plus possible tous les aspects du projet de loi de programmation, afin de sécuriser la souveraineté militaire de la France, ainsi que sa puissance d'action et de réflexion. Adoptons tous les dispositifs à même de préserver la souveraineté nationale !
M. Laurent Jacobelli applaudit.
Depuis de Gaulle, la loi de programmation militaire qui arrive à échéance sera la première dont les crédits auront été exécutés à l'euro près. Depuis 2017, le Gouvernement respecte la programmation militaire que cette assemblée a votée. Il est le premier à le faire !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Nous ne vous avons pas attendu, monsieur le député, pour envisager d'apporter des modifications à de grands projets ou de grands programmes industriels militaires : nous nous y consacrons tous les ans, au mois de décembre, avec ce qui s'intitule le projet de loi de finances, plus précisément avec le programme 146 de la mission "Défense" . Je vous invite à travailler avec nous, avec vos collègues de la commission de la défense, afin d'être mieux informé de tous les chantiers en cours. Vous pourrez même voter ces crédits si un jour, vous décidez de voter le budget de la défense avec nous – mais c'est un autre sujet.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Jean-Paul Lecoq s'exclame.
À l'ouverture de la séance, nous avons eu un beau débat – certains d'entre vous l'ont souligné – sur la dissuasion nucléaire. Dans ce domaine en particulier, puisque c'est celui que vous évoquez, monsieur Mauvieux, il n'a jamais été question de remettre en cause la souveraineté de notre pays. Vous pouvez aussi nous faire un procès d'intention, mais tout cela devient alors politique et politicien, et, par là même, étranger à l'esprit qui anime cette discussion.
S'agissant de la confiance que vous placez dans le Gouvernement, j'en ai autant à votre service.
Vous évoquez le rôle que les armées, plus précisément les commandes militaires de l'État, jouent auprès de l'industrie de la défense. Vous êtes élu de l'Eure, dont j'ai eu l'honneur de présider par deux fois le conseil départemental : ce sont nos commandes d'avions de chasse, en particulier de Rafale, qui ont sauvé Thales ,
Applaudissements sur les bancs du groupe RE
grande entreprise installée à l'est de Pont-Audemer, dans votre circonscription. Vos remerciements me vont droit au cœur ! Encore une fois, il y a ceux qui parlent, et ceux qui agissent.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
L'amendement n° 72 n'est pas adopté.
La parole est à M. Laurent Jacobelli, pour soutenir l'amendement n° 309 .
Avec le programme Scorpion – synergie du contact renforcée par la polyvalence et l'infovalorisation –, déjà partiellement livré, la précédente LPM a franchi un pas. Ce programme adopte le principe du combat collaboratif, c'est-à-dire qu'il repose sur l'échange d'informations entre différents matériels. Cependant, il y a un problème. Nos adversaires peuvent brouiller ou pirater les signaux ;…
…plus ils sont protégés, plus le brouillage est perfectionné, donc susceptible de réduire la stratégie à néant. Or si la transmission de l'information s'arrête, tout s'arrête, puisque tous les véhicules sont liés entre eux. Ainsi, faute d'une attention suffisante, le meilleur programme peut devenir un élément de blocage.
Le présent amendement vise donc à compléter l'alinéa 7 par la phrase : « Dans le domaine des signaux et moyens de communication enfin, à travers l'étude de l'impact des menaces de brouillage et de leurrage sur notre capacité à opérer dans le cadre du combat collaboratif […] » Il s'agit d'être cohérents : si une attaque empêchait les équipements Scorpion de fonctionner, nous serions Gros-Jean comme devant. Aussi cette piste mérite-t-elle notre attention.
Sur la forme, le dispositif de votre amendement n'est pas cohérent avec l'alinéa 7. Sur le fond, le programme Scorpion prend en considération ces éventualités, la précision est donc inutile. Je vous demande donc de le retirer ; à défaut, l'avis sera défavorable.
Depuis le début, cette hypothèse fait partie du programme Scorpion. M. Mauvieux a dit qu'il fallait faire confiance aux industriels, or ils l'ont évidemment prévue : faisons-leur confiance ! Vous avez peut-être visité des laboratoires d'innovation qui travaillent dans le secteur de la défense : la recherche se poursuit, par exemple dans le domaine des liaisons optiques ou pour étudier les incidences d'un orage.
En fait, c'est un peu comme d'affirmer qu'il vaut mieux avoir des avions qui décollent.
Protestations.
La comparaison est excessive : je la retire. Toutefois, si je puis me permettre, la précision que vous voulez apporter relève de l'évidence. L'avis est défavorable.
Il n'est pas dans mes moyens d'être aussi charitable que le rapporteur et le ministre. Pour ma part, je m'étonne que l'amendement vise à insérer une phrase qui ne contient pas de verbe : « Dans le domaine des signaux et moyens de communication enfin, à travers l'étude de l'impact des menaces de brouillage et de leurrage sur notre capacité à opérer dans le cadre du combat collaboratif, ainsi que le développement des protections appropriées. » Où est le verbe ?
Sourires.
De plus, vous n'avez pas choisi le bon alinéa. Flatus vocis : vous faites du bruit avec la bouche !
L'amendement n° 309 n'est pas adopté.
Sur l'amendement n° 1332 , je suis saisi par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Alain David, pour soutenir cet amendement.
Depuis la fin des années 1960, la France est dotée d'une force de dissuasion nucléaire indépendante, dont François Mitterrand a défini la singulière doctrine : elle assure l'intégrité territoriale de notre nation.
Outre leur rôle particulier de dissuasion, nos forces nucléaires contribuent significativement à la sécurité globale de l'Alliance atlantique. La pluralité des centres de décision, situés au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France, y participe en compliquant les calculs d'adversaires potentiels.
Le présent amendement vise à expliciter que la France poursuivra ses investissements technologiques dans ce domaine.
Nous en avons beaucoup parlé. Notre capacité de dissuasion est essentielle. Avis favorable.
Vous proposez de compléter ainsi l'alinéa 7 : « Pour les armées du futur, la dissuasion nucléaire reste une composante essentielle de notre défense nationale. L'investissement continu et soutenu dans le renouvellement de notre dissuasion nucléaire permettra d'adapter les capacités à l'évolution des défenses adverses, de plus en plus performantes. » De manière cohérente avec le débat qui nous anime depuis tout à l'heure, il s'agit bien de la dissuasion nucléaire ; on affiche l'intérêt porté à son avenir, tout en lui conservant sa nature nucléaire – il est bien de le préciser.
Si le président et les signataires de l'amendement en sont d'accord, je vous demanderai toutefois d'apporter une modification, en supprimant les mots « Pour les armées du futur, », dont le sens n'est pas clair.
M. Alain David acquiesce.
Je le répète, il faut être très rigoureux dans ce domaine. Moyennant cette rectification, certes minime mais qui n'est pas neutre, l'avis est favorable.
Le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale se réjouit de la rectification. Faute d'une définition doctrinale de ce que sont « les armées du futur », ces termes nous posaient également un problème. Si l'amendement est rectifié, nous le voterons sans difficulté.
L'amendement n° 1322 , rectifié, par la suppression des mots « Pour les armées du futur, » vise donc à compléter l'alinéa 7 par les deux phrases suivantes : « La dissuasion nucléaire reste une composante essentielle de notre défense nationale. L'investissement continu et soutenu dans le renouvellement de notre dissuasion nucléaire permettra d'adapter les capacités à l'évolution des défenses adverses, de plus en plus performantes. »
Je le mets aux voix.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 129
Nombre de suffrages exprimés 125
Majorité absolue 63
Pour l'adoption 123
Contre 2
L'amendement n° 1332 , tel qu'il vient d'être rectifié, est adopté.
M. Maxime Minot applaudit.
L'amendement n° 1437 de Mme Cyrielle Chatelain est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Le débat a eu lieu de manière globale. Avis défavorable.
L'amendement n° 1437 n'est pas adopté.
De plus ou moins bon gré, nous avons tous intégré l'idée que la bombe atomique disparaîtrait un jour de la planète – la question est de savoir quand. Ce sera une bonne chose. Il faut commencer à imaginer l'avenir, à concevoir des outils de protection et de dissuasion. Nous avons évoqué les différentes menaces, les scènes où les conflits se dérouleront – le numérique, l'espace et les fonds marins, comme les attaques des gazoducs l'ont illustré.
Monsieur le ministre, nous vous proposons de signer une belle création en donnant le jour à un commissariat à la dissuasion de demain. Il permettra de travailler ensemble, de réfléchir aux enjeux et aux besoins, à la recherche qu'il faut développer et aux moyens que cela nécessitera. Faut-il laisser ce soin aux seuls militaires ou considérer que cette question est l'affaire de tous ?
M. Emmanuel Taché de la Pagerie s'exclame.
Un commissariat dédié réunirait les différents acteurs concernés – scientifiques, militaires, élus, industriels.
Une telle proposition peut rassembler, peut-être jusqu'à vous, monsieur le ministre. Nous n'avons pas défini l'architecture de ce commissariat : vous pourriez accepter l'idée et vous charger de l'élaborer, avant de la soumettre au débat.
Sur les amendements identiques n° 518 , 1486 , 1602 et 1607 , je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l'amendement n° 1486 .
Il s'inscrit dans la continuité des précédents amendements que nous avons soutenus, avec nos collègues de la NUPES. En effet, nous sommes favorables à un avenir sans armes nucléaires. Pour le rendre possible, il faut réfléchir à d'autres modalités de dissuasion pour demain. Les menaces évoluent ; il faut savoir s'adapter et penser un monde capable de se passer de l'arme nucléaire.
D'un point de vue éthique et moral, mais aussi du point de vue de la défense, nous devrions nous donner la possibilité de réfléchir à ce que serait une dissuasion qui protégerait la France sans la faire dépendre de l'arme nucléaire. Voilà ce que permettrait ce commissariat à la dissuasion.
Monsieur le ministre, vous avez parlé, je crois, d'ouverture et de prolifération, qui sont des sujets importants. Cela dit, nous ne serions pas le seul État à s'interroger sur la nature d'une dissuasion non nucléaire. Nous devons anticiper cette évolution, afin de rester capables d'assurer notre défense sans recourir à une arme aussi dangereuse et létale que l'arme nucléaire.
M. Emmanuel Taché de la Pagerie s'exclame.
Nous devons assumer de mener ensemble une telle réflexion dans le cadre d'un commissariat à la dissuasion.
Nous allons clore le chapitre consacré à la dissuasion avec ces amendements identiques. Qui peut assurer aujourd'hui que la dissuasion nucléaire fonctionnera toujours dans soixante ans ?
Personne ne le peut ! Nous devons commencer à réfléchir à ce qu'il se passerait si jamais la dissuasion n'était plus efficace dans soixante ans. Nous ne pouvons pas prendre le risque de laisser la nation sans dissuasion, sans outil permettant d'assurer sa survie. Nous sommes un petit pays, mais une grande nation : nous avons les moyens de progresser. Nous sommes à la pointe dans les domaines du spatial, du cyber, de l'hypervélocité et de l'exploration des fonds marins ; nous ne devons pas perdre notre rang, car l'avenir de la nation se jouera certainement dans ces domaines.
Nous proposons de créer un commissariat à la dissuasion de demain, d'y rassembler nos meilleurs scientifiques, intellectuels et militaires, pour leur demander quelles seront, selon eux, les technologies de rupture qui permettront d'assurer la survie de la nation dans soixante ans.
Vous répondez « le nucléaire » : si ce n'est pas le cas, vous nous aurez envoyés dans le mur ! Qu'est-ce que ça coûte de créer ce commissariat et de réfléchir à une dissuasion alternative ?
Si le nucléaire est toujours la bonne réponse dans soixante ans, soit. Mais si ce n'est plus le nucléaire, si des nations ont développé d'autres méthodes de dissuasion qu'un traité international nous interdit, nous n'appartiendrions pas aux puissances dotées de cette nouvelle force de dissuasion, et vous en serez responsables.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Karim Ben Cheikh applaudit également.
Nous terminons ce débat sur la dissuasion nucléaire ; en réalité, il n'est jamais vraiment clos. Je vous remercie, mes chers collègues de tous les bancs, pour ce débat nourri et de qualité. Vous souhaitez lancer une réflexion sur une solution alternative et crédible à la dissuasion nucléaire. Notre dissuasion actuelle est forte et complète ; elle se suffit à elle-même. Adopter ces amendements ne ferait que la fragiliser. Avis défavorable.
Nous terminons par revenir à la conversation avec laquelle nous avons ouvert la séance, à vingt et une heures trente précises, et nous revenons sur le cœur même de la notion de dissuasion. Dissuader, c'est faire suffisamment peur à l'autre pour qu'il ne tente rien contre nous.
En fait, ces amendements identiques ne s'appuient pas sur les mêmes fondements : les uns font l'hypothèse que la dissuasion ne devrait plus passer par l'arme nucléaire ; les autres imaginent que la dissuasion nucléaire ne serait plus efficace.
Dans ces situations, il faudrait donc réfléchir dès maintenant, d'un point de vue moral notamment – cela a du sens –, à quelque chose d'aussi terrible et d'aussi effrayant que l'arme atomique, au cas où celle-ci ne fonctionnerait plus. La dissuasion nucléaire et, plus largement, les dissuasions sont des sujets graves, qui n'avaient pas fait l'objet d'un débat de cette qualité à l'Assemblée nationale depuis très longtemps. Nous nous éloignons du logiciel qui conduit au désarmement, non plus unilatéral, mais multilatéral, que vous appelez de vos vœux : celui-ci ne se ferait qu'au prix d'une solution alternative tout aussi terrifiante. Ce point, qui ne doit pas être un tabou, révèle quelque chose de votre approche, que vous ne dévoilez pas tous complètement – le député Lecoq me donnera raison à cet égard.
Ce débat ouvre deux tiroirs : d'une part, celui de la crédibilité de l'arme nucléaire comme arme de dissuasion ; nous en avons débattu longuement et le rapporteur vient d'en parler. D'autre part, celui du remplacement de l'arme nucléaire par une solution alternative tout aussi effrayante. Il s'agit d'un tiroir qu'il ne me semble pas raisonnable d'ouvrir dans le cadre du rapport annexé à un projet de loi de programmation militaire.
Plus largement, ce débat pose la question du maintien d'une dissuasion nucléaire efficace, telle qu'elle existe aujourd'hui, au moins pour les cinq prochaines années, et au-delà. Cela demandera nécessairement de la souplesse et de la réactivité. En cela, nous renouons avec notre histoire : les gaullistes dans les années 1960, mais aussi leurs prédécesseurs sous la IV
Ce débat est intellectuellement intéressant – c'est un beau sujet de colloque et de débat dans l'hémicycle –, mais pour en revenir au rapport annexé du projet de LPM telle qu'elle pourrait être promulguée, il nous faut rester dans la pureté de la doctrine de la dissuasion telle qu'elle existe. Avis défavorable.
Avant le vote, je vais donner la parole à deux orateurs. Vu l'heure, je demande de respecter les deux minutes imparties à la seconde près. Je n'hésiterai pas à couper les micros.
La parole est à M. Jean-Charles Larsonneur.
Je salue l'honnêteté intellectuelle du ministre et son intérêt pour les concepts. Je serai plus pragmatique et direct : chers collègues de la NUPES, non contents de vouloir rendre le monde plus dangereux en désarmant unilatéralement, vous nous projetez en pleine planification Potemkine
M. Matthias Tavel proteste
d'on ne sait quelle future solution, que je trouve assez délirante pour des raisons déjà évoquées.
Si vous voulez décourager et dissuader sans la dissuasion nucléaire française, il existe un truc qui s'appelle l'Otan ; je suis ravi d'apprendre que vous la soutenez ! En prime, vous bénéficierez de la bombe atomique américaine.
Notre collègue Larsonneur nous avait habitués à des propos plus construits. Ceux qu'il vient d'exprimer sont en contradiction avec le ministre, qui, lui, aura tenu jusqu'à minuit sans faillir.
Monsieur le ministre, vous évoquez l'idée d'une dissuasion alternative qui serait, par nature, terrifiante. Elle serait peut-être aussi moins létale. En tout état de cause, vous tracez les coordonnées de la réflexion qui doit s'ouvrir.
M. Emmanuel Taché de la Pagerie s'exclame.
J'ai entendu Mme Le Hénanff le dire : rien ne permet de garantir la crédibilité de la dissuasion dans soixante ou quatre-vingts ans, puisque les ruptures technologiques qui pourraient advenir nous sont, par définition, inconnues. Il ne faut donc pas s'interdire la réflexion.
Parce que le doute ne pèserait sur la dissuasion nucléaire que dans plusieurs décennies, il faudrait s'interdire de penser dès maintenant ? Il y a là quelque chose de malsain.
Quelque chose de dangereux et de non pertinent, à tout le moins. Vous ne pouvez pas prendre prétexte d'un doute, qui ne surviendrait que dans quarante ou cinquante ans grâce à notre anticipation, pour vous interdire d'agir aujourd'hui.
Il ne s'agit plus d'un raisonnement rationnel, mais d'une logique de pur affichage qui ne convaincra personne, pas même nos compétiteurs. Eux-mêmes développent sans doute déjà des programmes de dissuasion crédibles reposant sur des moyens cyber, spatiaux, etc.
Si la pureté de la doctrine de la dissuasion nucléaire est aujourd'hui séduisante, monsieur le ministre, je rappelle qu'elle n'a pas toujours été aussi pure, mais vous le savez parfaitement. La première idée du général de Gaulle en développant l'idée d'armement tactique consistait à s'assurer de la possibilité d'une intervention américaine.
Le président coupe le micro de l'orateur.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 112
Nombre de suffrages exprimés 111
Majorité absolue 56
Pour l'adoption 23
Contre 88
Prochaine séance, aujourd'hui, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 24 mai 2023 à zéro heure dix.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra