Le caractère souverain de la dissuasion est acquis et n'est pas remis en cause, mais il ne figure pas dans la doctrine. À strictement parler, cette dernière prévoit la défense des intérêts vitaux, un usage défensif, un caractère strictement suffisant et avec un ultime avertissement pour rétablir la dissuasion. Voilà les éléments de doctrine tels qu'ils ont été réaffirmés au fil du temps, un quinquennat ou un septennat après l'autre, au long d'une construction de nature quasiment géologique, itérative et incrémentale, chaque chef d'État étant venu préciser la doctrine applicable. Celle-ci, bien que plus lisible que dans beaucoup d'autres pays, garde des parts de flou : ce dernier, comme vous l'avez vous-mêmes rappelé de nombreuses fois en commission, fait partie intégrante de la grammaire de la dissuasion.
Le fait de réfléchir à la dissuasion de demain ou d'après-demain pose une première difficulté, consistant à savoir si elle sera nucléaire ou non. Vous suggérez, dans la rédaction proposée, d'envisager le cas d'une dissuasion nucléaire devenue inopérante. Si je ne peux réfuter ce raisonnement intellectuel et conceptuel, je vous invite à en revenir à la notion de dommages inacceptables : la source de la dissuasion, c'est la peur. C'est terrible, mais, de fait, l'arme nucléaire reste un outil terrifiant : c'est bien en cela qu'elle dissuade les autres compétiteurs – dont j'ai oublié de préciser qu'ils doivent, en vertu de notre doctrine, être d'origine étatique – de s'en prendre à nos intérêts vitaux. Si nous suivions votre raisonnement, nous devrions donc trouver – pour continuer de nous appuyer sur le sentiment humain de peur – quelque chose d'aussi terrifiant que l'arme nucléaire pour assurer notre dissuasion. Vous comprenez bien quels tiroirs nous ouvririons ainsi. Je me prête toutefois à l'exercice démocratique et de transparence qui consiste à envisager cette possibilité avec vous.
Le premier tiroir que nous ouvrons involontairement en ayant cette conversation est celui de la prolifération, même si cette dernière n'est pas de nature nucléaire : si la dissuasion nucléaire devient inopérante, d'autres pourraient envisager d'avoir recours à des armes biologiques, etc. Ce serait l'exact inverse de la dissuasion nucléaire telle que la France, la République, notre démocratie, l'appréhende et telle que nous venons de la décrire – vous l'aurez compris, on touche là aux limites de l'échange à voix haute.
Le deuxième tiroir ouvert par l'amendement – et c'est pour cette raison que j'émettrai un avis défavorable à l'ajout de ce paragraphe au rapport annexé – concerne le fait que la dissuasion repose sur son efficacité et son effectivité. Toute expression de doute, en la matière, est par essence nuisible.