La réunion

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La séance est ouverte à vingt-une heures cinq.

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Avant de commencer, je veux avoir une pensée pour Arman Soldin, le journaliste de 32 ans tué aujourd'hui à proximité de Bakhmout à la suite d'un tir de roquettes. J'assure ses proches de notre soutien. Cet événement tragique nous rappelle les risques encourus par les journalistes. Gardons en tête que derrière chaque article et chaque reportage, il y a des hommes et des femmes qui risquent leur vie au plus près des combats pour nous assurer une information objective.

Je salue aussi les collègues qui ont porté assistance à la fonctionnaire prise d'un malaise cardiaque en séance jeudi dernier : Julien Rancoule, membre de notre commission, et Stéphanie Rist. Cela montre que chacun, avec ses compétences, a un rôle à jouer ; compter parmi nous des sapeurs-pompiers volontaires et des médecins garantit une forme de sécurité.

Cette réunion est historique, puisque nous engageons l'examen du projet de loi relatif à la programmation militaire (PLPM) pour les années 2024 à 2030, alors que les menaces n'ont jamais aussi nombreuses et diversifiées depuis la fin de la guerre froide. Rappelons en ce 9 mai que l'Union européenne a été bâtie sur un idéal de paix ; plus de soixante-dix ans plus tard, et bien qu'imparfaite, elle a tenu cette promesse. Mais aujourd'hui, la guerre interétatique est de retour en Europe, des puissances révisionnistes contestent l'ordre international issu de la seconde guerre mondiale et n'hésitent pas à recourir à la force ou à des stratégies hybrides, de nouveaux espaces de conflictualité émergent : le cyber, les fonds marins, l'espace. Ces menaces nouvelles s'ajoutent aux anciennes, comme le terrorisme international armé ou la prolifération nucléaire, dans un contexte à la fois de mutations technologiques profondes et de dérèglement climatique.

La France n'est pas condamnée à subir ce contexte ; elle a le devoir de le modeler. Nombreux sont les atouts dont elle dispose. Nation archipel de dimension mondiale, elle est ce pays sur lequel le soleil ne se couche jamais. Elle est riveraine de tous les océans, à l'exception de l'Arctique. Elle assume des responsabilités internationales éminentes : membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, membre fondateur de l'Union européenne et de l'Otan, seul État membre de l'Union européenne à être doté de l'arme nucléaire. Elle ne se résout pas au blocage de l'ONU et se mobilise pour que l'Union européenne assume sa puissance et devienne un acteur géopolitique de premier plan. Elle vise un idéal de paix et de renforcement du droit international.

Le présent PLPM, très attendu, fixe pour les sept prochaines années les grandes orientations de notre politique de défense. Notre commission, consciente de ses responsabilités, s'est préparée à son examen. Nous avons réalisé cinq missions d'information, mis en place des groupes de travail, participé à ceux du ministère, organisé plusieurs cycles d'auditions, effectué une vingtaine de déplacements à l'international et quatorze sur le territoire national, eu de nombreuses sessions de travail avec des députés d'autres commissions, lancé des débats citoyens, qui ont rassemblé, physiquement ou en ligne, plus d'un millier de nos compatriotes.

Au-delà de la commission, l'Assemblée nationale s'est saisie du texte. Quatre commissions permanentes ainsi que la commission des affaires européennes ont travaillé dessus, dont deux au fond. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a présenté aujourd'hui son rapport sur les retombées des lois de programmation militaire (LPM) en matière d'innovation civile. Un débat sur le bilan de la précédente LPM a été organisé en séance plénière la semaine dernière, à l'initiative du groupe Démocrates et apparentés. Plus de soixante auditions ont été réalisées. Des citoyens ont été sollicités pour exprimer leurs idées – je pense en particulier aux membres des Jeunes IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), dont certains sont parmi nous et qui ont produit en à peine dix jours une analyse de grande qualité. Presque 700 amendements sont en discussion.

Ce PLPM se veut à la hauteur des enjeux vertigineux auxquels la France fait face. Ses grandes lignes sont fidèles à notre héritage stratégique comme aux promesses républicaines. Un effort budgétaire considérable de 400 milliards d'euros permettra à nos armées de s'adapter aux évolutions de l'environnement géostratégique, en gagnant en réactivité, en épaisseur et en cohérence, tout en conservant un modèle équilibré qui fournit à notre pays la boîte à outils militaire la plus large d'Europe. Le texte maintient le cap exigeant mais indispensable du renouvellement de notre dissuasion nucléaire, de façon à en assurer la crédibilité. Notre politique de défense ne se résumant pas à sa seule dimension militaire, nous mènerons des travaux complémentaires pour appréhender ces questions de manière globale.

Nos débats, publics, seront suivis par la communauté de défense, par nos alliés, nos compétiteurs et nos adversaires, ce qui nous impose une certaine hauteur de vue et la conscience de la gravité des enjeux. Bref, Monsieur le ministre des armées, vous avez devant vous une commission fin prête pour de riches échanges.

Pour conclure, j'aurai une pensée pour nos militaires engagés en opération, en premier lieu pour l'opérateur des forces spéciales blessé au cours de l'opération Sagittaire, ainsi que pour les civils de la défense et les opérateurs de l'industrie de défense. Le succès militaire de la France repose sur la mobilisation de tous. Nous leur exprimons toute notre reconnaissance – et, à travers la nôtre, celle de l'ensemble des Français.

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À l'heure du retour de la guerre en Europe, avec l'agression russe en Ukraine, de la stratégie de puissance de la Chine, des risques terroristes persistants et de la multiplication des menaces hybrides, chacun d'entre nous a conscience de l'importance des armées pour nous protéger et, quand le besoin s'en fait sentir, faire entendre la voix de la France. « La France ne peut être la France sans la grandeur » disait le général de Gaulle. Lui aussi avait dû faire face à des bouleversements géostratégiques et technologiques majeurs, et il avait choisi d'investir massivement dans le nucléaire militaire au détriment d'autres investissements capacitaires. L'histoire lui a donné raison.

Le présent PLPM a quelque chose de gaullien. L'enjeu est de continuer d'assurer à la France son autonomie d'analyse de décision et d'action sans avoir à dépendre d'un quelconque protecteur et de renforcer son statut de puissance d'équilibre et de pays cadre pour d'autres nations. Les choix que nous ferons durant l'examen de ce texte nous engageront bien au-delà des sept prochaines années, car la défense est une affaire de temps long, notamment parce que les programmes d'armement prennent du temps. Notre responsabilité est grande : nous allons débattre de l'avenir de notre modèle d'armée, des moyens qui lui seront alloués et de la sécurité des générations futures. Soyons à la hauteur de l'engagement de nos valeureux soldats, qui, fidèles à l'histoire et aux valeurs de l'armée française, sont prêts au sacrifice suprême si la réussite de leur mission le nécessite.

J'ai naturellement à cette heure une pensée émue pour toutes celles et tous ceux qui sont morts pour la France, ainsi que pour nos blessés ; je sais que chacun d'entre vous s'associe à cet hommage. Derrière les trajectoires financières et les cibles en matière d'équipements, il y a des femmes et des hommes, qui sont les premières richesses de nos armées. Ne l'oublions jamais. Adopter une loi de programmation militaire, c'est aussi prendre la responsabilité d'un texte qui a des effets directs sur les conditions d'exercice des métiers et sur la vie de plus de 207 000 militaires d'active et 63 000 civils de la défense animés d'un sens de l'engagement profond, ainsi que sur les réservistes.

La LPM qui s'achève a permis de réparer nos armées après des décennies de sous-investissement. L'impulsion donnée en 2017 a engagé une modernisation capacitaire appréciée sur le terrain et a eu des effets positifs sur le quotidien de nos militaires. Nous disposons désormais d'un socle solide pour assurer la montée en puissance de nos armées, comme l'ont souligné nos collègues Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli dans leur rapport.

Après le temps de la réparation vient celui de la transformation. Pour ce faire, le présent projet de loi définit plusieurs axes.

La clef de voûte est la modernisation de notre dissuasion nucléaire dans toutes ses composantes et dans une logique de stricte suffisance pour rester crédible.

Ensuite, nos armées doivent être prêtes à réagir de manière rapide et décisive en cas d'engagement majeur. À cette fin, il est prévu de consolider les capacités cruciales pour un conflit de haute intensité, comme l'artillerie lourde, la défense sol-air, les drones, les munitions ou les blindés. Les équipements de nos armées doivent bénéficier du meilleur des ruptures technologiques à venir dans les domaines quantique, de l'intelligence artificielle, de l'hypervélocité et de la connectivité. Nous devons également disposer des systèmes de commandement capables de nous permettre de continuer à jouer le rôle de nation cadre au sein d'une coalition en cas d'engagement majeur. Enfin, il convient de renforcer la cohérence des armées grâce à un soutien logistique et à un maintien en condition opérationnelle de qualité.

Troisième axe, donner à nos armées la capacité de défendre et d'agir dans les champs hybrides : espace, fonds marins, cyber, bulles informationnelles, qui constituent désormais des champs de conflictualité au même titre que la terre, l'air ou la mer. La compétition, la contestation et l'affrontement sont devenus multimilieux et multichamps. Les représentants de tous les états-majors ont insisté sur cette révolution copernicienne.

Quatrièmement, il est plus que nécessaire de renforcer encore la protection de nos territoires d'outre-mer, sur lesquels les menaces et les pressions de nos compétiteurs stratégiques s'intensifient.

Enfin, il est indispensable que nous entrions dans une logique d'économie de guerre, afin de gagner en agilité de production en cas d'engagement dans un conflit de haute intensité. Pour cela, il convient de consolider les entreprises de la base industrielle et technologique de défense, de disposer d'un maximum de filières d'approvisionnement souveraines et de mieux capter l'innovation dans nos territoires – ce qui sera bénéfique pour eux puisque cela se traduira par la création d'emplois.

Je voudrais vous faire part de mon analyse sur deux points.

D'abord, je me réjouis que, pour concevoir ce PLPM, on n'ait pas déduit un format humain et capacitaire à partir d'une trajectoire financière ; c'est au contraire l'examen approfondi des besoins des armées au regard des objectifs et des menaces qui a conduit à définir une trajectoire financière cohérente, à hauteur de 413 milliards d'euros.

Ensuite, j'estime qu'il est essentiel d'agir concrètement pour la modernisation, la simplification et le fonctionnement de notre appareil de défense. À rebours de la culture du principe de précaution, il convient de valoriser l'audace et la prise de risque. Il faut réduire les normes, simplifier les circuits de décision, faire davantage confiance à l'échelon le plus proche du terrain, dans une logique de subsidiarité. C'est au prix d'un tel changement des mentalités que la transformation des armées engagée par le présent PLPM pourra être pleinement effective.

Je n'ai aucun doute sur le fait que nous serons collectivement à la hauteur des enjeux et que nous ferons de l'examen de ce texte un débat constructif sur notre politique de défense. Sans doute aurons-nous des divergences – peut-être sont-elles nécessaires – mais je sais que chacun d'entre vous sera guidé par une même boussole : l'intérêt supérieur de la nation. Au travail et vive l'armée française !

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Nous en venons aux interventions des porte-parole des groupes.

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Ensemble, le 2 main dernier, nous avons dressé le bilan de la précédente LPM, en nous appuyant notamment sur l'excellent rapport de deux de nos collègues ici présents. La LPM pour 2019 à 2025 provoquait une « révolution copernicienne » par la double ambition qu'elle portait à l'horizon 2030 : d'une part, réparer nos armées abîmées par des décennies de sous-investissement ; d'autre part, les préparer pour demain, en tenant compte de l'évolution du contexte stratégique et des nouveaux champs de conflictualité. Par cette LPM, notre majorité a engagé une politique de rupture en mettant enfin un terme à l'érosion de nos capacités militaires. Cette double ambition s'est traduite, concrètement, d'une part, par l'augmentation du budget de la mission Défense et de sa part dans les crédits du budget général de la nation, d'autre part, par une exécution budgétaire unanimement saluée. La LPM pour 2019-2025 se présente ainsi comme un gage de confiance et de crédibilité pour la programmation à venir.

Les auditions que nous avons menées nous ont conduits à une appréciation stratégique que je crois partagée. Notre environnement sécuritaire se dégrade, avec le retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen, du fait de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, une situation de guerre hybride généralisée, une accentuation de la compétition et de la confrontation stratégique, les défis climatique, démographique, énergétique, alimentaire, l'inflation ou encore la menace nucléaire à des fins d'intimidation. Ce bouleversement de notre environnement stratégique justifie la réévaluation de la LPM en cours, en lien avec les dix objectifs stratégiques identifiés par la revue nationale stratégique 2022. Il justifie de poursuivre la réparation et la montée en puissance de nos armées par un effort de transformation permettant à la France de conserver une supériorité opérationnelle.

Cette trajectoire exige un effort important que la nation est prête à supporter. Il prend en considération deux exigences : d'une part, porter notre défense à la hauteur de nos ambitions, d'autre part, respecter les contraintes budgétaires nationales. Cet effort exceptionnel exige une trajectoire soutenable : programmer moins limiterait notre capacité de défense ; programmer plus mettrait en péril d'autres budgets et d'autres politiques publiques. Le Président de la République a donc arbitré en faveur d'un budget de 413 milliards d'euros, soit une augmentation de 40 % par rapport à la précédente LPM, qui elle-même marquait un effort financier substantiel. Entre 2017 et 2030, le budget annuel des armées aura donc plus que doublé.

Les fondamentaux seront ainsi consolidés, qu'il s'agisse de la protection du territoire, des conditions de vie et de travail des militaires et des civils de la défense, de la prise en considération de la situation de leurs familles, de la mobilisation des réserves, de la cohérence, de la préparation et de la réactivité de notre armée, de la modernisation des capacités opérationnelles ou de la crédibilité de la dissuasion. Cet effort nous permettra également de transformer nos armées, en renforçant notre défense et notre liberté d'action dans les espaces communs et dans les nouveaux champs de conflictualité grâce à des moyens inédits alloués à l'innovation, à l'espace, au cyber, aux drones et à la défense sol-air.

Enfin, le PLPM entend renforcer encore notre autonomie stratégique et notre souveraineté. Le budget des trois services de renseignement placés sous la tutelle du ministère des armées sera porté à la fin de la période à près de 1 milliard d'euros, ce qui permettra d'accroître notre capacité d'appréciation autonome. Dans le contexte du passage à l'économie de guerre, le texte entend également répondre aux défis auxquels est confrontée la base industrielle et technologique de défense (BITD) par des mesures portant sur la sécurisation des approvisionnements critiques, la constitution de stocks stratégiques et la relocalisation de filières de production sur le territoire européen ou national.

La cohérence entre les engagements budgétaires, les moyens déployés et le calendrier retenu rend ainsi la critique en insincérité irrecevable. Dans une démarche de transparence, le détail des ressources allouées à la mission Défense lui confère la visibilité accrue que nous devons à nos armées, à nos industriels ainsi qu'à nos partenaires, parmi lesquels l'Union européenne et l'Otan.

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Dans ses vœux aux armées, le président Macron a dressé une série de constats plutôt justes, reconnaissons-le, concernant notamment le retour de la guerre conventionnelle et la nécessité de transformer nos armées. Il a annoncé en regard un budget de 400 milliards d'euros pour la période 2024-2030. Dont acte.

Force est de constater que, si le PLPM contient de bonnes choses, il comporte aussi des effets d'annonce. La plus grande part des marches budgétaires est reportée à après 2027 – comme c'est curieux ! Il n'est pas assez tenu compte de l'inflation. Les recettes extrabudgétaires annoncées nous paraissent largement surestimées. Cela étant, nous venons de recevoir un courrier du ministre que je lirai avec attention.

Soyons honnêtes : tout n'est pas à écarter dans ce texte. Certaines dispositions nous semblent même aller dans le bon sens. Il en est ainsi de la priorité accordée à la dissuasion nucléaire, engagée sous l'impulsion du général de Gaulle et devenue l'un des piliers de notre souveraineté et de notre défense. Le Rassemblement national militant depuis longtemps en faveur de la sanctuarisation du porte-avions de nouvelle génération indispensable pour garder la maîtrise de notre destin par-delà les océans, nous approuvons le maintien de ce programme.

Sur d'autres points, nous attendons de voir comment vont évoluer les débats. Ainsi, alors que le contexte international nécessiterait de revoir à la hausse le format de nos armées, celui-ci demeure globalement inchangé. Une guerre conventionnelle impliquerait d'importantes pertes humaines et matérielles, tout le monde le sait : pourquoi ne pas préparer nos armées en conséquence ?

Pour justifier ces choix capacitaires, la majorité utilise un élément de langage : la « cohérence ». Mais où est la cohérence quand la marine nationale ne disposera en tout et pour tout que de quinze frégates alors que notre souveraineté est menacée dans l'Indo-Pacifique, quand vous vous entêtez à poursuivre, par pure idéologie, des coopérations industrielles européennes telles que le système de combat aérien du futur (Scaf) ou le système principal de combat terrestre (MGCS), alors qu'elles rencontrent de très graves difficultés, quand certains objectifs de l'actuelle LPM sont décalés ou revus à la baisse alors que les tensions géopolitiques ne cessent de croître, ou quand vous n'excluez pas l'achat de Himars américains pour remplacer les lance-roquettes unitaires et que vous refusez de relancer notre filière de munitions de petit calibre alors même que vous soulignez la nécessité d'une souveraineté de notre défense et d'une relocalisation d'un maximum de filières ?

Au-delà du capacitaire, il y a l'humain. Comme nous l'avons indiqué dans notre rapport, c'est là l'une des carences de la précédente LPM. Notre armée souffre d'un cruel manque de fidélisation. Le plan « famille » est utile mais insuffisant. Ce n'est pas un hasard si un tiers des militaires mettent un terme à leur contrat avant la fin et si un autre tiers ne le renouvelle pas. Les soldes sont insuffisantes. Comment pouvons-nous tolérer que des hommes et des femmes prêts à donner leur vie pour la nation doivent compter sur des primes pour vivre décemment ? La part indiciaire représente 70 % de la solde d'un militaire du rang et 55 % de celle d'un officier général. Nos militaires attendent une politique salariale ambitieuse. La fidélisation requiert une revalorisation substantielle des indices.

De surcroît, les militaires sont logés dans des conditions parfois indignes. Un quart seulement du parc immobilier du ministère des armées est en bon état. Si ce PLPM entend poursuivre les travaux de rénovation, il ne résoudra pas le problème des petits travaux, qui touche durement nos soldats dans leur vie quotidienne : vitres cassées, plomberie défaillante… Les chefs de corps doivent bénéficier d'une enveloppe budgétaire discrétionnaire pour réaliser les travaux de rénovation élémentaires.

Enfin, nous devons garantir à nos soldats un bon niveau d'entraînement. Le recours de plus en plus fréquent à la simulation ne doit pas remplacer les entraînements réels indispensables à la préparation opérationnelle des forces.

Vous le voyez, il y a du travail ! Nous espérons que l'examen de ce PLPM se fera avec intelligence, dans l'écoute des oppositions, et que nos idées et nos amendements seront acceptés. Il y va de l'intérêt supérieur de la nation. Nous verrons comment les débats évoluent. Pour notre part, nous sommes ouverts à la discussion ; nous espérons qu'il en est de même pour vous.

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Je me joins aux pensées du président pour nos armées et nos soldats – j'aurai une pensée particulière pour le piroguier du troisième régiment étranger d'infanterie récemment porté disparu au cours d'une mission sur l'Oyapock, en Guyane.

L'examen du présent PLPM intervient alors que se prépare une contre-offensive majeure des Ukrainiens sur le front de l'Est. Aux milliers de morts causés par l'agression russe s'ajoutent les bouleversements dus au changement climatique, le retour de la bipolarisation, la crise financière et l'inflation galopante. Des ruptures technologiques investissent les nouveaux champs de confrontation, comme le cyber ou l'espace. L'heure est grave. L'examen d'un projet de loi de programmation militaire ne peut pas se faire à la légère. Il doit aboutir à une loi de programmation et de planification souveraine, qui donne à la France les moyens de sa défense. C'est pourquoi je regrette la mauvaise qualité de ce texte.

Vous nous fournissez un rapport lacunaire d'une vingtaine de pages, qui présente en quelques lignes seulement plus de 400 milliards de dépenses : ce n'est ni sérieux ni respectueux. Le service national universel (SNU) reste collé comme le sparadrap du capitaine Haddock – sauf qu'il pourrait coûter 1 milliard d'euros par an. Brandir un budget de 413 milliards alors que seulement 400 sont financés, ce n'est pas sérieux. Partir du principe que plusieurs milliards correspondront à des sous-exécutions, ce n'est pas sérieux. Évoquer des besoins mais ne pas s'engager sur les crédits correspondants, ce n'est pas sérieux. Et que dire des reports de charges, des éléments de langage qui évoquent une « trajectoire plancher », abolissant ainsi toute forme de programmation et de planification, de la non-prise en compte de l'inflation qui conduit à prévoir des marches en euros constants inférieures à celles prévues dans la précédente LPM ?

En réalité, le budget de nos armées est en baisse. Quelles leçons tirer de la guerre en Ukraine ? Quel modèle d'armée privilégier ? Nous n'en savons rien. Un catalogue de matériels et de dépenses ne fait pas une vision. Si vous souhaitez nous faire adopter ce projet de loi à la hâte, c'est précisément pour ne pas avoir à respecter la LPM en cours. Le Gouvernement avait expliqué qu'il n'y avait pas besoin de rédiger un nouveau Livre blanc car il n'y avait pas de rupture majeure entre la précédente LPM et la nouvelle. Or il y en a une. Les reports massifs de cibles le démontrent, par exemple la diminution de 30 % de celle du programme Scorpion.

Certes, les sujets que nous défendons depuis des années – le cyber, le spatial, les fonds marins – sont enfin repris mais vos ambitions restent floues. Vous faites du saupoudrage et vous reniez vos choix passés lorsque vous retardez des programmes pourtant majeurs.

Le budget augmente de 40 % mais, au mieux, tout est flou, au pire, on a moins de tout. Même lorsqu'il s'agit de sujets identifiés comme majeurs, c'est plus qu'imparfait. Exemple : le spatial ; avec la suppression du programme Syracuse IV C, on fait reposer notre capacité de communication satellitaire sur un hypothétique programme de la Commission européenne, au détriment d'une solution souveraine. Idem avec la fin de vie annoncée de la composante spatiale optique (CSO) en 2030 : il y aura un trou capacitaire jusqu'en 2032, lorsque le programme français Iris prendra le relais. Ce n'est pas sérieux.

Et que dire des impensés du texte ? Rien sur les cessions d'armement. Quant à la dissuasion, héritage tout autant de la IVe République que du général de Gaulle, les crédits que nous allons voter financeront des équipements qui resteront en service jusqu'à la fin du siècle. Quid de la dissuasion de demain ? Ne faisons pas de la dissuasion la prochaine ligne Maginot. Le projet de loi ne propose rien non plus en matière de rémunération pour fidéliser les militaires du rang, alors qu'un tiers d'entre eux dénoncent leur contrat. Pourtant, il faudra bien des hommes et des femmes pour faire fonctionner notre outil de défense ! Seule une réforme de la part indiciaire de leur rémunération nous permettra de les garder.

La France a un rôle particulier à jouer dans le monde. Nous ne sommes pas une nation occidentale, car nous sommes présents sur tous les continents et dans tous les océans. La France, dotée de l'arme nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, est une puissance indépendante qui doit parler au monde entier et être au service de la paix. Elle doit œuvrer au désarmement nucléaire général et offrir des partenariats à d'autres puissances qui refusent la logique des blocs. Bref, elle doit être non-alignée.

Les enjeux sont immenses. Il importe que nous y répondions au mieux en dotant la France des moyens nécessaires pour sa défense et pour la promotion de la paix. Nous y veillerons.

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Dans ce monde particulièrement dangereux, c'est avec un sérieux tout particulier que le groupe Les Républicains entend examiner le présent PLPM. Tout le reste dépendra de ce que nous voterons : sans sécurité extérieure, tout s'effondre.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je pense aux femmes et aux hommes qui sont actuellement en première ligne. De ce que nous déciderons dépendra pour eux la possibilité de remplir la mission pour laquelle ils sont prêts à sacrifier leur vie.

Au nom de notre groupe, je tiens d'abord à saluer l'effort considérable que représente ce PLPM : une augmentation de 40 % du budget, ce n'est pas rien ; 413 milliards, c'est considérable. Je vous félicite aussi pour votre ambition de cohérence. Disposer de chars, d'avions, d'hélicoptères, c'est formidable, mais s'ils restent au hangar ou sont immobilisés au bout de deux jours, cela ne fait pas gagner une guerre – c'est tout au plus rassurant. Il suffit de voir les difficultés rencontrées en matière de logistique durant l'exercice Orion, notamment avec les véhicules dépanneurs de chars à chenilles… Un effort de cohérence est donc nécessaire, surtout si l'on prend en considération les nouveaux champs de conflictualité : le spatial, le cyber, les fonds marins, le renseignement et l'influence.

Je me dois également de constater les limites du projet de loi : si vous répondez parfaitement à l'ambition de la cohérence, la masse n'est qu'insuffisamment traitée. Dans la mission d'information sur la préparation à la haute intensité dont j'ai été le corapporteur avec Patricia Mirallès lors de la précédente législature, nous avions constaté l'existence de quelques trous capacitaires, que cette LPM ne comble pas totalement.

Il faut être modeste : l'effort inscrit dans ce projet de loi est formidable et tranche avec tous les renoncements des décennies précédentes, pendant lesquelles nous avons cru pouvoir encaisser sans rien faire les dividendes de la paix. Tous les partis ont commis la même erreur, et le mouvement ne s'est inversé qu'en 2017 : notre famille politique ne fait pas exception et a, elle aussi, baissé la garde. Néanmoins, les dépenses militaires n'atteindront que 2 % du PIB quand elles s'élevaient en moyenne à 3 % pendant la guerre froide. Un effort est bien accompli, mais nous ne sommes pas à l'idéal auquel nous aspirons pour les armes de la France. Nous sommes néanmoins très conscients de la situation budgétaire du pays : la charge de la dette va représenter 52 milliards d'euros, soit davantage que le budget de la défense des premières marches de la LPM.

Dans ce contexte, il serait irresponsable de se livrer à de la surenchère ; nous agirons avec responsabilité pour parvenir à un équilibre qu'il sera délicat de trouver. Tel est le dilemme de l'action : tout n'est pas noir ou blanc, et nous espérons que nos travaux amélioreront un petit peu cette LPM. Notre groupe examinera le texte avec bienveillance mais vigilance, afin de doter les armées et ceux qui la servent du meilleur outil possible ; nous avons tous ici la responsabilité d'envoyer le bon message à nos compétiteurs stratégiques et à nos adversaires, qui nous surveillent et qui regardent les travaux de cette commission.

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En janvier, lors de ses vœux aux armées, le Président de la République a présenté le budget de la loi de programmation que nous nous apprêtons à étudier, à savoir 413 milliards d'euros sur sept ans ; ensuite, le passage du projet de loi en Conseil des ministres il y a un mois nous a éclairés sur les choix opérés, lesquels ont suscité quelques premières critiques.

Le groupe Démocrate est conscient de l'effort financier important que la nation s'apprête à consentir pour soutenir ses armées. Il ne se compte pas seulement en nombre de chars, d'avions ou de canons dont nous doterons les femmes et les hommes qui se battent pour la France, il s'inscrit dans un modèle d'armée proprement français, reposant sur la dissuasion nucléaire pour assurer notre sécurité et sur la capacité des militaires à se projeter pour défendre nos territoires ou nos intérêts. Cet effort est également le fruit d'un retour d'expérience de la guerre en Ukraine, qui a démontré la supériorité de l'efficacité et de l'ingéniosité sur le nombre.

Avant d'exiger une armée de masse comme si nous nous trouvions aux portes d'un conflit, la France doit se doter d'une armée bien entraînée disposant d'un équipement fonctionnel. Nous saluons en ce sens l'effort effectué pour le maintien en conditions opérationnelles ou pour les munitions. Le rapport d'information de nos collègues Vincent Bru et Julien Rancoule sur les stocks de munitions avait démontré à juste titre l'importance de relancer en France et en Europe la production de munitions ; vous avez d'ailleurs annoncé, Monsieur le ministre, la première réouverture d'un site de production, ce dont nous nous réjouissons.

L'effort que nous consentons a également pour but de permettre à la France de demeurer une nation à la pointe de l'innovation pour les sous-marins ou le futur porte-avions, mais également pour le domaine spatial, le cyber et les drones. Toutes ces évolutions sont nécessaires pour préserver un modèle d'armée adapté au XXIe siècle et celui hérité des dernières décennies, celui d'une France indépendante grâce à sa dissuasion, disposant d'une armée professionnelle et d'une base industrielle et technologique de défense (BITD) de renom.

Une France indépendante n'est pas une France isolée : en cette Journée de l'Europe, comment ne pas saluer les gros efforts réalisés à l'initiative de la France pour enfin donner du corps à l'Europe de la défense ? Avec la Facilité européenne pour la paix (FEP), le Fonds européen de la défense (FED) ou, plus récemment, les achats groupés de munitions, l'Union européenne a su démontrer qu'elle pouvait trouver sa place dans ce secteur ; n'en déplaise à certains, elle constitue une plus-value indispensable pour aider les États européens à demeurer souverains et compétitifs.

Il en va de même pour les programmes d'armement : nombreux sont ceux qui crient au manque d'équipements mais qui souhaitent en même temps que la France développe seule des programmes coûteux, ce qui aurait un impact direct sur les capacités des armées. Oui, nous pouvons et nous devons partager ce qui doit l'être car c'est ainsi que nous bâtirons de l'interopérabilité et que nous contribuerons à renforcer nos alliances et, à terme, nos armées. Il n'est pas toujours facile, pour les collègues obnubilés par les prochaines échéances électorales, d'arriver à penser le temps long.

La fidélisation des militaires est un élément central pour penser l'avenir et atteindre nos objectifs. Je sais que vous y êtes vigilant, Monsieur le ministre, et nous saurons enrichir à bon escient le texte sur ce point. Vous connaissez mon engagement sur la question de la famille et de ceux qui partagent le quotidien des soldats : leur vie est liée à celle des militaires et nous devons leur accorder une attention particulière.

Notre groupe est attaché au renforcement du lien entre l'armée et la nation, auquel le texte consacre un chapitre. La nation doit retrouver le sens de l'engagement, notamment au travers des réserves et, pour les plus jeunes, du service national universel (SNU). L'armée doit, elle aussi, faire un pas vers les citoyens, afin que chacun comprenne les enjeux de la défense ; nous nous y attelons souvent dans cette commission car c'est ainsi que la France saura se montrer résiliente et relever les défis de demain.

Vous pouvez compter sur le soutien total du groupe Démocrate pour garantir le succès de cette loi de programmation militaire.

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Le projet dont nous débutons l'examen n'est pas une loi de programmation militaire comme les autres. Nous pourrions avoir la tentation de la percevoir comme une simple actualisation de la LPM précédente, tant sa trajectoire semble davantage marquer une continuité qu'une rupture. Ce projet de loi s'inscrit néanmoins dans un moment de bascule, à cause de l'agression de la Russie contre l'Ukraine, qui fait émerger aux portes de l'Europe une volonté nationaliste et belliqueuse, et de la politique agressive et autoritaire du régime chinois. Alors, l'impensable redevient probable : jamais depuis la fin de la guerre froide, les menaces et les enjeux de la défense nationale n'auront été aussi prégnants. ; jamais depuis longtemps, les choix et les arbitrages n'auront été aussi difficiles. Pour emprunter à Clausewitz, nous pourrions dire que cette programmation militaire est recouverte d'un brouillard épais.

Face à l'incertitude, le groupe Socialistes et apparentés ne souhaite ni éluder, ni refuser les choix ou la discussion car il est conscient des implications concrètes de cette loi pour la nation et pour les armées. Je tiens à saluer au nom de mon groupe l'engagement des personnels civils et militaires des armées, mobilisés dans le territoire national, dans les bases et dans des théâtres d'opérations. Dans le cadre de la LPM, nous souhaitons que soit défini un cap crédible, cohérent et ambitieux pour la défense. Dès lors, nous ne céderons ni à l'urgence du moment en donnant un blanc-seing au Gouvernement, ni à l'obstruction de courte vue. Cette position de responsabilité, c'est celle des socialistes. Groupe le plus ancien de cette assemblée, nous avons accompagné pas à pas et sur le temps long les politiques de défense de notre république ; souvenons-nous de Jaurès et de son modèle d'armée nouvelle et du président Mitterrand : la gauche a une longue histoire avec les armées et mon groupe souhaite y prendre toute sa part.

Depuis le début de cette législature, nous avons suivi avec grande attention l'ensemble des auditions et des conclusions des missions d'information, notamment celles sur la précédente LPM, les stocks de munitions ou les fonds marins. En tant que parlementaires, il est de notre rôle d'interroger les militaires, les personnels civils de la défense et, bien entendu, le Gouvernement pour questionner les choix de ce projet de loi et enrichir celui-ci dans l'intérêt du pays.

Monsieur le ministre, vous avez assuré que vous vous teniez à la disposition du Parlement : nous veillerons à ce que cette proclamation se traduise en actes. Le Gouvernement fixe dans la LPM les priorités des armées, de ses capacités et de ses équipements pour les années à venir face aux grands enjeux du monde ; elle doit traduire un sursaut, déjà annoncé à de nombreuses reprises.

L'augmentation de 30 % du total des crédits semblait prometteuse. Le projet de loi comporte cependant certains défauts majeurs. Tout d'abord, sa préparation ne s'est pas accompagnée de la rédaction d'un Livre blanc, pourtant nécessaire pour ancrer les anticipations et réaliser des choix robustes – nous aurons l'occasion de l'évoquer. Pour la première fois dans l'histoire de l'Assemblée, la conférence des présidents a jugé que l'étude d'impact était excessivement faible et a refusé l'inscription du texte à l'ordre du jour. Ensuite, sa trajectoire budgétaire, censée justifier l'union nationale, souffre d'incertitudes considérables et de limites perceptibles. L'atteinte de la cible des 2 % semble un vœu pieux. Ainsi, dans le détail, la programmation laisse une sensation paradoxale à cause de renoncements marquants et de choix doctrinaires timides voire indécis, malgré un coût élevé.

Nous attendons des débats une discussion constructive et exigeante. Nous avons déposé des amendements pour enrichir nos échanges et nous projeter dans le cycle long de la LPM. L'examen du texte s'inscrit bien entendu dans un contexte social de crise, tendu par certaines positions inflexibles du Gouvernement. C'est pourquoi nous serons particulièrement attentifs à la condition sociale des militaires, laquelle nous semble un enjeu prioritaire du projet de loi.

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J'ai tout d'abord une pensée pour les femmes et les hommes du ministère des armées et une autre plus grave pour les familles et les proches des militaires tombés en opération mais également pour ceux du journaliste Arman Soldin, tué aujourd'hui près de Bakhmout.

Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024-2030 représente, pour les armées, un effort budgétaire sans précédent, considérable et pleinement justifié. Considérable, car il porte à 413 milliards d'euros le budget de la mission Défense, pour aboutir à un doublement du budget annuel des armées par rapport à 2017 ; justifié, car il doit prendre en compte la préservation du cœur de notre souveraineté nucléaire, un contexte géostratégique dégradé et la nécessité pour les armées de monter en puissance après leur réparation.

Au-delà de l'effort budgétaire, la LPM propose, pour les armées, un modèle cohérent et robuste, qui s'inscrit dans la lignée des conclusions de la dernière revue nationale stratégique (RNS). Ce modèle est celui d'une armée moderne donnant la capacité à la France d'agir seule ou en coalition avec ses alliés.

Le premier pilier est celui de la modernisation des armées. Notre territoire, nos armées et nos alliés sont sans cesse la cible d'attaques hybrides dans de multiples champs de conflictualité : le spatial, le cyber, les fonds marins et le renseignement sont autant de domaines majeurs qu'il nous faut développer pour pouvoir faire face à ces menaces. Dans le secteur du spatial, les armées doivent pouvoir tirer profit de l'ensemble des innovations et technologies civiles, comme les constellations et les lanceurs réutilisables. Il importe de renforcer la relation de confiance entre, d'une part, les armées et, d'autre part, les industries et les services qui concourent à leur action, comme les opérateurs de satellites. On ne compte plus les attaques cyber contre les services publics, les hôpitaux et les collectivités territoriales. Il a fallu créer une posture permanente sur le cyber, recruter massivement des cybercombattants et renforcer les infrastructures numériques. Le projet de loi renouvelle cet engagement, indispensable pour préserver notre souveraineté et pour participer pleinement à l'ensemble des mécanismes de solidarité cyber qui seront déployés à l'échelle européenne. Le budget consacré au renseignement devrait augmenter de 60 % sur la période, afin de lutter efficacement contre les ingérences et les attaques dans le champ informationnel.

Le deuxième pilier a trait au rôle de la France en tant que puissance crédible au sein de ses alliances. Cela passe par un renouvellement de notre engagement au sein de l'Otan et par une action constante en faveur de l'autonomie stratégique du continent européen, l'une ne pouvant se concevoir sans l'autre.

La guerre d'agression en Ukraine, à quelques heures seulement de Paris, nous rappelle que notre pays n'est pas à l'abri d'un conflit de haute intensité. Sans en tirer de conclusion hâtive, cela doit nous conduire à nous préparer sur deux plans : celui du lien entre la nation et ses armées et celui de l'économie de guerre. Pour renforcer le lien entre la nation et l'armée, le projet de loi de programmation militaire perpétue les engagements à hauteur d'homme, à l'image du deuxième plan « famille » ou des investissements prévus dans les infrastructures et les logements militaires. Il consacre aussi un effort particulier pour les réserves opérationnelles avec l'objectif de doubler le nombre de réservistes volontaires à l'horizon 2030. Pour une économie de guerre, le projet de loi engage un effort particulier sur les munitions, à hauteur de 16 milliards d'euros, et prévoit, dans ses dispositions normatives, une réforme du régime de réquisitions en cas d'urgence et la possibilité de demander à la BITD de constituer des stocks stratégiques et d'accorder la priorité aux commandes nationales.

Nous vous remercions, Monsieur le ministre, d'avoir étroitement associé les parlementaires à la préparation de ce projet de loi de programmation. Nous comptons sur votre détermination pour poursuivre dans cette voie, tant pour l'élaboration des lois de finances annuelles que pour l'actualisation de la LPM – sujet sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. Aussi le groupe Horizons et apparentés votera-t-il naturellement en faveur de ce projet de loi de programmation militaire.

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À l'entame de l'examen de ce projet de loi de programmation militaire et alors que nous étions présents hier dans nos circonscriptions pour les cérémonies du 8 mai, je voudrais à nouveau dire notre reconnaissance pour le dévouement et le courage de toutes les femmes et de tous les hommes qui ont choisi de servir au sein de nos armées. En cette Journée de l'Europe au cours de laquelle nous commémorons la déclaration de Robert Schuman qui commence par ces mots « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent », je souhaiterais saluer les efforts accomplis pendant soixante-treize ans : soixante-treize années pour réaliser et conserver la paix en Europe ; soixante-treize années au cours desquelles des efforts massifs de désarmement ont été réalisés, notre armée s'est professionnalisée et les dépenses militaires ont baissé. Le retour actuel des conflits de haute intensité en Europe nous interroge. Pendant ces soixante-treize années, la France, fidèle à ses valeurs humanistes, a su faire reposer sa politique sur deux piliers : le premier était certes militaire mais le second était la diplomatie. À ce titre, nous regrettons la réforme du corps diplomatique qui continue de démanteler le métier de ceux qui concourent à la force de la parole de la France de par le monde. Je regrette le manque de moyens alloués au Quai d'Orsay, qui ne bénéficie pas, lui, de lois de programmation.

La résurgence de nouveaux conflits asymétriques bouleverse notre environnement géostratégique. En ce sens, il est évident que notre modèle d'armée doit s'adapter. Nous devons repenser notre armée à hauteur d'homme et de femme, en valorisant les conditions d'exercice et en poussant la féminisation et l'inclusivité. L'armée doit pouvoir se reposer sur un socle capacitaire fiable, la guerre en Ukraine ayant confirmé l'importance fondamentale du maintien en conditions opérationnelles. Cependant, la place que continue de prendre la dissuasion nucléaire nous semble tout à fait disproportionnée ; cette position paraît difficilement compatible avec le respect du principe de stricte suffisance auquel la France s'est engagée, notamment vis-à-vis du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

Les écologistes sont par ailleurs inquiets de voir que cette LPM continue de placer l'exportation d'armements au cœur de la stratégie française, alors que plusieurs ONG ont émis de sérieuses critiques sur la place des armes françaises dans les répressions opérées par la dictature égyptienne, dans le conflit au Yémen ou celui au Liban. Il est indispensable que ces ventes fassent l'objet de davantage de contrôles : les parlementaires doivent impérativement jouer leur rôle dans ce domaine. Notre modèle de défense ne doit pas devenir une vitrine commerciale pour vendre des armes à des dictatures.

Le changement climatique représente le défi de notre siècle : en 2030, à la fin de la période couverte par la LPM, les émissions de gaz à effet de serre de la France devront avoir baissé de 50 % par rapport à 1990. Pour atteindre cet objectif, tous les secteurs doivent engager un effort massif : la défense peut d'autant moins se soustraire à cette obligation que les armées représentent le premier émetteur de CO2 de l'État.

Les écologistes ont à cœur d'assurer la continuité de l'ensemble des missions de l'État pour tous nos concitoyens. Cela nous conduit à nous interroger sur la viabilité budgétaire du projet de loi que vous nous présentez. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a indiqué dans son rapport qu'il existait une différence de 13 milliards d'euros entre les besoins programmés et les crédits identifiés. Nous exprimons une vive inquiétude quant à la manière dont cet écart sera comblé : où allons-nous trouver l'argent ? En outre, le HCFP a expliqué que les crédits couverts par les lois de programmation vont croître plus rapidement que le total des dépenses de l'État. Par conséquent, les autres dépenses, à savoir celles qui n'entrent pas dans le périmètre d'une loi de programmation, devront connaître une baisse en volume de 1,4 % entre 2023 et 2027. La contrainte sera alors plus forte que celle connue dans les dernières décennies. Il s'agit, en creux, d'une mise sous pression de l'éducation nationale, des hôpitaux, de la transition écologique et du logement, alors que la France traverse une crise sociale et énergétique particulièrement difficile et que l'inflation précarise chaque jour davantage les foyers les plus en difficulté.

Le groupe Écologiste tient à rappeler la nécessité d'avancer collectivement vers une Europe de la défense, centre de notre autonomie stratégique, garante de la paix et grande absente de ce texte. Alors que la guerre fait rage dans le continent européen, l'incertitude sur les contours du monde de demain grandit : réchauffement climatique, pandémie, nous ignorons l'avenir que nous allons offrir à nos enfants ; je ne souhaite leur laisser en héritage ni une planète détruite, ni une planète en guerre.

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Permettez-moi de saluer à mon tour l'engagement de nos soldats, prêts à sacrifier leur vie au service de la nation : ils ont besoin de tout notre soutien dans leur mission et ils peuvent compter sur le nôtre.

Ce projet de loi de programmation militaire ne nous convient pas car il consacre un modèle d'armée et une doctrine que nous contestons. Nous ne sommes ni des naïfs, ni des pacifistes béats, et l'évolution des stratégies déployées par les grandes puissances occidentales nous inquiète profondément ; néanmoins, l'obsession d'y répondre en se lançant à corps perdu dans la course aux armements nous préoccupe tout autant. La trajectoire de cette LPM nous conduira à doubler le budget de la défense entre 2017 et 2030 : pour quels objectifs ? Et pour quels résultats ces dernières années ?

Depuis vingt ans, les opérations extérieures que la France a menées, seule ou au sein d'alliances, n'ont réglé aucun des problèmes posés, à commencer par le terrorisme. Elles ont au contraire entraîné une déstabilisation politique, économique et sociale importante, comme en Libye ou en Afghanistan, et même une rancœur à l'égard de nos forces et de notre pays au Sahel. C'est la raison pour laquelle nous ne partageons pas le choix d'une armée de projection puissante et symbolisée par l'investissement dans le porte-avions. Nous doutons de la pertinence de la décision, très coûteuse, de développer un nouveau porte-avions : les compétences exceptionnelles de nos soldats ne sont bien entendu pas en cause, mais nous considérons qu'il serait plus efficace d'investir dans des moyens de surveillance et de protection de l'Hexagone et des territoires ultramarins, dans de meilleurs équipements des soldats et dans des soldes plus élevées.

Nous appelons à un large débat avec les Français sur les choix de notre pays en matière de paix et de sécurité ; sans cela, nous risquons d'avoir, plutôt qu'une guerre d'avance comme le proclame le Président de la République, une paix de retard.

Le projet de loi de programmation militaire défend un modèle d'armée placé sous l'emprise de la dissuasion nucléaire. Le choix d'augmenter la force de frappe nucléaire vampirise l'essentiel des autres moyens d'action. C'est tellement vrai que la mise en service de nombreux équipements, chars, bateaux, avions et drones a dû être reportée au-delà de 2030. Or nos armées ont besoin de moyens pour défendre les intérêts de la France partout où ceux-ci sont menacés, en particulier dans nos zones maritimes et nos zones économiques exclusives (ZEE). D'autres choix sont possibles et même nécessaires pour renforcer nos points faibles, mais nous en sommes actuellement empêchés parce que la LPM est plombée par le tout-nucléaire militaire, dont le coût ne figure nulle part dans le texte, ce que nous déplorons. Nous souhaiterions obtenir des réponses précises pendant les débats. Le seul point de repère, que vous avez confirmé, Monsieur le ministre, est cette part d'environ 13 % prise par le nucléaire militaire dans le budget global de la défense, soit 54 milliards d'euros sur sept ans. Nous sommes opposés à cette escalade, qui entre en contradiction avec la ratification par notre pays du TNP. Mes collègues de Polynésie interviendront d'ailleurs pour rappeler les ravages des essais nucléaires sur l'atoll de Mururoa et exprimeront leur demande de réparation.

Ce projet de loi de programmation nous entraîne vers une militarisation excessive et inédite depuis 1960 de notre pays. La militarisation démesurée de la planète ces dernières années et la dissuasion nucléaire, qui existe depuis des décennies, n'ont pas empêché le déclenchement des conflits extrêmement meurtriers que nous connaissons depuis le début du XXIe siècle. Cela devrait nous faire réfléchir. Voilà pourquoi nous devrions concentrer nos moyens sur la défense de l'Hexagone et des territoires d'outre-mer, garantir de meilleures conditions de sécurité d'entraînement pour les soldats ainsi que des rémunérations plus élevées et assurer l'indépendance de la filière de défense, y compris par rapport à nos alliés.

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Face au risque du retour des conflits à haute intensité, une grande partie de nos voisins européens et de nos alliés sont entrés dans une course à l'armement. Les budgets de défense augmentent et la constitution de stocks stratégiques s'accélère : plus qu'une compétition entre voisins, nous évoluons dans un espace international grevé par les concurrences économiques et traversé par des rivalités géopolitiques. La question principale est : sommes-nous à la hauteur ? La quatorzième LPM nous offre l'opportunité de répondre par l'affirmative.

Nous l'avons constaté au fil des auditions de notre commission, il est indispensable de donner un souffle nouveau aux armées pour répondre à ces enjeux. Ne nous y trompons pas, il y aura des arbitrages difficiles et nos choix engageront la nation pour des décennies, bien au-delà de 2030. Notre cap doit être de donner aux militaires des moyens à la hauteur de leur engagement. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires tient à réaffirmer son attachement aux armées et aux soldats, qui assurent notre sécurité au quotidien. L'effort budgétaire de défense est là : 413,3 milliards sur sept ans représentent une somme substantielle, et notre groupe salue cette volonté de transformer nos armées. Cependant, il faut relativiser ces effets d'annonce car ce total reprend une partie des crédits inscrits dans la présente LPM, qui court jusqu'en 2025 et que l'inflation rogne. L'exécution annuelle de cette trajectoire constituera un défi : nous rejoignons pleinement les critiques du Conseil d'État et du HCFP, qui relèvent que les marches annuelles les plus hautes, de l'ordre de 4,3 milliards, sont prévues à la fin du quinquennat, ce qui fait peser de nombreux aléas sur la capacité du Gouvernement à mener à bien une mise en œuvre sincère de cette loi de programmation.

Le cap est ambitieux, mais comment le tenir compte tenu du niveau de la dette et de l'accélération de la hausse des taux, couplés à la dégradation de la note financière de la France par l'agence Fitch ? En outre, notre groupe alerte à nouveau la commission sur le manque d'information sur les 13,3 milliards d'euros de ressources extrabudgétaires. Cette somme est loin d'être négligeable, et nous défendrons des amendements destinés à clarifier la situation et à obtenir une meilleure trajectoire pour les armées.

La mise en œuvre de la LPM devra également être l'occasion pour le Parlement de se réapproprier la défense nationale. Telle est la ligne que notre groupe entend suivre. Nous jugeons insuffisante la clause de revoyure prévue car, en l'état, elle ne se traduirait que par un simple débat. Nous proposerons des amendements visant à imposer une véritable actualisation législative. Dans le même sens, nous soutiendrons des amendements tendant à renforcer le pouvoir de contrôle des commissaires de la défense sur l'action du ministère des armées et sur l'exécution de la LPM.

D'autres mesures appellent des précisions, toujours dans l'intérêt de nos armées et de nos soldats. Je pense en particulier à la clause anti-inflation, censée permettre l'octroi de crédits supplémentaires en cas de hausse du prix des carburants opérationnels ; en l'état, cette clause est obscure et n'apporte pas de réponse efficace. Nous défendrons donc des amendements visant à la renforcer.

Autre sujet qui nous tient à cœur, l'engagement de nos armées dans les territoires ultramarins. Il est nécessaire d'assurer la continuité territoriale de notre défense : ces moyens sont nécessaires pour protéger les citoyens ultramarins et surveiller notre ZEE. Nous invitons le Gouvernement à inclure un angle ultramarin dans la LPM : en dépit des annonces, le rapport annexé est relativement pauvre sur le sujet. Nous saluons le choix de consacrer 13 milliards d'euros sur la période de la LPM à la souveraineté outre-mer, au travers notamment du renforcement capacitaire des forces chargées de cette mission. Nous avons alerté le Gouvernement sur la situation particulière de l'océan Indien : nous appelons à consolider les moyens des forces armées dans la zone sud de cet océan, afin de garantir la protection du territoire et d'assurer la coopération entre La Réunion et Mayotte.

Enfin, les ambitions de la LPM ne pourront être tenues qu'à condition d'offrir un cadre optimal aux armées : notre groupe appelle votre attention sur le déploiement du deuxième plan « famille », qui, présenté en février dernier et doté de 750 millions d'euros, est le grand absent de ce texte ; ce dernier ne le mentionne qu'à une reprise et ne dissipe aucun flou relatif à son enveloppe et à son décaissement annuel. Nous défendrons, là aussi, des amendements visant à combler ce manque.

Cette LPM doit être l'occasion de mettre l'accent sur les droits des militaires : il faut renforcer leurs soutiens mais également mieux communiquer sur ceux-ci. Ces mesures sont loin d'être accessoires car elles permettent de fidéliser les effectifs et de rythmer la vie quotidienne des militaires et de leurs familles. Nous reconnaissons les efforts menés par le ministère sur le sujet, mais nous appelons à les poursuivre et à mieux associer les collectivités locales, afin de répondre plus efficacement aux besoins concrets des familles des militaires.

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Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué un montant global de la LPM de 400 milliards. Ce chiffre sera au cœur de nos discussions, d'ailleurs de nombreux collègues en ont déjà parlé. Quelle est la conclusion de votre travail : les crédits inscrits dans cette LPM atteignent-ils 400 ou 413 milliards ?

Pouvez-vous nous éclairer sur la ventilation des crédits ? Comment sont présentés les patchs ? Certains d'entre eux ne comportent-ils pas des dépenses déjà inscrites ailleurs, par exemple dans les domaines cyber et spatial ?

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Sébastien Lecornu, ministre des armées

Je ne vais pas vous présenter le texte considérant que la méthode que nous avons collectivement retenue – et que plusieurs orateurs ont saluée – repose sur un cycle préalable d'auditions suffisamment approfondi et documenté ; nous avons ainsi présenté à plusieurs reprises le projet de loi et répondu à l'ensemble des questions qui nous ont été posées.

Je remercie les députés qui se sont rendus sur le terrain, notamment dans le cadre des exercices Orion que vient d'évoquer M. Thiériot : le contact avec les forces permet de comprendre des éléments auxquels un rapport annexé et un texte ne donnent pas accès.

À vous écouter, je comprends que certains aspects du projet de loi de programmation demandent plus de pédagogie pour expliquer les choix qui ont été retenus – libre à vous ensuite de les partager ou non. J'aimerais revenir sur une phrase que certains d'entre vous ont prononcée : il n'y a pas de rupture majeure dans cette LPM. Quelles ruptures majeures proposez-vous ? Le Président de la République, le Gouvernement et la majorité présidentielle ne proposent pas de rupture majeure dans notre modèle de défense. Des transformations sont prévues, mais pas de rupture : ce point est important, notre orientation est claire, même si elle suscitera des oppositions parmi certains d'entre vous.

Certaines approches politiciennes rendent un peu vaines les démonstrations sérieuses et techniques. Il y a toujours eu des marges frictionnelles, des reports de charges et des recettes extrabudgétaires au ministère des armées : mal m'en a peut-être pris d'en faire état, peut-être aurais-je dû afficher le montant de 413 milliards sans vous montrer la construction de ce montant. Depuis que le ministère des armées, sur décision du Parlement, a des recettes extrabudgétaires, toutes les programmations militaires ont reposé sur un montage identique. Le mobile de cette interrogation est peut-être politique et vise à atténuer l'effort que le Gouvernement propose, par exemple en découvrant l'inflation, qui a toujours été présente dans les programmations militaires des années 1960 et 1970.

Par ailleurs, le ministère des armées est le seul qui dispose d'outils permettant de réguler l'inflation. Il est frappant de constater que l'on pose peu de questions au ministre de l'intérieur à propos de l'impact de l'inflation sur le plan de construction de brigades de gendarmerie et de commissariats, ou au garde des Sceaux sur la construction de prisons. Le projet de loi de programmation militaire, lui, contient des mécanismes prenant en compte les effets de l'inflation.

Le groupe Démocrate avait souhaité consacrer une séance de contrôle à l'exécution de la LPM. Certes, aucune programmation n'est parfaite, mais tous les groupes politiques ont souligné que, s'agissant de l'exécution à l'euro près, une volonté politique existait.

Il est vrai que la programmation que nous vous proposons court jusqu'en 2030. Il faut donc assumer le fait que nous programmons pour une partie d'un quinquennat durant lequel Emmanuel Macron ne sera pas Président de la République. Cela renvoie au niveau de confiance que l'on aura dans les candidats à l'élection présidentielle… En outre, vous ne serez pas la première génération de parlementaires à établir une programmation à cheval sur deux mandats présidentiels.

La discussion d'une LPM est un beau moment pour le Parlement. Notre constitution est très équilibrée en la matière : voulue par un militaire, elle n'en a pas moins consacré la primauté du politique. Un grand nombre des choix transcrits dans le texte ont été faits par nos armées elles-mêmes. Par exemple, vous opposez la cohérence et la masse, mais l'équilibre proposé résulte d'un choix des états-majors, que j'endosse politiquement. Le rôle de chacun est clairement défini, qu'il s'agisse de celui du Président de la République, chef des armées, de celui du Gouvernement ou de celui du Parlement. À cet égard, les parlementaires ont beaucoup plus de poids que certains veulent bien le dire ou le croire.

Je ferai preuve d'une grande ouverture en ce qui concerne les clauses de revoyure et la manière dont le Parlement pourra contrôler la programmation. À la demande du Conseil d'État, nous avons retiré du texte les mesures que nous avions imaginées en matière de contrôle. Le Conseil a considéré, en effet, que c'était au Parlement qu'il revenait de faire des propositions sur ce point. Quoi qu'il en soit, le principe est acquis ; il conviendra de trouver des solutions, et, à cet égard, votre rapporteur a des propositions.

Ce débat constitue également un moment de vérité politique – je le dis sans esprit de polémique. En vous écoutant, je suis intrigué et intéressé : certaines sensibilités politiques défendent un modèle cohérent, quand d'autres avancent masquées, sans s'en prendre frontalement à notre modèle d'armée mais en attaquant la dissuasion nucléaire et nos alliances militaires et diplomatiques. Quelle diplomatie, quel rapport aux autres proposent-ils ? La défense est un sujet relatif : il s'agit de traiter des menaces.

Je l'ai dit publiquement au Sénat, puis dans l'hémicycle, et je le redis devant vous, Monsieur Roussel : je ne suis pas d'accord avec vos propositions, mais, depuis les années 1960, le Parti communiste français est cohérent. Vous avez le mérite de la franchise, y compris en ce qui concerne la dissuasion, et je vous en remercie.

Chez d'autres, j'observe la tentation de s'attaquer à la copie par le détail. Loin de moi l'idée de considérer que les détails ne sont pas importants : le diable peut s'y nicher. Nous aurons tout le temps de les examiner et de répondre aux critiques. Mais il ne faudrait pas que cela nous amène à négliger ce qui constitue l'essentiel en matière de défense nationale.

En vous écoutant, Mesdames et Messieurs les députés de la NUPES, je me dis que les enjeux de défense n'ont pas dû faire partie du projet d'alliance, car les positions de vos groupes ne sont pas les mêmes. C'est intéressant du point de vue de la transparence démocratique, car lorsque les électeurs se sont prononcés, ils n'avaient pas forcément conscience d'un décalage aussi important : certains d'entre vous sont très atlantistes, d'autres ne le sont pas du tout – c'est le moins que l'on puisse dire. Ce n'est pas une provocation de ma part : ce constat est factuel. Si je me trompe, je serai heureux que vous m'expliquiez où est la cohérence entre vos positions.

Nous sommes là pour parler de choses militaires. Souvent, les questions budgétaires dominent, et c'est bien naturel. Néanmoins, si j'en juge d'après la manière dont certains amendements sont rédigés, l'un des principaux risques du débat qui s'annonce me semble être de ne pas parler des finalités militaires. Les tableaux capacitaires, les reports de charges et les marges frictionnelles peuvent occulter la vraie finalité attendue d'une loi de programmation militaire, c'est-à-dire l'effet militaire recherché. À ce propos, il ne faut pas négliger la cohérence : s'il y a un retour d'expérience important de la guerre en Ukraine, c'est bien le fait que des armées manquant de cohérence dans leur organisation sont en échec sur le terrain.

Dans le contexte actuel, nous devons prendre des risques, faire des paris militaires et industriels. La programmation n'est pas une science exacte. Je sens bien, par ailleurs, qu'il y a désormais une forme d'aversion au risque. Souvenons-nous qu'il a fallu du courage pour présenter, en 1960, une loi de programme posant le principe la dissuasion nucléaire. Certes, sous la IVe République, Pierre Mendès France, quand il était président du Conseil, avait posé les jalons de l'organisation du Commissariat à l'énergie atomique, mais les grands programmes ont bel et bien été lancés en 1960, avec une incertitude majeure et face à une opposition internationale plus que farouche. Les gaullistes, en majorité relative, ont dû affronter l'ensemble des autres sensibilités politiques du Parlement. Il apparaît que celles-ci ont eu tort – M. Roussel ne sera pas d'accord avec moi sur ce point, évidemment. Quoi qu'il en soit, c'est donc un moment de responsabilité pour chacun d'entre nous, au-delà des stratégies politiques de court terme : il y a là un enjeu historique pour la nation tout entière.

Avec l'ensemble des équipes du ministère, nous serons à votre disposition pour améliorer autant qu'il le faut le texte, sans esprit clanique ou partisan. La défense nationale doit nous permettre, non pas d'être d'accord – puisque, depuis les années 1960, il n'y a pas de consensus –, mais de faire converger autant que possible, dans la plus grande transparence, nos aspirations en matière de sécurité de la nation.

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Le mot « cohérence » est souvent revenu dans le débat. De fait, la cohérence est nécessaire, sur le plan capacitaire et sur le plan politique. M. le ministre l'a souligné : si nous étions en guerre, que pourrait faire un gouvernement dont la politique de défense serait dépourvue de cohérence ? La question se pose de façon particulièrement aiguë pour les partis, représentés ici, qui aspirent à exercer le pouvoir.

S'agissant de cohérence, il est important de bien comprendre la méthode utilisée : plutôt que d'aligner des moyens capacitaires, le ministère a défini son ambition pour le pays et s'est fixé des objectifs. Il était d'autant plus pertinent de procéder de la sorte que nous n'avons pas une armée de défilé : l'armée française fait la guerre. Cela suppose des moyens adaptés et des investissements. À cet égard, et même s'il n'y a jamais assez de moyens, le projet de LPM est généreux : 113 milliards sont prévus pour les capacités militaires.

Avoir une armée capable de faire la guerre suppose de maîtriser aussi bien l'espace que les troupes au sol. À cette fin, 6 milliards seront consacrés aux investissements dans le spatial. Celui qui tient l'espace possède du renseignement lui procurant une analyse précise de la situation, ce qui est très important pour une nation comme la nôtre, qui est une puissance d'équilibre souhaitant conserver sa capacité de décision souveraine.

La cohérence passe par des investissements substantiels, y compris dans les technologies innovantes. En effet, l'une des leçons de la guerre en Ukraine est qu'il ne suffit pas d'aligner des blindés : encore faut-il qu'ils soient en mesure de tirer les premiers et d'atteindre leur cible, ce qui suppose que l'on soit en mesure de localiser l'adversaire.

La formation des soldats est aussi très importante. À cet égard, le projet de LPM prévoit 97 milliards pour les ressources humaines.

La fonction de soutien, dont nous avons vu l'importance en Ukraine – les troupes russes sont en difficulté car cette fonction leur fait défaut –, bénéficie de 18 milliards.

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) augmente pour sa part de 40 % par rapport à la précédente LPM, pour atteindre 49 milliards.

L'examen des amendements nous permettra de développer les questions budgétaires, capacitaires et surtout humaines.

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Comme il est d'usage avant d'entamer l'examen des articles, je vous donnerai quelques éléments statistiques concernant la recevabilité des amendements déposés.

Quatre-vingt-cinq ont été déclarés irrecevables, soit 12,5 % du nombre total. Treize l'ont été d'emblée car ils constituaient des doublons. Un autre, relatif à l'article 3, était inopérant. Deux portaient sur les articles 33 et 35 du projet de loi, dont l'examen au fond a été délégué à la commission des lois. Quarante ont été déclarés irrecevables par le président de la commission des finances car ils instituaient une charge supplémentaire. Vingt-huit constituaient des cavaliers législatifs.

Par ailleurs, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, tout amendement doit pouvoir se rattacher au contenu d'un article du projet de loi : le simple fait qu'il porte sur un sujet évoqué par le texte ne suffit pas à rendre un amendement recevable.

Enfin, le Conseil constitutionnel censure d'office les cavaliers législatifs. Une attitude trop légère de ma part n'aurait donc pas permis pour autant la traduction législative de vos intentions.

J'interromps nos travaux quelques minutes pour permettre à ceux de nos collègues qui le souhaitent d'aller dans l'hémicycle pour voter.

La réunion est suspendue de vingt-deux heures vingt-cinq à vingt-trois heures cinq.

TITRE IER dispositions relatives aux objectifs de la politique de défense et à la programmation financière

Article 1er : Programmation

Amendement DN300 de M. Bastien Lachaud.

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Si un bouleversement complet de la situation géopolitique est intervenu, si la guerre en Ukraine exige des mesures d'urgence, il faut travailler à un Livre blanc et repenser le modèle de fond en comble. Si, au contraire, il n'y a pas péril en la demeure, pourquoi interrompre la LPM en cours ? La question mérite d'autant plus d'être posée que les documents stratégiques qui nous sont fournis sont relativement bâclés et que le rapport annexé, éthique, ne compte qu'une vingtaine de pages.

Le projet de LPM arrive soit trop tôt soit trop tard. C'est pourquoi nous vous proposons de modifier son cadrage temporel : la loi couvrirait les années 2026 à 2032, ce qui permettrait d'aller au bout de la loi précédente.

Si vous avez choisi d'engager de manière anticipée une nouvelle LPM, c'est manifestement pour vous autoriser à ne pas respecter celle qui est en cours. Les cibles ont été repoussées et les marches sont les mêmes. Les objectifs, quant à eux, ne suivent pas. En outre, l'absence de compensation de l'inflation pose problème.

Pour ces raisons, nous vous proposons de remettre l'ouvrage sur le métier et de vous donner le temps de travailler à une nouvelle LPM.

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Le projet dont nous discutons est bien calibré par rapport aux besoins. Avis défavorable.

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Sébastien Lecornu, ministre

Avis défavorable également.

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J'espère que nous n'aurons pas droit à des avis aussi courts pour l'ensemble des amendements : ce serait une mauvaise manière d'engager le débat, alors que chacun souhaite que celui-ci soit constructif.

Vous l'aurez compris, il s'agit d'un amendement d'appel. C'est un moyen de vous interpeller une nouvelle fois, car nous n'avons pas obtenu de réponse. Si une rupture majeure est intervenue, il faut changer les choses en profondeur, ce qui suppose un Livre blanc – la revue nationale stratégique, publiée en novembre dernier, n'est pas suffisante. Dans le même temps, il faudrait prévoir bien plus que 3 milliards, d'autant que cette somme, du fait de l'inflation, est inférieure à ce qu'elle représentait en 2018. Si, en revanche, il n'y a pas eu de rupture et que des moyens supplémentaires ne sont pas nécessaires, pourquoi engager une nouvelle LPM ? Il y a là une incongruité. Nous comptions sur votre travail, Monsieur le rapporteur, pour nous expliquer ce qu'il en est.

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Cette juxtaposition de deux LPM pose effectivement question. Espérez-vous faire oublier ainsi d'autres événements de l'actualité ?

Quoi qu'il en soit, cet amendement ne réglerait pas le problème : si on décalait seulement la programmation dans cet article mais pas dans la suite du texte, cela ne fonctionnerait pas. Certes, ses auteurs ont voulu faire passer un message, mais cette proposition n'a pas d'autre valeur, et ils le savent très bien. Nous y sommes donc défavorables.

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S'agissant d'un texte aussi grave, il faut éviter de faire de l'agit-prop. Personne ne croit une seule seconde que nous allons faire passer la programmation à 2026-2032. Nous avons bien entendu qu'il s'agissait d'un amendement d'appel, mais pensez aux soldats qui nous regardent : ce que vous proposez n'est pas très sérieux.

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Le projet de LPM a été construit selon une méthodologie sérieuse, et la revue nationale stratégique a été nourrie de nombreuses réflexions. Votre propos balaye l'ensemble de ce travail. Je réitère donc mon avis défavorable, tout en me réjouissant des débats constructifs que nous aurons sur l'ensemble du texte.

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Sébastien Lecornu, ministre

S'il s'agit d'un amendement d'appel, je le prendrai comme tel, tout en partageant le point de vue de M. Thiériot : personne ne croit un seul instant, étant donné le contexte et la nécessité d'asseoir la sécurité collective, qu'il n'y a pas lieu d'établir une programmation militaire.

Par ailleurs, le Président de la République a été réélu l'an dernier. Des élections législatives se sont également tenues ; votre mandat en est issu, avec la légitimité qui s'ensuit. Il me semble donc sain que le Parlement s'exprime sur les orientations à venir.

Enfin, vous faites mine de vous interroger sur une éventuelle rupture et sur l'urgence d'élaborer un nouveau texte, mais ce que vous voulez, en réalité, c'est remettre en cause notre modèle en matière de défense. C'est votre droit le plus strict, mais alors il vous revient de présenter clairement celui que vous souhaitez à la place. Ce sera un débat noble et intéressant sur le plan intellectuel. Depuis le début des auditions, vous tournez autour du pot. Je préfère que nous nous disions les choses avec franchise. Oui, le texte reflète un certain modèle d'armée – je fais suffisamment référence aux années 1960 pour que chacun ait compris que c'est à cette époque qu'il trouve ses racines. Certaines transformations sont indispensables, mais dans un cadre connu. Il n'y a pas de surprise. Ces transformations sont, pour nombre d'entre elles, dictées par la géopolitique, par les sauts technologiques et par la nécessité de maintenir une cohérence, de manière à obtenir des effets militaires réels.

Plutôt que des amendements visant à souligner telle ou telle incohérence dans notre projet, je préférerais des propositions traduisant concrètement le programme de Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle. Cela nous permettrait d'acter par des votes nos accords ou nos désaccords. Cette démarche serait saine et démocratique.

La commission rejette l'amendement.

Amendements identiques DN816 de M. Jean-Michel Jacques et DN119 de M. Jean-Pierre Cubertafon.

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L'amendement DN816 vise à insister, à l'instar de la LPM 2019-2025, sur le fait que le titre Ier contient des dispositions relatives non seulement à la politique de défense et à la programmation financière, mais également à leur contrôle et à leur évaluation par le Parlement.

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L'amendement DN119 a pour objectif d'assurer une cohérence avec le texte de la précédente LPM et d'enrichir le projet d'un dispositif de contrôle parlementaire. Cet instrument essentiel permettra à la commission d'apporter sa contribution au suivi de la bonne exécution de la loi. Il s'agit d'associer davantage les parlementaires à la conception, à la décision et à l'évaluation des politiques publiques, conformément aux articles 24, 47-2, 48 et 51-2 de la Constitution.

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Sébastien Lecornu, ministre

Avis favorable.

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On peut être tatillon, Monsieur Thiériot – comme quand l'on se demande s'il convient d'écrire le mot « équilibres » au pluriel dans le rapport annexé –, ou déposer des amendements d'appel sans pour autant verser dans l'agit-prop ou dans le comique troupier.

Vous devez répondre, Monsieur le ministre, à la question de la nécessité et de l'urgence d'une nouvelle LPM. En l'occurrence, il n'y a pas d'urgence, vos propos en témoignent.

Par ailleurs, vous ne pouvez pas vous défausser sur nous en nous sommant de proposer un plan B. Contrairement à vous, nous ne disposons pas d'une administration et d'un cabinet ô combien compétents. Nous sommes des gens humbles et sérieux ; nous proposons les linéaments d'un grand projet, nous posons de grands principes. Vous avez raison : sur certains points, nous ne serons pas d'accord. Mais il n'est ni sérieux ni respectueux de prétendre que nous devons vous présenter un plan alternatif achevé et chiffré, comme vous êtes, de votre côté, dans l'obligation de le faire.

Par ailleurs, si la loi doit être révisée à chaque élection présidentielle, comme vous le suggérez, je vous invite à modifier dès maintenant la période prévue pour la programmation, puisque, quoi qu'il arrive, il y aura un nouveau Président de la République en 2027, conformément à la Constitution.

Vous le voyez, vos arguments n'étaient pas très étayés. Sur le fond, ces amendements identiques ne nous posent pas de problème : nous sommes évidemment favorables au contrôle parlementaire.

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J'espère que la prochaine LPM fera l'objet d'un véritable contrôle parlementaire. La loi actuelle comportait l'engagement qu'un vote aurait lieu s'agissant de son adaptation. Or tel n'a pas été le cas. Nous serons très vigilants sur ce point et nous comptons sur vous, Monsieur le ministre.

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Nous sommes très favorables à ces amendements.

Je tiens à relever une forme d'incohérence chez certains de nos collègues : on ne peut pas, d'un côté, demander davantage d'implication du Parlement, y compris par des clauses de revoyure, et, de l'autre, refuser une nouvelle LPM alors que la précédente a été votée il y a plus de cinq ans.

La commission adopte les amendements.

La commission adopte l'article 1er modifié.

Après l'article 1er

Amendements identiques DN817 de M. Jean-Michel Jacques et DN120 de M. Jean-Pierre Cubertafon.

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L'amendement DN817 vise à distinguer, au sein du titre Ier, d'une part, les dispositions relatives aux objectifs de la politique de défense et à la programmation financière, qui feront l'objet d'un chapitre Ier, et, d'autre part, celles relatives au contrôle parlementaire, qui feront l'objet d'un chapitre II. Cette distinction était déjà retenue dans la LPM 2019-2025.

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L'amendement DN120 a lui aussi pour objet d'intégrer, comme c'était le cas dans la précédente LPM, un chapitre consacré au contrôle parlementaire de l'exécution. Cela suppose de créer deux chapitres distincts au sein du titre Ier.

La commission adopte les amendements.

Article 2 : Approbation du rapport annexé

Amendement de suppression DN301 de M. Aurélien Saintoul.

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Le rapport annexé est à l'image de l'étude d'impact : il est insuffisant, non chiffré, les dépenses ne sont pas fléchées et les objectifs énoncés sont flous et inadaptés. Ce rapport est symbolique du mépris du Gouvernement envers le Parlement : alors qu'il s'agit de 413 milliards de dépenses publiques, nous ne savons pas à quoi cet argent sera destiné. Même si cela peut paraître évident, il est bon de rappeler que les députés doivent savoir à quoi serviront les crédits qu'ils programment. En l'occurrence, le texte ne contient aucun fléchage des dépenses en matière de ressources humaines, aucune justification des marges budgétaires prévues, aucun chiffrage des nouveaux investissements et des grands objectifs énoncés.

Les informations données par le ministre sur son compte Twitter sont plus précises que celles contenues dans le rapport. On trouve davantage de chiffres en allant faire un tour sur Twitter qu'en passant toute une matinée en commission à auditionner les personnes concernées par certaines lignes budgétaires. Les seules informations vraiment précises sont celles qui concernent les renoncements, les reports de programmes et les annulations de commandes.

Une loi de programmation militaire est bien trop importante pour se transformer en opération de communication gouvernementale. Cet amendement vise donc à supprimer le rapport annexé pour en avoir un autre, plus précis et sur lequel le Parlement pourra s'appuyer pour établir une vraie loi de programmation des dépenses publiques pour nos armées.

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Ce rapport a beau être concis, il est très riche. On y retrouve l'ensemble du raisonnement qui a été mené, consistant à partir des besoins des armées. Du reste, rien ne nous empêche d'amender le texte. Avis défavorable.

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Sébastien Lecornu, ministre

Le rapport annexé est bien plus précis que la plupart des lois de programme et de programmation de la Ve République, sans pour autant verser dans le bavardage, ce qui serait inapproprié. Cela ne veut pas dire que la navette parlementaire ne l'enrichira pas – ce à quoi nous allons nous employer dès maintenant, et c'est une bonne chose.

Par ailleurs, il ne faudrait pas entretenir, vis-à-vis de celles et de ceux qui nous écoutent ou nous regardent, la confusion entre loi de programmation et loi de finances, et vouloir faire dire à la première ce qui relève des programmes et des missions budgétaires de la seconde. En tant que parlementaires, vous restez souverains en ce qui concerne l'ouverture de crédits en loi de finances – du reste, c'est le problème qui s'est posé avec les lois de programmation du passé, qui faisaient l'objet d'une sous-exécution.

Enfin, Monsieur Saintoul, je maintiens qu'il vous revient d'exposer le modèle d'armée que vous souhaitez. On ne peut pas appeler à rompre toutes les alliances et remettre en cause la dissuasion nucléaire sans en tirer les conclusions. Ce ne sont pas là quelques griffonnages en plus ou en moins : c'est un changement de paradigme. Ne cherchez pas à tirer argument du manque de sérieux supposé du rapport annexé. Ce ne sont pas le ministre et son cabinet, si compétent soit-il, qui l'ont rédigé : c'est le fruit d'un travail collectif, que je défends, mené par le secrétariat général pour l'administration, la direction générale de l'armement (DGA) et les états-majors. Avis défavorable.

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Pas de faux procès, s'il vous plaît ! Nous ne remettons absolument pas en cause la qualité du travail de l'état-major des armées et des services du ministère. C'est un texte politique que vous présentez : vous ne pouvez pas vous abriter derrière le travail de vos fonctionnaires. C'est vous qui avez choisi ce format. Vous l'assumez, dites-vous ; tant mieux.

Quand nous serons aux responsabilités, le rapport annexé aux LPM sera beaucoup plus précis et détaillé. En ce qui concerne nos propositions, ne vous inquiétez pas : vous en prendrez connaissance dans la suite du débat et plus encore en séance.

Je relève une contradiction dans vos propos. Vous venez de dire que cette loi de programmation n'est pas engageante car les parlementaires pourront faire ce qu'ils jugent bon en loi de finances initiales. Dans ce cas, pourquoi avoir besoin aussi vite d'une nouvelle LPM ? Pour augmenter le budget des armées de 1,5 milliard dès cette année, vous auriez pu recourir à une loi de finances rectificative. Il n'y avait donc pas d'urgence à revoir la LPM : il était possible de prendre le temps d'élaborer un rapport annexé beaucoup plus conforme à ce que devrait être un tel document. Si notre amendement de suppression est rejeté, nous essaierons de compléter ce rapport.

Quant à la question du nucléaire, je ne sais sur quel ton vous le dire : nous ne nous sommes jamais opposés au vote des budgets de la dissuasion et n'avons jamais remis en question ce principe.

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Dans l'exposé sommaire de leur amendement, nos collègues écrivent : « le rapport n'explique en rien à quoi cet argent sera destiné ». Il suffit pourtant d'ouvrir le rapport pour trouver toutes les explications chiffrées, aux alinéas 38 et suivants : « Innovation : 10 milliards », « Espace : 6 milliards », « Drones et robots : 5 milliards », « Défense Surface-air […] : 5 milliards », « Souveraineté Outre-mer : 13 milliards », « Renseignement : 5 milliards », « Cyber : 4 milliards », « Forces spéciales : 2 milliards », « Munitions : 16 milliards » – et tous les détails suivent.

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Je tiens à vous dire que si nos rangs sont vides, c'est parce que certains députés de la majorité ont cru bon de déposer une proposition de loi complètement inutile au moment même où nous discutons du projet de LPM : ils veulent accrocher le drapeau de l'Union européenne – qui n'en est pas un – sur le fronton des mairies, et nous ne pouvons pas les laisser faire.

Pour en revenir au texte, le rapport annexé pose en effet des questions et suscite des frustrations, mais il vaut mieux l'amender : si nous supprimions purement et simplement l'article 2 et l'annexe qui va avec, nous n'aurions plus de base pour nos discussions. Or nous sommes ici pour débattre de l'avenir de nos armées. Nous nous efforcerons donc, pour notre part, de corriger ce qui ne nous plaît pas dans le rapport – en espérant que la majorité ne s'oppose pas, une fois de plus, à tout ce que nous proposons.

La commission rejette l'amendement.

Amendement DN299 de M. Aurélien Saintoul.

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Cet amendement vise à préciser que le rapport « tente » de traduire les orientations budgétaires en besoins programmés et en ressources budgétaires jusqu'en 2030 – car il ne le fait qu'imparfaitement.

À ce propos, je voudrais revenir sur les patchs, que M. Blanchet a jugés si précis. Les 6 milliards consacrés au spatial bénéficient en tout et pour tout de cinq lignes d'explication. J'aurais préféré, pour ma part, un peu plus de précisions ! Par ailleurs, certains patchs sont cumulatifs : une partie des sommes engagées se trouvent dans plusieurs d'entre eux. Or cela n'est pas précisé dans le rapport. Certaines dépenses relevant du patch outre-mer, par exemple, sont comptabilisées dans d'autres patchs. Voilà qui montre que le texte est flou. Je ne dis pas qu'il y a là une volonté de tromperie, mais le texte manque de précision. Je compte sur le débat parlementaire pour clarifier ces éléments.

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Vos critiques à l'égard du programme d'équipement sont injustifiées : plus de 100 milliards sont consacrés aux programmes à effet majeur, par exemple, en hausse de plus de 70 % par rapport à la précédente LPM. Les investissements sont donc importants.

En ce qui concerne les patchs, je vois bien ce que vous voulez dire. D'une façon générale, les capacités sont partagées – l'espace et l'informatique, par exemple, sont utilisés par tout le monde. Vous essayez de relativiser les éléments inscrits dans le rapport ; nous n'entrerons pas dans ce jeu. Les chiffres ont été fournis, le rapport annexé est riche et précis. Avis défavorable.

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Sébastien Lecornu, ministre

Avis défavorable. Le spatial est un mauvais exemple. Un tableau précise les capacités prévues en la matière. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous aborderons le contenu du rapport annexé, et nous pourrons ainsi répondre à vos interrogations.

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Je ne suis pas d'accord avec M. Lachaud. Toute une série d'auditions a été réalisée : lorsqu'on est assidu en commission, on est suffisamment éclairé. Nous connaissons les grands programmes, ainsi que les plus petits. L'important est que le compte y soit, et il y est dans ce projet de LPM.

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Je crains qu'on n'avance pas si le rapporteur et les collègues de la majorité s'obstinent à faire de la tautologie : pour eux, le compte y est, donc le compte y est. On n'avancera pas davantage si vous prétendez que nous n'avons pas été assez présents en commission. Il faudrait alors reprendre les feuilles de présence, ce qui serait un jeu stupide.

Il y a un problème dans la façon dont ce rapport est conçu. Comparez-le avec celui de la précédente loi de programmation militaire. Qui a commandité un rapport insuffisant, verbeux ? Est-ce vous, Monsieur le ministre, ou Mme Parly ? Dites-nous pourquoi, dans la ventilation des crédits par patchs que vous essayez d'imposer, suivant une logique de communicant, certaines dépenses sont comptées deux fois. Si c'était explicité dans le rapport, on pourrait effectivement avancer que nous avons été suffisamment éclairés. Nous ne l'avons pas été lors des discussions en commission : il a fallu se déplacer au ministère pour apprendre la vérité en la matière.

La commission rejette l'amendement.

Elle adopte l'amendement rédactionnel DN818 de M. Jean-Michel Jacques.

Amendement DN693 de M. Laurent Jacobelli.

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De précédentes LPM n'ont pas été respectées financièrement. Le ministre nous a expliqué que chaque montant annuel, chaque nouvelle marche, était un plancher, répondant ainsi à nos inquiétudes concernant certaines règles de calcul – chat échaudé craint l'eau froide. Néanmoins, les paroles s'envolent et les écrits restent. C'est pourquoi nous proposons de préciser que les ressources budgétaires prévues sont des minima. Notre amendement ne fait que retranscrire ce que le ministre nous a dit.

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Je comprends votre demande, mais il me semble qu'une telle précision serait plus opportune à l'article 3, qui détaille la trajectoire des crédits budgétaires. J'ai déposé en ce sens un amendement, au profit duquel je vous suggère de retirer le vôtre. À défaut, j'émettrai un avis défavorable.

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Sébastien Lecornu, ministre

Je suis cohérent : nous voulons une exécution de ce texte à l'euro près jusqu'en 2027 – je ne sais pas qui sera ensuite le président de la République et qui aura une majorité au Parlement – et je souhaite donc, pour sanctuariser la programmation, que les marches prévues soient des planchers. Je vous suggère néanmoins de retirer cet amendement, car c'est à l'article 3 qu'il faut s'y prendre.

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Je suis content que nous soyons d'accord sur le fond, mais je ne voudrais pas qu'on se mette à jouer sur la place des amendements pour éviter d'adopter ceux du Rassemblement national. J'espère que ce n'est pas ce qui vous anime ; si c'est le cas, nos discussions risquent d'être moins tranquilles et moins constructives.

La commission rejette l'amendement.

Amendements DN925 du Gouvernement et DN303 de M. Aurélien Saintoul (discussion commune).

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Sébastien Lecornu, ministre

La trajectoire prévue permettra de porter l'effort national de défense à 2 % du PIB non pas seulement pendant cette loi de programmation militaire mais avant la fin du quinquennat.

J'ai toujours dit, y compris à la ministérielle de l'Alliance atlantique, que nous devons suivre une approche militaire. Je partage d'ailleurs, en la matière, l'analyse de la France insoumise : c'est à partir des menaces que l'on construit un appareil de défense. Telle est bien notre méthode.

L'objectif des 2 % est un critère otanien, qui a une dimension technique, voire technocratique. Certains pensent qu'il est virtuel, mais il a une réalité : il est là pour obliger les membres de l'Alliance à réaliser un effort suffisant pour leur appareil de défense, et cette règle s'applique à tous.

Il n'en reste pas moins que ce type de données est relatif : tout dépend de la taille du PIB, et ce n'est pas non plus la même chose selon qu'on a, ou non, une dissuasion nucléaire, des outre-mer et, pour jeter un pavé dans la mare, une armée d'emploi.

Par ailleurs, les variations du programme de stabilité font évoluer, ce qui n'est pas une nouveauté, le moment à partir duquel l'objectif des 2 % peut être atteint. Il l'a été en 2020 du fait d'un tassement du PIB, alors que nous n'avions pas un modèle d'armée aussi bon que celui qui sera le nôtre en 2023 ou en 2024, années durant lesquelles l'objectif des 2 % ne sera pourtant pas forcément atteint. Cet objectif, qui a une dimension symbolique, ne saurait donc être le seul critère. Ce serait méconnaître les réalités militaires.

Les dernières projections sont beaucoup plus pessimistes que les précédentes : elles laissent penser qu'il pourrait y avoir un décalage de 2025 à 2026 ou 2027, pour des raisons que nous ne maîtrisons pas. J'ai jugé, avec l'autorisation de la Première ministre, qu'il fallait présenter un amendement honnête et transparent en la matière. Cela n'aura pas d'impact sur nos efforts militaires réels, ni sur la soutenabilité des marches, et c'est ce qui compte.

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Nous vous donnons acte d'une évolution : le débat sur la précédente LPM s'était largement polarisé autour de la question des 2 %. Vous revenez à une meilleure méthode lorsque vous nous expliquez qu'il faut partir des besoins, mais vous n'allez pas jusqu'au bout : il faut supprimer purement et simplement ce critère artificiel et purement symbolique – s'il ne l'est pas, c'est le signe d'une forme d'allégeance, horresco referens, à l'Otan. Nous défendons la possibilité de ne pas passer sous les fourches caudines des 2 % et d'élaborer plutôt un modèle d'armée correspondant à des scénarios d'emploi et à des contrats opérationnels. Ces éléments ne figurent pas, contrairement à ce que vous nous avez dit, dans le rapport annexé : il n'y a pas tout, ce qui nous pose un problème.

Vous nous expliquez que vous vous fiez aux projections selon lesquelles nous réatteindrons peut-être les 2 % en 2027 plutôt qu'en 2025. Cela signifie que vous anticipez un tassement de la croissance ou, à tout le moins, du PIB. Il faudrait interpeller plus durement la Première ministre sur ces perspectives. Vous ne pouvez pas dire que vous n'avez pas une responsabilité à l'égard de ces évolutions macroéconomiques inquiétantes.

S'agissant des 2 %, ne vous accrochez pas au totem otanien : si vous vous en détachez, personne ne vous en fera grief. Acceptez l'idée que vous pourriez faire plus ou moins, et rendez des comptes à la nation et à ses représentants, au lieu d'aller expliquer à Washington que vous avez bien coché une certaine case.

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Avis favorable à l'amendement du Gouvernement et défavorable à celui de M. Saintoul. Le PIB est sujet à des évolutions conjoncturelles, et la référence à 2025 n'est pas un totem. C'est la réalité de l'effort de défense qui compte. Cet effort, qui s'incarne dans la trajectoire financière de la LPM, est sans précédent.

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L'amendement DN303 me paraît plus logique : il serait plus cohérent de supprimer toute référence aux 2 %, notamment parce que vous affirmez, Monsieur le ministre, que vous partez des besoins pour définir les crédits nécessaires. Cette référence n'a pas de sens, à moins qu'elle ne constitue un signal pour nos alliés otaniens. Si c'est le cas, il faudrait le dire clairement.

Ni M. le ministre ni M. le rapporteur n'ont répondu à ma question concernant les montants de certains patchs. Les milliards prévus au titre des outre-mer sont-ils aussi comptabilisés dans le cadre d'autres patchs ? Dites-moi oui ou non et j'arrêterai de poser cette question. Quand il n'y a pas de réponse, cela cache quelque chose.

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Il est extrêmement frappant que la Finlande, qui avait souhaité ne pas intégrer l'Otan depuis sa création et qui a un peu plus de 1 200 kilomètres de frontières avec la Russie, ait désormais décidé, dans les circonstances actuelles, d'intégrer cette organisation. Je suis toujours très dubitatif quand certains disent que notre salut passe par la sortie de l'Otan ; il passe évidemment par notre présence dans cette organisation, dont l'article 5 permet de mobiliser l'intégralité des forces militaires pour faire face aux menaces. La véritable question est de savoir dans quel camp nous voulons être.

Nous nous sommes fixés, avec l'ensemble des pays de l'Otan, l'objectif de consacrer 2 % du PIB à la défense. C'est un effort qu'il convient de réaliser, étant entendu que la France a un statut un peu particulier dans cet ensemble : elle a une armée d'emploi, qui se bat, et des outre-mer, ce qui pèse beaucoup plus lourd.

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Ne coupons pas les cheveux en quatre. Il est question à l'article 2 d'un « objectif » – et non d'une obligation – « de porter l'effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB à compter de 2025 ». Ce que nous dit le Gouvernement avec son amendement, c'est qu'il tâtonne sur le plan économique : il ne sait pas très bien ce qui va se passer dans les années à venir.

Vous émettez un signal qui n'est pas forcément très bon. On peut laisser l'article 2 en l'état, que l'on atteigne ou non l'objectif de 2 % en 2025. Je ne comprends pas bien l'intérêt de l'amendement du Gouvernement. Ne touchons pas au texte : nous aurons ainsi un horizon plus proche et un chiffre qui, au-delà des critères otaniens, permettra de s'assurer que le budget de la défense n'est pas inférieur à une certaine masse critique.

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Sébastien Lecornu, ministre

Je suis désolé de décevoir les oppositions les plus dures : s'il peut y avoir un doute sur la possibilité d'atteindre la cible, c'est parce que l'assiette du PIB augmente, et non parce qu'elle diminue. Pardon pour cette bonne nouvelle.

Vous auriez les mêmes incertitudes économiques si vous étiez aux affaires. Il y a nécessairement un aléa quand on parle de choses relatives, exprimées en pourcentage du PIB. Cela bouge. Quand le PIB s'écroule, on peut atteindre l'objectif des 2 %, comme en 2020 du fait du covid ; quand le PIB augmente au contraire, cela peut repousser l'échéance.

Vous avez raison, Monsieur Jacobelli, il s'agit d'un objectif et non d'une obligation, mais vous pourriez me dire à juste titre que nous ne sommes pas sincères si, alors que les ministres Le Maire et Attal viennent de rendre public un nouveau programme de stabilité, la copie du projet de loi n'évolue pas en fonction des projections retenues. Nous proposons tout simplement de décaler la date à 2027 pour tenir compte de variations dont nous ne sommes pas complètement maîtres. Il ne faut pas mépriser cette question, qui fait l'objet d'autres amendements. C'est un point de repère important pour certaines formations politiques, qui souhaitent au contraire plus de rigidité et de prévisibilité. En effet, cela dit quelque chose de l'effort réalisé, et c'est pourquoi nous souhaitons de la transparence.

Le critère des 2 % existe, que vous le vouliez ou non. Mieux vaudrait, dans votre perspective, adopter un amendement visant à sortir directement de l'Otan. Cela irait plus vite !

Vous dites que nous revenons à plus de raison. En vérité, mon logiciel politique n'a pas beaucoup changé. La France a contribué à fonder l'Otan, puis elle a cultivé à partir des années 1960 une autonomie particulièrement forte au sein de cette organisation, ce qui n'est pas la même chose qu'en sortir, comme deux formations politiques proposent de le faire – en tout cas, elles plaident pour une remise en cause radicale –, en s'appuyant parfois, à tort, sur le général de Gaulle, mais c'est un autre débat. Je souhaite que la France soit forte, par ses contributions militaires, au sein de l'Otan, et notre pays n'a pas à rougir de ce qu'il met sur la table.

Par ailleurs, lorsqu'un critère nous est favorable, autant l'afficher. Je ne sais pas quand, entre 2025 et 2027, nous atteindrons les 2 % du PIB, car cela peut glisser pour de bonnes raisons, mais ce sera avant la fin du quinquennat, et je pense qu'il est bon de montrer que cet objectif existe. Je redis néanmoins, et nous nous rejoignons sur ce point, que le critère des 2 % n'a pas d'intérêt si on ne regarde pas, en plus, les spécificités de notre armée. Dissuasion ou non, outre-mer ou non, il faut comparer ce qui est comparable.

S'agissant des patchs, il est évident que l'outre-mer n'est pas un équipement, ni un programme – ce n'est ni un bateau ni un avion – et qu'il y a forcément dans le patch relatif aux drones des équipements qui y seront affectés. Les patchs sont une présentation qui permet de donner de la lisibilité, sans changer quoi que ce soit au total de 413 milliards d'euros. Si vous voulez vous opposer à tout prix au texte, je peux comprendre que tout argument soit bon pour vous, mais je vous démontrerai que le projet de loi a été préparé sérieusement. Vous pourriez tout simplement assumer de ne pas être d'accord avec ce que nous proposons, sans jeter le doute sur la qualité du travail qui a été fait.

La commission adopte l'amendement DN925.

En conséquence, les autres amendements se rapportant à la seconde phrase de l'article 2 tombent.

Rapport annexé

Amendement DN226 de Mme Anna Pic.

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L'« amplification » de l'effort de défense ne traduit pas la réalité budgétaire de ce projet de loi de programmation militaire, dont la trajectoire semble identique à celle de la LPM en cours. Compte tenu des reports de charges à hauteur de 100 milliards d'euros et du contexte inflationniste actuel, dont la charge est évaluée à 30 milliards, le montant des crédits prévus par le présent projet de loi de programmation correspond davantage à une stabilisation des efforts qu'à une véritable amplification de ces derniers – l'augmentation budgétaire n'interviendra qu'après 2027. Aussi proposons-nous de supprimer, à la première phrase de l'alinéa 1, les mots « et amplifie ».

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Cette trajectoire correspond bien à une amplification, puisqu'elle prévoit une augmentation de 40 % des crédits alloués à la mission Défense par rapport à la LPM 2019-2025 : les besoins programmés, qui s'établissent à 295 milliards d'euros dans la loi de programmation en vigueur, s'accroissent de 105 milliards. Avis défavorable.

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Sébastien Lecornu, ministre

Même avec toute l'inflation du monde, l'effort budgétaire augmente : il s'amplifie. On peut débattre du bien-fondé ou de l'usage de cette amplification, mais sa réalité ne fait aucun doute. On nous reproche même parfois une augmentation trop importante par rapport à celles dont bénéficient d'autres secteurs prioritaires.

La contrainte pèse autant sur vous que sur moi, puisque c'est le Parlement qui vote le budget des armées. Les reports de charges ne sont que des outils qui permettent de traiter l'inflation. Vous ne pouvez pas à la fois déplorer qu'il y ait trop d'inflation et critiquer l'emploi d'outils permettant d'atténuer ce phénomène ! Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense de François Hollande, avait également prévu des reports de charges, pour les mêmes raisons.

Vous expliquez que l'effort n'interviendra qu'après 2027 – nous en rediscuterons lorsque nous examinerons les amendements sur les marches. Nos amis de La France insoumise nous invitent à partir des besoins physiques de nos armées, notamment de la conduite des grands programmes. Or, dans vos municipalités, vous pouvez constater qu'entre le moment où vous décidez de construire une piscine et celui où vous avez besoin des crédits de paiement pour payer les entreprises réalisant cet investissement, il y a une certaine inertie. Ce principe est valable quel que soit le Président de la République en fonction, à moins de remettre en cause tous les grands programmes qui ont été lancés – il faudrait cependant payer des dédits. Il en est ainsi pour le porte-avions de nouvelle génération (PANG), pour toute la classe des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA), pour toute la classe des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et pour toute une partie de la dissuasion : pour des raisons qui tiennent à la vie des programmes, il y a d'importants efforts budgétaires à faire tous les vingt ans.

En dépit de l'inflation, qui est bien documentée, on peut bel et bien parler d'une amplification de l'effort. Les faits parlent d'eux-mêmes. Nous ne demandons pas un satisfecit, même si les diminutions connues par le passé laissent quelques traces.

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Nous soutiendrons cet amendement de bon sens. Certes, en retirant les 100 milliards de reports de charges et les 30 milliards correspondant à l'inflation, il reste une augmentation, mais cette dernière sera absorbée par le renouvellement des forces de la dissuasion. C'est un fait que vous admettez vous-même – je ne vous en fais pas grief –, mais de là à parler d'une amplification de l'effort… Nous allons renouveler la force de dissuasion existante, mais pas amplifier le mouvement !

Vous avez évoqué le programme du PANG, qui n'a jamais été soumis à l'approbation de l'Assemblée nationale.

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Sébastien Lecornu, ministre

Vous allez voter, maintenant !

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Sébastien Lecornu, ministre

Si vous votez contre, il n'y aura pas de PANG !

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Sébastien Lecornu, ministre

Déposez donc un amendement pour supprimer le PANG !

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Ce n'est pas forcément notre souhait. Nous disons simplement que le fait que la représentation nationale n'ait pas encore été consultée au sujet d'un programme de plusieurs milliards d'euros pose problème. Or, dans les 100 milliards de reports de charges, il y a le PANG.

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Je vous invite à la sérénité devant les bonnes nouvelles : le PIB peut augmenter, de même que l'effort militaire. Ce débat révèle en réalité une forme d'atavisme ou d'inertie par rapport à la loi de programmation militaire votée sous la présidence de François Hollande, qui avait supprimé 34 500 postes, et à la précédente, qui en avait supprimé 45 000. On pouvait alors parler d'une amplification de la baisse !

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Vous savez qu'il n'est pas dans mes habitudes d'aller sauver le soldat François. Nous ne nions pas que, pendant de nombreuses années, nous avons toujours voté des budgets de la défense inférieurs aux précédents ; cependant, il est clair – et un certain nombre de groupes présents de longue date dans notre assemblée en conviennent – que nous voulions alors récolter les dividendes de la paix.

Aujourd'hui, en revanche, en raison des nouvelles réalités géopolitiques et des creux capacitaires que nous avons pu constater dans le cadre des différentes missions que nous avons menées, nous doutons que ce projet de LPM puisse répondre assez rapidement aux enjeux et que la trajectoire financière proposée nous permette d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Il n'y a pas d'amplification de l'effort, au regard notamment de l'inflation que nous n'envisagions certes pas si élevée.

Nous nous réjouissons de l'adoption de l'amendement DN925, qui correspond davantage à la réalité s'agissant des 2 %. Nous tenons au respect de cet engagement que nous avons pris dans le cadre de l'Otan et auprès de nos partenaires, car la France doit être fiable.

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À quoi servent les mots « et amplifie » dans le rapport annexé ? Finalement, à pas grand-chose ! Ils permettent juste de faire un peu de marketing, de promotion, d'autosatisfaction – si vous ne le faites pas vous-mêmes, qui s'en chargera ? Chacun pourra se faire son idée en fonction des montants annoncés et des programmes lancés. Pour être très honnêtes, nous n'y avions pas pensé, mais maintenant que le problème a été soulevé, nous trouvons cet amendement assez sensé. Les mots « et amplifie » n'ajoutent rien ; ils peuvent juste être sujets à caution. LPM signifie « loi de programmation militaire », pas « livret de promotion de Macron » ! Ce n'est pas parce que nous y retirons certains éléments de marketing que nous altérerons la force de certaines propositions. Nous voterons donc pour cet amendement.

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Vous avez raison, Monsieur Jacobelli, on peut s'interroger sur le sens des mots. Pour avoir côtoyé ces derniers mois un certain nombre de militaires, puisque je suis auditrice à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), je peux vous assurer que les principaux intéressés constatent cette amplification, et qu'ils le disent. On peut pinailler sur certains mots, mais l'amplification est bien là. Peut-être pourrions-nous choisir un autre terme, mais cela n'apporterait rien de plus. Discutons du fond du texte et donnons aux militaires les moyens qu'ils attendent pour former une armée à la hauteur de nos ambitions !

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On peut ne pas être d'accord s'agissant de la répartition des crédits, mais on ne peut pas contester que nous nous inscrivons, depuis 2018, dans une véritable trajectoire de réarmement. Certains programmes seront consolidés, tandis que les investissements dans le renseignement et dans les drones, par exemple, seront nettement supérieurs à ce qu'ils sont dans la loi de programmation en vigueur.

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Nous avons ouvert une belle querelle byzantine au sujet du sexe des anges – je sais que l'on me dira la même chose prochainement, lorsque je défendrai mon amendement visant à remplacer l'expression « puissance d'équilibres » par « puissance d'équilibre ». Que les mots « et amplifie » figurent ou non dans le rapport annexé, au fond, qu'est-ce que cela change ? Chacun peut constater que ce texte marque un effort.

Enfin, le verbe « amplifier » peut s'appliquer à la matière budgétaire comme aux champs d'action de nos armées qui, justement, bénéficient d'investissements accrus dans le domaine spatial, le renseignement, le cyber et les fonds marins. Il ne me semble donc pas poser de problème.

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Madame Genetet, nous rencontrons tous des militaires – du reste, vous n'êtes pas la seule députée auditrice à l'IHEDN. Vous ne pouvez pas vous servir d'eux en nous expliquant qu'ils constatent une amplification à venir ! Le projet de loi de programmation militaire dont nous discutons n'est pas encore entré en vigueur. Nous ne vous dénions pas le droit d'essayer d'inscrire dans le marbre de la loi la promotion de l'exécutif ou de votre groupe politique, mais nous soulignons que le verbe « amplifier » rejoint une logique d'affichage politique que nous contestons. Nous voulons plus de rigueur dans les termes : aussi soutenons-nous cet amendement visant à supprimer la notion d'amplification.

La commission rejette l'amendement.

La séance est levée à zéro heure cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Xavier Batut, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Benoît Bordat, M. Vincent Bru, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Caroline Colombier, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Martine Etienne, M. Emmanuel Fernandes, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Stéphanie Galzy, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, M. José Gonzalez, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, M. Christophe Marion, Mme Alexandra Martin, Mme Pascale Martin, Mme Michèle Martinez, Mme Lysiane Métayer, M. Christophe Naegelen, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Anna Pic, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Julien Rancoule, Mme Cécile Rilhac, M. Fabien Roussel, M. Lionel Royer-Perreaut, M. Aurélien Saintoul, Mme Isabelle Santiago, Mme Nathalie Serre, M. Philippe Sorez, M. Bruno Studer, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Mélanie Thomin, Mme Corinne Vignon

Excusés. - M. Steve Chailloux, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Christian Girard, M. Olivier Marleix, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Valérie Rabault, M. Mikaele Seo

Assistaient également à la réunion. - M. Yannick Chenevard, M. Christophe Plassard, Mme Laetitia Saint-Paul