Je me joins aux pensées du président pour nos armées et nos soldats – j'aurai une pensée particulière pour le piroguier du troisième régiment étranger d'infanterie récemment porté disparu au cours d'une mission sur l'Oyapock, en Guyane.
L'examen du présent PLPM intervient alors que se prépare une contre-offensive majeure des Ukrainiens sur le front de l'Est. Aux milliers de morts causés par l'agression russe s'ajoutent les bouleversements dus au changement climatique, le retour de la bipolarisation, la crise financière et l'inflation galopante. Des ruptures technologiques investissent les nouveaux champs de confrontation, comme le cyber ou l'espace. L'heure est grave. L'examen d'un projet de loi de programmation militaire ne peut pas se faire à la légère. Il doit aboutir à une loi de programmation et de planification souveraine, qui donne à la France les moyens de sa défense. C'est pourquoi je regrette la mauvaise qualité de ce texte.
Vous nous fournissez un rapport lacunaire d'une vingtaine de pages, qui présente en quelques lignes seulement plus de 400 milliards de dépenses : ce n'est ni sérieux ni respectueux. Le service national universel (SNU) reste collé comme le sparadrap du capitaine Haddock – sauf qu'il pourrait coûter 1 milliard d'euros par an. Brandir un budget de 413 milliards alors que seulement 400 sont financés, ce n'est pas sérieux. Partir du principe que plusieurs milliards correspondront à des sous-exécutions, ce n'est pas sérieux. Évoquer des besoins mais ne pas s'engager sur les crédits correspondants, ce n'est pas sérieux. Et que dire des reports de charges, des éléments de langage qui évoquent une « trajectoire plancher », abolissant ainsi toute forme de programmation et de planification, de la non-prise en compte de l'inflation qui conduit à prévoir des marches en euros constants inférieures à celles prévues dans la précédente LPM ?
En réalité, le budget de nos armées est en baisse. Quelles leçons tirer de la guerre en Ukraine ? Quel modèle d'armée privilégier ? Nous n'en savons rien. Un catalogue de matériels et de dépenses ne fait pas une vision. Si vous souhaitez nous faire adopter ce projet de loi à la hâte, c'est précisément pour ne pas avoir à respecter la LPM en cours. Le Gouvernement avait expliqué qu'il n'y avait pas besoin de rédiger un nouveau Livre blanc car il n'y avait pas de rupture majeure entre la précédente LPM et la nouvelle. Or il y en a une. Les reports massifs de cibles le démontrent, par exemple la diminution de 30 % de celle du programme Scorpion.
Certes, les sujets que nous défendons depuis des années – le cyber, le spatial, les fonds marins – sont enfin repris mais vos ambitions restent floues. Vous faites du saupoudrage et vous reniez vos choix passés lorsque vous retardez des programmes pourtant majeurs.
Le budget augmente de 40 % mais, au mieux, tout est flou, au pire, on a moins de tout. Même lorsqu'il s'agit de sujets identifiés comme majeurs, c'est plus qu'imparfait. Exemple : le spatial ; avec la suppression du programme Syracuse IV C, on fait reposer notre capacité de communication satellitaire sur un hypothétique programme de la Commission européenne, au détriment d'une solution souveraine. Idem avec la fin de vie annoncée de la composante spatiale optique (CSO) en 2030 : il y aura un trou capacitaire jusqu'en 2032, lorsque le programme français Iris prendra le relais. Ce n'est pas sérieux.
Et que dire des impensés du texte ? Rien sur les cessions d'armement. Quant à la dissuasion, héritage tout autant de la IVe République que du général de Gaulle, les crédits que nous allons voter financeront des équipements qui resteront en service jusqu'à la fin du siècle. Quid de la dissuasion de demain ? Ne faisons pas de la dissuasion la prochaine ligne Maginot. Le projet de loi ne propose rien non plus en matière de rémunération pour fidéliser les militaires du rang, alors qu'un tiers d'entre eux dénoncent leur contrat. Pourtant, il faudra bien des hommes et des femmes pour faire fonctionner notre outil de défense ! Seule une réforme de la part indiciaire de leur rémunération nous permettra de les garder.
La France a un rôle particulier à jouer dans le monde. Nous ne sommes pas une nation occidentale, car nous sommes présents sur tous les continents et dans tous les océans. La France, dotée de l'arme nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, est une puissance indépendante qui doit parler au monde entier et être au service de la paix. Elle doit œuvrer au désarmement nucléaire général et offrir des partenariats à d'autres puissances qui refusent la logique des blocs. Bref, elle doit être non-alignée.
Les enjeux sont immenses. Il importe que nous y répondions au mieux en dotant la France des moyens nécessaires pour sa défense et pour la promotion de la paix. Nous y veillerons.