Je ne vais pas vous présenter le texte considérant que la méthode que nous avons collectivement retenue – et que plusieurs orateurs ont saluée – repose sur un cycle préalable d'auditions suffisamment approfondi et documenté ; nous avons ainsi présenté à plusieurs reprises le projet de loi et répondu à l'ensemble des questions qui nous ont été posées.
Je remercie les députés qui se sont rendus sur le terrain, notamment dans le cadre des exercices Orion que vient d'évoquer M. Thiériot : le contact avec les forces permet de comprendre des éléments auxquels un rapport annexé et un texte ne donnent pas accès.
À vous écouter, je comprends que certains aspects du projet de loi de programmation demandent plus de pédagogie pour expliquer les choix qui ont été retenus – libre à vous ensuite de les partager ou non. J'aimerais revenir sur une phrase que certains d'entre vous ont prononcée : il n'y a pas de rupture majeure dans cette LPM. Quelles ruptures majeures proposez-vous ? Le Président de la République, le Gouvernement et la majorité présidentielle ne proposent pas de rupture majeure dans notre modèle de défense. Des transformations sont prévues, mais pas de rupture : ce point est important, notre orientation est claire, même si elle suscitera des oppositions parmi certains d'entre vous.
Certaines approches politiciennes rendent un peu vaines les démonstrations sérieuses et techniques. Il y a toujours eu des marges frictionnelles, des reports de charges et des recettes extrabudgétaires au ministère des armées : mal m'en a peut-être pris d'en faire état, peut-être aurais-je dû afficher le montant de 413 milliards sans vous montrer la construction de ce montant. Depuis que le ministère des armées, sur décision du Parlement, a des recettes extrabudgétaires, toutes les programmations militaires ont reposé sur un montage identique. Le mobile de cette interrogation est peut-être politique et vise à atténuer l'effort que le Gouvernement propose, par exemple en découvrant l'inflation, qui a toujours été présente dans les programmations militaires des années 1960 et 1970.
Par ailleurs, le ministère des armées est le seul qui dispose d'outils permettant de réguler l'inflation. Il est frappant de constater que l'on pose peu de questions au ministre de l'intérieur à propos de l'impact de l'inflation sur le plan de construction de brigades de gendarmerie et de commissariats, ou au garde des Sceaux sur la construction de prisons. Le projet de loi de programmation militaire, lui, contient des mécanismes prenant en compte les effets de l'inflation.
Le groupe Démocrate avait souhaité consacrer une séance de contrôle à l'exécution de la LPM. Certes, aucune programmation n'est parfaite, mais tous les groupes politiques ont souligné que, s'agissant de l'exécution à l'euro près, une volonté politique existait.
Il est vrai que la programmation que nous vous proposons court jusqu'en 2030. Il faut donc assumer le fait que nous programmons pour une partie d'un quinquennat durant lequel Emmanuel Macron ne sera pas Président de la République. Cela renvoie au niveau de confiance que l'on aura dans les candidats à l'élection présidentielle… En outre, vous ne serez pas la première génération de parlementaires à établir une programmation à cheval sur deux mandats présidentiels.
La discussion d'une LPM est un beau moment pour le Parlement. Notre constitution est très équilibrée en la matière : voulue par un militaire, elle n'en a pas moins consacré la primauté du politique. Un grand nombre des choix transcrits dans le texte ont été faits par nos armées elles-mêmes. Par exemple, vous opposez la cohérence et la masse, mais l'équilibre proposé résulte d'un choix des états-majors, que j'endosse politiquement. Le rôle de chacun est clairement défini, qu'il s'agisse de celui du Président de la République, chef des armées, de celui du Gouvernement ou de celui du Parlement. À cet égard, les parlementaires ont beaucoup plus de poids que certains veulent bien le dire ou le croire.
Je ferai preuve d'une grande ouverture en ce qui concerne les clauses de revoyure et la manière dont le Parlement pourra contrôler la programmation. À la demande du Conseil d'État, nous avons retiré du texte les mesures que nous avions imaginées en matière de contrôle. Le Conseil a considéré, en effet, que c'était au Parlement qu'il revenait de faire des propositions sur ce point. Quoi qu'il en soit, le principe est acquis ; il conviendra de trouver des solutions, et, à cet égard, votre rapporteur a des propositions.
Ce débat constitue également un moment de vérité politique – je le dis sans esprit de polémique. En vous écoutant, je suis intrigué et intéressé : certaines sensibilités politiques défendent un modèle cohérent, quand d'autres avancent masquées, sans s'en prendre frontalement à notre modèle d'armée mais en attaquant la dissuasion nucléaire et nos alliances militaires et diplomatiques. Quelle diplomatie, quel rapport aux autres proposent-ils ? La défense est un sujet relatif : il s'agit de traiter des menaces.
Je l'ai dit publiquement au Sénat, puis dans l'hémicycle, et je le redis devant vous, Monsieur Roussel : je ne suis pas d'accord avec vos propositions, mais, depuis les années 1960, le Parti communiste français est cohérent. Vous avez le mérite de la franchise, y compris en ce qui concerne la dissuasion, et je vous en remercie.
Chez d'autres, j'observe la tentation de s'attaquer à la copie par le détail. Loin de moi l'idée de considérer que les détails ne sont pas importants : le diable peut s'y nicher. Nous aurons tout le temps de les examiner et de répondre aux critiques. Mais il ne faudrait pas que cela nous amène à négliger ce qui constitue l'essentiel en matière de défense nationale.
En vous écoutant, Mesdames et Messieurs les députés de la NUPES, je me dis que les enjeux de défense n'ont pas dû faire partie du projet d'alliance, car les positions de vos groupes ne sont pas les mêmes. C'est intéressant du point de vue de la transparence démocratique, car lorsque les électeurs se sont prononcés, ils n'avaient pas forcément conscience d'un décalage aussi important : certains d'entre vous sont très atlantistes, d'autres ne le sont pas du tout – c'est le moins que l'on puisse dire. Ce n'est pas une provocation de ma part : ce constat est factuel. Si je me trompe, je serai heureux que vous m'expliquiez où est la cohérence entre vos positions.
Nous sommes là pour parler de choses militaires. Souvent, les questions budgétaires dominent, et c'est bien naturel. Néanmoins, si j'en juge d'après la manière dont certains amendements sont rédigés, l'un des principaux risques du débat qui s'annonce me semble être de ne pas parler des finalités militaires. Les tableaux capacitaires, les reports de charges et les marges frictionnelles peuvent occulter la vraie finalité attendue d'une loi de programmation militaire, c'est-à-dire l'effet militaire recherché. À ce propos, il ne faut pas négliger la cohérence : s'il y a un retour d'expérience important de la guerre en Ukraine, c'est bien le fait que des armées manquant de cohérence dans leur organisation sont en échec sur le terrain.
Dans le contexte actuel, nous devons prendre des risques, faire des paris militaires et industriels. La programmation n'est pas une science exacte. Je sens bien, par ailleurs, qu'il y a désormais une forme d'aversion au risque. Souvenons-nous qu'il a fallu du courage pour présenter, en 1960, une loi de programme posant le principe la dissuasion nucléaire. Certes, sous la IVe République, Pierre Mendès France, quand il était président du Conseil, avait posé les jalons de l'organisation du Commissariat à l'énergie atomique, mais les grands programmes ont bel et bien été lancés en 1960, avec une incertitude majeure et face à une opposition internationale plus que farouche. Les gaullistes, en majorité relative, ont dû affronter l'ensemble des autres sensibilités politiques du Parlement. Il apparaît que celles-ci ont eu tort – M. Roussel ne sera pas d'accord avec moi sur ce point, évidemment. Quoi qu'il en soit, c'est donc un moment de responsabilité pour chacun d'entre nous, au-delà des stratégies politiques de court terme : il y a là un enjeu historique pour la nation tout entière.
Avec l'ensemble des équipes du ministère, nous serons à votre disposition pour améliorer autant qu'il le faut le texte, sans esprit clanique ou partisan. La défense nationale doit nous permettre, non pas d'être d'accord – puisque, depuis les années 1960, il n'y a pas de consensus –, mais de faire converger autant que possible, dans la plus grande transparence, nos aspirations en matière de sécurité de la nation.