La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème suivant : « Contrer le recul de la culture scientifique à l'école, au sein de l'État et dans nos politiques publiques. »
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Valérie Rabault.
Ce soir, le groupe Socialistes et apparentés a souhaité inscrire à l'ordre du jour un thème peu habituel dans cet hémicycle, il faut bien le dire. Nous souhaitons en effet vous faire part de nos inquiétudes sur le « recul de la culture scientifique à l'école, au sein de l'État et dans nos politiques publiques ».
Ce débat est politique, car science et démocratie sont liées. En 1988, dans sa Lettre à tous les Français, François Mitterrand écrivait : « Si la France veut réussir, la recherche doit devenir l'enfant chéri de la République. » Il ajoutait même que « la recherche est la marque même de l'esprit de l'homme ». Je pense aussi à ces mots de l'historien Jean-Luc Chappey, dans La Révolution des sciences : « [S]ans les sciences, […] la Révolution n'aurait sans doute pas été ce grand moment de bouleversement et d'invention d'une société nouvelle […] »
Pourquoi considérons-nous que la période actuelle est celle qui marque le plus fort recul de la culture scientifique ? Je vais vous en donner quelques exemples. Je reconnais, madame la ministre, que c'est un peu injuste, car vous êtes l'une des rares à défendre la science au sein du Gouvernement. Néanmoins, en tant que ministre, il vous revient aussi d'endosser les responsabilités du Gouvernement.
Sourires.
Premier exemple : les expressions publiques des ministres. Jusqu'alors, on n'avait jamais entendu des ministres remettre en cause la science, directement ou indirectement. Or, avant-hier, le ministre de l'agriculture a demandé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) de « changer de méthode » pour évaluer la dangerosité d'un herbicide. Par ailleurs, en 2018, le porte-parole du Gouvernement a contesté des données de l'Insee, non pas tant sur les chiffres avancés par l'institut, mais sur sa méthode de calcul : du jamais vu ! Cela a d'ailleurs conduit l'ancien haut-commissaire à l'énergie atomique à déclarer, le 29 novembre 2022, devant la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, que le principal problème résidait dans « l'inculture scientifique et technique de notre classe politique ».
Maintenant que j'ai parlé des expressions des ministres, je peux évoquer les faits. C'est tout d'abord le niveau de nos élèves dans les matières scientifiques qui ne cesse de reculer. Je vous l'accorde, madame la ministre, le problème n'est pas récent, mais on a tout de même observé une accélération de la dégradation de ce niveau. S'il y a vingt ans, 64 % des élèves français atteignaient au moins le niveau élevé en mathématiques, nous sommes tombés à 11 % aujourd'hui. Et force est de constater que le Gouvernement n'a pas fait grand-chose depuis 2017 pour enrayer ce recul. C'est bien lui qui a fait reculer l'enseignement des sciences en France avec la réforme du bac : entre 2018 et 2020, le nombre d'heures de mathématiques en première et en terminale a diminué de 18 % ; entre 2019 et aujourd'hui, le nombre d'élèves de terminale ayant plus de six heures de mathématiques par semaine est passé de 200 000 à 100 000.
Sur ces 200 000 élèves, il y avait 96 000 filles ; on n'en compte plus aujourd'hui que 33 000.
Du côté de l'enseignement primaire, les indicateurs sont également préoccupants.
Toujours en me référant aux faits, je veux souligner que votre gouvernement est celui qui a appauvri l'État en compétences scientifiques. Ainsi, il a fallu toute la mobilisation de la société civile pour que le Président de la République renonce à la suppression des corps techniques de l'État. Autre donnée très inquiétante : le nombre d'ingénieurs de la fonction publique d'État a chuté de 3 000 en huit ans, passant de 20 000 en 2011 à 17 000 en 2019 ; dans le même temps, le nombre de fonctionnaires de l'État a augmenté de 25 000.
Ce recul n'est pas sans conséquence sur la société française. En janvier dernier, l'Ifop a publié un sondage qui délivre quelques enseignements édifiants. Aujourd'hui, seul un jeune sur trois estime que « la science apporte à l'homme plus de bien que de mal », alors qu'ils étaient 55 % à le penser il y a cinquante ans. De même, le pourcentage de personnes susceptibles de penser que la Terre est plate augmente.
Madame la ministre, les choix que nous faisons collectivement pour le futur sont déterminants. Puisque le temps m'est compté, je n'en citerai qu'un seul, sur lequel la France sera interrogée : l'avenir du Cern, que l'on nomme aujourd'hui « Organisation européenne pour la recherche nucléaire ». J'en conviens, s'interroger sur les origines de la matière est assez éloigné de nos préoccupations quotidiennes. Pourtant, c'est grâce à cette interrogation et aux travaux du Cern que nous disposons d'imageries par résonance magnétique (IRM) de plus en plus performantes, que la première radiographie du cerveau en trois dimensions a été réalisée, que des avancées sur la recherche sismique ont été obtenues, au profit de pays proches, et que le réseau internet, dont nous ne pouvons plus nous passer, a été créé !
Aujourd'hui, c'est à celles et ceux qui sont en responsabilité – c'est-à-dire à vous, madame la ministre – qu'il revient de déployer les efforts nécessaires pour que la France cesse de reculer. Bientôt, il sera trop tard.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Karine Lebon, ainsi que MM. Philippe Berta et Patrick Hetzel applaudissent également.
En janvier dernier, la commission des affaires culturelles et de l'éducation a procédé à l'audition de plusieurs scientifiques et spécialistes sur le thème de l'enseignement des mathématiques et des sciences. Ma collègue Béatrice Bellamy et moi-même avions reçu, à titre personnel, le vice-président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI). Tous nous ont fait part de leur inquiétude sur les performances dégradées des élèves et des étudiants en mathématiques et en sciences, sur le manque de scientifiques dans un avenir proche et sur le faible pourcentage de filles dans les filières scientifiques. Ces phénomènes ont tous un impact sur l'économie de notre pays et l'avenir de nos entreprises.
L'an dernier, dans une tribune du Monde, des représentants de la communauté scientifique, technique, éducative et de la recherche en mathématiques et en sciences alertaient le Gouvernement sur les enjeux de société relatifs à l'identification des problèmes de formation qui se posent pour ces matières et le pressaient d'en analyser les causes.
Pourquoi cette problématique de l'enseignement des matières scientifiques persiste-t-elle en France au gré des réformes, avec des hauts et des bas ? Rappelons tout d'abord que, pendant longtemps, ce sont les lettres classiques qui ont été au principe même de l'éducation des élites, les sciences et les mathématiques étant réduites à la portion congrue. La période gaullienne marquera un tournant pour la place des mathématiques et des sciences dans la formation des élèves. En vertu du décret du 10 juin 1965, les chemins conduisant au baccalauréat se spécialisent dès la classe de seconde, avec quatre séries générales : A pour l'enseignement littéraire, B pour les sciences économiques et sociales, C pour les mathématiques et D pour les sciences expérimentales.
Dès 1983, le rapport sur les seconds cycles a souligné que « les études à dominante scientifique, détournées de leur finalité, servent en fait à définir une élite ». Depuis, tous les rapports sur le lycée et tous les projets de réforme ont voulu rééquilibrer les filières et les séries en luttant contre la prééminence du bac scientifique, érigé en voie royale.
Après la dernière réforme des lycées, selon les chiffres du ministère, les mathématiques auraient perdu 37 % des élèves de terminale en 2021. Et ce constat vaut tout autant pour les sciences physiques et chimiques, où la diminution serait de 36 %, et encore davantage pour les sciences de la vie et de la Terre (SVT), qui auraient chuté de 50 % !
Les conséquences sont donc importantes. On sait d'ores et déjà qu'il manque plus de 15 000 ingénieurs chaque année. Cet écroulement s'explique notamment par un choix d'options réduit : entre la première et la terminale, les élèves passent désormais deux à trois spécialités. Cela aboutit à des absurdités. Ainsi, les futurs biologistes, au sens large – agronomes, médecins, vétérinaires –, se cramponnent aux matières de sélection, à savoir les mathématiques et la physique-chimie, au détriment des SVT.
Au moment où les crises climatique, sanitaire et de la biodiversité deviennent des enjeux majeurs, l'enseignement des logiques du vivant et de la Terre se réduit drastiquement. Le déficit scientifique au lycée affecte tous les élèves : certains élèves des filières littéraires peuvent n'avoir que 7 % d'heures de sciences dans leur apprentissage ! Dès lors, comment peuvent-ils détenir les clés pour comprendre les changements actuels ?
Il est temps de remettre à plat l'enseignement des mathématiques et des sciences dès les plus petites classes. Cela commence par la formation des professeurs des écoles, qui sont souvent issus de formations littéraires et qui, en majorité, n'ont aucune formation, qu'elle soit initiale ou continue, pour enseigner ces matières.
Par ailleurs, je plaide pour l'interdisciplinarité, à l'instar de certains scientifiques de la fédération BioGée ou de la fondation La Main à la pâte, qui œuvrent pour revaloriser l'enseignement des mathématiques et des sciences. On peut utiliser une pomme comme modèle pour la peindre, pour disserter sur son aspect ou son parfum, pour étudier son rôle dans l'histoire de l'alimentation… Bref, l'interdisciplinarité n'est pas une juxtaposition : chaque discipline doit donner du sens et des outils aux autres. Le cerveau des élèves n'est pas compartimenté, mais unique et intégré ; il est mutilé si tous ses outils cognitifs ne se répondent pas entre eux. C'est certainement ainsi que nous parviendrons à lutter contre le choix des jeunes filles qui, dès leur plus jeune âge, excluent de leur culture les matières scientifiques. La transversalité est sûrement l'un des leviers à exploiter.
La France doit aujourd'hui se doter de plus de mathématiciens et de scientifiques, si tant est qu'elle veuille répondre aux enjeux de demain, dans un monde très concurrentiel – c'est encore plus vrai aujourd'hui qu'hier. Le monde de demain ne peut se construire que dans une société où chacun possède une vraie culture scientifique pour relever, à son niveau, les défis environnementaux. Jacques Chirac disait à juste titre : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Il est urgent de regarder vers les mathématiques et les sciences pour élever notre nation.
Mme Valérie Rabault applaudit.
« Le savant n'est pas l'homme qui fournit les vraies réponses, c'est celui qui pose les vraies questions », disait Claude Lévi-Strauss. Ce soir, nos collègues du groupe Socialistes et apparentés ont soulevé une vraie question ! En effet, comment « contrer le recul de la culture scientifique à l'école, au sein de l'État et dans nos politiques publiques » ? Je ne prétends pas ce soir apporter une réponse complète à cette interrogation, mais je soulèverai d'autres questions qui en découlent.
La culture scientifique doit irriguer l'éducation des élèves dès le plus jeune âge. Il ne s'agit pas seulement de leur enseigner les matières scolaires, mais de les aider à construire un certain nombre de réflexes et à se servir d'outils qui, tout au long de la vie, leur permettront d'analyser, de comprendre et de décrypter des informations, même sans être un spécialiste de telle ou telle matière. La maîtrise des bases de la méthode scientifique est incontournable pour évoluer dans notre société. Par exemple, connaître la différence entre corrélation et causalité est indispensable pour construire un raisonnement ou traiter une information. C'est le cas en matière d'égalité femmes-hommes, qui trouve aussi sa traduction dans les sciences. Pourtant, et cela nous interroge, les statistiques relatives à l'accès au savoir scientifique révèlent une inégalité criante entre les genres.
Les inégalités entre filles et garçons au niveau de l'apprentissage des mathématiques ne cessent de se creuser au fil de la scolarité, avec comme point culminant les études supérieures. Les filles n'étaient en effet que 30 % à présenter la spécialité « mathématiques » au baccalauréat en 2022, contre 54 % des garçons.
Elles sont ensuite très minoritaires dans les formations liées aux mathématiques, alors qu'elles représentent 55 % des inscrits dans l'enseignement supérieur.
Quelle en est la cause ? Nous disposons désormais de données scientifiques, notamment grâce à une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined), publiée en septembre dernier. Celle-ci illustre que les inégalités en matière d'apprentissage des mathématiques se construisent dès le plus jeune âge, au CP. Les filles réussissent globalement mieux dans toutes les matières, mais les mathématiques font exception, dès l'âge de 6 ans, alors que cet écart n'existe pas en maternelle.
Comment l'expliquer ? Les causes ne sont pas innées. En effet, cette différence ne se retrouve pas dans tous les pays du monde. Pour une large part, il s'agit de stéréotypes de genre, qui se transmettent de génération en génération, d'ailleurs souvent de manière inconsciente. Qu'il soit du fait des parents ou des enseignants, ce conditionnement, si minime qu'il puisse être au CP, entraîne des conséquences qui ne cessent de s'aggraver au cours de la vie. De plus, cette question renvoie à la représentation que se font les jeunes filles et garçons de leur place dans la société et des métiers, ce qui structure les choix de scolarité.
C'est toute une vision patriarcale qu'il convient de déconstruire. La mission qui nous revient est d'engager les politiques publiques pertinentes pour y remédier, en premier lieu en accompagnant au mieux les professeurs, en les formant à ces enjeux et en leur permettant de consacrer un temps suffisant à chaque élève, ce qui implique des effectifs réduits et des moyens suffisants.
L'enjeu en matière de culture scientifique et les préoccupations qui en découlent ne concernent évidemment pas que les filles car, au-delà des différences de genre, le niveau global des élèves en sciences, c'est-à-dire celui des futurs citoyens, est loin d'être satisfaisant. Si la suppression des mathématiques du tronc commun était manifestement une très mauvaise idée, l'augmentation du volume horaire des sciences à l'école n'est pas l'unique solution. Dans un rapport sur les stéréotypes de genre publié l'année dernière, notre ancien collègue Gaël Le Bohec et moi-même avions préconisé l'instauration de quotas dans les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques et dans les écoles d'ingénieurs. Cette recommandation est-elle susceptible de trouver un écho favorable auprès du Gouvernement ?
Il convient également d'amplifier le travail, que beaucoup mènent déjà, sur la manière d'enseigner les sciences. L'une des pistes le plus souvent évoquées par les professeurs est de rendre les sciences plus concrètes dès le plus jeune âge, plus applicables, plus transversales aussi, en irriguant l'ensemble des matières. Ces réflexions doivent continuer de trouver des traductions dans les maquettes pédagogiques.
Cependant, tout cela ne peut se faire facilement dans le contexte d'une école publique fragilisée. L'éducation nationale traverse une crise de recrutement des professeurs, particulièrement en mathématiques. En outre, les annonces de fermetures de classe mobilisent les équipes pédagogiques et les familles, qui s'inquiètent d'une école publique au rabais.
Revaloriser les sciences, c'est aussi revaloriser celles et ceux qui assurent leur apprentissage, du primaire au supérieur. De même, c'est revaloriser la recherche dans notre pays, en particulier publique, en garantissant la liberté de recherche et des financements pérennes pour les équipes, en lieu et place du tout-appel à projets. Nous appelons à revenir sur la loi de programmation de la recherche adoptée au cours de la législature précédente, qui est d'ores et déjà caduque.
Pas de culture scientifique à l'école ni dans la société sans un service public de l'éducation renforcé !
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
L'avenir appartient à ceux qui apporteront des réponses, par le biais scientifique, aux défis que l'avenir nous réserve. Que l'on parle de sciences techniques ou de sciences humaines, c'est systématiquement à l'aune de ces dernières que les plus grands progrès de l'humanité ont été réalisés.
Cependant, un mal grandissant couve, et nous devons impérativement nous en prémunir, avant qu'il ne soit trop tard. Dans un contexte de révolution des pratiques informatives, notre jeunesse commence à douter. En 2022, 33 % des jeunes estimaient que la science apportait plus de bien que de mal, contre 55 % en 1972 ; ce recul est à tout le moins regrettable. Contrairement à leurs aînés, les jeunes d'aujourd'hui refusent de croire aux vérités qu'on leur assène et se réfugient volontiers dans des théories alternatives : pour un jeune sur cinq, les Américains ne sont pas allés sur la Lune ; pour un jeune sur trois, les êtres humains ne sont pas issus d'une longue évolution des espèces.
La culture scientifique est en baisse, et je crains que nos actions n'aillent pas dans le sens d'un rétablissement de la situation. Je regrette, à titre personnel, la suppression des filières lors de la dernière réforme du baccalauréat. Certes, la filière scientifique avait une image prestigieuse, voire élitiste, mais elle avait le mérite d'attirer des élèves motivés vers un cursus résolument tourné vers les sciences. Les chiffres nous indiquent désormais que, même si elles restent prisées, les matières scientifiques attirent de moins en moins de lycéens. Pour preuve, les mathématiques n'étaient plébiscitées que par 37 % des élèves de terminale en 2022, contre 41 % l'année précédente. Au-delà, nous constatons que le nombre global d'heures d'enseignement de la matière a chuté de 18 % entre 2018 et 2020.
Selon moi, pour redonner une certaine appétence à nos élèves, il faudrait non seulement travailler sur les matières dites classiques, mais également ouvrir nos cursus à des domaines plus modernes tels que les champs d'études liés au numérique, à la robotique ou à l'environnement. D'autre part, nous constatons que, là où il existe des partenariats entre établissements scolaires et associations à visée scientifique, nos jeunes s'épanouissent. Je ne peux qu'appeler de mes vœux des procédures simplifiées pour l'établissement de tels partenariats.
Parler de sciences, c'est également parler de sciences humaines. Là encore, je regrette que ces dernières soient largement reléguées au second plan dans le schéma d'étude proposé au lycée. Plus globalement, que l'on parle des sciences techniques ou sociales, les constats que j'évoque doivent nous amener à nous poser une question simple, mais essentielle : la formation proposée est-elle adaptée à une bonne insertion universitaire et répond-elle aux besoins actuels et futurs du pays ? Malheureusement, les craintes sont de plus en plus grandes à ce sujet, car les orientations que nous prenons ne semblent pas aller dans le bon sens.
Au-delà de l'école, le débat que nous avons ce soir concerne l'État et nos politiques publiques. En effet, une révolution est également à mener au sein de notre appareil d'État. Nous évoluons dans un monde incertain, où les crises se multiplient et sont particulièrement aléatoires.
Face à ce constat, la préparation est indispensable. À cet effet, il semble nécessaire de consolider nos capacités de prospective, de programmation et de planification. Je crois fermement que cette volonté doit se traduire par un renforcement des moyens humains et matériels de nos établissements publics spécialisés. Nos budgets doivent être adaptés en conséquence. Or ce n'est pas ce que nous avons vu dans cette assemblée lors des derniers débats budgétaires. Les investissements que l'on consentira en la matière sont autant d'argent que l'on ne versera pas à des cabinets de conseil extérieurs, qui, à long terme, coûtent bien plus cher à nos finances publiques.
Quant à l'application des sciences sociales dans la conduite de nos politiques publiques, elle devrait se traduire en premier lieu – je le dis au risque d'être polémique – par une révolution copernicienne de nos modes de décision. Je crois qu'une meilleure prise en considération des corps représentatifs est indispensable ; l'actualité nous le rappelle. Les collectivités territoriales, les parlementaires, les forces syndicales et autres organismes de représentation, les conventions citoyennes sont là non pas pour ralentir le pays, mais bien pour l'aider à aller plus loin. Seul, on va certainement plus vite, mais ensemble, on va bien plus loin.
À vingt et une heures cinquante, Mme Valérie Rabault remplace Mme Naïma Moutchou au fauteuil de la présidence.
En tant que citoyen-député, mais aussi scientifique de formation et universitaire de métier, je me réjouis que nous soit donnée l'occasion d'un débat relatif à la culture scientifique. La culture scientifique, technique et industrielle constitue un enjeu sociétal majeur, à un moment où les fausses informations prolifèrent, y compris, parfois, dans nos débats. Il arrive que des approximations, voire des contrevérités scientifiques soient reprises pour étayer certaines positions politiques. Sachons nous appuyer sur la science plutôt que sur des croyances !
Plusieurs enquêtes ont mis en lumière le détachement croissant d'une partie de la population, plus précisément des jeunes, à l'égard des faits scientifiques. Une enquête réalisée par l'Ifop en octobre et novembre derniers dresse un tableau dépréciatif : 36 % des jeunes interrogés pensent que le vaccin contre la covid-19 génère des protéines toxiques qui causent des dommages irréversibles aux organes vitaux des enfants ; 32 % considèrent que le réchauffement climatique est avant tout un phénomène naturel contre lequel on ne peut rien faire. Ces chiffres alarmants montrent le travail qu'il reste à accomplir en matière d'accès à la culture scientifique.
Cela passe tout d'abord par l'école. La culture scientifique fait partie intégrante du socle commun de connaissances que tout élève doit maîtriser afin de mieux appréhender le rôle de la science et de développer un regard critique éclairé. Nous avons déjà entrepris ce travail. Par exemple, lors de l'examen du projet de loi de programmation de la recherche, en 2021, notre majorité a soutenu l'allocation de 1 % du budget de l'Agence nationale de la recherche (ANR) à la diffusion de la culture scientifique. Notre groupe se félicite que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, M. Pap Ndiaye, ait annoncé le retour, à la rentrée 2023, d'un enseignement obligatoire des mathématiques dans le tronc commun pour tous les lycéens de la filière générale, dès la classe de première.
D'après une enquête menée récemment par l'université de Lorraine sur le rapport des Français à la science, à la question « À qui faites-vous confiance pour dire la vérité sur le coronavirus ? », les Français répondent très majoritairement en citant les médecins, les scientifiques ou l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Cependant, en réponse à cette même question, sept Français sur dix déclarent ne pas avoir confiance dans les élus. Pour retrouver cette confiance, nous devons plus que jamais nous inscrire dans une démarche politique éclairée par la science.
Tout d'abord, ici au Parlement, appuyons-nous sur les travaux réalisés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Cet office, où siègent dix-huit sénateurs et dix-huit députés représentant toutes les sensibilités politiques – plusieurs de ses membres sont présents ce soir dans l'hémicycle –, produit de nombreuses études et formule, en lien avec son conseil scientifique, des recommandations que nous pourrions utiliser davantage et mieux.
Une meilleure prise en compte des données scientifiques permettrait d'éviter certaines confusions. Je pense notamment à celles que nous avons entendues ici, à l'Assemblée nationale, à propos des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) : des parlementaires ont confondu l'impact du dioxyde de carbone sur le climat avec celui des oxydes d'azote sur la santé respiratoire.
Rappelons aussi que nos politiques publiques de santé sont fondées sur des contributions scientifiques tangibles. Lors de la crise de la covid-19, c'est le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), c'est-à-dire des médecins, chercheurs et autres experts, qui ont apporté une aide à la décision publique.
Lorsque nous débattons de transition écologique, nous nous référons, entre autres, aux travaux et propositions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), dont les données et recommandations alimentent nos orientations politiques. Pour construire notre trajectoire de sortie des énergies fossiles, nous nous appuyons, comme le préconise le Giec, sur le nucléaire et sur les énergies renouvelables. L'apport de la connaissance scientifique est fondamental. C'est une ambition que toute la société doit partager. Dans cet objectif, nous nous réjouissons que le ministre de la transformation et de la fonction publiques, M. Stanislas Guerini, ait lancé, il y a quelque mois, un plan de formation des cadres de la fonction publique à la transition écologique.
Si le Gouvernement nourrit l'ambition d'une meilleure diffusion de la culture scientifique, démarche que nous soutenons, il reste encore beaucoup à faire. Dans son rapport pour avis sur les crédits consacrés à la recherche dans le projet de loi de finances pour 2023, notre collègue Philippe Berta, ici présent, dressait un bilan mitigé des politiques menées en matière de culture scientifique. Aussi propose-t-il une refonte du Conseil national de la culture scientifique, technologique et industrielle (CNCSTI), dont le rôle est d'organiser un dialogue constant entre la communauté scientifique, les responsables politiques et les citoyens. Je trouve cette idée particulièrement pertinente.
Une autre réponse pourrait être l'organisation plus fréquente de conventions citoyennes. Celle pour le climat et celle, plus récente, sur la fin de vie sont des exemples du nécessaire renforcement du lien entre la société civile et les politiques publiques.
Le groupe Renaissance soutiendra les évolutions proposées en ce sens. C'est pourquoi nous souhaiterions connaître, madame la ministre, votre feuille de route pour le développement de la culture scientifique, technologique et industrielle.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR et Dem.
« Le monde crève de trop de rationalité […]. Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR. » « On consomme, je crois, dans Iter, le quart des ressources planétaires, […] j'ai oublié les noms, nobrium je crois […] » Pas de chance ! Le Nobrium n'est pas un métal intervenant dans le processus de fusion nucléaire, mais un anxiolytique. Ces tristes citations, qui ne prétendent pas à l'exhaustivité, sont la preuve que le recul de la culture scientifique à l'école est parvenu jusqu'aux bancs de notre assemblée.
Qu'est-il arrivé à la France de Descartes et de Pascal ? Comment expliquer la dégradation de l'école et de l'excellence, le désintérêt pour la culture scientifique ? Le coupable, c'est la gauche.
Le manque de connaissances scientifiques en France est le résultat de l'abandon de son enseignement. La gauche a été son fossoyeur, à coups de réformes qui, sous couvert d'égalité des chances, ont saboté le principe même de l'institution en procédant à un nivellement par le bas dont les sciences ont été les premières victimes. La méritocratie, qui faisait la gloire de la III
À la fierté de s'extraire de sa condition par l'excellence, nos dirigeants ont préféré l'égalité dans l'ignorance. Résultat : en 2019, au niveau mondial, les élèves français de CM1 ont obtenu en mathématiques le score le plus bas de l'Union européenne – quarante-deux points en dessous de la moyenne – au classement Timss (Tendances dans l'étude des mathématiques et des sciences). Si nous restons le deuxième pays au monde en nombre de médailles Fields reçues par nos mathématiciens, c'est grâce au parcours d'excellence que représentent les classes préparatoires et les écoles d'ingénieurs, même si une remise à niveau des élèves y est nécessaire, tant le niveau en terminale a baissé.
Lorsqu'un édifice vacille, il faut toujours revenir à ses fondations – en l'occurrence, à l'éducation nationale. L'école est la base, le socle de la connaissance d'une société ; elle doit être la première étape de notre sursaut. Il faut revenir à une école intemporelle qui se préserve des vices de l'époque, à une école des savoirs fondamentaux qui doit accorder assez d'heures à la transmission des savoirs tout en se préservant des querelles de la société. Elle doit former des esprits critiques, libérés des superstitions en tout genre que veulent imposer les religions et les mouvances comme le wokisme, qui infestent déjà nos universités.
Cet effondrement se poursuit avec Emmanuel Macron, qui ne prend pas la mesure du problème. J'en veux pour preuve la réforme du lycée général défendue par Jean-Michel Blanquer, qui a entraîné la diminution du nombre d'élèves à profil scientifique de 25 % entre 2019 et 2021, ainsi qu'une chute de la proportion de filles en spécialité mathématiques, laquelle est passée de 47 % à 40 % sur la même période, revenant au niveau d'il y a trente ans.
Alors que nous avions besoin de 50 000 nouveaux ingénieurs en 2021, seulement 43 000 ont été formés. Pire, une partie des ingénieurs que nous formons s'expatrie vers des contrées où les perspectives de carrière et de rémunération sont bien plus attractives qu'en France. Ils sont tellement nombreux en Californie que l'on s'y réfère en parlant de french mafia. Ceux qui inventent et développent les nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle sont français ; leurs études ont été payées par le contribuable français, mais ce sont les Américains qui en récoltent les bénéfices.
La France prend un terrible retard sur les autres nations. La recherche et l'industrie française vont pâtir de l'effondrement du nombre d'étudiants en sciences. Le rôle de l'État est d'orienter ses enfants vers les métiers utiles pour le bien commun. Nous avons plus besoin d'ingénieurs que d'employés du tertiaire qui font des PowerPoint chez McKinsey !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
C'est ainsi que nous assurerons notre souveraineté et l'avenir de notre industrie, qui ne connaît de relance que dans les déclarations du Gouvernement.
En tant qu'ingénieur de formation, je tiens à remercier ces professeurs, majoritairement des femmes, qui m'ont donné le goût des sciences et qui m'ont guidé. Je remercie Mme Krir pour m'avoir orienté vers des études scientifiques plutôt que de commerce ; je remercie Mme Lenain pour m'avoir enseigné la rigueur scientifique ; enfin, je remercie Mme Garnier pour la qualité de son enseignement et ses précieux conseils.
« [L]e plus beau métier du monde », disait Péguy, « après le métier de parent, […] c'est le métier de maître d'école et c'est le métier de professeur de lycée. […] Mais alors que les instituteurs se contentent donc de ce qu'il y a de plus beau. Et qu'ils ne cherchent point à leur tour à expliquer, à inventer, à exercer un gouvernement spirituel ; et un gouvernement temporel des esprits. […] Tant que les instituteurs enseigneront à nos enfants la règle de trois, et surtout la preuve par neuf, ils seront des citoyens considérés. »
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Nous sommes appelés à débattre du recul de la culture scientifique à l'école, au sein de l'État et dans nos politiques publiques. Je remercie nos collègues socialistes d'avoir mis cette question quasiment philosophique à l'ordre du jour.
Je veux tout de même, en préambule, interroger son postulat. Y a-t-il effectivement un recul de la culture scientifique dans notre pays ?
À vrai dire, ce genre de notion se laisse mal mesurer et je craindrais de faire preuve d'un peu de paternalisme à l'égard de nos concitoyens si j'affirmais que la science recule dans notre pays. On a tôt fait de juger des autres par soi-même ou de faire de sa situation sociale un piédestal d'où l'on jugerait le peuple – voire la foule, pour employer un vocable macroniste. Je ne voudrais pas commettre cette faute contre la méthode. En revanche, l'évocation de la culture scientifique soulève immédiatement deux questions : d'une part, celle des carrières scientifiques elles-mêmes ; d'autre part, l'importance et le crédit que le débat public démocratique réserve à la science.
Pour ce qui est des carrières, j'espère qu'un consensus existe entre nous sur le fait que notre pays ne les met pas suffisamment en valeur. Le nombre d'ingénieurs en formation ou en activité n'est pas suffisant pour satisfaire les besoins. L'indépendance de la France est effectivement conditionnée par sa capacité à former des ingénieurs, des techniciens et, bien entendu, des ouvriers qualifiés, dont les travaux nous permettront de ne pas dépendre de nos alliés dans le domaine de l'espace, de la santé, de l'intelligence artificielle, du numérique et bien d'autres encore.
Je m'empresse d'ajouter que le problème est d'autant plus grave que, ces dernières années, la réforme du baccalauréat décidée par Jean-Michel Blanquer a fait plonger le nombre de jeunes filles engagées dans des voies scientifiques. Même si son successeur a annoncé vouloir corriger le tir, pour plusieurs classes d'âge, le mal est fait. On peut en tout cas affirmer que la promotion des sciences en France passe nécessairement par une stratégie volontariste auprès des jeunes filles et des femmes, comme cela a été dit précédemment.
J'ai dit que les carrières scientifiques ne sont pas assez mises en valeur. Cela tient, bien entendu, aux représentations qui sont véhiculées par de nombreux médias et à l'insuffisance des modèles sociaux que nous voulons nous donner. Le fait me semble assez évident que les grands savants de notre temps ne sont guère donnés comme des exemples de réussite. Le problème, si vous voulez bien reconnaître que c'en est un, vient de haut : quand un futur Président de la République exhorte la jeunesse de notre pays à rêver d'être milliardaire plutôt qu'à devenir la nouvelle Marie Curie, il me semble, quitte à passer pour rétrograde ou idéaliste, que cela devrait nous interroger.
Ce genre de représentation poujadiste a des conséquences et des causes très concrètes, puisque les unes et les autres se confondent. En effet, la recherche universitaire est au plus mal dans notre pays. Au moins depuis 2008 et la réforme de Valérie Pécresse, la recherche scientifique est la victime d'un mode de financement par projet qui non seulement asphyxie les chercheuses et les chercheurs et les voue à une forme de précarité, mais conduit aussi mécaniquement à réduire le champ de leurs investigations en couronnant des modes académiques plutôt qu'en confortant les démarches intellectuelles originales. En raison de l'injonction faite aux scientifiques concernés de travailler sur des sujets pouvant faire l'objet de publications valorisées et dont les applications à court terme sont susceptibles d'être lucratives, des pans entiers de la recherche se trouvent négligés. Pourtant, comme le dit un adage bien connu, ce n'est pas en travaillant sur la bougie que fut inventée l'électricité.
Je ne m'appesantirai pas sur la question de l'utilitarisme, ni sur l'espèce de maccarthysme qui a sévi ces dernières années au sein même du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Frédérique Vidal a récemment reçu un camouflet, lorsque la preuve a été faite que l'enquête sur l'islamo-gauchisme qu'elle disait avoir demandée n'était en réalité qu'une tentative politique démagogique.
Je ne m'attarde pas non plus sur le dogme de l'excellence, qui a en réalité pour effet d'abaisser le niveau général au profit de quelques têtes de pont de l'Académie française.
Dans le même temps, le débat public est saturé de faux scientifiques qui font de l'ombre aux vrais. Depuis plusieurs décennies maintenant, une partie des élites politiques et économiques rêve de fonder son gouvernement sur l'autorité de sachants confirmant les bienfaits de telle ou telle politique. Ce dévoiement de la science en expertise est criant et, dans bien des cas, vient occulter le travail patient, méticuleux et même austère de nombreux savants, dont les résultats peinent à se frayer un chemin jusque dans les cénacles du pouvoir. Combien de temps a-t-il ainsi fallu pour que les rapports du Giec reçoivent un peu d'écho ? Combien en faudra-t-il pour que les préconisations des scientifiques composant ce groupe soient réellement écoutées ?
Il y a là une question à l'égard du personnel politique, mais également à l'endroit du monde médiatique. La domination écrasante du marché dans ce secteur produit des effets désastreux sur ce qui aurait dû être un moyen d'émancipation des citoyennes et des citoyens. Cette émancipation par les médias n'est qu'un mythe, il suffit pour s'en convaincre de se rappeler le mot de Patrick Le Lay, dirigeant bien connu de TF1. Ce dernier affirmait, il y a près de vingt ans, que son métier, c'était la publicité – vendre à Coca-Cola du temps de cerveau disponible, comme il disait. Cet obscurantisme du business n'a pas fini de nuire à la démocratie et à la délibération éclairée des citoyens.
Pour conclure, je veux rappeler que l'obscurantisme contre lequel s'escriment les Lumières est polymorphe. Les avatars anciens de la superstition et du fanatisme n'ont pas disparu et prennent parfois des formes violentes. La lutte contre eux repose principalement sur l'exemplarité des œuvres de la raison. Si l'axiome de l'égale dignité des personnes et des esprits n'est pas respecté, si la solidarité impersonnelle dont l'État est l'outil n'est pas réelle, alors les vieilles hiérarchies sociales et les vieux credo qui les fondaient reprendront du crédit auprès de ceux qui les avaient désertés. C'est à cela que la République doit s'attacher à répondre. Il y a bel et bien urgence à rendre aux citoyennes et aux citoyens les moyens de leur propre émancipation.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
Contrer le recul de la culture scientifique, voilà un bien vaste programme.
Avant tout, je voudrais, sur un tel sujet, rendre hommage à des visionnaires et des précurseurs en la matière. Je pense aux trois scientifiques de métier qui voulaient que l'école rende justice à la joie d'apprendre et à la curiosité des jeunes enfants en convainquant les professeurs des classes primaires d'amener leurs élèves à faire de la science et à mettre eux-mêmes la main à la pâte, ce qui devenait source de joie pour l'enfant comme pour son maître. Vous les aurez reconnus : il s'agit de Georges Charpak, prix Nobel de physique en 1992, de Pierre Léna, astrophysicien, et d'Yves Quéré, physicien. Tous trois étaient membres de l'Académie des sciences. Ce trio, à l'origine de la fondation La Main à la pâte, a joué un rôle essentiel pour remettre les sciences en phase avec l'enfant, avec son désir profond de découvrir et de comprendre, et avec la volonté des enseignants de faire aimer l'école et les sciences à leurs élèves. Ils ont montré qu'il n'y avait pas de remède miracle pour faire aimer les sciences, mais qu'il existait des méthodes et des approches permettant d'inverser la tendance du recul de la culture scientifique dans notre pays. Ma première question est donc très simple : pourquoi ne pas développer davantage tout ce qui est proposé par cette formidable fondation qu'est La Main à la pâte ?
Venons-en maintenant au socle de connaissances et de compétences que tout jeune Français devrait maîtriser en matière scientifique et technologique. Nous le savons tous, les sciences expérimentales et les technologies ont pour objectif de comprendre et de décrire le monde réel, celui de la nature, celui construit par l'homme ainsi que les changements induits par l'activité humaine. Leur étude contribue à faire comprendre aux élèves la distinction entre faits et hypothèses vérifiables d'une part, opinions et croyances d'autre part. Pour atteindre ces buts, l'observation, le questionnement, la manipulation et l'expérimentation sont essentiels dès l'école primaire, dans l'esprit de La Main à la pâte, qui donne le goût des sciences et des techniques dès le plus jeune âge ; on voit que cela produit des résultats.
Les élèves doivent pouvoir comprendre que les sciences et les techniques contribuent au progrès et au bien-être des sociétés. En somme, il importe que les élèves se constituent une culture scientifique de base pour comprendre les grandes lois qui régissent l'univers, notre planète ainsi que notre corps. Sans une culture scientifique et technique suffisante, nos enfants seraient laissés sans repères dans un monde que la science et la technique façonnent pourtant de plus en plus. Ils seraient par la suite incapables d'agir sur lui et de le transformer. Ma deuxième question au Gouvernement porte donc sur les moyens qui sont déployés par l'éducation nationale, et par l'État en général, pour s'assurer de la bonne transmission des connaissances et des compétences scientifiques auprès des élèves durant tout leur parcours scolaire. Dans le même ordre d'idée, quels sont les outils utilisés pour évaluer la véritable acquisition des connaissances scientifiques et techniques au fil de la scolarité, de l'école primaire jusqu'au lycée ?
Enfin, je voudrais aborder un risque actuel très important : celui du décrochage de la recherche scientifique française. Les réformes successives en matière d'enseignement des sciences et des mathématiques ont conduit à un violent changement de paradigme, sous prétexte de s'adapter au goût des jeunes et de favoriser l'égalité. Ainsi, prévalent de plus en plus le zapping, la leçon de choses ou, au mieux, l'éveil de la curiosité. Comme le mentionne fort justement Michel Spiro, le président de la Société française de physique, désormais, l'appropriation et l'approfondissement des connaissances scientifiques ont la portion congrue, même dans les parcours dits scientifiques du lycée. Certes, il est positif d'avoir augmenté la population d'élèves approchant une formation scientifique et d'essayer d'éveiller l'appétit des jeunes pour les sciences. On ne peut que s'en réjouir. Toutefois, j'aimerais savoir pourquoi la partie réservée à la capacité à modéliser, à mettre en équation, à simuler et analyser les résultats d'une pratique scientifique expérimentale est de plus en plus réduite au collège, et même au lycée depuis la dernière réforme. Cela doit nous interroger collectivement, car le lycée prépare à l'enseignement supérieur.
Vous l'aurez compris, la culture scientifique constitue un socle essentiel dans toute société moderne et démocratique. L'enjeu du savoir reste un véritable combat. Nous devons collectivement nous en saisir. J'espère que nous aurons des réponses substantielles aux trois grandes questions que je viens de poser.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et Dem.
Au pays des Lumières, des savants et des inventeurs, la culture scientifique est consubstantielle de notre histoire partagée. Elle s'érige sur des faits scientifiques – uniquement sur des faits – et met en évidence que les sciences et les scientifiques suivent des méthodologies et des protocoles précis. Il est ici question d'intégrité et d'éthique scientifique. Les charlatans de la covid-19 ont entaché la respectabilité de toute une communauté et la confiance dans la science a été malmenée.
M. Jean-Luc Fugit applaudit.
La crise sanitaire a confirmé les faiblesses de la qualité de l'information scientifique face à la propagation des fausses informations, dont les complotistes et les fanatiques se sont emparés pour mieux les « viraliser ».
Pourtant, on ne badine pas avec la science. Au-delà des savoirs et des connaissances élémentaires, la culture scientifique enjoint d'expliquer le fonctionnement des sciences au pluriel, qu'elles soient fondamentales, cliniques, humaines ou sociales. La culture scientifique ouvre la voie à l'esprit critique, à l'esprit des sciences et à leur temporalité, mais aussi au doute intrinsèque à la recherche. Elle incarne l'échange et le grand partage, elle favorise l'égalité entre les femmes et les hommes et contribue à résorber les inégalités socio-économiques et territoriales.
La culture scientifique forge l'humilité dans l'appréhension des phénomènes sociaux, sanitaires, technologiques, écologiques et même démocratiques. Elle forge aussi l'humilité dans la manière d'aborder le monde qui nous entoure, qu'il soit social ou environnemental. Elle devrait surtout forger l'humilité lorsqu'il est question de la retranscrire dans un discours politique.
En tant que rapporteur pour avis du budget de la recherche sur le projet de loi de finances pour 2023, j'ai consacré la partie thématique de mon rapport à la culture scientifique, et je me suis senti bien seul. La commission des affaires culturelles et de l'éducation a mené une vingtaine d'auditions sur ce thème si essentiel et produit un rapport à la suite de ses échanges nourris avec les associations de culture scientifique, le réseau des vice-présidents Science et société des universités, les chercheurs – socio-anthropologues, astrophysiciens, mathématiciens, biologistes –, les établissements de recherche, les agences de financement de la recherche, les éditeurs scientifiques, les influenceurs scientifiques, les directions ministérielles, les fondations et les instituts privés, et, bien sûr, les industriels. Des académiciens aux bénévoles associatifs en passant par les doctorants et les chercheurs, tous œuvrent quotidiennement à la diffusion de la culture scientifique, à laquelle il faut ajouter la culture technologique, industrielle et sanitaire.
Car la culture scientifique embrasse une pléthore de domaines d'activité et d'acteurs, et environ 1 740 structures sur le territoire, qui vont d'associations d'animation scientifique et d'éducation populaire et de tiers-lieux aux grands musées, en passant par les muséums, les aquariums et autres planétariums, sans oublier les établissements publics de recherche, les entreprises et les acteurs de l'artisanat, ainsi que les collectivités territoriales, essentiellement régionales. Tous les acteurs de la culture scientifique constituent les garde-fous essentiels de la démocratisation des savoirs et de la paix sociale, sur lesquels reposent notre humanité et la planète qui l'abrite.
Or, malgré quelques soubresauts et une volonté plurisectorielle et pluridisciplinaire, faute de pilotage national, de visibilité et de lisibilité, la culture scientifique est encore trop fragile, des cours d'école au plus haut niveau de l'État. Le niveau scientifique moyen de la population ne cesse de s'affaiblir, ce qui nuit du même coup à l'attractivité des métiers de la recherche et de l'ingénierie, dont nous avons tant besoin, et favorise un scepticisme métastasé à l'endroit des faits scientifiques, et souvent une interprétation à géométrie variable des résultats de la recherche, une manipulation des faits scientifiques. Resurgissent alors les vieilles croyances des platistes et de ceux qui pensent l'astrologie comme une science.
M. Jean-Luc Fugit applaudit.
Le désaveu de la science profite aux dérives sectaires, en recrudescence, comme l'atteste le récent rapport de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). La carence de culture scientifique exacerbe la montée du complotisme, du fanatisme et de l'extrémisme. Des épizooties aux zoonoses, de l'antibiorésistance aux maladies chroniques et génétiques, de la biomédecine à la bio-industrie, des crises énergétiques aux crises climatiques et démocratiques, ce sont pourtant les sciences qui permettront de répondre aux défis qui nous attendent.
Aussi, ni technophiles, ni technophobes, nous devons penser la culture scientifique comme une priorité nationale. Les acteurs sont là ; ils sont prêts à travailler ensemble et ils nous attendent. La culture scientifique exige une politique ambitieuse dont la gouvernance doit être protégée de toute ingérence. Pour mener à bien leurs actions, tous les ministères sont tributaires des données scientifiques. La science et la culture scientifique sont un bien commun. Parce que la science est une chance, elle est l'affaire de tous. Si elle se doit d'aller vers la société, c'est à nous qu'il revient d'aller vers la science et donc vers la culture scientifique.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE, LR et SOC.
L'intitulé de ce débat dresse un constat alarmant et implacable : celui du recul de la culture scientifique dans notre pays. Alors que la culture scientifique était en progression en France depuis une trentaine d'années, nous sommes retombés trente ans en arrière, donc au point de départ. Cette régression s'est nettement accélérée depuis le premier quinquennat du président Macron – je le dis avec gravité.
Elle s'observe de façon générale, mais varie selon les genres et les catégories sociales. Autrement dit, la politique des années Macron en matière d'éducation scientifique a renforcé toutes les inégalités.
La rentrée scolaire 2022 a été marquée par une pénurie d'enseignants sans précédent. Dans les mathématiques, en particulier, le nombre de candidats aux épreuves du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (Capes) a fondu de 30 % entre 2010 et 2020, et la tendance est loin de s'inverser. Entre 2021 et 2022, le nombre de postes non pourvus de professeurs de mathématiques a été multiplié par trois dans les collèges et les lycées, pour atteindre 17 %. La situation est aujourd'hui dramatique. En physique-chimie, les postes non pourvus sont passés de 8 % en 2021 à 33 % en 2022. La pénurie criante de professeurs de sciences s'explique en grande partie par le niveau trop faible de leur rémunération – ce sujet a fait l'objet d'un débat cet après-midi. Et ce ne sont pas les rustines apportées à coup de primes, en contrepartie d'exigences souvent indécentes, qui vont relancer l'attractivité de la profession.
La situation est préoccupante non seulement du point de vue du recrutement des professeurs, mais aussi du point de vue des résultats de nos élèves. Selon les dernières enquêtes internationales, les élèves français du primaire et du collège sont classés en dernière position des pays de l'Union européenne et en avant-dernière position des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). On ne peut évidemment pas se satisfaire de cette situation.
Nombreux sont ceux qui l'ont dit avant moi, les élèves aujourd'hui scolarisés en classe de première n'étudient plus du tout les mathématiques. Seul un enseignement scientifique général, mêlant sciences physiques et SVT, leur est dispensé. Il semble que l'actuel ministre de l'éducation nationale se soit aperçu du désastre provoqué par la politique de son prédécesseur – on peut en tout cas l'espérer –, mais il est difficile d'être optimiste quant à la manière dont cette classe d'âge, qui a également pâti de la pandémie de covid-19, pourra combler ses lacunes.
Au sujet de ce champ de ruines hérité des années Blanquer, soulignons que le recul de la culture scientifique a renforcé les inégalités entre les filles et les garçons et entre les classes sociales. Alors que le pourcentage des filles inscrites dans un cursus scientifique en classe de terminale était en progression constante depuis 1995, jusqu'à atteindre 48 % en 2017, il a dégringolé depuis la réforme du bac engagée par Jean-Michel Blanquer. En 2021, les filles n'étaient plus que 39 % à avoir choisi les mathématiques. Entre 2017 et 2021, c'est-à-dire en quatre ans seulement, l'enseignement scientifique des filles a perdu dix points. Enfin, l'écart se creuse selon l'origine sociale, singulièrement dans les matières scientifiques. À titre d'exemple – un exemple significatif –, les familles les plus favorisées peuvent se permettre d'offrir à leurs enfants des cours de soutien scolaire. Or les mathématiques sont la matière la plus demandée – elles représentent environ 75 % des demandes.
M. Aurélien Saintoul applaudit.
La France est l'un des pays de l'OCDE dans lequel le lien entre le statut socio-économique et la performance évaluée par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) est le plus fort. Dans sa note d'octobre 2021, le Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco) explique ainsi la situation : « L'école française ne parvient ni à garantir la maîtrise de compétences élémentaires à tous les élèves socialement défavorisés, ni à permettre aux meilleurs d'entre eux d'atteindre un niveau élevé. »
Le sujet du recul de la culture scientifique à l'école est loin d'être anodin. Ce n'est pas mon expérience des valeurs émancipatrices des sciences, en particulier des mathématiques, qui explique ma mobilisation sur cette question, mais ma conviction. La culture scientifique développe la rigueur d'esprit et l'esprit critique. La science permet de démontrer un fait par un raisonnement logique. Elle est donc indispensable. Le Gouvernement et les pouvoirs publics doivent se saisir de cet enjeu à la hauteur de l'engagement qu'il exige de chacune et de chacun d'entre nous.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Karine Lebon applaudit également.
La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Pour commencer, je veux remercier le groupe Socialistes et apparentés d'avoir inscrit le thème du recul de la culture scientifique à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Pour le Gouvernement aussi, il s'agit d'un sujet majeur.
Vendredi dernier, j'ai eu un échange passionnant avec les chercheurs français qui ont contribué à la rédaction de la synthèse du sixième rapport d'évaluation du Giec. Nous avons évoqué les conclusions de ce rapport et souligné le rôle de la recherche et de la technologie dans le suivi et la modélisation de l'impact du réchauffement climatique, ainsi que dans l'élaboration de solutions. Nous avons beaucoup parlé de ce qui nous réunit ce soir : la conviction qu'il faut accroître la culture scientifique dans notre société, dès le plus jeune âge, afin d'éclairer le débat public et la prise de décision politique.
Au mois de janvier dernier, l'établissement public Universcience a publié les résultats de son premier Baromètre de l'esprit critique. Les résultats de ce sondage sont encourageants, puisqu'ils montrent que nos concitoyens ont majoritairement confiance en la science et conscience qu'elle fait partie de leur quotidien. Ce sondage révèle toutefois des disparités générationnelles, socio-économique et de genre. Un tiers de nos concitoyens ne sont pas convaincus du lien entre le réchauffement climatique et le CO
Il s'agit de donner à chaque citoyen les informations nécessaires pour se forger un avis éclairé. L'actualité récente a montré à quel point cela est nécessaire. Je pense bien sûr aux fake news, que certains d'entre vous ont évoquées. Une fausse information est facile à créer ; une fois créée, elle circule si facilement et si vite…
Pour les jeunes, notamment, les réseaux sociaux sont des vecteurs puissants de ces fausses informations qui font aujourd'hui des adeptes. Une enquête de l'Ifop de 2022 nous apprend que, pour plus d'un jeune sur quatre, les êtres humains ne sont pas le fruit d'une longue évolution d'autres espèces, mais qu'ils ont été créés par une force spirituelle. Ainsi, pour 19 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans, les pyramides égyptiennes ont été bâties par des extraterrestres. Vous avez cité d'autres exemples issus de cette enquête : ils prouvent tous qu'il est urgent de préparer notre jeunesse au déferlement des fake news, dont les conséquences civiques peuvent être graves. Sur ce sujet, nous sommes tous impliqués et responsables.
Il est de notre responsabilité de développer l'esprit critique de nos concitoyens à l'aide d'un apprentissage basé sur une méthodologie et un raisonnement qui apprend à considérer plusieurs points de vue pour se construire un avis basé sur des faits. Cet avis doit se fonder sur une information scientifique de qualité et vérifiée, qui prend du temps à être produite et à être diffusée. Car la science – et c'est très bien ainsi – est exigeante, rigoureuse, précise et réfléchie. Elle ne s'accommode pas de petits raccourcis ; elle ne transige pas avec la vérité.
Cela pourrait sembler décourageant, et l'on peut se demander comment lutter contre cette asymétrie. Mais nous pouvons le faire, je le crois, en faisant tout pour rendre accessibles au plus grand nombre les connaissances et les avancées de la science. Cela passe par la diffusion de la culture scientifique, mais aussi par le fait de mettre en avant la parole scientifique dans le débat public. Je vous remercie donc vraiment de nous donner l'occasion de débattre ensemble de ce sujet ; j'en suis personnellement heureuse.
La diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle est au cœur des missions des établissements d'enseignement supérieur ; elle est d'ailleurs inscrite dans le code de l'éducation. C'est pourquoi il est indispensable de mieux reconnaître la relation entre science et société comme une dimension à part entière de l'activité scientifique, donc de l'activité de nos enseignants-chercheurs et de nos enseignantes-chercheuses.
La culture scientifique doit aller vers les citoyens, afin de faire tomber les préjugés ou les réticences qui peuvent les éloigner des vérités scientifiques. En tant que chercheuse, il m'a toujours semblé important de m'engager personnellement pour faire vivre cette diffusion de la culture scientifique, au plus près du terrain, au plus près des jeunes et des écoles. Et je connais, pour en avoir fait l'expérience, l'importance de ces moments de partage : je pense aux actions que j'ai menées dans des communes comme Marcoussis, Saint-Arnoult-en-Yvelines, Grigny, Dourdan, Les Ulis, Montigny-le-Bretonneux et bien d'autres encore. Je suis convaincue que la compréhension de phénomènes scientifiques et la transmission d'un certain enthousiasme – car oui, la science est aussi enthousiasmante ! – peuvent réellement contribuer à faire naître des vocations chez les plus jeunes, mais surtout à créer une curiosité, une ouverture sur le monde et le goût de chercher des réponses.
Je pense par exemple à la bande dessinée lauréate du prix « Le goût des sciences » 2022 dans la catégorie « prix du livre scientifique jeunesse », décerné par des jeunes âgés de 9 à 13 ans : Les Femmes de sciences vues par une ado un peu vénère ! Son titre montre bien l'enjeu auquel nous faisons face, cette préoccupation que nous partageons, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et moi-même, et qui a trait à l'attractivité des filières scientifiques, en particulier pour les jeunes filles. Pour apporter à ce défi les réponses qu'il mérite – j'en avais parlé lors de la remise du prix Irène-Joliot-Curie –, nous lancerons des assises consacrées à l'attractivité des sciences pour les femmes, qui rassembleront tous les acteurs du monde de la recherche et de l'enseignement supérieur.
En matière de culture scientifique, si nous devons nous adresser à la société dans son ensemble, nous devons commencer très en amont et nous tourner d'abord vers nos enfants, pour leur redonner le goût des sciences, notamment celui des mathématiques. En effet, l'esprit critique est au cœur du projet de l'école républicaine, et il doit reposer très tôt sur la culture scientifique et sur son fondement, les mathématiques, dont il est beaucoup question en ce moment. Le renforcement de leur enseignement en 2023 est ainsi crucial pour le ministère de l'éducation nationale, qui doit préparer – et il le fait – les étudiants de demain.
Je suis par ailleurs particulièrement attentive à ce que la médiation scientifique soit mieux reconnue comme une mission structurante de nos doctorants et de nos chercheurs. Les exemples sont nombreux et je voudrais en rappeler quelques-uns. Dans le cadre de leur contrat, les doctorants peuvent se voir confier une mission de « valorisation des résultats de la recherche scientifique et technique », afin de promouvoir leurs activités de recherche et leurs réalisations au-delà de la sphère académique, auprès des élèves et des enseignants du primaire et du secondaire, mais aussi de l'ensemble des acteurs du monde socio-économique et même de tous les citoyens. Le ministère de l'éducation nationale noue ainsi des liens avec des fondations comme La Main à la pâte, qui développe le réseau des Maisons pour la science et avec qui il a passé une convention ; nous souhaitons les développer et nous allons le faire, en nous appuyant sur ces contrats doctoraux qui pourraient être utilisés pour enrichir cet effort de médiation.
En 2020, pour que l'excellence de la recherche puisse se diffuser dans la société, la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 a entériné la création de cinq chaires juniors et de cinq chaires seniors au sein de l'Institut universitaire de France (IUF), pour inviter nos meilleurs chercheurs à développer les relations entre les établissements d'enseignement supérieur et de recherche et la société. C'est aujourd'hui un succès.
Ensuite, je ne peux évidemment pas oublier la création de la médaille de la médiation scientifique du CNRS – Centre national de la recherche scientifique –, qui récompense des femmes et des hommes qui placent la science au cœur de la société et qui diffusent une information scientifique accessible à différents publics.
La culture scientifique peut également se renforcer grâce à ce que l'on appelle la recherche participative. Vous en avez peu parlé, mais cela consiste à associer des acteurs de la société civile à un travail de recherche donné : le lien entre la science et l'expression d'un besoin par l'usager est ici immédiat. Cet échange, qui peut aller jusqu'à la coconstruction de la démarche scientifique, permet de nourrir la confiance en une science éthique et responsable, au service de la société. La charte des sciences et recherches participatives en France a été signée par de nombreux acteurs de la recherche – organismes nationaux de recherche et universités – mais aussi par un grand nombre d'ONG et d'associations, ce qui souligne l'intérêt citoyen pour cette démarche.
Depuis plusieurs années, mon ministère soutient fortement les actions labellisées « Science avec et pour la société » (Saps). Des moyens dédiés ont été mobilisés, dans la loi de programmation de la recherche, afin de les renforcer. J'en citerai quelques-uns. Un label assorti de moyens a été créé pour les sites universitaires, afin qu'ils puissent se mobiliser en faveur de ces actions qui étaient jusqu'alors souvent accomplies bénévolement par les chercheurs, peu reconnues dans leurs carrières et peu soutenues. Aujourd'hui, ce sont vingt universités qui se sont dotées d'un programme « Science avec et pour la société » ; dans chacune d'entre elles, un vice-président est chargé de le promouvoir et c'est là aussi un élément nouveau, qui n'existe que depuis quelques années. Désormais, 1 % du budget d'intervention de l'ANR est consacré à ces actions. Enfin, les chercheurs sont systématiquement encouragés à intégrer à leurs projets de recherche un volet de médiation scientifique.
Afin que la culture scientifique alimente le débat public, réponde aux interrogations des citoyens et éclaire les décisions politiques, il est nécessaire que l'ensemble des parties prenantes puisse se réunir pour débattre des sujets d'actualité qui émergent sur le front scientifique et des actions entreprises dans le domaine des relations entre science et société. À cette fin, il existe une instance consultative, placée auprès de la ministre de la culture et de moi-même, et que certains d'entre vous ont mentionnée à la tribune juste avant moi : le Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle. Il est essentiel que le Gouvernement soutienne avec vous une ambition réelle et forte pour la science, avec et pour la société. Je vais donc proposer à ma collègue ministre de la culture de relancer très vite cette instance, en travaillant aux modalités permettant d'y associer pleinement chercheurs et citoyens.
La double mission qui a été confiée à mon ministère – et ce depuis qu'il existe – est la suivante : repousser toujours plus les frontières de la connaissance, et en garantir la transmission et la diffusion. C'est cela qui nous permettra, j'en suis convaincue, de relever les grands défis auxquels nous sommes collectivement confrontés. À nous de redonner confiance dans la science et goût pour la science, de réveiller les curiosités et de rappeler, comme le disait Marie Curie, que « rien n'est à craindre, tout est à comprendre ».
Je voudrais terminer en citant un autre savant dont la maxime devrait guider l'enseignement et la formation de tous nos étudiants, à toutes les étapes, de l'école jusqu'à l'université : Montaigne, qui disait qu'il vaut mieux « une tête bien faite qu'une tête bien pleine ». C'est ainsi que nous pourrons les amener vers les sciences tout en développant leur esprit critique ; c'est une révolution à laquelle nous devons nous employer collectivement. Depuis des années, on ne cesse d'ajouter du contenu au contenu, mais je crois que ce sont d'abord l'esprit critique, la méthodologie scientifique et l'amour des sciences qui doivent nous guider, en particulier au cours du débat qui nous réunit ce soir.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Nous commençons une question du groupe Socialistes et apparentés (membre de l'intergroupe NUPES). La parole est à M. Mickaël Bouloux.
Au cours des dernières années, nous avons constaté une diminution de l'intérêt pour la culture scientifique en France, ce qui n'a pas été sans effet sur la perception des sciences et de l'innovation par le grand public. Dans le contexte mondial actuel, la science et la technologie ont un rôle crucial à jouer si nous voulons relever les défis qui se présentent en matière de santé, de changement climatique et de développement économique ; il est donc essentiel de renforcer la culture scientifique dans notre pays.
Je voudrais compléter mon exposé de questions très précises. D'abord, quelles politiques le Gouvernement compte-t-il engager, à la suite du dernier quinquennat, pour que les filles accèdent de la même manière que les garçons aux formations scientifiques ? Ensuite, comment le Gouvernement compte-t-il offrir à nos élèves un nombre suffisant de professeurs de sciences et de mathématiques, sans renoncer à une exigence de qualité en matière de formation ? Sur ce point, il pourrait être opportun de réfléchir à l'attractivité de nos filières d'enseignement sur la scène internationale et à celle des rémunérations des professeurs. Enfin, quelles perspectives de mixité sociale pouvez-vous offrir à nos élèves, puisqu'il s'agit de créer une émulation plutôt qu'une ségrégation reproduisant les inégalités, notamment dans les matières scientifiques ?
Au-delà de ces trois questions qui ont trait à l'éducation, quelles mesures spécifiques votre ministère envisage-t-il de déployer pour encourager l'intérêt du public à l'égard de la science et de l'innovation ? En particulier, comment comptez-vous collaborer avec les acteurs clés du secteur scientifique, les médias et les institutions éducatives pour améliorer la communication et le partage de connaissances scientifiques auprès du grand public, et ainsi pour lutter contre la désinformation et les mouvements antiscience ?
Vos questions sont multiples et je ne vais probablement pas y répondre de manière exhaustive, mais je voudrais d'abord redonner un chiffre relatif à l'orientation des jeunes filles : 55 % d'entre elles choisissent la spécialité mathématiques en classe de première. À partir de la terminale, elles s'orientent plutôt vers des disciplines comme la physique ou la chimie, pour ensuite se tourner par exemple vers la filière des métiers de la santé, pour ne citer qu'une de ces filières – on les connaît – qui comptent beaucoup plus de filles.
Le travail consistant à donner aux filles le goût des matières scientifiques, qui a démarré au niveau de l'éducation nationale, doit être entrepris dès l'école primaire pour permettre aux sciences et en particulier aux mathématiques de retrouver leur attractivité, et aux élèves concernées d'avoir davantage le choix. Afin de les attirer vers les filières scientifiques – je pense en particulier au secteur de l'industrie verte –, nous allons, Bruno Le Maire, le ministre de l'éducation nationale et moi-même, instaurer des quotas au niveau des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) – mais pas au-delà. En suivant des cohortes d'élèves année après année, nous pourrons observer, en lien avec des scientifiques et en fonction des filières, l'impact des différentes mesures que nous allons prendre d'abord au niveau des lycées – certains dispositifs, à ce niveau, sont déjà en place – et ensuite dans le supérieur. Nous pourrons ainsi évaluer quelles mesures sont efficaces pour attirer l'ensemble des élèves, et en particulier les filles, vers les filières scientifiques.
Une autre de vos questions a trait à la diffusion de la culture scientifique. Nous allons aussi y travailler, en collaboration avec des associations comme les Maisons pour la science, qui sont promues par la Fondation La Main à la pâte, et avec les médias. Nous nous appuyons pour cela sur les doctorants et sur les chercheurs, que nous nous efforçons de former à la médiation scientifique : nous allons faire en sorte que les activités de ce type soient reconnues dans leur carrière et qu'ils y consacrent un sixième de leur temps de travail total, dans le cadre des missions complémentaires qui leur sont assignées. Les doctorants, notamment, pourront ainsi diffuser la culture scientifique en lien avec les associations de médiation. Voilà des exemples d'actions que nous allons entreprendre ; nous en discuterons lors des prochaines assises de la médiation scientifique, qui se pencheront en particulier sur la question de l'attractivité des sciences pour les filles.
MM. Jean-Luc Fugit et Stéphane Mazars applaudissent.
Nous en venons à la question du groupe Écologiste – NUPES. La parole est à Mme Christine Arrighi.
« La culture scientifique, c'est l'un des plus grands enjeux démocratiques qui soient. Plus que jamais, il faut travailler à en élever le niveau dans la population, mais aussi chez nos décideurs. » Ces mots ne sont pas les miens mais ceux d'une journaliste, rédactrice en chef d'une revue scientifique québécoise, Marie Lambert-Chan. J'ai pour ma part des propositions à vous faire sur le sujet.
Nous disposons à l'Assemblée nationale d'un remarquable outil : l'Opecst. Le groupe Écologiste vous suggère de valoriser ses rapports, ses notes scientifiques et ses comptes rendus d'auditions qui s'empilent et finissent parfois dans un carton sans avoir été diffusés. Ils pourraient éclairer utilement nos débats et nos décisions.
La même Marie Lambert-Chan nous explique : « Avoir une culture scientifique, ce n'est pas tout savoir des sciences. C'est plutôt d'avoir soif d'en apprendre toujours plus sur les sciences, de comprendre la démarche scientifique, de cultiver à la fois son esprit critique et son sens de l'émerveillement. » Nous vous proposons donc d'organiser de grands débats publics dans la société avant que le Parlement ne se prononce sur des sujets importants – citons, au hasard, l'énergie et le nucléaire. Comment ne pas organiser un grand débat public avant que nous prenions ici des décisions qui nous engagent sur le plan financier et écologique pour des milliers d'années ?
Avant de légiférer, pourquoi ne pas organiser un grand débat dans la société, éclairé par les travaux de l'Opecst, sur la mise en place des ZFE, les zones à faibles émissions, sachant que les pollutions provoquent entre 50 000 et 80 000 morts par an ? Ne serait-il pas utile d'informer la population des effets des pollutions ?
Je pourrais donner d'autres exemples. À quand un grand débat dans la société sur la fraude fiscale qui nous empêche d'agir et d'opter pour la transition écologique, sans que le grand public en ait suffisamment connaissance ? Nous avons d'autres pistes concernant l'éducation, l'université…
Merci pour ces propositions concrètes, madame la députée.
Le CNCSTI, que nous allons relancer avec le ministère de la culture, va pouvoir se nourrir des rapports de l'Opecst auxquels vous faites allusion, ainsi que d'autres sources telles que les rapports que nous sollicitons de la part des académies.
Quant aux débats, le Gouvernement en a déjà lancé sur certains sujets comme celui de la fin de vie. Cette façon de mobiliser les citoyens pour débattre sur de grands sujets de société n'est pas sans rapport avec la diffusion de la culture scientifique qui, selon moi, doit se faire en amont des débats comme de la recherche participative. Pour que la culture scientifique puisse éclairer et nourrir les débats et les recherches participatives, il faut créer un lien entre les citoyens et les scientifiques qui travaillent dans les nombreux établissements de recherche et les universités. L'échange doit se faire dans les deux sens pour aboutir au partage d'une information construite, basée sur des faits, c'est-à-dire scientifique.
Nous passons aux questions du groupe Renaissance. La parole est à M. Stéphane Mazars.
Comme mon excellent collègue Jean-Luc Fugit l'a indiqué dans son propos liminaire, il reste encore beaucoup à faire dans notre pays pour promouvoir et faire vivre une culture scientifique large et de qualité. On connaît l'importance des apprentissages fondamentaux en mathématiques et les difficultés que nous rencontrons dans ce domaine, mais j'aimerais vous interroger, madame la ministre, sur la culture scientifique dans l'enseignement supérieur.
Ce qui entrave la maîtrise d'une culture scientifique en France, c'est que l'étude des sciences n'y est pas populaire au sens propre. Lorsque l'on étudie les sciences en France, on le fait dans le cadre élitiste de la classe préparatoire, c'est-à-dire à un niveau d'excellence. Plus de 53 % des élèves des classes préparatoires suivent des enseignements scientifiques. Ainsi se renforce ce préjugé qu'en dehors de la voie royale, celle des classes préparatoires, il n'y aurait finalement pas grand intérêt à étudier les sciences. Le faire à l'université serait donc devenu un choix par défaut.
Quel levier pourrions-nous activer à l'université et plus globalement dans les formations non sélectives scientifiques pour les rendre plus attractives ? Comment changer l'image d'une formation vue comme au rabais en comparaison avec les prestigieuses classes préparatoires scientifiques ?
J'en viens à la place des filles dans les sciences, sujet que nous avons abordé lors d'une table ronde organisée à la commission des affaires culturelles et de l'éducation, il y a quelques mois. Alors qu'elles sont identifiées par toutes les études comme meilleures élèves que les garçons, les filles s'autocensurent et délaissent les filières scientifiques d'excellence. C'est pourtant par leur intermédiaire que pourrait s'opérer la démocratisation de l'apprentissage des sciences. Comment venir à bout du préjugé selon lequel les filles seraient de mauvaises scientifiques et garantir ainsi une culture scientifique touchant le plus grand nombre ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Merci pour cette double question, qui m'intéresse énormément à titre personnel depuis des années, monsieur le député.
Il n'est pas nouveau de comparer les classes préparatoires et l'université, en particulier dans les domaines scientifiques. En revanche, pour diverses raisons, on observe depuis quelques années une décrue du nombre d'étudiants qui choisissent les classes préparatoires. Malgré leur bonne méthodologie scientifique et toutes leurs qualités, les classes préparatoires n'attirent plus nos jeunes, qui préfèrent partir à l'étranger, à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), à Zurich ou à Londres, plutôt que de s'inscrire dans les licences scientifiques de nos universités.
C'est pourquoi l'université essaie désormais de proposer une diversité de parcours répondant à la diversité des profils des jeunes, en particulier des filles : licences sélectives ou non sélectives, pluridisciplinaires ou bidisciplinaires, afin de s'adapter aux demandes de passerelles entre les formations. L'étudiant peut se tromper, choisir, rebondir, suivre une formation et bifurquer plus tard. La diversité des formations offertes par l'université permet des parcours variés. Selon son profil et ses projets, l'étudiant pourra opter pour une classe préparatoire ou l'université, deux filières qu'il ne faut pas opposer car elles garantissent une offre diversifiée.
Quant aux filles qui choisissent des filières scientifiques, elles représentent 30 % des effectifs des classes préparatoires, 39 % des étudiants en licences, 42 % des étudiants en masters et 41 % des doctorants. Elles vont donc plus facilement à l'université. Il faut s'y prendre dès l'école primaire, la formation des professeurs des écoles et l'élaboration des livres de classe pour montrer aux filles que les sciences, les mathématiques, la physique et les sciences de l'ingénieur mènent aussi vers la santé, l'environnement et de nombreux secteurs qui peuvent les attirer.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
J'ai décidé d'aborder la question de la culture scientifique dans nos écoles primaires, notamment le recrutement des enseignants au profil scientifique pour le premier degré. L'éducation est l'un des piliers fondamentaux de notre société : elle permet à nos enfants de se développer intellectuellement, socialement et émotionnellement. Pour cela, il est essentiel que les enseignants qui dispensent cette éducation aient des profils diversifiés et possèdent les compétences nécessaires pour transmettre les connaissances de manière efficace.
En 2019, les élèves de CM1 en France ont obtenu le score très moyen de 485 points en mathématiques dans l'enquête internationale sur les acquis scolaires Timss, soit 44 points de moins que le score moyen des pays de l'OCDE. De plus, la confiance en soi et la motivation des élèves à l'égard des mathématiques se dégradent fortement entre le CM1 et la classe de quatrième. Or nous constatons depuis quelques années que la baisse des résultats coïncide avec une baisse du nombre d'enseignants ayant à l'origine un profil scientifique.
La présence des enseignants au profil scientifique dans le premier degré est cruciale, ceux-ci étant les plus à même de transmettre les bases mais aussi le goût pour les sciences et les mathématiques à leurs élèves. De plus, ces enseignants contribueront à susciter chez les élèves un intérêt pour les carrières scientifiques et techniques, en leur montrant la pertinence de ces matières dans la vie quotidienne. Il est aussi important d'encourager les filles, dès leur plus jeune âge, à s'intéresser aux sciences et à envisager des carrières scientifiques, quand on sait qu'elles ne représentent que 24 % des ingénieurs en France. Nous devons donc faciliter le recrutement d'enseignants ayant ces profils scientifiques pour le premier degré.
Madame la ministre, où en sont les pistes de réflexion avec le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse concernant le passage du concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE) dès la fin de la licence ? A-t-on une idée des délais nécessaires pour modifier les critères d'accès au concours ? A-t-on envisagé de renforcer le coefficient de l'épreuve écrite de mathématiques au CRPE, afin de garantir un bon niveau scientifique des candidats et de faciliter leur admission ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Sans répéter tout ce que vous avez très bien expliqué concernant le profil des professeurs des écoles, j'indique que 64 % d'entre eux ont un bac scientifique. Nous devons donc porter attention à la phase de formation ultérieure. En 2020, le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse a créé le parcours préparatoire au professorat des écoles (PPPE), sur une base très pluridisciplinaire, en renforçant la part des mathématiques et des sciences – comme du français – dans le tronc commun de cette formation.
Suivant le vœu du Président de la République, nous travaillons avec le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse afin de rendre ce parcours plus lisible, en le faisant commencer dès la première année de licence, sans remettre en cause la mastérisation. Ce travail en cours se fait de manière progressive, en concertation avec les enseignants et les étudiants, pour réussir cette réforme et faire en sorte que le PPPE soit réellement pluridisciplinaire tout en y renforçant la place des sciences et des mathématiques.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Madame la ministre, je souhaite vous interpeller sur le dispositif de la nouvelle sixième, qui entrera en vigueur dès la rentrée 2023. Cette réforme vise à mettre en place une heure de soutien ou d'approfondissement en mathématiques ou en français pour tous les élèves entrant au collège, au détriment de la technologie, dont l'heure d'enseignement devrait être supprimée.
Cette suppression va empêcher les élèves de poursuivre en sixième l'enseignement des sciences et technologies, tel que pratiqué dans les classes élémentaires. Elle pourrait constituer une menace pour la pérennité des postes d'enseignants de technologie, qui risquent de se retrouver, à la rentrée, en complément de service dans un autre établissement. La technologie joue pourtant un rôle important dans l'acquisition de compétences pour la maîtrise de l'informatique et des outils numériques, et elle apporte des notions en matière de physique, de sciences de l'ingénieur ou d'énergies.
Or, au moment où le Gouvernement défend une importante réforme des lycées professionnels – qui sont des viviers de recrutement majeurs pour les entreprises – et dans un contexte où la France ambitionne de reconquérir son autonomie stratégique, notamment en matière industrielle, une telle mesure pourrait restreindre l'attrait des élèves pour les sciences technologiques. Courroie vers les métiers de l'industrie, qu'il nous appartient à tous de valoriser auprès des plus jeunes – comme cela a d'ailleurs encore été rappelé le 3 avril dernier, à Bercy, par plusieurs membres du Gouvernement s'exprimant sur le projet de loi relatif à l'industrie verte –, l'enseignement des sciences technologiques ne doit plus être le parent pauvre de l'éducation nationale.
Je souhaite donc connaître les contours du dispositif de la nouvelle sixième, qui ne sauraient pénaliser l'enseignement de la technologie, alors que, depuis plusieurs années, les heures et les moyens consacrés à cette discipline ont été réduits.
Effectivement, les savoirs fondamentaux sont insuffisamment et inégalement maîtrisés. Quelques chiffres suffisent à en attester : en sixième, 27 % des élèves affichent un niveau insuffisant en français, ce taux atteignant 30 % en mathématiques. À la sortie de la classe de troisième, un collégien sur quatre ne maîtrise pas les compétences attendues. Cette proportion atteint 50 % pour les élèves qui se dirigent ensuite vers le lycée professionnel. Dans la continuité de l'école élémentaire, la classe de sixième doit donc absolument permettre d'assurer à chaque élève la maîtrise des savoirs fondamentaux, en particulier du français et des mathématiques. C'est pour cette raison que chaque élève bénéficiera, dès la rentrée, d'une heure hebdomadaire de soutien ou d'approfondissement, en particulier en français et en mathématiques, ainsi que de sessions obligatoires d'accompagnement aux devoirs. Telle est notre priorité.
Afin de ne pas alourdir l'emploi du temps des élèves, déjà très chargé, l'enseignement du programme « sciences et technologie » en classe de sixième sera en effet réduit. Je tiens cependant à souligner qu'il n'est pas question de supprimer l'intégralité de cette discipline, mais seulement une heure sur quatre. L'enseignement sera ainsi ramené à trois heures hebdomadaires : la technologie ne sera pas effacée des programmes, bien heureusement. Certains professeurs de technologie ont exprimé leur inquiétude, compréhensible, devant cette évolution. Une attention toute particulière doit être portée à cette situation. C'est ce que font les services du ministère de l'éducation nationale.
L'année prochaine, ces professeurs bénéficieront ainsi d'un temps de formation qui les préparera à enseigner le nouveau programme, dont l'élaboration, qui obéit à une logique de coconstruction, est en cours. À l'issue du cycle 3, reconfiguré pour garantir que chaque élève maîtrise les savoirs fondamentaux, le cycle 4 sera l'occasion de transmettre des savoirs robustes en élargissant les horizons des élèves. Le nouvel enseignement de sciences et technologie, qui sera élaboré par le Conseil supérieur des programmes (CSP), sera articulé autour de deux priorités essentielles : accorder une place centrale aux enjeux de transition écologique et de durabilité – un élément fondamental à l'époque actuelle – et déconstruire les stéréotypes qui dissuadent certains élèves, notamment les filles, de se tourner vers des études et des métiers scientifiques.
Enfin, en tant qu'enseignante, je suis persuadée que ce qui compte, ce n'est pas tant le nombre d'heures de cours que la qualité de l'enseignement et le contenu que l'on entend transmettre. C'est pour cette raison que la réflexion en cours est capitale.
Nous en venons aux questions du groupe Rassemblement national. La parole est à M. Emeric Salmon.
J'appelle votre attention sur la sécession d'une part grandissante de la jeunesse. En effet, dans une analyse de la Fondation Jean-Jaurès, intitulée « La mésinformation scientifique des jeunes à l'heure des réseaux sociaux », les auteurs, s'appuyant sur une enquête de l'Ifop, démontrent une hausse inquiétante de l'adhésion à des contrevérités scientifiques. Ce recul de la culture scientifique chez les jeunes s'explique, selon cette étude, par deux facteurs : l'adhésion à l'islam
Exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES
La Fondation Jean-Jaurès affirme que « le créationnisme se retrouve soutenu en masse par les sondés se disant "religieux" [et particulièrement par] 71 % des musulmans ».
Les résultats de l'enquête de l'Ifop sont très inquiétants : 38 % des jeunes croient dans les prédictions des voyants, 36 % croient dans les envoûtements et la sorcellerie, et la croyance dans les marabouts atteint 13 % parmi les 18-24 ans.
Et la croyance dans Marine Le Pen atteint 30 % ! C'est très inquiétant.
Sourires.
L'étude montre un vrai clivage générationnel : une partie de la jeunesse s'éloigne dangereusement du consensus scientifique. Dans cette même étude, les auteurs notent, à propos des croyances dans des théories contre-scientifiques, que « les personnes de confession musulmane y semblent particulièrement perméables ».
Il ressort donc de cette étude qu'une partie de la jeunesse, issue de l'immigration et plus religieuse, s'éloigne de la rationalité scientifique. Ce séparatisme doit être combattu.
M. Hadrien Clouet s'exclame.
Mais l'étude pointe également la responsabilité de la plateforme TikTok, dont les usagers sont proportionnellement bien plus nombreux à croire dans ces thèses farfelues. C'est pourquoi un contrôle plus strict de ce réseau social chinois apparaît nécessaire.
Comment comptez-vous faire face à la sécession d'une partie de la jeunesse, qui s'éloigne du consensus rationnel pour se perdre dans des thèses contre-scientifiques liées à leur religion ou à leur identité culturelle ? Comment pouvez-vous continuer à nier le lien établi en filigrane, par cette étude, entre l'immigration massive et le recul de la culture scientifique ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Je serai brève : j'ai lu l'enquête à laquelle vous faites référence. Il y est indiqué qu'un lien entre mésinformation scientifique et croyances est observé parmi des jeunes de toutes religions. Votre intervention, me semble-t-il, illustre bien ce que nous combattons et, par contraste, met en exergue ce que nous entendons défendre, à savoir la vraie culture scientifique.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES. – M. Jean-Luc Fugit applaudit également.
Dans la guerre de pouvoir à laquelle se livrent les grandes écoles, j'ai le sentiment que Sciences Po a gagné contre Polytechnique : notre époque substitue l'information au savoir et le ressenti aux faits.
À l'école, tout d'abord, les résultats obtenus par les élèves français dans le cadre des études internationales Timss pour les mathématiques et la science de 2015 et de 2019 sont édifiants : notre pays est en queue de peloton. Au sein de l'État, ensuite, les récents travaux de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France ont montré, audition après audition, comment le sommet de l'État a fait abstraction de tous les avis scientifiques pour engager le pays sur une trajectoire de sortie du nucléaire peu rationnelle. Dans l'élaboration de nos politiques publiques, enfin, on explique par exemple que les 150 membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie ont pu « directement apporter leur vécu ». Le « vécu » devient donc un facteur de décision placé au même niveau que l'avis des scientifiques. Voilà qui est grave.
Alors que faire ? Comme d'autres l'ont déjà souligné, il faut recentrer l'école sur l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul, qui constituent la base nécessaire en vue des divers approfondissements que les enfants aborderont ensuite au collège. Il convient de faciliter la collaboration entre les universités et les entreprises :
« Ah ! » sur les bancs du groupe LFI – NUPES
si les écoles de commerce le font, privilégiant souvent les stages à l'enseignement académique, l'université ne prépare pas suffisamment ses étudiants à l'intégration dans le monde du travail et de l'entreprise. Il importe également de réintroduire des profils d'ingénieurs dans les cabinets ministériels, afin de redonner une culture scientifique aux gouvernements. Enfin, il faut reconnaître la supériorité de l'expertise scientifique sur le ressenti, même si ce dernier est plus propice à la communication et à la manipulation – n'en déplaise aux tenants du wokisme qui envahissent les débats.
Merci de nous faire part de votre avis quant aux moyens que nous devons déployer pour que la France se réapproprie la culture scientifique.
S'il est vrai que notre pays doit se réapproprier la culture scientifique, ce constat vaut depuis des années. Il me semble que certains des arguments que vous avancez ne sont que des allégations.
S'agissant par exemple de la place des ingénieurs dans les cabinets ministériels, il serait bon de vous appuyer sur des chiffres. Dès lors que je n'ai pas ces derniers en tête, je ne m'engagerai pas dans un débat sans disposer d'une information juste et précise.
Quant à la compétition académique que vous avez évoquée, je me refuse à opposer entre elles des écoles, des universités ou des formations, car j'estime que nous ne pouvons nous priver d'aucune formation, quel que soit le profil des étudiants concernés. Croyez bien que c'est dans les universités, dans lesquelles toutes les disciplines sont enseignées à des étudiants présentant des profils variés, que se trouvent les meilleurs pédagogues, c'est-à-dire ceux qui sont capables de s'adapter aux difficultés pédagogiques qu'entraîne la diversité des profils, des disciplines et des formations. Mon rôle n'est pas de les opposer, mais de les aider, de les encourager et, conformément au souhait que vous avez exprimé, de développer la culture scientifique, de l'école primaire – en lien avec le ministère de l'éducation nationale – jusqu'à l'université et, plus largement, dans tous les milieux où évoluent nos concitoyens, des rangs des partis politiques jusqu'aux entreprises. J'estime en effet qu'un lien très fort doit être fait entre le monde socio-économique et le développement de la culture scientifique.
M. Jean-Luc Fugit applaudit.
Nous passons aux questions du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale. La parole est à M. Sylvain Carrière.
Le changement climatique est le plus grand enjeu du XXI
Il est donc urgent, dans un souci de préservation du bien commun, de former les générations futures pour leur permettre de s'adapter à des problèmes dont les solutions ne sont pas encore connues. La décision consistant à rendre l'enseignement scientifique optionnel dès le lycée constitue l'exemple type d'une « maladaptation » enracinée dès l'enfance, en ce qu'elle conduit à priver plusieurs générations d'un savoir pourtant essentiel à la survie de notre civilisation. Il ne faut pas mentir à nos enfants mais, au contraire, leur donner des armes pour s'adapter.
Pourquoi ne pas créer un nouvel enseignement transverse, liant la majorité des enseignements scientifiques au changement climatique ? Il pourrait prendre la forme d'une fresque du climat adaptée à l'école primaire, puis d'ateliers rendus obligatoires dès la fin du collège. Tous les projets scolaires devraient être liés à la question du changement climatique. La prise de conscience doit être permanente : le changement climatique est partout dans la vie ; qu'il soit partout à l'école.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Avant d'en venir aux enseignements destinés aux jeunes, je tiens à préciser que les ministres Stanislas Guerini, Christophe Béchu, Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons lancé un programme visant à former tous les fonctionnaires de l'État à ces questions. Il a démarré par la formation, déjà engagée et qui sera achevée avant 2024, de 25 000 cadres de l'État. Nous préparons désormais la formation des 2,5 millions agents de la fonction publique d'État, qui débutera à la rentrée, tout comme celle des personnels des universités, en particulier des chercheurs et des enseignants-chercheurs, afin que ces derniers incluent spontanément les enjeux relatifs au changement climatique, à la transition écologique et au caractère limité des ressources naturelles dans leur enseignement.
En plus de traiter le stock – ce que nous ferons à compter de l'année prochaine –, nous avons en outre décidé qu'à partir de 2025, un enseignement consacré à la transition écologique, à la biodiversité et au changement climatique serait dispensé à tous les étudiants de premier cycle. Ce travail est en cours, en lien avec le ministère de l'éducation nationale. Notre réflexion s'étend aussi aux programmes, comme l'illustre l'exemple de l'enseignement de sciences et technologie, que j'ai donné précédemment.
Je vous rejoins donc sur la nécessité d'assurer cet apprentissage dès le plus jeune âge et tout au long de la scolarité. C'est pour cette raison que nous travaillons ensemble à garantir le suivi et la continuité des programmes en la matière. La démarche est lancée, elle est effective et elle est financée dans les établissements.
Cette discussion apparaîtra à beaucoup, je le crois, comme une véritable bouffée d'air frais. Nous avons en effet subi, au cours des cinq dernières années, des immixtions assez virulentes du pouvoir politique dans les travaux des laboratoires de recherche scientifique. Je pense notamment aux campagnes menées au nom de la lutte contre l'islamo-gauchisme par votre prédécesseure, ainsi que par M. Darmanin – qui, en la matière, est sans doute aussi qualifié que l'inquisiteur jugeant Galilée.
Ce préambule sur la production scientifique étant fait, se pose la question de la diffusion de la culture scientifique, que nous appelons de nos vœux. En l'espèce, il importe de définir clairement les termes du sujet. Chacun sait – et vous êtes une des mieux placés pour cela, madame la ministre – que les sciences ne sont pas un ensemble de connaissances : ce sont avant tout des procédures collectives de validation des savoirs. Or nous assistons à un phénomène étonnant : au collège, les tâches relevant de l'expérimentation, de la réalisation ou de la manipulation disparaissent progressivement des cours scientifiques, au profit de pratiques relevant plutôt de la mémorisation ou de l'apprentissage à caractère uniquement théorique et scriptural.
Que faire pour y remédier ? Que proposez-vous, en matière de pratiques scolaires, afin que la science soit envisagée comme une activité et non exclusivement comme un apprentissage – ce qui peut lui donner un caractère abstrait ?
De même, j'entends qu'il faut permettre à chacun de mobiliser au maximum ses facultés de réflexion critique au niveau individuel. Cependant, quelle place les différentes formes de production technoscientifiques doivent-elles accorder, selon vous, aux citoyens – car il existe une relation de pouvoir entre scientifiques et citoyens. Cette question rejoint en partie celle de la recherche participative que vous évoquiez tout à l'heure mais en incluant la dimension de responsabilité sociale et éthique des scientifiques vis-à-vis du grand public.
Votre question couvre un large spectre, nous pourrions en discuter pendant plus de deux minutes.
Tout d'abord, je ne pense pas – et cela m'a été confirmé – que la place de la théorie dans l'enseignement scientifique se soit accrue au cours de ces dernières années. Étant plus âgée que vous, j'ai connu une époque, il y a dix, quinze ou vingt ans, où la part de l'enseignement théorique était beaucoup plus importante qu'aujourd'hui.
La France est un grand pays d'expérimentation. L'enseignement, en particulier, intègre largement cette dimension – c'est de plus en plus vrai ces dernières années. Je ne crois donc pas que la part de l'expérimentation se réduise.
En revanche on a désormais recours à la modélisation, notamment grâce au numérique qui s'impose comme un outil puissant. C'est peut-être une des pratiques auxquelles vous faisiez référence dans votre question. En tout cas, elle ne constitue pas pour moi un problème.
Pouvez-vous me rappeler l'autre partie de votre question ?
Vous avez en effet évoqué le sujet des sciences et de la recherche participatives. Pour que l'usager prenne part de façon active à la recherche, il faut bien identifier les besoins. Comme disait Rabelais – puisque Montaigne a déjà été cité tout à l'heure –, « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Nos équipes doivent avoir à l'esprit cette préoccupation qui est au cœur de la recherche aujourd'hui. Il faut également que des comités d'éthique et d'accompagnement étudient les usages et les applications. C'est ainsi que nous bâtirons une science utile au bien-être de nos concitoyens. Celui-ci est nécessaire même s'il faut l'envisager de façon à la fois raisonnée et raisonnable, sans excès. Par ailleurs, la science apporte les bienfaits que l'on connaît dans le domaine de la santé et dans tous les autres domaines essentiels de la vie.
Le rôle que joue la science pour les citoyens est donc une question qui fait intrinsèquement partie de cette discipline aujourd'hui. C'est une dimension que le ministère souhaite promouvoir et défendre sur le plan national et européen.
Nous en venons à la question du groupe Les Républicains. La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine.
À mesure que les emplois se numérisent, le besoin de compétence technique va croissant. Aujourd'hui, 3,3 millions d'emplois salariés ont une activité principale en lien avec les mathématiques, un chiffre appelé à augmenter. L'impact des mathématiques est estimé à 13 % sur l'emploi salarié et à 18 % sur le PIB.
De nombreux chefs d'entreprise témoignent de leurs difficultés à recruter des profils qualifiés en la matière. Notre industrie a pourtant besoin d'ingénieurs mieux formés pour relever le défi des transitions écologique et numérique. Les mathématiques apparaissent dès lors essentielles pour préserver la souveraineté économique de notre pays.
Pourtant, en dépit des besoins industriels, le nombre d'élèves qui choisissent d'étudier les mathématiques est en diminution, tout comme le niveau scolaire dans cette discipline. Le désamour et la perte d'attractivité des mathématiques auprès des lycéens français nous exposent à une perte de compétitivité de la France sur le marché mondial des technologies.
Comment assurer que, demain, la France restera compétitive dans les secteurs stratégiques et pourvoyeurs d'emplois qualifiés ? Quelles sont vos préconisations en la matière ?
Le ministre de l'éducation nationale et moi-même sommes très mobilisés sur cette question afin que le niveau scolaire en mathématiques remonte et que cette matière – tout comme, plus généralement, les disciplines scientifiques – retrouve son attractivité. Puisque vous avez évoqué les besoins industriels, je pourrais mentionner le projet de loi relatif à l'industrie verte mais aussi toutes les mesures visant à développer l'attractivité de l'industrie sur lesquelles nous avons travaillé avec Bruno Le Maire.
Le ministre de l'éducation nationale a lancé, en novembre dernier, une nouvelle stratégie afin que le niveau général en mathématiques remonte. Celle-ci s'appuie sur deux axes.
Le premier consiste à réconcilier tous les élèves avec cette matière. Nous y réfléchissons tous ensemble. Nous avons mentionné la collaboration avec la fondation La Main à la pâte mais il faut également réfléchir à la formation des professeurs des écoles car cette question doit être abordée dès l'école primaire – des années décisives selon moi. Nous nous efforçons donc, comme bien sûr le ministère de l'éducation nationale, de lancer, directement ou indirectement, de nombreuses actions.
Le deuxième axe consiste à faire en sorte que notre niveau d'excellence en mathématiques progresse encore, notamment en suscitant davantage de vocations chez les filles – nous en avons déjà parlé. Au collège, le déploiement des clubs de mathématiques permettra de dynamiser l'apprentissage de cette discipline. Nous savons qu'une telle méthode fonctionne, il faut donc encourager la création de ces clubs. Les enseignants-chercheurs et les doctorants, venus de l'enseignement supérieur, pourront d'ailleurs être à la manœuvre et se révéler utiles en participant à l'animation de ces clubs dans les collèges et dans les lycées.
Pour que la réussite soit davantage au rendez-vous dans les formations postbac, les lycéens doivent acquérir un niveau solide en mathématiques. C'est pourquoi, à partir de la rentrée, un cours de mathématiques d'une heure et demie sera réintroduit pour tous les élèves en classe de première générale qui n'ont pas choisi la spécialité « mathématiques ». Par ailleurs, un module de remédiation sera proposé en classe de seconde pour les plus fragiles. Plus généralement, nous accorderons, tout au long du parcours scolaire, une attention particulière au niveau des élèves dans les matières scientifiques afin que la formation scientifique soit plus solide et pour éviter le décrochage en mathématiques. Nous devons aussi, dans cette perspective, rendre la pédagogie plus attractive, en particulier auprès des filles, par exemple en menant une réflexion sur les manuels utilisés en classe.
Nous terminons par une question du groupe Démocrate (MODEM et indépendants). La parole est à M. Hubert Ott.
Alors que nous vivons une époque sans précédent, marquée par un bouleversement climatique, sait-on réellement de quoi il est question ? Parler du changement climatique, de la décarbonation ou encore de l'effet de serre produit par le gaz carbonique suppose d'avoir acquis un socle de connaissances.
Si l'on interroge nos concitoyens, on constate que presque personne ne sait que l'atmosphère est composée à 78 % d'azote, à 21 % d'oxygène et à 0,03 % de gaz carbonique. Ce pourcentage dérisoire n'empêche pas le gaz carbonique d'être le grand responsable du bouleversement climatique en passant actuellement de 0,03 % à 0,06 % puis 0,07 % ou 0,08 %. Ainsi, on comprend l'hypersensibilité des équilibres qui régissent les conditions de vie sur notre planète : un très léger décalage sera à l'origine d'un grand bouleversement.
Ces connaissances essentielles peuvent parfaitement être acquises par tous. Aujourd'hui, pour comprendre le monde naturel, pour situer avec justesse le vivant dans son contexte, il faut disposer de cet outil crucial qu'est une culture scientifique partagée par tous. Elle seule peut nous libérer des formes modernes d'obscurantisme.
En vingt ans, la France est passée du douzième au vingt-cinquième rang de l'OCDE s'agissant du niveau des élèves en sciences et en mathématiques. Cette chute exige une réaction forte. Si nous sommes incapables d'offrir aux enfants de la nation les armes intellectuelles nécessaires pour comprendre des phénomènes essentiels, nous mettons en difficulté ces futurs citoyens dans leur quête légitime de liberté, une des valeurs du fronton républicain. Il ne saurait y avoir de liberté sans connaissance.
Lorsque, ici même, à l'occasion d'un débat parlementaire, on entend un collègue invoquer la radioactivité naturelle pour relativiser la puissance radioactive d'un accident nucléaire, on se dit que le mal est profond. Au pays de Pascal, Lamarck et Descartes, notre école doit renouer avec l'excellence pour rejoindre les meilleures du monde car la solidité d'un savoir scientifique constitue la boussole permettant d'éviter de se perdre dans les croyances faute de connaissances.
Que comptez-vous faire pour redonner aux mathématiques et aux sciences leur rôle premier à l'école primaire, au collège ainsi qu'au lycée – où il est inconcevable qu'un socle minimum d'enseignement des mathématiques ne soit pas proposé dans toutes les filières ?
Les précédentes questions m'ayant donné l'occasion de répondre sur certains points que vous avez évoqués, je me contenterai, pour ne pas me répéter, d'apporter des éléments de réponse complémentaires que je n'avais pas donnés jusqu'à présent.
S'agissant des formations, il est important – vous l'avez dit – de s'appuyer sur des bases solides, reposant sur des connaissances scientifiques. J'ai déjà détaillé les chantiers que nous avons lancés avec le ministre de l'éducation nationale afin de renforcer le niveau en mathématiques et en sciences : agir au niveau de la formation des professeurs des écoles ; créer des heures d'enseignement supplémentaires ; mobiliser l'enseignement supérieur en demandant aux doctorants d'intervenir dans les collèges et les lycées dans le cadre de clubs ; ou encore collaborer avec La Main à la pâte et son réseau de Maisons pour la science.
Par ailleurs, nous travaillons actuellement à impliquer les scientifiques dans la formation de base des hauts fonctionnaires et des professeurs des écoles. J'insiste sur ce point car de telles actions ont rarement été menées jusqu'à aujourd'hui. La formation à la transition écologique, qui concerne dans un premier temps 25 000 hauts fonctionnaires – elle sera élargie plus tard aux quelque 2,5 millions agents de la fonction publique d'État – passera par une mobilisation des scientifiques sur l'ensemble du territoire. Nous avons créé des groupements de recherche dans chaque territoire pour disposer d'un réservoir de scientifiques chargés d'assurer la formation destinée aux hauts fonctionnaires, mais aussi d'intervenir dans les écoles et dans le cadre d'autres formations.
Nous pensons profondément que le socle que vous avez évoqué doit être transmis par les scientifiques. Une fois que ces connaissances auront été partagées au sein de notre société, leur enseignement, dans les écoles, se fera de manière naturelle, notamment grâce à toutes les mesures que j'ai décrites tout à l'heure.
Prochaine séance, demain à neuf heures :
Discussion de la proposition de loi visant à mieux manger en soutenant les Français face à l'inflation et en favorisant l'accès à une alimentation saine ;
Discussion de la proposition de loi visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement de l'argile ;
Discussion de la proposition de loi visant à interdire les vols en jets privés ;
Discussion de la proposition de loi visant à protéger la jeunesse de la précarité par la solidarité intergénérationnelle :
Discussion de la proposition de loi visant à garantir un accès sûr et tranquille à la nature pour tous les Français.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra