Dans le même temps, le débat public est saturé de faux scientifiques qui font de l'ombre aux vrais. Depuis plusieurs décennies maintenant, une partie des élites politiques et économiques rêve de fonder son gouvernement sur l'autorité de sachants confirmant les bienfaits de telle ou telle politique. Ce dévoiement de la science en expertise est criant et, dans bien des cas, vient occulter le travail patient, méticuleux et même austère de nombreux savants, dont les résultats peinent à se frayer un chemin jusque dans les cénacles du pouvoir. Combien de temps a-t-il ainsi fallu pour que les rapports du Giec reçoivent un peu d'écho ? Combien en faudra-t-il pour que les préconisations des scientifiques composant ce groupe soient réellement écoutées ?
Il y a là une question à l'égard du personnel politique, mais également à l'endroit du monde médiatique. La domination écrasante du marché dans ce secteur produit des effets désastreux sur ce qui aurait dû être un moyen d'émancipation des citoyennes et des citoyens. Cette émancipation par les médias n'est qu'un mythe, il suffit pour s'en convaincre de se rappeler le mot de Patrick Le Lay, dirigeant bien connu de TF1. Ce dernier affirmait, il y a près de vingt ans, que son métier, c'était la publicité – vendre à Coca-Cola du temps de cerveau disponible, comme il disait. Cet obscurantisme du business n'a pas fini de nuire à la démocratie et à la délibération éclairée des citoyens.
Pour conclure, je veux rappeler que l'obscurantisme contre lequel s'escriment les Lumières est polymorphe. Les avatars anciens de la superstition et du fanatisme n'ont pas disparu et prennent parfois des formes violentes. La lutte contre eux repose principalement sur l'exemplarité des œuvres de la raison. Si l'axiome de l'égale dignité des personnes et des esprits n'est pas respecté, si la solidarité impersonnelle dont l'État est l'outil n'est pas réelle, alors les vieilles hiérarchies sociales et les vieux credo qui les fondaient reprendront du crédit auprès de ceux qui les avaient désertés. C'est à cela que la République doit s'attacher à répondre. Il y a bel et bien urgence à rendre aux citoyennes et aux citoyens les moyens de leur propre émancipation.