Les inégalités entre filles et garçons au niveau de l'apprentissage des mathématiques ne cessent de se creuser au fil de la scolarité, avec comme point culminant les études supérieures. Les filles n'étaient en effet que 30 % à présenter la spécialité « mathématiques » au baccalauréat en 2022, contre 54 % des garçons.
Elles sont ensuite très minoritaires dans les formations liées aux mathématiques, alors qu'elles représentent 55 % des inscrits dans l'enseignement supérieur.
Quelle en est la cause ? Nous disposons désormais de données scientifiques, notamment grâce à une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined), publiée en septembre dernier. Celle-ci illustre que les inégalités en matière d'apprentissage des mathématiques se construisent dès le plus jeune âge, au CP. Les filles réussissent globalement mieux dans toutes les matières, mais les mathématiques font exception, dès l'âge de 6 ans, alors que cet écart n'existe pas en maternelle.
Comment l'expliquer ? Les causes ne sont pas innées. En effet, cette différence ne se retrouve pas dans tous les pays du monde. Pour une large part, il s'agit de stéréotypes de genre, qui se transmettent de génération en génération, d'ailleurs souvent de manière inconsciente. Qu'il soit du fait des parents ou des enseignants, ce conditionnement, si minime qu'il puisse être au CP, entraîne des conséquences qui ne cessent de s'aggraver au cours de la vie. De plus, cette question renvoie à la représentation que se font les jeunes filles et garçons de leur place dans la société et des métiers, ce qui structure les choix de scolarité.
C'est toute une vision patriarcale qu'il convient de déconstruire. La mission qui nous revient est d'engager les politiques publiques pertinentes pour y remédier, en premier lieu en accompagnant au mieux les professeurs, en les formant à ces enjeux et en leur permettant de consacrer un temps suffisant à chaque élève, ce qui implique des effectifs réduits et des moyens suffisants.
L'enjeu en matière de culture scientifique et les préoccupations qui en découlent ne concernent évidemment pas que les filles car, au-delà des différences de genre, le niveau global des élèves en sciences, c'est-à-dire celui des futurs citoyens, est loin d'être satisfaisant. Si la suppression des mathématiques du tronc commun était manifestement une très mauvaise idée, l'augmentation du volume horaire des sciences à l'école n'est pas l'unique solution. Dans un rapport sur les stéréotypes de genre publié l'année dernière, notre ancien collègue Gaël Le Bohec et moi-même avions préconisé l'instauration de quotas dans les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques et dans les écoles d'ingénieurs. Cette recommandation est-elle susceptible de trouver un écho favorable auprès du Gouvernement ?
Il convient également d'amplifier le travail, que beaucoup mènent déjà, sur la manière d'enseigner les sciences. L'une des pistes le plus souvent évoquées par les professeurs est de rendre les sciences plus concrètes dès le plus jeune âge, plus applicables, plus transversales aussi, en irriguant l'ensemble des matières. Ces réflexions doivent continuer de trouver des traductions dans les maquettes pédagogiques.
Cependant, tout cela ne peut se faire facilement dans le contexte d'une école publique fragilisée. L'éducation nationale traverse une crise de recrutement des professeurs, particulièrement en mathématiques. En outre, les annonces de fermetures de classe mobilisent les équipes pédagogiques et les familles, qui s'inquiètent d'une école publique au rabais.
Revaloriser les sciences, c'est aussi revaloriser celles et ceux qui assurent leur apprentissage, du primaire au supérieur. De même, c'est revaloriser la recherche dans notre pays, en particulier publique, en garantissant la liberté de recherche et des financements pérennes pour les équipes, en lieu et place du tout-appel à projets. Nous appelons à revenir sur la loi de programmation de la recherche adoptée au cours de la législature précédente, qui est d'ores et déjà caduque.
Pas de culture scientifique à l'école ni dans la société sans un service public de l'éducation renforcé !