La commission entend conjointement avec la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires chargé des transports, sur le financement des concessions autoroutières.
Je souhaite la bienvenue à M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et à M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, qui ont accepté d'évoquer, devant la commission des finances et la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, les questions financières posées par les concessions autoroutières.
Un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF), remis au Gouvernement en février 2021, a été évoqué il y a peu dans la presse – Le Canard enchaîné –, suscitant une interrogation quant aux conditions financières dans lesquelles les concessionnaires opèrent actuellement, ainsi qu'à la manière de rééquilibrer les choses dans un sens moins défavorable, tant pour l'État que pour les automobilistes.
Je m'interroge également : pourquoi a-t-il fallu passer par la presse pour avoir connaissance de ce rapport ? Si, pour ma part, je n'ai communiqué que sur les extraits déjà parus, l'hebdomadaire Marianne l'a publié in extenso hier.
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a déjà auditionné M. Philippe Richert, vice-président de l'Autorité de régulation des transports (ART), sur le sujet – important, tant pour nos collègues que pour nos concitoyens – du financement des concessions autoroutières. Plusieurs questions se posent quant au devenir de ces concessions : l'équilibre des contrats, leur durée, le niveau des tarifs de péage, le contrôle exercé par l'État et la préservation de ses intérêts. Il nous faudra notamment répondre aux deux enjeux que sont le maintien en condition de ces infrastructures et la transition énergétique dans les transports – le véhicule électrique générera des besoins supplémentaires.
En 2020, j'ai demandé à l'IGF un rapport sur les concessions d'autoroutes : il m'a été transmis en février 2021. Portant sur l'étude de la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) et visant à fournir des arguments de contentieux, il n'avait, à l'origine, pas vocation être rendu public ; les parlementaires qui me l'avaient demandé, notamment M. le président Éric Coquerel, y ont néanmoins déjà eu accès et il sera publié dans son intégralité dans les heures qui viennent. Permettez-moi toutefois de regretter que l'on ne puisse tenir secrets des éléments donnant des arguments à l'État, non pas en faveur des sociétés d'autoroutes, mais contre elles.
Il n'est pas inutile de rappeler le rôle historique de l'État en matière économique. La loi du 18 avril 1955 a créé des sociétés d'économie mixte pour réaliser les premières autoroutes, en France, sous l'autorité de l'État, puisque non rentables : pour tout investissement à long terme concernant l'avenir de la nation, il est nécessaire que l'État investisse les premiers euros. Dans un deuxième temps, dès lors qu'elles ont eu la garantie de la rentabilité des projets, des sociétés à capitaux privés ont progressivement pris en charge le développement du réseau autoroutier. Cette méthode est la bonne : l'État a vocation à être un investisseur de premier rang lorsque les projets ne sont pas rentables, puis à en céder la gestion à des sociétés privées, dès lors qu'il n'a plus de responsabilités particulières à exercer.
S'agissant des sociétés concessionnaires d'autoroutes, la cession a subi un contretemps : le double choc pétrolier de 1973 et de 1979, qui a fait chuter la rentabilité des projets en raison du moindre nombre d'automobilistes. Dans les années 1980, les sociétés d'autoroutes ont donc été nationalisées, à l'exception de la Compagnie industrielle et financière des autoroutes (Cofiroute). Trois des quatre grandes sociétés d'autoroutes privatisées ont à nouveau été transformées en sociétés d'économie mixte (SEM) placées sous le contrôle de l'État, parce qu'il n'y avait plus de rentabilité, ni économique, ni financière. Une fois le choc estompé, les règles de gestion des sociétés concessionnaires publiques ont été alignées sur celles du secteur privé – loi dite « Sapin » du 29 janvier 1993. Ensuite, alors que le Gouvernement était encore socialiste, des sociétés ont été ouvertes aux capitaux privés – je rappelle la cession de 49 % des parts des Autoroutes du Sud de la France (ASF) en 2002. Nous avons, avec le Premier ministre M. Dominique de Villepin – j'étais alors son directeur de cabinet –, achevé de céder les parts restantes au secteur privé.
Cette politique est la même depuis le début des années 1950 : l'État amorce l'investissement quand il n'y a pas de rentabilité, puis cède son exploitation à une société privée, dès lors que la rentabilité est garantie. Il ne s'agit pas d'une privatisation au sens strict, mais de la cession de la concession d'une infrastructure – des autoroutes –, dont l'État reste propriétaire : il recouvre l'intégralité de la propriété et de l'usage au terme de la concession, incluant un foncier valorisé. Non seulement j'assume la décision prise en 2006, avec M. Dominique de Villepin, mais je la revendique. Si l'on peut s'interroger sur les modalités de la concession, le fait de laisser une société privée concessionnaire gérer des infrastructures telles que les autoroutes relève de la bonne gestion : l'État reste le propriétaire, alors qu'il serait un mauvais gestionnaire s'il était l'exploitant. Tous les usagers peuvent d'ailleurs constater que les autoroutes sous concession privée sont en bien meilleur état que les petites portions que l'État continue à gérer.
L'opération de 2006, qui a rapporté 14,8 milliards d'euros à l'État, a été réalisée au nom d'une certaine conception de la participation de l'État au développement du territoire et de l'économie. Oui, l'État doit y participer, mais seulement lorsque le projet n'est pas rentable pour des investisseurs privés, comme en 1955. Tel n'est plus le cas aujourd'hui, puisque les projets sont au contraire caractérisés par une sur-rentabilité.
Oui, l'État doit continuer à jouer le rôle d'investisseur dans l'économie, mais pas dans les anciens domaines : il doit flécher ses capacités à investir sur les projets de décarbonation et d'industries vertes – l'hydrogène vert –, actuellement non rentables pour un investisseur privé. L'État doit amorcer la pompe, financer les premiers investissements et soutenir ceux du privé dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). Tel est l'objectif de la stratégie pour l'hydrogène décarboné lancée par le Président de la République, à laquelle 9 milliards d'euros seront consacrés : la France doit devenir indépendante dans ce secteur.
Nous avons agi de même concernant les batteries électriques. Lorsque Saft, Total et PSA, faute d'une rentabilité suffisante pour leurs actionnaires, ont eu besoin de soutien pour ouvrir les premières usines de batteries électriques, en France et en Allemagne, pour ne pas dépendre totalement de la Chine, l'État a réalisé un indispensable investissement de plusieurs milliards d'euros. L'État doit financer les investissements d'avenir non rentables et non ceux qui appartiennent au passé, dont la rentabilité est déjà garantie. Ainsi, la proposition du Rassemblement national visant à nationaliser les autoroutes relève du passé et est une erreur à double titre : financière – il existe un nombre suffisant d'investisseurs privés – et écologique, car c'est prioritairement dans la décarbonation de notre économie que l'État doit investir, plutôt que dans des moyens de transport utilisant les énergies fossiles.
L'État doit également jouer le rôle de régulateur, dès lors qu'il y a concession. Il peut le faire selon deux modalités : les contrats de concession et les péages. Nous en venons au cœur de notre débat : l'État a-t-il, en 2006, cédé des concessions à des sociétés privées d'autoroutes dans des conditions exagérément favorables pour elles ? La réponse est quelque peu technique, faisant appel à deux indicateurs clefs : le taux de rendement interne (TRI) du projet et le TRI de l'actionnaire. Le premier apprécie la seule rentabilité de la concession, sans tenir compte des modalités de financement des concessionnaires, tandis que celles-ci sont prises en considération par le second : tenant compte non seulement de la rentabilité du projet, mais aussi de celle de son financement par l'actionnaire de la société concessionnaire – en l'espèce, la levée de dette obtenue –, il est le plus pertinent.
Je le reconnais, nos calculs relatifs au TRI-actionnaire et à la dette levée par les sociétés actionnaires se sont révélés erronés : ils ont été démentis par le niveau des taux d'intérêt, que nous n'avions pas anticipé. Nous avons ainsi sous-évalué l'avantage financier revenant aux sociétés concessionnaires. Le rapport de l'IGF, dont je ne conteste pas les chiffres, montre que le TRI-projet est, à peu de chose près, celui qui avait été anticipé par l'État lorsqu'il a cédé le capital qu'il détenait dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes aux acteurs privés. Ainsi, nous avions estimé à 6,5 % le TRI-projet pour l'ensemble des sociétés concessionnaires d'autoroutes concernées et le taux effectivement constaté a été compris entre 7 % et 8,5 % – une évaluation faite par l'IGF, le Trésor et l'ART. En revanche, pour le TRI-actionnaire que nous avions estimé à 7 % pour l'ensemble des sociétés d'autoroutes, l'écart par rapport à nos anticipations a été beaucoup plus important, avec une différence allant de 1 point à 4 points de pourcentage. Le TRI-actionnaire évalué par l'IGF et par le Trésor est de 11,8 % pour la Société des autoroutes Esterel – Côte d-Azur – Provence – Alpes (Escota), de 12,5 % pour Eiffage et, conformément à la prévision, de 7,7 % pour Abertis. Je comprends que la représentation nationale puisse s'étonner d'écarts pouvant aller jusqu'à 4 points, entre l'estimation et le réalisé.
Ces chiffres doivent néanmoins être considérés avec beaucoup de précaution. Tout d'abord, les taux d'intérêt nuls voire négatifs sur la période étaient difficiles à anticiper : en 2006, nul n'imaginait la politique monétaire singulière qui allait être menée. Deuxièmement, le TRI-actionnaire ne peut s'apprécier que sur l'ensemble de la durée d'une concession, c'est-à-dire jusqu'à une date comprise, selon les concessions, entre 2031 et 2036. Les chiffres que je viens de communiquer n'intègrent pas la remontée très rapide des taux d'intérêt : au fur et à mesure que l'on se rapproche du terme des concessions, le TRI-actionnaire se rapproche de celui estimé en 2006, soit 7,7 %. Plus les taux d'intérêt augmenteront, plus la rentabilité diminuera, plus nous nous rapprocherons du TRI-actionnaire anticipé. L'écart actuellement constaté n'est donc pas définitif.
La question des tarifs se pose également. Ils ont évolué comme l'inflation – je confirme sur ce point ce que j'avais dit lors de mon audition, en juillet 2020 –, conformément à la règle consentie d'une augmentation minimale de 0,7 fois l'inflation. Une réglementation tarifaire s'applique également à chaque concession autoroutière en fonction des investissements réalisés. Si nous avons des routes d'une qualité exceptionnelle, c'est en raison des grilles tarifaires qui incitent à investir régulièrement, jusqu'à la fin de la durée de la concession. L'inconvénient est que l'État n'a pas conservé la possibilité d'ajuster les tarifs en fonction de l'évolution du TRI-actionnaire : il conviendra de corriger ce défaut lors de la signature des nouveaux contrats de concession d'autoroutes.
Par ailleurs, l'État n'est pas resté inactif face à la rentabilité accrue des sociétés concessionnaires d'autoroutes : le rapport dont nous discutons a été commandé ; le ministre délégué chargé des transports a eu une action résolue sur les tarifs, qui a permis de contenir la hausse du prix des péages à 2 % en 2022 ; enfin, le choix d'indexer la taxe d'aménagement du territoire sur l'inflation a permis de rapporter plus d'un milliard d'euros à l'État. Cette dernière décision a donné lieu à un contentieux : si l'État a gagné en première instance, devant le tribunal administratif, les sociétés d'autoroutes ont porté l'affaire devant le Conseil d'État. C'est la raison pour laquelle j'aurais préféré que les arguments en défense de l'État puissent rester confidentiels...
Enfin, comment éviter que l'exploitation des sociétés concessionnaires d'autoroutes devienne une rente à l'avenir ? Je suis totalement opposé aux rentes. Un dispositif de contribution sur la rente inframarginale des producteurs d'électricité a été mis en place et permet de récupérer plusieurs milliards d'euros, afin de financer le bouclier tarifaire sur l'électricité et sur le gaz et de protéger les plus modestes. De même, les sociétés d'autoroutes ne sauraient bénéficier d'une rente sur plusieurs décennies au cours desquelles il ne serait pas possible d'intervenir.
Cependant, hélas, en vertu du droit des contrats, il est impossible d'imposer aux sociétés concessionnaires d'autoroutes les tarifs qu'elles pratiquent. En 2015, la ministre Mme Ségolène Royal s'y est tout de même essayée : il ne s'agit sans doute pas d'un exemple à suivre... Une taxe spécifique aux sociétés d'autoroutes pourrait-elle être instaurée ? Les mêmes contrats comportant une clause de stabilité du paysage fiscal, cette option risquerait fort de se transformer en impasse.
Nous pouvons toutefois intervenir selon deux modalités, qui nous semblent non seulement être les plus opportunes, mais aussi permettre d'éviter des effets d'aubaine pour les sociétés concessionnaires d'autoroutes et toute rente, quelle que soit l'activité économique. La première consiste à raccourcir la durée des concessions de quelques années : nous saisirons le Conseil d'État pour étudier cette option, qui nous semble la plus solide juridiquement et la plus prometteuse économiquement. La seconde possibilité réside dans la clause de révision des contrats : je souhaite qu'ils soient renégociés à l'issue des concessions autoroutières – d'une moindre durée, je l'espère. En outre, compte tenu de l'incertitude qui pèse sur le TRI-actionnaire – impossible à déterminer sur une durée longue, en raison de la volatilité des taux d'intérêt, donc de la charge de la dette –, ces contrats devront explicitement prévoir une clause de révision des tarifs des péages en fonction du niveau de rentabilité. Les deux principes que je viens d'évoquer, qui permettront aux contrats de concession de gagner en justice économique et en efficacité, ne font sens qu'à deux conditions : la durée des concessions doit être plus courte, alors que certaines d'entre elles peuvent aller jusqu'à soixante-quinze ans ; l'État doit conserver la capacité de modifier directement le tarif des péages, en fonction du TRI effectivement constaté.
Tout d'abord, qu'est-ce qu'une concession autoroutière et à quoi sert-elle ? M. le ministre Bruno Le Maire l'a rappelé, les concessions sont un modèle ancien de notre droit, appliqué, depuis les années 1950, à la construction des autoroutes et à leur entretien, mais aussi, auparavant, à beaucoup d'autres infrastructures, sous le contrôle de l'État. L'intérêt d'une concession est de s'inscrire dans le long terme : sur l'ensemble de notre réseau, routier ou ferroviaire, les investissements ou les financements ne connaissent pas l'effet de yoyo. Lors de la création des infrastructures, il est donc pertinent de s'inscrire dans un cadre durable : cela avait d'ailleurs fait l'objet d'un consensus transpartisan, dans les années 1950, afin de construire le réseau autoroutier français, qui est selon moi l'un des meilleurs d'Europe et du monde, certains assurant même qu'il s'agit du meilleur. Si l'on se livre à des comparaisons, on constate que seulement 15 % du réseau routier national non concédé est estimé en bon état, contre 85 % pour le réseau routier ou autoroutier concédé : le modèle de long terme est pertinent, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain !
Une concession est également un mode de financement. Dans le cas des sociétés autoroutières, un choix a été fait entre un impôt pesant sur tous et le paiement de l'usage – le péage – par ceux qui empruntent l'infrastructure. Si, comme l'a indiqué M. Bruno Le Maire, la question du niveau du financement se pose, sa modalité me semble être très pertinente. En effet, tout le monde n'utilise pas l'autoroute. De plus, notre pays est le plus traversé en Europe, puisque nous sommes un cœur économique et un pays touristique : tous les usagers de la route contribuent dès lors au financement et à l'entretien de l'infrastructure, quelle que soit leur nationalité, que leur véhicule soit léger ou non.
Par ailleurs, le modèle des concessions autoroutières ne confère pas le même type de rente que dans d'autres secteurs, comme celui de l'énergie : si l'inflation présente l'avantage de faire augmenter les prix des péages, elle renchérit aussi le coût des investissements bien au-delà de l'inflation moyenne en matière de travaux publics. Le modèle des concessions n'est donc pas à jeter, malgré des difficultés objectives et, parfois, des erreurs sur certaines des modalités de fonctionnement des concessions autoroutières.
Deuxièmement, l'État a-t-il été négligent dans la défense de ses intérêts, de ceux des contribuables et des automobilistes ? Si tout n'a pas été parfait – le ministre de l'économie l'a évoqué sans détours –, je ne peux laisser croire à une stratégie de dissimulation ou de négligence généralisée. À cet égard, les choix politiques transpartisans effectués ces dernières années, y compris l'ouverture du capital des sociétés concessionnaires d'autoroutes, ont commencé dès 2001, la majorité ayant changé en 2002 : il n'y avait donc pas de clivage sur la question de l'ouverture du capital, même si son rythme, ses modalités et ses conditions peuvent bien sûr être discutés. J'insiste sur ce point car beaucoup de représentants des administrations de l'État, travaillant sur ces questions depuis longtemps, sont présents : ils défendent au quotidien les intérêts de l'État, des contribuables et des automobilistes, y compris lors de contentieux.
Ces dernières années, nous avons apporté un certain nombre d'améliorations, s'agissant notamment des modalités de régulation ou fiscales. Concernant le contrôle des contrats et des avenants aux contrats historiques, la loi dite « Macron », pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, a confié, en 2015, à la nouvelle Autorité de régulation des transports (ART) le soin d'assurer le respect des règles applicables en matière de tarifs, de rendre un avis sur chacun des avenants et d'expertiser de manière régulière et transparente les résultats financiers des sociétés concessionnaires. L'ART a rendu dix-sept avis, tous publics : certains soutiennent les choix politiques et gouvernementaux, quand d'autres sont plus critiques, ce qui est normal et transparent. Tel est l'intérêt de cette autorité publique indépendante, dont chacun peut mesurer la totale autonomie. L'ART a également publié deux rapports, dont l'un porte sur l'économie des concessions autoroutières et propose des pistes d'amélioration du cadre de régulation.
J'en viens à la dépendance aux contrats historiques. Aucun allongement de contrat n'a été décidé depuis 2017, ce qui a permis de crédibiliser les contrats existants en donnant une perspective de remise à plat des clauses contractuelles à l'issue des concessions, qui interviendra très vite, à la fin de cette décennie et au tout début de la suivante.
S'agissant du niveau de rentabilité, l'État a mis une pression maximale sur les concessionnaires pour qu'ils contribuent à un plus juste effort. Chacun mesure bien sûr l'intérêt d'avoir un régulateur indépendant et transparent. De plus, les calculs montrent que le TRI a diminué sur tous les avenants : si la pression économique est plus forte, ils font l'objet d'une meilleure rédaction et d'une plus grande exigence que pour les contrats historiques. Depuis la loi de 2015, la régulation et la négociation entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont également été améliorées.
Si nous ne contestons aucun des chiffres figurant dans les rapports détaillés, nous vous invitons à ne pas les instrumentaliser. Le TRI d'un projet est proche des calculs qui ont été faits dans les contrats et de ceux constatés dans les grands projets d'infrastructures – autour de 7 % à 8 % –, même s'il n'en va pas de même pour le TRI de l'actionnaire, lié aux conditions de financement : ce dernier peut évoluer dans la durée et n'est connu qu'à la fin d'une concession.
En raison de l'inflation et des difficultés liées au pouvoir d'achat, il était également indispensable de revoir les tarifs, tout en s'inscrivant dans le cadre des contrats. À cet égard, j'ai obtenu un certain nombre de mesures complémentaires de réductions tarifaires de la part de l'ensemble des sociétés concessionnaires. Ainsi, les personnes pour qui l'utilisation de la voiture est nécessaire – les abonnés – bénéficient d'une réduction de 40 % du tarif des péages autoroutiers en 2023 ; elles ne connaissent donc, en moyenne, pas d'augmentation de ces derniers. Au regard de la transition écologique, nous avons obtenu, pour la première fois en 2023, des réductions qui reviennent à annuler l'augmentation du tarif du péage pour les détenteurs d'un véhicule électrique – actuellement les ménages les plus favorisés, mais cela a vocation à évoluer.
Le ministre chargé des finances et moi-même avons évoqué la question de la fiscalité, et renforcé l'effort fiscal en indexant la taxe d'aménagement du territoire (TAT) sur l'inflation à hauteur de 70 %, selon une formule proche de celle applicable aux péages. La TAT est un juste effort supplémentaire demandé aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, dont les contributions fiscales annuelles s'élèvent à près de 5 milliards d'euros.
Nous ne défendons pas les intérêts des sociétés concessionnaires d'autoroutes, puisque celles-ci nous ont attaqués ! Nous avons gagné en première instance et je suis convaincu que nous l'emporterons.
Nous pouvons traiter la question des tarifs en prenant des mesures de court terme en raison de l'inflation, mais aussi en négociant les nouveaux avenants et contrats. Une contribution supplémentaire des sociétés concessionnaires d'autoroutes doit être envisagée, et la Première ministre a présenté il y a peu un plan d'avenir pour les transports nourrissant de grandes ambitions pour la transition écologique ainsi que le transport et le réseau ferroviaires.
Puisqu'il est juste que les concessionnaires d'autoroutes, dont on connaît la bonne situation financière, puissent y contribuer dans un cadre juridique solide, nous avons saisi avec M. Bruno Le Maire le Conseil d'État afin d'examiner de manière transparente les options possibles. Nous sommes à nouveau prêts à des efforts fiscaux si les pistes évoquées sont solides et ne coûtent pas davantage au contribuable.
Les contrats de concession autoroutière, négociés dans les années 1950 pour une durée de soixante-dix ans, arrivent à échéance entre 2031 et 2036, ce qui implique d'en réinterroger le modèle. Je propose de lancer conjointement au ministère de l'économie des assises relatives aux concessions autoroutières auxquelles prendront part des parlementaires, des économistes et des organisations non gouvernementales. Ce sera l'occasion d'interroger la nature du financement des concessions, leur durée et leur périmètre, ainsi que le tarif des péages.
Nous chercherons à rendre ces contrats les moins coûteux pour le contribuable et l'État, ainsi qu'à conserver un niveau d'investissement optimal afin d'entretenir le réseau. En outre, la route devra financer le rail, le fret et les autres modes de transport vert, d'autant que de nouvelles règles européennes nous y obligent.
Examinons les avantages et inconvénients du modèle actuel, insistons sur le respect de l'État de droit afin de protéger tant l'automobiliste que le contribuable et de mieux financer la transition écologique. Dans tous les avenants, nous exigeons le déploiement de bornes entièrement financées par les concessionnaires d'autoroutes et de places de covoiturage – plus de 2 000 dans les contrats signés en janvier. De plus, les assises que nous lancerons avant l'été travailleront en toute transparence à la définition du modèle des années 2030 pour accélérer la transition écologique.
L'État a selon vous vocation à être l'investisseur de premier rang dans les secteurs non rentables, dont il doit se dessaisir une fois leur rentabilité assurée afin d'investir dans l'industrie décarbonée. Pourquoi consentirait-il à se priver des fruits de son investissement ? Les autoroutes sont rentables selon le rapport de l'IGF ; l'État pourrait donc se verser des dividendes afin d'investir dans des industries décarbonées. De plus, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoit que l'État doit posséder les monopoles et les constituants souhaitaient à mon avis qu'il en perçoive les bénéfices.
Vous reconnaissez la mauvaise négociation des contrats, puisque la différence de 1 à 4 points entre la rentabilité prévue et celle mesurée par l'IGF représente plusieurs milliards d'euros supplémentaires au bénéfice des concessionnaires. En dépit des nombreuses raisons pouvant justifier une telle rentabilité, il est possible que les concessionnaires d'autoroutes aient mieux négocié les termes du contrat que l'État, lequel n'a pas prévu de rétrocession de cette rentabilité en réduisant la durée des contrats.
Le plan de relance autoroutier de 2015, dont les négociations ont été signées par Emmanuel Macron et Ségolène Royal – Alexis Kohler et Élisabeth Borne étant leurs directeurs de cabinet respectifs –, organisait l'engagement de dépenses de relance en matière de bâtiment et travaux publics (BTP) par des sociétés concessionnaires sur leur réseau en échange de la prorogation de la durée de leur concession d'un peu plus de trois ans en moyenne. La Cour des comptes a indiqué qu'il s'agissait pour les actionnaires d'une très bonne affaire, puisque ce plan représentait une manne de 15 milliards d'euros de dividendes supplémentaires. L'an dernier, d'après L'Obs, les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont versé 3,3 milliards d'euros de dividendes, soit une augmentation de près de 40 % par rapport à 2020. Cette rentabilité continue donc de croître.
Vous envisagez de réduire la durée des concessions, mais je m'interroge plutôt sur leur viabilité, d'autant que j'ai l'impression que vous conseillerez aux prochains dirigeants de les renouveler. En outre, ces concessionnaires possèdent souvent des filiales dans le BTP réalisant les travaux des autoroutes – j'aimerais qu'on analyse un jour cette relation.
Vous confirmez qu'il existe un contentieux concernant la TAT, dont l'État avait toujours compensé la hausse liée à son indexation sur l'inflation par une augmentation du tarif des péages. Cette mesure à laquelle il n'était pas tenu a occasionné une perte de 1,3 milliard d'euros. Le tribunal administratif de Paris a donné raison à l'État en établissant que la compensation demandée n'était pas prévue par la loi et n'avait pas à être automatique. Pouvez-vous préciser jusqu'à quand cette compensation a eu lieu et nous en expliquer la raison ?
J'aimerais enfin que vous nous expliquiez votre optimisme quant au risque de contagion à la France des faillites bancaires qui viennent de survenir aux États-Unis et des difficultés rencontrées par une grande banque suisse.
Ce n'est pas le principe de la concession qui est en cause, mais les conditions de mise en œuvre et de gestion d'une telle concession, dans un contexte où les marges de manœuvre disponibles pour faire évoluer ces contrats sont limitées.
L'indexation de la TAT jusqu'à 0,7 point de l'inflation prévue par la loi de finances pour 2020 a été contestée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), mais l'État a gagné en première instance. Quel est le calendrier de cette procédure et existe-t-il un risque quant au versement des contributions volontaires exceptionnelles de la part des SCA ?
Le rapport de l'IGF présentait trois scénarios. Deux ont été rapidement écartés puisqu'ils n'étaient pas juridiquement fondés, tandis que le troisième envisage le raccourcissement de la durée des concessions. Quand pensez-vous pouvoir obtenir les éléments nécessaires au déclenchement éventuel d'une telle procédure ?
De même, les règles relatives au terme des contrats de concession me semblent imprécises. Dans quelle mesure pouvons-nous nous assurer que les autoroutes seront laissées par les concessionnaires actuels dans un état satisfaisant pour les usagers ?
Le principal avantage de la concession est qu'elle fait payer l'usager et non le contribuable : les citoyens de mon ancienne circonscription, qui utilisent surtout les routes départementales, n'ont aucune envie de contribuer au financement des autoroutes qu'ils utilisent peu. Je suis opposé à toute nationalisation, celle-ci étant triplement perdante : pour les finances publiques – un rachat est estimé entre 40 et 50 milliards d'euros –, pour le climat puisque l'État investit dans une structure liée à l'énergie fossile, et pour le contribuable qui paie à la place de l'usager.
La rentabilité de l'infrastructure est récupérée lors de la cession de capital par l'État, lequel a d'ailleurs perçu 14,8 milliards d'euros quand nous avons cédé, avec le Premier ministre M. Dominique de Villepin, la gestion des autoroutes à des sociétés privées.
Il faut plutôt s'interroger sur le caractère stratégique des investissements de l'État, qui réside dans les innovations et les technologies. Leur rentabilité immédiate n'étant pas garantie, leur financement par des investisseurs privés est peu probable. Cela concerne l'hydrogène vert, les batteries électriques et les semi-conducteurs.
S'agissant des autoroutes, l'infrastructure et le foncier sont stratégiques pour l'État, qui ne fait que céder l'utilisation et l'exploitation de l'infrastructure. Le cas d'EDF est différent puisque l'infrastructure et la production électrique nucléaire sont toutes deux stratégiques, d'autant que cette dernière permet de se chauffer, de s'éclairer et de faire fonctionner les usines. Nous n'avons pas hésité à prendre entièrement le contrôle de cette entreprise car la production d'électricité décarbonée est absolument stratégique au XXIe siècle.
Même si le TRI-actionnaire dépasse nos anticipations en raison de la baisse des taux d'intérêt, un juge externe doit apprécier la sur-rentabilité, qui dépend de l'évolution de ce taux sur l'ensemble de la durée de la concession et du coût de la dette. Enfin, la hausse des taux d'intérêt devrait rapprocher le TRI-actionnaire de nos estimations.
La dernière compensation de la TAT date de 2011. Je confirme l'engagement d'une procédure contentieuse, puisque nous contestons la demande de compensation des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Nous avons récupéré plus de 1 milliard d'euros que nous ne souhaitons pas rendre, et j'espère que le Conseil d'État nous donnera raison lors du jugement en appel.
S'agissant de la situation des banques aux États-Unis, en Suisse et en Europe, je ne fais preuve d'aucun optimisme particulier, et nous suivons la situation avec la plus grande vigilance. La faillite de trois banques régionales américaines spécialisées dans le secteur technologique, la Silicon Valley Bank (SVB), la Signature Bank et la Silvergate Bank, est directement liée à l'insuffisance de la supervision bancaire des États-Unis décidée par le Président Donald Trump en 2019.
Les accords de Bâle III prévoient les ratios de liquidités et de solvabilité pour les banques les plus exigeants de la planète. En cas de pertes latentes, la banque doit posséder suffisamment de liquidités disponibles pour faire face à un éventuel retrait massif de la part des clients.
Le contrôle de la SVB a été stupéfiant de légèreté. L'intégralité des fonds a été placée sur des bons du Trésor. Les pertes latentes, en raison de la hausse des taux d'intérêt, ont crû rapidement. La tech, son unique activité, a rapidement perdu en rentabilité, ce qui a rendu nécessaire la recherche de nouveaux fonds pour combler son besoin de liquidités. Cela explique pourquoi cette banque a fait faillite.
J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec la secrétaire américaine au Trésor, Mme Janet Yellen, à ce sujet, et je souhaite que nous en discutions lors du prochain G7 des ministres des finances.
Toutes les banques françaises et quatre cents au niveau européen sont soumises aux règles de Bâle III, tandis que seuls treize établissements le sont du côté américain. L'exigence de nos ratios garantit la solidité de nos banques et nos compatriotes peuvent avoir confiance en elles.
Nous suivions les difficultés du Crédit Suisse, qui étaient connues de longue date lorsque les déclarations du principal actionnaire ont entraîné une chute du cours de ses actions. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec la ministre des finances suisse avant l'intervention du gouvernement helvétique, et je salue les décisions prises ce week-end pour stabiliser la situation. Le rachat du Crédit Suisse par UBS ainsi que l'ouverture d'une ligne de refinancement de 100 milliards de francs suisses, en plus des 50 milliards annoncés jeudi, devraient sortir cette banque des difficultés. Nous suivons néanmoins la situation quotidiennement, puisque cette banque, avec un bilan de 750 milliards d'euros, connaît une implantation européenne importante.
Je ne peux pas vous préciser le calendrier du contentieux puisque les SCA ont fait appel du jugement rendu par le tribunal administratif de Paris en première instance, le 19 janvier dernier.
En parallèle de l'indexation de la TAT sur l'inflation, les SCA ont suspendu le paiement de la contribution volontaire exceptionnelle (CVE) qui résultait du protocole de 2015 et qui représentait 60 millions d'euros par an. En dépit de tout caractère fiscal, nous avons attaqué ce non-paiement en raison des engagements qui nous liaient. Il existe donc deux contentieux qui cheminent symétriquement.
Les rapports de l'IGF et de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) considèrent que le raccourcissement de la durée des concessions est l'un des moyens permettant de lutter contre la sur-rentabilité ou le surprofit. Cependant, ces rapports ne recommandent pas d'appliquer une telle mesure aux contrats actuels, car cela soulèverait un certain nombre d'obstacles juridiques – nous interrogeons donc le Conseil d'État à ce sujet. Néanmoins cette mesure vaut plutôt pour les éventuelles concessions postérieures à 2031. Elle nécessite pour le moment, selon le rapport de l'Autorité de régulation des transports, un certain nombre de travaux techniques.
Les principales concessions arriveront à échéance entre 2031 et 2036, conformément au calendrier défini dans les années 1950.
La cession des sociétés concessionnaires des autoroutes de France au secteur privé par le gouvernement de Villepin en 2005 a rapporté 14,8 milliards d'euros, dont 11 milliards utilisés pour le désendettement de l'État et près de 4 milliards investis pour financer de nouvelles infrastructures, notamment quatre lignes à grande vitesse vers Montpellier, Rennes, ainsi que le tronçon Rhin-Rhône. Quelques années après, la vie politique française s'est rendu compte de la hausse incessante des tarifs de péages et d'un déséquilibre du cahier des charges qui profite aux concessionnaires. Le paroxysme est atteint lorsque Ségolène Royal décide, en 2015, de geler le tarif des péages d'autoroutes tout en consentant, en raison des compensations prévues par les contrats, une plus forte augmentation quelques années plus tard, ce qui a entraîné un surcoût final de 500 millions d'euros pour les automobilistes.
Les rapports de la commission d'enquête du Sénat, de l'IGF et de l'ART soulignent non seulement l'excellent entretien de nos autoroutes, qui font l'objet de travaux réguliers, mais aussi la hausse du prix des péages. La rentabilité des concessions ASF-Escota et Autoroutes Paris-Rhin-Rhône-Société des autoroutes Rhône-Alpes (APRR-Area), lesquelles possèdent près des deux tiers du réseau concédé, est évaluée à 12 % contre une prévision de 7,67 % lors de la privatisation.
Le rapport de l'IGF émet des propositions pour ramener la rentabilité au niveau initialement prévu, et je souscris pleinement à celles retenues par le Gouvernement : le raccourcissement de la durée des concessions et la clause de révision des contrats visant à revoir les tarifs en fonction du niveau de rentabilité.
Dans quels délais pensez-vous organiser les assises des autoroutes ?
Parmi les trois groupes de SCA historiques, deux sont des acteurs du BTP, à savoir Eiffage pour APRR-Area et Vinci pour ASF-Escota. Cela peut-il expliquer leur écart de rentabilité actionnaire relativement à la Société des autoroutes Paris-Normandie-Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (SAPN-Sanef), laquelle n'est pas dotée d'une filière de BTP ? Je dis cela en sachant que le modèle des contrats de concession incite à réaliser des travaux afin de permettre une augmentation des tarifs supérieure à l'inflation.
Il est assez désagréable que le Gouvernement adopte une position du « pas vu, pas pris », puisque le rapport de l'IGF existe depuis deux ans et que votre réveil est dû à l'incendie déclenché par le travail remarquable des parlementaires et de la presse.
Pourquoi cette réflexion n'a-t-elle pas été engagée il y a deux ans ?
Vous annoncez des mesures qui tiennent davantage de la communication, votre absence de cap étant révélée tant par la tenue des assises autoroutières que par la saisine pour avis du Conseil d'État. Dès 2015, ce dernier indiquait que le rachat des dernières années des contrats de concession était possible, et même qu'il n'aurait aucun coût si la sur-rentabilité était démontrée. Il me semble que le rapport de l'IGF en apporte la preuve.
Vous estimez le coût de la renationalisation entre 40 et 50 milliards d'euros, mais un delta si important ne me semble révéler que votre ignorance du prix de cette opération. Nous n'avons par ailleurs pas l'état du patrimoine des SCA, bien que le code de la commande publique l'impose aux sociétés. Par conséquent, est-il en votre possession ? Autrement, il sera compliqué d'estimer le montant du rachat avec précision.
Tout cela est scandaleux. Les Français paient en moyenne 4,75 % de plus les péages par rapport à l'année dernière, et leur pouvoir d'achat est notre priorité.
Vous assumez une orientation politique, et c'est bien votre droit, en considérant que la vente d'une activité rentable au secteur privé est une bonne affaire pour l'État, celui-ci ayant été privé selon la Cour des comptes de 10 milliards d'euros de recettes, sans compter l'explosion des intérêts. En termes écologiques, de surcroît, je ne vois pas en quoi la planète se porte mieux parce que Vinci gère les autoroutes plutôt que l'État.
En 2022, les tarifs autoroutiers ont augmenté de 2 %. En pleine crise politique, sociale et économique, ils augmenteront cette année de quasiment 5 %. Si vous avez raison de convenir, avec le rapport de février 2021 de l'IGF, que vous vous êtes trompé s'agissant de la rentabilité des concessions, vous ne relevez pas en revanche qu'il aurait certes été possible de diminuer leur durée mais, aussi, les tarifs des péages ou de prélever de l'argent sur l'excédent brut d'exploitation des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait en 2021 ? Une baisse du prix des péages, en pleine crise, aurait représenté par exemple une économie de 21 euros pour un trajet Marseille-Toulouse ou Paris-Lyon.
Tout ce qui a trait aux concessions autoroutières est caché ou flouté. La presse vous a accusé d'avoir enterré ce rapport. De la même manière, en novembre 2015, l'État avait refusé de communiquer l'accord de protocole avec les sociétés autoroutières avant qu'un citoyen saisisse le tribunal administratif de Paris, lequel a ordonné sa communication. Vous parlez beaucoup de Mme Royal mais le ministre de l'économie de l'époque, M. Emmanuel Macron, s'était alors pourvu en cassation. Vous comprendrez donc la saine prudence qui nous anime en la matière.
Selon le code de la commande publique, les concessions de service public supposent que le secteur privé assume les risques d'exploitation. Or, selon la presse, tel n'est pas le cas puisqu'en vertu des contrats qui ont été signés, les sociétés autoroutières peuvent décider d'augmenter les tarifs au moindre problème. Une telle mesure est-elle légale ?
Il est en effet désagréable d'avoir attendu la parution d'un article dans Le Canard enchaîné pour connaître l'existence du rapport de l'IGF. J'entends que le silence aurait été fait en raison des contentieux en cours, mais nous aurions pu en être simplement informés.
Ce rapport est sévère puisqu'il évoque une rentabilité excessive, contraire au principe de rémunération raisonnable. La cible de rentabilité, en effet, avait été évaluée à 7,67 % alors qu'elle avoisine aujourd'hui les 12 %. Vous retenez deux propositions du rapport : la réduction de la durée des concessions et une clause de révision des contrats. Cette réduction de la durée des concessions pourrait-elle s'appliquer d'ores et déjà ?
L'ART suggère de réduire le périmètre des concessions afin de limiter le ticket d'entrée lors de la réattribution des contrats et d'éviter ainsi une trop forte concentration dans ce secteur. Retenez-vous cette proposition ?
La proposition n° 10 du rapport de l'IGF suggère d'« utiliser les résultats des analyses de rentabilité conduites par la mission pour appuyer les futures négociations de l'État avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes ». Est-ce d'ores et déjà le cas ?
Comme le soulignait François Bayrou en 2006, la privatisation des autoroutes était une faute.
Une faute politique, tout d'abord, le Parlement n'ayant pas été amené à se prononcer, contrairement aux dispositions de la loi « Pacte » relative à la croissance et à la transformation des entreprises.
Une faute financière, ensuite, l'Autorité de la concurrence ayant affirmé que la rentabilité exceptionnelle des sociétés concessionnaires n'était justifiée ni par le niveau de risque auquel celles-ci sont exposées, ni par le montant de leur dette. Elle a considéré que la privatisation était intervenue à un moment où la rentabilité était assurée, ce qui a permis aux SCA de verser 14,9 milliards d'euros de dividendes entre 2006 et 2013, soit un montant supérieur au prix d'achat des concessions. Vous admettrez que c'était une véritable aubaine…
Les SCA ont bénéficié d'une marge nette comprise entre 20 % et 24 %, alors même que lors des privatisations la cible fixée avait été de 7,67 %. Cette bonne santé financière contraste avec l'effort demandé par les sociétés concessionnaires d'autoroutes aux usagers, puisqu'au début de décembre 2022, vous avez-vous-même annoncé que les péages augmenteraient de 4,75 % en moyenne au 1er février 2023, après une augmentation de 2 % en 2022.
Quelle est votre stratégie afin que les contrats originels entre l'État et les SCA soient respectés, notamment en ce qui concerne les marges de ces dernières ? Comment justifier la nécessité d'augmenter les tarifs des péages lorsque l'on réalise 4 milliards d'euros de bénéfice ?
Quelques rappels, tout d'abord : 4 février 2020, constitution d'une commission d'enquête sur les concessions autoroutières au Sénat ; 14 octobre 2020, je dépose à l'Assemblée nationale une proposition de résolution invitant le Gouvernement à solliciter un avis du Conseil d'État sur les conditions de résiliation par anticipation des concessions historiques – nous nous interrogions alors sur les surprofits. Récemment, nous avons appris que vous aviez diligenté dès le 2 juillet 2020 une mission conjointe sur le modèle économique des autoroutiers, dont le rapport vous a été remis en février 2021. Le 6 mai 2021, devant le Sénat, le ministre délégué chargé des transports, M. Jean-Baptiste Djebbari, débattait des conclusions de la mission et expliquait aux sénateurs que leur estimation de la rentabilité des SCA était erronée sans dire un mot de l'analyse des services de l'État. Autrement dit, au moment même où le ministre délégué affirmait « les yeux dans les yeux » aux sénateurs que la nationalisation était impossible car trop chère, il savait qu'elle n'aurait pas été nécessaire car un raccourcissement de cinq à dix ans des principaux contrats était non seulement possible mais souhaitable et constituait « le seul ajustement légalement envisageable » selon l'IGF.
Il y a débat sur la nationalisation, mais le minimum que l'on peut attendre est d'exclure absolument de nouvelles prolongations des contrats de concession, quel que soit le prétexte. Or, le flou entretenu fait naître des doutes. J'espère que vos réponses à mes questions seront dénuées d'ambiguïté.
Depuis janvier 2022, avez-vous oui ou non rencontré les dirigeants des SCA ou les représentants de leur lobby, l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (Asfa) ? Si oui, avez-vous évoqué des projets de prolongation ? Comptez-vous oui ou non engager un raccourcissement de la durée des contrats en cours ? Allez-vous oui ou non renforcer les moyens de l'ART et répondre au courrier du 18 janvier 2023 du vice-président de l'ART M. Philippe Richert ? Enfin, où en est-on de l'organisation du sommet des autoroutes dont M. Djebbari avait fait état ?
La complexité et la durée de ces contrats doivent nous inviter à faire preuve de modestie et devraient nous interdire des appréciations parfois caricaturales. Les concessions autoroutières reposent sur un modèle impliquant un investissement massif en début de période, arbitré par les concédants à partir d'un mix capitaux propres-endettement relevant de leur responsabilité. Nous considérons qu'un tel modèle est adapté, même si des évolutions contractuelles doivent être envisagées.
En matière de gestion de l'eau, la jurisprudence du Conseil d'État « commune d'Olivet » a établi dans quelles conditions il était possible de procéder à des ruptures anticipées de contrat dès lors que la profitabilité de la concession semblait atteinte. Est-il possible d'intégrer ce type de critère dans les futurs contrats afin d'y intégrer une durée évolutive en fonction de la rentabilité cumulée observée ?
Les provisions et les travaux qui restent à réaliser et qui sont inscrits au bilan des sociétés d'exploitation d'autoroutes sont difficiles à apprécier. Quels dispositifs de contrôle permettraient de s'assurer du retour à l'autorité concédante des provisions non utilisées ou du caractère effectif des travaux prévus dans les contrats ou inscrits au bilan ?
Les contrats de longue durée soulèvent la question de l'appréciation des taux d'actualisation et des taux de rentabilité pendant les périodes où les hypothèses sous-jacentes – taux de rentabilité interne, rémunération des capitaux investis – peuvent varier considérablement. À ce titre, l'intégration de clauses de revoyure efficaces semble nécessaire, notamment en cas d'évolution importante du TRI-projet ou du TRI-actionnaire. Est-il possible de rédiger de telles clauses, avec l'appui du Conseil d'État, afin de les intégrer directement ?
Monsieur Le Maire, vous étiez directeur de cabinet du Premier ministre Dominique de Villepin lors de la privatisation des autoroutes. Comment expliquez-vous que des opérations d'optimisation n'aient pas été envisagées et anticipées dans les contrats et, surtout, comment pouvez-vous garantir que toutes les mesures ont été prises par l'État pour que celui-ci, à l'avenir, sache mieux préserver ses intérêts, donc les nôtres ? Quelles évolutions législatives avez-vous prévues ?
Suite à la disparition, en quelques jours, de la Silvergate Bank, de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank, les services financiers, rongés par des risques de contagion, tanguent fortement. Vous avez évoqué les accords de Bâle III et la responsabilité de chacun, mais quels sont les risques pour le secteur assurantiel, dont les représentants nous ont récemment indiqué ne pas pouvoir assurer au-delà du risque conjoncturel ?
Enfin, vous affirmez ne pas être favorable à la nationalisation des autoroutes, contrairement à celle d'EDF où « tout est stratégique ». Je note donc que le Gouvernement se refuse en l'occurrence à une quelconque privatisation d'EDF à quelque moment que ce soit. Dont acte.
Je ne reprocherai pas au Gouvernement d'alors de s'être un peu trompé sur les TRI-projet et beaucoup sur les TRI-actionnaire, lesquels sont d'ailleurs sous-évalués faute de tenir compte des profits indirects réalisés à travers les filiales de BTP des groupes actionnaires. Je lui reprocherai, en revanche, la mauvaise rédaction des contrats de concession : la répercussion de la hausse de la fiscalité, la durée trop longue des concessions, la fixation mal adaptée des tarifs des péages et l'absence de reversement en cas de surprofits. Seriez-vous prêts à intégrer ces quatre points dans les contrats à venir ?
Partagez-vous le point de vue exprimé au Sénat par Mme Élisabeth Borne, ancienne directrice de cabinet de Mme Ségolène Royal puis ministre des transports, selon lequel la privatisation de 2006 « n'a pas été une bonne idée » ? Partagez-vous les graves critiques de l'ART et de la Cour des comptes sur les accords visant à prolonger les concessions en contrepartie d'investissements nouveaux ?
En 2006, certains membres de la majorité présidentielle ont combattu cette privatisation, notamment M. François Bayrou et moi-même. Parmi les solutions possibles, pourquoi n'avez-vous pas évoqué ce que M. François Bayrou et son groupe avaient alors suggéré : une gestion directe des sociétés concessionnaires par l'État et une affectation des bénéfices distribuables à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) ?
Enfin, pourriez-vous nous parler des 700 millions d'euros de contribution volontaire exceptionnelle (CVE) dont le versement serait compromis en raison de la hausse de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) ?
M. Pradal a raison : certaines appréciations sont parfois un peu caricaturales.
Nous sommes dans un État de droit, avec un droit des contrats et de la propriété privée. À moins de payer, il n'est pas possible d'interrompre brutalement un contrat conclu entre une société concessionnaire et l'État parce que cela vous chante.
Des solutions de facilité ont été utilisées en 2015 par Mme Royal. Le gel des tarifs ? Très bien ! La popularité est assurée pendant quelques semaines mais, ensuite, il faut passer à la caisse parce que, Dieu soit loué, nous sommes dans un État de droit. Cette décision a en effet été payée par une surcompensation des tarifs et par l'introduction dans les contrats de mesures de renforcement du paysage fiscal pour que l'État ne puisse pas « se récupérer » par une augmentation des taxes portant spécifiquement sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Joli résultat ! Ne comptez pas sur moi pour sacrifier le long terme au profit d'une popularité de court terme !
Ce modèle de concession s'applique à de nombreuses activités économiques parce que c'est le meilleur. Il est préférable de faire payer une infrastructure par ceux qui l'utilisent plutôt que par tous. C'est une question de bon sens, de justice et d'efficacité. Il est préférable qu'une piscine municipale ou que le Tunnel sous La Manche soient mis en concession, l'immense majorité de nos compatriotes n'ayant aucune envie de payer pour un train qu'elle ne prend jamais. De ce point de vue, je suis en total désaccord avec François Bayrou.
La concession a été faite au bon moment. J'ai reconnu que des erreurs de calcul avaient pu être commises, ici ou là, même si nous avons besoin de confirmations. Nous avons cédé les sociétés concessionnaires d'autoroutes au moment où les sociétés privées avaient intérêt à investir quand l'État, lui, avait tout intérêt à valoriser ses infrastructures afin qu'à terme on lui rende des autoroutes en meilleur état et modernisées, par exemple équipées de bornes de recharge électrique.
De plus, les SCA sont obligées de mettre en concurrence les travaux réalisés dès lors que l'investissement est supérieur à 500 000 euros afin qu'elles ne soient pas juges et parties puisqu'elles sont aussi des sociétés de BTP.
Pouvons-nous arrêter les concessions dès maintenant ? Une loi d'expropriation est en effet possible mais, parce que nous sommes dans un État de droit, une « juste compensation » serait nécessaire, laquelle est évaluée par mes services entre 40 et 50 milliards d'euros. Si vous voulez les mettre dans le rachat des sociétés concessionnaires d'autoroutes, vous le pouvez mais, comme nous ne sommes pas en Union soviétique, aucune nationalisation ne sera possible sans compensation. Selon moi, il s'agirait d'une décision absurde qui reviendrait à jeter l'argent du contribuable par les fenêtres.
Pouvons-nous raccourcir la durée des concessions ? Oui, à une réserve juridique près : le Conseil d'État doit établir la sur-rentabilité des concessions. Pour l'évaluer, faut-il se fonder sur le TRI-projet ou sur le TRI-actionnaire ? C'est au juge administratif de trancher. Si le Conseil d'État, sur le fondement de l'un de ces deux critères, estime que la sur-rentabilité est effective, nous raccourcirons la durée d'exploitation des concessions de manière à ce que cela ne coûte rien au contribuable. Je ne le ferai que sur le fondement d'une analyse juridique solide, claire et confirmée par la plus haute juridiction administrative. Je ne prendrai pas le risque, pour être populaire, qu'une décision de l'État soit attaquée par les concessionnaires d'autoroute puis invalidée par le juge administratif et que le contribuable, à la fin, soit contraint de payer.
Les assises devraient être lancées d'ici l'été et les parlementaires y seront évidemment associés. Nous avons quelques années devant nous avant l'échéance des premières concessions, en 2031, mais nous devons mettre à profit le temps qu'il nous reste pour la préparer.
Nous n'avons pas commencé à réfléchir à ces questions il y a deux ans. La demande de ce rapport de l'IGF était très bienvenue. Les rapports parlementaires ont certes été nombreux mais un rapport d'inspection est particulier : il est demandé par un ministre à son usage propre. L'administration ne cache pas sa copie, le rapport pouvant être ensuite rendu public dans un cadre défini par la loi. De plus, comme tous les documents administratifs, il est soumis aux prérogatives parlementaires, notamment à celles du président de la commission des finances et du rapporteur général du budget. Si l'on ne veut pas d'informations précises, il suffit de ne pas signer une demande de rapport. Si elle a été signée, c'est bien qu'un problème se posait aux yeux de mon prédécesseur, de M. Bruno Le Maire et de M. Gérald Darmanin, alors ministre de l'action et des comptes publics. L'administration a d'ailleurs considéré que c'était un rapport préparatoire et que bien des choses devraient être encore précisées, notamment à propos des TRI qui font parfois l'objet d'une légère instrumentalisation.
Les réflexions pour améliorer la situation ont commencé et ont été appliquées très tôt : je pense à la loi de 2015 dite « Macron », avec la création d'une autorité de régulation, aux dix-sept avis publics et aux deux rapports généraux de l'ART, qui sont d'ailleurs équilibrés.
La question de la remise en état du patrimoine concédé est en effet fondamentale. Cette obligation du code de la commande publique, très ancienne, n'était pas appliquée dans les contrats. En janvier 2023, nous avons publié des décrets approuvant des avenants qui prévoient non seulement des investissements supplémentaires – covoiturage, bornes de recharge électrique, etc. – mais aussi l'application de cette obligation d'inventaire. Tout ceci est donc public. Les travaux ont commencé pour que, dans moins de cinq ans, cet inventaire soit effectif. Nous savons que, globalement, notre réseau autoroutier est en bon état, mais il convient de vérifier que tout est bien exécuté. J'ai demandé à mes services de travailler à cette obligation supplémentaire avant que l'État récupère sa propriété. Nous nous engageons à en définir les critères avec le Parlement dans les prochains mois. Nous appliquons ainsi l'une des recommandations du rapport de l'IGF.
À propos des péages, les avis politiques divergent, y compris au sein de la NUPES. Il me semble que certains de vos collègues écologistes, monsieur Guiraud, demandent une augmentation des coûts induits par la voiture. Pourquoi ne pas commencer par les tarifs des péages ? Nous appliquons quant à nous les termes du contrat, mais nous allons au-delà pour protéger le pouvoir d'achat des Français. Je défends la transition écologique mais j'assume qu'à court terme, une aide temporaire soit accordée aux automobilistes qui n'ont pas d'autres choix que de recourir à la voiture. Nous le faisons d'ailleurs de manière ciblée. J'ai ainsi demandé aux SCA de réduire le coût des abonnements, ce qui a été fait. Le Parlement a également voté l'indexation de la TAT sur l'inflation, dans une proportion de 70 %, comme pour les péages, une telle symétrie me paraissant indispensable. En 2018 et 2019, lorsque les tensions sur le pouvoir d'achat étaient déjà palpables, ma prédécesseure Mme Élisabeth Borne avait déjà demandé un effort sur les tarifs des abonnements.
Doit-on modifier les formules d'indexation des péages ? Si nous le faisions, soit les investissements seraient réduits – ce qui ne me paraît pas souhaitable –, soit les sociétés concessionnaires d'autoroutes devraient rogner leurs marges, mais cela s'appelle un impôt. Je préfère une hausse de la TAT ou une augmentation éventuelle des taxes sur ces sociétés : si nous considérons qu'elles bénéficient de surprofits, taxons-les directement ! Nous y réfléchissons, d'où la saisine du Conseil d'État. Je ne suis pas favorable à la subvention budgétaire, ce qui reviendrait à faire subventionner par le contribuable les investissements du réseau autoroutier. Je veux bien que l'on fasse baisser les tarifs des péages – si tant est que cela soit juridiquement possible – mais que sacrifie-t-on ? Mettons-nous au moins d'accord sur un cadre.
Selon la jurisprudence actuelle, les résiliations anticipées ne seraient possibles qu'en cas de sur-rentabilité des TRI-projet et non des TRI-actionnaire, ce que nous ne constatons pas. Nous interrogeons donc le Conseil d'État pour savoir s'il est possible d'aller plus loin que cette jurisprudence car nous devons agir dans un cadre très sécurisé.
La prolongation des concessions a longtemps été une manière de mettre la poussière sous le tapis. Nous voulions – y compris de nombreux élus locaux – des investissements supplémentaires : faites financer tel contournement par les concessions, disait-on, cela ne coûtera rien au contribuable ! Cela a beaucoup été fait mais ce n'est plus le cas depuis 2017. Les concessions vont arriver à échéance, notre modèle doit être questionné et une telle façon de faire relèverait d'une politique de court-terme.
Les SCA se sont engagées à verser la CVE, qui s'élève à 60 millions d'euros par an. Lorsque le Parlement a voté une augmentation de la TAT, ces sociétés nous ont attaqués en contentieux et elles ont suspendu le versement de la CVE. C'est nous qui, alors, avons engagé une procédure de contentieux pour défendre les intérêts de l'État.
Dans certains territoires, la voiture est le moyen de transport privilégié, faute notamment d'infrastructures ferroviaires. En raison de caractéristiques topographiques ou environnementales, des régions ne peuvent pas bénéficier d'autoroutes à gabarit autoroutier permettant de relier certains sites. Un décret du 14 août 2020 a confirmé l'article 161 de la loi d'orientation des mobilités (LOM) et la possibilité de construire des autoroutes à gabarit routier. Des réunions préalables avec la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) s'agissant de la rocade de Gap depuis l'A51 ou celle de Moulins depuis l'A77 ont conclu à une nécessaire modification des textes. Un tel dispositif peut-il être appliqué ou doit-il être modifié afin de le rendre opérationnel ?
Je me réjouis que l'État ait décidé d'indexer la taxe d'aménagement du territoire (TAT) sur l'inflation, car les prix des péages sont déjà soumis à une telle indexation. Est-il prévu d'appliquer, avant même la fin des concessions, la nouvelle directive « Eurovignette », qui autorise la prise en compte des externalités environnementales et permet d'augmenter les tarifs des péages de l'ordre de 50 % ? Cela constituerait une forte incitation au report modal. Une fois les concessions arrivées à leur terme, les tarifs baisseront puisque les « clauses du grand-père » ne s'appliqueront plus. N'y a-t-il pas là un risque de désincitation au report modal ?
Que de mots pour justifier l'injustifiable ! Depuis le début, les contrats de concession autoroutiers sont intolérables car ils consacrent la privatisation d'un bien public, d'un monopole naturel qui n'aurait jamais dû être confié au secteur privé. Ce qui s'est passé ensuite était prévisible : les concessionnaires ont abusé de la situation et continuent à le faire. Toutes les autorités indépendantes qui se sont penchées sur le sujet depuis quinze ans ont conclu au caractère abusif de ces contrats. Il faut faire respecter non pas ce que vous appelez « l'État de droit », qui protège en réalité les plus forts contre le bien commun, mais le peuple français, qui en a ras le bol que ses représentants se couchent devant des intérêts oligarchiques ! Rendez l'argent aux Français !
Monsieur le ministre délégué, vous n'avez pas répondu aux questions posées par Christine Pires Beaune. Avez-vous, oui ou non, rencontré, depuis janvier 2022, les dirigeants des sociétés concessionnaires ou l'Association des sociétés françaises d'autoroutes et, le cas échéant, avez-vous évoqué avec eux des projets de prolongation des contrats ? Allez-vous renforcer les moyens de l'ART et répondre au courrier du vice-président Philippe Richert du 18 janvier dernier, révélé par Marianne ? Comptez-vous soutenir l'amendement que nous avions déposé pour taxer les superprofits des sociétés autoroutières ? Enfin, à quelle date avez-vous saisi le Conseil d'État ?
Les sociétés concessionnaires bénéficient d'une rentabilité de plus de 12 %, à rapporter aux 7,6 % visés lors de la privatisation. Vous avez accru cette sur-rentabilité en diminuant l'impôt sur les bénéfices, qui a fait économiser 7,9 milliards d'euros aux sociétés autoroutières entre 2018 et 2022.
En 2006, les concessions d'autoroutes ont été bradées. Selon l'IGF, le prix de la vente a été sous-estimé de 5,9 milliards d'euros pour Vinci et Eiffage, compte tenu des dividendes versés depuis. Le contribuable a donc été spolié.
L'exploitation des autoroutes doit revenir dans le giron de l'État, ce qui n'empêcherait pas, contrairement à ce que dit Bruno Le Maire, de faire contribuer l'usager. Vous engagez-vous, à tout le moins, à ce que les nouveaux contrats éventuels ne comprennent pas les clauses aberrantes de compensation de la fiscalité qui sont actuellement applicables ?
Il s'agit de savoir si l'on veut faire payer l'utilisateur ou le contribuable. La question de la nationalisation est légitime. François Bayrou avait critiqué le fait que l'on ait privatisé les sociétés concessionnaires d'autoroutes sans réellement passer par la voie parlementaire. L'indemnisation de 30 à 40 milliards d'euros due en cas de nationalisation ne constituerait pas véritablement un frein compte tenu du taux de rentabilité interne des capitaux investis. La question est plutôt de savoir si l'État est capable de gérer les autoroutes aussi bien, voire mieux, que les sociétés concessionnaires.
Pourrait-on s'orienter vers une gestion des autoroutes par une société à capital majoritairement public mais n'excluant pas, grâce à des marchés dédiés, la participation de prestataires privés, ce qui permettrait de mieux partager risques et bénéfices ? Cette saine concurrence limiterait le risque de rente, la facture à la charge de l'usager et les coûts assumés par l'État et le contribuable.
Traverser la métropole bordelaise matin et soir le long des axes nord-sud et sud-nord, en amont et en aval de la rocade, est un exercice de patience. De surcroît, l'encombrement des voies, saturées par les camions, nuit à la qualité de l'air. La situation est bien connue des services de l'État et des élus régionaux, départementaux et municipaux. Monsieur le ministre délégué, vous avez écarté une proposition du président de Bordeaux Métropole qui consistait à expérimenter une modulation tarifaire du péage pour les poids lourds en provenance de l'A63. Il faudra toutefois trouver les financements nécessaires à la mise à deux fois trois voies de l'A63. Pensez-vous que le concessionnaire, Atlandes, pourrait financer les travaux sur la portion de 35 kilomètres séparant l'échangeur de Salles de l'entrée de la rocade bordelaise sans créer un nouveau péage sur l'A660, à hauteur de la commune du Teich ?
Lorsque les autoroutes étaient nationalisées, il existait déjà des péages. On pourrait très bien avoir des entreprises publiques rentables tout en faisant payer des péages. Par ailleurs, on nous a dit que ce n'était pas à l'État de payer pour les infrastructures. Pourtant, à l'origine, c'est bien lui qui les a financées.
Dans le cadre du renouvellement des concessions, comment peut-on mieux prendre en compte nos objectifs en termes de maillage de bornes de recharge et de création de voies réservées au covoiturage et au transport partagé ?
La loi sur l'accélération des énergies renouvelables a facilité l'installation de panneaux solaires sur les délaissés autoroutiers. Il est important de tirer parti du potentiel économique de ces espaces et d'en partager les revenus.
Monsieur Giraud, le système d'adossement prévu par la LOM est encadré par la loi et le droit communautaire, et fait l'objet d'un contrôle de l'ART. On vient souvent me voir pour me demander de financer un contournement par une concession. Le contournement ouest de Montpellier, que nous sommes en train de réaliser, est pour l'instant le seul exemple d'application du mécanisme prévu à l'article 161 de la LOM. Celui-ci exclut des adossements significatifs et ne peut donc pas être utilisé de manière systématique pour financer des infrastructures.
Monsieur Mournet, nous avons transposé, le 10 de ce mois, la nouvelle directive « Eurovignette ». Les redevances ne seront pas intégrées à la tarification des contrats existants mais uniquement à celle des contrats à venir.
Monsieur Tanguy, l'État de droit a pour fonction de protéger. Certes, les contrats ont été mal négociés sur certains points – l'évolution des tarifs, en particulier, doit être revue – mais ne faites pas croire que l'État a encaissé un argent qui serait « planqué » à Bercy ou au ministère des transports ou que les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne paient pas d'impôts. Nous avons la volonté de faire évoluer l'équilibre économique de ce modèle, mais n'employons pas des mots comme « abusif » ou « spoliation », qui justifieraient des sanctions. Nous avons défendu l'intérêt des contribuables en justice, il y a quelques mois, dans le cadre du contentieux sur la contribution volontaire exceptionnelle.
Monsieur Brun, je vais être très transparent – je peux d'ailleurs vous communiquer mes agendas, qui sont publics. Si ma mémoire est bonne, j'ai rencontré les sociétés concessionnaires à trois reprises, ce qui me semble légitime en ma qualité de ministre chargé des transports. Lors de notre première entrevue, en juillet 2022, de premières mesures de réduction tarifaire ont été décidées. Lors de notre deuxième rendez-vous, en octobre, j'ai lancé la discussion sur les mesures tarifaires et en particulier le coût des abonnements. Je les ai vues pour la dernière fois en décembre, si je ne me trompe, mais je vérifierai mon agenda et je vous apporterai les précisions nécessaires. Je les rencontrerai à nouveau, naturellement.
En juillet, nous avons parlé de l'augmentation des tarifs des péages, dans un contexte d'inflation élevée. Nous avons mis toutes les options sur la table, y compris l'extension des concessions en contrepartie de la modération tarifaire, mais je n'ai pas souhaité faire cela. Dans les derniers avenants, nous n'avons pas étendu les concessions. Aucune extension n'a eu lieu depuis 2017. Cela ne me paraît pas être la bonne méthode.
Il faut en effet renforcer les moyens de l'ART et nommer un président à sa tête.
Les ministères de l'économie et des transports ont rédigé la saisine du Conseil d'État, qui a été transmise à Mme la Première ministre. Je crois qu'elle a été signée ; si ce n'est pas le cas, elle devrait l'être dans les heures qui viennent. Lors de la présentation des orientations du plan d'avenir pour les transports, Mme la Première ministre a exprimé le souhait que les sociétés concessionnaires d'autoroutes contribuent à l'effort d'investissement exigé par la transition écologique. Nous demandons au Conseil d'État d'examiner toutes les options fiscales à notre disposition.
Madame Sas, vous avez raison, concession ne signifie pas nécessairement recours au privé. Nous avons connu un modèle concessif public, qui est devenu en partie ou en totalité privé, selon les sociétés, entre 2001 et 2005. Pour l'avenir, on doit se poser un certain nombre de questions. Les sociétés concessionnaires d'autoroutes devront-elles être partiellement ou totalement privées ? Le système public permet-il une meilleure gestion ? À mon sens, il évite les inconvénients de la surprofitabilité : lorsqu'une société publique connaît une très bonne année, l'État perçoit directement les dividendes. Vaut-il mieux recourir à des sociétés privées, mais dans un cadre contractuel plus exigeant, en particulier sur le plan fiscal ? Faut-il remettre en cause le modèle de la concession, qui peut être public ou privé ? Parmi ses nombreux avantages, le système concessif permet de se projeter sur le long terme, alors que les gestionnaires publics peinent parfois à avoir une vision pluriannuelle. Les lois de programmation ne sont qu'indicatives, et l'investissement public est soumis à des effets de yo-yo.
Les assises que je souhaite ouvrir avec le ministre de l'économie seront l'occasion de débattre de l'avenir des concessions. Dans le passé, on a agi de la pire manière qui soit, au débotté, dans le cadre d'une vision de court terme, ce qui a suscité des polémiques et alimenté des accusations de complot. Je m'engage à ce que vous soyez associés aux travaux à venir, qui nous permettront d'explorer toutes les pistes.
Les nouveaux contrats prévoient toujours une fiscalité spécifique aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, mais cet engagement de stabilité ne concerne pas la fiscalité générale : c'est l'objet du contentieux relatif à la TAT. Nous souhaitons que la fiscalité puisse évoluer en fonction des choix du législateur, sans que l'État ait à apporter de compensation. Nous avons gagné en première instance. Le jugement définitif devrait être rendu dans les mois qui viennent.
Tous les nouveaux contrats prévoient une adaptation des tarifs au taux de rentabilité : cela fait partie des points que nous avons améliorés. En outre, nous avons inséré, dans les contrats historiques, des clauses de modération tarifaire. Si la hausse du chiffre d'affaires excède de plus de 5 % l'évolution prévue, le tarif est modulé en conséquence. L'ART a jugé ces évolutions pertinentes.
Monsieur Laqhila, l'État et les collectivités locales peuvent se révéler de bons gestionnaires, mais le privé a également son utilité. Tout dépend des contrats, des incitations, de la fiscalité. Il faudra mener cette réflexion lors des assises.
Madame Panonacle, on peut moduler la tarification des péages à condition que ce soit financièrement neutre. Ce qu'un usager paie en moins, un autre usager doit le payer en plus, à moins de réduire les investissements dans le réseau autoroutier. J'ai chargé les préfets de région d'explorer toutes les possibilités de modulation dans le cadre d'un travail associant les élus concernés.
La mise à deux fois trois voies de l'A63 fait l'objet, actuellement, d'une concertation préalable organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP) jusqu'au 30 avril. Je devrai ensuite décider des suites à donner. Nous savons qu'un élargissement sur une section très longue – en l'occurrence, 35 kilomètres – est difficile à faire entrer dans l'économie d'une concession existante, mais nous serons attentifs aux résultats de la concertation. Nous en reparlerons au cours des semaines à venir.
Monsieur le président Coquerel, je crois avoir répondu à vos interrogations.
Monsieur le président Zulesi, nous aurons l'occasion d'examiner un certain nombre de vos questions en préparant, avec vous, l'ouverture des assises.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 22 mars 2023 à 17 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Philippe Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, M. Jocelyn Dessigny, Mme Stella Dupont, M. Luc Geismar, Mme Félicie Gérard, M. Joël Giraud, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, Mme Patricia Lemoine, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Louis Margueritte, M. Kévin Mauvieux, M. Benoit Mournet, Mme Christine Pires Beaune, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, Mme Eva Sas, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Manuel Bompard, Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Mattei, M. Michel Sala, M. Charles Sitzenstuhl
Assistaient également à la réunion. - M. Damien Adam, M. Jean-Yves Bony, Mme Danielle Brulebois, M. Vincent Descoeur, M. Jean-François Lovisolo, M. Pierre Meurin, Mme Laure Miller, Mme Sophie Panonacle, M. Philippe Pradal, M. Pierre Vatin, Mme Anne-Cécile Violland, M. Jean-Marc Zulesi