Commission des affaires sociales

Réunion du mardi 21 mars 2023 à 17h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

La commission auditionne M. Pierre Moscovici, premier président, Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, M. François de La Guéronnière, conseiller maître, président de section, et Mme Juliette Méadel, conseillère référendaire, sur le rapport de la Cour des comptes relatif à l'offre de soins en pédopsychiatrie, communiqué à la commission des affaires sociales en application des dispositions de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières

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Nous vous remercions, monsieur le premier président, d'être venu nous présenter les conclusions de l'enquête que nous vous avions demandé de réaliser au sujet de la pédopsychiatrie. Votre rapport a été transmis hier aux membres de la commission.

Je précise que nous attendons pour le mois de juin un autre rapport, relatif aux soins palliatifs. Ce sera un élément important dans la réflexion en cours sur ce sujet essentiel qu'est la fin de vie. J'ai également demandé, à la suite de la dernière réunion de notre bureau, que la Cour engage des travaux sur la formation médicale continue.

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

Je vous remercie vivement de m'avoir invité à vous présenter la communication de la Cour sur la pédopsychiatrie, également nommée psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent depuis la réforme du troisième cycle des études médicales. J'ai toujours un grand plaisir à vous retrouver et je suis heureux que cette audition m'en offre l'occasion, à propos d'un sujet aussi délicat que passionnant. À votre demande, la Cour s'est particulièrement mobilisée sur cette question qui concerne, directement ou indirectement, beaucoup de Français.

Vous nous avez saisis en octobre dernier d'une demande d'enquête sur la pédopsychiatrie, sur le fondement de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières. La Cour a, en effet, pour mission de contribuer à l'exercice de votre contrôle sur les dépenses sociales, y compris dans un domaine difficile à appréhender comme la pédopsychiatrie. Nous sommes très fiers de notre mission d'assistance du Parlement. J'ai ce rôle très à cœur, et je veille toujours à l'excellente qualité de notre relation institutionnelle. Sachez donc que je suis, que la Cour est toujours à votre disposition pour répondre à vos besoins d'enquête, auxquels nous attachons une attention toute particulière.

Sont présents à mes côtés ceux qui ont mené à bien ce travail de grande ampleur et, je crois, de grande qualité : François de la Guéronnière, conseiller maître et président de section, et Juliette Méadel, conseillère référendaire. Ils pourront m'aider, ainsi que Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, à répondre à vos questions, car ce sont eux les auteurs du rapport, avec Mme Lapray et M. Persoz, qui ont contribué à ce travail approfondi. Je me dois également de rendre hommage au professeur Golse, expert pédopsychiatre, pour sa contribution à nos travaux – il fallait aussi un homme de l'art.

Comme vous l'aviez demandé dans votre lettre de saisine, le rapport présente des comparaisons européennes qui permettent de mieux comprendre la situation de la France en matière d'accès et d'offre de soins en pédopsychiatrie, et de mieux anticiper les conséquences de la crise sanitaire sur la santé psychique des jeunes et dans ce secteur. En Europe, la pédopsychiatrie est majoritairement une discipline à part, liée à la fois à la pédiatrie et à la psychiatrie adulte. Ce n'était pas le cas en France jusqu'à ce que la réforme du diplôme d'État spécialisé, en 2022, corrige partiellement la situation.

L'analyse de la Cour a porté sur trois aspects principaux : l'offre de soins et son adaptation aux besoins, la lisibilité et l'accessibilité des parcours, et enfin la gouvernance.

Notre premier constat est que l'offre de soins en pédopsychiatrie est peu adaptée à des besoins qui évoluent rapidement.

La pandémie, dont nous sommes largement sortis, a mis en lumière une accélération de l'augmentation, préoccupante, des troubles psychiques de l'enfant et de l'adolescent, dont la prévalence depuis le covid est particulièrement élevée, notamment chez les plus de 10 ans.

Nous ne sommes pas les seuls confrontés à ce problème. La fréquence des troubles psychiques chez les jeunes est élevée dans tous les pays industrialisés. Dans les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), environ 13 % des enfants et adolescents présentent au moins un trouble psychique, c'est-à-dire une affection perturbant la santé mentale, qui peut prendre des formes et des expressions très différentes. Les troubles psychiques touchant les jeunes se répartissent selon une échelle de sévérité croissante : troubles anxieux et troubles de l'humeur légers, troubles anxieux modérés, dépression. Les troubles neurodéveloppementaux, parfois associés au champ du handicap, comme les schizophrénies ou les troubles du spectre de l'autisme sont, quant à eux, considérés comme chroniques et sévères.

Selon notre estimation, qui repose sur divers chiffres, 1,6 million d'enfants et d'adolescents français souffrent d'un trouble psychique. Je relève, toutefois, que le manque de données et d'études épidémiologiques récentes a rendu difficile l'établissement d'un chiffrage plus précis et n'a pas permis une définition plus fine de notre situation par rapport à la moyenne européenne.

Parmi ces enfants et ces adolescents, 190 000 souffrent des troubles les plus graves, qui peuvent conduire, par exemple, à une hospitalisation complète. Si l'on ajoute à cela les troubles nécessitant une prise en charge spécialisée en pédopsychiatrie, le nombre d'enfants et d'adolescents concernés se situe entre 600 000 et 800 000. Pour les troubles légers, la prise en charge relève des acteurs de soins primaires, les médecins généralistes et les pédiatres, en lien avec les psychologues de ville.

Notre rapport montre que, face à cet enjeu majeur de santé publique, l'offre de soins ne tient pas suffisamment compte de la diversité des troubles et des facteurs de risques.

Dans l'état actuel de l'organisation des soins, en particulier dans les centres médico-psychologiques de psychiatrie infanto-juvénile (CMP-IJ), une partie des patients suivis ne souffrent que de troubles légers, ce qui nuit parfois à la prise en charge d'enfants souffrant de troubles plus sévères. En d'autres termes, la prise en charge spécialisée n'est pas assez graduée. Une partie des enfants âgés de 5 à 18 ans qui souffrent de troubles sévères ne sont pas suffisamment suivis. L'actualité récente en a donné un exemple particulièrement glaçant. On ne parvient pas à appréhender certaines situations qui peuvent se révéler préoccupantes et même dangereuses.

L'adéquation de l'organisation de l'offre de soins aux besoins dans les territoires reste difficile à apprécier, car il est difficile d'estimer correctement la sévérité des troubles. Ces derniers ne sont pas stabilisés – ils sont même particulièrement évolutifs – chez les enfants et les adolescents, du fait de l'importance des risques sociaux, économiques et familiaux, ainsi que du fait de la fréquence des comorbidités.

L'accès aux soins psychiques infanto-juvéniles est inégal suivant les territoires. Sur ce plan, les inégalités d'accès aux CMP-IJ sont exacerbées par la présence ou non d'une offre libérale en pédopsychiatrie, qui est davantage présente en zone urbaine qu'en zone rurale. La politique du virage ambulatoire, visant à supprimer des lits d'hôpitaux au profit d'une prise en charge en CMP-IJ, a été appliquée indistinctement, quelle que soit la situation territoriale. Ainsi, entre 1986 et 2013, le nombre de lits a diminué de 58 % alors que la population augmentait. Les CMP-IJ sont donc devenus progressivement le principal lieu de prise en charge.

Par ailleurs, la crise de la démographie médicale, qui s'est notamment traduite par une baisse de 34 % du nombre de pédopsychiatres entre 2011 et 2022, rend très difficile l'accès aux soins, même si ce phénomène est plus marqué dans certains territoires que dans d'autres.

Enfin, la dépense publique en matière de pédopsychiatrie, qui est de l'ordre de 2,08 milliards d'euros, demeure concentrée à 90 % sur les établissements de santé publics et privés à but non lucratif, lesquels représentent 1,8 milliard d'euros de dépenses. En la matière, les dépenses de soins de ville restent modestes, puisqu'elles sont d'environ 23 millions par an – la disproportion est donc très grande. À cela s'ajoutent les dépenses réalisées par les établissements sociaux et médico-sociaux pour la prise en charge des soins psychiques des enfants et des adolescents, à hauteur de 1,06 milliard. Le total s'élève donc à environ 3,1 milliards.

La Cour recommande de dresser un état des lieux exhaustif de la situation épidémiologique des troubles psychiques chez les enfants et les adolescents en France, notamment en élargissant aux adolescents l'étude nationale qui a été lancée en 2022 et en exploitant davantage les bases de données médico-administratives. La Cour suggère que cet état des lieux soit fait rapidement et qu'il soit actualisé au moins tous les dix ans. Cela doit être une priorité.

Notre deuxième grand constat est que les parcours de soins en pédopsychiatrie, secteur en tension, sont peu lisibles.

Ce phénomène s'explique, tout d'abord, par l'absence d'une gradation cohérente de l'offre de soins. Les acteurs de la prévention sont en effet dispersés et peu coordonnés. Les missions assignées au secteur par la circulaire du 16 mars 1972 sont très larges : prévention, accueil et orientation, prise en charge des troubles, coordination entre les différents acteurs du soin, continuité du service public. Les acteurs de premier niveau, pour les soins de proximité, sont aussi des acteurs de second niveau, pour la prise en charge des troubles plus sévères. Les textes ultérieurs ont également confié à d'autres professionnels, notamment libéraux, une partie des missions de premier recours ou de proximité, si bien que le rôle de chacun dans l'organisation des soins, qui n'est plus vraiment graduée, n'est pas très clair.

Dans ce contexte, les CMP-IJ, longtemps considérés comme les pivots du secteur et les portes d'entrée dans les parcours de soins, ont été progressivement submergés par les demandes d'information, de conseil, d'évaluation et de suivi, pour des troubles allant de légers à sévères. L'accès universel à ces centres, c'est-à-dire sans condition et sans avance de frais pour les familles, a eu un effet paradoxal : ils ne parviennent pas à assurer en totalité leur véritable mission de suivi des troubles psychiques les plus sévères. Près de 50 % de leur travail consiste à recevoir, pour des séances d'évaluation et d'orientation, des patients qui, malheureusement, ne bénéficient pas ensuite d'un suivi au long cours. Bien qu'importante, cette mission d'accueil et d'évaluation limite la capacité des CMP-IJ à assurer le suivi dans le temps des enfants qui en ont le plus besoin, alors que cela devrait être leur mission essentielle.

Par ailleurs, les professionnels de ville jouent imparfaitement leur rôle d'évaluation et d'orientation auprès des familles.

Ainsi, les troubles psychiques sont encore peu repérés par les médecins généralistes et les pédiatres. En amont des parcours, les pouvoirs publics ont bien tenté de développer, avec le projet national dit des « 1000 premiers jours » une approche de prévention des troubles psychiques des mères et des nourrissons, mais cet effort ne s'est malheureusement pas encore poursuivi aussi fermement à l'école, malgré quelques initiatives ponctuelles. Les psychologues de l'éducation nationale sont encore trop tournés vers des missions d'orientation scolaire qui les éloignent de la détection et de l'orientation des jeunes souffrant de troubles psychiques, lesquels peuvent ainsi ne pas être repérés.

De la même façon, les professionnels libéraux, qu'ils soient généralistes ou spécialistes, méconnaissent encore trop les caractéristiques des troubles psychiques des enfants et des adolescents et ne jouent donc pas suffisamment leur rôle de porte d'entrée dans le parcours de soins. Nous jugeons qu'une amélioration de leur formation est nécessaire pour leur permettre de mieux accompagner les patients et les familles. Cette recommandation est d'autant plus importante que les psychiatres libéraux sont, à ce jour, majoritairement au service d'une patientèle adulte et ne participent pas à la permanence des soins. Dans le même temps, la démographie des pédopsychiatres, dont les effectifs sont difficiles à dénombrer, est défavorable à court terme et ne leur permet pas d'assurer leur rôle de recours en tant que spécialistes.

Si les psychiatres et pédopsychiatres manquent à l'appel, les psychologues libéraux sont, en revanche, en plein essor et ils ont vocation à prendre progressivement une place dans le parcours de soins.

Pour répondre aux enjeux propres à ces parcours de soins, la Cour formule trois recommandations.

Tout d'abord, il conviendrait de faciliter, pour tous, l'accès aux soins psychiques infanto-juvéniles, en rassemblant les services compétents au sein de maisons de l'enfance et de l'adolescence. Il s'agit de tirer les leçons de l'expérimentation des maisons de l'enfance et des familles et d'en élargir le champ aux actuelles maisons de l'adolescence pour renforcer et rationaliser l'accueil de première ligne. Ces structures auraient pour objectif de pallier les carences actuelles du maillage territorial de première ligne.

Dans ce paysage renouvelé, les CMP-IJ pourraient se recentrer progressivement sur leur mission : assurer le suivi des troubles modérés à sévères et la coordination des parcours, en particulier lors d'une hospitalisation, et jouer pleinement leur rôle de centre d'expertise, notamment pour les professionnels libéraux, en se défaisant de la mission d'accueil et d'orientation qui leur prend tellement de temps qu'elle limite leur capacité à jouer pleinement leur rôle principal.

Enfin, pour anticiper et limiter le recours aux services d'urgences lorsqu'un patient est en crise, les équipes mobiles et de liaison devraient devenir des dispositifs de base dans chaque territoire de référence.

En fonction de l'analyse des besoins, des lits de crise en nombre limité pourraient également être ouverts, notamment pour des adolescents, par redéploiement de lits pour adultes. Il importe de remédier aux manques actuels.

Notre troisième et dernier constat est relatif à la gouvernance de cette politique de santé publique. Malgré un volontarisme indéniable, elle est peu efficiente et encore inadaptée à l'indispensable revitalisation de la pédopsychiatrie.

La politique de l'offre de soins dans ce domaine a certes fait l'objet d'améliorations, mais elle demeure, selon nous, encore trop peu efficiente, faute de cohérence. Jusqu'en 2018, il n'y avait pas de stratégie d'offre de soins. La situation se caractérisait alors par l'absence d'un cadrage législatif global portant spécifiquement sur la pédopsychiatrie. La mobilisation a ensuite été nette, ce que nous saluons évidemment.

Toutefois, la mobilisation qui a eu lieu s'est surtout caractérisée par un empilement de plans peu lisibles – c'est mieux que rien du tout, mais la lisibilité est essentielle. Le Gouvernement a adopté une feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie, mais ce document n'avait pas d'objectifs clairs, quantitativement comme qualitativement, ni de calendrier d'application.

La définition d'objectifs nationaux de santé mentale infanto-juvénile, associés à un calendrier précis et à des indicateurs, permettrait aux principaux acteurs de s'inscrire dans un cadre d'action clair et lisible, partagé par tous. Ces objectifs faciliteraient, de surcroît, l'évaluation de l'efficacité de l'organisation des soins. Les objectifs que nous appelons de nos vœux aideraient à mieux structurer et planifier cette politique, ce qui devrait permettre d'assurer, in fine, une meilleure qualité de service pour les patients.

L'amélioration de l'offre de soins passera nécessairement par un renforcement de l'action administrative. La Cour propose trois pistes afin d'améliorer la gouvernance et le pilotage de la politique d'offre de soins en matière de pédopsychiatrie.

Tout d'abord, il conviendrait de renforcer la délégation à la santé mentale et d'élargir son champ d'intervention à la pédopsychiatrie, ou psychiatrie infanto-juvénile. Le rôle et la place du délégué doivent être mieux identifiés et plus transversaux, car la pédopsychiatrie concerne fortement le secteur éducatif.

Il faudrait ensuite repositionner cette délégation au niveau interministériel. Du côté de l'éducation nationale, de la justice ou des ministères sociaux, un besoin de coordination existe. Cette interministérialité doit permettre de mieux associer les représentants des départements dans le cadre de leurs compétences sociales – protection maternelle et infantile (PMI) ou aide sociale à l'enfance. Nous avons insisté dans notre dernier rapport public annuel, paru la semaine dernière, et qui était consacré à la décentralisation, sur la nécessité d'une bonne articulation.

Enfin, le pilotage régional de l'offre de soins de pédopsychiatrie doit être conforté et objectivé. La nécessité d'améliorer l'offre de soins au niveau régional, qui souffre d'un manque de vision opérationnelle, fait désormais l'objet d'un diagnostic partagé. Les agences régionales de santé (ARS) se sont certes dotées d'outils de concertation utiles pour le partage de vues et d'expériences entre les acteurs locaux, par l'adoption de projets territoriaux de santé mentale (PTSM), mais la mise en œuvre de ces outils n'est pas évidente.

Le système de financement du secteur, qui a évolué, nécessite également de faire preuve de vigilance. Le financement de la pédopsychiatrie relève, vous le savez, du même régime que celui de la psychiatrie. Les dotations sont historiquement reconduites d'une année sur l'autre sans prise en compte de l'évolution de l'activité, et elles s'adaptent peu aux spécificités locales des établissements, à l'exception des mesures nouvelles et des appels à projets. Si la réforme issue de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 visait à introduire plus de souplesse, elle ne permet pas d'adapter les financements à l'activité des services de pédopsychiatrie, faute de mesure de l'intensité des troubles traités et de la prise en compte des nouveaux établissements. Cela pose la question de la capacité des ARS à faire émerger de nouveaux opérateurs et à redéployer l'offre existante.

Ainsi, au terme de cette enquête, il apparaît que les priorités sont de revitaliser le secteur du soin psychique et infanto-juvénile et de renforcer l'attractivité des métiers. L'offre de soins présente en effet des carences sur les plans quantitatif et qualitatif. L'efficacité du pilotage de la politique de l'offre de soins doit être améliorée, tant dans l'administration centrale qu'en région. Au préalable, deux actions doivent être engagées.

En premier lieu, les médecins traitants des enfants – qu'il s'agisse de généralistes ou de pédiatres – doivent être placés au cœur de l'accueil et de l'orientation. Cela suppose de renforcer leur formation initiale et continue en psychologie et en psychiatrie infanto-juvéniles, en particulier pour le dépistage et l'orientation, domaines dans lesquels on constate des lacunes incompréhensibles.

En second lieu, le déploiement d'une politique d'attractivité en faveur de la pédopsychiatrie repose sur la valorisation des parcours hospitalo-universitaires, sur le soutien à la recherche française dans la discipline et sur une meilleure reconnaissance de la pratique clinique, dans les établissements comme en libéral.

Pour conclure, je voudrais insister à nouveau sur trois impératifs.

D'abord, l'accès aux soins doit être mieux organisé, en formant les professionnels de première ligne et en renforçant les moyens dans les territoires sous-dotés.

Ensuite, il importe de faire de la psychiatrie infanto-juvénile une priorité de santé publique et de rendre le pilotage plus efficace.

Enfin, les professionnels doivent être davantage reconnus, de manière à résoudre les tensions en matière d'offre et d'organisation des soins.

Cette enquête nous a passionnés, et je suis convaincu qu'elle suscitera un grand intérêt. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos observations, notamment sur des points que je n'ai pas eu le temps de développer davantage, comme les comparaisons internationales ou l'évolution des prescriptions de psychotropes pour des enfants et des adolescents – enjeu d'actualité, sur lequel la Haute Autorité de santé a insisté ; même si la France ne se situe pas, en la matière, dans le haut de la fourchette, on constate une dynamique qu'il importe de surveiller.

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Nous en venons aux interventions des porte-parole des groupes.

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C'est avec un grand intérêt que nous avons pris connaissance de ce rapport d'enquête. La souffrance psychique des jeunes, révélée à l'occasion de la crise du covid, est un phénomène très inquiétant. À la suite des assises de la santé mentale et de la psychiatrie, un plan a été engagé. Selon le bilan d'étape présenté le 3 mars, notre pays a déploré, en 2020, 2,2 suicides pour 100 000 jeunes âgés de 0 à 24 ans, soit 464 décès, avec un pic chez les jeunes filles de 15 à 19 ans. En 2022, le nombre d'hospitalisations pour lésions auto-infligées chez les jeunes femmes de moins de 24 ans, et surtout chez les 10-14 ans, a augmenté de 71 % en médecine, chirurgie, obstétrique et de 130 % en psychiatrie par rapport à l'avant-crise. Les professionnels alertent également sur le développement de ce phénomène chez les enfants de moins de 10 ans.

Les psychologues sont encore trop peu associés à la prise en charge de ces troubles, alors même que la crise du covid a démontré la qualité de leur travail et conduit à la création du dispositif MonParcoursPsy, dans le cadre de la LFSS 2022 – depuis avril dernier, les personnes souffrant de troubles psychiques d'intensité légère à modérée bénéficient ainsi de huit séances remboursées par l'assurance maladie, assurées par 2 200 psychologues volontaires ; ce dispositif est ouvert dès l'âge de 3 ans. Nous devons continuer à redresser le secteur de la psychiatrie et améliorer la prise en charge des enfants. Les assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, pilotées par Adrien Taquet et Christèle Gras-Le Guen, se poursuivent ; la restitution de leurs travaux, prévue en juin 2023, doit contribuer à atteindre ces objectifs. Parmi les priorités figurent l'amélioration de l'offre de soins dans les territoires et une meilleure adéquation entre les moyens et les besoins. L'offre de soins doit également être plus homogène.

Dans le Maine-et-Loire, nous avons un centre de psychothérapie performant. Installé dans un secteur très rural, il draine une population de jeunes – mineurs et majeurs – dans un périmètre large. Toutefois, le système de facturation pour les mineurs et les jeunes majeurs est à revoir. Alors que les demandes de prise en charge augmentent, le budget est contraint : reconduit chaque année, il ne permet pas de financer l'intervention d'un deuxième pédopsychiatre. Cet exemple illustre le constat dressé dans le rapport : les dotations sont reconduites d'une année sur l'autre, sans que l'on prenne en compte l'évolution de l'activité ou la nécessité de s'adapter aux spécificités locales. Pour y remédier, vous proposez une évolution des logiques de financement de la pédopsychiatrie.

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Le rapport est édifiant : vous y pointez le doublement, durant la crise de la covid, de la part des adolescents et des jeunes adultes en dépression : 22 % en 2020, contre 10,1 % en 2019. Parallèlement, une augmentation de 179 % de la consommation d'antidépresseurs a été observée entre 2010 et 2021 chez les 6-17 ans.

Il faut renforcer les moyens consacrés à la prévention et à la prise en charge précoce des maladies psychiques affectant cette population fragile. Nous sommes les mauvais élèves de l'Union européenne en la matière ; pourtant, le Gouvernement n'a visiblement pas saisi l'urgence de la situation. Agir en amont permet de traiter efficacement certaines maladies, par exemple les troubles bipolaires. Faut-il rappeler, par ailleurs, que les erreurs et les retards de diagnostic entraînent un traitement médicamenteux inadapté et peuvent, dans les cas les plus graves, s'avérer fatals, compte tenu des risques de suicide ? Il est urgent d'élaborer une stratégie ambitieuse pour faire en sorte que les moyens alloués aux politiques sanitaires répondent aux constats de la Cour des comptes.

Enfin, comment ne pas parler des disparités entre les territoires ? Dans mon département, le Nord, le taux d'équipement en lits d'hospitalisation complète infanto-juvénile était, en 2021, de 0,1 pour 1 000 habitants de moins de 18 ans ; à Paris, il est supérieur à 1,6. Je pourrais d'ailleurs insister sur la situation dramatique des urgences pédopsychiatriques de l'hôpital de Douai-Dechy, dans ma circonscription.

Quelles mesures prioritaires doivent être prises pour la prévention et la prise en charge des troubles psychiques ? Dans quels territoires le déficit en matière de prise en charge est-il le plus criant ? Quelles actions concrètes doivent être menées en leur direction ?

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En juillet 2022, j'ai réservé l'un de mes premiers déplacements en tant que députée à l'établissement public de santé mentale de la Sarthe, à Allonnes. Une phrase est ressortie de mes échanges avec le personnel soignant : « On n'est plus au pied du mur, il est déjà tombé. »

Si la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine, la pédopsychiatrie est son enfant pauvre. Ce n'est pas une découverte pour moi : cette réalité a été mon quotidien d'éducatrice spécialisée en pédopsychiatrie pendant de nombreuses années, jusqu'à mon élection. Depuis des années, les professionnels, les parents, les patients et les élus tirent la sonnette d'alarme. Selon le rapport, environ 1,6 million d'enfants et d'adolescents français souffrent d'un trouble psychique, mais à peine la moitié bénéficie de soins pédopsychiatriques. Les besoins sont en constante augmentation, et la crise du covid a agi comme un amplificateur. Pourtant, les moyens ne suivent pas.

Le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34 % entre 2010 et 2022. Du fait de la suppression de lits, de nombreux enfants souffrant de troubles moyens à sévères se retrouvent dépourvus de la possibilité d'un suivi de long terme. Les CMP-IJ, devenus le principal lieu de prise en charge en ambulatoire, arrivent à saturation. Dans certains territoires, les patients et leur famille attendent une prise en charge pendant deux ans. Et je ne parle pas des ruptures dans les parcours de soins.

Lors des assises de la santé mentale et de la psychiatrie, le Gouvernement a annoncé la création de 400 postes dans les CMP-IJ, soit quatre par département, ce qui est largement insuffisant. Votre rapport recommande lui aussi de renforcer les moyens alloués aux CMP-IJ dans les territoires sous-dotés. La Cour a-t-elle évalué le nombre de postes supplémentaires qu'il faudrait créer, et l'investissement que cela induirait, afin de réduire les délais d'attente pour une prise en charge ? La feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie ne fixe ni objectifs clairs ni calendrier.

Il faut impérativement prendre en compte les conclusions de ce rapport, changer de cap et gouverner en partant des besoins, comme l'avait déjà demandé ma collègue Caroline Fiat dans un rapport d'information publié en 2019.

Comment peut-on réellement prendre soin de la santé mentale de nos enfants alors qu'aucun plan sérieux ni aucune gouvernance opérationnelle et transversale n'existent ? Combien de rapports faudra-t-il écrire ? Combien de fois devrons-nous tirer la sonnette d'alarme avant que l'on agisse ?

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Notre commission est très préoccupée par la question de l'accès aux soins pédopsychiatriques. Nous vous remercions donc pour ce travail.

Votre première recommandation est révélatrice des carences du système, puisqu'elle consiste à suggérer à l'État d'établir un état des lieux complet. Les difficultés s'expliquent notamment par la pénurie de médecins liée à la démographie médicale. Les établissements, surchargés, ne sont plus en mesure de répondre aux besoins. Par ailleurs, le choix de l'ambulatoire s'est avéré préjudiciable pour l'accès de tous aux soins.

Néanmoins, vous relevez que notre situation est comparable à celle de nos voisins européens : partout les besoins augmentent et la jeunesse est en difficulté. Quels moyens ces pays mobilisent-ils pour résoudre le problème ?

Je crois avoir compris que vous dénonciez une absence de politique publique volontariste, efficace et lisible, mettant au rang des priorités l'accès aux soins des enfants souffrant de troubles psychiatriques. Pourriez-vous me le confirmer ? L'ARS doit-elle piloter cette politique publique ? Sinon, quel ressort serait le plus adéquat pour offrir une réponse satisfaisante dans tous les territoires ?

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Ce rapport sera pour nous un outil précieux.

Votre deuxième recommandation concerne, d'une part, le renforcement de la formation initiale et continue des praticiens en psychologie et psychiatrie infanto-juvéniles et, d'autre part, l'attractivité même de ces métiers. J'évoquerai plus précisément, pour ma part, la situation des infirmiers exerçant dans les unités de soins pédopsychiatriques.

Alors que la prise en charge des jeunes patients se heurte à une baisse significative de la démographie médicale dans le domaine de la santé psychique, l'Observatoire national des violences en milieu de santé fait état de l'ampleur du phénomène au sein des unités psychiatriques : les violences qui y sont commises représentent jusqu'à 22 % des signalements.

En 1992, le diplôme d'infirmier en soins psychiatriques a été fondu dans le diplôme d'État d'infirmier en soins généraux. Depuis 2018, le dispositif de formation des infirmiers en pratique avancée (IPA) permet une spécialisation en santé mentale. Toutefois, selon le rapport, seuls 69 étudiants ont été diplômés dans cette spécialité en 2022, alors que 300 places étaient proposées. Certains praticiens déplorent le manque de spécialisation et de formation pour les soignants du champ pédopsychiatrique et psychiatrique. Quelles recommandations feriez-vous pour améliorer l'attractivité de ce domaine et les conditions d'exercice des praticiens ?

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Mon groupe estime nécessaire de faire de la santé mentale la cause essentielle du quinquennat.

Les troubles psychiques sont en forte augmentation depuis le covid, mais la tendance est bien antérieure. Votre rapport met en relation la fréquence des troubles et les conditions environnementales, sociales et économiques défavorables. Ne pensez-vous pas que ce constat devrait nous conduire à nous interroger sur les modes de vie des enfants et adolescents, qui sont influencés par le malaise que connaît leur famille ? Des préconisations pourraient-elles être faites pour analyser les facteurs favorisant l'émergence des troubles ?

Dans un rapport adopté le 7 mars, le Conseil de l'enfance et de l'adolescence a mis en évidence également la forte augmentation de la consommation de psychotropes chez les jeunes : plus 48,5 % d'antipsychotiques, plus 62,58 % d'antidépresseurs et plus 155 % d'hypnotiques en dix ans. Ces prescriptions médicamenteuses augmentent alors que les CMP se voient contraints d'allonger sans cesse leurs délais de prise en charge – ils dépassent parfois deux ans – et que les services de PMI et de médecine scolaire sont exsangues.

Nous ne pouvons que nous alarmer de l'importance des soins médicamenteux, au détriment de l'accompagnement psychothérapeutique, éducatif et social, qui devrait pourtant être la première réponse à ces troubles. Elle est fournie par les CMP, où travaillent des équipes pluridisciplinaires faisant preuve de professionnalisme et d'inventivité pour aider les jeunes en souffrance psychique, y compris lorsque ces derniers présentent des troubles sévères.

Le rapport met l'accent sur le fait que de nombreux troubles sont mal pris en charge et que l'offre de soins est inadéquate. La présence d'un nombre de professionnels suffisant est déterminante dans ce domaine. En tirez-vous des conclusions en matière de besoins humains ?

Les psychologues sont armés pour identifier les troubles psychiques, orienter et soigner. Ne pensez-vous pas que leurs compétences devraient être enfin reconnues et qu'ils ont un rôle à jouer dans le redressement de la pédopsychiatrie ?

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L'organisation de l'offre de soins en pédopsychiatrie est un enjeu majeur. Comme vous l'avez souligné, il est difficile d'apprécier l'adéquation de l'offre aux besoins dans les territoires en raison de la complexité des troubles psychiatriques chez les enfants et adolescents. Du reste, il existe de nombreux déserts médicaux, où l'accès aux soins dans son ensemble est freiné.

Le rapport souligne les différences de dotation entre les territoires. Un grand nombre d'entre eux sont largement sous-dotés s'agissant de la pédopsychiatrie : 80 % des psychiatres exercent dans les villes de plus de 50 000 habitants. Comme pour le reste des médecins, on observe de forts déséquilibres régionaux : il y a plus de psychiatres exerçant en libéral dans les zones urbaines que dans les zones rurales. En conséquence, la densité de psychiatres libéraux spécialisés en pédopsychiatrie est de 2,2 pour 1 000 habitants de moins de 18 ans à Paris, tandis qu'elle n'est que de 0,4 dans le département de l'Aude, par exemple.

Le ministère de la santé et de la prévention a engagé l'amélioration du matériel de soin dans certains territoires – en particulier dépourvus de lits. Ce renforcement devrait se poursuivre dans les territoires prioritaires. Pour améliorer la prise en charge globale, faut-il cibler également des territoires surdotés ou suffisamment dotés, ou bien est-il plus pertinent d'orienter les professionnels de la pédopsychiatrie vers des territoires sous-dotés en utilisant des mesures incitatives ? Il faudrait, parallèlement, développer l'attractivité du métier.

Par ailleurs, de nombreux professionnels ne sont pas formés à la pédopsychiatrie : il importe d'y remédier.

Améliorer la prise en charge des jeunes souffrant de troubles psychiques et garantir la continuité des soins permettrait de faire des économies dans les territoires isolés, qui font état, en la matière, de dépenses disproportionnées.

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Les enfants exposés à des dysfonctionnements familiaux ou à la précarité présentent un risque bien plus important de développer des troubles psychiques. Selon le rapport, 55 % des adolescents hospitalisés dans les services de psychiatrie pour adultes sont pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Que pensez-vous de ce constat alarmant, alors que les inégalités explosent ?

La pédopsychiatrie est confrontée aux mêmes difficultés que l'ensemble du système de soins et d'accompagnement : absence, jusqu'en 2018, d'une programmation pluriannuelle et d'une vision coordonnée sur le long terme des services ; déficit d'attractivité des métiers – le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34 % depuis 2010 ; difficile coordination entre la ville et les établissements, renforcée par l'effondrement de la démographie médicale – plus d'une dizaine de départements ne disposent d'aucun pédopsychiatre libéral ; inadéquation entre les moyens et les missions – l'exemple des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) est flagrant ; politique de prévention encore timide.

Du fait de ces lacunes, la prise en charge de certains adolescents pour des soins urgents est assurée dans des services pour adultes, ce qui revient à les exposer à un risque traumatogène majeur. Par manque de lits, l'État contribue à mettre en danger des enfants déjà particulièrement vulnérables.

Vos recommandations sont multiples : formation des professionnels de premier recours, développement des équipes mobiles, ou encore généralisation des maisons des enfants et des adolescents. « En l'absence de possibilité de dépassement de l'enveloppe nationale de financement de la psychiatrie, toute nouvelle création s'effectuera en ponctionnant les établissements existants », écrivez-vous toutefois. Tant que les moyens seront déployés à budget constant, nous ne sortirons pas de l'impasse et du rafistolage permanent.

Au cours des vingt dernières années, le nombre d'enfants suivis chaque année en pédopsychiatrie a augmenté de plus de 60 %. Pourtant, nous ne nous sommes toujours pas dotés des indicateurs nécessaires pour développer une offre adéquate, dans une logique populationnelle. Dès lors, comment faire en sorte que les recommandations pertinentes de ce rapport se traduisent en actes ?

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La crise de la pédopsychiatrie n'est pas nouvelle. Elle s'inscrit dans celle plus globale de notre système de soins, qui se traduit tout particulièrement par l'abandon de la psychiatrie publique.

Ce qui est nouveau, en revanche, c'est l'augmentation sans précédent des troubles psychiques chez des enfants et des adolescents depuis la pandémie et ses conséquences – confinements, contexte anxiogène et rupture sociale. Le dernier bulletin de Santé publique France sur la santé mentale, publié en avril 2022, soulignait une nette augmentation des gestes suicidaires chez les 15-24 ans. Face à la recrudescence des besoins en pédopsychiatrie, bon nombre d'études relèvent les réponses parfois déficientes par manque de soignants et de structures adaptées. En octobre 2022, dans trente-deux départements, on ne recensait qu'un seul pédopsychiatre.

Le rapport que vous avez présenté indique que le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34 % entre 2010 et 2022 et que le virage vers l'ambulatoire a conduit à fermer des lits indistinctement, tant pour les adultes que pour les enfants. La Défenseure des droits a solennellement écrit à la Première ministre en juin dernier pour l'alerter sur l'insuffisance des moyens : défaillance d'ensemble en ce qui concerne les actes de prévention, mais aussi en matière d'écoute et de recueil de la parole de l'enfant ; fermetures de lits en pédopsychiatrie ; hospitalisations d'enfants dans des lits de psychiatrie adulte.

C'est dans ce contexte inquiétant que nous attendions votre rapport. Il est grandement surprenant d'y lire, dès le sous-titre qui figure en première page, que l'état alarmant de la pédopsychiatrie ne relèverait que d'une question de réorganisation de l'accès à l'offre de soins. Comment parler de réorganisation de l'offre quand il n'y en a pas, ou si peu ? Comment penser sérieusement que les délais d'attente exorbitants pour consulter un pédopsychiatre – qui varient, dans certains départements, entre un et deux ans – ne sont que la conséquence d'une mauvaise organisation de l'accès aux soins ?

Certaines de vos recommandations apparaissent de bon sens. D'autres suscitent davantage de questions : redéployer des lits d'adultes, en nombre insuffisant, afin d'en faire des lits pour adolescents ; opérer des glissements de compétences entre psychiatres libéraux, psychologues et pédopsychiatres ; ou encore donner de nouvelles compétences aux IPA. Ces recommandations contournent le vrai problème, celui de la reconnaissance des besoins et de la profession de pédopsychiatre, celui du manque de moyens humains et financiers.

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Les chiffres évoqués sont source d'une vive inquiétude : 34 % de pédopsychiatres en moins en dix ans seulement. Sur les 2 000 praticiens en activité, seulement 1 000 le seront encore en 2035. Les pédopsychiatres sont donc en voie de disparition alors que, dans le même temps, la prévalence des symptômes dépressifs et des détresses psychologiques augmente chez les jeunes.

Pour faire face à ce problème, il faudrait doubler le nombre d'étudiants formés à la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent durant les quinze prochaines années. Je vous répète le refrain, car les mêmes causes produisent les mêmes effets : filière peu attractive, moins bien rémunérée, qui manque de reconnaissance et avec des conditions de travail qui se détériorent.

Sans surprise, le même constat s'applique à la pédiatrie libérale, dont l'état est jugé préoccupant par un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales de 2021. Il souligne l'effet dissuasif exercé sur les vocations par le poids de la permanence des soins. Résultat : 3 100 pédiatres libéraux en exercice, et leur nombre sera divisé par deux en 2050 – alors même que certains départements comptent un pédiatre pour 100 000 habitants. In fine, 85 % des consultations pédiatriques de ville ont lieu chez un médecin généraliste.

Face à ce constat, je vous soumets deux pistes de travail.

Premièrement : un choc d'attractivité pour la médecine libérale – tant pour la pédopsychiatrie que pour la pédiatrie et la médecine générale –, avec une revalorisation de ces professions en vue d'en augmenter les effectifs.

Deuxièmement : une meilleure organisation territoriale des ressources, notamment grâce à un renforcement des missions spécialisées des pédiatres de ville et de la formation initiale et continue des médecins généralistes à la santé de l'enfant. À cet égard, êtes-vous favorable à la création d'une option « santé de l'enfant » au sein du diplôme d'études spécialisées de médecine générale et à l'inclusion d'un semestre de pédopsychiatrie dans la maquette d'internat des pédiatres ?

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Nous en venons aux questions des autres députés.

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En février, Agnès Lassalle, professeure à Saint-Jean-de-Luz, a été poignardée par un de ses élèves au beau milieu de son cours. Le coupable, un jeune garçon de 16 ans, était inconnu des services de l'aide sociale et de l'assistance éducative. Lors de sa garde à vue, il a évoqué une « petite voix » qui l'incitait à faire du mal. Ce malheur, qui nous a tous profondément touchés, est peut-être lié au sujet du rapport que vous présentez : l'offre l'insuffisante de soins en pédopsychiatrie.

Tel est le cas dans le Tarn : les suppressions de lits et la réduction constante des moyens de pédopsychiatrie ont conduit à la fermeture du service des urgences psychiatriques de la fondation du Bon Sauveur. Les patients sont redirigés vers des hôpitaux qui ne disposent pas des compétences pour accueillir des jeunes. Les causes de cette insuffisance sont nombreuses, mais on peut relever en premier lieu le problème des sous-effectifs. Selon un rapport du Sénat de 2017, il n'y avait en moyenne que 15 pédopsychiatres pour 100 000 jeunes de moins de 20 ans. Depuis 2018, le ministère de la santé a lancé chaque année des appels à candidatures pour des postes de chefs de clinique, mais seulement 32 postes ont été créés depuis quatre ans. Vous indiquez vous-même que le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34 % entre 2010 et 2022, alors qu'environ 1,6 million d'enfants et d'adolescents souffrent d'un trouble psychiatrique.

Vous recommandez de doubler le nombre d'étudiants spécialisés en pédopsychiatrie. Nous nous en réjouissons, puisque La France insoumise réclame depuis longtemps la fin effective du numerus clausus et le financement massif de places en faculté de médecine. En effet, il faut se poser la question des moyens.

Quels sont les investissements supplémentaires de l'État nécessaires pour atteindre cet objectif de doublement du nombre d'étudiants ?

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Vous avez fait différentes recommandations, dont l'une consiste notamment à clarifier la fonction d'IPA en pédopsychiatrie. Quel regard porte la Cour sur la pratique avancée pour faire face au manque de médecins et, surtout, par rapport à son modèle économique libéral ? La proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé face à la pénurie de médecins, qui devrait bientôt être discutée en commission mixte paritaire, prévoit un accès direct aux IPA et leur accorde un rôle accru en matière de prescription.

La LFSS 2020 a prévu une réforme du financement des établissements de santé qui entre progressivement en vigueur depuis 2022. Tous ces établissements seront financés par plusieurs dotations – en fonction de la population et de la qualité et de la sécurité des soins, mais aussi en faveur de l'innovation et de la recherche. Ces financements ne dépendent pas de l'activité. Cependant, votre rapport souligne le risque de pérennisation d'une forme de statu quo, car les établissements qui accueillent les jeunes patients souffrant des troubles psychiques les plus graves sont moins soutenus. Faudrait-il réintroduire une forme de tarification à l'acte pour les cas sévères ?

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Le nombre d'enfants concernés par les troubles psychiques est éloquent : ils sont 1,6 million, dont 190 000 cas graves.

Quelle articulation imaginez-vous entre les CMP-IJ, les CMPP et les centres d'action médico-sociale précoce ? Vous avez aussi évoqué les maisons de l'enfance. Comment tout cela va-t-il se structurer ? On a l'impression que l'on ajoute une couche supplémentaire.

Vous avez abordé les problèmes d'accès aux soins. On mesure les difficultés de mobilité, notamment pour les familles monoparentales, ainsi que celles des équipes médicales pour établir un contact avec les parents. L'un des problèmes est que lors des négociations sur les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, les ARS raisonnent souvent à moyens constants alors que l'on souhaite déployer des antennes de proximité.

Vous avez évoqué les fractures territoriales. Certains territoires ne disposent pas de contrat local de santé mentale. Comment corriger cela ? Si l'on fait l'impasse sur les moyens, on n'y arrivera pas. On voit bien que l'on déshabille Pierre pour habiller Paul. Or il faut s'occuper des deux.

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La détection précoce des troubles psychiques de l'enfant fait intervenir les professionnels de santé, mais également les personnels scolaires. Ce qu'on appelle les troubles de l'attention, dont l'hyperactivité, se multiplient. La maladie psychiatrique est différente selon qu'il s'agit d'un enfant ou d'un adulte. Elle est évolutive dans le premier cas.

Il est nécessaire de détecter les troubles précocement et de les traiter de manière adaptée. Cela suppose parfois de franchir quelques barrières et de faire des efforts en matière de recherche. Des traitements préconisés pour les adultes – comme le Risperdal – sont aussi utilisés de manière temporaire par certains pédopsychiatres afin d'éviter une évolution vers une maladie psychiatrique.

Pour éviter cette évolution, il faut que se mobilisent non seulement les professionnels de santé, mais aussi l'ensemble de la collectivité éducative. La détection et le traitement précoces des troubles mentaux sont nécessaires également pour lutter contre les nombreux troubles de l'addiction. Nos enfants sont fragiles et les tentations sont nombreuses. Peut-être ai-je lu trop rapidement le rapport, mais le sujet de la détection précoce et de la recherche mériterait d'être davantage développé.

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Comment anticipe-t-on la baisse du nombre de pédopsychiatres ? Dans les territoires sous-dotés, on expérimente déjà la mise en place d'une forme de continuum avec le déploiement d'équipes complémentaires pour répondre au mieux aux besoins des jeunes.

Quel travail de prévention peut-on réaliser dans le cadre familial et celui de l'éducation nationale ? Pouvons-nous mieux structurer le maillage territorial à travers les conseils locaux de santé mentale ?

Notre système de santé est encore très largement curatif et la culture de la prise en charge psychiatrique trop souvent insuffisante.

Je partage votre avis sur l'importance des structures intermédiaires. Il existe à Dole une maison des adolescents, et la meilleure communication en faveur de ce type de structure passe par le bouche-à-oreille entre jeunes. C'est un lieu où ils peuvent s'exprimer et trouver des professionnels de qualité. Chaque échelon de prise en charge doit être opérationnel si l'on veut éviter l'embolie des structures où il est encore facile d'accéder sans trop d'attente. Pour rendre le parcours de soins plus fluide, une solution serait peut-être de déployer des équipes mobiles, tout particulièrement pour améliorer le maillage dans les territoires ruraux.

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Vous soulignez l'importance des facteurs environnementaux, familiaux et sociaux en ce qui concerne la prévention des troubles du comportement de l'enfant.

Des pédopsychiatres ont souligné il y a déjà plus de quinze ans que l'apprentissage par les méthodes globale ou semi-globale – mises au point par un pédagogue scandinave pour des sourds et des malentendants – rendait les enfants en quelque sorte muets de la pensée. Cela peut entraîner des troubles comportementaux d'inadaptation sévères, en particulier des violences. Votre étude en fait-elle état ? Pensez-vous, comme nous, qu'il est urgent de repenser en profondeur certains enseignements dans le primaire ?

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Parmi vos propositions, je retiens le renforcement de la formation initiale des médecins, mais aussi la nécessité de disposer de manière régulière d'un état des lieux exhaustif de la situation. Les chiffres sont préoccupants. Je dis cela en pensant aux territoires d'outre-mer, où les politiques publiques naviguent à vue en raison du manque de statistiques. Une chose est pourtant incontestable : en Guadeloupe, il n'y a que six lits d'hospitalisation juvénile. Il faut aussi faire face à une pénurie de pédopsychiatres et à des lacunes en matière de coordination entre pédiatres et pédopsychiatres. Et qu'en est-il de l'échec scolaire outre-mer ?

La Cour a-t-elle identifié les modifications réglementaires ou législatives qui permettraient de mieux soutenir les acteurs concernés, singulièrement outre-mer ? Quel serait le coût de l'effort que la nation devrait consentir pour une remise à niveau permettant d'alléger la souffrance des uns et des autres ? Je pense à cet égard au travail titanesque mené en Guadeloupe par l'ARS et les différents acteurs dans le cadre du projet territorial de santé mentale. Il a permis de définir vingt-deux actions. Mais tant que les moyens ne seront pas au rendez-vous, il risque de rester seulement un joli dossier, tandis que le mal continue.

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

Après vous avoir tous écoutés attentivement, je crois pouvoir dire que ce rapport fait relativement consensus, tant du point de vue de son utilité que de son diagnostic.

Soyons clairs : nous ne sommes pas des pédopsychiatres. Nous avons certes mené des entretiens et fait des déplacements, mais nous ne pouvons pas répondre à certaines questions qui ne correspondent pas à nos fonctions. Nous prétendons être de bons experts en matière de finances et de politiques publiques.

Il est indispensable au préalable de disposer d'un état des lieux objectif. Cela permet d'agir de manière pertinente. Ensuite, nous plaidons pour une politique de santé publique réelle, cohérente et globale. Nous constatons qu'il existe une volonté récente en la matière, et nous l'approuvons. Mais il faut agréger des éléments qui sont encore trop disparates pour passer à la vitesse supérieure et répondre aux préoccupations que vous avez évoquées chacun à votre manière, mais qui sont tout de même extrêmement convergentes. Il faut passer de la volonté à la priorité et des plans à une politique de santé publique. Tel est notre message essentiel.

L'interministérialité est indispensable. Les acteurs concernés sont autant les professions de santé – pédopsychiatres, infirmiers et psychologues – que le secteur éducatif. Il faut une mobilisation de toute la société, ce qui suppose une gouvernance partagée. Je pense à la délégation à la santé mentale, qui doit selon nous devenir interministérielle, mais aussi au rôle des ARS et des implantations sur le terrain.

Ce message me semble largement partagé, ce qui est rassurant car la cause de nos enfants doit nous unir – et il est bon de trouver des sujets d'union de temps en temps...

En ce qui concerne le manque de financements et les dotations déconnectées des besoins, le rapport indique qu'il faut prévoir des dotations populationnelles et une gradation du financement en fonction de la sévérité des pathologies et de la lourdeur de leur prise en charge. C'est d'ailleurs ce que la Cour avait déjà recommandé en 2021 dans un rapport sur les parcours dans l'organisation des soins de psychiatrie – ce n'est pas très ancien.

Quels sont les moyens prioritaires de prévention et de prise en charge des pathologies ? Je le répète : il faut coordonner davantage les acteurs, développer une approche interministérielle et, pour mieux cerner les inégalités territoriales, inscrire la pédopsychiatrie dans les PTSM.

On accuse parfois la Cour des comptes d'être le fourrier ou le parangon de l'austérité. Pourtant, nous n'appelons pas à une réduction des moyens financiers, nous plaidons pour la bonne utilisation de ceux-ci. En l'occurrence, nous préconisons de doubler le nombre de pédopsychiatres formés chaque année, pour qu'ils passent de 100 à 200 sur un total de 532 psychiatres formés. Il faudra aussi tirer les enseignements de l'expérimentation des séances de psychologue remboursées par la sécurité sociale.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les IPA. Je vous annonce qu'un audit flash, à savoir un court rapport rédigé en trois à quatre mois, sera rendu sur le sujet d'ici deux mois. Nous viendrons vous en présenter les conclusions.

Pour ce qui est des moyens en épidémiologie, il faudra faire un état des lieux, mais notre sentiment est que l'offre en France est comparable à ce qu'elle est dans l'ensemble des pays de l'OCDE.

Il convient de clarifier la gouvernance, de lui donner davantage de cohérence, de fixer des objectifs nationaux de santé mentale, qui seront ensuite déclinés à l'échelon des ARS, et de renforcer le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. L'interministérialité est absolument essentielle.

Soixante-neuf étudiants infirmiers seulement ont été diplômés en santé mentale et psychiatrie l'année dernière : c'est peu. Le ministère de la santé a engagé une revalorisation des salaires bienvenue. Il faudrait aussi que le personnel hospitalo-universitaire en psychiatrie soit plus nombreux : il ne représente que quelque 0,8 % des effectifs. Il convient de valoriser la recherche et de renforcer les IPA en relevant leur grille indiciaire pour la rapprocher de celle des infirmiers spécialisés. Enfin, la charge des psychologues cliniciens devrait être allégée.

On observe une augmentation très nette des prescriptions de psychotropes chez les enfants et les adolescents en France, comme d'ailleurs partout en Europe. Cela représente un coût de 15 millions d'euros par an pour l'assurance maladie. Le nombre de patients de moins de 18 ans recevant des prescriptions de psychotropes est passé de 32 677 à 34 182 entre 2015 et 2019, soit une augmentation de 4,7 % en quatre ans, et il y a eu une accélération très nette avec la crise du covid. Cette évolution est extrêmement préoccupante, d'autant qu'elle s'accompagne d'une particularité de la France : la consommation d'anxiolytiques y est nettement supérieure à celle dans les autres pays européens – ce que le rapport du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge corrobore. La prescription médicamenteuse ne peut se substituer à un accompagnement médical et à l'intervention d'un pédopsychiatre.

Les facteurs de risques liés à l'environnement familial et social sont divers ; certains sont génétiques, d'autres – très souvent – psychosociologiques. L'origine génétique des maladies psychiques de l'enfant et de l'adolescent varie suivant les pathologies. Les antécédents parentaux ainsi que la situation socio-économique du foyer sont déterminants dans la survenue des troubles, de même que les situations de dysfonctionnement familial sévère et durable. Il convient d'y répondre.

Comment réorganiser l'offre de soins dans les territoires ? La Cour propose de faciliter l'accès pour tous aux soins psychiques infanto-juvéniles en rassemblant les services compétents au sein de maisons de l'enfance et de l'adolescence, qui tireraient les leçons de l'expérimentation des maisons de l'enfance et de la famille tout en élargissant leur champ aux actuelles maisons des adolescents pour renforcer et rationaliser l'accueil de première ligne. Il est envisagé de prioriser les créations de postes envisagées par les assises de la santé mentale et de la psychiatrie vers les CMP-IJ situés dans les zones où les professionnels sont trop peu nombreux pour assurer leur mission. Pour anticiper et limiter le recours aux services d'urgence lorsqu'un patient est en crise, les dispositifs d'équipes mobiles et de liaison devraient être un équipement de base de chaque territoire de référence. En fonction de l'analyse de ses besoins, des lits de crise en nombre limité pourraient être ouverts, notamment à destination des adolescents, par redéploiement de lits pour adultes.

Nous pensons que les recommandations que nous faisons sont toutes opérationnelles et applicables à court terme. Créer un délégué interministériel à la pédopsychiatrie ne me semble pas très compliqué. Idem pour la fixation d'objectifs chiffrés aux ARS et aux acteurs locaux, avec une clause de revoyure, ou pour l'augmentation des moyens en équipements dans les territoires en tension, avec l'ouverture de lits de crise et de lits d'hospitalisation. Ce n'est pas de la littérature : il s'agit de dispositions très concrètes.

Le choc d'attractivité ne passe pas uniquement par la revalorisation financière. Le ministère a fortement revalorisé en 2022 la rémunération des pédopsychiatres hospitaliers, à hauteur de 8 300 euros par an et par professionnel : on n'a pas constaté pour autant un choc d'attractivité. C'est pourquoi nous plaidons plutôt pour un ensemble de dispositions.

La Cour serait favorable à l'instauration d'un stage obligatoire en psychiatrie pendant le troisième cycle des études de médecine plutôt qu'à la création d'un diplôme d'études spécialisées pour les médecins généralistes, mais la question reste ouverte.

Peut-être nos préconisations sont-elles très en deçà des besoins, mais nous pensons qu'avant de dépenser plus, il faut connaître mieux et dépenser mieux. Par exemple, la totalité des 532 postes ouverts en psychiatrie n'est pas pourvue : ce n'est donc pas qu'une question de nombre de postes. Nous proposons ainsi une approche plus globale de l'attractivité.

Le meurtre d'Agnès Lasalle à Saint-Jean-de-Luz relève des instances compétentes. Il soulève néanmoins la question des cas non repérés qui évoluent à bas bruit, alors qu'ils devraient être repérables. Il convient d'y remédier. En la matière, le rôle de l'éducation nationale est tout à fait central. Quant à savoir si des investissements supplémentaires sont nécessaires, je répète qu'il ne s'agit pas que d'une question de nombre de postes. Il faut d'abord travailler sur l'attractivité.

Nous ne préconisons pas la tarification à l'activité. Si la réforme permet de réduire certaines inégalités territoriales, elle pose des problèmes aux établissements pour trouver des financements nouveaux. C'est aux ARS de veiller au redéploiement de l'offre. Nous prônons par ailleurs des PTSM ciblés sur la psychiatrie infanto-juvénile et la généralisation de contrats territoriaux de santé mentale – on n'en recense actuellement que trente-neuf – intégrant un calendrier de mise en œuvre des actions prévues et des indicateurs de suivi.

Les maisons de l'enfance et de l'adolescence ont selon nous vocation à s'appuyer sur des centres médico-psycho-pédagogiques pour constituer une offre de premier niveau. Les CMP-IJ sont devenues des instances attrape-tout ; il serait nécessaire de les recentrer sur leur cœur de métier, à savoir le traitement des troubles modérés à sévères. Pour corriger les différences d'équipement entre les territoires, il faut des dotations populationnelles.

La détection précoce des troubles psychiques de l'enfant est essentielle pour éviter une détérioration de son état – vous avez, monsieur Martin, décrit bien mieux que je ne saurais le faire le caractère évolutif de ces troubles. Pour y parvenir, il convient d'utiliser le réseau des médecins traitants. Or ceux-ci ne sont pas assez sensibilisés à ces questions ; il importe donc de renforcer leur formation en la matière. Il faut aussi mobiliser la médecine scolaire, encore trop centrée sur les problèmes d'orientation.

Les difficultés en la matière sont réelles. Nous soulignons dans le rapport l'insuffisance de la détection réalisée par les psychologues scolaires, et nous appelons à une vaste réorganisation de l'offre de soins pour que les troubles soient détectés le plus précocement possible, en ville ou à l'école, ainsi qu'à une réorientation des missions des psychologues scolaires.

S'agissant des outre-mer, je répète qu'il convient dans les territoires sous-dotés de renforcer les moyens des CMP-IJ et d'accroître le nombre des équipements, tant dans le public que dans le privé, avec des lits de crise, des équipes mobiles et des lits d'hospitalisation.

Vous le voyez : nous ne sommes pas du tout opposés par principe à une augmentation des moyens. Néanmoins, nous estimons qu'il convient d'abord de réaliser un état des lieux épidémiologique afin d'identifier les besoins, puis de renforcer l'attractivité du système et la qualité de la dépense publique, avant d'éventuellement accroître les moyens. Si la tendance actuelle se confirme, à savoir le développement rapide de ces troubles sous l'effet de facteurs qui ne sont pas uniquement liés à la pandémie mais qui découlent aussi de l'évolution de nos sociétés, il faut que la société française se donne les moyens d'y répondre. C'est essentiel, et c'est pourquoi nous continuerons à travailler sur cette question.

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Je suis d'accord : il s'agit d'un problème sociétal, que la pandémie n'a fait qu'exacerber.

On a beaucoup parlé des adolescents, mais je voudrais évoquer aussi la petite enfance. Comment envisagez-vous les choses pour les centres de PMI, qui dépendent des départements ?

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Savez-vous le délai pour accéder à un CMP en France ? Un an ! Un an durant lequel la scolarité de l'enfant est perturbée. Les familles souffrent, sont démunies, n'ont pas accès aux pédopsychiatres hospitaliers. C'est insupportable. Il faut que nous réagissions et donnions plus de moyens.

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

Notre rapport porte non sur la seule adolescence, mais sur l'enfance et l'adolescence. Nous insistons beaucoup sur la petite enfance. Les différentes réponses que nous proposons – maisons de l'enfance et de l'adolescence, rôle des ARS, impulsion interministérielle – devraient permettre de combiner les différentes dimensions et de favoriser une bonne articulation avec le travail des PMI pour assurer une détection précoce.

Nous soulignons aussi l'engorgement des CMP-IJ. Alors qu'ils avaient été créés pour une mission bien précise, ils ont été progressivement amenés à assurer des tâches d'orientation, d'accueil, d'information, qui les en ont détournés. Il faut les délester de ces activités pour raccourcir les délais. La création de maisons de l'enfance et de l'adolescence n'est pas la panacée, mais c'est une réponse structurelle à l'échelon du territoire. Vous avez raison : les délais actuels sont plus que regrettables. Or c'est une course contre la montre, d'autant qu'il s'agit de troubles évolutifs.

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Il y a beaucoup d'attentes en la matière. Ce rapport fait consensus, du moins pour ce qui est du diagnostic et de certaines préconisations. Merci, monsieur le premier président, de nous l'avoir présenté.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.

Présences en réunion

Présents. – M. Éric Alauzet, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, M. Elie Califer, M. Victor Catteau, M. Paul-André Colombani, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, Mme Claire Guichard, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Rachel Keke, Mme Fadila Khattabi, Mme Élise Leboucher, M. Matthieu Marchio, M. Didier Martin, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Maud Petit, Mme Michèle Peyron, Mme Stéphanie Rist, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Prisca Thevenot, M. Stéphane Viry

Excusés. – Mme Fanta Berete, Mme Caroline Fiat, Mme Caroline Janvier, M. Philippe Juvin, Mme Laure Lavalette, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Olivier Serva

Assistaient également à la réunion. – Mme Perrine Goulet, Mme Chantal Jourdan