Je vous remercie vivement de m'avoir invité à vous présenter la communication de la Cour sur la pédopsychiatrie, également nommée psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent depuis la réforme du troisième cycle des études médicales. J'ai toujours un grand plaisir à vous retrouver et je suis heureux que cette audition m'en offre l'occasion, à propos d'un sujet aussi délicat que passionnant. À votre demande, la Cour s'est particulièrement mobilisée sur cette question qui concerne, directement ou indirectement, beaucoup de Français.
Vous nous avez saisis en octobre dernier d'une demande d'enquête sur la pédopsychiatrie, sur le fondement de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières. La Cour a, en effet, pour mission de contribuer à l'exercice de votre contrôle sur les dépenses sociales, y compris dans un domaine difficile à appréhender comme la pédopsychiatrie. Nous sommes très fiers de notre mission d'assistance du Parlement. J'ai ce rôle très à cœur, et je veille toujours à l'excellente qualité de notre relation institutionnelle. Sachez donc que je suis, que la Cour est toujours à votre disposition pour répondre à vos besoins d'enquête, auxquels nous attachons une attention toute particulière.
Sont présents à mes côtés ceux qui ont mené à bien ce travail de grande ampleur et, je crois, de grande qualité : François de la Guéronnière, conseiller maître et président de section, et Juliette Méadel, conseillère référendaire. Ils pourront m'aider, ainsi que Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, à répondre à vos questions, car ce sont eux les auteurs du rapport, avec Mme Lapray et M. Persoz, qui ont contribué à ce travail approfondi. Je me dois également de rendre hommage au professeur Golse, expert pédopsychiatre, pour sa contribution à nos travaux – il fallait aussi un homme de l'art.
Comme vous l'aviez demandé dans votre lettre de saisine, le rapport présente des comparaisons européennes qui permettent de mieux comprendre la situation de la France en matière d'accès et d'offre de soins en pédopsychiatrie, et de mieux anticiper les conséquences de la crise sanitaire sur la santé psychique des jeunes et dans ce secteur. En Europe, la pédopsychiatrie est majoritairement une discipline à part, liée à la fois à la pédiatrie et à la psychiatrie adulte. Ce n'était pas le cas en France jusqu'à ce que la réforme du diplôme d'État spécialisé, en 2022, corrige partiellement la situation.
L'analyse de la Cour a porté sur trois aspects principaux : l'offre de soins et son adaptation aux besoins, la lisibilité et l'accessibilité des parcours, et enfin la gouvernance.
Notre premier constat est que l'offre de soins en pédopsychiatrie est peu adaptée à des besoins qui évoluent rapidement.
La pandémie, dont nous sommes largement sortis, a mis en lumière une accélération de l'augmentation, préoccupante, des troubles psychiques de l'enfant et de l'adolescent, dont la prévalence depuis le covid est particulièrement élevée, notamment chez les plus de 10 ans.
Nous ne sommes pas les seuls confrontés à ce problème. La fréquence des troubles psychiques chez les jeunes est élevée dans tous les pays industrialisés. Dans les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), environ 13 % des enfants et adolescents présentent au moins un trouble psychique, c'est-à-dire une affection perturbant la santé mentale, qui peut prendre des formes et des expressions très différentes. Les troubles psychiques touchant les jeunes se répartissent selon une échelle de sévérité croissante : troubles anxieux et troubles de l'humeur légers, troubles anxieux modérés, dépression. Les troubles neurodéveloppementaux, parfois associés au champ du handicap, comme les schizophrénies ou les troubles du spectre de l'autisme sont, quant à eux, considérés comme chroniques et sévères.
Selon notre estimation, qui repose sur divers chiffres, 1,6 million d'enfants et d'adolescents français souffrent d'un trouble psychique. Je relève, toutefois, que le manque de données et d'études épidémiologiques récentes a rendu difficile l'établissement d'un chiffrage plus précis et n'a pas permis une définition plus fine de notre situation par rapport à la moyenne européenne.
Parmi ces enfants et ces adolescents, 190 000 souffrent des troubles les plus graves, qui peuvent conduire, par exemple, à une hospitalisation complète. Si l'on ajoute à cela les troubles nécessitant une prise en charge spécialisée en pédopsychiatrie, le nombre d'enfants et d'adolescents concernés se situe entre 600 000 et 800 000. Pour les troubles légers, la prise en charge relève des acteurs de soins primaires, les médecins généralistes et les pédiatres, en lien avec les psychologues de ville.
Notre rapport montre que, face à cet enjeu majeur de santé publique, l'offre de soins ne tient pas suffisamment compte de la diversité des troubles et des facteurs de risques.
Dans l'état actuel de l'organisation des soins, en particulier dans les centres médico-psychologiques de psychiatrie infanto-juvénile (CMP-IJ), une partie des patients suivis ne souffrent que de troubles légers, ce qui nuit parfois à la prise en charge d'enfants souffrant de troubles plus sévères. En d'autres termes, la prise en charge spécialisée n'est pas assez graduée. Une partie des enfants âgés de 5 à 18 ans qui souffrent de troubles sévères ne sont pas suffisamment suivis. L'actualité récente en a donné un exemple particulièrement glaçant. On ne parvient pas à appréhender certaines situations qui peuvent se révéler préoccupantes et même dangereuses.
L'adéquation de l'organisation de l'offre de soins aux besoins dans les territoires reste difficile à apprécier, car il est difficile d'estimer correctement la sévérité des troubles. Ces derniers ne sont pas stabilisés – ils sont même particulièrement évolutifs – chez les enfants et les adolescents, du fait de l'importance des risques sociaux, économiques et familiaux, ainsi que du fait de la fréquence des comorbidités.
L'accès aux soins psychiques infanto-juvéniles est inégal suivant les territoires. Sur ce plan, les inégalités d'accès aux CMP-IJ sont exacerbées par la présence ou non d'une offre libérale en pédopsychiatrie, qui est davantage présente en zone urbaine qu'en zone rurale. La politique du virage ambulatoire, visant à supprimer des lits d'hôpitaux au profit d'une prise en charge en CMP-IJ, a été appliquée indistinctement, quelle que soit la situation territoriale. Ainsi, entre 1986 et 2013, le nombre de lits a diminué de 58 % alors que la population augmentait. Les CMP-IJ sont donc devenus progressivement le principal lieu de prise en charge.
Par ailleurs, la crise de la démographie médicale, qui s'est notamment traduite par une baisse de 34 % du nombre de pédopsychiatres entre 2011 et 2022, rend très difficile l'accès aux soins, même si ce phénomène est plus marqué dans certains territoires que dans d'autres.
Enfin, la dépense publique en matière de pédopsychiatrie, qui est de l'ordre de 2,08 milliards d'euros, demeure concentrée à 90 % sur les établissements de santé publics et privés à but non lucratif, lesquels représentent 1,8 milliard d'euros de dépenses. En la matière, les dépenses de soins de ville restent modestes, puisqu'elles sont d'environ 23 millions par an – la disproportion est donc très grande. À cela s'ajoutent les dépenses réalisées par les établissements sociaux et médico-sociaux pour la prise en charge des soins psychiques des enfants et des adolescents, à hauteur de 1,06 milliard. Le total s'élève donc à environ 3,1 milliards.
La Cour recommande de dresser un état des lieux exhaustif de la situation épidémiologique des troubles psychiques chez les enfants et les adolescents en France, notamment en élargissant aux adolescents l'étude nationale qui a été lancée en 2022 et en exploitant davantage les bases de données médico-administratives. La Cour suggère que cet état des lieux soit fait rapidement et qu'il soit actualisé au moins tous les dix ans. Cela doit être une priorité.
Notre deuxième grand constat est que les parcours de soins en pédopsychiatrie, secteur en tension, sont peu lisibles.
Ce phénomène s'explique, tout d'abord, par l'absence d'une gradation cohérente de l'offre de soins. Les acteurs de la prévention sont en effet dispersés et peu coordonnés. Les missions assignées au secteur par la circulaire du 16 mars 1972 sont très larges : prévention, accueil et orientation, prise en charge des troubles, coordination entre les différents acteurs du soin, continuité du service public. Les acteurs de premier niveau, pour les soins de proximité, sont aussi des acteurs de second niveau, pour la prise en charge des troubles plus sévères. Les textes ultérieurs ont également confié à d'autres professionnels, notamment libéraux, une partie des missions de premier recours ou de proximité, si bien que le rôle de chacun dans l'organisation des soins, qui n'est plus vraiment graduée, n'est pas très clair.
Dans ce contexte, les CMP-IJ, longtemps considérés comme les pivots du secteur et les portes d'entrée dans les parcours de soins, ont été progressivement submergés par les demandes d'information, de conseil, d'évaluation et de suivi, pour des troubles allant de légers à sévères. L'accès universel à ces centres, c'est-à-dire sans condition et sans avance de frais pour les familles, a eu un effet paradoxal : ils ne parviennent pas à assurer en totalité leur véritable mission de suivi des troubles psychiques les plus sévères. Près de 50 % de leur travail consiste à recevoir, pour des séances d'évaluation et d'orientation, des patients qui, malheureusement, ne bénéficient pas ensuite d'un suivi au long cours. Bien qu'importante, cette mission d'accueil et d'évaluation limite la capacité des CMP-IJ à assurer le suivi dans le temps des enfants qui en ont le plus besoin, alors que cela devrait être leur mission essentielle.
Par ailleurs, les professionnels de ville jouent imparfaitement leur rôle d'évaluation et d'orientation auprès des familles.
Ainsi, les troubles psychiques sont encore peu repérés par les médecins généralistes et les pédiatres. En amont des parcours, les pouvoirs publics ont bien tenté de développer, avec le projet national dit des « 1000 premiers jours » une approche de prévention des troubles psychiques des mères et des nourrissons, mais cet effort ne s'est malheureusement pas encore poursuivi aussi fermement à l'école, malgré quelques initiatives ponctuelles. Les psychologues de l'éducation nationale sont encore trop tournés vers des missions d'orientation scolaire qui les éloignent de la détection et de l'orientation des jeunes souffrant de troubles psychiques, lesquels peuvent ainsi ne pas être repérés.
De la même façon, les professionnels libéraux, qu'ils soient généralistes ou spécialistes, méconnaissent encore trop les caractéristiques des troubles psychiques des enfants et des adolescents et ne jouent donc pas suffisamment leur rôle de porte d'entrée dans le parcours de soins. Nous jugeons qu'une amélioration de leur formation est nécessaire pour leur permettre de mieux accompagner les patients et les familles. Cette recommandation est d'autant plus importante que les psychiatres libéraux sont, à ce jour, majoritairement au service d'une patientèle adulte et ne participent pas à la permanence des soins. Dans le même temps, la démographie des pédopsychiatres, dont les effectifs sont difficiles à dénombrer, est défavorable à court terme et ne leur permet pas d'assurer leur rôle de recours en tant que spécialistes.
Si les psychiatres et pédopsychiatres manquent à l'appel, les psychologues libéraux sont, en revanche, en plein essor et ils ont vocation à prendre progressivement une place dans le parcours de soins.
Pour répondre aux enjeux propres à ces parcours de soins, la Cour formule trois recommandations.
Tout d'abord, il conviendrait de faciliter, pour tous, l'accès aux soins psychiques infanto-juvéniles, en rassemblant les services compétents au sein de maisons de l'enfance et de l'adolescence. Il s'agit de tirer les leçons de l'expérimentation des maisons de l'enfance et des familles et d'en élargir le champ aux actuelles maisons de l'adolescence pour renforcer et rationaliser l'accueil de première ligne. Ces structures auraient pour objectif de pallier les carences actuelles du maillage territorial de première ligne.
Dans ce paysage renouvelé, les CMP-IJ pourraient se recentrer progressivement sur leur mission : assurer le suivi des troubles modérés à sévères et la coordination des parcours, en particulier lors d'une hospitalisation, et jouer pleinement leur rôle de centre d'expertise, notamment pour les professionnels libéraux, en se défaisant de la mission d'accueil et d'orientation qui leur prend tellement de temps qu'elle limite leur capacité à jouer pleinement leur rôle principal.
Enfin, pour anticiper et limiter le recours aux services d'urgences lorsqu'un patient est en crise, les équipes mobiles et de liaison devraient devenir des dispositifs de base dans chaque territoire de référence.
En fonction de l'analyse des besoins, des lits de crise en nombre limité pourraient également être ouverts, notamment pour des adolescents, par redéploiement de lits pour adultes. Il importe de remédier aux manques actuels.
Notre troisième et dernier constat est relatif à la gouvernance de cette politique de santé publique. Malgré un volontarisme indéniable, elle est peu efficiente et encore inadaptée à l'indispensable revitalisation de la pédopsychiatrie.
La politique de l'offre de soins dans ce domaine a certes fait l'objet d'améliorations, mais elle demeure, selon nous, encore trop peu efficiente, faute de cohérence. Jusqu'en 2018, il n'y avait pas de stratégie d'offre de soins. La situation se caractérisait alors par l'absence d'un cadrage législatif global portant spécifiquement sur la pédopsychiatrie. La mobilisation a ensuite été nette, ce que nous saluons évidemment.
Toutefois, la mobilisation qui a eu lieu s'est surtout caractérisée par un empilement de plans peu lisibles – c'est mieux que rien du tout, mais la lisibilité est essentielle. Le Gouvernement a adopté une feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie, mais ce document n'avait pas d'objectifs clairs, quantitativement comme qualitativement, ni de calendrier d'application.
La définition d'objectifs nationaux de santé mentale infanto-juvénile, associés à un calendrier précis et à des indicateurs, permettrait aux principaux acteurs de s'inscrire dans un cadre d'action clair et lisible, partagé par tous. Ces objectifs faciliteraient, de surcroît, l'évaluation de l'efficacité de l'organisation des soins. Les objectifs que nous appelons de nos vœux aideraient à mieux structurer et planifier cette politique, ce qui devrait permettre d'assurer, in fine, une meilleure qualité de service pour les patients.
L'amélioration de l'offre de soins passera nécessairement par un renforcement de l'action administrative. La Cour propose trois pistes afin d'améliorer la gouvernance et le pilotage de la politique d'offre de soins en matière de pédopsychiatrie.
Tout d'abord, il conviendrait de renforcer la délégation à la santé mentale et d'élargir son champ d'intervention à la pédopsychiatrie, ou psychiatrie infanto-juvénile. Le rôle et la place du délégué doivent être mieux identifiés et plus transversaux, car la pédopsychiatrie concerne fortement le secteur éducatif.
Il faudrait ensuite repositionner cette délégation au niveau interministériel. Du côté de l'éducation nationale, de la justice ou des ministères sociaux, un besoin de coordination existe. Cette interministérialité doit permettre de mieux associer les représentants des départements dans le cadre de leurs compétences sociales – protection maternelle et infantile (PMI) ou aide sociale à l'enfance. Nous avons insisté dans notre dernier rapport public annuel, paru la semaine dernière, et qui était consacré à la décentralisation, sur la nécessité d'une bonne articulation.
Enfin, le pilotage régional de l'offre de soins de pédopsychiatrie doit être conforté et objectivé. La nécessité d'améliorer l'offre de soins au niveau régional, qui souffre d'un manque de vision opérationnelle, fait désormais l'objet d'un diagnostic partagé. Les agences régionales de santé (ARS) se sont certes dotées d'outils de concertation utiles pour le partage de vues et d'expériences entre les acteurs locaux, par l'adoption de projets territoriaux de santé mentale (PTSM), mais la mise en œuvre de ces outils n'est pas évidente.
Le système de financement du secteur, qui a évolué, nécessite également de faire preuve de vigilance. Le financement de la pédopsychiatrie relève, vous le savez, du même régime que celui de la psychiatrie. Les dotations sont historiquement reconduites d'une année sur l'autre sans prise en compte de l'évolution de l'activité, et elles s'adaptent peu aux spécificités locales des établissements, à l'exception des mesures nouvelles et des appels à projets. Si la réforme issue de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 visait à introduire plus de souplesse, elle ne permet pas d'adapter les financements à l'activité des services de pédopsychiatrie, faute de mesure de l'intensité des troubles traités et de la prise en compte des nouveaux établissements. Cela pose la question de la capacité des ARS à faire émerger de nouveaux opérateurs et à redéployer l'offre existante.
Ainsi, au terme de cette enquête, il apparaît que les priorités sont de revitaliser le secteur du soin psychique et infanto-juvénile et de renforcer l'attractivité des métiers. L'offre de soins présente en effet des carences sur les plans quantitatif et qualitatif. L'efficacité du pilotage de la politique de l'offre de soins doit être améliorée, tant dans l'administration centrale qu'en région. Au préalable, deux actions doivent être engagées.
En premier lieu, les médecins traitants des enfants – qu'il s'agisse de généralistes ou de pédiatres – doivent être placés au cœur de l'accueil et de l'orientation. Cela suppose de renforcer leur formation initiale et continue en psychologie et en psychiatrie infanto-juvéniles, en particulier pour le dépistage et l'orientation, domaines dans lesquels on constate des lacunes incompréhensibles.
En second lieu, le déploiement d'une politique d'attractivité en faveur de la pédopsychiatrie repose sur la valorisation des parcours hospitalo-universitaires, sur le soutien à la recherche française dans la discipline et sur une meilleure reconnaissance de la pratique clinique, dans les établissements comme en libéral.
Pour conclure, je voudrais insister à nouveau sur trois impératifs.
D'abord, l'accès aux soins doit être mieux organisé, en formant les professionnels de première ligne et en renforçant les moyens dans les territoires sous-dotés.
Ensuite, il importe de faire de la psychiatrie infanto-juvénile une priorité de santé publique et de rendre le pilotage plus efficace.
Enfin, les professionnels doivent être davantage reconnus, de manière à résoudre les tensions en matière d'offre et d'organisation des soins.
Cette enquête nous a passionnés, et je suis convaincu qu'elle suscitera un grand intérêt. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos observations, notamment sur des points que je n'ai pas eu le temps de développer davantage, comme les comparaisons internationales ou l'évolution des prescriptions de psychotropes pour des enfants et des adolescents – enjeu d'actualité, sur lequel la Haute Autorité de santé a insisté ; même si la France ne se situe pas, en la matière, dans le haut de la fourchette, on constate une dynamique qu'il importe de surveiller.