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Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mardi 21 mars 2023 à 17h15
Commission des affaires sociales

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

Après vous avoir tous écoutés attentivement, je crois pouvoir dire que ce rapport fait relativement consensus, tant du point de vue de son utilité que de son diagnostic.

Soyons clairs : nous ne sommes pas des pédopsychiatres. Nous avons certes mené des entretiens et fait des déplacements, mais nous ne pouvons pas répondre à certaines questions qui ne correspondent pas à nos fonctions. Nous prétendons être de bons experts en matière de finances et de politiques publiques.

Il est indispensable au préalable de disposer d'un état des lieux objectif. Cela permet d'agir de manière pertinente. Ensuite, nous plaidons pour une politique de santé publique réelle, cohérente et globale. Nous constatons qu'il existe une volonté récente en la matière, et nous l'approuvons. Mais il faut agréger des éléments qui sont encore trop disparates pour passer à la vitesse supérieure et répondre aux préoccupations que vous avez évoquées chacun à votre manière, mais qui sont tout de même extrêmement convergentes. Il faut passer de la volonté à la priorité et des plans à une politique de santé publique. Tel est notre message essentiel.

L'interministérialité est indispensable. Les acteurs concernés sont autant les professions de santé – pédopsychiatres, infirmiers et psychologues – que le secteur éducatif. Il faut une mobilisation de toute la société, ce qui suppose une gouvernance partagée. Je pense à la délégation à la santé mentale, qui doit selon nous devenir interministérielle, mais aussi au rôle des ARS et des implantations sur le terrain.

Ce message me semble largement partagé, ce qui est rassurant car la cause de nos enfants doit nous unir – et il est bon de trouver des sujets d'union de temps en temps...

En ce qui concerne le manque de financements et les dotations déconnectées des besoins, le rapport indique qu'il faut prévoir des dotations populationnelles et une gradation du financement en fonction de la sévérité des pathologies et de la lourdeur de leur prise en charge. C'est d'ailleurs ce que la Cour avait déjà recommandé en 2021 dans un rapport sur les parcours dans l'organisation des soins de psychiatrie – ce n'est pas très ancien.

Quels sont les moyens prioritaires de prévention et de prise en charge des pathologies ? Je le répète : il faut coordonner davantage les acteurs, développer une approche interministérielle et, pour mieux cerner les inégalités territoriales, inscrire la pédopsychiatrie dans les PTSM.

On accuse parfois la Cour des comptes d'être le fourrier ou le parangon de l'austérité. Pourtant, nous n'appelons pas à une réduction des moyens financiers, nous plaidons pour la bonne utilisation de ceux-ci. En l'occurrence, nous préconisons de doubler le nombre de pédopsychiatres formés chaque année, pour qu'ils passent de 100 à 200 sur un total de 532 psychiatres formés. Il faudra aussi tirer les enseignements de l'expérimentation des séances de psychologue remboursées par la sécurité sociale.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les IPA. Je vous annonce qu'un audit flash, à savoir un court rapport rédigé en trois à quatre mois, sera rendu sur le sujet d'ici deux mois. Nous viendrons vous en présenter les conclusions.

Pour ce qui est des moyens en épidémiologie, il faudra faire un état des lieux, mais notre sentiment est que l'offre en France est comparable à ce qu'elle est dans l'ensemble des pays de l'OCDE.

Il convient de clarifier la gouvernance, de lui donner davantage de cohérence, de fixer des objectifs nationaux de santé mentale, qui seront ensuite déclinés à l'échelon des ARS, et de renforcer le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. L'interministérialité est absolument essentielle.

Soixante-neuf étudiants infirmiers seulement ont été diplômés en santé mentale et psychiatrie l'année dernière : c'est peu. Le ministère de la santé a engagé une revalorisation des salaires bienvenue. Il faudrait aussi que le personnel hospitalo-universitaire en psychiatrie soit plus nombreux : il ne représente que quelque 0,8 % des effectifs. Il convient de valoriser la recherche et de renforcer les IPA en relevant leur grille indiciaire pour la rapprocher de celle des infirmiers spécialisés. Enfin, la charge des psychologues cliniciens devrait être allégée.

On observe une augmentation très nette des prescriptions de psychotropes chez les enfants et les adolescents en France, comme d'ailleurs partout en Europe. Cela représente un coût de 15 millions d'euros par an pour l'assurance maladie. Le nombre de patients de moins de 18 ans recevant des prescriptions de psychotropes est passé de 32 677 à 34 182 entre 2015 et 2019, soit une augmentation de 4,7 % en quatre ans, et il y a eu une accélération très nette avec la crise du covid. Cette évolution est extrêmement préoccupante, d'autant qu'elle s'accompagne d'une particularité de la France : la consommation d'anxiolytiques y est nettement supérieure à celle dans les autres pays européens – ce que le rapport du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge corrobore. La prescription médicamenteuse ne peut se substituer à un accompagnement médical et à l'intervention d'un pédopsychiatre.

Les facteurs de risques liés à l'environnement familial et social sont divers ; certains sont génétiques, d'autres – très souvent – psychosociologiques. L'origine génétique des maladies psychiques de l'enfant et de l'adolescent varie suivant les pathologies. Les antécédents parentaux ainsi que la situation socio-économique du foyer sont déterminants dans la survenue des troubles, de même que les situations de dysfonctionnement familial sévère et durable. Il convient d'y répondre.

Comment réorganiser l'offre de soins dans les territoires ? La Cour propose de faciliter l'accès pour tous aux soins psychiques infanto-juvéniles en rassemblant les services compétents au sein de maisons de l'enfance et de l'adolescence, qui tireraient les leçons de l'expérimentation des maisons de l'enfance et de la famille tout en élargissant leur champ aux actuelles maisons des adolescents pour renforcer et rationaliser l'accueil de première ligne. Il est envisagé de prioriser les créations de postes envisagées par les assises de la santé mentale et de la psychiatrie vers les CMP-IJ situés dans les zones où les professionnels sont trop peu nombreux pour assurer leur mission. Pour anticiper et limiter le recours aux services d'urgence lorsqu'un patient est en crise, les dispositifs d'équipes mobiles et de liaison devraient être un équipement de base de chaque territoire de référence. En fonction de l'analyse de ses besoins, des lits de crise en nombre limité pourraient être ouverts, notamment à destination des adolescents, par redéploiement de lits pour adultes.

Nous pensons que les recommandations que nous faisons sont toutes opérationnelles et applicables à court terme. Créer un délégué interministériel à la pédopsychiatrie ne me semble pas très compliqué. Idem pour la fixation d'objectifs chiffrés aux ARS et aux acteurs locaux, avec une clause de revoyure, ou pour l'augmentation des moyens en équipements dans les territoires en tension, avec l'ouverture de lits de crise et de lits d'hospitalisation. Ce n'est pas de la littérature : il s'agit de dispositions très concrètes.

Le choc d'attractivité ne passe pas uniquement par la revalorisation financière. Le ministère a fortement revalorisé en 2022 la rémunération des pédopsychiatres hospitaliers, à hauteur de 8 300 euros par an et par professionnel : on n'a pas constaté pour autant un choc d'attractivité. C'est pourquoi nous plaidons plutôt pour un ensemble de dispositions.

La Cour serait favorable à l'instauration d'un stage obligatoire en psychiatrie pendant le troisième cycle des études de médecine plutôt qu'à la création d'un diplôme d'études spécialisées pour les médecins généralistes, mais la question reste ouverte.

Peut-être nos préconisations sont-elles très en deçà des besoins, mais nous pensons qu'avant de dépenser plus, il faut connaître mieux et dépenser mieux. Par exemple, la totalité des 532 postes ouverts en psychiatrie n'est pas pourvue : ce n'est donc pas qu'une question de nombre de postes. Nous proposons ainsi une approche plus globale de l'attractivité.

Le meurtre d'Agnès Lasalle à Saint-Jean-de-Luz relève des instances compétentes. Il soulève néanmoins la question des cas non repérés qui évoluent à bas bruit, alors qu'ils devraient être repérables. Il convient d'y remédier. En la matière, le rôle de l'éducation nationale est tout à fait central. Quant à savoir si des investissements supplémentaires sont nécessaires, je répète qu'il ne s'agit pas que d'une question de nombre de postes. Il faut d'abord travailler sur l'attractivité.

Nous ne préconisons pas la tarification à l'activité. Si la réforme permet de réduire certaines inégalités territoriales, elle pose des problèmes aux établissements pour trouver des financements nouveaux. C'est aux ARS de veiller au redéploiement de l'offre. Nous prônons par ailleurs des PTSM ciblés sur la psychiatrie infanto-juvénile et la généralisation de contrats territoriaux de santé mentale – on n'en recense actuellement que trente-neuf – intégrant un calendrier de mise en œuvre des actions prévues et des indicateurs de suivi.

Les maisons de l'enfance et de l'adolescence ont selon nous vocation à s'appuyer sur des centres médico-psycho-pédagogiques pour constituer une offre de premier niveau. Les CMP-IJ sont devenues des instances attrape-tout ; il serait nécessaire de les recentrer sur leur cœur de métier, à savoir le traitement des troubles modérés à sévères. Pour corriger les différences d'équipement entre les territoires, il faut des dotations populationnelles.

La détection précoce des troubles psychiques de l'enfant est essentielle pour éviter une détérioration de son état – vous avez, monsieur Martin, décrit bien mieux que je ne saurais le faire le caractère évolutif de ces troubles. Pour y parvenir, il convient d'utiliser le réseau des médecins traitants. Or ceux-ci ne sont pas assez sensibilisés à ces questions ; il importe donc de renforcer leur formation en la matière. Il faut aussi mobiliser la médecine scolaire, encore trop centrée sur les problèmes d'orientation.

Les difficultés en la matière sont réelles. Nous soulignons dans le rapport l'insuffisance de la détection réalisée par les psychologues scolaires, et nous appelons à une vaste réorganisation de l'offre de soins pour que les troubles soient détectés le plus précocement possible, en ville ou à l'école, ainsi qu'à une réorientation des missions des psychologues scolaires.

S'agissant des outre-mer, je répète qu'il convient dans les territoires sous-dotés de renforcer les moyens des CMP-IJ et d'accroître le nombre des équipements, tant dans le public que dans le privé, avec des lits de crise, des équipes mobiles et des lits d'hospitalisation.

Vous le voyez : nous ne sommes pas du tout opposés par principe à une augmentation des moyens. Néanmoins, nous estimons qu'il convient d'abord de réaliser un état des lieux épidémiologique afin d'identifier les besoins, puis de renforcer l'attractivité du système et la qualité de la dépense publique, avant d'éventuellement accroître les moyens. Si la tendance actuelle se confirme, à savoir le développement rapide de ces troubles sous l'effet de facteurs qui ne sont pas uniquement liés à la pandémie mais qui découlent aussi de l'évolution de nos sociétés, il faut que la société française se donne les moyens d'y répondre. C'est essentiel, et c'est pourquoi nous continuerons à travailler sur cette question.

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