La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission auditionne conjointement le général Alain Pidoux, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), et Mme Agnès Thibault-Lecuivre, directrice, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

Lien vidéo : https://assnat.fr/Mzxxqf

Audition conjointe du Général Alain Pidoux, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et de Mme Agnès Thibault-Lecuivre, directrice, cheffe de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN)

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Madame la directrice, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), monsieur le chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), je vous remercie d'avoir accepté le principe et les modalités de cette audition conjointe, destinée à nous permettre de mieux connaître et contrôler le travail de vos inspections, dont le rôle dans le contrôle des forces de sécurité est irremplaçable.

Cette audition, organisée avant les récentes émeutes urbaines, n'est pas destinée à traiter des affaires en cours, mais bien à dresser un bilan, qui pourra devenir annuel, de l'activité des inspections générales. Concernant les violences urbaines de fin juin et début juillet, je vous invite, mes chers collègues, à adresser vos questions au ministre de l'intérieur lorsque nous le recevrons la semaine prochaine.

Le 30 novembre 2020, présentant le Beauvau de la sécurité devant notre commission, le ministre de l'intérieur avait décrit les « sept péchés capitaux de la sécurité » : la formation, l'encadrement, le matériel, la vidéo, les effectifs de maintien de l'ordre, le lien entre la police et la population, ainsi que le rôle des inspections. Il a également évoqué le lien avec la justice, objet actuel du débat parlementaire. Sur tous ces sujets, beaucoup a été fait dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), qui a dégagé des moyens importants.

S'agissant du rôle des inspections, le problème n'est pas tant la qualité de leur travail que la nécessité de faire mieux connaître et mieux appliquer leurs préconisations et les sanctions qu'elles proposent. Dans ce cadre, plusieurs pistes avaient été envisagées par le Président de la République lors de la remise des conclusions du Beauvau, notamment la création d'une délégation parlementaire pour contrôler les forces de l'ordre. Parce que je connais le travail des délégations parlementaires – je suis membre de la délégation parlementaire au renseignement – cette voie me paraît inadaptée. En revanche, le débat annuel sur le travail des inspections et le contrôle de ce travail par le Parlement me semblent devoir être privilégiés.

La présente audition fait suite à la visite que j'ai effectuée, le 23 mai dernier, dans les locaux de l'IGPN avec M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis du budget de la mission Sécurités. Nous étions les premiers élus à nous y rendre. Nous avons eu beaucoup de surprises au sujet de son fonctionnement, en particulier de bonnes surprises, notamment concernant les pratiques de testing dans les commissariats.

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Agnès Thibault-Lecuivre, directrice, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

C'est avec le sens de la responsabilité qui m'incombe que je me présente devant vous. Dans les limites que vous avez rappelées, monsieur le président – je ne m'exprimerai pas au sujet de procédures judiciaires en cours –, je m'attacherai à répondre à des interrogations par essence légitimes dans le cadre de votre contrôle parlementaire.

Mais d'abord, pour vous permettre d'exercer ce contrôle en toute connaissance de cause, je souhaite vous présenter l'IGPN, que j'ai l'honneur de diriger depuis près d'un an.

À l'été 2022, ma nomination, sur proposition du ministre de l'intérieur et des outre-mer – celle d'un magistrat de l'ordre judiciaire, alors que l'inspection avait toujours été dirigée par un policier actif – a pu susciter craintes, critiques, attentes. Défiance envers les policiers ? Affichage ? Avancée ? Autant de propos que j'ai pu entendre et qu'il ne m'appartient pas de commenter autrement que par l'action déployée avec mes équipes. Vous me permettrez de leur rendre ici hommage, car mon action n'a de sens que jointe à celle de ces équipes que je dirige selon des orientations de lisibilité, de rigueur, d'objectivité, d'impartialité, de transparence et aussi de fierté – celle d'appartenir à une inspection parfois scrutée, crainte ou dénigrée, mais nécessaire et, souhaitons-le, utile pour tous et comprise de tous.

Les effectifs de l'IGPN comptent 276 personnes aux profils divers : 203 policiers actifs de tous grades, mais aussi des fonctionnaires d'autres corps de la fonction publique, des contractuels, un magistrat de l'ordre administratif, des personnels administratifs, des apprentis. Par cette énumération, je m'inscris en faux contre l'idée d'un entre-soi, démentie par la capacité des policiers qui m'entourent à écouter, entendre, comprendre, intégrer les critiques récurrentes – celle d'être une « blanchisseuse », pour n'en citer qu'une – et à y riposter pour se prémunir de tout biais corporatiste, tout en appréhendant parfaitement la réalité vécue par leurs collègues policiers de terrain. S'y ajoutent les constants échanges avec les directions de la police nationale, mais aussi avec les organisations syndicales professionnelles, les autorités externes de contrôle – Défenseure des droits, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté – ou encore les associations qui œuvrent au rapprochement entre police et population, les chercheurs, les universitaires.

À cet égard, il est intéressant de relever que le comité d'évaluation de la déontologie de la police nationale, dont la création a été décidée fin 2020 par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, est présidé par la cheffe de l'IGPN. Il réunit les directions de police, mais aussi les autorités externes de contrôle, un magistrat de l'ordre judiciaire, un magistrat de l'ordre administratif, un représentant du Conseil national des barreaux, un chercheur, un universitaire, un membre d'une association travaillant à rapprocher la police et la population. Il montre la capacité de l'institution à s'interroger sur ses pratiques.

C'est dans ce contexte de connexion aux réalités du terrain et aux enjeux sociétaux que s'exercent nos missions, pour lesquelles nous sommes structurés en trois sous-directions qui n'ont pas de lien hiérarchique entre elles.

La sous-direction des enquêtes administratives et judiciaires, sans conteste la plus connue, est composée de 121 enquêteurs répartis dans une division nationale des enquêtes, huit délégations – une pour chaque zone de défense – et un bureau, auxquels s'ajoute une unité de coordination des enquêtes. Cette sous-direction comprend également les plateformes de l'IGPN : la plateforme de signalement destinée aux usagers et la plateforme Signal-Discri, destinée aux policiers.

L'IGPN est un service national judiciaire spécialisé d'enquête. Par définition, elle ne traite pas toutes les affaires qui mettent en cause les policiers. Nous avons à connaître de celles qui revêtent un caractère de gravité ou de complexité, ou dont le retentissement est particulièrement fort.

En 2022, l'IGPN a été saisie par l'autorité judiciaire, sous la direction de laquelle elle agit et à qui elle rend compte, de 1 065 enquêtes judiciaires. Celles-ci visent à rassembler des preuves à charge et à décharge pour caractériser les éléments constitutifs d'une infraction pénale.

En parallèle, au nom du devoir de réaction de l'administration, l'IGPN procède à des enquêtes administratives prédisciplinaires, destinées à rechercher si des manquements professionnels ou déontologiques ont été commis. En 2022, nous en avons ouvert 192.

Mais le rôle de l'IGPN s'arrête à la proposition d'engagement de poursuites disciplinaires ou de sanctions. L'Inspection n'est en aucun cas compétente pour prononcer ces sanctions.

La sous-direction des inspections, évaluations et audits, ensuite, est organisée en deux départements : celui des inspections et évaluations et celui de l'audit interne. Les missions d'inspection correspondent à une activité de contrôle de mise en œuvre, lorsqu'un événement, un acte ou un comportement apparaissent de nature à compromettre le déroulement normal de l'activité policière. Il s'agit alors d'analyser les dysfonctionnements dénoncés et de proposer des mesures correctives à court ou moyen terme.

Les missions d'évaluation portent sur une organisation, un service, la mise en œuvre d'une politique publique ou d'une réforme, et visent à mesurer l'atteinte des objectifs et la bonne utilisation des moyens alloués. Elles sont accomplies selon une démarche essentiellement prospective.

L'audit interne, indépendant et objectif, s'exerce dans quatre domaines : métier, matière comptable et budgétaire, temps de travail, technologies. C'est ce département qui procède au testing, c'est-à-dire aux contrôles inopinés qui servent à évaluer l'accueil dans les services de police. Cette mission est essentielle, car la qualité de cet accueil, comme pour tout service public, doit être sans cesse questionnée, analysée et suivie pour être toujours améliorée.

Les chargés d'inspection et auditeurs internes assurent le suivi des recommandations, suivi que je souhaite renforcer et sans lequel on s'interrogerait sur l'effectivité de nos travaux.

Enfin, la sous-direction de l'analyse, du conseil, de l'accompagnement et de la maîtrise des risques comprend trois structures distinctes.

D'abord, le cabinet de l'analyse, de la déontologie et de la règle. Il produit des analyses et conseils juridiques, aussi bien pour les directions, par exemple au sujet de doctrines d'emploi, que pour les policiers de terrain, en réponse à des questions pragmatiques. Il conduit aussi le suivi et l'analyse de deux applications essentielles dans un fonctionnement démocratique : le traitement relatif au suivi de l'usage des armes, et le recensement des personnes blessées ou décédées lors d'une mission de police. C'est ce service, enfin, qui traite les demandes qui me sont adressées en ma qualité de référente déontologue de la police nationale.

Ensuite, une mission d'appui et de conseil, la MAC. Il s'agit d'un cabinet internalisé de conseil, implanté depuis 2013 au sein de l'IGPN au profit de l'ensemble des directions de la police nationale et de la préfecture de police, et composé pour moitié de policiers actifs expérimentés et pour moitié de contractuels issus de grands cabinets privés de conseil. Sa composition lui permet d'apporter une offre de conseil en organisation, connectée à l'attente du policier tout en recourant à des outils qui ont fait leurs preuves dans le privé. En outre, le coût est, lui aussi, internalisé.

Enfin, l'analyse de la maîtrise des activités et des risques. Depuis 2016, la police nationale s'est engagée dans la démarche capitale de maîtrise des risques métier, afin de sécuriser le fonctionnement des services et d'éviter les dysfonctionnements. Cette structure est chargée de conduire une démarche commune au moyen de méthodes et d'outils partagés : une base d'analyse des incidents et des accidents de la police nationale ; l'élaboration de fiches très pratiques destinées aux policiers de terrain, portant sur tel ou tel risque récurrent ou signalé ; le déploiement dans les services de police d'un logiciel de contrôle des risques ; l'élaboration de cartographies des risques. L'objectif de cette mission est d'améliorer le fonctionnement des services en décelant, en analysant, en anticipant les risques et, par là même, de sécuriser les policiers dans l'exercice de leur métier.

À ces différentes missions s'ajoute une action socle : la formation, dispensée par l'ensemble des agents de l'IGPN aux policiers de tous grades. Elle concerne par exemple la déontologie, la formation au cadre légal en matière d'usage des armes, que ce soit en droit commun ou en maintien de l'ordre, ou encore la maîtrise des risques.

L'IGPN ambitionne d'œuvrer au rapprochement de la police et des usagers, guidée par le souci de la vérité due à nos concitoyens, en étant intraitable envers les policiers qui le méritent, et en appuyant, accompagnant et soutenant tous les autres. Cette démarche, nous la devons à l'institution de la police nationale, en notre qualité d'organe de contrôle interne, à chaque policier, et enfin et surtout à la population, pour renforcer son lien de confiance avec sa police.

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le général Alain Pidoux, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale

Cette audition, grande première, est pour moi l'aboutissement d'un parcours : depuis trois années que je suis à la tête de l'IGGN, que je vais quitter dans quelques jours, j'ai voulu créer les conditions de la redevabilité de notre action à tous les niveaux, et c'est aujourd'hui devant la représentation nationale que je la mets en œuvre. Alors que le rapport d'activité 2022 de l'IGGN vient d'être publié, il me semble naturel de rendre des comptes concernant l'état de santé de la gendarmerie nationale en matière de déontologie.

Depuis 2020, je n'ai eu de cesse de concrétiser ma volonté d'ouverture et de transparence. Le Beauvau de la sécurité a été un accélérateur de notre transformation, même si j'avais exprimé mes souhaits de changement auparavant. J'ai toujours eu conscience du fait que le cœur du sujet est le lien de confiance entre les forces de sécurité intérieure et la population. Ce lien passe bien sûr par un travail bien fait, par la rigueur dans l'exécution des missions, par la disponibilité de nos gendarmes auprès de leurs concitoyens, mais il repose peut-être surtout sur leur exemplarité, que ce soit dans l'exercice de leurs missions, dans leurs prises de parole ou dans leur comportement au quotidien.

Les inspections générales ont une mission de contrôle et d'enquête essentielle à mes yeux, et aussi celle de maintenir une dynamique en matière de prévention. Le ministre, mais surtout, en ce qui me concerne, le DGGN (directeur général de la gendarmerie nationale) doivent disposer de ces outils pour veiller à la qualité du travail, relever éventuellement les fautes et garantir ainsi le niveau d'exigence nécessaire dans notre métier, sachant que nous avons des pouvoirs exorbitants du droit commun – pour faire en sorte, ne l'oublions pas, que le faible soit protégé.

L'IGGN, ce sont 117 personnels qui se consacrent à cette exigence d'exemplarité, synonyme à mes yeux de légitimité. Nous sommes organisés pour traiter les signalements externes comme internes. À la différence de ma collègue de l'IGPN, je précise que je ne suis pas un directeur de l'administration centrale ; je ne suis pas rattaché à la DGGN.

L'an dernier, nous avons enregistré 5 581 signalements externes, dont 2 952 ont été recueillis sur notre plateforme. Parmi ces 2 952, seuls 808 relèvent de notre compétence : nous recevons beaucoup de sollicitations concernant des contestations d'infractions routières, des conflits privés ou des cas qui font déjà l'objet de saisines judiciaires. Au sein des signalements correspondant à notre compétence, 11,7 % ont trait à des manquements, notamment en matière d'accueil dans les brigades de gendarmerie et de prise de plainte. Ces cas sont peu nombreux au regard de la multitude de personnes qui viennent dans les unités, et tous les fautifs sont systématiquement sanctionnés. En 2022, il y a eu 2 992 sanctions disciplinaires, dont 19 radiations des cadres, 12 résiliations de contrat et 71 blâmes du ministre, soit la sanction la plus haute du groupe 1, qui reste dans le dossier du militaire pendant dix ans.

L'IGGN est connue pour ses enquêtes judiciaires : 783 ont été conduites en 2022, dont 54 par le bureau des enquêtes judiciaires de l'IGGN, le BEJ. Nous avons actuellement en portefeuille 123 enquêtes judiciaires. Chacune est placée sous le contrôle des magistrats – procureurs de la République ou juges d'instruction. Le BEJ est systématiquement saisi lors de l'usage des armes mortelles. En 2022, nous avons eu 4 cas d'usage des armes mortelles sur 62 situations opérationnelles d'usage des armes. Ce dernier chiffre est le plus faible enregistré depuis plus de dix ans. Depuis deux ans, j'ai souhaité faire acte de transparence en indiquant le nombre de personnes décédées, ou blessées avec une incapacité temporaire de travail de plus de huit jours. Vous trouverez dans le rapport la liste des cas et la description des faits.

Cette maîtrise de l'emploi de la force, dont atteste le petit nombre de situations d'usage des armes, doit être comparée avec l'importance croissante, depuis dix ans, du nombre de gendarmes agressés. Ce sont 4 354 agressions qui ont eu lieu en 2022, faisant 2 462 blessés. Concrètement, en dix ans, le nombre de gendarmes blessés en intervention a été multiplié par deux.

La Défenseure des droits nous a saisis à trente-six reprises l'an dernier. Dans le cadre du contrôle externe, aux côtés du contrôle parlementaire, le rôle de son pôle de déontologie de la sécurité est essentiel à mes yeux. Une réunion annuelle, instaurée à mon initiative, nous permet de faire le point sur les modalités de saisine et aussi d'expliquer nos divergences. Nous avons également organisé des immersions au sein des unités au profit des juristes de la Défenseure des droits, afin qu'ils comprennent les conditions d'action et de travail de nos gendarmes.

Cette même dynamique existe avec la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. J'ai aussi souhaité ouvrir les portes de l'IGGN aux chercheurs et, parfois, à des journalistes.

Outre nos rapports d'activité, qui sont en ligne, les autres rapports, notamment d'audit, sont désormais rendus publics, conformément aux orientations arrêtées à l'issue du Beauvau de la sécurité.

Enfin, j'ai déjà évoqué l'impulsion que j'ai souhaité donner en matière de prévention. En septembre 2022 a paru le plan d'action Déontologie de la gendarmerie nationale, dont la majorité des vingt-deux actions sont déjà engagées. En outre, des alertes déontologiques sont diffusées et des kits pédagogiques mis à disposition, jusqu'à l'échelon de la brigade. La création en 2022 du coordonnateur national pour le tir au sein de l'IGGN est venue renforcer l'action, qui est impérative dans ce domaine sensible.

Comme la cheffe de l'IGPN, j'insisterai enfin sur le travail réalisé en matière de formation. L'IGGN intervient à toutes les étapes lors des séminaires de préparation aux postes de commandement. Nous associons aussi le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale, notre structure de concertation et de dialogue interne, à la prévention du risque déontologique. Concrètement, plus de 4 000 personnels sont formés chaque année par l'IGGN et l'ensemble de la chaîne de formation est impliquée.

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Vos exposés montrent l'étendue de votre travail, qui ne se limite pas aux affaires à fort retentissement médiatique. Comme vous nous l'aviez dit, madame la directrice, lors de notre visite, beaucoup parlent de l'IGPN, souvent pour la critiquer, mais peu la connaissent – il en va sans doute de même s'agissant de l'IGGN.

Votre travail est essentiel. Aucun soupçon ne doit pouvoir peser sur l'action des forces de l'ordre : c'est la condition de la confiance des Français dans leur police et leur gendarmerie.

Nous ne pouvons laisser croire à une impunité au sein de nos forces de l'ordre : deux autorités administratives, celles que vous représentez, et une autorité judiciaire mènent des enquêtes de grande qualité, conduisant à des sanctions. Les gendarmes et les policiers sont parmi les fonctionnaires les plus contrôlés et sanctionnés de l'administration française – les chiffres que vous venez de nous communiquer le confirment. En outre, nous renforçons année après année les moyens de contrôle, notamment technologiques, par exemple avec la généralisation des caméras-piétons.

La Lopmi vient ajouter des outils et moyens supplémentaires à ceux donnés au ministère de l'intérieur, dont la modernisation des plateformes de signalement, la création d'un outil de suivi des sanctions et le renforcement des saisines communes avec l'Inspection générale de l'administration (IGA).

Dans quelle mesure les caméras-piétons sont-elles efficaces, d'une part pour signaler les infractions et, d'autre part, pour récolter des éléments utiles ?

Quelles évolutions législatives vous sembleraient nécessaires pour améliorer l'efficacité de vos agents ?

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Le groupe Rassemblement national apporte son soutien à l'ensemble de nos forces de l'ordre et rend hommage aux dizaines de personnes décédées au sein de la police et de la gendarmerie depuis le début de l'année, ainsi qu'aux plus de 800 policiers et gendarmes blessés durant les émeutes. En tant qu'élus, nous devons soutenir nos forces de l'ordre dans l'exercice de leurs fonctions comme lorsqu'il s'agit de valoriser leur profession, l'une des plus contrôlées en France, grâce à votre travail. Les Français leur font largement confiance : selon un sondage Ifop commandé par Le Point, c'est le cas de plus de 84 % d'entre eux en ce qui concerne la gendarmerie et de près de 70 % s'agissant de la police. Cela reflète la qualité de l'institution et de votre action.

Pourriez-vous nous préciser le rythme et les conditions de travail des policiers et des gendarmes, notamment sous l'angle de l'acceptabilité de la réforme des retraites, qui va les contraindre à travailler deux ans de plus ? Comment ces paramètres ont-ils évolué ces dernières années ? Quelles seraient les solutions au problème des postes non pourvus, en particulier dans la ruralité pour la gendarmerie ? Les nombreuses heures supplémentaires affectent-elles le moral des membres des forces de l'ordre ?

Des réservistes intègrent-ils définitivement la gendarmerie ? Comment jugez-vous leur travail et leur apport ?

Les émeutes récentes dégradent-elles les conditions de travail ? Affectent-elles le moral des membres des forces de l'ordre ?

Quelles solutions trouvez-vous en interne pour améliorer ces conditions de travail ? Les Jeux olympiques de 2024 sont-ils susceptibles de les modifier ? Y aura-t-il des territoires abandonnés du fait de la mobilisation, dans ce cadre, des forces de l'ordre à Paris ? Il me semble que ces questions importent aux Français.

Enfin, les drones, les caméras de vidéoprotection ou algorithmiques, les scanners corporels améliorent-ils le travail quotidien des policiers et des gendarmes et le travail d'enquête de vos services ?

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Ces questions devraient plutôt être adressées au ministre de l'intérieur.

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Il n'aura échappé à personne que les sanctions disciplinaires internes à la police prononcées pour violences illégitimes ont brutalement baissé depuis que M. Macron est Président de la République : jusqu'en 2017, on comptait une centaine de sanctions disciplinaires par an, et dès 2018 ce chiffre est tombé à vingt ou trente, selon le ministère de l'intérieur lui-même.

Pourtant, selon le directeur de recherches au CNRS Sébastian Roché, on constate durant cette période « une hausse de l'usage de la force et des armes par la police », avec « une élévation très nette du nombre de tirs de LBD [et] de grenades ». Selon lui, la logique serait que plus on demande à la police d'intervenir, plus il y a de confrontations et donc de fautes. Or, c'est le contraire que nous observons et, depuis la fin de la crise des gilets jaunes, la baisse du nombre de sanctions se prolonge. Les chiffres sont parlants : alors qu'avant 2018, au moins une trentaine de sanctions disciplinaires du plus haut degré de gravité étaient prononcées chaque année, ce chiffre est tombé à 2,5 en moyenne par an. Aucune exclusion définitive n'a été prononcée contre des policiers violents, contre une dizaine par an il y a une décennie à peine.

Ce constat d'une tolérance interne au ministère de l'intérieur à l'égard des policiers violents s'accompagne d'une grande opacité vis-à-vis du nombre des violences policières. L'IGPN ne les centralise pas. Les inspections que vous représentez ne traitent que 10 % des enquêtes judiciaires visant les fonctionnaires de police et de gendarmerie, le reste l'étant par des cellules de déontologie placées auprès des directions départementales de la sécurité publique. En 2021, 836 personnes dépositaires de l'autorité publique ont été mises en cause dans une affaire de violences volontaires ; parmi elles, cinq sur six ont bénéficié d'un classement sans suite. C'est deux fois plus que pour l'ensemble de la population générale, alors que leur statut constitue une circonstance aggravante en cas de violences, et non une circonstance atténuante comme cela semble être le cas en pratique.

Madame la directrice, comment expliquez-vous cette baisse du nombre de sanctions, alors que les plaintes pour violences policières explosent ?

Pourquoi vos inspections ne cherchent-elles pas à faire diminuer cette impunité, qui alimente la défiance de la population ?

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Merci pour ces présentations qui éclairent l'exemplarité de nos forces de l'ordre, dont vos deux services sont les gardiens.

Attaques contre des symboles de la République, contre des locaux des forces de sécurité, contre des institutions, contre des élus, destruction massive de biens publics, pillages de commerces : dans un État de droit, une telle situation ne peut pas être légitimée. Aucun drame ne peut justifier le déferlement de violence qui a plongé notre société dans la sidération et engendré une profonde colère. De source gouvernementale, depuis le début des violences, 42 000 agents des forces de l'ordre ont été mobilisés, 3 651 personnes ont été interpellées, dont 1 366 à Paris et en région parisienne. Vos services ont été saisis de dix enquêtes pendant les émeutes, contre cinquante-neuf enquêtes pour la seule IGPN pendant la longue mobilisation contre la réforme des retraites. C'est dix de trop, mais, rapporté au nombre d'interpellations, le chiffre est bas. Et ce ratio est en baisse, ce qui démontre que nos policiers et nos gendarmes sont globalement soucieux de l'emploi légitime de la force.

Pouvez-vous nous confirmer ce chiffre de dix enquêtes ouvertes ?

L'extrême violence de certains individus rend très difficile le rétablissement de l'ordre. Pouvez-vous nous éclairer sur les méthodes d'investigation de vos services ? Comment apporter des éléments de preuve en ce qui concerne la conformité à la loi de l'usage de la force et la proportionnalité des réponses apportées ? Les moyens dont vous disposez sont-ils suffisants ?

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Vous avez insisté sur l'évaluation de l'accueil du public. Les violences intrafamiliales sont la grande cause de ce quinquennat, comme du précédent. En 2021, ce ne sont pas moins de 120 000 victimes qui ont été prises en charge par les policiers et les gendarmes, qui sont parmi les premiers sur le terrain pour écouter, protéger et, le cas échéant, enregistrer les plaintes. Depuis le Grenelle des violences conjugales, 90 000 gendarmes et policiers ont été formés à l'accueil de ces victimes, qui ne doivent plus courir le risque de victimisation secondaire en ne se sentant pas entendues. Je salue en particulier le travail remarquable de la gendarmerie de Quimperlé.

Vos deux inspections générales ont publié, pour la première fois en 2022, un audit de l'accueil des victimes de violences conjugales, qui a permis de constater une amélioration. Le deuxième rapport de l'IGGN, publié en juin 2023, dresse le même constat pour l'année 2022.

Toutefois, certaines carences demeurent. Dans son rapport de juin, l'IGGN pointe ainsi le manque d'accompagnement social et le faible taux de contact avec les associations d'aide aux victimes : 62 % des personnes sollicitées ont signalé l'absence de prise de contact. Quelles mesures concrètes permettront à la gendarmerie d'améliorer ce point ?

Je ne doute pas que l'IGPN publiera elle aussi son rapport pour 2022. Fera-t-il le même constat ?

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Les rapports de l'IGGN analysent quantitativement et qualitativement les comportements anormaux relevés. Comment est élaborée la déontologie ? Existe-t-il pour cela un organe collégial, comportant des personnalités extérieures ? L'IGGN s'inspire-t-elle d'exemples étrangers, d'autres inspections de pays européens notamment ?

Les rapports de l'IGPN distinguent procédures administratives et judiciaires. Le rapport 2021, tout en insistant sur l'audit interne et l'autocontrôle, annonce la création du comité d'évaluation de la déontologie de la police nationale. Pouvez-vous dresser le bilan de cette entité ?

Quelles relations entretenez-vous chacun avec les laboratoires de recherche publique qui travaillent sur la sécurité et sur le maintien de l'ordre ? Quelles conclusions tirez-vous de ces contacts ?

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Je m'associe aux propos tenus sur la qualité du travail des forces de sécurité, comme sur le nécessaire contrôle et le haut niveau d'exigence nécessaires pour respecter les principes républicains.

Je m'interroge sur l'évolution de la place et du rôle des forces de sécurité dans notre société. Les espaces de leur action se sont considérablement étendus – je pense aux réseaux sociaux et au développement de la criminalité en ligne – et leurs missions ont profondément évolué. Jusque dans les années 1970, les forces de sécurité intérieure se préoccupaient avant tout de sécurité nationale, d'ordre public et de grand banditisme ; on s'est ensuite aperçu que la sécurité quotidienne avait été négligée, et qu'il convenait de s'attaquer à la petite et moyenne délinquance et de faire diminuer le sentiment d'insécurité.

En parallèle, le rapport à l'autorité s'est lentement délité. Je constate dans ma circonscription une multiplication des infractions du quotidien, des incivilités : vitres cassées, tags, bagarres urbaines, sans compter tous les faits liés au trafic de stupéfiants. Le civisme, élément cardinal de notre vie en société, de notre nation et de notre République, se perd. Les forces de sécurité intérieures gèrent tous les jours des troubles à l'ordre public parfois éloignés de ce qui constituait naguère le cœur de leurs missions.

Votre perception de cette situation m'intéresse. Le maintien d'un très haut niveau d'exigence vis-à-vis des forces de sécurité, évidemment souhaitable, se heurte-t-il à cette baisse du civisme ? Comment pouvez-vous accompagner l'action des forces de sécurité face aux nouvelles formes de délinquance et à l'évolution des attitudes à l'égard de ces forces ?

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Merci pour cet exercice de transparence.

En essayant de comparer vos deux maisons, si proches et pourtant si différentes, j'ai noté que le rapport 2022 de l'IGPN n'était pas encore disponible. Mes questions seront donc fondées sur les chiffres de l'année 2021, ce que je regrette.

J'ai souri en constatant que l'IGGN met en exergue, dans un petit encart en bleu, le fait que les gendarmes ne déplorent pas un seul mort en 2022 pour les cas de refus d'obtempérer.

Dix morts d'un côté, trente-sept de l'autre en 2021 : ces chiffres malheureusement augmentent. Mais le nombre de morts s'accroît aussi du côté des agents : vingt-deux suicides dans la gendarmerie, quarante-six dans la police. L'IGPN consacre un volet à ces suicides, contrairement à l'IGGN.

Si l'on prend un peu de recul sur l'ensemble de la période, l'on constate que les sanctions pour violences s'écroulent dans la police à partir de 2017, quand celles infligées en raison de problèmes avec la hiérarchie augmentent. En revanche, les signalements faits par l'intermédiaire de la plateforme dédiée doublent entre 2017 et 2021. J'aimerais avoir votre avis sur cette petite incohérence.

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L'impartialité et l'indépendance sont indispensables à ceux et celles qui contrôlent l'action des forces de l'ordre. L'exigence doit être forte, tout comme la pertinence et la diligence des enquêtes, et elle doit concerner aussi la collecte utile et efficace des preuves, ainsi que l'identification et la sanction des auteurs.

Il est vrai qu'on parle de certaines affaires plus que d'autres, mais on ne peut que constater que les sanctions effectives sont très peu nombreuses. On peut aussi se demander si les principes que vous défendez sont respectés lorsque l'IGPN décide, par exemple, de ne pas saisir l'enregistrement de la radio du policier qui a tiré sur Zineb Redouane.

Le principe de l'association des victimes est-il respecté quand une jeune femme de 19 ans, qui a gardé des séquelles au cerveau après un passage à tabac par des policiers, a essuyé deux refus lorsqu'elle a voulu déposer plainte ?

Le principe de contrôle public et de transparence est-il respecté quand je dois m'appuyer sur les données de 2019 pour dire que seuls 0,4 % des signalements ont donné lieu à des sanctions pour faute grave ?

Dans votre rapport d'activité 2019, on lit que la première ambition de l'IGPN est de « valoriser l'institution et ses agents ». Cet aveu étrange dit quelque chose de l'impunité qui semble, pour beaucoup de nos concitoyens, entourer l'action de la police.

Il y a enfin la question du racisme. Pour un homme noir ou arabe, ou perçu comme tel, le risque d'être contrôlé est vingt fois supérieur. Pensez-vous que les testings sont à la hauteur ?

Pour que les inspections gagnent en indépendance et en impartialité, ne serait-il pas bon que leurs fonctionnaires qui y sont affectés ne puissent pas retourner ensuite dans les autres services ?

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le général Alain Pidoux, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale

Il n'y a pas d'impunité pour les forces de l'ordre ; les sanctions sont effectives, les contrôles ciblés.

Je recevais récemment le chercheur Jacques de Maillard, qui m'a contacté en vue d'un travail sur les caméras-piétons, sur les drones et, plus généralement, sur l'utilité des images. Je vous le disais en 2020, dans une audition portant sur le racisme : l'image est aujourd'hui ce que fut l'ADN il y a vingt ans, une révolution dans la police judiciaire.

Pour la part, je ne propose pas d'évolution législative. Tout est prévu dans le code pénal et le code de procédure pénale. Il faut arrêter de modifier les règles en permanence, et plutôt réfléchir à des simplifications. Appliquons ce qui existe mais, par pitié, veillons à ne pas compliquer l'action des enquêteurs !

Le rythme de travail dans la gendarmerie peut être soutenu ; c'est le cas en ce moment. Mais je n'ai jamais ressenti de crispation. Les gendarmes ont un statut militaire et ne comptent pas leur temps de travail – même s'il est maintenant limité, comme vous l'avez décidé. Mais quand les circonstances l'exigent, nous pouvons monter en puissance autant que nécessaire. C'est ainsi que récemment, 5 000 gendarmes sont intervenus en zone police, notamment pour protéger des bâtiments. Nécessité fait loi.

La réserve opérationnelle compte près de 34 000 personnes. En quarante ans de métier, je l'ai vu évoluer de façon remarquable : les réservistes sont proches, faciles à employer. Sans eux, nous ne saurions pas organiser le Tour de France ! Il est envisagé d'augmenter leur nombre, même s'il y a des difficultés, bien identifiées.

Je précise que la majorité des gendarmes sont non pas en zone rurale, mais en zone périurbaine ; seuls 15 % des effectifs servent dans le rural profond. Mais en tout état de cause, il faut être capable de tenir. La mission de la gendarmerie est d'agir lorsqu'on l'appelle au secours – lorsque le petit Émile disparaît, par exemple. Ne vous inquiétez donc pas : il n'y aura pas de territoires abandonnés pendant les Jeux. Une suspension des zones de compétence est déjà prévue, et les gendarmes couvriront certaines zones de police.

S'agissant de l'amélioration des conditions de travail, le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale est la structure de concertation qui permet à l'État de conserver une gendarmerie sereine et efficace, proche de nos concitoyens. Le directeur général de la gendarmerie nationale y est très attentif. J'étais sur le terrain au moment du mouvement des gilets jaunes, en tant que commandant de la zone Ouest : les gendarmes étaient au contact, sur les ronds-points, de gens qu'ils connaissaient.

Parmi les dix enquêtes judiciaires ouvertes pour les événements récents, une concerne la gendarmerie : il s'agit d'une personne qui a perdu un œil du fait d'un tir de LBD (lanceur de balles de défense) à Tours, en zone police, où les gendarmes intervenaient pour protéger un établissement. L'enquête se déroule sous la responsabilité du procureur de la République, et nous y mettons les moyens nécessaires.

S'agissant de l'accueil du public, soyez certains que c'est l'une de mes préoccupations. Nous concevons, je l'ai dit, des kits pédagogiques : le dernier en date porte sur l'accueil des victimes, avec une petite vidéo de quatre minutes et un diaporama, qui permet au commandant de brigade de rappeler les consignes, à partir d'exemples réels – nous n'avons rien inventé. Nous cherchons ainsi à sensibiliser, de façon très concrète, pour éviter toute faute.

Nous ne disposons pas d'organe collégial qui intégrerait des regards externes. Mais j'ai souhaité échanger avec les chercheurs : MM. Jacques de Maillard, Mathieu Zagrodzki, Sébastian Roché… M. Christian Mouhanna a passé du temps à l'IGGN pour interviewer les personnels du bureau des enquêtes judiciaires, afin de mieux connaître les conditions d'enquête, de savoir s'ils sont indépendants ; il établit une comparaison entre quatre pays. La gendarmerie dispose aussi du centre de recherche de l'École des officiers de la gendarmerie nationale. Cette dynamique d'échange permet aussi de sensibiliser les gendarmes à ces enjeux.

Notre rapport annuel d'activité est paru il y a un mois, bien avant le décès de Nahel. Il mentionne, en effet, qu'aucun mort n'est dû à un tir de gendarme lors d'un refus d'obtempérer. Toutefois, il y a eu trente tirs de gendarmes, notamment vers les roues, destinés à immobiliser un véhicule. Mais ces tirs sont presque inutiles : on n'arrête pas un véhicule avec une arme à feu ! Les Allemands, par exemple, ne tirent pas dans de telles circonstances. Mais quand il est en danger, quand on fonce sur lui, le gendarme doit sauver sa vie ou celle de son camarade : c'est la légitime défense, prévue par le code pénal.

Si je suis fier de dire que nous n'avons aucun mort à la suite d'un refus d'obtempérer, c'est qu'il y a une sensibilité sur ce sujet. Nous avons diffusé l'an dernier un kit pédagogique dédié : il est arrivé dans toutes les brigades et a servi à rappeler à tous les conditions d'usage des armes. Avec le Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier, qui s'occupe de l'intervention professionnelle comme du maintien de l'ordre, nous avons conçu une infographie sur les meilleures façons d'arrêter un véhicule en mouvement. Il y a donc une démarche pédagogique d'ensemble. Nous sommes peu nombreux à l'IGGN, et quand nous voyons une baisse de l'adversité, une baisse des tirs, une baisse des saisines pour des faits graves – une seule pour des faits de racisme ! – nous en sommes légitimement fiers.

Enfin, je vois, moi aussi, une diminution du civisme. Qui est au contact de la misère sociale, qui reste, quand tout est fermé ? La police et la gendarmerie bien sûr – mais aussi les hôpitaux, les urgences, qui reçoivent parfois des gens très violents. Je tiens à leur rendre hommage.

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Agnès Thibault-Lecuivre, directrice, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Le rapport d'activité 2022 de l'IGPN sera mis en ligne dans les tout prochains jours. Le rapport annuel relatif à l'accueil des victimes dans les services de police dont nous faisions état lui sera annexé. J'utiliserai des éléments de ces rapports pour répondre à vos questions.

S'agissant de nos moyens, les enquêteurs dont nous disposons sont compétents pour une zone géographique très large. Par définition, l'IGPN ne peut pas être saisie de l'ensemble des faits impliquant des fonctionnaires de police. Nous nous félicitons de l'existence de cellules de déontologie au sein des directions départementales.

Nous disposons de larges moyens légaux, solidement ancrés. La seule modification que nous pourrions souhaiter concerne l'article 11-2 du code de procédure pénale, qui régit la façon dont nous pouvons, en cas de poursuites judiciaires, solliciter de l'autorité judiciaire des éléments de procédure afin de les joindre à l'enquête administrative : nous aimerions voir élargir ces dispositions, afin de disposer plus largement de ces éléments cruciaux. Car, dans le cas des enquêtes administratives, nos moyens sont, et c'est normal, très limités – aucun moyen de contrainte, aucun moyen d'investigation intrusif.

Nous conduisons les enquêtes judiciaires, je l'ai dit, sous l'autorité des magistrats instructeurs. Les enquêtes administratives, nous nous devons de les ouvrir avec célérité et de les mener avec rigueur : le devoir de réaction de l'administration est essentiel. J'insiste sur le fait que nous n'avons qu'un pouvoir de proposition de sanction : nous relevons des manquements, et il revient à l'administration de prononcer les sanctions.

En ce qui concerne les moyens techniques, nous ne pouvons que nous féliciter de l'utilisation accrue des caméras-piétons et des drones, car l'image est fondamentale lors des enquêtes – vous avez tous pu le constater. J'insiste néanmoins sur le fait qu'elle ne peut pas constituer l'alpha et l'oméga d'une procédure, qu'elle soit administrative ou judiciaire. Il serait trop facile de croire que le simple visionnage d'images permet de comprendre les circonstances de la commission des faits et les raisons pour lesquelles le policier a agi d'une certaine manière. S'en contenter serait contraire au devoir de tout bon enquêteur, qui doit instruire à charge et à décharge.

Les caméras-piétons sont un élément de preuve essentiel et nous ne cessons de rappeler aux policiers qu'il faut les activer. Elles ont aussi un rôle sensible pour la désescalade dans la relation du policier avec le citoyen.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué les difficultés auxquelles les policiers sont confrontés. L'IGPN n'est pas déconnectée de la réalité du terrain. Pour autant, nous rappelons toujours que tous les policiers doivent obéir à leur devoir d'exemplarité, en toutes circonstances, quelle que soit l'adversité à laquelle ils font face.

Depuis mon arrivée à la tête de l'IGPN, la question des tirs sur les véhicules en mouvement ne cesse de me préoccuper, mes équipes peuvent en témoigner. Nous devons y réfléchir, autant pour l'institution policière que pour la société. Dans quelles conditions les policiers sont-ils amenés à tirer ? Pour quelles raisons ? Comment les former ? Comment tirer des enseignements des différentes procédures ? En 2022, treize personnes ont été tuées du fait de tirs de ce type. Ce nombre nous conduit nécessairement à nous interroger. Et puisqu'on entend tout et son contraire sur le sujet, je veux rappeler les chiffres exacts : en 2021, 157 tirs sur des véhicules en mouvement avec des armes individuelles ont eu lieu, avec deux morts, pour 138 tirs en 2022 – avec, je le disais, treize morts.

L'article 435-1 du code de la sécurité intérieure – issu de la loi du 28 février 2017 si commentée ces derniers temps – prévoit un régime très strict et précis pour les policiers et les gendarmes. Ce texte, qui concerne spécifiquement leur légitime défense, indique qu'ils ne peuvent faire usage de leur arme qu'en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée.

Nous n'avons de cesse de démontrer notre impartialité et notre indépendance. Lorsque nous sommes saisis de procédures judiciaires, nous ouvrons systématiquement des enquêtes administratives prédisciplinaires. Nous nous devons de récolter des preuves, que nous transmettons à l'autorité judiciaire. Dans le cas des enquêtes administratives ou prédisciplinaires, l'IGPN n'a le pouvoir de prononcer ni des peines, et c'est heureux, ni des sanctions, car c'est ainsi que fonctionne notre institution.

Monsieur Coulomme a évoqué l'utilisation des LBD. Vous verrez dans le rapport annuel 2022 que les chiffres concernant leur emploi sont constants.

Le nombre des procédures judiciaires ouvertes à la suite des émeutes liées au décès dramatique du jeune Nahel à Nanterre a évolué : on en compte désormais vingt-et-une, et non plus dix comme annoncé précédemment. Sans faire état de détails qui porteraient atteinte au secret des investigations en cours, je souligne que ces dossiers sont de nature et de gravité très différentes, et que le nombre de ces procédures n'est pas révélateur en soi.

Madame Karamanli a rappelé que les travaux du comité d'évaluation de la déontologie de la police nationale se sont concentrés sur les contrôles d'identité. Je remettrai au plus tard à l'automne un rapport retraçant nos réflexions sur l'usage et l'efficacité de ces contrôles. Encore une fois, je souligne la capacité de l'institution, en lien avec les membres du comité, que j'ai énumérés, à s'interroger sur cette pratique qui est au cœur de la relation entre la police et la population.

Comme l'a indiqué le général Pidoux, nous entretenons en permanence des relations avec l'extérieur. Nous ouvrons nos portes aux universitaires et aux chercheurs, car c'est essentiel pour participer à la réflexion commune. Nous nous interrogeons aussi de manière constante en interne sur les pratiques, car c'est l'essence même du travail d'une inspection. Nous l'avions par exemple fait au sujet de l'usage des armes bien avant les événements dramatiques survenus à Nanterre.

Enfin, le problème des suicides a été évoqué à juste titre. Chaque cas de suicide déploré au sein de la police nationale fait l'objet d'un travail d'analyse très fin par l'IGPN, afin d'en comprendre les raisons et de déterminer s'il est imputable au service.

Voilà les éléments de réponse que je peux apporter à ces questions très denses, auxquelles il est difficile de répondre dans les délais impartis avec toute l'exhaustivité qui pourrait être attendue.

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Je rappelle que sera proposée, au mois de septembre, lors de la réunion du bureau de notre commission, la création d'une mission d'évaluation de la loi du 28 février 2017 en ce qui concerne l'usage des armes lors des refus d'obtempérer.

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Monsieur Coulomme, la commission d'enquête sur les groupuscules violents a auditionné hier la Défenseure des droits. Ses propos étaient loin d'être aussi caricaturaux que les vôtres, puisqu'elle a notamment souligné que les réclamations concernant l'utilisation des LBD avaient significativement baissé ces derniers mois – y compris lors des derniers événements. Je vous invite à lire le compte rendu de cette audition.

Ma première question porte sur les moyens de force intermédiaire. Quel est le nombre de saisines de vos inspections qui touchent à leur utilisation ? On assiste à un débat binaire entre ceux qui veulent augmenter considérablement ces moyens et ceux qui souhaitent les supprimer complètement. Quelle est l'analyse de vos deux institutions sur cette question ?

Mon général, vous avez noté à juste titre qu'il y a plusieurs types de contrôle : le contrôle hiérarchique, interne – qui effectué par les inspections – et le contrôle externe – qui n'est exercé que par la Défenseure des droits. Dans le cadre de la Lopmi, à l'initiative de notre collègue Cécile Untermaier, nous avons voté la création d'un collège de déontologie du ministère de l'intérieur. Il sera présidé par un membre du Conseil d'État et devra comprendre des personnalités extérieures – ce qui a fait l'objet de négociations serrées avec le ministère. Où en est la mise en place de ce collège ? Avez-vous été associés à la rédaction des textes qui le concernent et à sa composition ?

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Je reconnais volontiers la difficulté de la tâche d'un chef de l'IGPN ou de l'IGGN. Le chiffre des gendarmes blessés que vous avez cité est édifiant, mon général.

Au nom du groupe Rassemblement national, je vous remercie tous deux de nous avoir éclairés sur vos travaux en cours. En démocratie, il est important que des corps de contrôle s'assurent que les règles d'usage de la force sont respectées et que des enquêtes soient diligentées lorsque des soupçons d'actes contraires à la loi ou au code de déontologie se font jour. La police et la gendarmerie nationales sanctionnent sévèrement les dérives, ce qui est une bonne chose. Cependant, fort de mon expérience de trente-sept ans en tant que commissaire de police, je sais combien le travail sur le terrain est difficile, surtout face à des événements aussi violents que ceux que nous avons traversés récemment.

Permettez-moi de rendre hommage, comme l'immense majorité de nos concitoyens, à nos policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers, qui ont fait preuve d'un courage exceptionnel face à l'adversité et à la violence aveugle de la rue. Plus de 700 membres des forces de l'ordre ont été blessés ces derniers jours. C'est un très lourd tribut, que rien ne saurait justifier.

Cela ne peut être ignoré. C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir expliquer comment les enquêtes que vous menez à chaud permettent de conserver assez de distance pour rester impartial et garantir des investigations respectant au mieux la présomption d'innocence des policiers et des gendarmes mis en cause.

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Madame la directrice, je souhaite vous interroger au sujet de l'indépendance de l'IGPN.

Selon de nombreux observateurs, cette inspection ne peut pas être considérée comme indépendante, alors que l'article 1er du décret qui l'établit indique qu'elle constitue un service actif de la direction générale de la police nationale (DGPN). Or, l'indépendance suppose l'absence de sujétion hiérarchique et de rapport avec le groupe professionnel contrôlé. C'est bien le ministre de l'intérieur qui décide du budget de l'IGPN. Son directeur est nommé et peut être révoqué par le directeur général de la police nationale qu'elle est censée contrôler, lequel est nommé par le pouvoir exécutif. Ses enquêteurs sont nommés par la DGPN, dont dépend leur carrière future.

Les comparaisons avec l'étranger montrent que prévaut en général le modèle d'une inspection mixte ou véritablement indépendante. C'est par exemple le cas au Royaume-Uni, où l'Office indépendant du comportement policier peut s'autosaisir en cas d'affaire grave. Il est véritablement indépendant de l'exécutif, notamment parce qu'il dispose de son propre budget et d'enquêteurs qui ne sont pas rattachés à un service de police actif, et que son directeur n'est pas un policier – ce n'est pas une règle en France, même si vous-même êtes magistrate. Au Danemark, l'Autorité indépendante de traitement de plaintes à l'encontre de la police est dirigée par un bureau composé par un juge, des avocats et des professeurs de droit.

Vous avez indiqué que l'IGPN réfléchit sur elle-même. La question de son indépendance fait-elle partie des sujets que vous avez abordés ?

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En préambule, comme mes collègues du groupe Rassemblement national, je salue le travail des policiers et des gendarmes qui œuvrent chaque jour pour protéger nos concitoyens, malgré les critiques récurrentes et souvent caricaturales d'une minorité bruyante et agissante.

Le rapport publié il y a deux jours par la Ligue des droits de l'homme (LDH) au sujet des événements survenus à Sainte-Soline tente de réécrire l'histoire, en faisant passer les gendarmes pour des guerriers factieux surarmés, prêts à s'acharner violemment sur de gentils manifestants écologistes et pacifiques qui n'auraient commis aucune infraction, ni bravé aucune interdiction. Ce rapport est fondé sur le récit de ce que la LDH appelle ses observateurs, à propos desquels je souhaite mettre en lumière une liste non exhaustive d'informations pour le moins surprenantes : carences en matière de formation, absence d'harmonisation de celle-ci à l'échelle nationale, obligation de signer une charte d'engagement qui n'est curieusement pas disponible sur internet – en matière de transparence, on repassera – et, enfin, absence de toute procédure de contrôle, par exemple par le biais d'une certification.

Malgré tous ces manquements, ces observateurs autoproclamés bénéficient d'une influence médiatique proportionnelle à leur partialité, qui sert les discours anti-flics de ceux qui passent leur temps à crier que « tout le monde déteste la police » ou à s'afficher aux côtés de ceux qui le font.

Alors que l'IGGN dispose de 117 agents assermentés, dont la légitimité et l'exemplarité ne sauraient être remises en cause, quel est selon vous l'effet de ce genre de rapport à la fois sur le moral des forces de l'ordre et sur l'augmentation des violences commises à leur encontre – dont vous avez rappelé qu'elles ont doublé en dix ans en ce qui concerne les gendarmes ?

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Cette audition est la bienvenue, dans un contexte où l'action des forces de l'ordre est remise en question chaque jour par ceux qui profitent de la moindre occasion pour les dénigrer ou pour chanter qu'ils les détestent.

Mon général, je vous remercie d'avoir rappelé que les forces de l'ordre ne tirent pas pour un refus d'obtempérer, mais pour protéger leur vie ou celle d'autrui. Les 138 tirs relevés pour la police en un an doivent être comparés aux 26 000 refus d'obtempérer commis chaque année. Il serait bien de parler aussi des agents qui ont été gravement blessés ou qui ont perdu la vie car ils ont été percutés par le véhicule de délinquants.

Comme cela a été indiqué, les agressions augmentent fortement contre les agents des forces de l'ordre, mais aussi contre leurs familles. Comment jugez-vous l'évolution de leur moral ces dernières années et ces derniers mois, dans un contexte social explosif ?

Vous êtes aussi saisis lorsqu'un policier ou un gendarme se suicide. Dans quelle mesure les difficultés professionnelles rejaillissent-elles sur la vie personnelle ? Les chefs de service sont-ils suffisamment attentifs aux risques psychosociaux ?

La formation est souvent critiquée par ceux qui n'ont aucune idée de son déroulement. Que pensez-vous de la formation dispensée actuellement aux élèves gardiens de la paix ou gendarmes ? Comment en évolue la qualité ? Est-elle adaptée au contexte d'augmentation de la défiance dont font l'objet les forces de l'ordre ?

En parlant de défiance, certains réclament la mise en place de récépissés lors des contrôles d'identité, laissant penser que les personnes pourraient être contrôlés du simple fait de leur faciès. Que pensez-vous de cette proposition ?

La nomination de magistrats à la tête de vos inspections respectives – puisque tel devrait être le cas prochainement aussi pour l'IGGN – ne rend pas crédibles les procès d'entre-soi. J'appelle de mes vœux la même démarche d'ouverture de la part du ministère de la justice, qui devrait envisager l'éventuelle nomination d'un policier ou d'un gendarme à la tête de l'Inspection générale de la justice.

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Vous aurez, à ce propos, observé que l'École nationale de la magistrature (ENM) est désormais dirigée par une avocate.

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Agnès Thibault-Lecuivre, directrice, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Madame Obono, Monsieur Rambaud, l'éthique de responsabilité est ancrée au sein de l'IGPN. Notre charte repose sur trois valeurs : l'exemplarité, l'objectivité et l'expertise. Elle figure dans le rapport annuel 2021 et je la mettrai de nouveau en exergue dans le rapport annuel 2022. Cette éthique de responsabilité suppose, bien évidemment, d'avoir conscience de la responsabilité très lourde qui nous incombe en tant qu'organe de contrôle interne de la police nationale.

Car, oui, l'IGPN est une direction active de la police nationale. J'ajoute que je n'ai pas un chef, mais deux : le directeur général de la police nationale (DGPN) et le préfet de police de Paris. Cela signifie-t-il pour autant que l'IGPN n'est pas indépendante ? Je le répète avec force : personne ne guide notre plume lors des enquêtes administratives prédisciplinaires, lorsqu'il s'agit de relever des manquements et de proposer des sanctions. Dans le cadre des procédures judiciaires, absolument personne d'autre que l'autorité judiciaire n'oriente nos missions destinées à la manifestation de la vérité. Si les seuls arguments pour contester notre indépendance et notre crédibilité sont ceux relatifs à notre budget – qui est voté par le Parlement, ce dont je le remercie, avec une répartition précise des crédits – je vous invite tous à venir voir comment nos enquêteurs procèdent, ce que le président Houlié et Monsieur Rudigoz ont déjà fait. Ce serait faire injure à l'ensemble des agents de l'IGPN que de dire que notre travail serait partial et que nous n'aurions pas conscience des exigences de la tâche qui nous incombe.

La question de la formation est essentielle, et j'ai d'ailleurs conclu mon propos introductif en disant toute l'importance que l'IGPN lui accorde. Nous nous devons de réfléchir en permanence à l'amélioration du service public de la sécurité, mais il nous faut aussi apporter une sécurité au policier qui intervient chaque jour sur le terrain. Cette sécurisation passe par une formation idoine, qui doit être très pratique et expliquer simplement quel est le cadre légal, forcément complexe dans la loi. Tel est l'objectif des fiches sur la maîtrise des risques dont j'ai parlé. Tel est également le sens de nos échanges permanents avec la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale. Il faut que le policier soit formé aux difficultés auxquelles il est susceptible d'être confronté, car on pourra par la suite lui demander des comptes dans le cadre d'une enquête administrative ou judiciaire.

Le collège de déontologie du ministère de l'intérieur, tel qu'il est prévu dans le rapport annexé à la Lopmi, succédera à un collège qui rassemblait les référents déontologues du ministère, qui était présidé par un membre du Conseil d'État, M. Christian Vigouroux, et auquel le général Pidoux et moi-même participions. La composition du nouveau collège sera différente. Nous avons été associés à la rédaction du texte et attendons de savoir qui y sera nommé. Nous nous tiendrons bien évidemment à la disposition de ce collège dans ses travaux.

J'en viens à la question de Monsieur Boudié sur l'utilisation des moyens de force intermédiaire. Un débat binaire est précisément le genre d'écueil qu'une inspection doit veiller à éviter. C'est un devoir, pour l'IGPN, que d'analyser en permanence les besoins réels auxquels ces moyens peuvent répondre, de réfléchir à leur usage et de le quantifier, à l'aide notamment du traitement relatif au suivi de l'usage des armes que j'ai évoqué. Tout cela afin de permettre à la police nationale d'adapter ces moyens si le besoin s'en fait sentir, qu'il s'agisse des LBD ou des pistolets à impulsion électrique.

Enfin, en ce qui concerne les contrôles d'identité, dont j'ai déjà longuement parlé, je répète qu'un rapport spécifique sera remis au directeur général de la police nationale et au préfet de police. Nous avons étudié l'ensemble des hypothèses, y compris celle d'un récépissé – lequel ne constitue pas forcément la solution qui nous paraît devoir être retenue. Il faut garantir la traçabilité de ces contrôles, mais sans adopter une approche manichéenne. Nous devons mesurer les avantages et les inconvénients de ce qui peut apparaître au premier abord comme une bonne idée.

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le général Alain Pidoux, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale

S'agissant de la gendarmerie, il est apparu qu'il n'y avait pas de problème avec les contrôles d'identité. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les chercheurs – notamment M. Sebastian Roché. Comme je l'ai dit à Mme Claire Hédon, la Défenseure des droits, je suis opposé à la délivrance d'un récépissé sous la forme d'un papier. Cela n'empêche pas de faire des vérifications sur la manière dont ces contrôles sont effectués, notamment grâce aux outils numériques. C'est ce que nous avons fait lorsque la Défenseure des droits a été saisie par une mère qui estimait que son enfant avait été victime d'un contrôle parce qu'il était originaire du Mali : nous avons pu prouver que quarante-deux contrôles d'identité avaient été réalisés durant le même laps de temps et qu'ils étaient représentatifs de l'ensemble de la diversité française. La Défenseure des droits a conclu qu'il n'y avait pas eu de contrôle au faciès. Chaque contrôle est répertorié et laisse une trace dans les fichiers.

Je suis un fervent défenseur des moyens de force intermédiaire. Tout l'enjeu réside dans la maîtrise de leur utilisation. C'est la raison pour laquelle nous avons placé un superviseur auprès de celui qui tire avec un LBD : à deux, on a plus de retenue. Tout cela est un problème de formation et de commandement. Il revient au chef de proximité de décider s'il faut agir et d'utiliser ces moyens avec proportionnalité. Si on les supprime complètement, le gendarme n'aura plus d'autre choix que d'utiliser son arme à feu – soit exactement ce que l'on souhaite éviter.

Nous avons été associés à la réflexion sur le nouveau collège de déontologie du ministère de l'intérieur et j'ai, en effet, émis des réserves. Je vais en faire part à la représentation nationale en présence de mon successeur, Jean-Michel Gentil, magistrat de l'ordre judiciaire. La rédaction retenue rend possible le fait qu'aucun gendarme ne siège au sein ce collège. J'y suis opposé : qui imaginerait un collège de déontologie de la médecine sans médecin ? C'est incompréhensible, notamment pour le gendarme de terrain. Nous avons donc fait des propositions précises et je ne doute pas que nous serons entendus.

Je remercie Monsieur Rambaud pour son hommage aux forces de l'ordre. Sa question était de savoir comment nous pouvions mener des enquêtes en prenant de la distance, alors même que des gendarmes sont blessés. Quelqu'un a tué Mélanie Lemée en la percutant avec son véhicule, dans le Lot-et-Garonne. J'ai vu les images. C'est atroce. Comment les gendarmes peuvent-ils enquêter sur de tels faits avec réserve, maîtrise et impartialité ? Cela tient en un mot : le professionnalisme, qui dans une démocratie s'impose à nous. Lorsque nous intervenons, c'est avec distance et maîtrise, et sous le contrôle des magistrats. Je peux le dire : ma toute petite équipe de 117 personnes, c'est la crème de la crème, et c'est un bonheur.

Madame Obono, vous évoquez les modèles étrangers. Bien sûr, nous les étudions – un séminaire organisé avec la Défenseure des droits y a été consacré – mais pour ma part, je n'ai jamais vu aucun système idéal. S'agissant du Royaume-Uni, je n'oublie pas la stupéfiante corruption de la police londonienne, et le modèle danois n'est pas forcément à prendre en exemple. Pourquoi lâcher la proie pour l'ombre ? Je suis partisan de contrôles à plusieurs niveaux, en particulier celui exercé par le Défenseur des droits. Mais notre dispositif est opérationnel. N'essayons pas d'importer un modèle qui ne correspondrait pas à notre identité.

En ce qui concerne la Ligue des droits de l'homme, j'ai entendu M. Patrick Baudouin, son président, soutenir beaucoup d'affirmations avec une grande assurance. J'ai été surpris que l'on puisse écrire plus de 140 pages sur les événements de Sainte-Soline. Je ne sais rien et ne veux rien savoir de l'enquête judiciaire. De notre côté en revanche, quatre enquêtes sont en cours.

Nous analysons en particulier des heures d'enregistrements vidéo, que nous avons saisis. Car tout est filmé : la LDH utilise des drones – alors que la gendarmerie, elle, n'en a pas le droit. Nous n'avons pas vu une seule image d'un gendarme bloquant une ambulance. En revanche, nous avons vu des prospectus incitant les manifestants à ne pas faire appel aux secours sur place ; nous avons vu la personne la plus gravement blessée, prénommée Serge, être déplacée à plusieurs reprises, contrairement à toutes les règles d'usage en pareille situation. Certains voudraient-ils éviter une mise en cause ? En tout cas, je suis serein dans l'attente des conclusions des enquêtes menées sous le contrôle du procureur de la République.

Quant aux attaques subies par les gendarmes et les gendarmeries, moi aussi, je suis inquiet. Ce sont les familles des gendarmes qui peuvent être mises en danger. Au sein de l'IGGN a été créée la mission sûreté de la gendarmerie, chargée d'œuvrer à la protection des unités de gendarmerie – celle des locaux des gendarmeries, bien sûr, mais aussi celle des logements concédés par nécessité absolue de service.

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La présentation du rapport de la mission d'information sur l'activisme violent sera certainement l'occasion de revenir sur les événements de Sainte-Soline.

Par ailleurs, l'audition de l'IGPN et de l'IGGN par notre commission a vocation à devenir annuelle.

Quant au rapport annuel de l'IGPN, je vous serais reconnaissant, madame la directrice, de l'adresser à la commission concomitamment à sa publication, afin qu'il puisse être transmis à l'ensemble de nos membres.

La Commission entend ensuite une communication de la mission d'information flash sur le champ d'application de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques (Mme Marie Lebec et M. Nicolas Sansu, rapporteurs).

Cette réunion ne fait pas l'objet d'un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l'Assemblée nationale à l'adresse :

Lien vidéo : https://assnat.fr/Mzxxqf

Communication de la mission d’information flash sur le champ d’application de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

Questions des représentants des groupes

La séance est levée à 12 heures 05.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, M. Florent Boudié, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Edwige Diaz, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, Mme Emeline K/Bidi, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Marie Lebec, Mme Julie Lechanteux, M. Didier Lemaire, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, M. Thomas Ménagé, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Aurélien Pradié, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Nicolas Sansu, M. Hervé Saulignac, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - M. Ian Boucard, M. Philippe Dunoyer, Mme Marie Guévenoux, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Élisa Martin, Mme Naïma Moutchou, M. Davy Rimane

Assistait également à la réunion. - Mme Elsa Faucillon