Jeudi 25 mai 2023
La séance est ouverte à dix heures.
(Présidence de M. Guillaume Vuilletet, président de la commission)
La commission auditionne la direction générale des outre-mer.
Mes chers collègues, nous reprenons nos auditions dans le cadre de notre commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.
Dans un premier temps, nous allons entendre la direction générale des outre-mer (DGOM), représentée par : Mme la préfète Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer, M. Frédéric Joram, adjoint à la directrice générale, Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques, Mme Gwenaëlle Chapuis, adjointe au sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État, M. Didier Herry, chef du bureau des collectivités locales et Mme Nathalie Konaté, adjointe au chef du bureau de la réglementation économique et fiscale.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles de notre rapporteur. Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mmes Sophie Brocas, Isabelle Richard, M. Frédéric Joram, Mme Gwenaëlle Chapuis, M. Didier Herry et Mme Nathalie Konaté prêtent serment.)
Je vous remercie de l'occasion que vous nous donnez d'échanger avec vous sur la question importante du coût de la vie dans les outre-mer. Une équipe m'accompagne afin de répondre de manière aussi précise que possible à vos interrogations.
Comme vous le savez, la direction générale des outre-mer est une administration de mission. Nous avons pour rôle d'impulser, de concevoir, de coordonner le travail des différents ministères, de sorte que les politiques publiques et les dispositifs que ces ministères élaborent soient le plus adaptés possible aux enjeux et spécificités des outre-mer, qui appellent, de fait, un traitement particulier. Il y a très peu de domaines où une application strictement identique permet d'être efficace, et l'adaptation est donc nécessaire.
La question des prix et du coût de la vie se joue dans tous les moments de la vie quotidienne, car de nombreuses politiques publiques contribuent – ou doivent contribuer – à améliorer le pouvoir d'achat de nos concitoyens. C'est vrai du logement, de l'alimentation, de l'énergie et de l'emploi. C'est donc un faisceau de politiques publiques qui contribue au coût de la vie, la vie chère ayant elle-même une pluralité de causes. C'est la raison pour laquelle la direction générale des outre-mer, que je pilote avec Frédéric Joram, est pleinement mobilisée dans la lutte contre la vie chère. Elle devra le rester aussi longtemps que des écarts significatifs de prix existeront entre l'Hexagone et les outre-mer, parce que que ces écarts affectent plus fortement les ménages modestes ou très modestes, dont nous savons qu'ils sont nombreux dans les outre-mer.
L'étude de l'Insee de 2015, qui est en cours de réactualisation, a montré un niveau général de prix plus élevé dans les outre-mer. Globalement, les prix sont 7 % à 12,5 % plus élevés que dans l'Hexagone, et ces écarts sont largement dus au coût de l'alimentation, qui représente, en particulier pour les ménages modestes, le premier poste de dépenses, avec le logement. En matière d'alimentation, les écarts peuvent aller de 28 % à 38 %.
Nous savons qu'il existe des causes structurelles, physiques, géographiques à ces surcoûts. Vous les connaissez aussi bien que nous, voire mieux : l'insularité, l'éloignement, l'étroitesse des marchés, ou le poids des importations. Néanmoins, s'il faut prendre en compte ce contexte, il existe des leviers d'action pour tenter de faire baisser les prix et d'améliorer le pouvoir d'achat de nos concitoyens ultramarins.
De notre point de vue, cette bataille doit être menée sur deux fronts simultanément : celui des revenus d'une part, celui des prix d'autre part.
Sur le front des revenus, d'abord, le problème est bien documenté. L'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom) montre que malgré, une convergence progressive avec l'Hexagone – dont on ne peut se satisfaire tant qu'elle ne sera pas quasi-totale –, les écarts de richesse demeurent. Ils sont principalement dus à un niveau de chômage plus élevé et au poids plus important de l'économie informelle. L'Iedom estime le poids de cette économie à 26 % en Guadeloupe, à 20 % en Martinique et à 16 % à La Réunion ; il s'agit à chaque fois du niveau haut de la fourchette d'estimation.
Il faut agir de manière volontariste pour réduire ce chômage. Un certain nombre de mesures ont été décidées par le Gouvernement afin d'élever le taux d'emploi et de lutter contre le chômage. Citons par exemple le plan d'investissement dans les formations et les compétences, qui a mobilisé au profit des outre-mer, dans les derniers contrats de convergence et de transformation, 507 millions d'euros, ce qui a constitué un apport très important. Citons également le plan « un jeune, une solution », au soutien à l'apprentissage –qui mérite sans doute que l'on fasse davantage, notamment pour la modernisation des centres de formation d'apprentis (CFA) – ou encore aux résultats, dont nous sommes fiers, du service militaire adapté (SMA), qui dépend de notre périmètre et forme, chaque année, 6 000 jeunes, avec un taux d'insertion record, de l'ordre de 82 % en 2022.
Il faut poursuivre et amplifier ces efforts, mais ils commencent cependant à payer : nous constatons des résultats encourageants, notamment sur le théâtre du chômage. Ainsi, à la fin du 1er trimestre 2023, nous notons un recul de 4,6 % du nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A. En 2022, certains territoires ultramarins ont commencé à se rapprocher des taux de l'Hexagone, avec un taux de chômage de 10,7 % en Guyane, 10,3 % en Martinique, 12,8 % en Polynésie et 10,9 % en Nouvelle-Calédonie. Il n'en reste pas moins que des écarts demeurent avec l'Hexagone d'une part et que, d'autre part, d'autres territoires restent en décrochage et souffrent d'un chômage structurel. Je pense notamment à la Guadeloupe, qui enregistre encore un taux de chômage de 19,3 %, à La Réunion, où il est de 17,2 % et à Mayotte, où il atteint 34 %, ce qui est évidemment très préoccupant.
Il faut donc poursuivre cet effort sur le front de l'emploi. Nous espérons beaucoup de l'expérimentation qui sera conduite à La Réunion en vue de l'implantation de France Travail, avec une meilleure coordination de tous les acteurs et un accompagnement renforcé des demandeurs d'emploi. Nous espérons, avec le ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion, maintenir un haut niveau d'investissement dans la formation, qui constitue le nerf de la guerre, car il consiste à donner aux gens les moyens de pouvoir trouver un emploi qui leur convient et de les former en conséquence. Nous maintiendrons aussi nos soutiens aux entreprises. La DGOM soutient par exemple des structures telles que l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), France Active, Initiative France d'outre-mer ainsi que l'économie sociale et solidaire. Ces trois structures (l'Adie, France Active, Initiative France d'outre-mer), qui permettent aux porteurs de projet de créer leur activité – d'abord pour eux-mêmes, afin de sortir de l'économie informelle et s'inventer un destin, puis en les accompagnant au fur et à mesure que les entreprises grandissent –, ont soutenu l'an dernier 11 800 bénéficiaires pour 70 millions d'euros de crédits distribués. Ceux-ci ont notamment permis d'enclencher des prêts bancaires.
L'emploi contribue à l'amélioration du produit intérieur brut (PIB) par habitant. Là aussi, les résultats sont encourageants mais il ne faut pas baisser la garde.
Un deuxième combat, nécessaire et juste, doit être conduit sur le plan des prix. Parmi les multiples facteurs qui expliquent le problème du coût de la vie et le niveau élevé des prix, l'Autorité de la concurrence en relève deux principaux et l'étude que nous avons conduite pour l'Union européenne confirme ce diagnostic. Il s'agit d'abord du recours à des grossistes-importateurs et l'existence d'une longue chaîne d'acteurs, dont les marges additionnées les unes aux autres conduisent à des prix plus élevés. Ce sont aussi des frais d'approche nécessairement différents de ce qui prévaut dans l'Hexagone, lesquels comprennent une spécificité ultramarine : l'octroi de mer.
À nos yeux, l'octroi de mer contribue de manière claire au coût de la vie, des taxes s'appliquant aux produits importés, même en l'absence de production locale équivalente. J'en citerai quelques exemples. La farine est entièrement importée dans certains territoires. Pourtant, alors qu'il n'y a aucun producteur local à protéger dans ces territoires, on y observe un taux d'octroi de mer, pour cette farine importée, de 27,5 %, auquel s'ajoute la TVA à taux réduit de 2,1 %. Un paquet de farine, dans ce territoire, est ainsi taxé à hauteur de 29,6 %, alors que le consommateur métropolitain peut, lui, acheter un paquet de farine qui n'est taxé qu'à hauteur de 5,5 %. Le beurre, l'huile, les pots pour bébés, se voient appliquer, dans certains territoires, des taux d'octroi de mer de 20 %. Ainsi, même lorsque la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) appliquée par l'État dans ces territoires est de zéro pour cent, ces produits sont d'avantage taxés que dans l'Hexagone, où ils ne le sont qu'à hauteur de 5,5 %. Les serviettes hygiéniques, qui constituent un produit de première nécessité durant presque toute la durée de la vie des femmes, font l'objet d'une taxation à 20 %.
Rappelons que l'octroi de mer, créée au XVIIe siècle, poursuit deux objectifs qui peuvent s'avérer contradictoires. Le premier est un objectif historique : il s'agit de fournir aux collectivités les moyens nécessaires à leurs politiques publiques locales. Le second est tout aussi nécessaire : il s'agit de protéger la production locale, face à des produits importés qui pourraient lui faire une concurrence déloyale. En taxant, ces produits importés, l'octroi de mer fait en sorte de rendre ces importations moins attractives. Or, certains dysfonctionnements sont apparus dans certains territoires et pour certaines gammes de produits. On ne peut ici établir une règle générale : ces situations doivent être examinées de manière précise. Ces dysfonctionnements conduisent à pénaliser le consommateur lorsque celui-ci est obligé, en l'absence de production locale, d'acheter un produit importé néanmoins taxé au titre de l'octroi de mer. Cela pénalise également la concurrence, dès lors que les entrepreneurs qui subiraient une asymétrie d'information du point de vue des taux d'octroi de mer fixés par les collectivités, peuvent être dissuadés de s'installer. Cela pénalise enfin l'État, qui paie l'octroi de mer pour des produits de service public importés : je pense aux médicaments, au sang, aux avions et hélicoptères des pompiers ainsi qu'aux matériels de la police et de la gendarmerie.
Quelles sont les actions engagées pour lutter contre des prix qui peuvent parfois sembler artificiellement élevés et pour soutenir le pouvoir d'achat des citoyens ? Comme vous le savez, nous disposons du bouclier qualité-prix (BQP), qui nous semble constituer un levier efficace. Ce bouclier, inventé pour les outre-mer, a récemment inspiré la métropole. Des dispositifs juridiques ont aussi été définis dans la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite « loi Lurel », afin de remédier aux dysfonctionnements des marchés et fixer le prix de vente des produits de première nécessité. Le gouvernement a également pris des mesures budgétaires afin de soutenir le pouvoir d'achat des Ultramarins. La loi de finances rectificative de 2022 a notamment décidé d'une aide alimentaire exceptionnelle de 15 millions d'euros pour les départements et régions d'outre-mer (DROM) et les collectivités d'outre-mer (COM). Ils sont venus abonder la prime de cent euros par foyer qui avait été précédemment décidée.
Il existe aussi des mesures spécifiques aux outre-mer, notamment sur le plan des loyers. Ceux-ci sont plus fortement encadrés dans les outre-mer que dans l'Hexagone, avec un taux de progression de 2,5 % contre 3,5 % dans l'Hexagone. Les aides aux communes, en matière de restauration scolaire, afin que les enfants bénéficient d'une alimentation saine et équilibrée, a été revalorisée de 5 %. Un complément particulier a été décidé pour Mayotte et la Guyane, qui sont confrontées à une pression démographique hors normes, de sorte que le reste à payer soit, pour les parents, limité à 20 centimes par repas. Des logements très sociaux, fortement subventionnés par la direction générale des outre-mer, ont été créés en outre-mer. Ce dispositif, le logement locatif très social adapté (Lltsa), plafonne à 160 euros le loyer pour les ménages très modestes. Il répond à un besoin évident, même si les élus s'emparent trop peu, à nos yeux, de cette possibilité pour créer des logements très sociaux. Les outre-mer sont naturellement exonérés de la réforme de l'assurance chômage compte tenu du taux de chômage plus élevé qui y prévaut. Enfin, au plus fort de la crise des carburants liée à la guerre en Ukraine, le prix des carburants a été diminué de 25 centimes.
Au-delà de ce bouclier qualité-prix – que nous cherchons à développer – des outils juridiques de la loi Lurel et des soutiens au pouvoir d'achat apportés par les politiques publiques, il sera sans doute nécessaire de réfléchir, demain, à une réforme de l'octroi de mer. Il s'agira de concilier – en lien avec les collectivités locales, puisque c'est une ressource très importante pour elles – le besoin, légitime, de ressources des collectivités locales, l'absence de pénalisation du consommateur lorsque celui-ci n'a d'autre choix que de consommer des produits importés et la nécessité d'offrir aux entrepreneurs visibilité et stabilité, afin que ceux-ci puissent s'engager dans le développement de l'économie ultramarine en toute sécurité. Le Président de la République s'était engagé, lors de sa campagne, à ouvrir la discussion sur l'octroi de mer et le ministre délégué aux outre-mer souhaite pouvoir engager cette discussion au cours des semaines qui viennent.
Chacun sait qu'il existe un comité interministériel des outre-mer (CIOM), qui se réunit dans quelques jours. Nous veillerons à ne pas vous placer dans une sorte de conflit de loyauté par rapport à votre ministre, qui sera auditionné par cette commission. Il lui appartiendra de déterminer les éléments qu'il souhaitera dévoiler, parmi les annonces à venir. Nous nous concentrons ici sur l'existant.
Vous n'avez pas évoqué les normes. Or de nombreux acteurs auditionnés ont estimé ici que l'existence de normes très inadaptées aux territoires imposait parfois l'importation de biens venant d'Europe alors même qu'une ressource de proximité pourrait s'y substituer. Par ailleurs, si j'ai bien lu les analyses de l'Iedom, l'économie informelle représente près d'un quart de l'économie en outre-mer, c'est-à-dire quatre fois plus que la place qu'elle occupe dans l'Hexagone. Je ne doute pas des efforts qui sont produits sur ce terrain. Comment appréciez-vous leurs résultats et quels sont les outils qui existent en la matière ?
Effectivement, les normes constituent un réel problème. Du point de vue de la Commission européenne, les outre-mer français constituent d'ailleurs un cas très particulier. Les directions générales de la Commission peinent à se représenter ce que sont ces territoires ultramarins, éloignés, pour certains, de 18 000 kilomètres de la capitale. Je note d'ailleurs que sur la carte de l'Union européenne affichée derrière vous, n'apparaissent pas les territoires ultramarins. C'est un symbole. Il est difficile, pour la Commission, de prendre la mesure de cette spécificité française. Comme vous le savez, trois États membres ont des régions ultrapériphériques (RUP), qui font partie intégrante de l'Union européenne : outre la France, l'Espagne avec les îles Canaries et le Portugal avec Madère et les Açores, deux États dont les capitales sont géographiquement plus proches des RUP qu'en France. Il est important de connaître cette psychologie pour comprendre en quoi il est parfois difficile de faire aboutir ce travail d'adaptation des normes.
L'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) a pour objet de justifier les adaptations et tenir compte des différences de situation économique, sociale ou de dépendance à certains produits. La Commission a la possibilité d'adapter ses normes dans de nombreux domaines que je pourrais détailler. Pour autant, si le cadre juridique existe, cette possibilité n'est guère utilisée, ce qui souligne notre difficulté à faire prendre en compte par l'Union européenne les spécificités ultramarines. Nous y parvenons parfois, à mon avis de façon insuffisante. Il vaut mieux y parvenir avant l'adoption du texte, car la bataille est encore plus difficile lorsqu'un texte a été adopté sans entendre nos arguments et qu'il faut obtenir des dérogations. Nous y sommes parvenus par exemple pour exonérer du paiement des quotas carbone les compagnies aériennes pour les trajets entre la métropole et l'outre-mer. C'était une question importante, tant le coût des transports aériens constitue un enjeu pour le pouvoir d'achat des Ultramarins. Nous sommes également parvenus à exonérer les transports maritimes entre départements d'outre-mer du paiement des quotas carbone. Nous avons obtenu de l'Union européenne, après un long travail, l'autorisation du renouvellement, jusqu'en 2027, de l'octroi de mer, lequel est considéré comme une aide d'État. Nous avons obtenu que des aides à finalité régionale soient plus intenses au profit des outre-mer.
Actuellement, l'une de nos batailles vise à faire en sorte que les critères soient adaptés dans le projet de règlement général d'exemption par catégorie (RGEC), visant à soutenir les projets de verdissement de l'énergie. Pour l'heure, ce critère réside essentiellement dans le montant d'aide publique rapporté à la tonne de CO2 évitée. Évidemment, le verdissement coûtera plus cher en outre-mer qu'en métropole. Nous peinons aussi à convaincre nos interlocuteurs que les critères en matière de pêche et de suivi de l'évolution de la ressource halieutique ne sont pas adaptés et ne peuvent être identiques dans l'Hexagone et en outre-mer.
Il serait effectivement préférable qu'à l'occasion de la construction d'une maison ou d'un bâtiment, les Ultramarins puissent importer de territoires voisins les matériaux de construction, plutôt que de les faire venir à grands frais de l'Hexagone. Nous nous sommes emparés de ce sujet et espérons en tirer une bonne pratique à développer. Nous avons chargé le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) d'établir une table d'équivalence entre les exigences posées par les normes de l'Union européenne pour les matériaux de construction, et les qualités présentées par les matériaux de construction des pays voisins. Une fois cette table élaborée, en 2024, la Commission européenne a accepté de substituer au marquage CE un marquage RUP, qui permettra aux territoires ultramarins de s'approvisionner dans les pays de leur bassin. Nous devons développer cette pratique à l'avenir afin de libérer les échanges avec les territoires voisins.
Nous avons également décidé, avec le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), d'aller plus régulièrement à la rencontre des directions générales de la Commission européenne à Bruxelles. Nous l'avons fait début avril et nous y rendrons régulièrement pour les entretenir des difficultés et spécificités ultramarines, en plaidant l'adaptation des normes. Nous avons dressé la liste des normes européennes inadaptées, sur lesquelles nous faisons particulièrement porter nos efforts de conviction, avec l'aide des députés européens des outre-mer. Nous avons proposé à la Direction générale « Régio », chargée à Bruxelles de la cohésion des territoires et notamment du suivi des territoires ultramarins, que chaque projet de directive ou de règlement soit accompagné par une étude d'impact territoriale, avec un focus sur les outre-mer. Cela obligerait ab initio la Commission européenne à se demander si le texte envisagé fonctionnera dans les outre-mer ou s'il risque de créer des dysfonctionnements majeurs du fait de son inadaptation. Enfin, nous nous efforçons d'emmener dans les outre-mer les commissaires européens ou les directeurs généraux (comme nous l'avons fait l'année passée avec Élisa Ferreira, commissaire à la cohésion et aux réformes), car rien ne vaut l'expérience sensible de voir par soi-même que les pêcheurs de Guadeloupe, de Martinique, de La Réunion, de Guyane ou de Mayotte ne sont pas à la tête de bateaux-usines, susceptibles de racler le fond des mers et de mettre en péril la ressource halieutique, mais de petits bateaux, dans des flottes qu'il faut donc les aider à moderniser. Nous espérons que le commissaire à l'environnement, aux océans et à la pêche, Monsieur Sinkevičius, se rendra au cours des semaines qui viennent à La Réunion.
Il est par définition très difficile de mesurer ce que représente l'économie informelle. L'Insee a produit quelques éléments, notamment une étude, en 2015, sur Mayotte. Elle chiffrait alors à deux tiers la part de l'économie informelle dans l'île, tout en soulignant qu'elle ne représentait que 9 % de la valeur ajoutée. Il est difficile également d'estimer son poids en termes macroéconomiques en raison de ce niveau beaucoup plus faible de valeur ajoutée. Pour la Guadeloupe, j'avais retenu le taux de 11 % qu'avait avancé l'Insee quant à la part de l'économie informelle de l'emploi sur l'île. Une analyse qui avait été commandée par l'Ordre des experts-comptables chiffrait aux alentours de 10 % la part de l'économie informelle, en termes d'emploi, pour les Antilles et à seulement 0,5 % pour La Réunion.
Différents outils peuvent être utilisés pour sortir de l'économie informelle. Le ministère délégué chargé des outre-mer a fait porter son effort sur l'économie sociale et solidaire. Nous finançons notamment l'Adie, pour un montant d'environ un million d'euros chaque année. La dernière convention qui lie l'Adie à notre ministère lui demande d'accompagner davantage d'entreprises dans la sortie de l'économie informelle, avec une prime incitative de 1 000 euros. Si celle-ci ne relèvera pas d'une logique de guichet ouvert et bénéficiera à un nombre réduit de personnes, elle sera liée à un accompagnement très étroit du porteur de projet. De multiples facteurs soutiennent l'existence de l'économie informelle, y compris l'habitude, parfois la peur de se déclarer ou la crainte de payer des charges. Des problèmes d'illettrisme ou d'illectronisme peuvent aussi être présents. Il faut accompagner toutes ces difficultés et c'est ce que fait l'Adie dans le cadre de cette convention. Elle accompagne souvent les porteurs de projets vers des dispositifs ciblés, tels que celui des micro-entrepreneurs. Le ministère délégué chargé des outre-mer finance également des exonérations renforcées pour les entreprises, avec notamment une exonération totale du Smic.
Un travail commence également à se mettre en place avec l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, qui détecte les difficultés. Celles-ci sont également traitées, pour partie, par le SMA. C'est donc un ensemble de leviers qu'il faut actionner pour aider à la sortie de l'économie informelle. Celle-ci crée en effet un cercle vicieux autour de la personne, qui ne peut bénéficier de toutes les subventions publiques (État, Union européenne…). L'objectif est donc de le briser.
C'est finalement un problème d'accès aux droits pour les personnes prises dans cette économie informelle. Il serait intéressant que vous nous transmettiez la liste des normes inadaptées, si vous l'avez.
Quels sont, au cours des dix dernières années, les documents produits, commandés ou reçus par vos services sur la question du coût de la vie ? Je vous remercie de bien vouloir nous les fournir suite à cette audition. Avez-vous suffisamment de moyens et quel est le nombre d'équivalents temps plein présents dans vos services ? Sont-ils affectés, au moins pour partie, à la question du coût de la vie ? Cette problématique a une forte base structurelle, historique. Depuis des dizaines d'années, les politiques publiques ne sont pas parvenues à réduire les écarts de niveau de vie entre la France hexagonale et les territoires dits ultramarins. Nous parlons de dix territoires ultramarins très différemment positionnés sur le plan géographique, quasiment tous insulaires, en dehors de la Guyane, avec des marchés exigus. Quelles sont, selon vous, les mesures pertinentes pour lutter contre ces difficultés structurelles – à moins que vous n'estimiez que, du fait de ce caractère structurel, il ne soit pas possible d'y remédier ?
Avez-vous réalisé une analyse de l'impact direct, sur le pouvoir d'achat des habitants, de la réduction de l'abattement fiscal, qui était de 30 % afin de compenser le manque de services publics d'État dans les territoires, par rapport à ce qu'ils sont sur le territoire hexagonal ? Je rappelle que les citoyens ultramarins de Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Guyane et Mayotte paient un impôt depuis 2017 en raison de la réforme de l'abattement fiscal, de 30 % ou 40 % selon le territoire.
J'aimerais également connaître le niveau de financement d'État et l'évolution du niveau d'investissement de l'État dans les différents territoires au cours des vingt dernières années. Je sais que la défiscalisation est passée, sur ces territoires, d'un milliard d'euros à 500 millions d'euros. La TVA non perçue récupérable a été supprimée, ce qui représente des exonérations de plus de 100 millions d'euros et un montant équivalent qui ne bénéficie plus à l'économie déjà exiguë et structurellement déficitaire de ces territoires. Autant de financements d'État, bénéficiant aux entreprises et aux ménages, qui ont été supprimés, pour des montants dont je souhaite pouvoir faire la balance.
Le sujet du coût de la vie est bien documenté par l'Autorité de la concurrence, par la Commission européenne, par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ainsi que le rapport de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi) sur l'impact économique de l'octroi de mer, qui tous convergent, dans leurs constats, sur les causes que j'ai évoquées. La DGOM finance certaines des évaluations réalisées, à la demande du Parlement ou en raison du besoin d'explorer un sujet que nous souhaitons mieux comprendre ou sur lequel nous aimerions progresser. À ce jour, compte-tenu de l'existence de ces rapports, nous n'avons pas commandé un rapport spécifique sur le coût de la vie. Nous nous sommes focalisés sur des secteurs moins documentés. Une réflexion des inspections est en cours sur la défiscalisation. Nous avons évalué l'intérêt des prêts bonifiés pour les entreprises. Nous avons analysé l'aide au fret, pour savoir si celle-ci était efficace afin de combler les surcoûts. Les résultats d'une étude que nous avons lancée sur le bouclier qualité-prix, en vue de connaître son efficacité, seront connus en 2024.
Nous avons une équipe de sept personnes, sous la responsabilité de Nathalie Konaté, plus particulièrement dédiée aux questions d'économie, de fiscalité et de coût de la vie. Tout contribue cependant, comme je le soulignais, à améliorer le pouvoir d'achat et à agir sur le coût de la vie. Au sein de la sous-direction d'Isabelle Richard, tous les bureaux contribuent, au travers des politiques publiques que nous essayons de défendre ou d'adapter, à l'amélioration du pouvoir d'achat à travers les thématiques de ces politiques (logement, alimentation, agriculture, etc.).
Nous n'avons pas réalisé d'évaluation en tant que telle de la réforme de l'exonération fiscale. D'autres dépenses fiscales sont en cours d'évaluation et nous ne pouvons procéder à toutes ces évaluations en même temps.
Le bureau de l'évaluation et de la prospective comporte sept agents, dont un économètre, ce qui constitue une ressource très précieuse pour réaliser nos évaluations. Ce sujet prend de l'ampleur au sein de la DGOM. Nous consacrons près de 2 millions d'euros par an à des études internalisées ou externalisées. Plus d'une dizaine d'études d'évaluation ou de prospective sont conduites sur les outre-mer. Nous avons un programme d'évaluation défini sur trois ans. Il est évolutif et contraint par les évaluations obligatoires qu'impose la Commission européenne pour les aides qui existent déjà.
L'investissement est multiple. Vous connaissez le document de politique transversale qui existe sur ce sujet. Son édition 2023 a quelque peu perdu en épaisseur. Nous pourrons établir à votre intention un tableau récapitulatif sur l'investissement, en distinguant celui réalisé par la DGOM (le programme 123 de la mission outre-mer) et les investissements mis en œuvre au titre des autres programmes budgétaires de l'État. Il existe des spécificités au sein des programmes de la mission outre-mer, telles que le Fonds exceptionnel d'investissement, que vous connaissez bien, ou sur d'autres dispositifs qui permettent l'investissement.
Merci beaucoup, madame la directrice générale, pour votre propos liminaire, qui était très clair. Vous avez apporté quelques exemples assez parlants, presque pittoresques, des dysfonctionnements et bizarreries qui entourent l'octroi de mer, qui pèse beaucoup dans le coût de la vie en outre-mer. L'État, avez-vous indiqué, se taxe lui-même, par exemple à l'occasion de l'importation de matériels destinés aux douanes ou à la police nationale, ce qui est assez kafkaïen. Nous nous réjouissons que le Président de la République ait annoncé qu'il serait question de la problématique du coût de la vie en outre-mer, mais cela ne peut suffire à nous satisfaire dans la mesure où nous travaillons sur l'état des lieux et non la prospective. Les dysfonctionnements de l'octroi de mer étant connus de longue date, documentés et tous les ministres des outre-mer en ayant certainement eu connaissance, comment expliquez-vous que rien n'ait été entrepris pour corriger ces aberrations et a minima baisser le poids que fait peser l'octroi de mer sur le coût de la vie outre-mer ?
Nous sommes en désaccord total avec ce qui vient d'être dit et avec une partie de votre présentation. Comme de nombreux acteurs, nous considérons que l'octroi de mer n'est pas responsable de la vie chère dans les outre-mer, ou alors de façon marginale. Cette responsabilité incombe aux marges abusives d'un certain nombre d'opérateurs. Je prendrai l'exemple des matériaux de construction, dont le prix explose dans notre département, à La Réunion. À l'arrivée à La Réunion, fret et octroi de mer compris, nous sommes entre 4 % et 5 %. En bout de chaîne, dans les étals, nous sommes entre 30 %, 40 % et 50 %. On voit donc bien qui s'est mis de l'argent dans les poches. Le premier facteur en cause est donc l'octroi de mer, comme je l'ai indiqué au ministre. Il faut faire très attention compte tenu de la part que représente l'octroi de mer pour les collectivités, et les financements qui dépendent de cette mesure dans l'économie.
L'octroi de mer protège l'emploi. Certains économistes chiffrent à 20 000 le nombre d'emplois protégés par l'octroi de mer. Il est évident qu'il faut réformer celui-ci, notamment pour les produits qui ne sont pas fabriqués sur place. Il faut cependant faire très attention aux conséquences des décisions qui seraient prises. À La Réunion, tant parmi les responsables politiques que parmi les acteurs économiques – y compris le Medef –, rares sont ceux qui sont favorables à une réforme totale de l'octroi de mer. De quels chiffres disposez-vous en ce qui concerne les marges abusives ? J'ai cité l'exemple des matériaux de construction mais c'est toute notre économie qui est, en réalité, captive de rentes monopolistiques ou oligopolistiques.
Vous avez évoqué France Travail, ce qui rejoint l'expérimentation prévue concernant les vingt heures de travail pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Cette expérimentation concerne notamment ma circonscription (Les Trois-Bassins et Saint-Leu). Vous avez vous-même estimé que la réforme de l'assurance chômage n'était pas applicable aux outre-mer au regard de notre taux de chômage. Il faut d'ailleurs saluer la décision du gouvernement de ne pas l'appliquer dans les outre-mer. C'est une décision raisonnable. Il devrait en être de même pour cette expérimentation, qui inadaptée à notre territoire et inapplicable en son sein. Nous assumons y être opposés pour des raisons idéologiques et pratiques. Le conseil départemental de La Réunion, qui est beaucoup plus proche de la majorité que nous ne le sommes, a fait voter une motion à l'unanimité de ses élus pour demander qu'il n'y ait pas de sanctions dans le cadre de l'expérimentation des vingt heures de travail qui seront demandées aux bénéficiaires du RSA. Nous ne pourrons appliquer cette expérimentation dans notre île, où le taux de chômage est beaucoup plus élevé que dans l'Hexagone. Avez-vous pris en compte cette réalité ?
Enfin, selon les chiffres de La Poste, les Réunionnais reçoivent et envoient en moyenne 3 400 colis par jour, tous types de colis confondus. Depuis quelques mois, nous assistons à une envolée des prix remarquée par la population. En cause se trouve, peut-être, le transfert de la compétence douanière des douanes vers La Poste. Qu'est-ce qui a motivé ce choix et quelle a été la procédure (gré à gré, appel d'offres…) ? Nous n'avons trouvé aucun document à ce sujet. Plus généralement, que comptez-vous faire afin d'assurer une véritable continuité territoriale postale ?
Deux grands thèmes expliquent le niveau élevé des prix dans nos territoires : les importations et la production locale. S'agissant des importations, je crois que vous avez raison de vouloir travailler, Madame Brocas, comme le ministère, sur l'octroi de mer. Je vous alerte sur un point. En Nouvelle-Calédonie existaient plusieurs taxes à l'entrée de produits importés, notamment alimentaires. Lorsque nous avons supprimé certaines d'entre elles, estimant que cela ferait baisser les prix, les importateurs se sont mis la marge dans la poche. En cas de suppression de l'octroi de mer, il faudra donc s'assurer que le partage de la valeur est favorable au consommateur et non aux grossistes. Il faut y être extrêmement vigilant et l'expérience de la Nouvelle-Calédonie pourra vous éclairer en la matière.
En ce qui concerne la production locale, nous ne parviendrons pas, structurellement, à obtenir les mêmes prix qu'en métropole avec l'import, une fois que la fiscalité sera assainie, en raison notamment de la distance. Comme vous le savez, le problème, s'agissant de la production locale, a trait à l'étroitesse du bassin de consommation dans ces territoires : la population n'y est pas suffisamment nombreuse pour permettre des économies d'échelle, raison pour laquelle la production locale est souvent aussi chère, voire plus chère que la production importée. Il faut donc aussi miser sur l'intégration économique régionale de la production de ces territoires, en construisant des relations économiques avec les territoires voisins. En Nouvelle-Calédonie, nous travaillons ainsi avec le Vanuatu, avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les îles Salomon et avec le Japon, de façon à bénéficier d'économies d'échelle pour nos productions et ainsi créer des prix compétitifs. Je n'affirme pas que nous y soyons parvenus mais c'est en tout cas en ce sens qu'il faut travailler. Cela me conduit à une dernière question : quel est l'état des relations du ministère des outre-mer avec les ministères de l'Europe et de affaires étrangères, de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ou du ministère délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des français de l'étranger sur ces sujets ? Tant que ces autres périmètres ministériels ne se préoccuperont pas de l'intégration des outre-mer dans leurs politiques publiques, nous continuerons de réunir des commissions d'enquête assez régulièrement.
Parmi les éléments qui ne donnent pas toujours des résultats sur le terrain, je crois qu'il y a peu d'endroits où la baisse du prix des carburants s'est vérifiée à la pompe, dans ces territoires.
Les points de vue très différents que nous venons d'entendre sur l'octroi de mer expliquent, en partie, pourquoi nous n'avons pas agi sur l'octroi de mer. Il existe des points de vue très divergents quant à l'opportunité d'une réforme de l'octroi de mer et quant à l'efficacité d'une telle réforme si elle était conduite. Monsieur Metzdorf a d'ailleurs attiré notre attention de manière très intéressante sur les chausse-trappes que la réforme de cette mesure a mises en évidence en Nouvelle-Calédonie. Rien n'a été fait, jusqu'à présent, du fait de l'absence de consensus politique et parce qu'il n'avait pas été décidé d'inscrire ce sujet à l'agenda. Le Président de la République a annoncé l'ouverture de ce chantier durant sa campagne et cette discussion va démarrer.
Cette réforme ne constituera certes pas l'alpha et l'oméga. Il faudra éviter certains écueils qui ont été rappelés et notamment veiller à ne pas augmenter les marges de certains intermédiaires : nous passerions, si tel était le cas, à côté de l'objectif visant à ne pas pénaliser le consommateur, en particulier le consommateur modeste, pour les produits de première nécessité. Il ne s'agit pas non plus d'affaiblir les finances des collectivités. Cela n'aurait pas de sens, car celles-ci doivent bien exercer leurs compétences. Quant à l'emploi, vous avez raison : il ne faut pas non plus mettre l'emploi en péril. Peut-être faut-il néanmoins cesser de taxer des produits importés. L'enjeu de la protection de l'emploi local ne peut, de ce point de vue, constituer un argument dès lors qu'il n'existe aucune fabrication locale de ces produits.
Ce sont les marges, dites-vous, qui élèvent les prix. Je crois en effet que certains acteurs ne se comportent pas bien. Dans une économie qui n'est pas administrée, le bouclier qualité-prix nous semble une réponse pertinente en ceci qu'il présente un certain degré d'efficacité et a permis de limiter l'inflation des prix, du moins davantage qu'ailleurs. Si la loi pouvait étendre le nombre de partenaires obligés de discuter chaque année des prix et des marges, ce serait une bonne chose.
Il faut aussi créer de la transparence sur la formation des prix. Celle-ci n'existe pas. Il faudrait que nous ayons une sorte de « Yuka » de la formation des prix, de sorte que le consommateur sache que tel distributeur s'est grassement payé. Ce n'est pas convenable. Il est normal que chacun gagne sa vie. Profiter d'une situation d'asymétrie et du particularisme de l'insularité ne l'est pas. Des contrôles sont également indispensables.
S'agissant des marges, l'Autorité de la concurrence, dont vous connaissez parfaitement le rapport, indique que les données qu'elle a eues en sa possession attestent de niveaux de profitabilité qui peuvent être supérieurs à ceux constatés en métropole. Les marges peuvent néanmoins varier fortement suivant les acteurs. Il existe un manque de concurrence et celle-ci doit être encouragée. Elle existe sans doute pour les petites entreprises, mais celles qui aspirent à grandir se heurtent à des acteurs ayant des positions acquises pour tel ou tel marché, ce qui crée une sorte de plafond de verre. Ceux qui sont en position dominante tentent naturellement d'étouffer cette concurrence. Nous réfléchissons aussi à ce sujet avec Bpifrance afin de mieux accompagner ces entreprises matures et renforcer la concurrence, de sorte qu'elles puissent continuer de se développer.
Le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) de La Réunion nous a tenus au courant de ses travaux et nous suivons, à titre indicatif, les données douanières à l'importation. Nous constatons effectivement que les prix des matériaux ont augmenté en outre-mer, assez tardivement sans doute, par rapport à la métropole, avec des niveaux de prix, dans les entreprises de BTP, qui attestent en tout cas que des marges ont été prises. Je sais que le SGAR a réuni les acteurs publics et privés, avec le soutien des élus, afin d'essayer de faire baisser les prix. Le BQP y parvient, et la même dynamique pourrait donc être recherchée pour d'autres produits.
Il serait intéressant de connaître l'impact de l'octroi de mer sur ces marges : certains acteurs économiques nous disent que l'octroi de mer n'étant pas déductible, il s'ajoute aux marges, alors même que le nombre d'intermédiaires est déjà plus élevé en outre-mer et que la chaîne de marges est donc plus importante, avec un effet majorant de l'octroi de mer. Nous avons réalisé un travail très fin, produit par produit, à l'occasion du dernier renouvellement de l'approbation du dispositif de l'octroi de mer. Il a mis en évidence de nombreuses situations anormales dans lesquelles le consommateur peut être pénalisé, au-delà du taux moyen d'octroi de mer.
En ce qui concerne les colis postaux, le gouvernement a fortement appuyé le vote, par vos assemblées, d'un relèvement de l'exonération de taxe, afin d'alléger le coût de ces colis pour les citoyens. Cette mesure a pris effet le 1er avril dernier et il faudra mesurer ses impacts.
Nous avons effectivement constaté le relèvement de ce plafond, qui a été porté à 400 euros. Il me semble – ce que m'a confirmé la rencontre de syndicalistes hier – que cette mesure ne s'applique que dans un sens, de l'Hexagone vers l'outre-mer. Pouvez-vous le confirmer ?
L'exonération de taxe portant principalement sur l'octroi de mer, elle s'applique nécessairement de l'Hexagone vers les territoires considérés, c'est-à-dire les DROM.
L'e-commerce – au-delà de La Poste – faisait l'objet de recommandations émises par l'Autorité de la concurrence en 2019 et c'est un sujet qu'il nous reste à exploiter, non pour qu'il mette en péril les producteurs locaux mais pour offrir au consommateur des possibilités similaires à celles qu'il offre aux citoyens de l'Hexagone. Il reste notamment à travailler sur l'articulation entre la TVA et l'octroi de mer, qui pénalise un certain nombre d'acteurs. Nous sommes en lien avec des start-up de la french tech qui s'efforcent de mettre au point des solutions plus simples pour nos concitoyens.
Du point de vue de l'intégration des collectivités d'outre-mer dans leur environnement régional et international, nous nous efforçons de construire, année après année, un continuum. Celui-ci repose sur des compétences élargies des collectivités des territoires d'outre-mer en matière de coopération régionale. Comme vous le savez sans doute, les collectivités disposent de compétences exorbitantes du droit commun en la matière. Elles leur permettent, schématiquement, de conclure, dans leur zone, des engagements internationaux, pourvu que ceux-ci soient conformes aux engagements de la France. Ces compétences leur permettent également d'adhérer à des organisations régionales, en sus de l'éventuelle adhésion de l'État à ces structures. Enfin, ces collectivités peuvent disposer de représentants au sein des ambassades de France auprès des pays de la zone, ce qui leur permet de nouer des liens avec les autorités de ces pays.
Pour aider les collectivités territoriales à s'insérer dans leur environnement régional, il existe depuis un peu plus de vingt ans des ambassadeurs. Les premiers d'entre eux ont été créés par la loi n°2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer. Ils sont aujourd'hui au nombre de trois. Un ambassadeur est chargé de la coopération régionale dans l'océan Atlantique. Un autre est chargé de la coopération régionale dans l'océan Indien. Enfin, une ambassadrice est secrétaire permanente pour le Pacifique Sud et représente la France auprès de la Communauté du Pacifique ainsi qu'auprès du Programme régional océanien de l'environnement.
Ces trois ambassadeurs ont pour mission commune et principale d'appuyer les collectivités françaises dans les territoires d'outre-mer en vue de leur insertion régionale. Ils organisent notamment, une fois par an, une conférence de coopération régionale, qui réunit l'ensemble des acteurs représentant l'État, les collectivités territoriales et les opérateurs –notamment l'Agence française de développement. Les ambassadeurs de France, dans la zone, sont également invités. La dernière de ces conférences a eu lieu début mars dernier en Guadeloupe, pour les Antilles et la Guyane. La prochaine de ces conférences de coopération régionale aura lieu en octobre 2023 pour l'Océan indien et se tiendra à Mayotte.
Ma question, tout à l'heure, sur l'octroi de mer ne visait évidemment pas à suggérer la suppression de celui-ci : elle visait la suppression des aberrations que vous avez soulignées, madame la directrice générale. Il s'agit d'aberrations fiscales lorsque l'État se taxe lui-même ou d'aberrations économiques lorsque l'octroi de mer taxe des productions qui ne sont pas réalisées sur place. Votre réponse est très claire : il n'y a jamais eu de consensus entre les autorités élues locales et les ministres, si j'ai bien compris. C'est la raison pour laquelle la question n'a pas, jusqu'à présent, été soulevée.
Réunis dans une commission d'enquête, nous cherchons à établir les responsabilités. Il me paraît donc important de noter au procès-verbal que les aberrations créées par l'octroi de mer, son poids excessif dans l'économie du pays, sa responsabilité dans le coût élevé de la vie, sont imputables à l'immobilisme du personnel politique depuis des décennies et des ministres.
Nous prenons note de cette contribution, cher collègue. Je ne suis pas sûr que ce soit une conclusion largement partagée.
Je m'inscris en faux contre l'affirmation qui vient d'être faite. Je constate en tout cas que les échanges s'orientent fortement, au sein de cette commission d'enquête, sur la question de l'octroi de mer. La fiscalité englobe l'octroi de mer et la TVA. Personne ne mentionne celle-ci alors que la TVA rapporte autant que l'octroi de mer, à savoir un milliard d'euros de part et d'autre. De plus, la TVA collectée repart dans l'Hexagone, alors que la ressource constituée par l'octroi de mer reste au sein du territoire régional concerné. Il participe, à ce titre, au financement de l'économie. Les différents rapports qui paraissent sont ciblés sur l'octroi de mer, alors que celui-ci finance d'abord des services publics à la population et compense des sous-dotations des collectivités locales. Ces dotations n'ont cessé de chuter et il manque 400 millions d'euros aux mairies de nos territoires pour équilibrer leur budget – lequel doit obligatoirement être à l'équilibre, contrairement à celui de l'État.
Je demande donc plus d'objectivité et je voudrais que nous sortions de cette ornière. Même s'il existe des politiques publiques décidées par un gouvernement élu démocratiquement, nous faisons face à un problème de fond. La vie n'a jamais été aussi excessivement chère dans nos territoires. Cela montre bien que, quels que soient les gouvernements qui se sont succédé, les problèmes n'ont jamais été traités, ni structurellement ni conjoncturellement.
Le CSTB a un poids anormal dans les investissements dans la construction, comme cela a été relevé notamment à La Réunion. Il en résulte des délais, parfois une absence de réponse et des freins importants, qui grèvent les investissements territoriaux, car le CSTB décide de tout et jouit d'une position de monopole. Nous avons évoqué la question des monopoles qui perdurent depuis des décennies. Nous ne voyons jamais la répercussion sur le prix de vente de mesures dont ils bénéficient, alors qu'ils bénéficient d'exonérations et d'allègements fiscaux, de façon organisée. Ni l'Insee, ni l'Autorité de la concurrence, ni la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne sont en mesure aujourd'hui de nous dire le nombre très limité de grands groupes présents dans les territoires ultramarins, dont l'exiguïté des marchés ne laisse plus de place aux acteurs de moindre taille. Vous l'avez-vous-même souligné. Même lorsque des acteurs de petite taille s'implantent, ils se heurtent à une limite puisqu'ils sont obligés de s'approvisionner auprès de grossistes qui sont eux-mêmes importateurs, distributeurs et concentrent la chaîne, tant verticalement qu'horizontalement. Quelles sont les mesures mises en place concrètement par la DGOM pour lutter contre les problématiques de monopoles et d'oligopoles sur le fond ? Je salue la mise en place du bouclier qualité-prix, mais celui-ci ne porte que sur 300 produits au maximum et impose au ménage d'acheter le même panier de consommation. Vous devez acheter exactement la liste des produits inclus dans ce bouclier. Celui-ci ne peut donc en rien régler le problème sur le fond. J'ai entendu le Président de la République lui-même affirmer qu'il souhaitait s'atteler à la question du modèle économique monopolistique et oligopolistique. Si tel est le cas, les Directions de l'État compétentes sur ce sujet peuvent-elles nous dire quelles sont les études qui ont été lancées, quels sont leurs résultats et quelles sont les mesures prises par voie de conséquence ?
Vous avez évoqué l'accroissement du PIB. Là aussi, les indicateurs me semblent très discutables car ils ne sont pas bienveillants vis-à-vis de la population. Le PIB indique l'accroissement de la richesse d'un territoire mais il ne dit pas si celle-ci est répartie équitablement ni si la précarité et le chômage reculent. Au contraire, le chômage et la précarité augmentent. Même lorsque le nombre de chômeurs a diminué, la précarité était présente. Une personne ayant travaillé six heures au cours du mois est considérée comme non-chômeuse. Or, six heures ne fournissent pas un salaire permettant de vivre. À cela s'ajoute le vieillissement de la population. Je rappelle que la TVA, en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, continue de s'appliquer alors que son taux est nul à Mayotte et en Guyane. Il existe une inégalité de traitement incompréhensible. Au titre de la continuité territoriale, la Corse a bénéficié de 190 millions d'euros et les territoires d'outre-mer de 45 millions d'euros. Je pourrais vous citer de nombreux autres chiffres allant dans le même sens. Pouvons-nous, au sein de cette commission d'enquête, travailler objectivement sur le fond et disposer d'indicateurs distincts du PIB ? Peut-être celui-ci a-t-il augmenté, mais si la richesse bénéficie toujours aux mêmes privilégiés, alors que les classes moyennes s'appauvrissent, la situation n'est plus la même. Apportons des éléments de fond, sortons des réponses toutes faites et notamment de l'attaque en règle dont fait l'objet l'octroi de mer, comme si celui-ci pouvait suffire à régler le problème du coût de la vie dans nos territoires.
Quant à la possibilité de commercer au sein de l'environnement régional, toute initiative est aujourd'hui soumise à l'autorisation de l'État. Je reviens ici à la question des normes européennes. Les Açores, les Canaries et Madère bénéficient d'un régime politique très différent de celui des départements français et jouissent d'une autonomie bien plus grande, ne serait-ce qu'en termes de capacité d'initiative. Il suffit de mesurer le chemin à effectuer pour aller convaincre les instances européennes, qui ne connaissent pas grand-chose de nos territoires, que nos réalités sont différentes. Nous pourrions, de manière bien plus efficace, localement, chercher à adapter nous-mêmes les normes qui s'appliquent à nos territoires. La France ne nous permet pas, pour l'instant, de le faire.
Je serai clair : nous pouvons ne pas être satisfaits des réponses qui nous sont apportées, mais elles sont sous votre responsabilité et vous êtes les seuls à pouvoir juger des précisions qu'il est utile de nous apporter. Vous êtes sous serment et vous vous êtes engagés à dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Même si vos réponses ne nous plaisent pas, ce sont vos réponses. On ne peut pas non plus, dès lors qu'une conclusion fait débat, affirmer que les chiffres ont été bâtis pour les besoins d'une démonstration. Il faut les mettre à l'épreuve, les questionner. Il me paraît tout à fait légitime de dire que le PIB constitue un outil très réducteur d'évaluation de la richesse, ce qui est vrai bien au-delà des outre-mer. Nous le savons bien. D'autres outils existent. Si vous avez d'autres indicateurs, nous en sommes tout à fait demandeurs.
Le rapporteur a également raison de mettre en exergue la pauvreté de la statistique publique. Peut-être de nouveaux résultats vont-ils être produits. Si tel est le cas, nous aimerions au moins disposer de résultats provisoires car nous avons besoin de données sur un certain nombre d'éléments.
Nous ne referons pas le débat de l'outre-mer, que nous aurons, en particulier avec le ministre lorsque nous pourrons l'auditionner. C'est normal : représentant l'autorité politique, il lui appartiendra de préciser sa position de ce point de vue. Nous ne pouvons vous interroger sur ces aspects compte tenu du rôle qui est le vôtre.
Du point de vue du statut et en particulier de la différence entre celui de région ultrapériphérique (RUP) et celui de pays et territoires d'outre-mer (PTOM), existe-t-il un bilan des avantages comparés de l'un et l'autre ? Il existe manifestement des contraintes découlant du fonctionnement européen, que vous avez décrit avec beaucoup d'honnêteté, alors que l'autonomie permet parfois une forme d'agilité dans la conduite des politiques publiques, en particulier en ce qui concerne les relations avec les pays voisins. Dès lors, la question du statut peut commencer à se poser.
Vous nous aviez posé une série de questions et nous vous adresserons nos réponses par écrit. Elles comporteront notamment un certain nombre de chiffres sur l'évolution des dotations aux collectivités territoriales, en écho à ce qu'indiquait monsieur le rapporteur.
Vous nous demandez, au fond, si pour être plus heureux, les outre-mer n'auraient pas intérêt à être plus libres et si le statut de PTOM ne serait pas plus avantageux, compte tenu de l'éloignement et des difficultés structurelles de ces territoires, que celui de région ultrapériphérique. Je vous répondrai en plusieurs temps.
Le statut de région ultrapériphérique et faire, à ce titre, pleinement partie de l'Union européenne crée des avantages et des obligations. Chaque territoire est libre de choisir sa famille d'appartenance. Chaque territoire peut, sur délibération de son assemblée territoriale, saisir l'État. Celui-ci saisirait alors le Conseil de l'Union européenne – seul juge, in fine, sur ces questions. Chaque territoire pourrait demander à passer du statut de RUP à celui de PTOM, ou inversement. Il existe des exemples. Mayotte, qui était un pays et territoire d'outre-mer, est devenue une région ultrapériphérique. À l'inverse, Saint-Barthélemy a choisi l'autonomie et de devenir pays et territoire d'outre-mer. Saint-Martin, l'île voisine, a choisi l'autonomie et de rester une région ultrapériphérique. Il s'agit d'un choix politique et d'une vision de l'avenir. Rien n'interdit à une collectivité d'émettre son souhait et de faire part de sa vision de sa place dans l'ensemble européen.
Une région ultrapériphérique a l'obligation de respecter l'acquis communautaire, c'est-à-dire l'ensemble du corpus de normes existant, y compris en matière de commerce international. Pour les RUP qui souhaitent conserver ce statut, nous devons porter cette bataille ensemble à Bruxelles et avons besoin que l'article 349 du TFUE permette aux RUP de créer plus librement des liens avec leur environnement afin de commercer, créer de la valeur, etc.
Les RUP bénéficient – et c'est l'avantage de ce statut – d'une aide financière de l'Union européenne incomparablement plus élevée que les PTOM : l'écart se situe dans un rapport d'un à quarante. Les régions ultrapériphériques bénéficient de 4,2 milliards d'euros de fonds européens, au titre de la dernière période, tandis que les PTOM bénéficient de 106 millions d'euros au titre de ces fonds. Un territoire peut préférer le statut de PTOM, considérant que son économie et son territoire n'ont pas besoin d'être aidés substantiellement financièrement pour s'équiper et se développer. Dès lors, il est plus facile – compte tenu de l'absence d'obligation liée à l'acquis communautaire – de commercer avec ses voisins. Les PTOM agissent néanmoins dans le cadre de la politique étrangère française et ne jouissent pas d'une liberté totale : celle-ci n'existe qu'avec l'indépendance, ce qui constitue un statut tout à fait différent. Les PTOM et les RUP doivent par ailleurs se conformer aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Enfin, les RUP ont des possibilités pour participer au commerce international, de façon encadrée : la loi du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite « loi Letchimy » a donné aux DROM des capacités diplomatiques de coopération.
Nous demanderons bien sûr au ministre pourquoi nous avons le sentiment qu'il y a une si faible énergie mise en œuvre pour mettre en évidence les phénomènes de concentration et les problèmes de concurrence dans ces territoires.
S'agissant des oligopoles et des monopoles, disposez-vous d'éléments d'étude et d'analyse ?
Nous n'avons pas lancé d'étude, comme je l'ai indiqué au début. Sans doute serait-il nécessaire d'en lancer une. Ni la DGOM ni le ministère délégué chargé des outre-mer ne vont lancer de telles études : celles-ci relèvent de la responsabilité de la DGCCRF ou de l'Autorité de la concurrence. Les ministres peuvent également s'accorder pour les lancer.
Vous avez évoqué la coordination et le rôle d'impulsion. Même si le pouvoir d'initiative revient au niveau de décision politique, il existe aussi à votre niveau.
Vous avez raison. Nous pouvons le suggérer et nous serions très intéressés par une enquête de la DGCCRF ou de l'Autorité de la concurrence sur les positions dominantes ou les phénomènes d'intégration verticale – condamnées à dix reprises par l'Autorité de la concurrence. Néanmoins, il ne m'appartient pas de donner des ordres à la directrice générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes.
Je voudrais revenir sur les propos de monsieur le rapporteur au sujet de l'octroi de mer. Je pense que nous ne devons nous fermer aucune porte. La difficulté, concernant les territoires d'outre-mer, réside dans la « double fiscalité » qui prévaut : il existe l'octroi de mer mais aussi la TVA, ce qui crée une « double peine » pour le consommateur. Soit vous choisissez de conserver l'octroi de mer, qui permet l'autofinancement des collectivités ; soit vous choisissez le modèle de la TVA, dont les recettes repartent dans le « pot commun » de la Nation, laquelle vous reverse une partie de la fiscalité ainsi obtenue pour financer vos politiques publiques. Dans la situation actuelle, les deux se superposent, ce qui crée naturellement une situation difficile pour le consommateur.
S'agissant de l'intégration régionale, vous nous avez apporté une réponse très technique dont je vous remercie. La relation que vous pourriez avoir avec le ministère de l'Europe et de affaires étrangères me semble une question importante. Tant qu'il existera 200 000 ou 300 000 consommateurs, il n'y aura pas une multitude de producteurs dans chaque catégorie de produits. Les entreprises qui vendent des congélateurs ne vont pas se multiplier considérablement face à un marché de cette taille. Il se forme donc nécessairement des monopoles et des oligopoles de fait. Il faut certes les contrôler, et s'intéresser notamment à leurs marges. Je crois que ce travail est déjà entamé. Tant qu'on ne travaillera pas sur la taille du bassin de consommation, nous aurons ce débat. Pour élargir le bassin de consommation, l'on peut évidemment se tourner vers la France et l'Europe. Il existe aussi des pays voisins – par exemple Madagascar pour La Réunion et Mayotte. Dans le cas de la Guyane, c'est toute l'Amérique du Sud. Je n'ai pas l'impression, depuis que je siège au sein de la commission des affaires étrangères en tant que représentant des territoires ultramarins, qu'il existe une relation très étroite entre le ministère délégué chargé des outre-mer et celui de l'Europe et des affaires étrangères autour des enjeux de l'intégration régionale des outre-mer. J'aimerais avoir des éclairages sur ces aspects.
Je vous prie de m'excuser si ma réponse, tout à l'heure, vous a paru un peu trop technique et incomplète. J'ai sans doute omis de préciser que les ambassadeurs chargés de la coopération régionale, qui ont un rôle très important d'appui aux territoires en vue de leur intégration dans leur bassin régional, étaient sous une double autorité au niveau central, celle du ministre de l'Europe et des affaires étrangères d'une part, celle du ministre délégué chargé des outre-mer d'autre part. C'est cette double subordination qui doit permettre de créer un lien entre les deux ministères, dans l'appui qu'apporte l'État – au niveau de l'État central, de l'État territorial, et de ses représentations dans les pays de la zone – pour cette intégration régionale, en rendant convergente l'action des deux ministères. Sans doute cet effort est-il encore insuffisant et sans doute y a-t-il des progrès à faire.
Nous allons clore cette audition. Je vous demanderai de bien vouloir répondre de façon écrite et formelle au questionnaire que nous vous avons fait parvenir. J'y ajoute des interrogations qui ont été soulevées au cours de cette audition.
Quels sont les investissements de l'État sur chacun des territoires, quels que soient les types de transfert (aides aux entreprises, famille, etc.) ? Quels sont leurs montants par type et par territoire ? Disposez-vous de données douanières sur les prix et l'aide au fret ? Je vous réaffirme aussi mon vif intérêt pour la liste des normes inadaptées que vous avez évoquée. Je vous remercie beaucoup.
La commission auditionne ensuite Mme Annick Girardin, inspectrice générale de l'éducation, du sport et de la recherche, ancienne ministre des outre-mer
Mes chers collègues, nous reprenons nos auditions dans le cadre de notre commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et accueillons madame Annick Girardin.
Madame Girardin, même si tous nos collègues vous connaissent, je rappellerai que vous avez été élue locale, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon de juin 2007 à mai 2014, puis successivement secrétaire d'État chargée du développement et de la francophonie, ministre de la fonction publique, ministre des outre-mer de mai 2017 à mai 2020, puis ministre de la mer de mai 2020 à mai 2022. Depuis lors, vous êtes détachée à l'inspection générale de l'éducation nationale, du sport et de la recherche.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles de notre rapporteur. Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Annick Girardin prête serment).
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, présents dans cette salle ou à distance, comme vous l'avez indiqué, j'ai été nommée ministre des outre-mer en juin 2017, avec notamment pour mandat de tenir les Assises des outre-mer. Malgré de nombreuses lois de programmation ou même la loi « égalité réelle » (loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer, dite loi EROM), le Président de la République Emmanuel Macron avait le sentiment que la parole devait être rendue aux acteurs de terrain, une nouvelle fois pour parler, sans tabou, de leurs aspirations, des moyens à mettre en œuvre afin qu'ensemble, nous « fassions République ».
Oui, trois fois oui, les Ultramarins sont confrontés à des prix structurellement plus élevés qu'en métropole. En effet, lorsqu'on ajoute les éléments conjoncturels (augmentation du coût du carburant, du transport, des matières premières, effets de la guerre en Ukraine), la situation est très préoccupante pour bon nombre de nos concitoyens. Je peux en témoigner personnellement car je vis de plus en plus sur mon territoire, Saint-Pierre-et-Miquelon, qui connaît d'ailleurs le taux d'inflation le plus élevé de nos territoires ultramarins, avec une inflation de 9,3 %, contre 6,8 % au Canada voisin et 5,2 % en moyenne en France.
Nous sommes tous touchés mais traiter de la question de la vie chère sans rappeler la réalité de ces territoires serait sans doute trompeur. Aussi vais-je élargir le propos. Néanmoins, lorsqu'on tente de regrouper les territoires ultramarins par géographie, en fonction de leur histoire ou encore selon leur organisation politique et statutaire, il est bien difficile d'invoquer une quelconque homogénéité. La Réunion et Mayotte sont toutes deux dans l'Océan indien mais plus de 1 800 kilomètres les séparent. Leur histoire, leur sociologie et leur organisation politique ne se ressemblent guère, pas plus que Wallis et Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie ne présentent les mêmes spécificités. Le constat vaut aussi pour les Antilles et la Guyane ou encore pour Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, dits « les trois Saints » malgré leurs grandes différences.
Il faut donc, comme l'a initié mon prédécesseur, Victorin Lurel, parler des outre-mer, de leurs réalités propres et de leurs aspirations. Tel était l'objectif des Assises de l'outre-mer que j'ai conduites dès ma prise de fonction. Après de nombreuses consultations et de nombreuses rencontres (26 000 participations, 550 ateliers, 219 réunions publiques), nous avons pu établir une feuille de route qui a constitué ma feuille de route durant les trois années au cours desquelles j'ai piloté le ministère des outre-mer. Cette feuille de route a été présentée dès janvier 2018 par le Président de la République.
Elle est faite par territoire. Elle répond aux réalités de nos concitoyens. Elle parle de la vie des gens, ce qui est très important. La question de la vie chère ne ressortait pas, alors, comme la préoccupation première des Ultramarins. Nous n'avions pas encore connu le Covid ni les conséquences de la guerre en Ukraine. Les priorités mises en avant par nos concitoyens en outre-mer portaient sur les services publics essentiels, le logement, la sécurité ou encore la formation de nos jeunes.
Les élus avaient également souhaité que l'on accompagne leurs collectivités dans leur transformation et en tenant compte de leurs spécificités, en travaillant notamment à un certain nombre d'autonomies supplémentaires qu'ils souhaitaient obtenir. Je n'ai pas refusé le débat mais les élus avec lesquels j'ai dialogué, durant ces trois années, n'ont pas souhaité véritablement travailler sur ces enjeux du coût de la vie. Sans doute les autres préoccupations étaient-elles alors plus centrales. Les choses sont un peu différentes aujourd'hui. Les chefs d'entreprise, eux, souhaitaient que nous parlions de compétitivité, d'innovation et de marché intertropical. Nous avons répondu à cette aspiration. À l'issue de ces Assises des outre-mer s'est ainsi formée une vision pour ces territoires qui constituent des fers de lance du rayonnement culturel, économique et politique de la France dans les trois océans. Je ne détaillerai pas l'ensemble des très nombreuses mesures qui ont fait l'objet d'arbitrages et ont été mises en œuvre dans le cadre de cette feuille de route.
Je souhaite évoquer un outil qui n'a, à regret, pas été assez utilisé, qu'on a appelé la matrice de convergence et de transformation. Mais avant d'en venir à ce point, je voudrais parler, comme nous allons évoquer la vie chère, de la réalité économique des petits territoires insulaires. Lorsque l'on regarde les petits territoires insulaires, tels que définis par l'Organisation des Nations unies, parmi lesquels les régions ultrapériphériques, force est de constater que ces territoires sont d'abord définis par leurs contraintes. Lorsqu'on observe leurs ressorts économiques et leurs choix de développement, on constate qu'ils sont soit basés sur l'extraction de ressources minières, soitsur le développement touristique (« very all inclusive » ), avec son cortège de conséquences. Il était hors de question que l'on base le développement de nos territoires sur les jeux de hasard, la fourniture de services financiers ou sur des dispositions qui en auraient fait des paradis fiscaux, et aucun élu n'a remis en question cette vision. Il fallait donc penser les choses autrement. Il nous faut construire autre chose que ces modèles qui peuvent nous entourer.
Cela suppose d'accepter les transferts publics qui existent aujourd'hui et de présenter d'autres perspectives. C'est ce qui a été fait. Nous devons éviter la vision mortifère qui ne se fonderait que sur l'indicateur du PIB par habitant. Tel est l'objet d'un outil bâti dans le cadre des Assises mais qui n'a pas été suffisamment utilisé à mon avis : la matrice de convergence et de transformation. Cette matrice figure en pages 106 et 107 du Livre bleu, lequel constitue le résultat des Assises des outre-mer et expose une stratégie qui, durant tout ce quinquennat, a été mise en action.
Nous avons bâti cette stratégie en nous appuyant sur la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite « loi EROM », portée par Ericka Bareigts. Il n'était aucunement question pour moi de créer une rupture avec l'action de mes trois prédécesseurs (Victorin Lurel, George-Pau Langevin et Ericka Bareigts). Je faisais également partie de ces gouvernements et estimais qu'il fallait, le plus possible, rechercher la continuité. C'est dans cet esprit qu'ont été repris les plans de convergence, en y ajoutant la notion de transformation, car celle-ci était indispensable. J'ai également souhaité que nous travaillions sur les dix-sept objectifs de développement durable des Nations unies, qui dépeignent un monde plus juste et plus équitable dont nous rêvons tous. Souvent écrit, cet horizon n'est malheureusement jamais pris en compte dans les actions concrètes présentées.
C'est une approche globale du développement qu'il fallait faire prévaloir et qui a guidé notre démarche. La question de la vie chère constitue l'une de ces briques. La vision large à privilégier dans une telle démarche incluait l'âge moyen de vie en bonne santé, les niveaux d'éducation, l'accès aux soins, l'accès aux services publics, le logement ou encore la sécurité. Toutes ces données figurent dans cette matrice.
Je ne crois guère à la possibilité de recourir à une baguette magique et tous les ministres que vous avez auditionnés ou qui viendront devant vous tiendront certainement le même propos. Il ne suffit pas de dénoncer les choses pour les résoudre, et il apparaît rapidement à quiconque que résoudre les problèmes est bien plus compliqué que les dénoncer.
Nos politiques publiques doivent s'inscrire dans le temps et nul ne peut croire que des difficultés héritées de l'histoire peuvent être résolues par un(e) seul(e) ministre durant son mandat : il faut que toutes les collectivités s'y investissent, car elles ont aussi des responsabilités dans divers domaines (petite enfance, vieillesse, insertion, développement économique) et nous devons ensemble relever ces défis qui nous frappent. Si nous persistons dans les oppositions existant parfois entre l'État et les collectivités, sur un certain nombre de dossiers, nos projets resteront stériles ou pourraient même conduire à l'aggravation de certaines situations. Le plus grand risque est de faire imploser, par endroits, le pacte républicain, même si les menaces sont déjà là.
En tant que ministre des outre-mer, j'évoquais volontiers le « sentiment de vie chère ». Il ne s'agit évidemment pas d'amoindrir ni de nier la difficulté. Cette expression nous invite seulement à embrasser le sujet dans une vision large qui inclut la structuration des prix (du fait de l'éloignement, l'insularité, la petitesse de nos territoires et la taille des marchés) mais aussi les revenus, qui sont plus faibles dans les territoires ultramarins que sur le continent. En 2015, année de ma prise de fonction, les écarts de prix entre les départements et régions d'outre-mer (DROM) et la métropole allaient de 6,9 % pour Mayotte à 12,5 % pour la Guadeloupe. L'écart de prix en défaveur des territoires ultramarins était particulièrement élevé dans les DROM, notamment pour les produits alimentaires, les communications, les boissons alcoolisées et le tabac. Ces écarts s'expliquent par la structure même des marchés ultramarins. Il existe une abondante littérature sur ces sujets.
En 2012, la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer permet de revoir, au moins aux Antilles et en Guyane, le mode d'administration des prix des carburants. Pour l'ensemble des départements d'outre-mer, elle crée le bouclier qualité-prix (BQP), qui encadre les prix d'une liste de données et de produits, sans enfreindre les règles du commerce. En application de ce dispositif, les prix des carburants sont moins élevés qu'en métropole. Les cours sont, dans une certaine mesure, lissés et varient de façon moins brutale. La fiscalité est aussi plus faible que dans l'Hexagone – paramètre qu'il ne faut pas oublier.
J'ai décidé de maintenir et de renforcer ce dispositif du BQP, car il est efficace, pourvu qu'on veuille bien l'encadrer et le doter des moyens dont il a besoin pour fonctionner. J'ai ainsi rapidement impulsé une amplification de la dynamique et souhaité l'augmentation du nombre de produits entrant dans ce mécanisme. J'ai également demandé, au vu de la liste initiale de produits, que l'on travaille avec des nutritionnistes afin que le dispositif ne favorise pas seulement des produits qui seraient à déconseiller pour la santé. Lors de la crise des gilets jaunes, à La Réunion, j'ai immédiatement imposé une baisse de 10 % du montant total du panier du bouclier qualité-prix. Cela n'a pas été facile mais nous avons négocié cette diminution en quelques semaines et elle est entrée en application.
La structure même des marchés suscite aussi des interrogations légitimes. Comme vous le savez, l'Autorité de la concurrence a rendu un rapport en 2019, à ma demande. Il établit des constats assez clairs quant au fonctionnement de la concurrence, concernant les importations et la distribution de produits de grande consommation en outre-mer. Je crois que ce rapport, que j'ai rapidement relu ces derniers jours, reste pleinement d'actualité. Il montre que, malgré la hausse des prix liée à l'importation des denrées, seuls 26 % des marchandises des distributeurs proviennent de la production locale. Ce constat résulte d'une insuffisance, voire de l'absence de production locale, pour certains produits, et du déficit de compétitivité des biens produits localement, par rapport à ceux qui sont importés. Il peut aussi s'avérer moins coûteux d'importer que de soutenir une production locale. C'est une question de choix, étant entendu que tout ne peut pas être produit localement.
Dans le même temps, il est plus aisé de disposer d'un tissu industriel solide lorsque son marché intérieur est constitué de près d'un million de personnes et qu'il continue de croître, ce qui est le cas à La Réunion, que lorsqu'il est formé par 400 000 personnes et que ce nombre décline, comme à la Martinique. Les possibilités, sur le plan du fonctionnement des marchés, sont évidemment bien différentes dans l'un et l'autre cas. La rareté du foncier économique aménagé, la faiblesse des marchés, la possibilité de réaliser des économies d'échelle, rendent la production locale moins compétitive que l'importation. Le différentiel d'octroi de mer, sur lequel nous reviendrons, entre aussi en ligne de compte.
On évoque souvent l'octroi de mer et la taxe de consommation. Il faut aller au bout de cette réflexion. L'octroi de mer autorise les DROM à taxer certaines marchandises importées ou la livraison de biens produits localement. Le taux d'octroi de mer, fixé par la région, peut varier de zéro à 15 %. Le taux moyen d'octroi de mer est de 15 % en Guyane et de 7 % en Guadeloupe et à la Martinique. Il est de 4 % à La Réunion. Ce sont des questions de choix. D'autant que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui ne s'applique pas exactement de la même manière dans la formation des prix, est plus faible en outre-mer. Elle est nulle à Mayotte et en Guyane. Là aussi, des disparités existent, ce dont il faut tenir compte. Dans le budget de l'État, le soutien que constitue cette possibilité de modulation représentait 1,5 milliard d'euros annuel.
Les débats ont été nombreux, quant à l'opportunité du maintien de l'octroi de mer. Vous l'aurez aussi. Il n'est guère évident de soutenir sa suppression, qui serait synonyme d'une baisse des ressources des collectivités. Sa disparition ne pourrait être compensée que par le budget de l'État et serait certainement financée par une hausse de la TVA. Il faut mesurer toutes les conséquences qu'aurait une telle décision. L'octroi de mer constitue l'outil fiscal des collectivités locales et constitue la première recette des DROM, soit 45 % de leurs recettes, la plupart du temps. Il détermine donc les projets d'avenir de la collectivité et, vu sous cet angle, l'intérêt d'une collectivité réside davantage dans la hausse des importations (qui rapportent davantage) que dans le développement de l'activité locale, sauf à aider celle-ci davantage. Je voudrais noter ici les choix du Conseil régional de La Réunion, qui a décidé de très longue date de fixer un taux nul pour l'octroi de mer interne, c'est-à-dire celui qui pèse sur la production locale. Cette décision a impulsé une dynamique beaucoup plus importante en faveur de la production locale. L'octroi de mer constitue un outil de développement économique qui a fait ses preuves sur les territoires. Sans doute faut-il le faire évoluer, prudemment. La dérogation autorisée par Bruxelles, qui permet une taxation différenciée entre les produits importés et ceux fabriqués localement, doit être maintenue. Cela me semble essentiel pour la survie ou le développement de nos productions locales.
Le coût du fret constitue un autre sujet de débat récurrent. 95 % des marchandises importées dans nos territoires ultramarins le sont par le transport maritime et celui-ci représente en moyenne un tiers des frais d'approche, soit environ 10 % du coût d'achat des marchandises importées. Ce taux varie d'un produit à l'autre. Le fret à proprement parler entre à hauteur de 50 % dans ce coût de transport. S'y ajoutent la surcharge de carburant (25 %) d'une part, la manutention et les droits des ports, d'autre part, qui représentent 15 % à 20 % selon les territoires. Ces chiffres valent plus particulièrement pour les DROM que pour les autres territoires.
Quel que soit le territoire, le coût du fret dépend du type de produit, de la distance parcourue et du volume de marchandises embarquées, en fonction de la capacité et du taux de remplissage des bateaux. Certaines caractéristiques propres aux DROM entraînent un surcoût du fret, en particulier la capacité limitée des ports, qui oblige parfois à utiliser des feeder – c'est-à-dire à passer d'un bateau plus important à un autre pour distribuer les marchandises dans le bassin - à l'exception de La Réunion, qui a un port de taille suffisamment importante. Les coûts sociaux et environnementaux sont à signaler, même si on n'en parle pas : les salaires des dockers et l'organisation du travail rigide empêchent d'adapter la main-d'œuvre selon les besoins. Les mouvements sociaux n'ont jamais créé une image bénéfique à nos ports. Les cyclones paralysent, quelques fois, l'utilisation des ports. Le flux d'importations et d'exportations peut aussi s'avérer très asymétrique : lorsqu'on peut rentabiliser le transport dans un sens, il est plus difficile de le faire en sens inverse, ce qui induit un surcoût dans les deux sens. Soulignons enfin la très faible intégration des DROM dans leur bassin maritime (les États-Unis dans le cas des Antilles, Madagascar dans celui de La Réunion et Mayotte). Lorsque je suis arrivée à l'Assemblée nationale, un débat s'est ouvert sur le prix du beurre de la marque Président. On voulait que celui-ci soit au même prix en Polynésie qu'à Paris ou ailleurs, ce qui est évidemment très compliqué. Nous avons des coutumes et des traditions liées à des produits nationaux mais il y a aussi les produits locaux.
Je voudrais dire un mot des réformes des aides économiques que j'ai pu mettre en place, car elles ont un lien direct avec notre sujet. Dès décembre 2017, cette réforme a été assez importante pour accompagner les territoires, dans le prolongement du Livre bleu, avec la simplification et le renforcement des zones franches d'activité et un Fonds européen d'investissement (FEI) beaucoup plus important afin de lutter contre les difficultés structurelles des territoires ultramarins. L'aide fiscale en faveur des investissements productifs a aussi été prolongée jusqu'en 2025. Un certain nombre d'outils ont été réorientés, ce qui a permis d'allouer plus de 100 millions d'euros à une dynamique favorable à ces territoires, comme le souhaitaient les entreprises, en proposant des financements d'accompagnement de projets sectoriels ou par exemple des microcrédits, qui étaient indispensables à Mayotte. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a fait l'objet d'une négociation et ce dispositif est resté en vigueur, en 2018, dans la plupart des territoires ultramarins. Nous avons fait un « coup double », le maintien du CICE se conjuguant avec les réformes mises en œuvre. Nous avons bien sûr apporté un certain nombre de soutiens supplémentaires à La Réunion après la crise des gilets jaunes. Enfin, un certain nombre de dispositifs ont été exonérés de charges sociales avec le dispositif du « zéro charges », ce qui a aidé les secteurs clés de la transformation économique de nos territoires. 70 % des salariés gagnent moins de 1,7 Smic dans les territoires ultramarins et 92 % d'entre eux gagnent moins de 2,5 Smic. Il fallait donc agir sur ce sujet. Se posait aussi la question de la lutte contre le chômage dans ces territoires et j'avais le souci pragmatique du développement de l'emploi. Des mesures spécifiques ont été mises en place à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui n'avaient pas le même régime que les DROM. Un accompagnement complémentaire a été mis en œuvre en Guyane. Dans certains cas, les territoires ont décidé de conserver la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer dite « loi Lodeom », qui permettait de maintenir un régime de compétitivité renforcée pour certaines activités. L'objectif était d'accompagner les entreprises et je pourrai revenir sur ce régime d'innovation que nous avons mis en place si vous le souhaitez. Il a donné de vrais résultats et ceux-ci ont sans doute permis que les territoires d'outre-mer ne s'effondrent pas au moment de la crise de la Covid-19. Toutes ces décisions étaient antérieures et avaient été mises en œuvre. Elles ont permis de sauver l'essentiel lorsque la pandémie a frappé l'ensemble de notre pays.
La baisse des charges a été importante dans les territoires ultramarins. Aucune mesure n'avait eu une telle ampleur au cours des dix dernières années. Le soutien supplémentaire, qui était de l'ordre de 130 millions d'euros dans le projet de loi de finances initial, s'est traduit par un soutien supplémentaire de 24 millions d'euros en Guadeloupe, 24 millions d'euros en Martinique, 27 millions d'euros en Guyane et 41 millions d'euros à La Réunion. J'exprime un regret : sans doute ne sommes-nous pas allés assez loin dans certaines déductions de charges, car le territoire manque d'ingénierie. Il faut probablement aller plus loin afin que nos territoires soient encore plus attractifs, attirent davantage de jeunes et davantage de compétences d'une façon générale.
S'agissant du pouvoir d'achat, il y a trois sujets qui fâchent. Le premier a trait à la sur-rémunération. Celle-ci ne concerne qu'une petite partie de la population mais a un effet très important sur les prix, dans la mesure où l'on prend souvent pour base de comparaison les revenus de la fonction publique. Pour autant, la supprimer signifierait mettre à terre l'économie des territoires ultramarins. L'indemnité temporaire de retraite (ITR) avait été supprimée à la demande du gouvernement Fillon, qui s'était engagé à mettre en place un nouveau dispositif mais cet engagement n'a pas été tenu. J'ai fait arbitrer, dans le projet de loi instituant un système universel de retraite de 2019 – qui n'a pu aller au bout de son parcours législatif – une proposition de mesure compensatoire visant à pallier la perte de cette indemnité. Cette mesure traduisait une volonté d'équité : elle ne concernait pas seulement la fonction publique d'État mais aussi les fonctions publiques hospitalière et territoriale. J'espère que vous parviendrez à réinscrire à l'ordre du jour cette proposition, car nous sommes confrontés à un risque. Nos jeunes ne reviennent plus et nos anciens partent, ce qui fait peser un danger sur l'avenir de nos territoires du point de vue démographique et donc en termes de développement économique. D'aucuns considèrent que la réforme de l'impôt sur le revenu (IR) a eu un impact sur le coût de la vie dans les DROM. Elle a eu un impact sur 7 % des contribuables les plus aisés des territoires ultramarins. Conformément à l'engagement que j'avais pris, cette réforme a intégralement abondé le fonds du fonds exceptionnel d'investissement outre-mer (FEI). Il s'agit d'une mesure qui a introduit davantage de justice et d'équité, ce qui correspond bien à mes convictions de femme de gauche. J'ai défendu ce dispositif jusqu'au bout et je continuerai de le défendre.
Enfin, on ne peut parler de vie chère sans évoquer le volet social. Un certain nombre de dispositifs ont été mis en place, notamment à Mayotte, en Guyane et à La Réunion, dans un premier temps, après les différentes crises que nous avons connues. À Mayotte, nous avons étendu le complément de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) aux territoires où elle n'existait pas. Nous avons augmenté le revenu de solidarité active (RSA) et créé un fonds de développement social doté de 10 millions d'euros. Nous avons mis en place l'exonération du ticket modérateur et augmenté les primes d'activité. C'était une mesure extrêmement importante. Le plan national de lutte contre la pauvreté a été mis en place dans les territoires ultramarins, avec une enveloppe supplémentaire.
Comme vous le savez, mesdames et messieurs les députés, on surnomme le ministère de l'outre-mer le « ministère des crises ». J'en ai rapidement fait l'expérience avec les ouragans Irma et Maria, puis la crise sociale à Mayotte, les gilets jaunes à La Réunion et surtout la gestion de la première crise de la Covid-19. Néanmoins, j'ai également eu à cœur de travailler sur les sujets plus structurels et de tenir les engagements du « plan Guyane » qui avait été décidé par le gouvernement précédent. Le « plan Mayotte », les travaux sur le chlordécone, le référendum en Nouvelle-Calédonie, les sargasses et la vie chère ont aussi fait partie de tous les travaux que j'ai conduits durant ces trois années.
J'ai préféré vous laisser poursuivre votre développement car vous étiez lancée dans un bilan assez exhaustif de votre action. Ce sont autant de sujets qui seront déjà « débroussaillés » compte tenu de la densité de vos propos.
Au regard du bilan d'ensemble que vous dressez de l'égalité réelle, après l'adoption de la loi, où en sommes-nous concrètement aujourd'hui, suite à l'entrée en vigueur de la loi que vous avez portée ?
J'ai bien compris que vous aviez basé les politiques que vous avez conduites sur une sorte de consultation citoyenne. Vous avez indiqué que la préoccupation pour le coût de la vie n'apparaissait pas comme une priorité. Il s'agit du thème de notre commission d'enquête et le coût de la vie renvoie directement au niveau de vie de la population, avec des conséquences sur l'insécurité et à travers différentes problématiques sociales. L'enjeu central du coût de la vie n'est-il pas apparu comme un « chapeau » au-dessus des préoccupations que vous avez évoquées, compte tenu de l'écart qui existe du fait des contraintes propres à ces territoires et du rapport historique avec l'Hexagone ? On peut d'ailleurs se demander si la France hexagonale se situe outre-mer ou si les territoires rattachés à la France hexagonale se trouvent outre-mer. Je n'entrerai pas dans ce débat et me contente de le mentionner.
Comment analysez-vous le fait de regrouper des territoires extrêmement divers, malgré les très grandes différences qui les séparent du point de vue géographique, social ou sociologique, avec pour seul point commun leur insularité et leur éloignement de la France hexagonale (puisque tout a été centralisé dans notre pays) ? Vous aurez remarqué que je n'emploie pas le mot de « métropole ». Le budget se trouve outre-mer et les politiques sont conduites au sein des territoires, alors que les territoires considérés (Martinique, Guadeloupe, Mayotte, La Réunion, Saint-Barthélemy, Saint-Martin) sont très différents.
Vous n'avez pas du tout abordé la question des oligopoles et des monopoles, alors que le modèle économique de ces territoires est, historiquement, très influencé par ce type de fonctionnement. Certes, l'exiguïté limite de façon compréhensible le nombre des acteurs qui y sont présents. Ceux-ci ont toutefois été plus nombreux par le passé. Je peine à comprendre que l'on considère aujourd'hui comme normal que leur nombre ait diminué et que ce modèle perdure. J'aimerais votre avis sur cette question également.
Je crois que nous avons le même avis. S'il a été décidé de conclure des contrats de convergence et de transformation territoire par territoire, c'est pour prendre en compte la réalité de chaque territoire. Une négociation s'est ainsi engagée entre l'État et chaque territoire. Plus globalement, la question de la centralisation rejoint celle de l'opportunité de l'existence d'un ministère des outre-mer. Nous n'aurons sans doute pas ce débat ici mais il n'y aura pas un ministère pour chaque territoire. Il existe donc un ministère des outre-mer (ce pluriel traduisant déjà une progression des représentations sur le sujet) et une volonté de contractualisation avec chaque territoire. C'est ainsi que les dispositifs sont pensés, y compris lorsqu'il a fallu bâtir des plans d'urgence : une négociation s'est engagée, là aussi, territoire par territoire.
Je n'ai pas affirmé qu'il ne fallait pas examiner en toute transparence le coût de la vie dans les territoires ultramarins. Je suis d'accord avec vous : il est bien question du niveau de vie. C'est la raison pour laquelle il faut considérer à la fois le coût de la vie et les revenus. Telle était bien la logique qui a guidé les travaux des observatoires des prix et des revenus (OPMR). Pour avoir siégé en tant que députée au sein de ces observatoires, je me souviens m'être demandé ce que c'était que ce machin. Ce n'est pas son fondement ni son utilité éventuelle que je questionnais mais nous ne savions pas le faire fonctionner, faute de moyens. Il est important que, dans chaque territoire, ces OPMR fonctionnent et soient plus transparents. J'ai souhaité, lorsque j'en faisais partie, à La Réunion, qu'on y associe cinquante citoyens, et telle était la volonté de ceux-ci. Ils nous le disaient lors des rencontres sur le terrain.
Une évolution législative est cependant apparue rapidement nécessaire afin que leur participation soit pleinement reconnue et qu'ils aient les moyens de participer à ces travaux, tant en termes de formation que de moyens financiers. J'ai ainsi doublé l'enveloppe allouée aux OPMR et ai demandé qu'on me fasse des propositions concernant des outils de transparence. J'ai voulu qu'existent des « sites transparence » dans tous les territoires ultramarins. Malheureusement, les préfectures, qui n'avaient d'autre choix que de s'y atteler lorsque j'étais là, ont cessé d'effectuer ce travail lorsqu'il ne leur a plus été demandé instamment de le faire. Ce n'est pas une critique envers elles : chaque nouveau ministre leur présente de nouvelles demandes et peut-être leurs services ne sont-ils pas suffisamment étoffés pour poursuivre toutes ces actions dans la durée.
Ces « sites transparence » regroupaient l'ensemble des questions sur la vie chère, les revenus, les mesures de l'État et leur suivi. La transparence est insuffisante et celle-ci appelle davantage d'investissements financiers de la part de l'État dans la durée. Le sujet est vite relégué au second plan, toutefois, lorsque des crises surviennent. Je le déplore. Dressons un nouveau bilan de ces OPMR, quatre ans après. Comme je l'ai dit à La Réunion, si ce dispositif ne fonctionne pas, il faut arrêter. Cela voudrait dire qu'on fait croire aux gens qu'un travail est réalisé pour la transparence sans qu'on en ait les moyens. Les présidents de ces Observatoires, qui sont des entités indépendantes, ont un très faible budget (que nous avions doublé) et se rendent de temps en temps dans les territoires ultramarins pour assister à des réunions. Ce n'est pas satisfaisant. Là se trouve la clé de la continuité des grandes lignes que vous impulserez dans le prolongement des travaux de cette commission d'enquête. Victorin Lurel a créé cet outil, qui répondait à une nécessité. Je l'ai relancé, ce qui était également nécessaire. Si ses résultats ne sont pas probants (ce qui est malheureusement le cas sur mon territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon), sans doute faut-il inventer un autre outil et lui apporter un renfort législatif.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des sujets spécifiques aux différents marchés des territoires ultramarins. Victorin Lurel a largement traité ces questions, et d'autres également. L'introduction du propos que j'avais préparé pour cette audition comporte un passage à ce sujet que je n'ai pas développé. Je vous transmettrai ce texte.
Je ne reviendrai pas sur les OPMR car je crois que le diagnostic est partagé par tous. Les OPMR sont surtout victimes, aujourd'hui, de la faiblesse des moyens qui leur sont dédiés, ce qui hypothèque la réalisation de leurs missions.
Effectivement, vous avez fait front, au moment de la crise des gilets jaunes. En 2019, dans un souci de transparence, un délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer, M. Francis Amand, avait été désigné. Il a été auditionné par notre commission d'enquête. Sa nomination avait suscité l'enthousiasme des élus et des Réunionnais en général, car tous espéraient voir advenir un changement dans la manière d'encadrer les acteurs économiques. Le bilan de cette action est pourtant fort différent. Rien n'a changé et son rôle n'a pas abouti à une quelconque avancée. Avez-vous pris connaissance de son travail lorsque vous étiez en fonction ? Comment ont été décidés les moyens mis à sa disposition ? Il a attesté, sous serment, la faiblesse de ces moyens, alors même qu'il avait fait part à de nombreuses reprises de cette réalité au gouvernement.
Depuis le début des travaux de cette commission, un certain nombre d'acteurs ou d'opérateurs placent le fret au centre de la problématique du coût de la vie outre-mer, souvent pour masquer l'absence de transparence de leur côté. Reconnaissons tout de même que le coût du fret a objectivement augmenté. Il n'y a guère cinquante manières de s'attaquer à ce problème. La piste évoquée aujourd'hui porte sur une aide au fret plus importante. Nous devons cependant, dans le même temps, ne pas perdre de vue l'enjeu de souveraineté alimentaire qui nous invite à diminuer les importations. Aujourd'hui, dans le panier moyen des consommateurs, 80 % des produits sont importés d'Europe, malgré les filières qui existent pour les produits locaux. Comment trouver l'équilibre entre le nécessaire soutien du fret et la volonté de ne pas pénaliser la production locale ?
Le choix de nomination d'un délégué interministériel à la concurrence a été fait en juin 2018, après que nous avons demandé à l'Autorité de la concurrence (ADLC) de conduire un travail sur la distribution et le fret en outre-mer. Vous disposez certainement des 19 recommandations émises par l'Autorité de la concurrence. Elles portaient sur le suivi des prix, l'octroi de mer, le renforcement d'outils juridiques de régulation concurrentielle, l'amélioration du bouclier qualité-prix, la valorisation des produits locaux et le développement de l'e-commerce (question sur laquelle je n'ai pas eu le temps d'aller jusqu'au bout mais qui représente aussi un enjeu important). L'ADLC plaidait aussi pour la création d'un poste de délégué interministériel à la concurrence afin qu'au-delà de la mission spécifique conduite par l'Autorité, les efforts engagés s'inscrivent dans la durée en veillant à l'application des recommandations formulées.
À ce stade, ce travail ne faisait pas apparaître de situations contraires au droit. Pour autant, un contrôle permanent devenait nécessaire. Or il n'est pas suffisamment organisé. Je ne sais pas si le délégué interministériel à la concurrence dispose de suffisamment de moyens, car j'ai quitté mes fonctions assez peu de temps après l'avoir nommé et mis en place les premiers moyens. Nous étions au début de cette dynamique et au départ, tout va toujours très bien, car le soutien des dispositifs est alors maximal. Peut-être ce travail est-il ensuite passé au second plan des priorités et peut-être serait-il justifié d'augmenter les moyens alloués à ce délégué interministériel. J'ai souligné tout à l'heure que la question de la transparence, du suivi et du contrôle nécessitait des moyens. Ceux-ci ne sont pas alloués car il existe toujours d'autres urgences. C'est pourtant dans la durée que ces efforts pourraient prendre corps.
Sur la question du fret, je sais que l'on compare souvent les dispositifs mis en œuvre en outre-mer avec des soutiens dont bénéficie la Corse. Je ne suis pas sûr que ce soit le modèle à considérer pour les territoires ultramarins. Faut-il augmenter le soutien du fret ? Ce débat doit être ouvert. Je n'ai pas retravaillé sur ce sujet depuis mon départ du ministère des outre-mer, si ce n'est pour Saint-Pierre-et-Miquelon, dont je suis toujours la situation avec attention. Un certain nombre de paramètres ne pourront être modifiés. D'autres indicateurs doivent faire l'objet d'un suivi plus fin. Il resterait aussi à déterminer quels soutiens supplémentaires devraient être mobilisés, si une décision était prise en ce sens.
J'ai souvent pris pour exemple la réalité d'autres pays ou territoires. J'avais examiné la façon dont d'autres pays qui ont des territoires éloignés, en particulier des îles, procèdent pour approvisionner celles-ci. Ils assurent souvent une prise en charge totale du transport, mais ne proposent aucune autre aide. Il n'y est pas question d'une surrémunération ni de soutiens spécifiques. Il faut donc prendre garde de considérer l'ensemble des dispositifs existants, y compris lorsqu'on brandit tel ou tel modèle qui pourrait faire rêver, si l'on occulte ses aspects négatifs.
Globalement, la question du coût de la vie en outre-mer est étroitement liée aux rentes monopolistiques et oligopolistiques dans nos territoires. Jusqu'à présent, l'action de l'État a consisté à rechercher davantage de transparence : « s'il vous plaît, donnez-nous vos comptes et transmettez-nous les données ». En tant que citoyenne ultramarine et ancienne ministre, que pensez-vous d'une action de la puissance publique qui serait beaucoup plus contraignante, au-delà du constat (aujourd'hui largement partagé) ? L'exemple du coût des matériaux, à La Réunion, est symptomatique : leur coût est accru de 4 % à 5 % à l'arrivée dans notre territoire, fret et octroi de mer compris. En bout de chaîne, le surcoût est de 30 % à 50 %. Il existe un seul opérateur, qui est en situation de monopole. Il n'est donc pas difficile de comprendre qui est responsable de la hausse du coût des matériaux, qui entraîne naturellement des conséquences en cascade – construction de logements, emploi dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, etc. Que pensez-vous d'une action beaucoup plus contraignante de la puissance publique ? Il existe des exemples aux États-Unis, sous Roosevelt avec les lois antitrust. Il s'agit, pour aller vite, d'une politique de contrôle des prix et, s'il le faut, dans certaines situations, de démantèlement des monopoles. Sans une action vigoureuse de la puissance publique, nous nous heurterons toujours à ces situations de rente monopolistique.
Ma seconde question, qui porte sur la recherche dans les outre-mer, ne concerne qu'indirectement le sujet de cette commission – dans la mesure où elle peut avoir des implications économiques à long terme – mais elle est liée à vos fonctions actuelles. Il est enfin question, dans le plan France 2030, des outre-mer au titre de la recherche, ce qu'il faut saluer. 15 millions d'euros sont notamment fléchés vers des enjeux environnementaux spécifiques aux outre-mer, ce qui est sans précédent. Il faut cependant rappeler les constats de l'Iedom : « depuis plusieurs années, les politiques de développement économique mises en place dans les outre-mer présentent la recherche et l'innovation comme des éléments clés. Toutefois, malgré un ensemble de dispositifs de soutien à l'innovation et en dépit d'une hausse marquée ces vingt dernières années, les dépenses de recherche et développement (R&D), rapportées au PIB, restent relativement faibles dans les outre-mer comparativement aux régions hexagonales ». L'outre-mer représente 0,6 % des effectifs nationaux totaux dédiés à la recherche et développement alors que la population active ultramarine représente 4,1 % de la population active française en 2016. En outre, les enjeux de biodiversité, par exemple, concernent à hauteur de 80 % ou 90 % les territoires ultramarins. Ces proportions sont-elles les mêmes en 2023 et comment expliquez-vous que ce champ de la recherche, qui constitue un élément clé pour le développement économique de nos territoires, ne soit pas plus accompagné financièrement, même si nous notons l'évolution positive que prévoit le plan France 2030 ?
Je précise que si les chiffres cités par monsieur Gaillard, concernant les matériaux de construction, peuvent être parlants, l'ensemble des auditions n'a pas abouti à considérer qu'il existait forcément des rentes de situation liées à des monopoles. Nous aurons à analyser tout cela et nous aurons cette discussion. Ce qui vaut pour certains produits ne vaut pas nécessairement pour l'économie en général, sachant que vos propos se sont fortement centrés sur la grande distribution. C'est mon rôle que de rappeler ces équilibres.
Je suis assez sensible à ce qu'a souligné monsieur Gaillard concernant la recherche, en particulier sur la biodiversité. Si 80 % de la biodiversité sont concentrés dans ces territoires, pourquoi n'y a-t-il pas les financements que cela suppose ?
Je voudrais ajouter un point que je n'ai pas mentionné précédemment : nous n'oublions pas les fonds européens, qui viennent soutenir les intrants productifs et l'activité de fret. Je crois qu'il faudra avoir à l'esprit l'échelon européen au moment de faire des propositions pour l'avenir.
Nous avons d'ailleurs d'importantes marges de progrès dans l'utilisation des crédits des fonds structurels européens, pour la quasi-totalité des territoires, à l'exception des plus petits d'entre eux.
Je ne porterais pas de jugement. C'est à travers l'étude de l'Autorité de la concurrence que j'ai eu connaissance de certains faits. Lorsqu'on se trouve sur place, on dénonce un certain nombre de choses mais, dans la phase de vérification, rien n'a jamais été démontré, qui permette à un ministre d'agir de manière plus vigoureuse que ce qui a été mis en place. Parfois, le contrôle ne s'effectue pas, peut-être en raison des moyens qui y sont alloués.
S'agissant des prix, il peut exister des monopoles mais il y a aussi la question du transport et celle du grossiste-importateur. Il faut tenir compte de tous les maillons qui participent à la formation du prix. C'est par une analyse fine que l'on peut identifier à quels maillons les coûts s'élèvent et cette analyse est indispensable avant de pouvoir affirmer qu'une situation de monopole crée un danger. Dans certains territoires tels que le mien – Saint-Pierre-et-Miquelon, qui compte 6 000 habitants – il paraît difficile d'éviter une situation de monopole, dans certains secteurs. Il y a d'autres territoires où, pour des raisons similaires, même si elles présentent une moindre acuité, la situation est compliquée aussi.
À La Réunion, la taille du bassin – près d'un million de personnes – offre davantage de possibilités pour qu'il existe une concurrence. Faut-il que l'État contrôle tous les prix ? Je n'y crois guère. Cela aurait d'autres effets négatifs. Faut-il qu'il participe davantage, comme l'Europe, au soutien du fret et, si oui, sous quelle forme ? À Saint-Pierre-et-Miquelon, la délégation de service public maritime (DSP) existe entre Halifax, qui est le port desservant aujourd'hui le territoire. Elle n'existe pas entre l'Union européenne et le Canada. Il s'agit pourtant d'une partie importante de la dépense, avec des coûts de traversée de l'Atlantique, pour les containers, pouvant aller de 8 000 euros à plus de 20 000 euros, sans compter d'autres éléments qui s'ajoutent ensuite. Nous voyons bien que la situation n'est pas si simple. Peut-être faut-il un autre type d'accompagnement de nos territoires en la matière. Pensons à Wallis et Futuna et à ce que cela voudrait dire. Cette réflexion n'est pas menée. Nous devons aller au-delà de la question des monopoles et nous demander quels sont les modèles d'importation, pourquoi d'autres modèles, dans la région, semblent mieux fonctionner, si l'on produit davantage localement, etc. L'on peut ensuite déterminer ce que représentent les produits importés et dans quelles conditions ils peuvent l'être. Ce travail me paraît nécessaire pour parvenir à construire quelque chose au-delà de cette commission d'enquête, afin d'apporter des réponses justes et équitables à nos concitoyens.
J'ai un grand regret : le Livre bleu de 2018 évoque la création d'une plateforme de recherche pour chaque territoire ultramarin. J'ai déployé des efforts pour qu'au moins deux de ces plateformes se mettent en place. Elles n'ont pas suscité l'intérêt des collectivités, où que ce soit. C'est dommage. Les financements étaient disponibles, de même que les opérateurs. Aujourd'hui, lorsqu'on recherche des informations sur la recherche outre-mer, on ne trouve aucune donnée. Cela me semble une erreur du point de vue de l'attractivité de nos territoires, en particulier si l'on songe à la place qu'ils représentent en matière de biodiversité. À l'évidence, en comparant le budget dédié à la protection de la biodiversité outre-mer à la part de celle-ci dans la biodiversité de notre pays, il y a de quoi se mordre les doigts. Il m'est arrivé de le souligner dans certains discours. Le « réflexe outre-mer » que j'ai intégré a été régulièrement rappelé par le Président de la République en Conseil des ministres. Le Premier ministre, Édouard Philippe, l'a régulièrement rappelé aussi dans les arbitrages qu'il a pris. Il faut se souvenir qu'on parlait alors, à propos du ministère des outre-mer, du « petit Matignon ». Le tapis rouge était déroulé durant des années pour le ministre des outre-mer. Je trouvais que c'était une erreur. Les territoires ultramarins ne pouvaient rester à part et n'être soutenus que par le ou la ministre des outre-mer : chacun des ministres devait se rendre sur place pour prendre la mesure de la réalité des territoires ultramarins. Jamais des ministres aussi nombreux ne se sont déplacés en outre-mer que lors du dernier quinquennat. Jamais le Président de la République ni le Premier ministre ne se sont rendu un tel nombre de fois dans les territoires ultramarins. C'est une vraie réussite. Le « réflexe outre-mer » perdure et le relais a été pris par d'autres. Il transparaît dans tous les discours et je m'en félicite.
Je n'ai pas le temps de développer mon propos sur le thème de la recherche mais celui-ci est important. Nous avons besoin de la présence de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) en outre-mer, de même que pour l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Nous avons besoin d'investissements plus nombreux dans la recherche. Reprenez le Livre bleu. Battons-nous pour qu'il existe une plateforme de recherche sur chacun des territoires ultramarins. C'est une vraie réponse. Les collectivités ont-elles craint que l'État leur impose ces structures ? Tel n'était pas, en tout cas, l'objet de cette proposition. Il s'agissait de montrer ce dont ces territoires étaient capables, en constituant des bases de recherche plus importantes qui auraient également bénéficié à l'ensemble des États insulaires voisins, auxquels un soutien pourrait être apporté en matière de recherche.
Je vous remercie beaucoup, madame Girardin, pour ce discours tonique et riche en informations. Nous vous invitons à nous transmettre vos contributions écrites. Je serai sensible à ce que vous reveniez, dans ces contributions, sur les matrices de convergence.
J'aurais aimé, monsieur le président, pouvoir développer la « trajectoire 5.0 ». Elle n'a pas été suffisamment reprise. Elle figure pourtant dans les contrats de convergence. C'est le vecteur de transformation. L'Agence française de développement (AFD) l'a intégrée dans ses formations dédiées aux collectivités. Le FEI aurait dû en faire une priorité. Cette trajectoire constitue la chance, pour les territoires ultramarins, d'être regardés différemment. Demain, nous aurons la zone économique exclusive (ZEE) la plus importante grâce aux territoires ultramarins. Nous avons aussi une forêt tropicale. Nous apportons une vraie réponse sur la question du climat. Un retour sur nos milliers de miles marins ou sur notre forêt ne serait-il pas envisageable dans les différentes collectivités ? C'est un vrai débat à ouvrir avec l'Europe. Les collectivités pourraient bénéficier de nouvelles ressources. Peut-être faut-il travailler davantage sur ces sujets.
Vous êtes libre de nous transmettre toutes les contributions que vous souhaiterez sur ces questions.
Vous avez souligné que jamais il n'y avait eu autant de visites ministérielles et du Président de la République dans les territoires ultramarins. C'est vrai. Jamais, cependant, la situation n'a été aussi difficile dans les territoires ultramarins. Les problèmes ne se résolvent pas. Il faut saluer les visites des plus hauts représentants de l'État mais les difficultés s'empilent.
Je déplore par ailleurs la suppression, dans le Livre bleu, de la « réfaction », c'est-à-dire l'abattement qui s'appliquait à l'impôt sur le revenu. Cela ne représentait pas grand-chose pour l'État. Ces millions d'euros qui restaient dans nos territoires étaient importants pour la consommation. Je rappelle que 60 % des foyers ultramarins ne sont pas imposables. On est venu, malgré tout, chercher quelques millions en supprimant la réfaction alors que la vie est plus chère.
Je me souviens bien de ce budget. Celui-ci a donné lieu à un abondement du FEI à hauteur de 110 millions d'euros, c'est-à-dire un montant bien supérieur à la réfaction que tu évoques.
Il faut également rappeler, à propos de la sur-rémunération, qu'un emploi sur trois, outre-mer est un emploi public. Cette mesure avait donc un impact non négligeable. La réflexion, sur ce point, a pris soin de ne pas inclure les personnes se trouvant sous le seuil de la pauvreté.
La séance s'achève à douze heures quarante.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Roger Chudeau, M. Perceval Gaillard, M. Frantz Gumbs, M. Johnny Hajjar, Mme Joëlle Mélin, M. Nicolas Metzdorf, M. Philippe Naillet, Mme Maud Petit, M. Stéphane Rambaud, M. Guillaume Vuilletet, Mme Estelle Youssouffa.
Assistaient également à la réunion. – Mme Nathalie Bassire, M. Stéphane Lenormand.