La séance est ouverte à dix-sept heures cinquante.
(Mme Isabelle Rauch, Présidente)
La commission auditionne Mme Bénédicte Lesage, pressentie par Mme la Présidente de l'Assemblée nationale pour siéger au sein du collège de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) (Mme Béatrice Descamps, rapporteure).
Nous allons auditionner Mme Bénédicte Lesage, productrice et directrice de sociétés de production audiovisuelle, puis émettre un avis sur sa désignation par Mme la présidente de l'Assemblée nationale pour siéger au sein du collège de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
En application de l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, six membres de l'Arcom sont désignés par les présidents des assemblées parlementaires – trois par le président de l'Assemblée nationale et trois par le président du Sénat – et renouvelés par tiers tous les deux ans.
La procédure de désignation soumet le choix du président de chacune des assemblées à un avis conforme de la commission permanente chargée des affaires culturelles statuant à bulletin secret à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Les membres de l'Arcom doivent être choisis en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique, ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans les secteurs de l'audiovisuel ou des communications électroniques.
En outre, ces nominations doivent respecter un principe de parité. Concrètement, les présidents des assemblées doivent faire alterner les nominations d'hommes et de femmes afin de préserver l'équilibre du collège. Après le choix de M. Benoît Loutrel en 2021 par le président Richard Ferrand, la présidente Yaël Braun-Pivet souhaite ainsi désigner Mme Bénédicte Lesage.
Madame Lesage, cette audition va vous permettre de vous présenter et de nous préciser les compétences que vous pourriez apporter à l'Arcom, ainsi que les domaines qui, en tant que membre du collège, vous tiendraient particulièrement à cœur.
En application des dispositions de l'article 29-1 du règlement de l'Assemblée nationale, la commission a désigné Mme Béatrice Descamps comme rapporteure pour cette désignation. À l'issue de son intervention, je vous poserai une question en lien avec la proposition de législation européenne relative à la liberté des médias qui a été présentée le 16 septembre 2022.
Madame Lesage, vous êtes une personnalité connue et reconnue du monde de la production audiovisuelle. Au cours de votre carrière, vous avez pu acquérir une connaissance approfondie des sociétés audiovisuelles, publiques comme privées, puisque vous avez produit des documentaires, des séries et des films pour Canal+, M6, Arte ou France 2. Vous avez été directrice de la fiction de M6 et directrice de l'unité jeunesse de France 2. Vous avez créé et codirigé pendant dix-huit ans la société de production indépendante Mascaret Films, qui a notamment produit l'excellent film La Journée de la jupe, avec une Isabelle Adjani remarquable. Vous avez ensuite dirigé pendant deux ans Shine Films, label pour la fiction du groupe Endemol Shine.
Depuis 2020, vous dirigez la société LB. Productions, que vous avez créée et qui est consacrée à la création audiovisuelle de fictions. Vous y avez produit des projets de séries françaises, franco-africaines et franco-canadiennes, en collaboration avec différentes sociétés de production en France et à l'étranger. Vous y avez également développé des séries pour les plateformes.
Sans transition, je vais vous poser une série de questions sur certains enjeux de l'audiovisuel, que vous serez amenée à rencontrer dans l'exercice de vos fonctions à l'Arcom, si la commission donne un avis favorable à votre nomination.
Je souhaite d'abord vous interroger sur la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, décidée l'été dernier. La ministre de la Culture a annoncé la semaine dernière que le Gouvernement n'excluait pas de pérenniser l'actuel mode de financement de l'audiovisuel public en y consacrant une fraction de la TVA, dispositif transitoire censé s'achever fin 2024. Qu'en pensez-vous ?
Une budgétisation des ressources n'est pas écartée à ce stade, alors que plusieurs travaux, comme ceux du Centre pour le pluralisme et la liberté des médias de Florence, ont montré une corrélation entre la budgétisation et un moindre degré d'indépendance du service public de l'audiovisuel.
Considérez-vous que le mode de financement actuel constitue une solution satisfaisante et durable ? Plus généralement, quelles devraient être, selon vous, les grandes priorités de l'audiovisuel public ?
La proposition de législation européenne relative à la liberté des médias, à laquelle la présidente a fait référence, entend imposer aux États membres de veiller à ce que les médias de service public disposent de « ressources financières suffisantes et stables pour l'accomplissement de leur mission de service public ». La Commission européenne insiste sur la nécessité d'un financement déterminé sur une base pluriannuelle, dans une logique de prévisibilité et de planification. La qualité du service public audiovisuel pourrait-elle être améliorée par un renforcement de la pluriannualité des ressources, notamment par un allongement de la durée des contrats d'objectifs et de moyens (COM) ?
La question de la concentration des médias a récemment fait l'objet de débats au sein de cette commission. Elle devrait figurer à l'ordre du jour des états généraux du droit à l'information. Le contrôle sectoriel de l'Arcom devrait-il, selon vous, évoluer, notamment afin que lui soient confiées davantage de responsabilités dans l'évaluation des effets des opérations de concentration, au cas par cas et sur la base de critères qualitatifs et quantitatifs ? Un récent rapport de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires culturelles a fait le constat d'un dispositif sectoriel « obsolète », fondé sur une approche par des seuils, jugée dépassée. Il préconise un contrôle plus souple, inspiré du modèle britannique. Que pensez-vous de cette proposition ? Des évolutions législatives sont-elles nécessaires à vos yeux ?
Enfin, au vu de votre parcours, il me semble naturel de vous poser une question sur le développement de la production et de la création audiovisuelles. Les règles relatives à la contribution cinématographique et audiovisuelle des éditeurs de services de télévision ont été revues par deux décrets fin 2021, lesquels prévoient des conventions entre l'Arcom et les éditeurs pour fixer les obligations de ces derniers. Les obligations d'investissement dans la production indépendante ont été renforcées. La situation vous paraît-elle satisfaisante, s'agissant notamment du contrôle par l'Arcom des obligations d'investissement des éditeurs, en particulier les services de médias audiovisuels à la demande ?
J'ai déposé ma candidature au poste de conseillère de l'Arcom en novembre 2022, alors que je terminais une production en Afrique, au Burkina Faso. Le contraste était donc assez amusant ! Je suis très honorée de me présenter devant vous et je suis très reconnaissante à Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale, d'avoir placé sa confiance dans une personne dont l'expérience vient du terrain.
En tant que productrice – la production est en effet le cœur de mon métier –, je dois faire en sorte que l'imaginaire d'un auteur puisse devenir une œuvre destinée à un public. Créer une série peut prendre quatre ou cinq ans. Ces projets au long cours, centrés sur la création, demandent un investissement quotidien. Il est passionnant, mais nécessite d'acquérir rapidement des compétences dans les domaines juridique, économique ou même artistique. De fait, la production de séries est assez récente en France, où nous avions plutôt l'habitude de formats unitaires : les modes d'écriture, notamment, sont différents. En dialoguant avec les diffuseurs, j'ai également essayé de mieux comprendre leurs choix et leurs attentes. Mon rôle est de trouver comment dépasser les contraintes techniques, économiques ou juridiques – qui existent dans toutes les activités – pour les mettre au service de la création. Je l'ai exercé dans des structures indépendantes, parfois des très petites entreprises (TPE). J'ai créé trois sociétés, à différents moments de ma carrière.
J'ai enrichi mes compétences grâce à toutes les discussions que j'ai pu avoir avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), les organismes de financement, les artistes ou les éditeurs de services. Occuper une place pivot permet d'aborder l'ensemble des questions liées à la création.
J'ai également eu l'occasion de travailler chez des éditeurs de services, en l'occurrence France 2 et M6.
Par ailleurs, je me suis toujours investie dans des actions collectives, au sein du syndicat des producteurs indépendants (SPI) et ponctuellement de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (Uspa) ou au sein d'associations comme Série Series. Cette dernière a créé un festival européen, puis un festival africain. J'ai aussi participé à des commissions de sélection, où l'on a le privilège d'échanger avec des pairs sur les projets qu'il est important de soutenir et sur les moyens offerts par les financements publics, en particulier ceux du CNC, pour accroître la diversité des œuvres diffusées par les chaînes.
Je n'ai pas encore évoqué mes expériences dans de grands groupes, comme Ellipse & Alya, qui était à l'époque une filiale de Canal+, ou plus récemment Endemol Shine. Elles m'ont permis de rencontrer d'autres producteurs, de découvrir de nouvelles manières de travailler et d'être plus sensible à un environnement international. Chez Endemol Shine, nous avions des réunions régulières à Londres, avec tous les producteurs européens. Elles étaient l'occasion de confronter nos différentes approches du métier et nos regards sur les contenus. Les groupes disposent en outre de fonctions support, ce qui permet d'échanger avec des personnes de services juridique ou financier et d'enrichir ainsi ses compétences.
J'ai travaillé chez un diffuseur privé et chez un diffuseur public. J'y ai vécu des expériences différentes, mais tout aussi passionnantes.
Les diffuseurs reçoivent énormément de projets, qu'ils doivent choisir en fonction de leurs objectifs. Pour les chaînes privées comme M6, qui sont financées par la publicité, l'enjeu est de maximiser l'audience. Il faut donc essayer de trouver les programmes susceptibles de répondre au mieux aux attentes des différents publics. Il n'y a pas de science exacte dans ce domaine, et les résultats attendus ne sont pas toujours au rendez-vous !
Le service public doit satisfaire à d'autres exigences qui sont inhérentes à ses missions, comme préserver la cohésion sociale, protéger le jeune public, prendre en compte sa diversité ou, sans être antinomique avec la distraction, participer à son éducation. En tant que directrice de l'unité jeunesse à France 2, je me souviens que nous avions essayé de proposer une émission pour les adolescents le mercredi après-midi. Elle était animée par des jeunes et abordait des sujets qui étaient propres à la jeunesse. Elle n'a pas duré très longtemps, mais cette expérience était très intéressante.
Mme la rapporteure a résumé les grandes lignes de mon parcours professionnel, mais, comme je viens du monde de la création, je voudrais aussi vous parler de trois projets que j'ai produits. Je considère en effet que, par sa capacité à proposer des points de vue très différents sur le monde et à représenter toute la diversité de la société française, la communication audiovisuelle est très importante pour le fonctionnement de notre démocratie et pour la cohésion sociale.
Le projet le plus ancien est le film La Petite Prairie aux bouleaux de Marceline Loridan-Ivens. Il s'agit d'une fiction autobiographique, qui raconte l'histoire d'une femme, déportée à 16 ans au camp de Birkenau, qui y revient quarante ans plus tard pour se confronter à sa mémoire et qui y rencontre un jeune Allemand, petit-fils de nazi. Cette expérience a été très riche émotionnellement. Exceptionnellement, nous avons eu l'autorisation de tourner dans le camp, ce qui était habituellement interdit pour des œuvres de fiction – et ce qui d'ailleurs n'était pas très facile –, et nous avons travaillé avec une équipe composée d'Allemands, de Polonais et de Français, chacun ayant son regard sur l'histoire, selon son éducation. Je ne sais pas si vous connaissez Marceline Loridan-Ivens, mais c'était une personnalité incroyable. Autour d'elle, nous avons réussi à créer un lien entre les techniciens et à comprendre – ce qui était le sujet du film – comment dépasser cette période très sombre de l'Europe.
La Journée de la jupe a mis quatre ans pour exister, car personne ne voulait de ce projet au départ. Nous avons fait un casting de jeunes dans les banlieues autour de Paris, en nous rendant dans les centres culturels et les associations. Isabelle Adjani a accepté de jouer avec ces comédiens non professionnels et d'incarner le rôle d'une professeure de collège qui, thème un peu tordu, prend ses élèves en otage pour leur faire cours comme elle le souhaite. Même si cela paraît incroyable, Isabelle Adjani était quelqu'un de totalement inconnu pour ces jeunes. Dès la première scène, ils ont néanmoins reconnu son talent. Dans le film, elle évoque l'histoire de leurs parents, qui sont venus en France en pensant que la réussite était possible, et ils se sont tous mis à pleurer. Ce moment était très fort, parce qu'elle avait réussi à dépasser la fiction et à leur faire exprimer des sentiments qu'ils avaient en eux, mais dont ils n'avaient pas vraiment conscience. Le dernier jour de tournage, les filles, qui étaient toujours en jogging et en sweatshirt, sont venues en jupe. Nous en étions très fiers, car il ne fut pas facile de la leur faire accepter.
Lorsque nous avons présenté le film, nous avons reçu un accueil exceptionnel. Il a suscité beaucoup d'enthousiasme, mais il a aussi soulevé des questions et ouvert des discussions. La création permet cette liberté d'expression. Nous devons la protéger, car elle fait profondément partie de notre démocratie.
Pour finir, j'évoquerais la série Guyane, que j'ai produite pour Canal+. En deux saisons de huit épisodes de cinquante-deux minutes, elle a été l'occasion de découvrir un territoire qui fait partie de notre pays, mais qui est mal connu et confronté à des problèmes très spécifiques. Sa population est extrêmement variée puisqu'il accueille à la fois des Amérindiens, des Créoles, des Hmong, des descendants de bagnards et les ingénieurs de Kourou. Nous savions qu'il y avait très peu de professionnels localement. Le tournage d'une série supposant de rester six mois sur place, nous avions le temps d'identifier des personnes intéressées et de leur faire découvrir nos métiers. Après deux saisons, nous avons pu créer un socle de compétences permettant au secteur de l'audiovisuel guyanais de se développer. Aujourd'hui, il propose des miniséries pour Arte, des fictions pour France 3 ou des documentaires.
Les trois projets que j'ai évoqués ne furent pas les plus simples, mais j'ai choisi d'en parler parce qu'ils incarnent, à mes yeux, le rôle que peut jouer la création.
Ma dernière production est une série à la fois française, burkinabè et sénégalaise, tournée au Burkina Faso au moment du coup d'État. Le contexte était compliqué, mais j'avais essayé de développer ce projet depuis quatre ans. La francophonie nous réunit. Nous devons confronter nos cultures et nos regards, car de cette diversité naît la plus grande richesse. Je connais un peu le Burkina Faso, d'ailleurs, pour assister à des festivals comme le Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, et je sais qu'il compte beaucoup de talents.
Mon parcours s'est enrichi par mon investissement en faveur du développement du secteur audiovisuel et de la défense de l'intérêt collectif, au sein de syndicats, d'associations ou de commissions, que ce soit en Languedoc-Roussillon ou en Île-de-France. J'ai également été experte pour les états généraux de de la production en outre-mer et j'ai siégé à la Procirep, la Société des producteurs de cinéma et de télévision.
Toutes ces expériences témoignent de mon intérêt pour la diversité du secteur et de ma volonté d'en comprendre toujours mieux le fonctionnement pour en préserver les grands équilibres. C'est pourquoi je serais ravie que vous acceptiez que je devienne conseillère à l'Arcom. J'espère pouvoir y apporter des compétences qui viennent du terrain et mon goût de la collégialité, laquelle permet souvent, en associant des compétences diverses, de faire émerger des solutions nuancées, susceptibles de prendre en compte les enjeux d'un monde de plus en plus complexe et en perpétuelle mutation.
Au nom du groupe Renaissance, je tiens à vous remercier pour vos propos introductifs et pour les nombreux exemples qui nous permettent d'apprécier votre expertise.
L'Arcom, qui a presque un an d'existence, joue un rôle fondamental dans la régulation des services de communication audiovisuels et numériques. En 2022, ses membres ont eu à traiter de multiples dossiers, comme la décompte du temps de parole des éditorialistes, le respect du pluralisme par les chaînes conventionnées ou la lutte contre le piratage sportif par le streaming. L'année 2023 ne s'annonce pas moins chargée puisqu'elle débutera, dès le 15 février, par l'étude de trois candidatures pour l'édition de deux services de télévision numérique terrestre à vocation nationale.
Les membres de l'Arcom doivent présenter des profils complémentaires, afin d'avoir une vision la plus large et la plus complète possible des sujets. Dans le cadre des nominations de janvier, doivent être désignés les successeurs de Mme Carole Bienaimé Besse, productrice cinéaste, et de M. Jean-François Mary, ancien président de la Commission de classification des œuvres cinématographiques. Votre parcours professionnel et votre solide expertise dans le secteur du cinéma et de l'audiovisuel font de vous une candidate privilégiée.
Selon vous, quels seront les principaux défis à relever en matière de production audiovisuelle, compte tenu notamment de la massification des acteurs et de la multiplication des canaux de diffusion ? Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions concernant le rôle des producteurs de contenus, en ce qui concerne la prise de risque, le partage de la valeur, la détention des catalogues et les éventuelles pertes de souveraineté qui peuvent en découler ?
En tant que rapporteur de la mission Médias, livre et industries culturelles du projet de loi de finances pour 2023, j'ai auditionné à plusieurs reprises M. Roch-Olivier Maistre. Le collège de l'Arcom est chargé de la régulation et de la supervision systémique des plateformes en ligne, mais nous savons que les géants du numérique, dits Gafam, sont toujours assez flous sur leurs pratiques, notamment dans le domaine de la production audiovisuelle et du droit voisin de la presse. En matière de production audiovisuelle, ils sont soumis à une obligation de financement de la création française à hauteur d'au moins 20 % de leur chiffre d'affaires en France. Toutefois, de l'aveu même de M. Maistre, la transparence de ces financements laisse à désirer. Comment en améliorer le contrôle ?
Concernant le droit voisin de la presse, les entreprises de presse françaises sont face à des mastodontes insaisissables, gélatineux, entourés d'avocats et de juristes qui minimisent systématiquement les chiffres d'affaires et les recettes réelles : l'opacité est totale. Quelles actions envisagez-vous pour améliorer la situation ?
Votre collège examine également les questions relatives aux grands enjeux sociétaux dans les médias audiovisuels et sur les plateformes en ligne. En tant que corapporteur, avec ma collègue Violette Spillebout, de la mission flash sur l'éducation critique aux médias, j'ai mesuré les nombreux dangers liés au développement des réseaux sociaux, notamment pour les publics jeunes. Nous savons qu'il faudra être toujours plus vigilant pour lutter contre la diffusion de fausses informations par des influenceurs et de messages contre la laïcité ou incitant au repli communautaire. Est-ce pour vous une priorité ?
L'Arcom « veille au respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion par les éditeurs de services audiovisuels ». Lors des dernières élections, de nombreuses dérives ont toutefois été constatées. Même si la situation a été corrigée, certains candidats ont été surreprésentés en termes de temps d'antenne durant des semaines. Ne craignez-vous pas que les règles en vigueur ne soient plus adaptées et qu'elles permettent des dérives pouvant créer des dynamiques influençant le cours des élections ? Que comptez-vous mettre en place pour répondre à ces enjeux ?
Mes collègues ne seront pas surpris de m'entendre une fois de plus prononcer le nom de Bolloré. Il ne s'agit pas d'une obsession de ma part, mais d'une conviction selon laquelle il représente l'association la plus aboutie entre offensive capitalistique et « combat civilisationnel », pour reprendre les mots de Vincent Bolloré lui-même.
Puisque vous êtes pressentie pour intégrer l'Arcom, j'aimerais vous alerter et connaître votre point de vue sur le cas Bolloré et, plus largement, sur la concentration dans le champ de l'audiovisuel et des industries culturelles.
Les chaînes CNews et C8 sont bien connues de l'Arcom puisqu'elles ont fait l'objet de nombreux signalements pour incitation à la haine et manquement à la déontologie journalistique. Ces signalements traduisent le mépris de Bolloré pour la puissance publique, qui, en échange d'une convention avec l'Arcom qui a été largement bafouée, met gratuitement à disposition les canaux de diffusion de ces chaînes.
Bolloré, ce sont également des procédures-bâillons, des acquisitions qui débouchent sur des départs de journalistes, des livres censurés, des émissions supprimées ou des scénarios réécrits. Il a constitué un quasi-monopole dans la télévision payante, qui finance la création française, en rachetant le groupe Canal+ avec les chaînes C8, CStar et CNews, Europe 1 et, plus récemment, OCS et le catalogue Orange Studio. Parallèlement, il attaque l'audiovisuel public par la voix de son fidèle ami Cyril Hanouna.
Or ce même audiovisuel public, qui reste le plus gros financeur du spectacle vivant et de la création audiovisuelle, voit son financement mis en péril par la suppression brutale de la redevance voulue par Emmanuel Macron et applaudie par le Rassemblement national.
Comme productrice de cinéma, je vous imagine sensible aux enjeux d'indépendance et de diversité de la création audiovisuelle. Comment l'Arcom pourrait-elle les garantir ? Pensez-vous que l'Arcom dispose des moyens et de la volonté nécessaires pour réagir face au « combat civilisationnel » que Vincent Bolloré entend mener ?
Quelle est votre vision des missions de l'audiovisuel public à l'horizon 2030, en dehors du financement de la création ? Les contrats d'objectifs et de moyens doivent-ils évoluer, par exemple par l'alignement de leur durée sur celle des mandats des présidents ? Que pensez-vous de la proposition d'instaurer une commission indépendante pour évaluer les besoins financiers de l'audiovisuel public, en s'inspirant du modèle allemand ? Comment l'audiovisuel public doit-il s'adapter aux nouveaux usages du numérique, notamment en matière de délinéarisation, d'ultra-haute définition, de HbbTV – Hybrid Broadcast Broadband TV –, de DAB+ – Digital Audio Broadcasting – ou d'enceintes connectées ?
Les médias jouent un rôle essentiel dans la démocratie. Les Français leur font toutefois peu confiance, comme ils font également peu confiance à internet. Pour améliorer cette confiance, le Digital Services Act (DSA) s'appliquera dès en 2024 en renforçant les obligations de modération et de transparence. L'Arcom a déjà fait part de ses interrogations vis-à-vis de Twitter ou de TikTok, mais son pouvoir de sanction reste très limité. Que peuvent changer l'entrée en vigueur du DSA et la proposition de résolution européenne relative à la liberté des médias pour l'audiovisuel public ?
Aucun des membres du collège de l'Arcom ne me semble connaître de manière aussi approfondie que vous le secteur de la production audiovisuelle. Votre nomination serait donc une bonne nouvelle.
Comme l'ensemble de l'audiovisuel, la production est en pleine révolution. Entre le basculement des habitudes de consommation vers le streaming, la réforme de la chronologie des médias ou la remise en cause des modes de production, les défis ne manquent pas pour ce secteur qui compte 300 000 emplois.
Les changements en cours dans le monde de la production inquiètent nombre de vos collègues, qui observent une concentration des commandes des plateformes en ligne sur les acteurs les plus importants. Malgré les dispositions du décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), plusieurs syndicats représentant les entreprises de production indépendantes accusent les majors et les plateformes de créer des sociétés faussement indépendantes pour répondre aux exigences de la loi.
Vous semble-t-il nécessaire de redéfinir les obligations de financement, pour augmenter le temps d'exposition et les financements des producteurs indépendants ? Afin de faire face aux dérives, la notion même de producteurs indépendants ne devrait-elle pas être revue, notamment pour y ajouter des conditions de volume de production ?
Certaines émissions et chaînes dites d'information ne semblent pas vraiment se préoccuper des sanctions qui leur sont infligées. Le pouvoir de sanction de l'Arcom devrait-il être renforcé, notamment par un relèvement du plafond des amendes qu'elle peut prononcer ?
Le début de cette législature a été fortement marqué par la suppression de la redevance audiovisuelle. Celle-ci a entraîné une fragilisation de notre audiovisuel public, qui est désormais financé par une fraction de la TVA. Ressource incertaine pour faire face à la hausse des dépenses et source de dépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques en place, cette mesure est source d'inquiétude pour les acteurs. Récemment, la ministre de la Culture s'est déclarée favorable à une pérennisation de cette fraction de la TVA. Une telle mesure de rattrapage soulève néanmoins des questions en matière de faisabilité juridique et de cohérence politique. Quelle est votre position concernant la suppression de la contribution à l'audiovisuel public et la récente position de la ministre à ce sujet ?
L'audiovisuel public a récemment été l'objet de vives critiques de la part d'un présentateur bien connu. Cette séquence n'a pas permis aux téléspectateurs d'avoir accès à une information claire et neutre sur le sujet et a mis en difficulté les chaînes publiques.
Autorité régulatrice et garante de la déontologie des chaînes de radio et de télévision, l'Arcom veille à l'honnêteté de l'information et au respect de la personne et de la dignité humaine. Aujourd'hui, certains présentateurs à l'audience importante ne se conforment pas à ces exigences et sont à l'origine de polémiques générant des sentiments de défiance. Selon vous, comment l'Arcom pourrait-elle renforcer leurs obligations éthiques, notamment au moment du renouvellement des contrats avec certaines sociétés ?
Chargée de la régulation des plateformes en ligne et des réseaux sociaux, l'Arcom a déjà eu l'occasion d'exprimer son point de vue concernant les influenceurs, notamment les plus jeunes. Comme l'a souligné mon collègue Arthur Delaporte dans sa récente proposition de loi dont je salue la qualité, il devient urgent de mieux encadrer les pratiques commerciales frauduleuses de certains créateurs de contenus. Quelles sont vos préconisations dans ce domaine ?
En tant que productrice au sein de grands groupes ou comme dirigeante de votre propre société, vous avez acquis une expérience riche et diverse. Les députés du groupe Horizons sont persuadés que celle-ci sera précieuse au sein du collège de l'Arcom.
Le soutien à la promotion et au financement de la création, qui participe de la souveraineté économique et du rayonnement culturel de la France, soulève de nombreux enjeux. La mission de l'Arcom n'est pas de préserver le statu quo, mais d'anticiper et d'accompagner les évolutions. Compte tenu de votre expérience, quelles seraient vos propositions pour assurer la pérennité du financement des œuvres françaises et le renforcer, notamment dans le cadre des débats actuels sur l'avenir de l'audiovisuel public ?
S'agissant de la concentration des médias, nous devons distinguer les phénomènes réels de concentration et les évolutions induites par la mutation profonde du secteur. Les transformations de la chaîne de valeur, depuis l'acquisition jusqu'à la distribution et la diffusion, poussent les acteurs historiques à faire évoluer leur modèle. Quelle est votre analyse à ce sujet ?
L'Arcom supervise les plateformes en ligne. Alors que l'arrêt de la plateforme Salto a été décidé, quelles seraient vos propositions en matière de monétisation et de promotion de la création française en ligne ?
Comment pourriez-vous mettre votre connaissance de l'Afrique à profit dans le cadre de la réflexion que mène l'Arcom pour le développement et la diffusion de la production et de la création francophone ?
N'ayant aucune remarque à formuler concernant votre parcours, madame Lesage, je pars du principe que vous pourriez siéger prochainement au sein de l'Arcom, et vous invite donc à entrer dans le vif du sujet.
L'Arcom est souvent critiquée pour le peu de sanctions qu'elle prononce, alors qu'elle en aurait le pouvoir. Cette attitude soulève d'autant plus de questions que le pluralisme dans les médias tend à régresser, en raison du phénomène de concentration déjà évoqué.
Cette concentration des médias dans les mains de quelques-uns – nul besoin, ici, de recourir à l'écriture inclusive – renvoie à des enjeux financiers. Or l'information est, selon l'expression de l'économiste Julia Cagé, un « bien public ».
Les canaux hertziens accessibles gratuitement deviennent, pour les actionnaires, des produits de capitalisation qui servent leurs intérêts. Ils utilisent ces médias comme des tribunes largement ouvertes. Théoriquement, des contreparties existent. Diverses obligations sont définies dans des conventions, comme celles de traiter les affaires judiciaires avec mesure ou de respecter le pluralisme des opinions. La multiplication des polémiques et les débordements fréquents montrent cependant que ces textes sont soit inadaptés, soit mal appliqués – ou les deux.
En 2025, c'est-à-dire au cours de votre éventuel mandat, l'Arcom examinera la reconduction de l'autorisation de diffusion de C8 et de CNews. Ces chaînes s'illustrent régulièrement par des débordements qui peuvent aussi être qualifiés de dérives. Que penseriez-vous d'une évolution des conventions permettant « de responsabiliser les présentateurs, les chroniqueurs, mais aussi les patrons de chaînes », pour citer Mme la ministre de la Culture.
Merci pour la présentation de votre parcours, qui fut très intéressante.
L'Arcom conserve les missions traditionnelles du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) vis-à-vis des opérateurs historiques de télévision, comme France Télévisions ou M6, et des radios. Elle s'est toutefois vu confier de nouvelles missions liées à la place prépondérante qu'occupent désormais des plateformes comme Netflix. Celles-ci sont soumises aux règles de l'audiovisuel depuis la transposition de la directive relative à la fourniture de service de médias audiovisuels. L'Arcom, qui met en place les conventions avec ces plateformes, doit s'assurer que celles-ci respectent leurs obligations. Elles contribuent à hauteur de 250 à 300 millions d'euros par an au financement de la création française. Quelles actions pourraient être engagées pour que cette manne financière profite à l'ensemble de l'écosystème médiatique ?
Les missions confiées à l'Arcom se sont multipliées au fil des années, comme la lutte contre les fausses informations ou contre l'accès des mineurs à la pornographie, la protection des publics face aux enjeux de société, le respect des droits des femmes ou la représentation de la diversité. Selon vous, l'Arcom dispose-t-elle de moyens humains et financiers suffisants pour exercer correctement toutes ces nouvelles missions ?
Lorsque nous avons examiné le projet de règlement européen relatif à la liberté des médias, nous avons évoqué l'impérieuse nécessité de lutter contre la concentration des médias dans les mains de quelques multimilliardaires. Comment abordez-vous cette question ? L'indépendance des rédactions est-elle possible sans indépendance financière ? Quel rôle l'Arcom pourrait-elle jouer pour s'assurer non seulement de la pluralité des médias, mais aussi garantir l'existence de médias indépendants ?
Vos questions sont très nombreuses, et je vais essayer de répondre à la majorité d'entre elles. Néanmoins je ne suis pas membre de l'Arcom, puisqu'il vous revient d'en décider. Je ne me permettrai donc pas de donner un avis sur certains sujets très techniques, n'en ayant au demeurant pas les compétences. En outre, s'agissant des solutions à mettre en œuvre ou des moyens, je pense qu'il n'existe pas de réponses simples. Aussi m'attacherai-je surtout à vous expliquer la philosophie qui guiderait mon action si je rejoignais l'Arcom.
Le service public de communication audiovisuelle me semble profondément nécessaire pour faire vivre la démocratie et prendre en compte les enjeux de cohésion sociale. La diversité socioprofessionnelle est moins représentée dans nos fictions que dans les fictions anglaises, par exemple : cela pourrait appeler une réflexion. Le service public propose toutefois des documentaires de qualité, qui ouvrent sur le monde. Les propositions de contenus sont également très riches à la radio. Les différents partis peuvent s'exprimer et débattre, dans le respect du pluralisme.
Il est essentiel de conserver un service public fort, et je me permets à ce sujet de vous rappeler que le service public allemand est beaucoup mieux financé que le service public français.
Les jeunes, et plus largement les moins de 50 ans, ne regardent plus les programmes en s'asseyant devant le poste de télévision familial : ils privilégient des modes de consommation numériques. Le service public, qui a face à lui des sociétés mondialisées extrêmement puissantes, comme Netflix, Amazon ou Disney, doit avoir les moyens de développer sa propre offre. Il est en effet le seul à pouvoir proposer des contenus qui ne soient pas uniquement dictés par les audiences. Certaines émissions du service public ne sont pas regardées par un public très large, mais elles permettent d'aborder des sujets parfois difficiles et ne doivent pas être sacrifiées.
La question du financement de l'audiovisuel public, très technique, requiert des connaissances juridiques et fiscales. La contribution à l'audiovisuel public (CAP) a été supprimée, probablement en raison de l'inflation et de son inadéquation avec les nouveaux modes de consommation – aujourd'hui, les familles disposent en moyenne de six écrans.
Le financement du service public ne doit pas baisser, compte tenu des enjeux que posent la concurrence, mais aussi le pluralisme et la démocratie. Nous devons en particulier conserver les objectifs de représentation de toute la société française et de parité, laquelle va en s'améliorant sans toutefois être pleinement respectée. En ce qui concerne la diversité, les dernières études montrent une légère régression. Nous devons pourtant veiller à représenter toutes les catégories socioprofessionnelles et toutes les origines, afin de préserver le lien social.
L'éducation à l'image constitue également un sujet majeur, car le jeune public est de plus en plus exposé aux réseaux sociaux. Il faut lui apprendre à accéder à une information fiable et à éviter les manipulations émanant entre autres de sites pornographiques. L'Arcom doit s'emparer de toutes ces questions sociétales, mener des études, engager des réflexions avec l'ensemble des acteurs de la communication audiovisuelle, les sensibiliser et leur rappeler leurs responsabilités.
S'agissant de la durée des COM, j'ai peut-être une vision un peu simpliste, mais je pense qu'elle doit être alignée sur les mandats des présidents, qui, ainsi au fait de la trajectoire à respecter, peuvent se présenter en toute connaissance de cause. À l'issue d'un mandat, une année pourrait éventuellement être laissée pour tirer les enseignements de la période précédente et préparer la période suivante, mais mon sentiment est qu'un alignement serait souhaitable.
Par ailleurs, il ne faudrait pas que le COM soit modifié en cours de période, car la mise en œuvre de stratégies audiovisuelles et la création de programmes prennent du temps. Pour atteindre les objectifs fixés, il faut en tenir en compte et disposer d'une certaine stabilité.
Pour moi, un service public fort doit être un service public agile. L'association de ces deux termes peut vous paraître surprenante, mais, compte tenu de la rapidité d'évolution du secteur, il faut pouvoir s'adapter en permanence. Nous vivons dans un univers mondialisé, où les changements sont à la fois très profonds et très rapides, que ce soit en termes de modes de consommation, de technologies ou d'apparition d'entreprises nouvelles.
Certains influenceurs adoptent des pratiques abusives en matière de recommandations commerciales et manipulent le public. Je ne sais pas si nous devons privilégier la régulation, la réglementation ou l'incitation, mais les différents opérateurs doivent assumer leurs responsabilités. Nous devons activement mobiliser tous les acteurs des réseaux sociaux, leur rappeler leurs responsabilités au sein de nos sociétés démocratiques, pluralistes et respectueuses de la personne. La difficulté est que nous avons parfois affaire à des entreprises mondiales, américaines ou chinoises, et que nous ne disposons pas toujours des outils permettant de leur imposer des obligations. Il faut cependant essayer de travailler avec eux, peut-être en développant des initiatives européennes.
Les questions relatives à la concentration dans le champ audiovisuel relèvent pour une part de l'Autorité de la concurrence et pour l'autre de l'Arcom. Les critères quantitatifs ne sont pas figés ; ils doivent s'adapter à l'évolution du secteur et à l'état du monde audiovisuel et de la communication. Pour ce qui est de la prise en compte de critères qualitatifs, il faut y regarder de près. Il doivent être pertinents. Il faut aussi se demander quel rôle ils peuvent jouer dans la régulation, étant entendu que nous sommes dans un pays où règne la liberté d'expression ; et s'il importe de la préserver, elle s'arrête, comme toute liberté, là où commence celle des autres. Il me semble important de rappeler aux diffuseurs privés qu'une fréquence leur a été attribuée sur la base d'un projet et que cela leur donne des responsabilités en matière de pluralisme, de lien social et de débat démocratique.
Les dérives que vous avez mentionnées doivent-elles conduire à des sanctions légales ? C'est au législateur d'en décider. Pour la prolongation de l'attribution de fréquences – ce qui sera le cas en 2025 pour C8 et CNews –, il me semble nécessaire que l'Arcom rappelle les nécessités du bon fonctionnement de notre démocratie et ce que cela implique en matière d'utilisation des canaux de communication et d'émissions proposées au public. Nous avons tous le devoir de faire vivre notre démocratie en essayant de renforcer la cohésion sociale plutôt qu'en créant des tensions, ainsi qu'en veillant à laisser s'exprimer la contradiction, afin que chacun puisse se forger sa propre opinion, en son âme et conscience, et en ayant eu accès à l'ensemble des informations disponibles. Ce sont là des exigences incontournables pour obtenir une fréquence.
J'en viens à la question de l'indépendance de la production. Selon la définition légale, un producteur indépendant est un producteur qui n'a pas de lien capitalistique avec un diffuseur. Selon moi, l'indépendance réside aussi dans la capacité à proposer des œuvres qui ne se contentent pas de répondre à la demande d'un éditeur de services. Il importe de partir de la création, et non du besoin de remplir des cases prédéfinies.
Cela soulève le problème de l'intégration verticale dans le secteur audiovisuel – par exemple avec TF1 et Newen Studios ou France Télévisions et France.tv Studio. Est-ce une bonne chose ? La question vaut aussi pour les médias dans leur ensemble. Certains acteurs ont investi à la fois dans la presse écrite, dans la radio, dans la diffusion et dans les plateformes. Il faudrait pouvoir prendre en considération l'ensemble de ces investissements et la place prépondérante que de tels acteurs occupent dans le secteur de la communication pour s'interroger sur les éventuelles limites à poser en matière de concentration. Il convient de préserver le pluralisme et l'honnêteté de la communication dans l'ensemble des supports disponibles, de sorte que le citoyen ait accès à des points de vue différents sur les questions de société et sur le monde, et qu'il puisse ainsi se forger sa propre opinion.
La question de la francophonie, aujourd'hui sous-évaluée, m'importe particulièrement. Le français est une langue qui relie entre elles des populations aux histoires très différentes. Ayant récemment développé un projet avec le Québec et produit une série au Burkina Faso, j'ai observé le développement très rapide d'un sentiment antifrançais en Afrique francophone. Pourtant, malgré tout ce qui se passe sur place – l'ambassade de France attaquée, les instituts français dévastés –, les personnalités de la société et de la culture burkinabè font montre d'un appétit de partage des cultures et de transmission. Le lien est profond. Il y a un travail important à fournir en la matière, et nous devrions être davantage à l'écoute d'un français qui est différent du nôtre. Qu'il s'agisse des producteurs québécois ou de ceux que j'ai rencontrés au Burkina Faso et au Sénégal, les réactions furent les mêmes : « Vous considérez que vous parlez le seul français légitime », m'ont-ils dit. Celui qu'ils utilisent prend peut-être une autre forme que le nôtre mais les deux proviennent d'une base commune. Les pays francophones attendent que nous leur accordions une place. C'est un enjeu important pour le monde actuel.
Votre parcours de productrice et directrice de sociétés de production audiovisuelle vous permet d'avoir eu connaissance des conséquences ravageuses pour la jeunesse du visionnage de contenus pornographiques. La lutte contre ce fléau est l'un de grands défis actuels, comme l'a souligné un récent rapport sénatorial. Le contrôle du non-accès des mineurs aux sites pornographiques est fondamental, et l'Arcom est compétente pour l'assurer. Vous qui êtes médiatrice régulière au sein de l'Amapa, l'Association de médiation et d'arbitrage des professionnels de l'audiovisuel, pensez-vous que la médiation soit à même d'améliorer la prévention de l'exposition de nos jeunes à la pornographie ? Jugez-vous que le dispositif juridique de protection des mineurs, fréquemment critiqué, est assez précis ? Comment envisagez-vous la coopération de l'Arcom avec les différentes autorités de régulation des États membres de l'Union européenne dans ce domaine ?
Dans sa mission de protection des jeunes publics contre les contenus pornographiques, l'Arcom s'est donné pour objectif de renforcer son soutien à la parentalité numérique. Des études nous alertent sur les dangers de l'usage d'internet auprès du jeune public : cyberharcèlement, haine en ligne, pornographie. Le constat dressé par le rapport sénatorial publié cet automne est édifiant : selon ses auteurs, 80 % des mineurs ont déjà vu des contenus pornographiques et près d'un enfant de 12 ans sur trois a déjà été exposé à de telles images. Il faut des moyens pour lutter contre cet état de fait. Quelle sera votre action en la matière ?
Le 19 janvier, plus de 2 millions de manifestants ont défilé partout en France contre le projet de réforme des retraites présenté par le Gouvernement. Deux jours avant la journée d'action, la communication de l'Élysée organisait une petite rencontre dont elle a le secret, à savoir un déjeuner avec le Président de la République et dix éditorialistes de la presse parisienne convoqués à peine vingt-quatre heures avant – ce n'est pas moi qui le dis mais Ève Roger, dimanche dernier, dans sa chronique « C médiatique » sur France 5. « L'objectif de l'Élysée », poursuivait la chroniqueuse, « c'est qu'Emmanuel Macron […] donne lui-même les éléments de langage aux dix journalistes les plus influents de la presse parisienne afin que la parole présidentielle infuse dans l'opinion et pourquoi pas l'influence. » Jusque-là rien que de très banal, me direz-vous ; mais il y a une condition de taille pour ce déjeuner : « Les journalistes ne doivent pas dire qu'ils ont vu Emmanuel Macron et donc ne peuvent pas le citer. » Ce secret, fort mal gardé apparemment, ne peut que renforcer la méfiance déjà extrême des Français envers les médias. Dans une telle situation, comment l'Arcom pourrait-elle intervenir afin d'assurer l'indépendance des médias ?
Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes rendra son rapport annuel au Président de la République mercredi prochain. Dix recommandations sont émises en vue de mieux lutter contre le sexisme, parmi lesquelles réguler les contenus numériques pour lutter contre les représentations dégradantes des femmes, en particulier les contenus pornographiques, conditionner les aides publiques à la presse écrite à des engagements en matière d'égalité ou encore créer une haute autorité indépendante pour lutter contre les violences sexistes en politique. Il s'agit d'un sujet important pour nombre de nos concitoyens. Comment l'abordez-vous ? Que pensez-vous de ces propositions ? Que préconisez-vous en la matière ?
Il y a quelques jours, la ministre de la Culture est revenue sur les récentes plaintes déposées auprès de l'Arcom contre Cyril Hanouna et C8. Elle a affirmé : « Il faut responsabiliser les présentateurs, les chroniqueurs, mais aussi les patrons de chaînes, pour leur rappeler que l'autorisation d'utilisation gratuite de leurs fréquences s'accompagne d'obligations, comme celle de traiter les affaires judiciaires avec mesure, celle de respecter le pluralisme des opinions, etc. »
Elle a ensuite clairement évoqué l'avenir incertain de certaines chaînes, notamment C8 et CNews, en ajoutant : « Lorsqu'on arrivera, en 2025, au moment de l'analyse de leur bilan pour la reconduction de leurs autorisations de diffusion, l'Arcom saura regarder comment elles ont respecté ces obligations. » Certains ont vu dans cette phrase une menace.
Je souhaite avoir votre avis à ce sujet. Pensez-vous qu'il est du ressort d'un membre du Gouvernement de tenter d'exercer une influence sur une autorité administrative indépendante ?
D'après les données publiées en 2022 par l'Arcom, un enfant de douze ans sur trois a été exposé à un contenu pornographique. Comment l'Arcom peut-elle contribuer à freiner ce phénomène, qui s'amplifie depuis plusieurs années ?
Vous êtes pressentie pour siéger au collège de l'Arcom. Pouvez-vous indiquer vos priorités en matière d'éducation numérique et aux médias auprès de nos jeunes ? Considérez-vous que les campagnes de sensibilisation menées par l'Arcom ont porté leurs fruits ?
L'accès relativement aisé des mineurs aux contenus pornographiques pose problème : c'est là une véritable question de société. Comment envisager de lutter contre les violences conjugales si les jeunes ont une vision de la sexualité peu respectueuse de la femme, et parfois des hommes ? Cette question est difficile à traiter.
Je ne suis pas au fait de tous les outils législatifs permettant à l'Arcom d'intervenir. Un médiateur a été mandaté pour rétablir le dialogue entre l'Arcom et les plateformes concernées. Nous devons travailler activement sur ce sujet complexe, qui nous place en face de sociétés financièrement à l'aise, défendues par de bons avocats.
Il faut prendre le temps de trouver des solutions pour protéger les mineurs. S'en donner les moyens prendra un peu de temps, compte tenu des interlocuteurs auxquels nous avons affaire. Productrice, j'ai l'habitude de voir des projets constamment refusés puis, finalement, quatre ans plus tard, acceptés. Autrement dit j'ai la résistance nécessaire pour défendre l'intérêt supérieur de la société et du bien-vivre en société. Quoi qu'il en soit, il faut s'investir dans ce domaine.
S'agissant de l'indépendance des journalistes et de celle de l'Arcom, c'est une responsabilité, qui appelle une vigilance extrême. Il me semble qu'un journaliste n'est pas obligé de garder le secret de ses sources, mais je ne connais pas les possibilités offertes par la loi à l'Arcom en cette matière.
Ma question ne porte pas sur le secret de la source, mais sur la façon de garantir l'indépendance des journalistes dès lors que les éléments de langage qui leur sont fournis sont ceux de l'Élysée.
Des journalistes conviés à l'Élysée auxquels on donne des éléments de langage ne sont pas obligés de les reproduire tels quels. Ils conservent leur liberté de journaliste et peuvent les présenter comme le point de vue du pouvoir, qu'il leur incombe, par respect du pluralisme des opinions, de présenter aux côtés d'autres points de vue.
L'Arcom est là pour défendre le pluralisme des opinions, ce qui est particulièrement important dans une société traversée de fortes tensions. La diversité qu'incarnent les groupes politiques de l'Assemblée nationale reflète la diversité des points de vue au sein de la société française sur les grandes questions qui se posent à elle. Nous n'avons pas évoqué la préservation de l'environnement, mais l'Arcom a un rôle à jouer s'agissant de l'application des dispositions de la loi « climat et résilience » dans la communication audiovisuelle et de la promotion de pratiques plus respectueuses de l'environnement.
Je ne m'avancerai pas sur les outils dont dispose l'Arcom pour faire respecter le pluralisme des opinions, de crainte de dire des bêtises. L'Arcom, comme les journalistes et les créateurs de contenus, doit être vigilante en matière d'indépendance et de transmission d'une information cadrée, distinguant entre la pensée d'un gouvernement donné et celle de tel ou tel groupe politique. Il importe de cadrer l'information pour les gens, pour que chacun sache d'où vient la parole et ce qu'elle représente.
S'agissant de la prise de position de la ministre de la Culture sur la reconduction des autorisations de diffusion, chacun peut comprendre que certains propos tenus à l'antenne soient ressentis comme choquants. L'Arcom, quant à elle, doit veiller à prendre ses décisions en toute indépendance. Elle n'est pas un outil de gouvernement, mais de démocratie.
S'agissant de l'avis émis par Cyril Hanouna sur le service public de l'audiovisuel, il s'inscrit dans une pluralité d'opinions. L'Arcom est là non pour sanctionner à la demande du Gouvernement, mais pour rappeler que l'attribution gracieuse de fréquences, grâce à laquelle des sociétés privées s'enrichissent, va de pair avec le respect des fondamentaux de notre démocratie. Si les opinions peuvent être diverses, l'absence de contradicteur en présence de l'expression d'une opinion tranchée me gêne un peu. La démocratie vit du dialogue entre individus aux opinions diverses.
Vote
Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l'article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants : 38
Bulletins blancs ou nuls, ou abstentions : 0
Suffrages exprimés : 38
Majorité des 3/5e : 23
Avis favorables : 27
Avis défavorables : 11
En conséquence, la commission donne un avis favorable à la nomination de Mme Bénédicte Lesage par la présidente de l'Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet.
La séance est levée à dix-neuf heures trente.
Présences en réunion
Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, M. Quentin Bataillon, Mme Béatrice Bellamy, M. Philippe Berta, Mme Soumya Bourouaha, Mme Anne Brugnera, Mme Céline Calvez, Mme Agnès Carel, Mme Fabienne Colboc, M. Laurent Croizier, M. Hendrik Davi, Mme Béatrice Descamps, M. Inaki Echaniz, M. Laurent Esquenet-Goxes, M. Philippe Fait, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Pierre Henriet, M. Alexis Izard, M. Fabrice Le Vigoureux, M. Jérôme Legavre, Mme Sarah Legrain, Mme Christine Loir, M. Alexandre Loubet, M. Christophe Marion, Mme Graziella Melchior, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Nicolas Pacquot, Mme Caroline Parmentier, M. Jérémie Patrier-Leitus, M. Emmanuel Pellerin, Mme Béatrice Piron, M. Alexandre Portier, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Claude Raux, Mme Cécile Rilhac, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, M. Paul Vannier, M. Léo Walter
Excusés. – Mme Aurore Bergé, M. Frantz Gumbs, M. Stéphane Lenormand, M. Frédéric Maillot, M. Boris Vallaud
Assistait également à la réunion. – M. Dino Cinieri